Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Les vérités et les erreurs du P. du Haÿs

 

Un ami cher et respecté camarade a posté dans un commentaire sur le groupe Facebook Esprit de la liturgie cette intéressante vidéo :

 

https://www.youtube.com/watch?v=FEldVyjeacM

 

Inutile de cliquer tout de suite, je vous la résume dans la première moitié de cet article, en numérotant les différentes thèses que l’orateur expose. N’hésitez pas à la visionner en entier si vous voulez des détails. Il s’agit d’une conférence de 45 minutes du P. Fabrice du Haÿs, de la Communauté de l’Emmanuel, sur le thème “transformer la messe dominicale en messe missionnaire”.

 

Il faut d’abord dire que l’orateur ne prétend pas exposer plus que sa propre opinion, n’est pas dans une posture de transmission, mais plutôt de partage horizontal ; aussi, il me semble permis de critiquer ses propos en bien et en mal, comme ceux d’un docteur privé, non comme ceux d’un enseignant de la vérité catholique ; ce que je ferai dans une deuxième moitié de cet article.

1/ Résumé 

L’orateur fait d’abord remarquer le rôle central de la liturgie dans le processus de conversion, particulièrement dans la “contagion” des fidèles vers leurs prochains qu’ils invitent à la Messe (proposition 1). Il démontre que la qualité très inégale de la liturgie (même au sein d’une seule paroisse) est un frein majeur à ce que les fidèles invitent des non-croyants à la Messe (prop. 2). Il donne beaucoup d’importance au ressenti d’un non-pratiquant qui rentre pour la première fois dans une église (bâtiment) particulière (prop. 3) ; il veut que la messe soit compréhensible par quelqu’un qui y assiste pour la première fois (prop. 4). Il donne dans ce but quatre points de réforme : l’accueil, la musique, les gestes liturgiques, l’homélie. Il conseille de garder une messe “ancienne version” pour les vieux aigris (j’explicite un sous-entendu) (prop. 5).

L’accueil 

6. Faire accueillir la population cible par des fidèles du même groupe d’âge.

7. Mettre les meilleurs dans l’équipe accueil, pas des bouche-trou.

8. Accueillir hors d’une logique commerciale mais par amour de l’autre.

9. Prier en équipe accueil avant.

10. Ne pas singulariser les nouveaux ou les pointer du doigt.

11. Aider les gens à trouver une place de parking.

12. À la sortie, qu’un membre de l’équipe accueil demande les prénoms des nouveaux qu’il a identifiés (et ne les oublie pas).

13. Distribuer une feuille avec l’ordinaire de la messe aux gens qui ont l’air perdu.

14. Le célébrant demande, entre le chant d’entrée et le signe de croix, à toute l’assemblée, d’échanger son prénom avec ses voisins. (L’orateur argue qu’on a le droit car la Messe n’a pas commencé.) À la fin de la PU, le célébrant invite chacun à prier pour ceux dont il a reçu le prénom au début de la messe.

La musique 

15. Personne n’écoute de l’orgue dans le métro, les gens n’ont donc pas envie d’entendre de l’orgue à la Messe.

16. Il faut utiliser les instruments que les gens aiment écouter : piano, guitare, percussion.

17. Supprimer l’animateur et le remplacer par une chorale amateur dirigée par un professionnel rémunéré (qui est là tous les dimanches).

18. La chorale ne doit pas se produire de manière concertante mais uniquement soutenir le chant de l’assemblée.

19. La qualité d’une assemblée revient au volume sonore de son chant.

20. La chorale ne doit pas répéter, sauf juste avant la Messe. Elle ne doit pas chercher à acquérir un niveau musical bien meilleur que celui de l’assemblée.

21. Le seul critère de sélection des nouveaux chants est : doit être acquis par l’assemblée en trois dimanches d’affilée maximum.

22. Il vaut mieux prendre des chants que les gens connaissent, plutôt que des chants qui collent aux textes du jour.

23. Projeter les paroles du chant sur un écran.

Les gestes liturgiques 

24. Il faut concélébrer la grand-messe avec tous les prêtres de la paroisse.

25. Il faut faire des choses qui se voient, p.ex. procession d’évangéliaire, beaucoup de servants.

26. Le prêtre va donner le geste de paix à toutes les servantes d’assemblée qui vont le donner aux fidèles.

L’homélie 

27. L’enseignement de l’homélitique au séminaire est quasiment inexistant.

28. À tour de rôle, chacun des 3 prêtres prépare son homélie du dimanche pour le mercredi matin et la donne à ses collègues, de sorte que chacun fait une bonne homélie une semaine sur trois au lieu d’une homélie superficielle chaque semaine.

29. Utiliser PowerPoint pour montrer dans l’homélie les titres des parties et les citations bibliques.

30. Il faut s’inspirer des pasteurs protestants pour la forme des homélies.

31. Il faut raccourcir les annonces (+ utiliser PowerPoint).

Questions 

 Mais l’orgue, la musique liturgique, c’est fait pour nous élever, pas pour se mettre à notre niveau ! Réponse : mon choix est pragmatique et non théologique. Je suis conscient d’aller contre le concile Vatican II qui préconise l’orgue et le grégorien. 
 Quelle place pour le silence ? Pas de réponse. 
 Ne faut-il pas plutôt apprendre à l’orgue à travailler avec les autres instruments ? Réponse : l’orgue est fait pour jouer tout seul et on veut d’autres instruments. On pourrait avoir de l’orgue pour les chants méditatifs. 

2/ Commentaires 

Les propositions 1 et 2 me semblent incontestables, c’est d’ailleurs le témoignage de nombreux convertis. La proposition 3 ne me semble pas catégoriquement fausse, le ressenti a une importance qu’il ne faut pas négliger ; je ne suppose pas que l’orateur compte fonder une conversion sur un ressenti seul, ce qui serait une grave erreur ; cependant, il faut savoir quel ressenti on recherche : foule bruyante ou encens et silence ? 

 

La proposition 4 me semble structurante pour l’ensemble du propos, et l’une des erreurs centrales de la position du P. du Haÿs. Ma proposition A : Comme mystère, la Messe est infiniment intelligible, mais fondamentalement incompréhensible. Donner au fidèle l’illusion qu’il comprend la Messe, parce qu’il peut tout voir (écran) et tout entendre (chants en français, absence générale de silence), va résulter en une intelligence de la Messe très superficielle.

 

La proposition 5 contredit la proposition 2, à moins qu’on décide de “cacher” la messe “ancienne version” en la transformant en messe privée.

 

Je donne d’emblée ce qui me paraît être les deux autres erreurs fondamentales du projet du P. du Haÿs. Ma proposition B : la cérémonie, l’événement qu’il propose, est utilitariste. L’orateur utilise fréquemment le terme de “pragmatisme”, et nul ne s’oppose au pragmatisme : tous les liturges de terrain ont vu leurs projets contrariés par l’entêtement de la réalité à ne pas se prêter à nos imaginations, et en liturgie comme partout ailleurs, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Mais l’orateur ne vise nullement à faire ce qu’il peut pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû : il optimise les moyens à sa disposition pour attirer du monde.

 

Ma proposition C : la célébration décrite par le P. du Haÿs est une auto-célébration mondaine de l’assemblée.

Les bonnes idées 

Avant de développer mes trois propositions qui s’opposent aux thèses implicites ou explicites exprimées dans la conférence, notons d’emblée les bonnes idées, qui procèdent d’un vrai pragmatisme et non d’une logique utilitariste, réductionniste et auto-célébrante : les propositions 7 (une vraie démarche d’accueil), 8 (éviter la logique commerciale), 9 (prier en équipe liturgique de manière générale), 10 (ne pas forcer les timidités), 11 (indiquer le parking) et 13 (distribuer un ordinaire). Je note que pas mal de paroisses qui célèbrent en latin (FORM ou FERM) distribuent un ordinaire, et j’ai eu le plaisir d’avoir un “planton parking” à diverses Messes où j’ai été cet été (surtout des tradies) ; le parking paroissial est même signalé en première page du site de la FSSP Tours ! Voilà une humble idée bien utile. Il nous faudrait tous nous inspirer des propositions 8 et 9 (allez écouter ses développements dans la conférence).

 

La proposition 17 constitue un retour au bon sens, malheureusement dévoyé par tout le reste : peut-être l’orateur a-t-il eu inconsciemment l’intuition qu’une assemblée dominicale n’est pas le public d’un music-hall qui doit se faire exciter par un chauffeur de salle pour faire bon accueil à la “star” du jour.

 

La proposition 18 est un sujet de controverse jusque parmi les amis de ce blog. Ma position est que la chorale est souvent excessivement concertante, dans tous les milieux (sauf là où la liturgie, bonne ou mauvaise, est très très pauvre, style paroisse de campagne avec 15 vieux et personne d’autre). Le chœur a un rôle liturgique propre et n’est pas un pis-aller qui chante ce que l’assemblée ne sait pas chanter. En tous cas, cette conception témoigne de traces de bon sens noyées dans une incompréhension de l’esprit de la liturgie.

 

Je n’ai rien de spécial contre le fond de la proposition 25 ; en incorrigible rubriciste, je vais me contenter de noter que ce qui n’est pas au missel n’est pas au missel, mais tant qu’il s’agit d’ajouts coutumiers ou légitimes, pourquoi pas.

 

Toute idée pour améliorer les homélies étant bonne à prendre, et le fait de se faire relire par ses confrères ne pouvant être une mauvaise idée, je souscris volontiers à la proposition 28 qui ne me concerne pas.

Les erreurs 

Catégorie “messe compréhensible”

 

La plupart des éléments de cette catégorie sont des propositions visant à désacraliser la Messe pour la rendre “accessible”, “compréhensible”, pour citer l’orateur.

 

Propositions 15 et 16 : “il faut plaire aux gens, la musique plait aux gens, faisons écouter aux gens de la musique qui leur plait”. Il est d’ailleurs curieux de noter la contradiction entre l’idée “il faut faire écouter aux gens de la musique qui leur plait” et l’idée “si l’assemblée ne chante pas elle ne participe pas”. Les deux idées, passivité extrême (la messe est un show pour l’assemblée) et suractivité stérile (“moi aussi je veux faire un truc pendant la messe” !), semblent opposées, mais sont en fait la même incompréhension totale du rôle des fidèles dans la liturgie.

 

Propositions 20 et 21 : “visons un mauvais niveau musical”. L’orateur scelle sa position en disant qu’il est très content de la pauvreté musicale des chants de l’Emmanuel (qu’il affirme lui-même ; nombre d’entre eux sont effectivement musicalement nullissimes). Il récuse l’emploi de la polyphonie (ne répétons pas) car cela rendrait la chorale concertante : quel désespoir ! On pourrait former les choristes à une véritable compréhension de leur rôle liturgique, de sorte qu’ils puissent assumer un rôle différent de l’assemblée sans pour autant se produire en concert.

 

Catégorie “zéro culte gratuit, 100% catéchèse”

 

Propositions 29 et 30 : faire de l’homélie un mélange entre one-man-show à la façon du protestantisme évangélique et conférence d’entreprise. L’orateur récuse la brièveté comme critère de la bonne homélie. Il n’a, en ceci, pas entièrement tort ; personne ne reproche au P. Zanotti-Sorkine la longueur inénarrable de ses homélies, tant elles sont belles ; mais l’orateur a tort de dire que n’importe quel prêtre peut passionner ses ouailles pendant cinquante minutes. À la vérité, il faut faire un acte d’humilité et reconnaître que Dieu nous a donné, par l’Église, dans la liturgie, une catéchèse bien plus efficace que tout sermon écrit de main d’homme.

 

Proposition 24 : la concélébration systématique. Alors, de deux choses l’une : soit on supprime des messes ailleurs dans la paroisse (l’orateur mentionne qu’ils sont 3 prêtres pour 4 clochers), soit on fait biner ou triner des prêtres. On met donc en balance : – la grâce sacramentelle dont sont privés certains fidèles, et le culte dont Dieu est privé, quand on dit moins de messes ; – le signe de l’unité de l’Église et le faste de la célébration concélébrée ; – la place de la Messe dans la vie des prêtres, qui, la multipliant à l’excès, diminuent l’attention qu’ils y portent. Je ne suis pas juge du troisième point, mais le premier me semble nettement devoir avoir préséance sur le second.

 

Catégorie “auto-célébration de l’assemblée”

 

La volonté de transformer la messe en moment de tissage de lien social (alors qu’une paroisse devrait dédier des moments de qualité au lien social, hors du culte public rendu à Dieu et à lui seul) : proposition 6 (faire accueillir les jeunes par les jeunes et les vieux par les vieux), 12 et 14 (insistance sur les prénoms pour que les gens se connaissent), 26 (geste de paix en bazar), mais aussi 19 (si l’assemblée ne chante pas elle ne participe pas).

 

On dit que chanter c’est prier deux fois, et c’est vrai, si on chante une prière ; ou si on prie son chant ; mais la fausse logique dans laquelle le chant est indispensable à la participation, autrement dit dans laquelle on ne peut pas prier sans chanter, est une logique dans laquelle le chant n’est pas une prière.

 

La proposition 22 (plutôt des chants connus que des chants adaptés) me choque profondément ; elle est une conséquence nécessaire de la volonté de maintenir le niveau de la chorale au niveau de l’assemblée, et le niveau de l’assemblée au niveau des chants de l’Emmanuel. On ne veut pas confronter l’assemblée à la difficulté, à ses propres limites ; en somme, on tire vers le bas : c’est d’ailleurs un leitmotiv de toutes les propositions relatives à la musique.

Conclusion 

On est pas sorti de l’auberge. Les membres de la Communauté de l’Emmanuel ont des positions variées sur la liturgie ; le fait que le P. du Haÿs ait été choisi pour donner une conférence lors du colloque dont est extraite la vidéo laisse supposer qu’il est représentatif d’une position consensuelle au sein de sa communauté, pas nécessairement généralisée, mais qui du moins n’y choque personne.

 

Les erreurs fondamentales sur le rôle de la liturgie dans la vie paroissiale, dans la vie intérieure des fidèles, et dans l’union de l’Église militante, souffrante et triomphante, que cette conférence révèle, laissent penser que même parmi les prêtres les plus jeunes, dits “de la nouvelle génération”, parmi lesquels l’hérésie formelle est moins répandue que dans la génération précédente, l’esprit de la liturgie n’a pas su pénétrer, et que notre labeur ne finira jamais !

Par Matthias von Pikkendorff

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  1. M Guyot

    Je remarque une autre incohérence, vouloir attirer le « public » avec la musique sensée lui plaire, puis leur mettre des chansonnettes nullissimes qui risquent de les faire fuir.
    Et pour plaire au « public » et attirer les jeunes, pourquoi pas la messe en rap, plutôt qu’avec de la musique de variété des années 70 ? et la messe hard rock pour les amateurs ? ou des cantiques sur l’air des chansons de supporters du PSG pour les footeux ?

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