Il est un fait bien regrettable que la manière d’aménager les autels, et en particulier la question des cierges, ne semble aujourd’hui dans les célébrations en forme ordinaire obéir à aucune règle. Dans ce domaine, c’est, hélas, l’anarchie et l’arbitraire qui règnent, ce qui contribue à enraciner dans les esprits l’idée -fausse- que la forme ordinaire est quelque chose d’informe et vague, et que le missel issu de la réforme liturgique ne serait qu’un « noman’s land » liturgique livré à toutes les improvisations et aux goûts les plus subjectifs du célébrant, de telle équipe liturgique ou communauté paroissiale. Dans telle paroisse, on ne met pas de cierges du tout; dans telle autre, on pose sur un coin de l’autel un gros cierge « CCFD », avec, dans un autre coin, un petit bouquet de fleurs; dans telle autre, on fonctionne encore autrement, etc. C’est le triomphe, partout, de ce que Martin Mosebach appelait «l’hérésie de l’informe»: la liturgie ne doit surtout pas avoir une forme spécifique et bien précise, mais c’est l’arbitraire et les « préférences » personnelles qui doivent être la norme. Bien évidemment, dans un tel contexte, tous ceux qui souhaitent rappeler que, dans la manière de célébrer la messe, des règles objectives existent et doivent être respectées passent pour d’affreux rubricistes, des esprits étroits et rigides attachés à des détails sans importance. «Vous êtes un pharisien arc-bouté sur le ritualisme, s’entendent-ils répondre, l’essentiel c’est de prier, Jésus n’est pas venu instaurer des rites». La belle affaire!

Il semble que ces réactions, loin de manifester une quelconque « authenticité évangélique », expriment bien plus la mentalité moderne -essentiellement occidentale d’ailleurs-, dont l’une des caractéristiques essentielles est d’avoir totalement perdu de vue l’importance du symbolisme, qui est pourtant constitutif même de toute la ritualité liturgique. Pour les Anciens, les mystères chrétiens étaient considérés comme des vérités trop profondes et trop riches pour pouvoir être appréhendées et exprimées uniquement à l’aide d’un discours rationnel humain, si sophistiqué soit-il. Tout mystère, pour être communiqué aux hommes, doit également être exprimé par la médiation de symboles, qui permettent à l’âme humaine de «saisir» intuitivement «quelque chose» du mystère tout en le respectant en tant que mystère. Ainsi en est-il de la question des cierges: ceux-ci ne sont pas, comme on se l’imagine aujourd’hui, qu’un pur élément décoratif dans le nombre et l’aspect n’ont aucune importance, mais bien au contraire leur nombre, leur disposition, leur aspect, encadrés par les normes officielles et déterminées par la tradition reçue, expriment, par le biais d’un symbolisme qui plonge ses racines dans les textes bibliques eux-mêmes, le mystère divin. C’est donc à ce titre -c’est à dire, dans la mesure où par la richesse du symbole, ils contribuent à rendre la liturgie nourrissante pour la vie spirituelle des fidèles- que ce symbolisme doit être respecté.

Exemple d’aménagement pour une célébration en forme ordinaire, ad orientem.
Paroisse de Villars-les-Dombes
Paroisse de Villars-les-Dombes

Comme en toutes choses, il convient dans un premier temps, lorsque l’on veut savoir «comment faire», de consulter les normes qui régissent l’actuelle forme ordinaire. Puis, dans un second temps, il convient d’interpréter la norme, non à la lumière des modes du moment, mais de la tradition reçue du rite romain telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous. Au n° 117 de la Présentation Générale du Missel Romain (PGMR), nous lisons:

L´autel sera couvert d’au moins une nappe de couleur blanche. Sur l´autel ou alentour, on mettra des chandeliers avec des cierges allumés : au moins deux pour toute célébration, ou même quatre, ou six, surtout s’il s’agit de la messe dominicale ou d’une fête de précepte, ou encore sept si c´est l´évêque du diocèse qui célèbre. Il y aura aussi sur l´autel ou à proximité une croix avec l’effigie du Christ crucifié. Les chandeliers et la croix avec l’effigie du Christ crucifié pourront être portés dans la procession d´entrée. Sur l´autel même, on pourra mettre, à moins qu´on ne le porte dans la procession d´entrée, l’Evangéliaire, distinct du livre des autres lectures.

L’interprétation à donner à cette norme, à la lumière de la tradition romaine est donc la suivante: pour une messe de semaine, il convient d’allumer deux cierges. Pour une messe dominicale ou un jour de fête, on allumera au moins quatre cierges, de préférence six. Pour une messe célébrée solennellement par un évêque (messe pontificale ou épiscopale), on allumera sept cierges.

Exemple de messe de semaine.

Selon l’usage traditionnel exprimant le mystère du lien entre Eucharistie et Sacrifice, on disposera toujours les cierges de manière symétrique de part et d’autre de la Croix qui, qu’elle soit posée sur l’autel ou disposée à proximité, devra toujours être placée au centre, de manière à constituer le point focalisant l’attention de toute l’assemblée.

Exemple d’autel apprêté pour une messe du dimanche ou d’un jour de fête (cathédrale de Saint-Malo).

Il est bien évident que l’on privilégiera toujours une célébration orientée, c’est à dire où le célébrant et l’assemblées seront tournés tous ensemble dans le même sens, c’est à dire vers la Croix, vers le tabernacle, et, au-delà du tabernacle, vers l’Orient (cf. article «Pourquoi toute liturgie chrétienne doit être orientée»).

Exemple de messe dominicale où la Croix et les chandeliers ne sont pas disposés sur l’autel lui-même (Notre-Dame de l’Assomption, Logelbach).

Quelle signification aux cierges? Un peu d’histoire

«Avant le christianisme, les Romains avaient pour usage de brûler des cierges devant les idoles ou pour honorer certains dignitaires de l’Empire, et ils les employaient aussi pour les offices funéraires. Dans la liturgie juive, on utilisait plutôt des lampes à huile et, au Temple, un chandelier à sept branches alimenté aussi à l’huile : la Menorah (cf. explication ci-après). S’il est vrai que les cierges ont répondu, dans l’Église primitive, au besoin pratique d’éclairer, notamment lors de la prière des vigiles, ils avaient aussi un sens symbolique important qui justifiait leur utilisation diurne dans un but cultuel. Au Vème s., à Vigilance qui se moque de l’utilisation de cierges en plein jour, saint Jérôme répond : « Dans tout l’Orient, on allume des cierges pour lire l’Évangile quand le soleil brille ; ce n’est point pour chasser les ténèbres, mais en signe de joie ». Au nombre des luminaires liturgiques, on compte les lampes, les cierges d’acolytes, les cierges d’autel, les flambeaux et, en tout premier lieu, le cierge pascal. Dans l’église primitive, suivant la majorité des archéologues, les chandeliers n’étaient pas admis sur l’autel. C’est à l’époque carolingienne qu’apparaissent les cierges d’autel. À l’époque romane, ils commencent à être posés sur l’autel-même, mais seulement durant le temps de la Messe. Ce n’est qu’à partir du XIIIème s. qu’ils y demeureront. Si les chandeliers sont de forme relativement simple à l’époque romane, au XIIIème s. leur hauteur s’accentue […] et les chandeliers seront parfois ornés de plusieurs noeuds, jusqu’à atteindre deux mètres de haut à la Renaissance.» (Source: Communauté Saint-Martin).

Un exemple de messe de semaine en forme ordinaire. Les six cierges allumés indiquent qu’il s’agit d’une fête particulière.

Dans ce domaine, il ne faut pas perdre de vue que traditionnellement et ce dans toute Eglise chrétienne, c’est la messe épiscopale (ou pontificale), c’est à dire célébrée par l’évêque, qui est la messe normative et le modèle de toute liturgie eucharistique. En effet, l’évêque, en étant dépositaire de la plénitude du sacerdoce ministériel, représente le Christ-Tête, ce qui est clairement manifesté par la fameuse expression attribuée à S. Ignace d’Antioche: «là où est l’évêque, là est l’Eglise catholique». C’est donc dans la messe solennelle célébrée par l’évêque entouré de son presbyterium, de ses diacres et de la communauté des fidèles baptisés que se réalise dans toute sa plénitude le mystère de l’Eglise. Or, pour la messe épiscopale, la PGMR, rappelant ainsi une tradition multiséculaire, prescrit comme nous l’avons vu d’allumer sept cierges d’autel.

Autel paré pour la messe pontificale: sept cierges (FE)
Messe célébrée par l’Evêque (FE)

Pourquoi ce chiffre de sept? Dans son ouvrage Les racines juives de la messe, le P. Jean-baptiste Nadler écrit: «Dans le premier récit de la création de l’univers en sept jours (Gn. 1), la lumière et les différents luminaires ont une place importante. Dieu, qui est Lumière (1 Jn. 1, 5), est aussi le créateur de la lumière: «Que la lumière soit, dit-il. Et la lumière fut» (Gn 1, 3). Après avoir fait pousser les différents arbres, il crée les deux grands luminaires: le soleil et la lune (Gn 1, 12.16). Dans le second récit de la création (Gn 2), le Seigneur plante un jardin en Eden, au milieu duquel pousse l’arbre de vie; mais après la chute d’Adam et Ève, l’accès à cet arbre est défendu par le Seigneur Dieu «[qui] posta, à l’orient du jardin d’Eden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie» (Gn 3, 24). Plus tard, lorsque Dieu révèle Son Nom à Moise, il le fait à partir d’un arbre et dans le feu: «L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu» (Ex 3, 22). Dans le Temple de Jérusalem, la menora était le rappel liturgique de tous ces événements: un chandelier de lumière et de feu, tel un buisson dont les sept branches se rattachent au tronc central, planté près du Saint des Saints gardé par les chérubins où le grand-prêtre prononçait le Nom ineffable. En plaçant sur l’autel une croix, signe de la mort rédemptrice et de la victoire du Christ, entourée de sept cierges, la liturgie chrétienne accomplit parfaitement les figures de l’Ancien Testament que nous venons d’évoquer. La croix du Seigneur est cet arbre d’Eden dont le fruit, pain de vie, mais aussi fruit de la vigne véritable plantée par le Père, donne la vie éternelle; la croix est aussi ce buisson de feu où le Nom de Dieu est parfaitement révélé; elle est l’accomplissement total et le parachèvement de la création; elle est le shabbat, le repos définitif en Dieu.».

Messe à Paris à l’occasion de la visite du pape Benoit XVI en France. On remarquera les sept cierges sur l’autel et la croix centrale.

Le P. Jean-baptiste Nadler ajoute: «Voilà pourquoi les chrétiens d’Orient, aujourd’hui encore, mettent une menora sur l’autel, devant la croix; ils vivent la liturgie de l’Apocalypse: «J’ai vu sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d’homme» (Ap 1, 12-13).»

Autel de l’église orthodoxe russe de Strasbourg. On remarquera la menorah à sept branches à côté de l’autel, symbolisant la Présence divine, ainsi que l’évangéliaire posé sur l’autel durant la liturgie des catéchumènes.

La présence des sept cierges sur ou à proximité de l’autel n’est donc pas un élément arbitraire: mettant en oeuvre un riche symbolisme immémorial pratiqué par toutes les Eglises chrétiennes, il est toujours le signe de la Présence de Dieu sur terre: présence spirituelle manifestée à Moise sur le mont Horeb sous le signe du Buisson ardent; présence spirituelle toujours dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, sous le signe de la menorah; enfin, Présence réelle et substantielle à travers les espèces eucharistiques sur l’autel des liturgies chrétiennes, anticipant, annonçant et préfigurant la Présence éternelle et définitive du Dieu vivant au milieu du peuple des rachetés telle que décrite dans le Livre de l’Apocalypse: «Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dans la [ville], et ses serviteurs lui rendront un culte; ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. Et de nuit, il n’y en aura plus, et ils n’ont pas besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui luira sur eux, et ils régneront dans les éternités d’éternités!» (Ap. 22, 3-5).

Pour conclure

Nous avons tenté de démontrer dans cet article que les éléments rituels de notre tradition liturgique, dont certains peuvent apparaître à première vue comme des détails sans importance, plongent en réalité leurs racines, non seulement dans les pratiques liturgiques des tous premiers chrétiens, mais encore dans la ritualité hébraïque vétérotestamentaire, et contribuent de manière décisive à la richesse symbolique -et donc spirituelle- de la liturgie. Ne pas respecter les normes et ne pas mettre en oeuvre ce symbolisme, en plus de nous couper de nos racines et de nous éloigner de nos frères orientaux, contribue inévitablement à l’affadissement et à l’appauvrissement de nos célébrations, les rendant ainsi moins aptes à susciter et entretenir en nous la foi catholique reçue des Apôtres. C’est uniquement par la mise en oeuvre exacte et fidèle de l’intégralité de la symbolique liturgique héritée de la grande Tradition chrétienne, que les catholiques pourront rendre à leur liturgie romaine cette «onction» -si nourrissante pour la vie intérieure- par laquelle elle devient véritablement «la source et le sommet de la vie de l’Eglise» (SC, I, 10).

« Le mystère de cet autel de pierre est étonnant. Par sa nature, il est  de pierre uniquement, mais il devient saint et sacré du fait de la présence du Christ. Etonnant mystère, certes, puisque cet autel de pierre devient lui-même, en quelque sorte, corps du Christ »
Saint Jean Chrysostome.