Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Auteur/autrice : Baptiste Bonnal

Les Prières au bas de l’autel et le Dernier Évangile : une étude de cas sur le conservatisme de Saint Pie V

Traduit de l’anglais et d’après un article de Peter Kwasniewski publié le 23/08/2021 sur le site https://www.newliturgicalmovement.org/ .

Je me souviens d’avoir entendu il y a quelques années deux affirmations : d’abord que le psaume 42 était récité pendant la procession menant de la sacristie jusqu’à l’autel comme un acte de préparation personnelle, que le Dernier Évangile était proclamé en route pour la sacristie comme un action de grâce personnelle ; et ensuite que c’est le pape Pie V qui, le premier, les a intégrés dans le missel Romain à la place qu’ils occupent désormais. J’ai d’ailleurs moi-même répété à la lettre ces opinions dans une séance de Questions-Réponses après une conférence donnée à Saint-Louis. Un religieux présent lors de cette conférence m’a écrit par la suite une fraternelle correction très polie, et j’ai pensé qu’il serait bénéfique que je partage avec mes lecteurs ce qu’il avait lui-même partagé avec moi -en particulier quand ces derniers temps des personnes qui devraient être mieux informées attribuent souvent à Pie V des actes fantastiques d’originalité.

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« Vous avez dit que le Dernier Évangile et les Prières au bas de l’autel étaient des dévotions antérieures à la réforme de Pie V, et qu’elles étaient récitées en marchant pendant la procession depuis la sacristie et en se rendant à la sacristie. J’ai pensé que vous seriez intéressés de voir des photographies des missels Romains préalables au Concile de Trente qui, en réalité, prescrivent l’état actuel des pratiques dans leurs rubriques. On pense que 1474 est l’année de la première édition du Missale Romanum. La Henry Bradshaw Society a publié en 1899 une édition critique du Missale Romanum de 1474 de Milan. Si le Dernier Évangile n’est pas mentionné dans l’Ordinaire, les prières au bas de l’autel, elles, sont là :

Missale Romanum 1474 (1899 édition critique)

Un Missale Romanum imprimé à Venise en 1501, trois ans avant avant la naissance de Pie V, contient deux sections de rubriques : une introduction au début et un Ordinarium Misse au milieu du tome. Ce Missel inclue à la fois les Prières au bas de l’autel et le Dernier Évangile décrits d’une manière parfaitement conforme au format auquel nous sommes habitués durant les messes en forme extraordinaire aujourd’hui. Puisqu’il ne présente pas de pagination, j’ai inclus un outil de recherche textuelle qui mènera aux pages visées (le scan pourra être téléchargé gratuitement également). Il y a :

-Une première section qui inclue les Prières au bas de l’autel : stans ante infimum gradum altaris (cherchez : letificat iyuentutem)

-L’Ordinarium incluant les Prières au bas de l’autel : cum intrat ad altare (cherchez : facerdos cũ itrat)

-La première section décrit le Dernier Evangile : ad cornu evangelii (cherchez : Initium fancti euangely)

-L’Ordinarium ne mentionne pas un Dernier Evangile après le Placeat (cherchez : tibi laf qua fancta)

1501 Missale Romanum (Venise)

On constate que nombre de missels de cette période omettent le Dernier Évangile. Je n’en pas trouvé un seul pour le moment qui omet les Prières au bas de l’autel, dont la forme reste la même dans tous les missels, au moins en ce qui concerne le rite Romain. J’ai également constaté qu’aucun missel ne mentionnait que ces prières devaient être récitées pendant la procession, ce qui signifie que dans l’usage Romain, au moins à l’époque des premiers missels imprimés, la pratique de la récitation de la prière en marchant ne subsistait pas – en supposant qu’elle ait été la norme un jour.

Voici des photographies d’un Missale Romanum imprimé en 1540 : la page de garde, les Prières au bas de l’autel, et le Dernier Évangile :

Un sondage non exhaustif des missels romains primitifs imprimés, numérisés et mis en ligne sur Internet, permet de constater que l’usage du Dernier Évangile (ou de tout ce qui peut survenir après le Placeat) avait tendance à fluctuer jusqu’à l’époque du pape Pie V, dont l’édition du missel a normalisé un certain nombre de choses – et dont c’était précisément l’objet : Pie V voulait publier pour ainsi dire une sorte d’idéal atteignable. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la formule de bénédiction finale. Pour autant on ne peut pas dire que Pie V a inventé la pratique actuelle. Outre les éditions de 1501 et de 1540 du Missale Romanum vues précédemment, la pratique précise que l’on connait actuellement dans les messes en forme extraordinaire se retrouve dans certains usages non Romains tels que le Missale Aniciensis de 1543 dans le diocèse du Puy-en-Velay :

-Prières au bas de l’autel : ante altare (chercher : ang)

-Dernier Évangile après Placeat (chercher : erat verbül)

1543 Missale Aniciensis

C’est le genre de choses que l’on trouve où que l’on regarde : tous les ingrédients du Missel de Pie V de 1570 étaient déjà pleinement présents dans des éditions antérieures. En fin de compte c’est un missel qui transmet d’une manière très conservatrice, tout en clarifiant et en cristallisant désormais au bénéfice de l’Église universelle, ce qui était habituel pour la Curie Romaine. Contraste frappant s’il en est avec la méthode de son 37ème successeur. »

Corollairement : le missel de 1965 n’apporte aucune solution à nos problèmes. Ce missel de transition marque déjà une corruption de l’ancienne tradition Romaine.

[Cette dernière considération de P. Kwasniewski n’engage pas la rédaction d’Esprit de la liturgie, au sein de laquelle existent diverses opinions au sujet du missel de 1965.]

L’Office Divin comme fondation de notre civilisation et pourquoi il devrait être restauré (Partie II)

Traduit de l’anglais, texte original tiré du blog Modern Medievalism http://modernmedievalism.blogspot.com/2012/10/the-divine-office-as-foundation-of.html

Partie II sur II

Vous pouvez ici retrouver la partie I

De la participation des laïcs médiévaux à l’Office Divin

Nous avons des preuves très nombreuses de la participation à l’Office pour ce qui est de la classe nobiliaire et pour les érudits. Dans n’importe quel grand musée présentant une exposition de trésors médiévaux vous trouverez forcément un Livre d’Heures. Les livres d’Heures étaient des compilations de textes religieux utilisés par les laïcs qui savaient lire. Un livre de ce genre contient habituellement le Petit Office de la Vierge, la Litanie des Saints, certains des Psaumes, l’Office des Morts, et peut-être l’Ordo de la Messe ainsi que les dévotions à pratiquer pendant que l’on y assiste. On pourrait clairement les considérer comme les premiers ancêtres du missel de poche. Les Livres d’Heures avaient tellement de valeur dans la culture médiévale qu’ils étaient richement enluminés. En fait, les Livres d’Heures constituent le plus gros des collections de livres manuscrits enluminés que nous avons conservés.

Cela, bien évidemment, laisse complètement de côté la plus grande majorité des laïcs qui ne savaient pas lire. Ils assistaient cependant volontiers aux Heures avec autant de ferveur que la noblesse. Bien qu’ils ne pussent probablement pas participer à la récitation des Psaumes, il ne paraît pas inimaginable que semaines après semaine, même le plus humble des paysans puisse mémoriser les mots qui composent le Magnificat ou le Te Deum. Ce qui a indubitablement fait de l’Office Divin une dévotion accessible à la plupart des laïcs au Moyen-Âge, c’est le fait que les Heures étaient priées publiquement chaque jour dans les paroisses, quelques soient les personnes qui y assistaient. Même les Matines semblaient sans doute moins ardues pour un laïc illettré qui assistait à l’Office jour après jour depuis sa plus tendre enfance que pour un croyant du XXIème siècle qui y assisterait pour la première fois.

Le caractère public des Offices est le point clef qu’il faut garder à l’esprit. Le fait que dans la norme actuelle de l’Église Latine, les prêtres prient tous les Offices mais de manière privée, est une des causes de la disparition du désir des fidèles de participer aux Offices, et non des moindres. Les Offices ne sont devenus qu’une dévotion mineure consistant à lire un bouquin entre une réunion du conseil paroissial et le dîner, ne jouant dès lors plus aucun rôle dans la vie de foi des laïcs. Le clergé médiéval, avec tous ses défauts, aurait trouvé cela impensable. Gasquet constate la chose suivante durant les visites pastorales, lorsque l’évêque ou son vicaire venait pour inspecter les locaux de la paroisse afin de s’assurer que tout était conforme aux besoins de l’Office :

« Les sources relatives aux visites ad limina montrent bien que l’on attendait même de la plus petite église que son recteur fut en mesure de proposer des livres pour suivre Matines. Ainsi, dans les rapports de visites pastorales des églises paroissiales du diocèse d’Exeter en 1440, on retrouve constamment notes relatives à l’état d’usage des libri matutinales allant de à réparer à état correct. Dans un cas en particulier, il est rapporté que le recteur avait fait construire une nouvelle chancellerie, avait fait beaucoup pour la bonne tenue de son habitation et surtout fournissait des livres pour suivre Matines en bon état. Dans un autre rapport on apprend qu’un recteur avait engagé un scribe afin de rédiger de nouveaux livres. »

Si le recteur n’apportait pas satisfaction aux fidèles concernant Matines, ils ne manquaient pas de s’en plaindre à l’évêque.

« Dans le même diocèse en 1301, il avait été enregistré une doléance des paroissiens de Colebrooke, lors de la visite pastorale, parce que leur vicaire ne chantait pas les Matines lors des Grandes Fêtes avec musique (cum nota), et qu’il disait seulement la Messe un jour sur deux ».

Du déclin de l’Office Public jusqu’à sa disparition

Comment les Offices, pourtant priés publiquement dans les églises, sont-ils tombés en disgrâce dans notre liturgie ? Il y a moultes raisons, mais je me limiterai à quatre théories (ndlr. en réalité cinq).

1) L’invention du Bréviaire, comme je le mentionnais plus haut, permit de synthétiser l’intégralité des Offices en un seul ouvrage, rendant la liturgie plus mobile. Auparavant, l’Office était public presque par nécessité : un livre pour les antiennes, un autre pour les Écritures Saintes, un autre pour les collectes, un autre pour les lectures des Pères de l’Église, et ainsi de suite. Prier l’Office requérait donc une répartition du travail de telle sorte que le clergé devait se rassembler. L’introduction du Bréviaire, incroyablement pratique, eut la conséquence malencontreuse de compartimenter l’Office en quelque chose de plus propice à la dévotion privée.

2) La suppression des stalles et de la clôture de chœur. J’ai récemment mis en ligne un article d’Auguste Welby Pugin, intitulé Earnest Appeal for the Revival of the Ancient Plain Song dans lequel l’architecte démonte sans sourciller la tendance moderne à user de gradins dédiés à la chorale plutôt que d’employer les stalles traditionnellement réservées aux chantres dans le chœur. Pendant la Contre-Réforme, les architectes des églises catholiques enlevèrent en effet les stalles afin de raccourcir le sanctuaire et ainsi d’en rapprocher les fidèles, en réponse aux critiques que leur adressaient les protestants qui reprochaient aux prêtres de couper les fidèles de l’action dans le sanctuaire. Mais la disparition de la clôture de chœur et des stalles a inévitablement eu pour conséquence de laisser penser que le fait de réunir le clergé pour prier publiquement l’Office n’était plus une partie aussi importante de la vie cléricale. Cela a sans aucun doute encouragé le clergé à prier l’office en privé, entre des messes plus nombreuses ou des dévotions jugées plus importantes pour le développement des laïcs dans la nouvelle Église nouvellement réformée.


3) L’étalement urbain. Il est inévitable, mais depuis que les églises ne sont plus le cœur géographique des communautés, force est de constater que cela prend désormais plus de temps pour se rendre à l’église pour prier. Or, comme cela prend plus de temps, cela incite les gens à n’aller à l’église que pour les évènements qu’ils jugent les plus importants.

4) La négligence de l’Église elle-même. Les prêtres et les diacres ne prêchent pas à propos de l’importance des offices ou n’emploient même pas les leçons de ceux-ci à l’ambon. Quand avez-vous entendu pour la dernière fois un prêtre citer dans son homélie les lectures des Matines du jour ? l’antienne des premières vêpres, la veille au soir ? Un prêtre solidement ancré dans l’orthodoxie va mettre l’accent sur le fait d’assister à la Messe, de recevoir la Communion, de prier le Rosaire, d’adorer le Saint Sacrement, de fréquenter les Écritures Saintes, de faire l’aumône ou bien d’aller se confesser. Toutes ces choses-là sont essentielles pour renforcer notre foi. Mais en ce qui concerne l’Office Divin, pas un mot. S’il n’est pas assez important pour y faire seulement allusion dans l’homélie, rien d’étonnant à ce que celui-ci soit effacé de la culture catholique populaire.

5) Le silence des cathédrales. C’est probablement la pire raison parmi toutes. La cathédrale d’une ville, la paroisse de l’évêque même, devrait normalement être un modèle à suivre pour toutes les autres paroisses du diocèse. Lorsque j’ai récemment visité la basilique cathédrale de Saint Pierre et Saint Paul de Philadelphie, je songeais à la quantité d’argent qui avait dû être investi pour que cette église ressemble à un Saint-Pierre en miniature. Et pour autant, six jours sur sept, l’église est généralement vide. Exceptées les quelques messes qui y sont célébrées et une petite fortune dépensée en climatisation, la basilique cathédrale est aussi silencieuse qu’un tombeau. Il est honteux qu’une église aussi opulente, siège du seul archevêque américain canonisé, n’ait pas seulement une seule heure de l’Office Divin de planifiée dans son agenda. On pourrait dire la même chose de la plupart des autres cathédrales aux États-Unis [ndlr : et de France].

La cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Philadelphie, un temple superbe qui ne propose malheureusement aucun office public

Un plan pour restaurer l’Office Public à la place qu’il mérite

Si j’ai donné l’impression d’avoir été excessivement dur précédemment, je reconnais que la restauration de l’Office Divin est plus facile à dire qu’à faire. Je ne prétends pas connaître tous les obstacles auxquels sont confrontés les pasteurs, mais je me permets néanmoins d’offrir les suggestions suivantes qui pourraient s’avérer utiles pour tout prêtre, diacre ou chantre, ou bien toute personne en mesure d’organiser une célébration publique des Heures dans leur église. Si ne serait-ce qu’une paroisse lit et adopte avec succès une des solutions que je vais proposer, je considérerai cet article comme un grand succès.

1) Restaurer les vêpres du Dimanche. L’Heure de Vêpres a longtemps été la plus populaire auprès des fidèles jusqu’au XXème siècle et l’on trouve plus de compositions musicales pour ses hymnes et le Magnificat que pour n’importe quelle autre Heure. Dans l’article précédemment cité de Pugin (Earnest Appeal), on peut lire :

« C’est une monstrueuse erreur que de croire que le peuple ne peut pas entrer pleinement en communion avec l’esprit de l’Office Divin. En France, il n’y a guère de paroisse rurale où les gens ne se joignent pas au chant des vêpres et aux offices avec un sincère dévouement. »

C’était en 1850, bien après la fin du Moyen-Âge. Nous pouvons lire également dans l’article Vêpres de l’Encyclopédie Catholique de 1912 :

« Nous voyons donc toute l’importance de l’attachement constant de l’Église à l’Office de Vêpres. C’est le seul qui a conservé toute sa popularité (excepté, bien entendu le Saint Sacrifice que nous ne qualifions pas ici d’Office) parmi les chrétiens pratiquants jusqu’à ce jour. Matines et Laudes, compte tenu des heures auxquelles elles sont célébrées ont toujours été d’accès plus difficile pour les fidèles ; de même, les petites Heures, excepté peut-être l’Heure de Tierce qui sert d’introduction à la Messe. Les Vêpres au contraire occupent un moment privilégié vers la fin de journée. Les dimanches, c’est l’Office le plus susceptible de réunir les fidèles et, partant, de bien clore le Culte Divin pour la journée. C’est pourquoi, dans la majorité des pays catholiques, la coutume des vêpres dominicales existe depuis si longtemps et est toujours maintenue.

Je dois vous faire part de l’un de mes souvenirs les plus mémorables d’un séjour d’une semaine à travers la France qui remonte à Décembre dernier : j’eus l’occasion d’assister à des vêpres en semaine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris où, bien que je n’aie pu chanter la partie en Français avec les paroissiens locaux, j’ai néanmoins pu associer ma voix à la leur pour le Magnificat en latin, ainsi que le firent tant de générations de chrétiens avant nous.

Au XIXème siècle, l’Église en Amérique pensait toujours que la célébration publique de l’office des Vêpres était bien évidemment essentielle. La deuxième session plénière du concile de Baltimore en 1866, dont les décrets furent approuvés par le pape Pie IX, le réaffirmait :

« que, dans la mesure du possible, des vêpres complètes soient chantées lors des Dimanches et Fêtes dans toutes les Églises, en suivant la coutume Romaine, et que les vêpres ne soient jamais remplacées par d’autres pieuses dévotions ; car la louange solennelle toujours florissante après tant de siècles et approuvée par les évêques de l’Église doit être jugée plaisante à Notre Seigneur Tout Puissant. »

Même la Constitution Sacrosanctum Concilium du second concile du Vatican affirme la nécessité de célébrer les vêpres en paroisse :

« 100. Les pasteurs veilleront à ce que les Heures principales, surtout les vêpres, les dimanches et jours de fêtes solennelles, soient célébrées en commun dans l’église. On recommande aux laïcs eux-mêmes la récitation de l’office divin, soit avec les prêtres, soit lorsqu’ils sont réunis entre eux, voire individuellement. »

Avec autant d’autorités réaffirmant l’importance de la célébration publique des vêpres du dimanche, il est de plus en plus difficile de trouver des prétextes pour ne pas les proposer. Je vois déjà venir néanmoins les deux principales objections, la première étant que cela serait difficile à mettre en place en permettant aux fidèles de suivre sans investir dans des bréviaires. A cela, je réponds que la technologie moderne nous offre désormais des moyens simples pour imprimer l’intégralité de l’Ordo des vêpres, ou de n’importe quelle Heure d’ailleurs, ou bien de les lire sur une simple application sans même avoir besoin de tourner les pages. Je citerai à nouveau l’article de Pugin :

« Il est tellement facile à l’ère de l’imprimante de multiplier les livres pour chorales ad infinitum. Il est tellement simple d’imprimer la musique des cinq messes grégoriennes [les plus courantes, ndlr] afin de les mettre à portée du plus humble des hommes. »

J’ai déjà commencé la mise en page d’un carnet de l’Office Divin imprimable par quiconque le souhaite. Vous trouverez ci-contre une page témoin extraite de l’ordo de Sexte du Bréviaire de 1962 :

Un jour je les mettrai en libre accès pour téléchargement quand j’aurai acquis la capacité de stockage requise. Pour l’heure, je me contenterai de préparer et d’envoyer l’ordo de n’importe quelle Heure, de n’importe quel type de Bréviaire, à quiconque me le réclamera en commentaire ou par mail. [Mise à jour le 10 octobre : grâce à la générosité de Dom. Noah Moerbeek, CPMO, je peux héberger certains de ces fichiers et les proposer en libre accès au téléchargement. Vous trouverez ainsi ici mes versions actuelles de Sexte et de None le Dimanche. Il vous suffit de cliquer pour les télécharger et les imprimer à loisir.]

La seconde objection que je vois poindre, c’est qu’il serait trop compliqué pour les paroissiens de suivre la variation des psaumes, des antiennes ou des hymnes. Le Bréviaire de 1962, grâce aux réformes du pape saint Pie X, simplifie considérablement le problème puisque les psaumes du Dimanche dans l’ordo des vêpres sont toujours les mêmes. La Liturgie des Heures du pape Paul VI possède quant à elle de nombreuses variations, mais l’Église a déjà songé à une solution. En ce qui concerne la dévotion des fidèles laïcs, il est permis de célébrer publiquement les Vêpres avec les propres tirés de n’importe quel office. De là, tant que le clergé récite en privé ses vêpres avec les propres correspondant au jour, les vêpres publiques quant à elles pourraient être célébrées semaines après semaines.

2) Sanctifier les fêtes d’obligation par les vêpres ou les complies. Des siècles durant, il était interdit de célébrer la Messe après le coucher du soleil excepté pour la messe de minuit à Noël. Aujourd’hui cette restriction n’existe plus, ce qui signifie qu’il est d’autant plus facile de remplir nos obligations les jours de fête en assistant à la Messe le soir après le travail ou l’école. Le fait que tant de gens se rendent à l’église le soir pour la messe représente une formidable opportunité pour sanctifier encore plus la journée par le biais d’un des Offices. Si possible, initiez la pratique de l’Office de Vêpres comme préparation à la Messe du soir avec chapes, encens et tout la solennité requise. Si vous rencontrez trop de résistance, vous pourriez au moins vous retirer dans une chapelle latérale, telle que dans celle qui est ordinairement réservée à l’adoration du Saint Sacrement pour prier les Complies après la Messe avec un groupe plus restreint.

3) Marquer l’entrée dans le Jour du Seigneur avec les Vêpres. Bien qu’il soit très commun dans les paroisses de proposer une Messe anticipée du dimanche le samedi soir, peu de catholiques comprennent pourquoi elle compte comme une messe du dimanche. Puisque le Jour du Seigneur débute avec les Vêpres du samedi soir, pourquoi ne pas les célébrer publiquement en préparation de la Messe anticipée ?

4) Mettre en avant les Vêpres de semaine comme la dévotion principale parmi d’autres. L’église Our Lady of the Atonement à San Antonio, où j’ai été baptisé, mérite une mention spéciale car elle propose la célébration de l’Evensong, (ndlr. l’équivalent, dans l’usage anglais, des Vêpres et des Complies) suivi du Chemin de Croix et de la Bénédiction du Saint Sacrement les vendredis soir de Carême. Puisque de nombreuses paroisses offrent déjà des dévotions propres aux vendredi de Carême, il n’y a aucune raison pour que les Vêpres ne puissent pas être incorporées comme dévotions premières.

5) Faire précéder la « principale » Messe du Dimanche par les Laudes ou l’Office de Tierce. Dans les paroisses qui ne proposent qu’une ou deux messes le dimanche matin, cela devrait pouvoir se faire sans trop de difficulté. J’irais jusqu’à dire qu’il serait bon d’annoncer sur la feuille paroissiale que la Messe serait placée « après les Laudes », Laudes qui, pour des raisons pastorales pourraient être priées plus tardivement qu’elles sont supposées l’être habituellement. Pour les paroisses qui célèbrent de nombreuses Messes le Dimanche, l’église est probablement suffisamment large pour disposer d’une chapelle secondaire. Je proposerais qu’un prêtre ou qu’un diacre soit désigné pour célébrer les Laudes ou l’Office de Tierce dans la chapelle avant la « principale » Messe du Dimanche.

6) Utiliser les Vêpres comme une des dévotions pour les servants d’autel et la schola. C’est une idée que j’ai souvent évoquée dans des discussions où l’on «  refait l’Église  ». Dans une paroisse pleine de vitalité, il y a trop de servants d’autel pour qu’ils servent tous en même temps lors de la même Messe. Imaginez si tous les servants et les choristes pouvaient se rejoindre dans le chœur en chapes et surplis pour chanter les louanges divines lors des offices de Vêpres le premier Dimanche du mois. Les stalles du chœur seraient particulièrement pratiques pour cet exercice mais à défaut, les premiers bancs de la nef suffiraient à accueillir tous ceux qui ne tiendraient pas dans le sanctuaire.

7) Désigner un laïc et lui enseigner les Heures afin qu’il puisse les diriger. Je comprends tout à fait que même les prêtres ou les diacres les plus efficaces soient indisponibles pour présider la célébration publique des Offices. Fort heureusement, un laïc peut amplement diriger seul l’Office. Il serait tout à fait indiqué de désigner le paroissien du coin membre de l’Ordre des Chevaliers de Colomb (ndlr. un ordre international de chevalerie né aux USA mais également implanté en France) afin de diriger la liturgie des Heures mais également l’Office des Morts lors des funérailles.

Pourquoi les Offices ont-ils autant d’importance

Si l’Église Catholique demeure la même hier, aujourd’hui et pour l’éternité, il n’y a aucune raison de considérer l’Office Divin comme une relique médiévale obsolète. Il est aussi pertinent aujourd’hui que par le passé. D’ailleurs, nous avons sur nos ancêtres médiévaux un clair avantage : pour la plupart, nous savons lire. Alors que le paysan du Moyen-Âge assistait avec révérence à une liturgie qu’il ne pouvait suivre faute de savoir la lire, et dans un langage qu’il ne maîtrisait pas, nous pouvons facilement produire en masse des livrets pour les offices, et, s’ils ne sont pas rédigés en langue vernaculaire, nous avons la possibilité d’y adjoindre une traduction en face du texte latin. Plus que jamais, nous n’avons aucune excuse pour ne pas mettre l’Office au premier rang de nos dévotions.

Je me permets de conclure avec l’élément le plus important. L’Office est la plus puissante des prières de l’Église après la Sainte Messe. Elle est plus puissante que la Bénédiction du Saint Sacrement, même si le prêtre fait le signe de la Croix avec la présence réelle. L’Office est même plus puissant que le Saint Rosaire avec toutes ses divines promesses et les indulgences qui lui sont attachées. Au Moyen-Âge en particulier on chantait toujours l’Office des Morts avant d’entamer la Messe de Requiem car on considérait que c’était là le meilleur moyen de délivrer l’âme du feu de la purification. J’en termine en citant les mots de saint Alphonse Marie de Liguori dans ses méditations sur l’Office Divin :

« Même un grand nombre de prières personnelles ne pourront avoir une valeur équivalente à une seule prière de l’Office Divin, offerte à Dieu par l’Église universelle dans les mots qu’Il a Lui-même choisis. Ainsi sainte Marie-Madeleine de Pazzi dit que, en comparaison avec l’Office Divin, toute autre prières et dévotions n’ont que peu de mérite et d’efficacité aux yeux de Dieu. Soyons donc convaincus, donc, que, hors le Saint Sacrifice de la Messe, l’Église ne possède pas de source ni de trésor plus abondant que l’Office, duquel nous pouvons tirer quotidiennement de tels torrents de grâce. »

Je suis certain qu’il y a bien plus à dire à propos de la nature spirituelle de l’Office que je n’ai pu le faire, n’étant qu’un humble laïc étudiant en histoire. Je n’ai jamais fait l’expérience de la vie de séminariste ou de moine ; mais je ne peux ignorer à quel point l’Office public était important aux yeux de pieux laïcs durant toute l’histoire de la Chrétienté. Quand j’ai lancé ce blog, je souhaitais démontrer à quel point les idéaux du Moyen-Âge étaient pertinents pour notre époque, en balayant tous les sujets, des plus frivoles, tels que le vêtement ou la calligraphie, jusqu’aux plus importants, tels que le gouvernement et le culte. Dans l’esprit des hommes du Moyen-Âge, rien n’avait plus d’importance que le culte de Dieu dans la liturgie ; et en médiévaliste, je ne vois pas en quoi il devrait en être autrement aujourd’hui. Dès lors, si le contenu de cet article avait éveillé en vous le moindre intérêt en vue de la restauration de la célébration publique de l’office, je vous demanderais de prendre un moment pour le partager auprès de vos amis ou membre de votre famille appartenant au clergé, en formation au séminaire, ou membre de la hiérarchie de l’Église ou membres de n’importe quel mouvement liturgique. Avec l’espérance et par la grâce de Dieu, nous pourrions voir le commencement d’une nouvelle tendance à entendre raisonner dans les murs de nos églises la divine louange de David comme cela se fit jadis dans la Chrétienté.

L’Office Divin comme fondation de notre civilisation et pourquoi il devrait être restauré (Partie I)

Traduit de l’anglais, texte original tiré du blog Modern Medievalism http://modernmedievalism.blogspot.com/2012/10/the-divine-office-as-foundation-of.html

Partie I sur II

Photo de Balog Krisztina sur Pexels.com

Un bref avant-propos : L’objet de l’article est de tirer la première salve au sein d’un mouvement plus vaste de restauration de l’Office Divin comme quelque chose que l’on devrait prier, que l’on devrait chanter avec solennité dans toutes les paroisses de la terre. A titre personnel je n’ai pas le loisir de le prier dans ma dévotion privée, même si j’aimerais pouvoir le faire. Je veux avant tout rappeler au clergé et ou autres « savants » au sein de l’Église des choses qu’ils connaissent déjà, et les inciter à lancer un programme de chant public de l’Office Divin dans leurs églises. Vous remarquerez dans la colonne latérale de mon blog une liste des « Architectes et Défenseurs de la Civilisation Médiévale ». Saint Benoît de Nursie est au sommet de la liste, non seulement pour des raisons chronologiques, mais également pour avoir établi le système monastique tel que nous le connaissons en Occident. Ce système, avec en son centre l’Office Divin, est réellement la fondation sur laquelle repose la culture médiévale. Je ne sais comment insister davantage sur ce point crucial, bien que ce soit ce à quoi je m’essayerai dans tout l’article.

L’Office Divin comme fondation de notre civilisation et pourquoi il devrait être restauré

Par J.T.M. Griffin

Chers amis, cela ne sera sans doute une surprise pour aucun d’entre vous que l’Église, en particulier dans le monde occidental, est en déconfiture. On nous a égrené toute la liste désormais : la fréquentation hebdomadaire des églises est plus bas, des paroisses et des écoles ferment chaque semaine, des dommages et intérêts sont toujours en cours de paiement pour les crimes et abus commis par des membres du clergé. Le « nouveau printemps » qu’appelait de ses vœux le concile Vatican II ne s’est pas produit. C’est en ma qualité de jeune homme que je tiens à souligner le fait suivant : il est extrêmement inhabituel pour quelqu’un de ma génération de fréquenter régulièrement une paroisse catholique, encore plus de s’intéresser à la liturgie, l’art et la musique sacrée, ou à toute chose qui se rattache de près ou de loin à la religion et sur laquelle j’ai pu écrire par le passé. La solennité du Culte a cessé depuis longtemps d’être importante aux yeux de la plupart de mes pairs. C’est pour cela d’ailleurs que la plupart des grandes cathédrales européennes sont essentiellement devenues des musées, et c’est aussi pour cela que si la tendance moderne à l’apathie religieuse se poursuit, elles deviendront bientôt des ruines.

Et puisque l’effondrement de la pratique religieuse en Occident n’est une surprise pour personne, il ne manque pas non plus de tentatives d’y remédier, particulièrement pour ramener les jeunes à l’église. De la « rave party » (ndlr., fêtes qui rassemblent des amateurs de musique techno) au groupe de rock animant la messe en passant par des soirées pizza, les lock-ins (ndlr., soirées américaines organisées par leurs jeunes qui y participent, durant lesquelles ils s’enferment dans un lieu pour y faire leurs activités sans que personne n’entre et ne sorte pendant un temps déterminé) ou les rassemblements hebdomadaires « autour du feu de camp » où l’on discute des sentiments des uns et des autres, l’Église a tout essayé, sans grand succès, les cathédrales restant silencieuses pour la plupart. Un nombre croissant de jeunes gens dont je fais partie attendent simplement de l’Église Catholique qu’elle soit l’Église Catholique : qu’elle ne s’excuse pas de son christianisme, qu’elle soit fière de n’avoir pas connu de réforme, qu’elle emploie toutes ses croyances et pratiques « rétrogrades » remisées pour le moment. Le Mouvement Liturgique a déjà fait de grands pas en avant dans ce domaine. Grâce à lui, nous avons récolté de grands bénéfices en obtenant une traduction fidèle en anglais de la Messe et un regain d’intérêt pour le chant grégorien. De plus en plus de paroisses offrent la messe en forme extraordinaire du rite romain. D’autres pratiques extra-liturgique prennent de plus en plus de place dans la dévotion privée des catholiques, comme la prière du Rosaire et l’adoration du Saint Sacrement. Cependant, un des aspects les plus importants de la liturgie traditionnelle chrétienne a été complètement oublié : l’Office divin.

Qu’est-ce que l’Office divin ? Un (trop) bref tour d’horizon historique

L’Office divin (aussi appelé Liturgie des Heures) est le processus par lequel on sanctifie les périodes de sa journée par le biais de prières liturgiques. De l’aurore au crépuscule, les moines, les prêtres et les laïcs se rassemblaient tous sans distinction dans les églises à des heures déterminées de la journée pour chanter des chants de louange à Dieu selon un ensemble de prières très strictement fixé : pratique liturgique donc, mais distincte de la Messe. Les cantiques et les hymnes de l’Office tels que le Magnificat, Nunc dimittis, et le Te Deum sont des pièces que la musique classique a immortalisées, mais reposent avant tout dans le recueil des 150 psaumes de David. L’idéal monastique traditionnel tel qu’exprimé par saint Benoît au Chapitre 18 de sa Règle, c’est que le moine chante l’intégralité de ces 150 psaumes tout au long de la semaine. L’Office offrait le cadre dont le moine Bénédictin avait besoin pour organiser son travail sacré.

Suivre l’Office Divin n’était pas cependant une invention de Benoît, loin de là, ni même de l’un de ses prédécesseurs. Le fait de prier les Heures renvoie à une période qui précède l’incarnation même du Christ. Lorsque les anciens Israélites furent conquis et dispersés par les Babyloniens, le Temple de Salomon fut détruit. N’étant plus en mesure d’offrir les sacrifices d’animaux dans leur lieu saint, les juifs érigèrent les premières synagogues, où ils offraient des prières en sacrifice, en chantant les Psaumes à des heures spécifiques de la journée.

Photographie du forum latin à Rome

Plus tard, sous la domination de Rome, les Juifs expatriés aux quatre coins de l’empire finirent par adopter la méthode romaine d’associer le défilement des heures à un appel à la prière. Une cloche retentissait sur le forum à Rome, ainsi que sur tous les fora de tous les carrefours commerciaux de l’empire, à 6 heures du matin pour indiquer l’ouverture des commerces, qu’ils qualifiaient de « Première heure ». Les sonneries de midi, la « Sixième heure », indiquaient l’heure du repas et du repos (le mot espagnol pour la sieste de l’après-midi, siesta, maintenant la tradition en référence directe à sexta, la sixième heure selon la façon latine de compter les heures). On sonnait à trois heures de l’après-midi, la « Neuvième heure », pour remettre les gens au travail afin de profiter pour celui-ci des dernières lueurs du jour. La sonnerie finale retentissait au crépuscule pour indiquer la fermeture des boutiques.

En ayant cela à l’esprit, les références dans la Bible mentionnant les Apôtres qui suivaient scrupuleusement les Heures pour prier deviennent beaucoup plus claires. On lit par exemple que « Pierre et Jean se rendirent au temple à la neuvième heure pour prier » (Actes 3 :1), ou que « Pierre se rendit à l’étage de ses appartements pour prier, aux alentours de la sixième heure » (Actes 10 :9) ; mais également que « à minuit, Paul et Silas, louaient Dieu dans leur prière. Et ceux qui étaient en prison les entendaient. » (Actes 16 :25). Dans les premiers temps de l’Église, la prière des Heures était sans doute plus une dévotion privée qu’une véritable composante de la prière liturgique. Cela allait changer rapidement avec le développement de la Messe.

Durant les temps de persécution, la liturgie eucharistique, célébrée dans les catacombes ou aux domiciles des fidèles, était précédée les jours de grandes solennités par une vigile qui débutait à la tombée de la nuit précédente et s’achevait avec l’Eucharistie à l’aurore. Les premiers chrétiens chantaient des hymnes de louange tires avant tout des Psaumes, mais sans doute également de leur propre composition (le Gloria et le Te Deum par exemple), ainsi que des leçons tirées d’autres passages des Écritures Saintes. Ces prières prirent suffisamment d’importance pour être distinguées de la liturgie Eucharistique sans pour autant en être déconnectées. De même que les Juifs associaient le début du jour au crépuscule, on peut imaginer les premiers chrétiens débuter leur vigile par ce que l’on finirait par appeler les Vêpres. La vigile se poursuivrait ainsi tout au long de la nuit en une série de veillées, qui pourraient très bien être les origines des nocturnes du grand office des Matines. La dernière portion de la vigile, pour coïncider avec l’aurore, était réservée à la louange divine que nous appelons désormais les Laudes. Les grandes vigiles de l’Église primitive expliquent dès lors l’existence des trois Heures majeures (Vêpres, Matines, Laudes) de l’Office traditionnel, alors que c’est dans les sons de cloche pour marquer les heures de la vie latine qu’il faut chercher les raisons de l’existence des trois Heures mineures de l’Office (Tierce, Sexte et None). Ce qui signifie donc que Prime et Complies devaient être les moins anciennes des prières de la liturgie des Heures. Ces deux dernières furent introduites dans les communautés monastiques avant de se diffuser plus largement dans toute l’Église. Alors que les premiers monastères priaient de manière assez habituelle les Matines et les Laudes au beau milieu de la nuit, cela laissait suffisamment de temps aux moines pour aller se recoucher, n’ayant pas d’obligations avant l’office de Tierce. Se lever ainsi à neuf heure le matin passait pour de la paresse aux yeux de certains abbés, et c’est ainsi qu’une Heure supplémentaire fut introduite, celle de Prime, afin de s’assurer que le moine se lèverait à l’aurore. Enfin il faut parler des Complies, dont certains prétendent qu’elles sont introduites par saint Benoît lui-même, afin que ses moines disposent d’une prière convenable juste avant d’aller se coucher.

En fin de compte, vers le VIème siècle, la prière de l’Office Divin se déroulait sans doute de la manière suivante :

Vêpres : crépuscule (aux alentours de 6h de l’après-midi, quoique s’ajustant aux variations des saisons)

Complies : avant de se coucher (9h du soir)

Matines : n’importe quelle heure entre minuit et l’aurore

Laudes : immédiatement après les Matines

Prime : au lever du soleil (6h du matin)

Tierce : En milieu de matinée (9h du matin)

Sexte : Au milieu du jour (midi)

None : Au milieu de l’après-midi (3h de l’après-midi)

Encensement de l’autel durant les vêpres, accompagné du Magnificat en la chapelle du Merton College, Oxford

L’Office : pierre angulaire de la culture médiévale

Très rapidement, l’Office Divin fut perçu comme une obligation, voire comme l’essence même du devoir du clerc dans l’Église. Les constitutions Apostoliques, un manuel d’instruction du clergé du IVème siècle, mentionne ainsi : « Offrez donc vos prières le matin, à la 3ème, la 6ème et la 9ème heure, le soir et au chant du coq. » Jusqu’à ce jour, tous les clercs, sauf quelques exceptions, appartenant aux ordres majeurs sont tenus de prier l’Office quotidiennement. Cette obligation est si vitale que le prêtre n’est nullement tenu de célébrer la messe, même le Dimanche, cependant que s’il saute ne serait-ce qu’un office du jour sans une bonne raison, il commet un péché mortel. L’Église l’a imposé au clergé car un de ses premiers devoir de clerc est de vivre une vie de prière, et nulle prière n’est aussi puissante que celle de l’Office. Au Moyen-Âge, prier les Heures était littéralement une composante à part entière de la fiche de poste d’un clerc : si on apprenait qu’un clerc négligeait son devoir de célébrer l’Office Divin, on pouvait lui refuser sa paye, ainsi que sa nourriture.

Ce qui est encore plus remarquable, cependant, c’est à quel point les offices faisaient partie intégrante de la vie des paysans ou citoyens laïcs ordinaires du monde médiéval qui, eux, pour le coup, n’étaient pas tenus sous serment de prier la liturgie des Heures. Nombreuses sont les sources qui attestent que c’était une coutume en Angleterre avant la Réforme Protestante pour le peuple d’arriver à l’église pour assister aux Matines puis aux Laudes avant la Messe du Dimanche [note du traducteur : cette coutume est encore fort répandue en Orient, où de nombreuses paroisses célèbrent Matines et Laudes avant la messe du dimanche]. Bien sûr cela interroge d’un point de vue pratique : si les Matines étaient priées au milieu de la nuit, ainsi que nous l’avons vue précédemment, pourquoi les laïcs quitteraient leurs maisons pour assister aux offices à une heure si inhabituelle pour eux ? L’abbé Gasquet suggère dans son livre, Parish Life in Mediaeval England, que dans les paroisses, les Matines du dimanche débutaient à 6 ou 7 heures du matin. Il cite par exemple saint Thomas More qui écrit :

« Some of us laymen,’ he says, ‘thinke it a payne in a weeke to ryse so soon fro sleepe, and some to tarry so long fasting, as on the Sonday to com and hear out they Matins. And yet is not Matins in every parish, neyther, all thynge so early begonne norfully so longe in doyng, as it is in the Charterhouse, ye wot wel. »

« Certains d’entre nous, laïcs, dit-il, pensons que c’est un vrai déchirement de se lever une fois par semaine si tôt de sa couche ou de demeurer aussi longtemps en jeûne, le dimanche, pour venir écouter les Matines. Et cependant, Matines n’est point chantée en toute cure, ni n’est commencée si tôt et ne dure si longtemps qu’en Chartreuse, comme vous le savez. »

On peut à minima se dire que le défi de se lever tôt le matin ne date pas d’hier, mais on peut surtout constater que l’horaire des Matines a été suffisamment ajusté pour permettre aux fidèles d’y assister. Gasquet poursuit en expliquant que la Messe était célébrée vers 9 ou 10h du matin, permettant ainsi aux laïcs d’avoir suffisamment de temps pour rentrer chez eux, rompre le jeûne, avant de revenir à l’église. Cela met particulièrement en lumière deux éléments : premièrement que la Communion n’était pas reçue régulièrement à cette époque (ou bien ils n’auraient pas eu le droit de rompre le jeûne avant la Messe), et deuxièmement que le fait d’assister aux Matines puis Laudes étaient si important pour les fidèles qu’ils étaient prêts à prendre la peine de se lever très tôt le matin pour assister aux offices, avaient le temps de rentrer chez eux, pour finalement revenir à l’heure pour la Messe. Puisque les Heures matinales n’étaient pas célébrées comme un rite préparatoire à la Messe, le peuple des fidèles y assistait seulement pour leurs mérites propres ! De plus, Gasquet nous explique que les fidèles revenaient encore une fois à l’église plus tard dans la journée, sur les coups de 14 ou 15h pour assister aux Vêpres.

Si cela peut paraître une quantité excessive d’offices à suivre pour un laïc, il faut néanmoins comprendre que la liturgie n’était rien de moins que le principe vital de toute dévotion religieuse au Moyen-Âge. Assister à la liturgie, que ce soit pour la Messe ou pour les Offices, était d’ailleurs la principale raison du repos dominical. Ces jours-là, le travail des serfs, bien que n’étant pas nécessairement contraire à la loi séculière (ce qu’il devint sous le règne de la reine protestante Elizabeth), était cependant considéré comme un péché mortel. (Il est intéressant de remarquer à ce propos que, de manière similaire à la pratique Juive, Dimanche « commençait à l’heure des Vêpres du Samedi », comme c’est d’ailleurs toujours le cas dans les offices aujourd’hui). Si l’on apprenait qu’un homme travaillait le Dimanche, il pouvait être nommément dénoncé depuis l’ambon.

La loi médiévale n’était pas pour autant déraisonnable sur ce point qui se trouvait tempéré par des exceptions. L’achat et la vente de nourriture ainsi que de produits de première nécessité, la gestion des hôpitaux, et la préparation de marchandises en vue de l’ouverture des commerces le lundi, entre autres exemples, étaient tous autorisés. Mais même ces exceptions montrent que la liturgie des Heures avait un statut quasi obligatoire même pour un laïc. Il est possible de lire la chose suivante dans Dives and Pauper, un texte religieux anglais de la période médiévale :

« Also messengers, pilgrims, and wayfarers that might well rest without great harm are excused, so that they do their duty to hear Matins and Mass, if they mown, for long abyding in many journeys is costful and perilous. »

« C’est le cas également des messagers, pèlerins et voyageurs qui peuvent bien se reposer sans causer grand tort et ne sont pas tenus de leur obligation d’assister à Matines ainsi qu’à la messe, s’ils font grasse-matinée, car il est coûteux et périlleux de vivre de longues journées d’un effrayant voyage. »

La Suite en partie II…

Le baiser de paix

Texte original tiré du blog The Modern Medievalist (http://modernmedievalism.blogspot.com/2015/04/the-kiss-of-peace.html), traduit de l’anglais.

Saviez-vous que le 31 mars est la journée internationale du « Hug a Medievalist » (littéralement : faîtes un câlin à un Médiéviste) ? Moi, je l’ignorais jusqu’à récemment, mais puisque personne ne fit de câlin à votre serviteur, j’ai plutôt pensé à écrire sur cette curieuse effusion de sentiments affectueux que connaissent bien tous nos ancêtres médiévaux : le baiser de paix. Vous semble-t-il étrange et inquiétant ? Bien au contraire, nombre d’entre vous en sont déjà familiers, dans un certain sens. Mais avant que nous remontions le cours du temps, observons ce qui se fait autour de nous.

Lors de n’importe quel dimanche dans votre paroisse catholique du coin de la rue en périphérie urbaine (ou bien épiscopalienne ou luthérienne), juste avant la Communion, quelqu’un nous annonce solennellement : « Frères et Sœurs, dans la charité du Christ, donnez-vous la paix. ». Ensuite, et afin de se préparer à recevoir Dieu Tout-Puissant sous la forme du pain et/ou du vin, nous effectuons une rotation sur nous même en faisant face à tous les coins de la Terre ; Nord, Sud, Est, et Ouest, afin de bien afficher notre meilleure mine chrétienne et administrer le geste de paix à nos voisins. Dans ce pays (ndlr, les États-Unis), nous nous tournons par défaut vers la vénérable poignée de main Antique, mais d’autres usages locaux privilégient au choix : la tape dans le dos, le check du poing, le serre-pince viril mais fraternel, ou, pour les plus pudiques d’entre nous, le salut de la main. Le salut traditionnel, « La paix soit avec toi » devient alors un sésame pour nous introduire plus profondément dans les mystères de la fraternité Chrétienne. « Belle journée, hein ? », ou bien « T’as maté le match d’hier soir ? », ce à quoi la réponse silencieuse d’un hochement de tête et l’air entendu de l’initié qui sait précisément de quel match il est question, achèvent la préparation à la Communion de l’homme moderne.

C’est en tout cas la version à laquelle les autorités veulent que nous adhérions. Le « geste de paix », tel que nous le connaissons aujourd’hui, fut introduit auprès des catholiques en 1970, dans le cadre de la réforme de l’ordo de la messe. La plupart des fidèles lambda n’avaient probablement pas la moindre idée de ce qu’ils devaient faire et encore moins de la signification de ce rituel. Je ne peux qu’imaginer les prêtres aiguillonnant leurs fidèles durant les premières années de cette nouvelle liturgie en les guidant par l’exemple : quittant l’autel du sacrifice pour aller taper dans les mains de toutes les personnes des premières rangées. Environ quarante ans plus tard, ils ne sont toujours pas parvenus à tous nous y convertir. Quelques-uns des prêtres les plus conservateurs en matière de liturgie, qui célèbrent toujours la nouvelle Messe, exercent l’option peu connue consistant à omettre le rituel de paix entièrement. D’autres fidèles se prélassent dans la douce absence de rituel de paix prévue par la messe latine dans sa forme extraordinaire, se riant de la plèbe coincée dans Novus Ordo Land alors qu’eux n’ont eu à avoir aucun contact physique avec qui que ce soit le dimanche précédent. D’autres tradis coincés dans une paroisse moderne pour faire plaisir à mamie sont connus pour avoir trouvé la parade en gardant les mains dans leurs poches ou bien en s’agenouillant et en jouant le rôle du serviteur souffrant, mentalement transportés au pied de la croix au milieu du brouhaha et des interjections de la foule au Calvaire, conservant une apparence aussi désespérée et absorbée dans les grands mystères que possible.

Mais si je vous disais que le geste de paix est traditionnel ? A la différence cruciale cela dit que je ne parle pas de n’importe quel geste ; pas de la poignée de main de paix, ni même du « bro-hug » (littéralement – le câlin fraternel) de paix, ni du fistbump (Le poing à poing) de paix ; mais bien plutôt du baiser de paix. Dans la messe en forme extraordinaire, le prêtre doit toujours, après avoir baisé l’autel, étreindre le diacre, qui à son tour étreint le sous-diacre, le sous-diacre étreignant le maître de cérémonie, chaque membre de la chorale, et ainsi de suite dans une grande chaîne. C’est d’ailleurs fait au même moment que dans la forme ordinaire, après le Pater et juste avant la Communion. Mais quelle différence dans l’esprit du rituel ! Foin de poignées de main bizarres et les « la paix du Christ » marmonnés. A la place, les deux rites demandent traditionnellement au ministre qui donne la paix de placer ses mains avec sobriété sur les épaules de celui qui la reçoit, de se pencher vers l’oreille de ce-dernier et de dire, « Pax tecum » (la paix soit avec toi). Celui qui reçoit répond alors, « Et cum spiritu tuo » (Et avec ton esprit), puis passe la paix au ministre le plus proche. Et là, nous comprenons pourquoi le rituel n’est pas traditionnellement appelé le « geste » de paix ou même le « baiser » de paix, car il n’y a pas à proprement parler d’embrassade, ni même est-ce un symbole de quelque chose qui préexiste : c’est un don spontané de paix, dans une chaîne ininterrompue du Christ à l’autel jusqu’au dernier fidèle. C’est la pax même.

Les origines de la pax

Le baiser a été en usage dans l’Église dès ses premiers temps. C’est ainsi que saint Paul recommande aux Romains : « Saluez-vous les uns les autres avec un saint baiser » et que saint Pierre écrit dans sa première épître : « Saluez-vous par un baiser de charité ». Dès le IIème siècle, le baiser était intégré à la liturgie. Saint Justin le Martyr le décrivait ainsi lors de sa messe quotidienne : « quand nous avons accompli les prières, nous nous saluons les uns les autres avec un baiser, et c’est à partir de ce moment-là que l’on amenait à celui qui préside, le pain et la coupe de vin. » Là, et en d’autres endroits de la Chrétienté Antique, le baiser de paix était échangé entre les fidèles avant ce que l’on qualifiera plus tard d’Offertoire. Le principe dont il procède c’est l’enseignement du Christ dans les Évangiles : « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. »

Mais à Rome, peut-être après la refonte du Canon par le pape Grégoire le Grand, ou peut-être plus tôt, la pax a été déplacée à sa place actuelle après le Pater et avant la Communion, et on lui a donné une autre importance. La pax n’était plus seulement un acte de réconciliation avec un frère, bien qu’elle continuât de l’être, mais désormais, elle se trouvait liée directement au mystère pascal, prenant une part entière dans la préparation à la Communion. Dans cette première partie du Moyen-Âge, la paix était toujours connectée à l’acte de recevoir le corps et le sang du Seigneur. La compilation de Michael Foley sur la pax cite deux exemples : d’abord, une homélie de Grégoire le Grand au sujet de moines convaincu d’être sur le point de faire naufrage qui échangèrent la pax et reçurent la Communion en vue de leur mort imminente ; et le second, l’exemple de sainte Marie d’Égypte, qui donna au moine qui lui apportait l’Eucharistie la pax. Jusqu’à récemment, la pax se trouvait omise lors de la messe des morts et lors du Vendredi Saint, probablement car la Communion des fidèles l’était également lors de ces cérémonies.

Dans les premiers siècles du Christianisme, la pax consistait en un baiser sur les lèvres. Le fait qu’un tel geste entre deux hommes dans nos sociétés actuelles serait irrémédiablement perçu comme un acte homoérotique est une des raisons majeures pour laquelle les architectes de la réforme liturgique de Vatican II ont suggéré d’y substituer la poignée de main. Mais au premier siècle après Jésus Christ, ce n’était pas le cas. Lors de la Passion, quand Judas trahit le Christ par un baiser nous comprenons que le Christ lui-même n’était pas contre cette pratique. Cela étant, alors que les années passaient et que le feu initial, l’innocence de la foi des premiers chrétiens s’est ternie, les problèmes commencèrent à survenir. Le baiser sur les lèvres était toujours considéré pour autant comme un acte intime entre des membres d’une même famille (l’Église se considérait alors comme une seule et même famille spirituelle) ou entre des amants. Saint Clément d’Alexandrie se plaignait par exemple de ce que le baiser de paix était devenu à son époque : perturbateur et lascif lorsqu’il était échangé entre hommes et femmes. C’est ainsi que l’échange de la pax fut proscrit entre hommes et femme. Au Moyen-Âge, il n’était pas rare de voir cela garanti par une stricte séparation entre hommes et femmes de part et d’autre de l’église. Je ne suis pas certain de pouvoir déterminer quand précisément l’usage est tombé en désuétude dans l’Église Latine, mais le Code de Droit Canon de 1917 le recommande toujours. Et, bien sûr, de nombreuses Églises de rite Oriental maintiennent toujours jusqu’à ce jour la séparation des sexes avec les hommes à droite et les femmes à gauche.

La pax connut une seconde période de déclin au tournant du deuxième millénaire, lorsque les Chrétiens à l’Ouest perdirent progressivement l’habitude de communier toutes les semaines -que ce soit dû à un respect accru à l’égard de la pureté du sacrement ou à une conscience augmentée de leur propre indignité, un certain état d’esprit à l’égard de l’acte de recevoir continuellement le Sacrement de l’Eucharistie, ou bien une combinaison des deux, je ne saurais le dire. Mais on observe qu’à mesure que diminue la régularité de la pratique de la Communion, le don de la pax diminue également puisque, à cette époque, elle était toujours vue principalement comme un acte préparatoire. Bien que l’Église médiévale ne fit guère d’effort de promotion de la pratique régulière de l’Eucharistie, elle insista cependant grandement sur la nécessité de maintenir l’échange de la pax. Les Anglais introduisirent un nouveau moyen de l’échanger : le pax-brede, une icône de l’agneau de Dieu, que le peuple pouvait approcher jusqu’au jubé et embrasser presque en lieu et place de la Communion. Les paxbredes étaient généralement fait en argent, mais également d’ivoire ou d’autres précieux matériaux. Les paroisses plus pauvres qui n’en avaient pas les moyens y substituaient un crucifix, l’Évangéliaire, à la place. La mode du pax-brede gagna vite du terrain et de là se répandit dans tout le reste de l’Europe occidentale.

Hélas, la nature peccamineuse de l’homme eut raison de lui à nouveau et s’ensuivit une nouvelle période d’abus et de déclin aux XVème et XVIème siècle, au début de la Réforme Protestante. Vous vous souvenez de la méthode hiérarchique de la pax dans la messe en Forme Extraordinaire actuelle que je décrivais plus haut : prêtre, diacre, sous-diacre, et ainsi de suite jusqu’au bout du sanctuaire par ordre de rangs. C’était le cas au Moyen-Âge également ; mais quand il s’agit de l’échanger au sein d’une congrégation toute entière, les choses deviennent alors beaucoup plus complexes. Qui est suffisamment légitime pour dire que le boulanger devrait donner le baiser de la pax avant la fille du meunier ? Ce qui était prévu pour instaurer la paix entre les membres de l’Église du Christ devenait au contraire une pomme de discorde. C’est ainsi qu’Eamon Duffy a pu écrire dans son ouvrage majeur, Le dépouillement des autels :

En 1494, les gardiens de la paroisse de Tous les Saints, Stanyng, présentèrent au juge Joanna Dyaca pour avoir brisé le paxbrede en le jetant au sol car, disait-elle «  une autre femme de la paroisse l’avait embrassé avant elle ». Le jour de la Toussaint de l’an 1522, Maître John Browne de la paroisse de Theydon-Garnon dans l’Essex, ayant baisé le pax-brede lors de la messe paroissiale, le fracassa sur le crâne de Richard Pond, le clerc portant l’eau bénite qui le lui avait tendu, « causant l’écoulement de torrents de sang sur le sol ». Brown avait éclaté de rage car le paxbrede avait d’abord été présenté à Francis Hamden et son épouse Margery quand bien même il avait prévenu le clerc Pond le dimanche précédent : « Clerke, if thou here after givest not me the pax first I shall breke it on thy hedd. » (Littéralement – Clerc, si tu es encore là alors que tu ne m’as pas donné le paxbrede en premier, je te promets que je le casserai sur ta tête).

Le pax-brede passa alors de mode un peu plus tard durant la Contre-Réforme, et dans les rares endroits où l’on en fait encore l’usage, il tend à être réservé au clergé ou aux dignitaires.

Sacraliser le séculier, séculariser le sacré

Avant de réagir avec désapprobation à cette litanie d’échecs et de vouloir consigner la pax aux oubliettes de l’histoire liturgique, je serais négligeant de ne pas mentionner à quel point ce rituel a transformé la société médiévale elle-même. Le baiser a trouvé sa plus haute expression dans la pax, mais il s’intégrait également dans d’autres rituels. Le catéchumène recevait le baiser après le baptême. Le prêtre nouvellement ordonné, ou l’évêque récemment installé, achevait son élévation aux saints ordres par le baiser. Par la suite, le monde laïc s’y mit également. De même que le prêtre, le chevalier fraichement adoubé parachevait son serment d’allégeance par un baiser de paix. Les royaumes et principautés de cette époque turbulente adoptèrent également le baiser de paix comme une alternative à la promesse de mettre fin aux hostilités.

Quand le roi Henry II et saint Thomas Becket finirent par trouver un terrain d’entente après des années de conflits au sujet des droits sur le siège de Canterbury, Thomas demanda que le siège et son sauf-conduit lui soient garantis non par un serment, mais par un baiser de paix. Même si tout avait été organisé pour, Henry se ravisa au dernier moment à cause de cette condition, en prétendant qu’il avait juré de ne jamais donner le baiser de paix à Becket. Quelle qu’en soit la raison, Henry ne voulut jamais se raviser, quand bien même le pape avait offert au roi de le libérer de son serment, et c’est ainsi que la réconciliation piétina pendant plus d’un an pour une question insignifiante que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de cérémonielle. Becket se décida finalement à revenir à Canterbury sans le baiser. Quelques jours plus tard, et sans la garantie de sécurité que procurait le baiser par sa simple reconnaissance sociale et par la seule force de son usage si répandu, il fut assassiné par quatre chevaliers au service d’Henry dans sa propre cathédrale.

Dans notre monde moderne, ainsi que dans beaucoup d’autres choses, il semblerait que nous comprenions la chose à l’envers. L’Église médiévale apporta la Paix de Dieu à la table des rois et des princes et sanctifia la diplomatie par le biais du baiser de paix. L’Église contemporaine, à la suite des réformes du second concile du Vatican, choisit de restaurer cette tradition dans une forme dégradée en substituant la poignée de main commune (ou l’inclinaison, ou toute autre gestuelle séculière marquant le respect) en lieu et place du baiser de paix. Les effets, comme je les décrivais au début de cet article, sont apparemment intentionnels (il suffit de lire l’article du P. Thomas Reese qui écrit favorablement sur le sujet : « Le baiser à la fin de la liturgie de la Parole symbolise le fait que la communauté accepte le message qu’ils viennent d’entendre. Ils se serrent la main en se disant « c’est entendu ».). G.K. Chesterton a pu écrire que, « Le réformateur voit souvent juste quand cela concerne ce qui est mauvais. Mais il est généralement mauvais quand il parle de choses bonnes. » Les liturgistes progressistes disaient à juste titre qu’il était impossible de revenir directement au baiser de paix sur les lèvres compte tenu de la culture actuelle ; mais ils avaient tort de le restaurer de manière artificielle en l’imposant aux fidèles sous une forme très dégradée. Même dans les premiers temps de l’Église, on distinguait le « saint baiser » des salutations communes de l’époque.

L’Église préconciliaire n’est pas exempte de toute part de responsabilité. Les rubriques de l’ancien Missel requerraient de pratiquer la pax par amplexus (étreinte) seulement lors des messes solennelles chantées, mais cette forme était tellement rare au XXème siècle que de nombreux Catholiques avaient pu vivre et mourir sans jamais y avoir assisté. Le missel permettait également à la schola et aux ordres mineurs de recevoir la pax par l’utilisation du pax-brede lors des messes basses ou lors des messes chantées, les messes les plus fréquentes, mais c’était rarement pratiqué. A quoi les pères du Concile s’attendaient-ils après Vatican II alors que l’immense majorité des fidèles n’avaient jamais assisté réellement au véritable rituel de paix ? si ce n’est à un chaos complet ?

Ma proposition est simple. Elle se fonde sur la prémisse qu’une tradition aussi vénérable que la pax devrait être préservée. D’abord, en ce qui concerne les communautés qui célèbrent la messe en forme extraordinaire, qu’ils célèbrent le plus souvent possible la messe solennelle chantée et de faire en sorte que la pax soit échangée par tous les ministres et les choristes présents au sein du sanctuaire. Si une messe basse ou chantée est offerte, que les options permises par l’ancien missel soient utilisées à savoir que la pax soit échangée entre tous les ministres par l’usage d’un pax-brede (ou bien un crucifix ou une icône similaire) à toutes les messes, quand bien même il n’y aurait qu’un unique servant présent. Ensuite, concernant le novus ordo de la messe, si omettre la paix intégralement semble être une bonne solution à titre temporaire, une tentative à court-terme de réparer ce qui peut l’être, elle aboutira sur le long terme à un abandon définitif de la pratique, comme on a pu le voir pour les prières au pied de l’autel, le Dernier Évangile, et tout un tas d’autres prétendues accrétions médiévales (comme si elles étaient mauvaises). Que l’on supprime l’invitation par le diacre à tous les fidèles de « s’échanger un geste de paix », d’accord. Mais que l’on permette aux prêtres et à tous les ministres de pratiquer la pax exactement comme dans l’ordo traditionnel de la messe, puisqu’il n’y avait rien d’anormal avec celui-ci. Et par la suite, après quelques années, quand les fidèles auront pris la mesure de la gravité et de la solennité de la pax traditionnelle, comme une étape préparatoire en vue du mystère pascal, émanant de la paix du Christ depuis l’autel, peut-être que nous pourrions ainsi cheminer vers la pax en ayant une meilleure compréhension des paroles mêmes de la Liturgie : « O Lord Jesus Christ, who saidst to Thine Apostles, ‘Peace I leave with you, My peace I give unto you’: regard not my sins, but the faith of Thy Church: and vouchsafe to grant her peace and unity according to thy will » (Seigneur Jésus, Toi qui as dit à tes Apôtres : Je vous laisse ma paix, Ma  paix je vous la donne : ne regarde pas mes péchés, mais la foi de Ton Eglise : Garantis lui cette paix que tu promets et l’unité que tu réclames.)

Les vêtements liturgiques dans l’art

Par Shawn Tribe, 10 janvier 2020, Liturgical Art Journal

Alors qu’il est tout à fait courant de chercher des exemples de vêtements liturgiques anciens ou historiques dans les musées et les sacristies, une des sources souvent négligée sont les tableaux dépeignant des personnalités religieuses ou de scènes religieuses, en particulier ceux de la Renaissance ou du Moyen-Âge. Ces sources sont précieuses en ce sens qu’elles nous donnent un aperçu des styles particuliers et des goûts àcertaines époques pour lesquelles nous ne disposons que de peu d’artefacts. Certains textiles ou ornements que l’on peut trouver dans ces œuvres d’art m’intéressent particulièrement

A fin de démonstration, j’ai pensé que cela pourrait intéresser nos lecteurs de jeter un coup d’œil à ces quelques exemples de ces vêtements dont je parle. Bien sûr les détails observables dans ces œuvres d’art ne concernent pas exclusivement les vêtements mais également de nombreux autres aspects liturgiques et historiques.

Si vous aviez jusqu’à lors négligé ces sources, vous avez manqué une véritable mine d’informations.


Traduit avec l’aimable permission du Liturgical Art Journal et de son éditeur Shawn Tribe. Traduit par Baptiste Bonnal

Article original: https://www.liturgicalartsjournal.com/2020/01/vestments-in-art.html?fbclid=IwAR3cBIl9P1XfaXCK6ArGlaWUuB4ontnbhqJrh-U02CWsZH6xTKyalJpE0Po

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