Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Pourquoi faudrait-il prier en latin avec les textes de la liturgie ?

Tribune

Les tribunes reflètent uniquement la pensée de nos contributeurs et n’impliquent pas l’entière approbation de la rédaction.

Je ne souhaite pas ici relancer l’éternel marronnier de la déficience des traductions liturgiques ; il y a déjà eu énormément de publications sur la catastrophe de la traduction française du Pater noster (que ce soit l’ancienne ou la nouvelle avec l’introduction du « ne nous laisse pas entrer en tentation », qui à bien y réfléchir n’est pas moins problématique), ou encore l’Orate Fratres (il semble même que le projet de la nouvelle formulation cache en lui-même des graves imperfections…).

Tout cela est bien connu, et les bonnes volontés apparues lors de la sonnette d’alarme tirée par le Pape Jean-Paul II à ce sujet (Vicesimus quintus annus, 1988, Liturgiam authenticam 2001) n’ont pas semblé réellement porter de fruit jusqu’en 2020 au moins dans l’aire francophone, mais certainement aussi ailleurs. Pour rappel, la nouvelle traduction du missel n’est toujours pas officiellement mise en œuvre. Ce problème des traductions est pourtant largement connu et documenté. Je ne reviens donc pas dessus. Cet article sera donc une réflexion qui visera non pas à me lamenter de l’immobilisme de l’institution ecclésiale sur ce sujet, mais sur les conséquences de cet immobilisme, et donc sur l’importance de continuer à nous mobiliser sur le site www.societaslaudis.org pour proposer des traductions sur le latin qui soit en harmonie avec l’enseignement des apôtres et la sagesse des Pères.

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce sont donc les conséquences de ces traductions déficientes pour la vie de prière, mais aussi pour l’enseignement de la foi. Car c’est bien sûr cela le plus grave.

Devant mes yeux, ce matin même (7 mai 2020, jeudi de la 4ème semaine de Pâques), nous avons une collecte à la fin de l’office des Laudes qui est un résumé magnifique de l’histoire du salut :

Deus, qui humánam natúram supra primæ oríginis réparas dignitátem, réspice ad pietátis tuæ ineffábile sacraméntum, ut, quos regeneratiónis mystério dignátus es innováre, in his dona tuæ perpétuæ grátiæ benedictionísque consérves. Per Dóminum.

Nous traduisons ainsi sur Societas laudis :

Ô Dieu, qui as restauré la nature humaine au-dessus de la dignité de sa première origine, tourne-Toi vers l’ineffable mystère de Ta bonté, afin que, ceux que Tu as jugés dignes de renouveler par le mystère de la régénération, Tu les conserves dans ces dons de Ta grâce éternelle et de Tes bénédictions.

Le problème c’est qu’en chantant cet office avec Les Heures grégoriennes, l’excellent antiphonaire diurne conçu par la Communauté Saint Martin et édité par l’abbaye Saint Joseph de Clairval à Flavigny Sur Ozerain, nous avons la traduction suivante, sur la page de droite, qui est tirée des textes officiels pour la liturgie francophone, © AELF :

Dieu qui relèves la nature humaine bien au-dessus de sa condition originelle, souviens-toi de cette œuvre de ton amour : maintiens dans ta bénédiction ceux que tu as régénérés.

Et bien oui : ce n’est plus qu’un gloubi-boulga qui n’ a plus vraiment de signification. De quelle régénération parle-t’on ? De quelle condition originelle s’agit-il ? Parle t’on du péché originel ou d’autre chose ? Rien n’est clair.

Alors que le texte latin signifie évidemment que le Christ par Sa mort, a élevé la condition humaine au-dessus de celle d’Adam avant le péché des origines, et que c’est bien cela que nous célébrons au temps pascal. Oui : ce n’est pas seulement une perte significative, c’est tout à fait un obscurcissement du mystère, qui demande de fait un commentaire pour être compris par le fidèle moyen. On est très loin de la volonté exprimée par Mgr Bunigni de rendre compréhensible au peuple les mystères sacrés par le moyen de l’utilisation la plus large possible de la langue vernaculaire….

Ouvrir les trésors de la table de la parole et de la table eucharistique au peuple de Dieu. Mais qu’est-ce qui, dans l’action liturgique, n’appartient pas au peuple de Dieu ? Tout lui appartient. En effet, son attention et sa participation ne sont exclues de rien. Dans les chants, il doit participer avec l’intelligence et la voix ; dans les lectures, avec l’écoute et la compréhension, car celui qui parle veut avant tout être compris ; dans les prières et dans la prière eucharistique, il doit comprendre, car il doit ratifier avec l’ « Amen » ce que le prêtre a fait au nom de l’assemblée, et ce qu’il a demandé à Dieu. Si donc le principe de la langue vulgaire dans la liturgie était de mettre l’assemblée en situation de participer consciemment, activement et fructueusement (« scienter, actuose et fructuose », Const. n. 11), aucune partie de l’action sacrée n’est justifiée dans une langue non comprise par le peuple.

En italien dans Notitiae, n°93-94, revue officielle de la Sacrée Congrégation pour le culte divin consultable ici http://paulorenaliturgia.com/wp-content/uploads/2019/02/93-94.pdf#page=71

Merci à https://pour-reflechir.blogspot.com/2019/12/ pour la traduction française.

Apparemment, pour Mgr Bunigni, dans ce texte signé par lui dans la très prestigieuse revue « Notitiae », le véritable « esprit du Concile », c’était évidemment de se débarrasser du latin dans la liturgie. Évidemment… Faire en sorte que les fidèles renouent avec la piété liturgique sous entendait pour lui impérativement d’utiliser exclusivement la langue vernaculaire comme instrument de vulgarisation. Et qu’importe si cela allait directement contre les canons du Concile Vatican II lui-même. On a beaucoup parlé sur internet, naguère, des options catastrophiques prises par ce prélat et qui ont entraîné l’écroulement de la liturgie romaine ces dernières années. Il y aurait beaucoup à rappeler mais ce n’est pas non plus mon sujet.

J’interviens en effet aujourd’hui car la traduction catastrophique la collecte des laudes du 4ème jeudi de Pâques (qui est également utilisée à la Messe) me fait également penser à une autre traduction réellement pénible et fautive que nous avons rencontrée également au Laudes, mais non pas aujourd’hui, 7 mai 2020 mais hier : Il s’agit non pas d’une collecte mais d’un passage de l’Écriture sainte utilisée comme hymne en 2ème psalmodie des laudes du mercredi de la 4ème semaine de Pâques : le cantique d’Isaïe (Is 61,10-62, 5), référencé AT30. Il commence par ces mots « Gaudens Gaudebo », les mots mêmes de l’incipit de l’Introït de la messe de l’Immaculée conception. C’est une description extrêmement évocatoire de la relation nuptiale entre Dieu et Jérusalem, et partant, entre Jésus-Christ et Son Église, dont la Vierge-Marie est l’image. Nous verrons que ce passage est en consonance parfaite avec ce que Jean-Paul II a développé dans sa « théologie du corps », et qui demeure à ce jour incomprise. Tout bon chrétien sait que le sacrement du mariage est aussi indissoluble que le don du Christ à Son Eglise. Le texte latin est explicite – dans tous les sens du terme -… La traduction française, elle, ne l’est pas (elle choquerait les oreilles des tenants d’un christianisme éthéré héritier d’un certain jansénisme ?). Voyons cela avec le texte latin (Nova Vulgata) à gauche et notre traduction de Societas laudis à droite :

Non vocáberis ultra Derelícta, * et terra tua non vocábitur ámplius Desoláta; On ne te nommera plus Délaissée, et ta terre ne se nommera plus Désolation.
sed vocáberis Beneplácitum meum in ea, * et terra tua Nupta, Mais on t’appellera Mon-plaisir-en-elle, et ta terre Epousée.
quia complácuit Dómino in te, * et terra tua erit nupta. Car le Seigneur mettra Son plaisir en toi, et ta terre aura un époux.
Nam ut iúvenis uxórem ducit vírginem, * ita ducent te fílii tui; Comme un jeune homme prend pour épouse une vierge, tes fils te conduiront ;
ut gaudet sponsus super sponsam, * ita gaudébit super te Deus tuus. et comme l’époux se réjouit sur son épouse, ainsi Dieu se réjouira sur toi.

Voici maintenant la traduction de l’AELF :

On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils t’épouseront. Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, tu seras la joie de ton Dieu.

Le pire est  évidemment le dernier verset : pourquoi traduire « fiancé » et « fiancée » ? La référence est clairement conjugale, et ce d’autant plus que le texte mentionne explicitement un mariage ! Faut-il s’étonner dans ces conditions, que plus personne ne perçoive théologiquement le sens de la continence avant le mariage ? Et le sens profondément divin des relations sexuelles dans le mariage ? Ce serait réellement à méditer à l’heure où on apprend les déviances et abus sexuels de personnes – et de clercs – que l’on imaginait jusque-là au-dessus de tout soupçon (mentionnons avec amertume les problèmes récemment révélés de tous ces fondateurs de « communautés nouvelles » qui se sont heurtées violemment à une conception de la sexualité qui apparemment n’était pas fondée sur l’Écriture sainte, et probablement ce passage là d’Isaïe : Communauté Saint Jean, Arche, et tout récemment, les Foyers de Charité).

Arrêtons de croire que la liturgie n’a aucun impact sur la vie spirituelle. Ce texte, traduit de cette façon, est répété dans la liturgie des heures ou « PTP » (Prière du Temps Présent) dans le psautier toutes les semaines paires… Dans une vie chrétienne, une telle interprétation fautive finit par entrer dans le cerveau.

Soyons sérieux. Les combats sont suffisamment violents sur le terrain précis de la chasteté dans le clergé (c’est à dire la continence sexuelle) et dans le mariage (qui n’est en aucun cas un échappatoire aux tentations contre la chasteté) pour qu’on fasse l’économie d’une véritable compréhension, méditation, rumination et bien sûr célébration de ce que nous donne le Christ Lui-même dans Sa liturgie… Y compris sur le sujet de la signification profonde de la conjugalité. Et en l’espèce, ici c’est bien la langue vernaculaire qui pose problème.

Notons cependant que le problème n’est pas nouveau ; le dernier verset du cantique d’Isaïe dans la Bible « Fillion » est traduit de la façon suivante :

On ne t’appellera plus Délaissée, et ta terre ne sera plus appelée Désolée; mais tu seras appelée : Ma volonté est en elle, et ta terre : Habitée, car le Seigneur a mis Son plaisir en toi, et ta terre sera habitée. Car le jeune homme habitera avec la vierge, et tes enfants habiteront en toi; l’époux trouvera sa joie dans son épouse, et ton Dieu se réjouira en toi.

C’est certes un peu mieux…

Traduction « Glaire » :

On ne t’appellera plus Délaissée, et ta terre ne sera plus appelée Désolée ; mais tu seras appelée Ma volonté est en elle, et ta terre : Habitée, car le Seigneur a mis son plaisir en toi, et ta terre sera habitée. Car le jeune homme habitera avec la vierge, et tes enfants habiteront en toi ; l’époux trouvera sa joie dans son épouse, et ton Dieu se réjouira en toi.

Traduction Crampon :

On ne te nommera plus Délaissée, et on ne nommera plus ta terre Désolation. Mais on t’appellera Mon-plaisir-en-elle, et ta terre Epousée. Car Yahweh mettra son plaisir en toi, et ta terre aura un Epoux. Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils t’épouseront; et comme la fiancée fait la joie du fiancé, ainsi tu seras la joie de ton Dieu.

Traduction Le Maistre de Sacy :

On ne vous appellera plus la répudiée, et votre terre ne sera plus appelée la terre déserte ; mais votre serez appelée ma bien-aimée, et votre la terre la terre habitée, parce que le Seigneur a mis son affection en vous, et que votre terre sera remplie d’habitants. Le jeune époux demeurera avec la vierge, son épouse, vos enfants demeureront en vous; l’époux trouvera sa joie dans son épouse, et votre Dieu se réjouira en vous.

Toutes ces traductions sont plutôt meilleures que celle de l’AELF, même si elles ont chacune leurs défauts. Elles sentent plus ou moins toutes une influence janséniste, plus ou moins palpable. Rappelons justement au passage que ce sont les Jansénistes qui ont le plus milité pour les versions vernaculaires de la bible. Et que le Jansénsime est une hérésie profonde, n’en déplaise à certains traditionalistes qui ont une sorte d’attirance maladive pour Port Royal.

En fait aucune de ces traductions – et même la nôtre – ne rend compte de la spécificité et de la richesse du texte latin ; c’est donc pour cela qu’il faut maintenir ce dernier… Mais a traduction de l’AELF est spécialement problématique, pour une raison très simple : ce n’est pas une traduction sur le latin… On lui a préféré une traduction sur les autres langues bibliques, peut être justement pour rendre de façon définitive la mise su latin à la poubelle, suite aux directives de Mgr Bunigni mentionnées plus haut ?

Il faut pourtant fréquenter le latin, pour être fils de l’Église, pour pénétrer toute sa pensée et sa culture. Une fois cela établi demeure une autre question. Le texte latin oui, certes oui, mais lequel ? Nous savons que pour l’office divin spécifiquement cette question s’est réellement posée de façon assez violente au XXème siècle avec plusieurs rebondissements (pensons au « psautier Béa », mais aussi au débat entre la Vulgate Sixto-clémentine et la Nova Vulgata). C’est une vrai question. Passons sur le psautier Béa, c’est une page heureusement définitivement tournée, et revenons sur la polémique sur l’usage de la Vulate Sixto-clémentine vs Nova Vulgata. Notons au passage tout de même que la bible Vulgate Sixto-clémentine ne peut au sens strict se réclamer à 100% de S. Jérôme et que son édition a subi elle même une certaine cacophonie, qui n’est pas sans rappeler les débats actuels. En ce qui concerne la Nova Vulgata, dans beaucoup de cas, elle fait des propositions ou innovations qui sont profondément justes au plan théologique. Pensons par exemple au verset Ac 8,37 :

« Dixit autem Philippus: Si credis ex toto corde, licet. Et respondens ait : Credo Filium Dei esse Jesum Christum. »

qui a été purement et simplement supprimé de l’édition de la Nova Vulgata, avec grande justesse doctrinale ; c’est manifestement une interpolation sous l’influence des réformés, qui n’a pas sa place dans la bible parce que contraire à la théologie du baptême. En effet, le catéchumène demande la foi dans le rituel du baptême, et qu’il est renvoyé liturgiquement avant le Credo à la Messe (d’où l’appellation ancienne « messe des catéchumènes », qui est profondément juste). Ce serait tout à fait cocasse que l’Ecriture sainte montre que la Foi ne dépend pas du baptême….

Mais la Nova Vulgata pose d’autres problèmes, et pas des moindres : cette édition latine de la bible a peut-être un peu trop succombé à une fascination qu’il faut bien qualifier de morbide pour les Massorètes. Un autre exemple liturgique choquant le montre… La Lectio Brevis des mardi du temps de la Passion (i.e. de la 5ème semaine de Carême et de la Semaine Sainte) : Zac 12, 10-11a.

Effúndam super domum David et super habitatóres Ierúsalem spíritum grátiæ et precum; et aspícient ad me. Quem confixérunt, plangent quasi planctu super unigénitum et dolébunt super eum, ut doléri solet super primogénitum. In die illa magnus erit planctus in Ierúsalem.

Que vient donc faire là ce point juste après et aspicient ad me ? Oui c’est choquant, parce que justement cela va contre l’Évangéliste Saint Jean lui-même ! Et la Nova Vulgata elle même se contredit entre le Nouveau et l’Ancien Testament !

« Vidébunt in quem transfixérunt » / « Ils verront Celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19,37).

Comme s’il fallait supprimer toute référence à une prophétie réalisée telle que la rapportent les Apôtres et que commentent les Pères ! Est-ce, au travers d’une tentative de ne pas tomber dans la « théologie de la substitution » qui donnerait aux Juifs le (triste) privilège de ne pas avoir à reconnaître Notre Seigneur Jésus comme Christ, que l’on massacre ainsi l’Écriture sainte en tombant dans cette sorte de néo-marcionisme ? Allons. Soyons sérieux. C’est de plus tout à fait contradictoire avec le reste des textes liturgiques (songeons à la Grande prière universelle du Vendredi saint ou aux nombreuses Preces de l’office dans Liturgia Horarum qui demandent que les Juifs reconnaissent Jésus comme Christ). Soyons cohérents, soyons conséquents.

Car la question est difficile. On voit bien qu’elle est au centre de ce que devra être l’évolution de la liturgie romaine dans les prochaines années. « Ignoratio scripturarum, ignoratio Christi est ». Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ, nous enseignait S. Jérôme. Apparemment, ignorer le Latin, qui est la Langue de l’Église, c’est aussi ignorer la pensée de l’Église. Il faut bien se rendre à l’évidence. Comment se fait-il que dans certains diocèses ou séminaires interdiocésains, on met au programme de la formation des prêtres des heures et des heures d’Hébreu mais très peu de Grec (qui est tout de même la langue de l’Écriture des Évangiles, excusez du peu) pas du tout d’Araméen (qui est tout de même la langue maternelle du Christ et des Apôtres, et donc de la première prédication apostolique – tout de même !) et encore moins de Latin (en se privant ainsi de façon voulue de 50% des écrits patristiques et de tout le corpus théologique dont S. Augustin, S. Thomas d’Aquin…) ? C’est proprement incroyable. Il nous faudra du temps pour remonter le torrent. Et le courant est fort.

En tant que fidèles laïcs, qui ne sommes pas engoncés dans une idéologie qui a montré depuis la seconde moitié du XXème siècle son caractère mortifère, prêchons donc pour le Latin. Non pas par nostalgie, ou par réaction contre le Concile Vatican II (puisque ce dernier promeut le Latin…), mais pour nourrir notre foi. Le Latin est nécessaire, pour des raisons pastorales.

J’entends parfois que face aux réputées insuffisances de l’ordo missae post concilaire il suffirait de revenir à l’ordo tridentin, mais en célébrant en français. J’espère qu’avec ces quelques lignes, j’aurais fait douter un peu les tenants de cette thèse. Car je pense que la question de la vulgarisation de la langue liturgique est en réalité la racine du mal. Plusieurs de mes amis et usagers du site Societas Laudis savent que je vis dans un pays arabe et musulman. La question de la langue de prière en terre d’Islam ne se pose pas avec les même présupposés idéologiques qu’en France. S. Jérôme lui aussi a vécu dans le désert et c’est là qu’il a acquis sa compréhension profonde de l’Écriture et sa médiation – qui fut aride comme la géographie qu’il a fréquentée – doit encore pour nous être une voie de plus grande union au Christ. Je crois qu’il faut savoir sortir de certaines petites certitudes confortables sur le plan de la pastorale liturgique.

Précédent

Cierges et luminaires: comment aménager l’autel?

Suivant

L’encens dans la liturgie

  1. Sosthènes Boutte du Jonchay

    Un excellent article sur la nécessité de l’intelligence du latin. Nous avons encore fort à faire en ce domaine.
    Après, je serais un peu plus sceptique pour ce qui est de la phrase suivante : « Car je pense que la question de la vulgarisation de la langue liturgique est en réalité la racine du mal. » Qu’est-ce à dire ? Que l’usage de la langue vulgaire est de soi mauvais ? L’exemple des orientaux et, plus récemment, des ordinariats de rite anglican ont plutôt tendance à montrer le contraire. Et une mauvaise traduction n’est pas la preuve que l’on avait eu tort de traduire.

    • Je suis tout à fait d’accord avec vous. Je ne dis pas qu’il ne faut pas traduire, bien au contraire. Il est important qu’il y ait pédagogiquement – pastoralement – une façon d’entrevoir la signification profonde d’une prière latine, c’est à dire dans une langue qui n’est pas maternelle. Le seul moyen que nous connaissons aujourd’hui est le moyen de la traduction. Le problème est que la traduction notamment en Français dans l’aire francophone est devenue une sorte d’apex de ce qu’il faut penser, c’est à dire de la façon dont il faudrait envisager de façon non seulement unilatérale mais aussi exclusive cette prière. Ce que je dis c’est qu’aucune traduction ne devrait se passer de son original latin. Il n’est tout simplement pas admissible d’envisager les textes liturgiques sans leur source, sous peine de nourrir et développer une piété hors sol ; et je ne suis pas loin de penser que c’est précisément ce manque d’éducation ou de connaissance des véritables sources de l’Ecriture sainte (dont les textes liturgiques sont composés à 90%) qui est la cause de la plupart des problèmes. Et il faut bien constater que nous en sommes là aujourd’hui. Et j’ai l’impression que ma réflexion sur ce sujet est en pleine convergence avec celle du Cardinal Ratzinger qui mentionnait que :
      «Pour la vie de l’Eglise, un renouvellement de la conscience liturgique est d’une urgence dramatique. Je suis convaincu que la crise ecclésiale dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui dépend en grande partie de l’effondrement de la liturgie» (Joseph Ratzinger, Ma vie, souvenirs, 1997).
      C’est en cela que la vulgarisation de la langue liturgique est la racine du mal.
      Cependant, la solution n’est certainement pas le recours à une exclusivité dans l’autre sens, qui empêcherait totalement l’intelligence du texte d’origine sous prétexte qu’il est impossible d’en rendre la signification profonde. Cette tentation a longtemps été très forte dans l’Eglise ; ce qui avait poussé certains représentants éminents du premier mouvement liturgique à s’interdire de traduire le canon romain. Vous comprenez bien qu’aujourd’hui, on en est à exactement le négatif de cette proposition, où l’emploi du moindre mot latin dans la liturgie vous rend suspect de traditionalisme. Alors qu’évidemment ce n’est pas le sujet…
      En ce qui concerne les usages orientaux et anglicans de la langue liturgique, qui est vernacularisée, leur expérience est intéressante. Notons tout de même que leur usage n’est justement pas exactement celui d’une langue courante ; c’est très vrai pour les Anglicans ; leur Book of Common Prayer n’utilise une langue anglaise antique ; et qu’en ce qui concerne les orientaux, le vernaculaire n’est dans beaucoup de cas pas exclusif.
      Par ailleurs, il faut également souligner que certaines langues se prêtent bien au maintien des accentuations ou des récitatifs, sur un mode éminemment traditionnel, c’est à dire profondément ancré dans l’usage séculaire de la liturgie romaine. Un bon exemple est la récente traduction espagnole du Missale romanum de 2002 qui est bien sûr très proche du latin, et qui se connecte de façon étroite non seulement au plan sémantique mais aussi au plan rythmique au corpus des textes d’origine. Mais certaines langues sont incompatibles avec cette approche… Comme le Français. Les tentatives d’adaptation des mélodies grégoriennes sur le Français sont méritoires. Mais elles n’ont jamais pris : pour des raisons qui ne sont pas seulement musicales, ou liées au génie de la langue mais aussi pour des questions idéologiques, j’en conviens. Mais néanmoins, il faut bien le constater : personne n’a envie d’adopter la pale copie en jetant l’original.
      Ce qui manque en fait pour goûter la liturgie latine, ce sont des traductions qui soient fidèles autant que possible et qui donne le goût de cette langue. Et c’est la plupart du temps un problème qui est plus logistique que de principe. C’est ce que j’expose dans la page d’accueil du site Societas Laudis, auquel je me permets de vous renvoyer. C’est donc une démarche pastorale qui nous manque. Et en l’absence de ces traductions, qui ne sont pas destinées à être employées dans la liturgie mais qui ont pour seul but de mieux comprendre les textes c’est la liturgie romaine toute entière qui meurt. Et je redis que si pour des raisons diverses, on ne peut ou on ne veut employer la version latine, il faut utilsier la traduction de l’AELF, que je critique fortement bien sûr par ce qu’elle nous coupe trop souvent de ce que nous donne l’Eglise universelle dans sa prière ; mais mais qui par son caractère officiel permet tout de même de prier avec l’Eglise…. francophone.
      Je ne voudrais pas que les traductions que nous proposons qui n’ont aucune prétention littéraire ou culturelle soient le prétexte pour des clercs de s’écarter de la version officielle de la liturgie en Français. Nous subissons déjà chaque jour suffisamment de fantaisies liturgiques pour en nourrir encore de supplémentaires. Ce sont pour toutes ces raisons que nous travaillons et que nous proposons toujours sur Societas Laudis nos traductions en face du texte latin, qui reste, lui, la seule référence : https://www.societaslaudis.org

      • Sosthènes Boutte du Jonchay

        Tout à fait d’accord pour ce qui est de se baser sur l’original latin. Notre liturgie est romaine, latine, et doit être traduite en fonction de cela.
        Pour ce qui est des anglicans (je parlais plus spécifiquement des anglicans en communion avec Rome, les « Ordinariats »), il est vrai qu’ils ont conservé une langue plus ancienne ; de même, dans beaucoup de cas, pour les orientaux (ainsi, l’Eglise orthodoxe russe en Amérique du Nord utilise un anglais shakespearien, semblable à celui des anglicans). J’irais jusqu’à dire que j’aimerais bien avoir la Messe célébrée dans le français de Bossuet, de Corneille ou de Pascal…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén