Esprit de la Liturgie a le plaisir de publier cette tribune libre de Dom Alcuin Reid, dont nous partageons le propos sans être associés à son monastère.
Dom Alcuin Reid est historien de la liturgie, spécialiste du Mouvement Liturgique et des réformes du rite romain au XXème siècle.
Titre original : Pope Benedict XVI’s liturgical uncategorisability
Vous pourrez trouver le texte original en anglais sous sa traduction française.
Le problème que posait Benoît XVI est qu’on ne pouvait pas le mettre dans une case ou lui coller une étiquette politique. Pour ceux qui vivent dans de telles cases, c’est là un obstacle infranchissable. Pour un traditionaliste, comment ce pape pouvait-il approuver la célébration de la liturgie d’après la réforme liturgique ? Pour les positivistes ultramontains (dont le positivisme s’arrête brusquement au 6 août 1978) comment pouvait-il réhabiliter, et encore pire, libérer, la liturgie d’avant la réforme ? Pour le sempiternellement anonyme “tradical” d’Internet, quelque soit la date de l’histoire de la liturgie à laquelle il se réfère, Benoît XVI n’est ni un traditionaliste d’une quelconque espèce, ni un moderniste : il est une incompréhensible énigme.
Dans une certaine mesure, c’est chose fâcheuse. Il est bien pratique, sur les plans psychologique, sociologique, théologique et liturgique, de se trouver une boîte, de s’y réfugier, et de profiter de la camaraderie qui y règne, pour ainsi dire. Ceux qui sont dedans vous applaudiront ; ceux qui sont dehors sont un rebut voué à la perdition. Mais que faire de quelqu’un qui jette un coup d’œil par-dessus le bord de la boîte, qui comprend et compatit avec les raisons de s’y réfugier, mais qui comprend également qu’il y a, et doit y avoir, une vie en-dehors d’elle aussi bien qu’au-dedans ?
Tel, en effet, était Joseph Ratzinger ; tel, également, Benoît XVI – sur les plans liturgique, ecclésial, pastoral. Il connaissait en effet la tradition, et il savait combien elle avait besoin – pour user d’un mot piégé – d’aggiornamento : d’un renouveau, d’un ressourcement en parfaite continuité avec la Tradition, qui permettrait à la splendeur de la Tradition de rayonner à nouveau avec clarté, et de jeter sur notre monde sordide sa lumière salvatrice.
Oui, tel était Joseph Ratzinger, prêtre, théologien, peritus au plus récent Concile Œcuménique, Archevêque, Cardinal-Préfet, et Pape. C’était un homme déconcertant, jamais disposé à s’asservir à un parti politique, qu’il soit ecclésial ou mondain. Il préférait, pour trouver l’inspiration, se tourner vers l’Orient, plutôt que vers les hommes.
Cependant, comme souvent lorsque l’âge et de grandes responsabilités pèsent sur les épaules et la conscience, il avait désigné de claires priorités pour son ministère comme Souverain Pontife de l’Église Universelle. La première était d’enseigner clairement l’idéal : liturgiquement, cela se retrouve dans son Exhortation Apostolique de 2007 Sacramentum Caritatis. Les “tradicaux” ne l’ont probablement jamais lue – elle y admet que les rites d’après la réforme existent ! Mais ils apprendraient beaucoup s’ils la lisaient. Ceux pour qui prennent les rites postconciliaires comme marque idéologique ne sont pas en reste : dans Sacramentum Caritatis, Benoît XVI replace ces rites dans le seul contexte où ils peuvent constituer des éléments acceptables dans la tradition liturgique catholique – dans une herméneutique de la continuité avec tout ce qui est reçu dans la Tradition. Le rejet de ces efforts sans autre forme de procès, même sur ce point, par tant de gens, est un témoignage suffisamment éloquent.
La deuxième priorité était l’application de ces principes, comme on le voit dans le Motu Proprio Summorum Pontificum de la même année – avec Anglicanorum Coetibus (2009), tous deux des exercices exceptionnels de la juridiction papale à notre époque. Summorum Pontificum est une autre leçon d’histoire de la liturgie, une leçon sur la nature de la Tradition catholique, et une leçon d’ecclésiologie, Le Souverain Pontife a acté qu’il était impossible d’interdire les anciennes liturgies du rite romain, non à cause de sa préférence personnelle, mais à cause de la nature de l’Église, de la Sainte Liturgie, et de la Tradition. L’Histoire s’en souviendra, une fois que les chiens auront cessé d’aboyer, comme d’une affirmation selon la réalité et la vérité, et non selon une préférence politique ou une idéologie : ceux qui la traitent ainsi se couvrent tout simplement de ridicule.
De même, Summorum Pontificum fut une sage réalisation de “ce que l’Esprit dit aux Églises” (Apocalypse 3:22). Benoît XVI pouvait voir clairement que beaucoup de gens, dont un grand nombre de jeunes, faisaient l’expérience, dans les rites anciens de l’Église, de cette participation pleine, consciente et réelle aux rites liturgiques à laquelle le Second Concile du Vatican avait appelé (cf. Sacrosanctum Concilium, 14). Bien que cela eût été tout à fait inattendu (puisque tout le monde partait du principe que les réformes du rite étaient essentielles pour atteindre à cette participation désirée par le Concile), c’était et est toujours une réalité vivante et fertile dans l’Église du vingt-et-unième siècle. Cette réalité doit non seulement être reconnue, mais aussi, pour le bien de l’Église et le salut des âmes, doit pouvoir vivre et croître, libre des contraintes de tant de potentats, dont les carrières ecclésiastiques incarnent à la perfection la fanfaronnade du “Modern Major-General” de Gilbert et Sullivan et de son insolent succès: “Et je n’ai jamais pensé à penser par moi-même”!
Joseph Ratzinger/Benoît XVI pensait bien par lui-même, de même que, fervemment, il priait, et aimait profondément. Voilà pourquoi il ne tenait pas dans une boîte (ni ne risquait d’y tomber). Ceux d’entre nous qui seraient tentés d’y trouver refuge feraient bien d’apprendre de sa sagesse et de son courage. Il y a du bon et du moins bon dans et au-dehors des frontières que nous avons nous-même tracées. Nous devons acquérir – et plaise à Dieu que Benoît XVI puisse bientôt intercéder pour nous à cette intention – la capacité à sortir de nos boîtes, qu’elles soient de carton, de verre, de cristal, de pierre, et à reconnaître, apprécier et contribuer à tout ce qui est vrai, beau et bon (et reconnaître clairement ce qui ne l’est pas) dans les circonstances si rapidement changeantes de l’Église et du monde au début du vingt-et-unième siècle.
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The problem with Pope Benedict XVI is that he did not fit into a neat category or political camp. For those who live inside such ideological boxes`, this is an insurmountable obstacle. For a liturgical traditionalist, how could he countenance the celebration of the reformed liturgical rites? For the papal positivists (whose positivism often goes no further than 6 August 1978) how could he rehabilitate, let alone liberate, the unreformed liturgical rites? For the on-line and ever-anonymous ‘rad-trad’ of whatever particular date in liturgical history he self-defines, Benedict XVI is neither a traditionalist of any sort, nor a modernist: he is simply an incomprehensible enigma.
To a certain extent this is an obstacle. It is utterly convenient psychologically, socially, theologically and liturgically to find a box (or to ‘purchase’ one on-line) and to jump into it and to enjoy the camaraderie, as it were. Those inside will cheer. Those outside it are fated to perdition. But what of someone who looks over the edge of the box, who understands and sympathises with the reasons for retreating into it, but who also understands that there is—and indeed there must be—life outside of it as well as within?
For such was Joseph Ratzinger; such was Pope Bendedict XVI—liturgically, ecclesiologically, pastorally. For he knew the tradition and he knew its need for—to use a loaded word—aggiornamento: for a renewal, a ressourcement, in utter continuity with Tradition, which would allow the splendour of the Tradition to shine anew with clarity and shed its saving light in the sordid world of our day.
Such indeed was Joseph Ratzinger, priest, theologian, peritus at the most recent ecumenical Council, Archbishop, Cardinal Prefect, and Pope. He was a disconcerting man, never ready to subscribe to a political party—ecclesiastical or secular. He preferred to turn toward the East for his inspiration, rather than to any human.
Yet, as happens to many when age and greater responsibility weighs on one’s shoulders (and one’s conscience), he delineated particular priorities for his ministry as Supreme Pontiff of the Universal Church. The first was clearly to teach the ideal: liturgically we have this in his 2007 Apostolic Exhortation Sacramentum Caritatis. Rad-trads have probably never read it—it admits of the existence of the reformed rites! But they would learn very much if they did. So would those for whom the new rites are an ideological benchmark: in Sacramentum Caritatis Pope Benedict places them in the only context in which they can be acceptable elements of Catholic liturgical tradition—in that of a hermeneutic of continuity with all that is received in Tradition. The a priori exclusion of his efforts even here by so many speaks loudly and clearly for itself.
The second priority was the application of the principles, and we see this in the Motu Proprio Summorum Pontificum of the same year—along with Anglicanorum Coetibus (2009), both exceptional exercises of papal jurisdiction in modern times. Summorum Pontificum is another lesson in liturgical history, in the nature of Catholic Tradition and in ecclesiology. The Supreme Pontiff ruled that it was impossible to forbid the older rites of the Roman use not because of his own preference, but because of the nature of the Church, of the Sacred Liturgy and of Tradition. This, as history shall record once the petty partisans have passed, is an assertion of reality and of truth, not of a political preference or ideology. Those who treat it as the latter simply make fools of themselves.
So too, Summorum Pontificum was a wise recognition of “what the spirit is saying to the churches” (Rev. 3:22). Pope Benedict could see clearly that many, including large numbers of the young, were experiencing in the older rites of the Church that full, conscious and real participation in the liturgical rites for which the Second Vatican Council called (cf. Sacrosanctum Concilium, 14). Whilst this was utterly unexpected (everyone assumed that the ritual reforms were essential to the participation desired by the Council), it was and is a living, fruitful reality on the Church of the twenty-first century: one which must be not only acknowledged, but one which, for the good of the Church and the salvation of souls, must live and grow unfettered by the numerous potentates whose ecclesiastical careers more than incarnate the boast of Gilbert and Sullivan’s infamously ‘successful’ Modern Major-General: “And I never thought of thinking for myself at all”!
Joseph Ratzinger/Pope Benedict did think for himself, just as he prayed fervently and loved deeply. That is why he did not fit (or fall) into a box. We who may be tempted to take refuge in one need to learn from his wisdom and from his courage. There is good and bad within and without the demarcations we ourselves lay down. What we must acquire—and please God may Benedict XVI soon be able to intercede for us in so doing—is the ability step out of our boxes, be they made of cardboard, glass, crystal or stone, and to recognise, value and contribute to all that is true, beautiful and good (and clearly to recognise what is not) in the rapidly changing circumstances of the Church and the world at the beginning of the twenty-first century.
Dom Alcuin Reid. Prieur
Monastère Saint-Benoit, Brignoles, France
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