Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Qu’est-ce que l’esprit de la liturgie ?

«Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie.» (2 Cor., 3, 6)

Le christianisme est d’abord et avant tout la religion de l’Esprit. Dans la tradition chrétienne, l’Esprit n’est pas une réalité abstraite et théorique, condamnée à demeurer dans le domaine idéal d’hypothèses évanescentes, mais au contraire il est une réalité, la Vérité qui s’incarne et se manifeste dans la vie concrète de l’homme. L’homme lui-même, créé en tant que tel à l’image de Dieu qui «est esprit» (Jn, 4, 24), est essentiellement un animal spirituel, dont la vocation est d’adorer le Père «en esprit et en vérité», c’est-à-dire en exerçant son sacerdoce baptismal par la prière du cœur, prière qui, par le ministère sacerdotal de Jésus-Christ, «nous rends participants de la nature divine» (divinae naturae consortes, 2 Pe, 1, 4). Ce culte spirituel, qui est la véritable finalité du christianisme puisqu’il nous réconcilie avec le Père, se traduit et se concrétise nécessairement par un culte corporel et extérieur, dont la dimension corporelle doit être pleinement assumée sans jamais être déconnectée de sa finalité spirituelle : «Mes frères, je vous en prie au nom du Dieu très bon, consacrez votre corps à Dieu comme une offrande vivante, sainte et agréable : c’est le culte spirituel que vous lui devez» (Rom., 12, 1-5). C’est donc sur ce fondement des enseignements des Apôtres que s’est développée, tout au long des siècles, l’authentique liturgie chrétienne. Avant d’être un ensemble d’éléments matériels, de rites, de symboles et de gestes, la liturgie, son âme, son identité profonde, est d’être animée de l’intérieur par une certaine pensée, un «esprit», c’est-à-dire une «impulsion» spirituelle mystérieuse, qui, insuflée par le Christ aux Apôtres puis transmise de génération en génération par le biais de la Tradition apostolique, se manifeste à son plus haut degré de densité dans la sainte Liturgie, au cours de laquelle sont célébrés devant la face de Dieu les mystères divins. De même qu’il y a une «saine doctrine», une «foi juste», il existe une «orthodoxie liturgique», une «vraie liturgie», une liturgie authentique, qui exprime dans toute sa justesse et sa plénitude la profondeur de la foi chrétienne. Certes, cette liturgie authentique se manifeste à travers une grande diversité de «familles liturgiques», ou de «traditions» appartenant à des aires culturelles différentes (liturgie romaine, byzantine, copte, éthiopienne, etc), qui toutes jouissent d’une pleine et entière légitimité ; toutefois, s’il peut y avoir diverses manifestations culturelles, il n’y a derrière cette diversité légitime qu’une seule Tradition, qu’un seul «esprit» : c’est l’esprit de la Liturgie.

Comment définir cet esprit de la liturgie ? Quelles en sont les caractéristiques essentielles ?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de partir de la foi catholique telle que l’Eglise la proclame dans son Credo. La foi suppose avant tout la reconnaissance du primat absolu de Dieu Créateur sur toute réalité : «Je crois en Dieu le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible…» Toute approche de la liturgie doit donc choisir comme point de départ la suprématie divine et reconnaître que «tout vient de Lui» et que «tout est pour Lui». Si la Création est une manifestation de la puissance de Dieu, alors nécessairement cet ordre cosmique –changeant en apparence, mais en réalité immuable dans les lois qui le régissent- doit nécessairement jouer un rôle dans le culte public que le Corps mystique rend au Père. L’alternance du jour et de la nuit, le rythme des saisons, la course des astres dans l’univers, le surgissement du soleil à l’Est au petit matin et son extinction à l’Ouest au crépuscule doivent nécessairement être intégrés à la louange liturgique. Les offices célébrés dans les ténèbres de la nuit à la lueur des cierges, comme la Vigile pascale ou les messes Rorate durant l’Avent, ou bien la pratique de l’orientation commune des ministres et des fidèles vers l’Orient d’où jailli la lumière matinale (orientation que saint Jean Damascène affirme être une tradition reçue des Apôtres), sont de bons exemples de cette intégration des rythmes du cosmos dans le culte liturgique. L’univers visible est signe, symbole et préfiguration de l’univers invisible, avec qui il partage la même origine divine. La dimension cosmique de la liturgie est donc avant tout un culte rendu au Père Créateur de toutes choses, mais également à son Verbe.

A cette dimension cosmique doit nécessairement s’unir la dimension rituelle proprement chrétienne, qui nous vient de la Révélation opérée par le Christ et parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition. Ainsi, l’ensemble des rites sacrés, les ornements, le chant, l’encens, la lumière des cierges, la paramentique, les gestes et les prières, la proclamation solennelle de la Parole divine contenue dans la sainte Ecriture, les mouvements hiératiques opérés par les ministres dans le sanctuaire, bref, tout ce qui constitue la part rituelle de la liturgie forme un ensemble qui est tout entier une manifestation du mystère du Verbe. A la contemplation de l’univers créé lors de la première création –le cosmos- s’ajoute la contemplation de l’univers invisible, que le Fils nous a révélé et nous a fait connaître lors de cette seconde création qu’est le mystère de sa mort et de sa Résurrection. Cet univers invisible –les réalités célestes, la Jérusalem d’En-haut- est signifié, symbolisé, et préfiguré par le déploiement de toute la ritualité liturgique. Lorsque qu’est célébrée la sainte liturgie, le Ciel s’ouvre pour ne plus faire qu’un avec la terre, et nous dévoiler par anticipation cette patrie céleste à laquelle nous sommes appelés, et «à laquelle nous tendons comme des voyageurs» (Sacrosanctum Concilium, I, 8). Dès lors, l’intégration des rythmes du Cosmos dans le culte par l’orientation de la célébration en direction du soleil levant n’est plus seulement un hommage rendu au Père Créateur de toutes choses, mais elle devient également la manifestation rituelle de l’attente de la Parousie, par laquelle l’Eglise vit dans l’espérance du retour du Christ ressuscité dans la gloire à la fin des temps, «pour juger les vivants et les morts», et instaurer la plénitude de son règne d’Amour qui n’aura pas de fin.

La liturgie est la plus haute manifestation de la Tradition

Cette Tradition –patrimoine et trésor de toute l’Eglise- dont la liturgie chrétienne est la manifestation la plus élevée, doit, pour être pleinement agissante et permettre à la Parole de Dieu d’irriguer toute l’Eglise, être reçue avec humilité et transmise avec fidélité. Il faut être fermement convaincu qu’il n’y a pas de liturgie authentique en dehors de la Tradition reçue des Apôtres et développée organiquement depuis plus de vingt siècles. C’est par le renoncement à leur volonté propre, à leurs choix subjectifs, à leurs « goûts » personnels et aux modes passagères que fidèles et ministres, en se conformant strictement aux normes liturgiques et en mettant fidèlement en œuvre les rites sacrés reçus de la Tradition, mettront le Dieu vivant à la première place, c’est à dire au cœur des célébrations. La sainte Liturgie se reçoit, se cultive et se transmet, elle ne « s’invente » pas, ne se « construit » pas davantage, sans quoi elle se transforme en une idolâtrie où l’homme se célèbre lui-même, comparable à la danse des Hébreux autour du veau d’or relatée dans le livre de l’Exode.

Respect du sacré et liturgie céleste

Il nous faut ici insister sur l’importance fondamentale du respect du sacré qui doit caractériser toute liturgie authentiquement chrétienne. La sainte Liturgie est l’Opus Dei, l’œuvre de Dieu, elle est dans son essence profonde une réalité divine –non une fabrication humaine, quoique les éléments matériels qui la composent ont une origine humaine bien identifiable dans l’histoire- et une participation à la liturgie du Ciel. Ainsi, on ne chante pas « à la Messe », mais on chante la Messe, c’est-à-dire que nous unissons nos voix à celle des anges qui chantent dans la Cité céleste la louange du Dieu vivant. Cela suppose nécessairement que soient interprétées au cours des célébrations les mélodies sacrées –grégoriennes, pour ce qui est de la liturgie romaine- héritées de la Tradition, les cantiques en vernaculaire n’étant qu’un pis aller et une tolérance, qui ne peuvent en aucun cas remplacer le chant sacré traditionnel (grégorien d’abord, polyphonie sacrée ensuite). De même, les ornements et les vêtements liturgiques doivent exprimer à la fois la splendeur et la noble simplicité, simplicité qui ne se confond certainement pas avec le misérabilisme paroissial actuel. L’ornementation doit revêtir une dimension de préférence symbolique et non purement décorative et mondaine, le symbolisme sacré étant ce qui permet d’exprimer intuitivement le mystère, et de nous «connecter», par le biais de sa puissance signifiante, aux réalités invisibles, c’est-à-dire à ce sanctuaire divin «qui n’a pas été fait de main d’homme, et qui n’a pas été formé à la manière de ce monde» (He, 9, 11-15).

Liturgie et mystère

Il est également nécessaire d’insister sur le lien entre liturgie et mystère. Une célébration authentiquement liturgique ne doit pas tout montrer et tout dévoiler du premier coup. La dimension mystérique de la sainte liturgie n’est que le reflet du mystère de l’existence humaine, du mystère de la vie, de l’existence du monde, du mystère du bien et du mal. L’homme est mystère. Accepter l’humilité devant le mystère, c’est reconnaître la faiblesse de nos sens et de nos perceptions, c’est accepter le fait que nous ne pouvons prétendre «avoir fait le tour» de la question du sens de la destinée humaine, accepter notre impuissance radicale à exercer un quelconque pouvoir sur le Dieu vivant. Dieu est mystère, et s’il se dévoile à nous, c’est à travers et par la médiation du mystère de son Incarnation dont les sacrements et le symbolisme liturgique sont le prolongement concret et visible.

Le symbole, trait d’union entre le monde visible et l’univers invisible

C’est en effet bien comme une «manifestation divine» qu’il faut comprendre le mystère de la sainte liturgie. Dans son ouvrage intitulé Le sens du surnaturel, Jean Hani rappelle que «dans le christianisme, tout ce qui relève de son essence doit être référé à la Trinité», tandis que «tout ce qui relève de son existence doit être référé à l’Incarnation». L’essence, en effet, c’est Dieu en son mystère ineffable et inaccessible, tel qu’il se présente aux Hébreux dès l’Ancienne Alliance : «Je suis celui qui EST» (Ex, 3, 14). C’est le mystère même de l’Etre dans sa permanence et sa majesté indicible, ineffable communion d’Amour entre les Trois personnes divines. Mais pour que l’essence divine soit communiquée aux hommes, il fallait qu’elle se manifestât, et donc qu’elle passe de l’essence à l’existence. Le terme « existence » vient du latin « existere », qui signifie « sortir de », « se manifester », « se montrer ». C’est précisément le sens du mystère de l’Incarnation du Verbe, par laquelle Celui que l’univers ne peut contenir « sort » de son Essence ineffable pour se manifester aux hommes. Ce mystère de l’essence et de l’existence divines est admirablement exprimé dans la Divine Liturgie de Saint Jean Chrysostome par l’usage rituel du trikirion (chandelier à trois cierges) et du dikirion (chandelier à deux cierges), objets avec lesquelles l’évêque bénit à plusieurs reprises les fidèles. Trois, et deux : le mystère de la Trinité ineffable, et le mystère de la double nature divine et humaine du Christ, c’est-à-dire le mystère de l’Incarnation, manifestation du Verbe. L’Essence, et l’Existence. A travers cet exemple concret, il est possible de mieux comprendre l’impérieuse nécessité de respecter dans toute sa justesse et sa richesse le symbolisme sacré tel qu’il nous est légué par la Tradition : à travers lui, c’est le mystère même de Dieu qui est comme intuitivement communiqué aux fidèles, quand bien même tous n’en saisissent pas forcément tous les détails et toute la profondeur. On comprend mieux, dès lors, pourquoi certains affirment que le christianisme est « la religion de la sortie de la religion », c’est-à-dire la religion qui a permis le développement de l’agnosticisme contemporain. Il faudrait corriger cette assertion : ce n’est pas le vrai christianisme, le christianisme traditionnel tel qu’il se manifeste à travers l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes qui conduit à l’athéisme, mais plutôt les formes de christianisme –à commencer par le protestantisme- qui ont totalement évacué toute forme de liturgie comprise comme système complexe de symboles exprimant intuitivement le mystère. En effet, si Dieu se manifeste essentiellement à travers son Incarnation dont la sainte liturgie est le prolongement et l’actualisation, passant ainsi de l’essence à l’existence, on comprend aisément qu’une forme de religiosité refusant une telle liturgie et réduisant la religion à un froid cérébralisme faisant l’impasse sur le mystère, conduise inévitablement, à terme, à l’apparition d’une société niant l’existence de Dieu.

Normes et rubriques: la lettre et l’esprit

Il faut enfin, pour conclure, évoquer l’épineuse question des normes liturgiques et de leur relation à l’esprit de la liturgie. Il faut, dans ce domaine, éviter deux écueils opposés : d’un côté, ce que Martin Mosebach appelait « l’hérésie de l’informe», hérésie qui triomphe dans nos diocèses et nos paroisses depuis la réforme liturgique, et qui consiste à refuser que la liturgie revête des formes bien précises et héritées de la Tradition, c’est-à-dire issues d’un développement organique du rite. A travers le mystère de l’Incarnation, nous comprenons pourtant qu’il est vain d’opposer le fond et la forme, comme il est courant de l’entendre aujourd’hui. Beaucoup en effet disent : « l’important est le fond, la forme est accessoire ». Cette affirmation serait vraie si l’homme n’était qu’un « cerveau sur pattes » ou un « esprit sur pattes », mais ce n’est pas le cas. L’homme est un être incarné, doté certes d’une capacité rationnelle mais aussi de sens charnels qui influent profondément sur son psychisme et contribuent fortement à orienter sa pensée même. Refuser cette dimension « incarnée » pourtant consubstantielle à la nature humaine, comme l’a fait le protestantisme dans un premier temps, puis, dans le monde catholique par la suite, un certain progressisme pastoral et liturgique, c’est courir droit à la catastrophe. En effet, la forme exprime le fond qui se manifeste à travers elle ; sans la forme, le fond reste à l’état de vérité inaccessible ou d’abstraction incommunicable. La liturgie ne peut donc pas être célébrée « n’importe comment », mais elle doit revêtir des formes bien précises léguées par la Tradition et précisées par les normes officielles en vigueur.

L’autre écueil à éviter est celui du rubricisme. Cet écueil, qui a triomphé dans l’Eglise à la suite du Concile de Trente et qui explique largement, par réaction, le triomphe récent de « l’hérésie de l’informe », repose sur une erreur profonde, à savoir la confusion entre la Tradition et la rubrique. Toute Tradition véritable, en effet, est une tradition vivante et orale, dans le sens où c’est par une immersion dès la plus tendre enfance dans le « bain » liturgique que le fidèle se familiarise avec cet « ethos » liturgique traditionnel qui lui permet, par la suite, de participer fructueusement aux célébrations. La norme, la rubrique, n’est jamais qu’une précision, un mémento, un « pense-bête » comme on dirait aujourd’hui, bref, une règle écrite qui est postérieure à la Tradition –qui elle est un esprit, une réalité vivante-  et qui ne se confond pas avec elle. De même, un missel n’est jamais qu’une compilation de normes et une description des rites, il n’est certainement pas la liturgie elle-même dans sa vivante plénitude. C’est pourquoi il est absurde d’absolutiser tel ou tel missel, telle ou telle rubrique ou norme. Certes, le respect des normes est impératif pour éviter à la liturgie d’être démantelée par le subjectivisme et d’apparaître comme le rite de tel prêtre ou de telle communauté paroissiale, au lieu d’apparaître comme le rite objectif de l’Eglise tout entière. Mais ce respect des normes, pour être fécond, doit être vécu comme une « immersion » dans cet esprit de la liturgie dont nous avons tenté de cerner les contours et les caractéristiques essentielles dans cet article. Dans une certaine mesure, nous pouvons même dire que cet esprit de la liturgie est bien l’un des objectifs de l’œuvre rédemptrice opérée par le Christ. La religion hébraïque sous l’Ancien Testament, en effet, était une religion toute faite d’observances et de pratiques rituelles très précises et très codifiées. La prière, les ablutions, les jeûnes, les sacrifices offerts au Temple étaient régis par des règles très strictes dont la transgression était considérée comme un sacrilège et une profanation. Ce ritualisme qui aujourd’hui peut nous paraître étroit, avait son sens : voulu à l’origine par Dieu, il avait pour fonction de servir de « pédagogie » au peuple hébreu de manière à ce que les termes de sanctuaire, de sacrifice, d’oblation sainte, d’agneau sans tâche, prennent « sens » dans l’esprit des Israélites, préparant ainsi leurs esprits à une alliance nouvelle, dont tous ces éléments matériels n’étaient que la préfiguration. Alors que la ritualité juive vétérotestamentaire avait peu à peu dégénéré en une forme de légalisme purement extérieur et formel, la Révélation apportée par le Christ restaure le rite dans sa vocation originelle, qui est d’être au service de la vie intérieure de l’homme : «Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (Cor. 3, 16)

Conclusion: l’esprit de la liturgie, c’est l’esprit du Christ

Dans une certaine mesure, on peut dire également que cette Révélation chrétienne ne fut, en réalité, qu’une immense « réforme » et une universalisation de l’ancienne religion hébraïque attachée au seul vrai Dieu. Une « réforme», dans le sens où le Christ est venu rappeler ce que la spiritualité vétérotestamentaire enseignait déjà : « le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé » (Ps. 50) : la voie qui conduit à Dieu est, non pas le rite en lui-même, conçu comme quelque chose de purement extérieur, formel, et comme détaché de sa finalité propre, mais le rite comme créant les conditions de la prière vraie, de la prière du cœur, « en esprit et en vérité ». Dans la foi chrétienne, la fidélité à la Tradition est d’abord une fidélité à l’Esprit, car la Tradition est avant tout une réalité spirituelle qui ensuite s’incarne en un ensemble de normes, de textes, de rites, etc. C’est pourquoi Saint Paul enseigne que « la lettre tue, mais l’esprit donne la vie » (2 Cor. 3,6). Une lettre qui n’est pas éclairée par la lumière de l’esprit est une lettre morte, un texte obscur dont on ne comprend plus le sens profond. C’est pour cela que la Sainte Ecriture doit être lue à la lumière de la Tradition (qui a une nature spirituelle) pour être comprise dans la plénitude de son sens véritable. Il en va de même pour toute norme liturgique. Une norme lue en-dehors du véritable esprit de la liturgie n’a plus aucun sens, et par conséquent ne peut qu’aboutir à une liturgie soit sèche et mécanique, soit boiteuse et fade.

La liturgie est à l’image du Christ : elle a une double nature, humaine et divine. L’esprit de la liturgie n’est rien d’autre que l’esprit du Christ, parvenu jusqu’à nous par la sainte Tradition. A travers la Liturgie et par sa participation plénière et effective, le fidèle exerce son sacerdoce spirituel par l’immersion dans le mystère du Fils, et parvient ainsi à la communion avec le Père créateur de toutes choses, réalisant ainsi les promesses divines.

«Elle vient, l’heure, – et c’est maintenant –

où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité :

tels sont les adorateurs que recherche le Père.»

 (Jean, 4, 23)

G.A

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  1. Bernard Pellabeuf

    Voici une contribution que j’ai publiée sur le Forum Catholique il y a quelques jours et qui a été reprise sur le site Pro Liturgia.

    Je ne saurais vous dire si on a perdu cet « esprit » à une date précise…

    Ce qui est sûr, c’est que l’expression « esprit de la liturgie » a été popularisée car elle est le titre de deux livres, l’un de Romano Guardini et l’autre de Joseph Ratzinger, disciple du premier pour une bonne part. Dans ces livres on expose un certain nombre de connaissances liturgiques et on en dégage des lois pour la célébration. Par exemple, le Cardinal Ratzinger explique pourquoi la basilique Saint Pierre de Rome n’est pas orientée, et pourquoi on doit toujours préférer la célébration de la messe ad orientem.

    Alors s’il faut proposer une définition de cet esprit de la liturgie, je dirai que c’est une attitude spirituelle du célébrant, fondée sur une bonne science liturgique et sur une adhésion personnelle au mystère célébré, qui permet au sacrement d’agir avec pleine efficacité.

    Je ne parle pas ici de l’efficacité propre des sacrements, qui agissent ex opere operato, mais de cette efficacité particulière liée à la façon de célébrer et qui permet aux fidèles assistant à la célébration d’entrer à leur tour dans le mystère célébré et d’en recueillir tous les fruits grâce à leur adhésion personnelle à ce qui se passe dans la liturgie. Autrement dit il s’agit pour moi d’une attitude spirituelle personnelle du célébrant qui passe dans le cœur des fidèles.

    Également il faut avoir à l’esprit que la science liturgique n’est pas première dans cet esprit, elle n’est qu’un garde-fou contre les idéologies ou le sentimentalisme. Si l’on met la science liturgique trop en avant, on va intellectualiser la liturgie. Or celle-ci est action sacrée, avant tout spirituelle. L’essentiel est donc cette appréhension, par la foi qui unit au Christ, de ce qui se passe dans le mystère célébré. Il n’y a pas besoin pour cela d’un doctorat en théologie.

    Je précise aussi que la science liturgique ne doit pas être confondue avec la connaissance des formes variées que la liturgie a prise au cours des âges et dans les différents rites, ni avec la connaissance des rubriques, ni avec la théologie sacramentaire : elle les suppose mais ne se confond pas avec elles. Par exemple l’affirmation que la liturgie est reçue et non pas fabriquée, ainsi que l’affirmation qui dépend de la précédente, que les traductions ne sont pas le lieu de l’adaptation, ces affirmations relèvent de la science liturgique.

    Concrètement cela implique selon moi que le célébrant doit se mettre au service de la liturgie. Il doit se mettre au service des textes qu’il lit, des gestes qu’il fait, en sachant bien que ce n’est pas lui qui agit, mais que c’est Dieu qui agit par lui. Par exemple, on voit des prêtres abaisser les mains vers les oblats au moment de l’Hanc Igitur : mais la liturgie ne prévoit pas plusieurs façons d’étendre les bras, ne pas changer d’attitude alors est une façon de se rappeler que c’est Dieu qui agit à ce moment-là et que nous n’avons pas à interférer avec Lui. La volonté de respecter les rubriques est donc une condition sine qua non de l’entrée dans l’esprit de la liturgie, à condition que ce ne soit pas servile, mais filial.

    On voit alors que la mentalité occidentale contemporaine nous handicape par rapport à l’entrée dans cet esprit, à cause de sa manie d’appliquer la raison mathématique hors de son domaine d’application, de son immanentisme forcené, de son orgueil désobéissant. Cela nous gène quand nous tâchons de saisir les symboles à l’œuvre dans la liturgie. Donc même s’il est probable qu’à toutes les époques il y a eu des prêtres qui avaient l’esprit de la liturgie, notamment les prêtres que l’Eglise a canonisés, et d’autres qui ne l’avaient pas, il est vraisemblable qu’à notre époque ceux-là se font beaucoup plus rares que ceux-ci, et c’est ce que l’expérience nous confirme chaque jour, hélas !

    Abbé Bernard Pellabeuf

    • Merci Monsieur l’abbé, nous avions lu votre article sur le site Pro Liturgia, d’ailleurs nous l’avions partagé sur le groupe Facebook Esprit de la liturgie.
      N’hésitez pas à nous partager et merci pour votre commentaire.

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