Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Participation active et rôle des fidèles

La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui, en vertu de son baptême, est un droit et un devoir pour le peuple chrétien.

Ces paroles du Concile Vatican II ont été l’objet d’un nombre incalculable de commentaires en tous genres ; la plupart de ceux-ci, surtout dans l’immédiat après-concile, avait tendance à laisser tomber les deux premiers adjectifs pour ne retenir que le dernier (ce que dénonça Jacques Maritain dans « Le Paysan de la Garonne ».

Pourquoi cette insistance ? Il est vrai que jadis, la participation des fidèles s’était considérablement réduite. Le propagation de la Messe basse, son développement au détriment des formes plus solennelles de la liturgie (rappelons que la forme normative du rite romain est la Messe pontificale) ont progressivement conduit à l’effacement de la participation. Si les fidèles assistaient encore à la Messe, il était devenait difficile de comprendre qu’ils y prenaient part, non certes comme clercs (chacun à son rang) mais comme membres du corps mystique du Christ, c’est-à-dire de l’Église, Son Épouse, rendant un culte à son Époux.

L’effort du mouvement liturgique (dont les origines peuvent remonter aux travaux de dom Prosper Guéranger) fut de remédier à cet état de fait. C’est ainsi que furent publiés des missels bilingues à l’usage des fidèles, que certaines initiatives (parfois discutables) comme la Messe dialoguée ou commentée furent mises en place.

Ces efforts furent couronnés par le pape saint Pie X, dans son Motu proprio Tra le sollicitudine :

Notre plus vif désir étant, en effet, que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute façon et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunissent précisément pour puiser cet esprit à sa source première et indispensable : la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église. Car c’est en vain que nous espérons voir descendre sur nous, à cette fin, l’abondance des bénédictions du ciel si notre hommage au Très-Haut, au lieu de monter en odeur de suavité, remet au contraire dans la main du Seigneur les fouets avec lesquels le divin Rédempteur chassa autrefois du Temple ses indignes profanateurs.

Puis, par le Pape Pie XII, dans son encyclique Mediator Dei, en 1957 :

Il est donc nécessaire, Vénérables Frères, que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain Prêtre, selon la parole de l’Apôtre :  » Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus « offrant avec lui et par lui, se sanctifiant en lui.

Enfin, ces propos furent repris par la constitution sur la sainte liturgie du concile Vatican II. L’une des conséquences de cette insistance sur la participation fut la demande suivante, que l’on trouve dans cette même constitution : « Dans la révision des livres liturgiques, on veillera attentivement à ce que les rubriques prévoient aussi le rôle des fidèles. » (SC, 31).

Car aussi étonnant que cela puisse paraître, les livres antérieurs ne prévoyaient pas la participation des fidèles. À titre d’exemple, l’Ordo Missae de 1962 ne prévoyait qu’ainsi la communion des fidèles : « Après avoir consommé [le Saint-Sacrifice], s’il y a des communiants, le prêtre les communie, avant de se purifier » (Missale romanum, Ed. Typ. 1962, 1129). On peut s’étonner, à juste titre, de l’absence du rôle des fidèles dans le missel. En fait, elle prend acte de ce que le missel est un livre réservé au clergé, ne prévoyant que ce qui lui est utile, et faisant abstraction du reste (qui ne concerne de toute façon pas le prêtre) ; les fidèles sont donc laissés libres de leurs mouvements. On retrouve une telle conception dans nombres d’Églises orientales (mais pas toutes1), où les fidèles n’hésitent pas à déambuler dans l’église pendant les offices ; surtout, on en comprend le bien-fondé, qui laisse aux fidèles la liberté d’agir comme ils le désirent. L’Eglise n’est pas une caserne où les fidèles devraient agir exactement de la même façon sans se poser de questions.

L’ennui, c’est que cette omission volontaire n’est pas sans risque, une telle liberté pouvant se payer d’un manque de participation. Si les fidèles peuvent aller et venir dans l’église au cours de la Messe ou d’un office pour se livrer à leurs dévotions, que reste-t-il de l’action commune au cours de la Messe ? Le danger est d’aboutir à deux actions séparées, celle du clergé au sanctuaire, celle des fidèles dans la nef.

Un tel danger s’est trouvé aggravé par le vieillissement des langues liturgiques ainsi que par l’installation des bancs, en Occident, réduisant les fidèles au rang de simples spectateurs d’un culte rendu pour eux, mais dont il était difficile de voir qu’ils étaient partie prenante. On comprend dès lors l’insistance sur l’abandon des bancs, que l’on trouve par exemple chez le P. Louis Bouyer, dans son ouvrage de référence Architecture et liturgie.

Voilà pourquoi le missel de 1969 (et sa réédition partiellement révisée de 2002) prévoit la participation des fidèles, en particulier dans la Présentation générale du missel romain. On en voit certes tout l’intérêt et toute la légitimité : le but est de s’assurer que la liturgie demeure le « culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est‐a‐dire du Chef et de ses membres » (Mediator Dei), et non pas seulement celui d’une partie de ces membres.

Pour autant, on aurait tort de l’exagérer plus que de mesure. C’est ainsi que le missel reste silencieux sur de nombreuses attitude des fidèles (comme celle qu’ils doivent adopter après la communion), ainsi également que l’usage s’est conservé en certaines églises de leur permettre de se confesser pendant la Messe. L’Église sait bien que le risque d’une trop stricte uniformisation n’est pas moins périlleux que celui d’une trop souple exigence.

Par ailleurs, si l’Église prévoit la participation des fidèles, ce n’est pas sans réserve, ni sans garde-fous. Tous les autres acteurs ont leur rôle prévu, depuis le prêtre jusqu’à la schola cantorum. La présentation générale prévoit en outre explicitement, contre certaines tentations laicisantes, que la prière eucharistique est une prière proprement sacerdotale, que personne ne peut prononcer, à l’exception d’un évêque ou, en son absence, d’un prêtre. En outre, on se rappelle du sage précepte de Sacrosanctum Concilium qui précise que « Dans les célébrations liturgiques, chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques » (SC 28). La participation promue par l’Église ne peut donc pas se confondre avec un aplatissement des cérémonies. On relira ainsi avec profit ces propos de l’abbé Michel Gitton, dans son passionnant commentaire de Sacrosanctum Concilium :

On ne fait grandir personne en réduisant l’acte sacré par excellence qui nous unit à Dieu à être un prétexte pour mettre en avant Monsieur ou Madame un tel. Il n’est pas possible que la participation enseignée par le Concile ait voulu dire cela : les fidèles ne sont pas des enfants qu’il faudrait amuser en leur donnant « quelque chose à faire » pendant le Saint Sacrifice, il suffit de relire le n. 48 pour s’en convaincre : « L’Église se soucie d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi (la messe) comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée, soient formés par la Parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâce à Dieu ; qu’offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes et, de jour en jour, soient consommés par la médiation du Christ dans l’unité avec Dieu et entre eux pour que, finalement, Dieu soit tout en tous ». C’est à cette hauteur-là que se situe le souhait d’une meilleure participation. L’équivoque sur le mot « active » (en latin actuosa) a été depuis longtemps soulignée : la participation est active parce qu’elle mobilise tout l’homme intérieur dans ses facultés, et non parce qu’elle réclamerait qu’il « fasse quelque chose » ou qu’il s’exprime pendant la messe !

C’est donc quelque chose d’immensément noble et grand auquel l’Église aspire que nous parvenions. Non pas l’agitation permanente, encore moins la réduction du culte divin à un bavardage insipide et peu inspirant, mais l’entrée dans le mystère avec « crainte et tremblement », comme le chantent nos frères byzantins lors de l’offertoire de la Vigile pascale. Puissions-nous faire nôtre l’ambition de notre mère, la Sainte Église, et prendre toujours mieux part aux sacrements par lesquels le salut nous est offert.

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1 Un bon contre-exemple oriental de cette situation est celui des vieux-croyants (on appelle ainsi les orthodoxes russes attachés au rite byzantin en usage en Russie jusqu’au milieu du XVIIe siècle, lors de la réforme du patriarche Nikon de Moscou). La participation des fidèles y est requise et les dévotions individuelles proscrites lors des offices.

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  1. Nicolas C

    Le motu proprio du pape saint Pie X est intitulé « Tra le sollicitudine » (à travers les sollicitudes). Il a été publié 1903.
    Le missel de 1962 constitue la dernière édition du missel de 1570 donné à l’Eglise par le pape saint Pie V, missel plénier permettant aux prêtres célébrants d’assurer toutes les parties de la messe dans le cas où il n’y a ni diacre, ni chantre ou schola. De là nous reste l’image du prêtre « qui fait tout » et des fidèles qui viennent assister à la messe (ou viennent « prendre un bout de messe »), cérémonie dont ils restent (ou sont tenus ?) à distance. Ce qui explique
    a) l’habitude (récurrente dans les paroisses « tradi ») des confessions pendant la messe et non avant ;
    b) que les fidèles sont plongés dans un livre pendant que le célébrant officie à l’autel, lieu du saint Sacrifice vers lequel tous devraient être tournés parce que c’est là précisément que se déroule l’action sacrée (d’où toutes les interrogations sur le silence qui tient les cœurs éloignés de la célébration des saints Mystères depuis le Sanctus jusqu’au Per Ipsum, les privant de facto d’une adhésion complète, totale, à la célébration des rites).
    Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… Hélas, ce qui allait de soi pour les experts du concile a été formulé de manière vague, ouvrant ainsi des brèches dans lesquelles se sont empressés de s’engouffrer les tenants d’un activisme pseudo liturgique dont les conséquences, sont terribles (expulsion du sacré, désertification des églises, raréfaction des vocations, …).

  2. Bonne observation. Cependant la question persiste. Celle de savoir si l’activisme pseudo liturgique ne conduit-il pas dans l’intime des mystères sacrés. Mes enquêtes sont en cours.

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