Je profite de cette première lettre-bilan de 2022 pour vous adresser à tous une belle et surtout sainte année 2023.
Cette lettre d’information est l’occasion pour moi de vous exposer la situation de notre association, les obstacles que nous rencontrons, les défis que nous nous lançons : c’est, en somme, une sorte de bilan de l’année écoulée et une feuille de route pour l’année à venir tout à la fois. C’est une première, mais je serais tenté à l’avenir de me soumettre chaque année à l’exercice.
La fin de l’année 2021 et le début de cette année 2022 ont d’abord et avant tout été marquées à mon sens par une belle réalisation de notre association : la publication de la première édition papier de notre revue, puis sa publication sous format numérique.
Fruit d’un labeur intense, source de contraintes majeures (de temps principalement, j’y reviendrai..) et d’une charge de travail incroyable, le rendu final est plus que satisfaisant à mes yeux : une belle revue éditée à 150 exemplaires, adressée à chacun des membres actifs de l’association et téléchargée plus de 650 fois dans sa version numérique.
Un succès qui a sincèrement dépassé mes attentes et qui n’aurait pas vu le jour sans les efforts consentis par tous les membres du Comité et plus particulièrement Matthias à qui j’adresse tout spécialement mes remerciements pour la réalisation de la maquette, son boulot de relecture, l’envoi postal et surtout sa superbe contribution.
En termes de défis, jamais je n’aurais imaginé l’ampleur de la tâche que représente un tel projet éditorial. Réunions de réflexion sur le choix du thème, élaboration d’une note de cadrage, prise de contact avec les auteurs, négociation des modalités de rédaction et suivi des contributions représentent un investissement pharaonique en temps et en énergie que l’on ne peut imaginer lorsque l’on n’est pas du métier. Étudiants, jeunes pros, bénévoles pleinement investis dans les missions pastorales de l’Eglise localement, aucun des membres du Comité n’avait par ailleurs d’expérience préalable dans ce domaine et moi le premier.
Un tel projet laisse des stigmates, surtout quand il est réalisé en “extra”, en dehors du temps de travail/d’études, du temps consacré à la vie familiale (je pense aux jeunes parents de notre Comité), du temps associatif. C’est la raison pour laquelle nous avons (trop) tardé à nous mettre en route pour l’édition du numéro suivant et avons dépassé nos délais initialement prévus, véritable frustration à nos yeux : pour cela chers membres, je vous prie d’accepter mes plus humbles excuses.
La difficulté quand on lance un projet aussi protéiforme que le nôtre, c’est que l’on fourmille d’idées, d’initiatives, de propositions, sans avoir nécessairement les moyens de nos ambitions. Notre taille et ce que nous avons accompli jusqu’à ce jour nous offrent des opportunités diverses de partenariats, nous obligent aussi en quelque sorte à réagir à telle ou telle actualité liturgique “brûlante” : tout ceci a un coût et ce coût est essentiellement humain.
J’ai souvent conscience d’être un peu dépassé par tout cela, par l’ampleur de la tâche, par le niveau requis pour satisfaire les attentes. Chaque succès met la barre toujours un peu plus haute et j’ai la sensation de ne pas forcément être à la hauteur pour y répondre.
Heureusement, je peux compter sur le soutien sans faille et l’enthousiasme à toute épreuve des membres du Comité, qui travaillent sans relâche et dès qu’ils le peuvent pour le bien de l’association.
Chronophage. Le terme précis pour décrire notre quotidien de membres du Comité. La vérité, c’est qu’au-delà de nos limites de connaissances, des limitations financières de notre association (le financement de nos projets repose exclusivement sur les adhésions et parrainages de notre association), notre plus grande limite, c’est le temps disponible.
Notre effort se dilue entre production de contenus, mises à jour du site, présence sur les réseaux sociaux, l’organisation du travail sur la revue et la modération de la page et du groupe – où vous nous avez rejoint nombreux et où nous aimons vous voir échanger sous les publications en commentaire, nous donner votre avis et débattre de questions importantes… Aussi valeureux et volontaires que soient les membres de ce bel aréopage de sept personnes qu’est le Comité -presque deux fois moins que les apôtres ! -, il nous manque surtout des ressources humaines afin de combler nos lacunes.
Vous êtes 4500 sur le groupe Facebook (où tout a commencé), plus de 3000 à suivre la page Facebook, 15000 visiteurs cette année sur notre site, plus de 200 à vous être abonné sur Twitter.. Si vous avez du temps et l’envie de partager vos compétences particulières dans tel ou tel domaine, à vous investir pleinement dans le travail de l’association, faîtes-le savoir, nous avons sincèrement besoin de votre aide.
Cela peut consister à faire de la modération sur la page et le groupe, à nous fournir des photos que nous pourrions exploiter pour illustrer nos articles, cela peut être de reprendre notre Instagram en y partageant des montages visuels de paramentique, de célébrations liturgiques particulièrement belles et dignes comme nous le faisions l’année passée. Vous avez peut-être une superbe plume et de solides connaissances liturgiques et partagez notre ligne éditoriale : proposez-nous des textes et nous les relaierons avec plaisir. Vous n’osez pas produire du contenu original mais avez des compétences particulières dans la traduction d’articles sur la liturgie en langue étrangère, formidable : nos colonnes vous sont ouvertes.
En guise de feuille de route pour 2023, ma priorité sera bien sûr de faire paraître le deuxième numéro papier de la revue et de l’adresser à tous nos membres, mais également de renforcer l’œuvre collaborative qu’est Esprit de la Liturgie.
Le secret pour perdurer c’est, j’en suis convaincu, de ne pas s’épuiser et de se faire plaisir.
Mon plaisir c’est de voir que partout dans l’Eglise, nos contenus portent leurs fruits, qu’un peu partout nous assistons à un frémissement qui nous permet de bénéficier en paroisse de liturgies plus dignes. Savoir que de futurs prêtres ou de jeunes prêtres lisent nos lignes et s’en inspirent dans leur réflexion personnelle et surtout dans leur praxis me remplit de joie. Bénéficier de témoignages directs de prêtres ayant connu la réforme et les événements récents de l’histoire liturgique est une chance incroyable, une façon de vivre, en quelque sorte, l’Histoire qui s’écrit. Se dire aussi que l’on peut contribuer à faire revivre aujourd’hui et, je l’espère, demain, un authentique Esprit de la Liturgie est sans doute ce qui me ravit le plus.
C’est la raison pour laquelle je tenais enfin par ce courrier à vous adresser un grand merci.
Merci d’abord à tous les membres de notre Comité qui s’impliquent dans les projets en cours et à venir, aux membres de l’association, qui nous soutiennent par leur adhésion et permettent à nos projets de voir le jour, et à vous, chers lecteurs du blog, de nous lire, de partager nos contenus et d’en faire profiter votre entourage. C’est pour vous et grâce à vous que notre chemin continue et je sens que cette année nous réserve de belles choses.
Bernard Frossard, président et le Comité d’Esprit de la Liturgie
Image d’illustration : Saint Paul écrivant ses épîtres par Valentin de Boulogne (1618-1620), musée des Beaux-Arts de Houston. • WIKIMEDIACOMMONS
Avec les Laudes et les Matines, les vêpres sont l’une de trois heures dites « majeure » du bréviaire romain. Cet office, qui n’est ordinairement plus que récité en privé quotidiennement par les prêtres, est souvent encore chanté au chœur, dans les églises paroissiales, les dimanches et jour de fêtes. Comme pour les autres heures majeures, le chant de l’office des vêpres, s’accompagne de quelques cérémonies liturgiques, plus ou moins solennelles selon la festivité du jour.
Cet office se déroule ainsi : l’introduction est chantée debout, puis on s’assoit pour chanter cinq psaumes encadrés d’une antienne, puis on se lève pour chanter une hymne après une courte lecture (appelée capitule), on chante ensuite le cantique de la Sainte Vierge (ou Magnificat) lui aussi encadré par son antienne propre, pendant ce cantique, on encense l’autel et le chœur ; enfin, le prêtre chante l’oraison finale, et l’office se termine par le chant du Benedicamus Domino.
La solennité des vêpres non pontificales se compte par le nombre de chapiers (de zéro à six) accompagnant l’officiant. Il est à noter que pour les simples féries, là où on chante l’office au chœur, il ne convient pas de l’accompagner de cérémonies particulières ; c’est ce qu’on appelle les vêpres fériales. Nous parlerons dans cet article des vêpres simples, c’est-à-dire sans chapiers.
On ne prépare pour cet office qu’une chape pour l’officiant (ainsi qu’une étole s’il est l’ordinaire du lieu uniquement), les deux cierges des acolytes, allumés comme ceux de l’autel et l’encensoir éteint à la sacristie, avec la navette d’encens.
Le prêtre officiant est accompagné de quatre servants : un thuriféraire, deux acolytes et un cérémoniaire. Ils processionneront dans cet ordre : le thuriféraire en tête, mains jointe, les acolytes marchant côte à côte leurs cierges allumés, le cérémoniaire marchant à la droite du célébrant et relevant la chape de sa main. Pour les grandes solennités (mais cela devrait rester propres aux grandes solennités) le clergé processionne derrière les acolytes. Si la la croix est requise par la présence d’un prélat ou d’une communauté religieuse ou séculière, elle est tenue entre les acolyte ; dans le cas contraire, on s’abstiendra de faire processionner la croix.
En arrivant au pied de l’autel, le thuriféraire se place légèrement à gauche, les acolytes s’écartent et se placent de chaque côté, l’officiant vient se placer au milieu, tandis que le cérémoniaire, toujours à sa droite, fait signe de saluer la croix.
Après la génuflexion, l’officiant, le thuriféraire et le cérémoniaire s’agenouillent au signe du cérémoniaire, tandis que les acolytes vont éteindre leurs cierges après les avoir posés sur la première marche de part et d’autre de l’autel. Ils vont ensuite se mettre debout à leur place autour de la crédence, du côté épître du sanctuaire en génufléctant ensemble face à la croix derrière le célébrant.
Lorsque le célébrant a récité la prière Aperi, Domine, os meum, (cette prière peut, suivant les rubriques de 1960, être remplacée par une autre prière) le cérémoniaire fait lever tout le monde et accompagne l’officiant à la banquette. Il y prend le livre qu’il présente à l’officiant (chaque fois qu’il lui présente, il s’incline profondément de tout son corps avant et après). Celui-ci entonne le Deus in adjutorium, le cérémoniaire ferme alors le livre pour s’incliner vers la croix au Gloria, puis il l’ouvre à nouveau pour l’intonation de la première antienne par l’officiant.
À l’intonation du premier psaume, tous s’asseyent (même le cérémoniaire si c’est l’usage). Suivent alors un enchaînement de cinq psaumes, ayant chacun son antienne chantée avant et après lui. Aux vêpres simples, il n’est pas nécessaire que le cérémoniaire apporte le livre à celui qui doit entonner chaque antienne. Si la coutume existe, on peut la suivre.
Pendant le cinquième psaume, ou si celui-ci est très court, à la fin du quatrième, le premier acolyte se lève et va rallumer les deux chandeliers posés au pied des marches, puis retourne s’asseoir. Le thuriféraire se lève de même et va à la sacristie préparer son encensoir ; il reviendra avec au début de l’hymne.
Deux versets avant le Gloria du cinquième psaume, les deux acolytes se lèvent et viennent se placer devant leurs cierges, après avoir génuflecté ensemble au pied des marches. S’étant incliné vers la croix au Gloria, ils prennent leurs cierges en posant genou à terre, puis ils viennent à la banquette en génuflectant de nouveau au pied de l’autel. Le cérémoniaire les y rejoint, ils s’inclinent. Lorsque le cérémoniaire ouvre le livre, les acolytes se tournent vers lui. Le prêtre chante le capitule et entonne l’hymne, puis les acolytes se tournent vers la banquette, le cérémoniaire ferme le livre, tous s’inclinent et retournent à leur place. Les acolytes passent poser leur cierge de part et d’autre de l’autel sur la première marche.
Après l’hymne, le cérémoniaire présente une troisième fois le missel à l’officiant, qui entonne l’antienne du Magnificat. À la fin de celle-ci, le cérémoniaire vient tenir par la droite la chape de l’officiant, et ils se signent pour le premier verset du cantique. Le cérémoniaire accompagne le prêtre à l’autel, et pendant qu’il monte, appelle le thuriféraire pour l’imposition de l’encens sur le marchepied.
Le cérémoniaire demande la bénédiction (« benedicite pater reverende ») et présente la navette de la main droite en tendant la cuillère de la main gauche (avec baisements), puis il soulève le pan de la chape avec sa main gauche pour qu’elle ne gêne pas l’officiant. Le thuriféraire après avoir présenté l’encensoir, le referme une fois béni, et le donne au cérémoniaire qui lui rend la navette. Le cérémoniaire donne l’encensoir à l’officiant (avec baisements).
L’officiant encense la croix, (et les reliquaires s’il y en a) puis l’autel, et rend l’encensoir au cérémoniaire (qui le tend au thuriféraire) et retourne à la banquette. Le cérémoniaire l’accompagne, puis appelle le thuriféraire qui attendait au bas des marches. Le cérémoniaire encense l’officiant de trois coups doubles, puis rend l’encensoir au thuriféraire, qui va encenser le chœur (du plus digne au plus humble, en terminant toujours par le cérémoniaire et les acolytes), puis les fidèles. S’il y a un salut du Saint Sacrement après les vêpres, on installe l’autel en conséquence. On y place alors l’ostensoir, la clé du tabernacle et les rampes de cierges allumés, ainsi que le tabor si c’est l’usage.
Lorsqu’ils sont encensés, les acolytes se rendent à leurs cierges, et refont la même manœuvre qu’à la fin des psaumes, en s’inclinant au Gloria du Magnificat, et en venant avec leur cierge à la banquette.
Le cérémoniaire se place entre les acolytes qui se tournent vers lui lorsqu’il ouvre le livre après s’être incliné face à l’officiant. Celui-ci chante l’oraison finale, qui est suivie des éventuelles mémoires (aux vêpres, une mémoire est composée d’une antienne, chantée debout, d’un verset et son répond, et d’une oraison) ; puis de nouveau il chante « Dominus vobiscum » ; à ce moment, les acolytes et le cérémoniaire saluent l’officiant, le cérémoniaire retourne à droite du prêtre, et les acolytes avec leurs cierges se placent debout au pied de l’autel comme pour la procession d’entrée.
Après le Benedicamus domino, le thuriféraire, l’officiant et le cérémoniaire rejoignent les acolytes et se mettent en ligne. Au signal du cérémoniaire, tous génuflectent et se retirent à la sacristie (à moins que le Salut du Saint Sacrement suive directement les vêpres, ce qui est très souvent le cas après les secondes vêpres du dimanche en paroisse. Dans ce cas, les acolytes retourneraient poser leur cierge sur la première marche, puis s’agenouilleraient in plano, c’est à dire à même le sol, en même temps que le thuriféraire et le cérémoniaire, au signal de ce dernier. Le salut se déroule comme à l’ordinaire).
Article provenant du site Adoremus, vous retrouverez l’article original ici.
Mariusz Biliniewicz est actuellement directeur du bureau de liturgie de l’archidiocèse de Sydney, en Australie. Il a travaillé à l’Université de Notre Dame d’Australie en tant que maître de conférences en théologie et doyen associé de la recherche et du développement académique. Il a étudié et travaillé en Pologne, en Irlande et en Australie, et a donné des conférences et publié des articles à l’échelle internationale sur un certain nombre de sujets théologiques. Il s’intéresse à la théologie catholique contemporaine, à la liturgie, aux sacrements, au Concile Vatican II, aux intersections entre l’ecclésiologie et la théologie morale, à la foi et à la raison, et à la théologie systématique générale.
Dans les religions pré-chrétiennes, le sacrifice était toujours associé à la destruction et à l’expiation : l’homme, conscient de sa culpabilité, voulait offrir à Dieu (ou aux dieux) quelque chose qui lui apporterait le pardon et la réconciliation. En même temps, ces tentatives de réconciliation avec la divinité étaient toujours accompagnées d’un sentiment d’inadéquation et d’insuffisance : l’offrande ne pouvait toujours être qu’un remplacement du véritable don, qui est l’homme lui-même. Les animaux ou les fruits de la récolte ne pouvaient pas satisfaire Dieu et ne pouvaient servir que de représentation imparfaite de celui qui les offre. Source de l’image : AB/Wikipdedia
Romains 12,1 doit être l’une des citations bibliques préférées de Joseph Ratzinger/Benoît XVI. Elle apparaît dans plusieurs de ses principaux ouvrages sur la liturgie, et elle est souvent utilisée dans son traitement de la nature sacrificielle de l’Eucharistie. Dans ce passage, saint Paul écrit : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à présenter vos corps comme un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu, ce qui constitue votre culte spirituel » (Revised Standard Version). L’idée de « culte spirituel » (Gr. λογικὴν λατρεία) est traduite dans la langue anglaise de diverses manières : la New International Version parle de » culte vrai et approprié « , la Douay Rheims-American Edition de « service raisonnable « , l’American Standard Version de « service spirituel « , la Christian Standard Bible de » vraie culte « , le Phillips New Testament in Modern English de » culte intelligent « , la New American Standard Bible de » service spirituel du culte « , la New Catholic Bible de » un acte spirituel de culte » et la New English Translation de « service raisonnable « .
Dans l’Ancien Testament, des sacrifices sanglants d’animaux devaient être offerts par les prêtres à Dieu afin de reconnaître sa souveraineté et d’obtenir sa bénédiction. Cependant, le culte du Temple prescrit par la Loi « était aussi toujours accompagné d’un vif sentiment de son insuffisance. » Le peuple de Dieu s’est lentement et progressivement rendu compte qu’il n’y avait rien qu’il puisse offrir à Dieu qui possède tout. Dieu voulait autre chose…. Source de l’image : AB/Wikipedia
Pour comprendre ce que cette idée signifie pour Ratzinger, nous devons la placer dans le contexte de sa compréhension générale du sacrifice au sens chrétien (saint Paul parle de « sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu »). Dans L’esprit de la liturgie (SL), Ratzinger estime que la véritable signification du sacrifice chrétien (c’est-à-dire la messe) est « enfouie sous les débris d’interminables malentendus » (SL, 27) et que cela pose des problèmes non seulement dans le dialogue œcuménique avec les chrétiens non catholiques, mais aussi dans le débat théologique et liturgique interne au catholicisme.
Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre.
Romains 12,1
Le Sacrifice avant le Christ
Ratzinger croit que « dans toutes les religions, le sacrifice est au cœur du culte » (SL, 27) et que la centralité de ce concept dans l’histoire des religions est l’expression de quelque chose d’important, une réalité qui nous concerne également (SL, 19). Dans les religions préchrétiennes, le sacrifice était toujours associé à la destruction et à l’expiation : l’homme, conscient de sa culpabilité, voulait offrir à Dieu (ou aux dieux) quelque chose qui lui apporterait le pardon et la réconciliation. En même temps, ces tentatives de réconciliation avec la divinité étaient toujours accompagnées d’un sentiment d’inadéquation et d’insuffisance : l’offrande ne pouvait toujours être qu’un remplacement du véritable don, qui est l’homme lui-même. Les animaux ou les fruits de la moisson ne pouvaient pas satisfaire Dieu et ne pouvaient servir que de représentation imparfaite de celui qui les offre.
On peut dire la même chose du système sacrificiel de l’Ancien Testament. Des sacrifices sanglants d’animaux devaient être offerts par les prêtres à Dieu afin de reconnaître sa souveraineté et d’obtenir sa bénédiction. Cependant, le culte du Temple prescrit par la Loi « était toujours accompagné d’un vif sentiment de son insuffisance » (SL, 39). Le peuple de Dieu s’est lentement et progressivement rendu compte qu’il ne pouvait rien offrir à Dieu qui possède tout. Dieu voulait autre chose : « Plus précieuse que le sacrifice est l’obéissance, la soumission meilleure que la graisse des béliers ! » (1 Samuel 15, 22) ; » Je désire l’amour inébranlable et non les sacrifices, la connaissance de Dieu, plutôt que les holocaustes » (Osée 6, 6). Cela a été confirmé par Dieu lui-même qui, par l’intermédiaire des prophètes, a accusé Israël de cultiver des gestes vides qui ne s’accompagnent pas d’une transformation intérieure du cœur : » Si j’avais faim, je ne te le dirais pas, car le monde et tout ce qu’il contient est à moi. Est-ce que je mange la chair des taureaux, ou est-ce que je bois le sang des chèvres ? Offre à Dieu un sacrifice d’action de grâces, et fais tes vœux au Très-Haut » (Psaume 50 [49], 12-14) ; ou encore : « Je déteste, je méprise vos fêtes, et je ne prends aucun plaisir à vos assemblées solennelles. Vous me proposez vos holocaustes et vos offrandes de céréales, mais je ne les accepte pas, et je ne regarde pas les sacrifices de paix de vos bêtes grasses. Éloigne de moi le bruit de tes chants, je n’écouterai pas la mélodie de tes harpes » (Amos 5:21-23).
Le véritable abandon à Dieu consiste en l’union de l’homme et de la création avec Dieu. l’appartenance à Dieu n’a rien à voir avec la destruction ou le non-être : il s’agit plutôt d’une manière d’être. cela signifie se perdre soi-même comme seule manière possible de se trouver soi-même.
Un tournant s’est produit avec l’exil à Babylone. En terre étrangère, il n’y avait pas de Temple, pas de forme publique et communautaire du culte divin tel que décrété dans la loi. Israël était privé de culte et se tenait devant Dieu les mains vides. Or, c’est précisément cette situation de crise qui a entraîné une révision de la théologie du culte dans l’Ancien Testament. C’est précisément « le vide même des mains d’Israël, la lourdeur de son cœur, qui devait désormais être un culte, servir d’équivalent spirituel aux oblations manquantes du Temple ». Ce sont les souffrances d’Israël » par Dieu et pour Dieu, le cri de son cœur brisé, sa plaidoirie persistante devant le Dieu silencieux, qui devaient compter à ses yeux comme des « sacrifices gras » et des holocaustes entiers » (SL, 45).
La situation dans laquelle se trouvait Israël a coïncidé avec la rencontre de la critique grecque du culte en tant que tel. Celle-ci a conduit au développement de l’idée de λογικὴν λατρεία (θυσία) : le culte spirituel, le culte selon le Logos, c’est-à-dire selon la raison. C’est à cette idée que Romains 12,1 fait allusion. Dans l’Ancien Testament, le peuple de Dieu a fini par se rendre compte que la reconnaissance de la souveraineté de Dieu sur toutes choses ne consiste pas en une destruction, mais en quelque chose de complètement différent. Comme l’affirme Ratzinger, « [la véritable reddition à Dieu] consiste dans l’union de l’homme et de la création avec Dieu. L’appartenance à Dieu n’a rien à voir avec la destruction ou le non-être : elle est plutôt une manière d’être. Cela signifie se perdre soi-même comme la seule manière possible de se trouver soi-même (cf. Marc 8, 35 ; Matthieu 10, 39) » (SL 28, « Théologie de la Liturgie » (TL), 25).
En même temps, un aspect important est ajouté ici par Ratzinger, à travers l’influence de son grand maître, saint Augustin d’Hippone. Cette transformation conduisant à l’union de l’être humain avec Dieu, qui est le vrai et propre sacrifice agréable à Dieu, ne doit pas être réalisée seulement au niveau des individus, mais au niveau de la communauté. Il y a donc une composante ecclésiologique très importante dans la pensée de Ratzinger. Augustin enseigne que le véritable accomplissement du culte a lieu lorsque « toute la communauté humaine rachetée, c’est-à-dire l’assemblée et la communauté des saints, est offerte à Dieu en sacrifice par le Grand Prêtre qui s’est offert lui-même » (Cité de Dieu, X,8 ; voir : TL, 25). En d’autres termes, « le sacrifice, c’est nous-mêmes…, la multitude : un seul corps dans le Christ » (TL, 25) ; « le véritable « sacrifice » est la civitas Dei, c’est-à-dire l’humanité transformée par l’amour, la divinisation de la création et l’abandon de toutes choses à Dieu : Dieu tout en tous (cf. 1 Corinthiens 15, 28). Telle est la finalité du monde. C’est l’essence du sacrifice et du culte » (SL, 25).
La théologie de Ratzinger sur le sacrifice du Christ est largement fondée sur sa lecture de l’Évangile de saint Jean et de la Lettre aux Hébreux. De l’épître aux Hébreux, Ratzinger retient l’idée que le sacrifice du Christ est offert une fois pour toutes, sur l’autel de la croix, le Christ étant le nouveau et ultime Grand Prêtre. De Jean, il retient l’idée que le Christ est aussi le nouveau temple. Source de l’image : AB/Wikimedia. Giovanni Bellini (vers 1430 -1516)
La nouvelle alliance et l’Eucharistie
Si le fait de lier les sacrifices d’animaux à l’idée d’un culte selon la raison/Logos était un pas dans la bonne direction, la nature humaine est toujours constituée d’un esprit et d’un corps. Si l’aspect spirituel du culte est premier et essentiel, la nature humaine aspire toujours à une expression extérieure de cette soumission intérieure à Dieu. C’est là que le concept grec de λογικὴν λατρεία tombe à plat, car il ne rend pas justice à la condition pscyhosomatique humaine – notre lutte naturelle pour exprimer notre dimension spirituelle par des moyens physiques. C’est là qu’arrive l’accomplissement final de cette idée avec l’événement de l’Incarnation du Logos, le Fils divin – dans lequel, finalement, Dieu et l’homme se rencontrent en une seule personne, le Christ.
La théologie de Ratzinger sur le sacrifice du Christ est largement fondée sur sa lecture de l’Évangile de saint Jean et de la Lettre aux Hébreux. De l’épître aux Hébreux, Ratzinger retient l’idée que le sacrifice du Christ est offert une fois pour toutes, sur l’autel de la croix, le Christ étant le nouveau et ultime Grand Prêtre. De Jean, il tire l’idée que le Christ est aussi le nouveau temple – c’est son humanité que Jésus a à l’esprit lorsqu’il annonce : » Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai » (Jean 12,19). L’événement de la purification du Temple est plus qu’un simple coup de colère contre les marchands et les abus qui avaient lieu à cette époque. C’est « une attaque contre le culte du Temple, dont faisaient partie les animaux sacrifiés et l’argent spécial du Temple collecté à cette occasion » (SL, 43). La mort du Christ sur la croix, suivie de la déchirure du rideau du Temple en deux, puis, dans les années à venir, de la destruction physique du Temple, a mis fin à l’ancienne économie du culte et inauguré la nouvelle : le vrai culte aura désormais lieu dans le nouveau Temple, dans le Christ lui-même, qui est la demeure du Père et de l’Esprit.
Les désirs de tous les systèmes religieux pré-chrétiens et le dynamisme du culte de l’ancien testament sont pleinement réalisés dans le sacrifice de la messe.
Le sacrifice de Jésus sur la croix, cependant, est constamment re-présenté par l’Église lorsque le sacrement de l’Eucharistie est célébré. L’événement une fois pour toutes dépasse les frontières historiques et déborde sur le passé et le présent : si nous mentionnons Abel, Abraham et Melchisédek dans le Canon romain comme ceux qui participent également à l’offrande de l’Eucharistie, alors dans la célébration de la messe nous avons affaire à quelque chose de plus qu’un simple mémorial compris comme le souvenir d’un événement important du passé. Comme l’explique Ratzinger, le εφάπαξ, c’est-à-dire une fois pour toutes, est lié au αἰώνῐος, c’est-à-dire éternel ; et le semel, c’est-à-dire une fois, porte en lui le semper, c’est-à-dire toujours (SL, 56-57).
C’est dans le contexte de la célébration chrétienne de l’Eucharistie qu’il faut comprendre l’énoncé de Paul dans Romains 12,1. Notre « culte spirituel » consiste en notre soumission à Dieu « en esprit et en vérité » (Jean 4,24). Cette soumission est intérieure (spirituelle), mais aussi physique (corporelle)-même si pour » corps » Paul utilise le terme grec plus générique σῶμα plutôt que le plus spécifique σάρξ, il ne fait aucun doute qu’il parle ici de la personne entière. Cette soumission de la personne humaine n’a pas lieu, en quelque sorte, de manière isolée ou parallèle à la soumission du Christ au Père représentée dans l’Eucharistie, mais en relation profonde avec elle. Dans l’Eucharistie, l’élément spirituel est combiné avec l’élément physique – à travers les signes et les actions visibles, des réalités invisibles et spirituelles prennent place. Les aspirations de tous les systèmes religieux pré-chrétiens et le dynamisme du culte de l’Ancien Testament se réalisent pleinement dans le sacrifice de la Messe, où l’offrande physique ne peut être un simple geste vide qui peut (ou non) exprimer une disposition intérieure de la personne. La personne qui offre ce sacrifice, le Christ lui-même, offre au Père son esprit et son corps, et l’Église est invitée et entraînée dans ce processus de soumission dans l’amour. Les deux faces d’une même médaille, l’offrande extérieure et la disposition intérieure, deviennent dans le Christ la réalité, et elles se perpétuent dans le don de l’Eucharistie.
Tout comme la philosophie peut préparer le terrain pour la foi (« le dieu des philosophes » est en même temps le dieu biblique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob), l’idée grecque de « culte spirituel/raisonnable » peut être comprise comme une préparation au vrai culte « en esprit et en vérité » qui vient avec la révélation du logos incarné.
Culte : raisonnable, spirituel et vrai
La façon dont Ratzinger comprend le concept de λογικὴν λατρεία dans Romains 12:1 est révélatrice de la façon dont il comprend la relation générale entre les idées qui proviennent de l’extérieur du christianisme, et la révélation divine que nous connaissons par la Bible et la Tradition. Tout comme la philosophie peut préparer le terrain pour la foi (« le Dieu des philosophes » est en même temps le Dieu biblique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob), l’idée grecque de « culte spirituel/raisonnable » peut être comprise comme une préparation au vrai culte « en esprit et en vérité » qui vient avec la révélation du Logos incarné. Les écritures et la théologie chrétiennes reprennent les concepts et les idées non chrétiennes qui indiquent la bonne direction et les remplissent d’une nouvelle signification, la signification ultime qui vient de Jésus-Christ, le Verbe (Logos) du Père.
Cet accomplissement ne complète pas la révélation chrétienne avec quelque chose qu’elle ne posséderait pas autrement ; mais il aide à faire ressortir et à articuler ces éléments qui sont déjà là, même s’ils ne sont pas toujours présents de manière évidente, ou même s’ils ne sont pas perçus avec facilité. Le dialogue entre la raison humaine et la foi a lieu dans tous les domaines de la théologie, y compris dans celui de la liturgie et des sacrements. Les catholiques sont habitués depuis longtemps à unir leurs propres offrandes au Sacrifice de la Messe. L’analyse que fait Ratzinger de Romains 12,1 nous aide à comprendre encore mieux la relation intérieure qui existe entre le sacrifice de l’autel et nos propres offrandes spirituelles que nous apportons à l’Eucharistie, afin que le culte promis « en esprit et en vérité » (Jean 4,24) devienne une réalité toujours plus complète dans nos vies.
Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.
Au quatrième siècle, la ville de Rome n’est plus le centre du pouvoir politique, mais sa culture classique conserve une emprise sur les élites de l’Empire romain. À partir du pape Damas (r. 366-384), un effort conscient a été fait pour évangéliser les symboles de la culture romaine pour la foi chrétienne. Une partie de ce projet consistait à christianiser l’espace public par le biais d’un vaste programme de construction qui devait transformer Rome en une ville dominée par les églises[1]. Une autre partie importante de ce projet était la christianisation du temps public ; un cycle de fêtes chrétiennes tout au long de l’année remplaçait les célébrations païennes, comme le montre le depositio martyrum de la Chronographie de 354. Ce calendrier liturgique, que l’on peut dater de l’année 336, commence par la fête de la Nativité du Christ (25 décembre) et énumère les célébrations des martyrs de Rome avec le lieu de la ville où ils étaient commémorés[2].
Le grec occupait une place considérable dans le culte des premières communautés chrétiennes de Rome, et on trouve encore des traces de son usage au milieu du IVe siècle. La formation d’un idiome liturgique latin, qui faisait partie de cet effort de grande envergure, ne peut pas être simplement décrite comme l’adoption de la langue vernaculaire dans la liturgie, si l’on entend par « vernaculaire » le terme « familier ». Le latin du canon, des collectes et des préfaces de la messe était une forme de discours très stylisée, façonnée pour exprimer des idées théologiques complexes, et n’aurait pas été facile à suivre pour le chrétien romain moyen de l’Antiquité tardive. De plus, l’adoption de la latinitas rendait la liturgie plus accessible à la plupart des habitants de la péninsule italienne, mais pas à ceux d’Europe occidentale ou d’Afrique du Nord dont la langue maternelle était le gothique, le celtique, l’ibérique ou le punique.
La canon de la messe
La source la plus importante pour la prière eucharistique romaine primitive est la série de catéchèses d’Ambroise de Milan pour les nouveaux baptisés, datant d’environ 390, connue sous le titre De sacramentis. Ambroise note qu’il suit en tout le » modèle et la forme » de l’Église romaine, ce qui implique que la même prière eucharistique qu’il cite était également utilisée à Rome[3]. [Les prières qu’il cite correspondent au noyau du Canon missae ultérieur : la première prière épiclétique demandant la consécration des offrandes eucharistiques (Quam oblationem), le récit de l’institution (Qui pridie), l’anamnèse et l’acte d’offrande (Unde et memores), la prière pour l’acceptation du sacrifice (Supra quae), et la deuxième prière épiclétique pour les fruits spirituels de la communion sacramentelle (Supplices te rogamus)[4].
Le plus ancien témoignage physique disponible du canon, bien que sous une forme quelque peu déformée, est le Missel de Bobbio, une source importante pour la tradition gallicane datant du début du VIIIe siècle. Le texte qui apparaît, avec des variations mineures, dans l’ancien sacramentaire gélasien du milieu du huitième siècle, reflète la pratique liturgique romaine du milieu du septième siècle, si ce n’est plus tôt. Les différences entre la prière eucharistique d’Ambroise et le canon reçu sont beaucoup moins remarquables que leurs similitudes, étant donné que les plus de deux siècles qui les séparent ont été une période de développement liturgique intense et dynamique.
La rhétorique du salut
La prière liturgique est une forme de discours public, et c’est pourquoi, dans l’Antiquité chrétienne, les trois officia (devoirs ou tâches) de la rhétorique classique lui ont été appliqués : la prière liturgique est un moyen d’enseigner la foi (docere) ; la beauté de son langage fait appel au sens esthétique des fidèles (delectare) ; et sa force rhétorique incite les fidèles à une vie vertueuse (movere)[5]. Les prières liturgiques qui nous sont parvenues dans les sacramentaires romains du haut Moyen Âge ont donc été rédigées selon des règles techniques de composition. Le caractère rhétorique de ces textes est évident dans la prière eucharistique citée par Ambroise. Par exemple, la formule de demande « et petimus et precamur »[6] (« nous demandons et prions tous les deux ») est un exemple de doublement du verbe, qui est typique du culte classique (païen). Ce trait stylistique se retrouve également dans la section Te igitur du canon grégorien, mais sans l’allitération : « supplices rogamus ac petimus » (« nous faisons une humble prière et une pétition »).
Un autre exemple de rhétorique efficace dans la prière liturgique est l’accumulation de quasi-synonymes. Chez Ambroise, la requête d’accepter l’oblation est intensifiée par trois épithètes : Dans la prière Quam oblationem du canon grégorien, cette séquence est portée à cinq épithètes : » Que cette offrande soit agréée, raisonnable, acceptable » (scriptam, rationabilem, acceptabilem) [7] : » Laquelle oblation il te plaît, ô Dieu, nous t’en prions, de rendre en toutes choses bénie, approuvée, ratifiée, raisonnable et acceptable » (benedictam, adscriptam, ratam, rationabilem, acceptabilemque), avec l’ajout notable du terme juridique » ratus » ( » ratifié, valide « ).
Les collectes
Les prières présidentielles appelées collectes ont une origine plus tardive que la prière eucharistique et pourraient remonter à la première moitié du Ve siècle. Leur style typique est déjà bien établi dans les premiers exemples qui nous sont parvenus dans le manuscrit de Vérone (également connu sous le nom de « Sacramentaire léonin »), qui date du premier quart du VIIe siècle, mais qui contient des éléments datés de 400 à 560. Le style des collectes est laconique, équilibré et économique dans l’expression ; chaque prière consiste généralement en une seule phrase, même si la syntaxe peut parfois être complexe. Dans son étude des collectes dominicales du Missale Romanum, où sont conservés les matériaux euchologiques les plus anciens du rite romain, Mary Gonzaga Haessly fait la distinction entre une Protasis (prélude), qui est « la base ou l’arrière-plan de la Pétition », et une Apodosis (thème), qui « est, en général, la partie de la Collecte qui exprime le but de la Prière, ou l’objectif vers lequel elle tend »[8]. Cette structure peut être illustrée par l’exemple d’une collecte dominicale déjà contenue dans l’ancien sacramentaire gélasien (milieu du VIIIe siècle). Cette prière est remarquable par sa beauté littéraire et sa richesse théologique :
Dieu tout-puissant, toujours vivant, qui dans l’abondance de ta bonté surpasse les mérites et les désirs de ceux qui t’implorent, répands ta miséricorde sur nous : pour pardonner ce que la conscience redoute et donne ce que la prière n’ose pas demander. Par notre Seigneur…. [9]
Les préfaces
C’est une caractéristique des liturgies occidentales que la préface, considérée à l’origine comme le début de la prière eucharistique, varie selon le temps liturgique ou la fête. Son thème général, qui est la louange et l’action de grâce pour l’économie divine du salut, conduit au cœur du sacrifice eucharistique. La préface correspond à l’appel du célébrant au peuple : « Élevez vos cœurs » (Sursum corda), et présente un ton lyrique distinct. Le grand nombre de préfaces dans les sources romaines anciennes suggère que l’improvisation et la nouvelle composition ont prévalu ici pendant une plus longue durée que pour les autres parties de la messe. L’exemplaire du sacramentaire grégorien, envoyé par le pape Hadrien Ier à Charlemagne à la fin du VIIIe siècle (l’Hadrianum), ne comporte que 14 préfaces, et ce schéma a prévalu au cours du Moyen Âge, lorsque le nombre de préfaces a été strictement limité. Cet élagage était sans doute trop radical, mais il y avait de bonnes raisons à cela : de nombreuses préfaces anciennes sont abondantes dans leur style et leur contenu, et elles introduisent des thèmes idiosyncrasiques qui peuvent nuire à la louange et à l’action de grâce à Dieu, qui marquent l’ouverture de la prière eucharistique. Le Missale Romanum de 1570 compte 11 préfaces, auxquelles plusieurs ont été ajoutées au XXe siècle. Après le Concile Vatican II, le corpus des préfaces a été considérablement élargi pour atteindre 81 dans le Missale Romanum de 1970, et d’autres ont été ajoutées dans les deuxième et troisième éditions typiques[10].
Conclusion
Les quatrième et cinquième siècles constituent une étape cruciale dans le développement de la liturgie latine. Le canon et les prières variables de la messe s’inspirent du style de la prière païenne, mais leur vocabulaire et leur contenu sont typiquement chrétiens, voire bibliques. Leur diction évite l’exubérance du style de prière des chrétiens orientaux, un style que l’on retrouve également dans la tradition gallicane. Beaucoup des premiers recueils sont considérés comme des chefs-d’œuvre littéraires. Christine Mohrmann parle à juste titre de la combinaison fortuite d’un renouvellement du langage, inspiré par la nouveauté de la révélation chrétienne, et d’un traditionalisme stylistique profondément enraciné dans le monde romain[11]. La formation de cet idiome liturgique a contribué de manière significative à l’effort global des dirigeants de l’Église de l’Antiquité tardive pour évangéliser la culture classique. Dans le prochain épisode, j’examinerai la liturgie statique papale, qui a été décisive pour le développement de la forme rituelle de la messe romaine.
See the beautifully illustrated volume by Hugo Brandenburg, Ancient Churches of Rome from the Fourth to the Seventh Century: The Dawn of Christian Architecture in the West, trans. Andreas Kropp, Bibliothèque de l’Antiquité Tardive 8 (Turnhout: Brepols, 2005). ↑
See Paul F. Bradshaw and Maxwell E. Johnson, The Origins of Feasts, Fasts and Seasons in Early Christianity (Collegeville, MN: Liturgical Press, 2011), 175. ↑
Ambrose, De sacramentis IV,5,21-22; 6,26-27: CSEL 73,55 and 57. The term “canon” seems to have been used first in the sixth century; the oldest known reference to “prex canonica” is Pope Vigilius, Ep. ad Profuturum, 5: PL 69,18. ↑
See Mary Gonzaga Haessly, Rhetoric in the Sunday Collects of the Roman Missal: with Introduction, Text, Commentary and Translation (Cleveland: Ursuline College for Women, 1938), 5. ↑
Haessly, Rhetoric in the Sunday Collects of the Roman Missal, 13. ↑
Roman Missal: Renewed by Decree of the Most Holy Second Ecumenical Council of the Vatican, Promulgated by Authority of Pope Paul VI and Revised at the Direction of Pope John Paul II, English translation according to the third typical edition (London: Catholic Truth Society, 2011), Twenty-Seventh Sunday in Ordinary Time. ↑
See The Prefaces of the Roman Missal: A Source Compendium with Concordance and Indices, ed. Anthony Ward and Cuthbert Johnson (Rome: C.L.V.–Edizioni liturgiche, 1989). ↑
See Christine Mohrmann, Liturgical Latin: Its Origins and Character: Three Lectures (London: Burns & Oates, 1959). ↑
Esprit de la Liturgie a le plaisir de publier cette tribune libre de Dom Alcuin Reid, dont nous partageons le propos sans être associés à son monastère.
Dom Alcuin Reid est historien de la liturgie, spécialiste du Mouvement Liturgique et des réformes du rite romain au XXème siècle.
Titre original : Pope Benedict XVI’s liturgical uncategorisability Vous pourrez trouver le texte original en anglais sous sa traduction française.
Le problème que posait Benoît XVI est qu’on ne pouvait pas le mettre dans une case ou lui coller une étiquette politique. Pour ceux qui vivent dans de telles cases, c’est là un obstacle infranchissable. Pour un traditionaliste, comment ce pape pouvait-il approuver la célébration de la liturgie d’après la réforme liturgique ? Pour les positivistes ultramontains (dont le positivisme s’arrête brusquement au 6 août 1978) comment pouvait-il réhabiliter, et encore pire, libérer, la liturgie d’avant la réforme ? Pour le sempiternellement anonyme “tradical” d’Internet, quelque soit la date de l’histoire de la liturgie à laquelle il se réfère, Benoît XVI n’est ni un traditionaliste d’une quelconque espèce, ni un moderniste : il est une incompréhensible énigme.
Dans une certaine mesure, c’est chose fâcheuse. Il est bien pratique, sur les plans psychologique, sociologique, théologique et liturgique, de se trouver une boîte, de s’y réfugier, et de profiter de la camaraderie qui y règne, pour ainsi dire. Ceux qui sont dedans vous applaudiront ; ceux qui sont dehors sont un rebut voué à la perdition. Mais que faire de quelqu’un qui jette un coup d’œil par-dessus le bord de la boîte, qui comprend et compatit avec les raisons de s’y réfugier, mais qui comprend également qu’il y a, et doit y avoir, une vie en-dehors d’elle aussi bien qu’au-dedans ?
Tel, en effet, était Joseph Ratzinger ; tel, également, Benoît XVI – sur les plans liturgique, ecclésial, pastoral. Il connaissait en effet la tradition, et il savait combien elle avait besoin – pour user d’un mot piégé – d’aggiornamento : d’un renouveau, d’un ressourcement en parfaite continuité avec la Tradition, qui permettrait à la splendeur de la Tradition de rayonner à nouveau avec clarté, et de jeter sur notre monde sordide sa lumière salvatrice.
Oui, tel était Joseph Ratzinger, prêtre, théologien, peritus au plus récent Concile Œcuménique, Archevêque, Cardinal-Préfet, et Pape. C’était un homme déconcertant, jamais disposé à s’asservir à un parti politique, qu’il soit ecclésial ou mondain. Il préférait, pour trouver l’inspiration, se tourner vers l’Orient, plutôt que vers les hommes.
Cependant, comme souvent lorsque l’âge et de grandes responsabilités pèsent sur les épaules et la conscience, il avait désigné de claires priorités pour son ministère comme Souverain Pontife de l’Église Universelle. La première était d’enseigner clairement l’idéal : liturgiquement, cela se retrouve dans son Exhortation Apostolique de 2007 Sacramentum Caritatis. Les “tradicaux” ne l’ont probablement jamais lue – elle y admet que les rites d’après la réforme existent ! Mais ils apprendraient beaucoup s’ils la lisaient. Ceux pour qui prennent les rites postconciliaires comme marque idéologique ne sont pas en reste : dans Sacramentum Caritatis, Benoît XVI replace ces rites dans le seul contexte où ils peuvent constituer des éléments acceptables dans la tradition liturgique catholique – dans une herméneutique de la continuité avec tout ce qui est reçu dans la Tradition. Le rejet de ces efforts sans autre forme de procès, même sur ce point, par tant de gens, est un témoignage suffisamment éloquent.
La deuxième priorité était l’application de ces principes, comme on le voit dans le Motu Proprio Summorum Pontificum de la même année – avec Anglicanorum Coetibus (2009), tous deux des exercices exceptionnels de la juridiction papale à notre époque. Summorum Pontificum est une autre leçon d’histoire de la liturgie, une leçon sur la nature de la Tradition catholique, et une leçon d’ecclésiologie, Le Souverain Pontife a acté qu’il était impossible d’interdire les anciennes liturgies du rite romain, non à cause de sa préférence personnelle, mais à cause de la nature de l’Église, de la Sainte Liturgie, et de la Tradition. L’Histoire s’en souviendra, une fois que les chiens auront cessé d’aboyer, comme d’une affirmation selon la réalité et la vérité, et non selon une préférence politique ou une idéologie : ceux qui la traitent ainsi se couvrent tout simplement de ridicule.
De même, Summorum Pontificum fut une sage réalisation de “ce que l’Esprit dit aux Églises” (Apocalypse 3:22). Benoît XVI pouvait voir clairement que beaucoup de gens, dont un grand nombre de jeunes, faisaient l’expérience, dans les rites anciens de l’Église, de cette participation pleine, consciente et réelle aux rites liturgiques à laquelle le Second Concile du Vatican avait appelé (cf. Sacrosanctum Concilium, 14). Bien que cela eût été tout à fait inattendu (puisque tout le monde partait du principe que les réformes du rite étaient essentielles pour atteindre à cette participation désirée par le Concile), c’était et est toujours une réalité vivante et fertile dans l’Église du vingt-et-unième siècle. Cette réalité doit non seulement être reconnue, mais aussi, pour le bien de l’Église et le salut des âmes, doit pouvoir vivre et croître, libre des contraintes de tant de potentats, dont les carrières ecclésiastiques incarnent à la perfection la fanfaronnade du “Modern Major-General” de Gilbert et Sullivan et de son insolent succès: “Et je n’ai jamais pensé à penser par moi-même”!
Joseph Ratzinger/Benoît XVI pensait bien par lui-même, de même que, fervemment, il priait, et aimait profondément. Voilà pourquoi il ne tenait pas dans une boîte (ni ne risquait d’y tomber). Ceux d’entre nous qui seraient tentés d’y trouver refuge feraient bien d’apprendre de sa sagesse et de son courage. Il y a du bon et du moins bon dans et au-dehors des frontières que nous avons nous-même tracées. Nous devons acquérir – et plaise à Dieu que Benoît XVI puisse bientôt intercéder pour nous à cette intention – la capacité à sortir de nos boîtes, qu’elles soient de carton, de verre, de cristal, de pierre, et à reconnaître, apprécier et contribuer à tout ce qui est vrai, beau et bon (et reconnaître clairement ce qui ne l’est pas) dans les circonstances si rapidement changeantes de l’Église et du monde au début du vingt-et-unième siècle.
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The problem with Pope Benedict XVI is that he did not fit into a neat category or political camp. For those who live inside such ideological boxes`, this is an insurmountable obstacle. For a liturgical traditionalist, how could he countenance the celebration of the reformed liturgical rites? For the papal positivists (whose positivism often goes no further than 6 August 1978) how could he rehabilitate, let alone liberate, the unreformed liturgical rites? For the on-line and ever-anonymous ‘rad-trad’ of whatever particular date in liturgical history he self-defines, Benedict XVI is neither a traditionalist of any sort, nor a modernist: he is simply an incomprehensible enigma.
To a certain extent this is an obstacle. It is utterly convenient psychologically, socially, theologically and liturgically to find a box (or to ‘purchase’ one on-line) and to jump into it and to enjoy the camaraderie, as it were. Those inside will cheer. Those outside it are fated to perdition. But what of someone who looks over the edge of the box, who understands and sympathises with the reasons for retreating into it, but who also understands that there is—and indeed there must be—life outside of it as well as within?
For such was Joseph Ratzinger; such was Pope Bendedict XVI—liturgically, ecclesiologically, pastorally. For he knew the tradition and he knew its need for—to use a loaded word—aggiornamento: for a renewal, a ressourcement, in utter continuity with Tradition, which would allow the splendour of the Tradition to shine anew with clarity and shed its saving light in the sordid world of our day.
Such indeed was Joseph Ratzinger, priest, theologian, peritus at the most recent ecumenical Council, Archbishop, Cardinal Prefect, and Pope. He was a disconcerting man, never ready to subscribe to a political party—ecclesiastical or secular. He preferred to turn toward the East for his inspiration, rather than to any human.
Yet, as happens to many when age and greater responsibility weighs on one’s shoulders (and one’s conscience), he delineated particular priorities for his ministry as Supreme Pontiff of the Universal Church. The first was clearly to teach the ideal: liturgically we have this in his 2007 Apostolic Exhortation Sacramentum Caritatis. Rad-trads have probably never read it—it admits of the existence of the reformed rites! But they would learn very much if they did. So would those for whom the new rites are an ideological benchmark: in Sacramentum Caritatis Pope Benedict places them in the only context in which they can be acceptable elements of Catholic liturgical tradition—in that of a hermeneutic of continuity with all that is received in Tradition. The a priori exclusion of his efforts even here by so many speaks loudly and clearly for itself.
The second priority was the application of the principles, and we see this in the Motu Proprio Summorum Pontificum of the same year—along with Anglicanorum Coetibus (2009), both exceptional exercises of papal jurisdiction in modern times. Summorum Pontificum is another lesson in liturgical history, in the nature of Catholic Tradition and in ecclesiology. The Supreme Pontiff ruled that it was impossible to forbid the older rites of the Roman use not because of his own preference, but because of the nature of the Church, of the Sacred Liturgy and of Tradition. This, as history shall record once the petty partisans have passed, is an assertion of reality and of truth, not of a political preference or ideology. Those who treat it as the latter simply make fools of themselves.
So too, Summorum Pontificum was a wise recognition of “what the spirit is saying to the churches” (Rev. 3:22). Pope Benedict could see clearly that many, including large numbers of the young, were experiencing in the older rites of the Church that full, conscious and real participation in the liturgical rites for which the Second Vatican Council called (cf. Sacrosanctum Concilium, 14). Whilst this was utterly unexpected (everyone assumed that the ritual reforms were essential to the participation desired by the Council), it was and is a living, fruitful reality on the Church of the twenty-first century: one which must be not only acknowledged, but one which, for the good of the Church and the salvation of souls, must live and grow unfettered by the numerous potentates whose ecclesiastical careers more than incarnate the boast of Gilbert and Sullivan’s infamously ‘successful’ Modern Major-General: “And I never thought of thinking for myself at all”!
Joseph Ratzinger/Pope Benedict did think for himself, just as he prayed fervently and loved deeply. That is why he did not fit (or fall) into a box. We who may be tempted to take refuge in one need to learn from his wisdom and from his courage. There is good and bad within and without the demarcations we ourselves lay down. What we must acquire—and please God may Benedict XVI soon be able to intercede for us in so doing—is the ability step out of our boxes, be they made of cardboard, glass, crystal or stone, and to recognise, value and contribute to all that is true, beautiful and good (and clearly to recognise what is not) in the rapidly changing circumstances of the Church and the world at the beginning of the twenty-first century.
Dom Alcuin Reid. Prieur Monastère Saint-Benoit, Brignoles, France
Note d’Esprit de la Liturgie : Esprit de la Liturgie est heureuse de présenter au public francophone la traduction d’une série d’articles du père Ryan T. Ruiz s.l.d., sur l’histoire du canon romain, parue le 25 oct. et le 28 nov. 2022 dans les colonnes de la revue liturgique américaine Adoremus. Le père Ryan Ruiz est un prêtre de l’archidiocèse de Cincinnati. Il est actuellement doyen de l’école de théologie, directeur de la liturgie, professeur adjoint de liturgie et des sacrements, et membre du corps enseignant de formation au Mount St. Mary’s Seminary and School of Theology de Cincinnati. Le père Ruiz est titulaire d’un doctorat en liturgie sacrée de l’Institut liturgique pontifical de Sant’Anselmo, à Rome.
Dans sa réflexion sur la « catholicité » de l’Église, le cardinal Henri de Lubac (1896-1991) affirme que « l’Église n’est pas catholique » simplement « parce qu’elle est répandue sur toute la terre et qu’elle peut compter sur un grand nombre de membres » ; en effet, comme il le fait remarquer à juste titre, elle « était déjà catholique le matin de la Pentecôte, lorsque tous ses membres pouvaient être contenus dans une petite pièce ». « Au lieu d’une simple diffusion géographique, la « catholicité » de l’Église s’enracine plutôt dans la communion d’esprit et de cœur partagée par « l’homme nouveau », composé d’individus réunis en un seul Corps, un Corps dont la Tête est le Rédempteur2. Une réflexion similaire est reprise par Romano Guardini qui, dans L’esprit de la liturgie, affirme que la liturgie « n’est pas célébrée par l’individu, mais par le corps des fidèles », qui « n’est pas composé uniquement des personnes qui peuvent être présentes dans l’église », mais « dépasse les limites de l’espace pour embrasser tous les fidèles de la terre « 3.
Dans ce deuxième volet de notre série sur le Canon romain, nous passons d’un examen des fondements historiques du Canon à une discussion des diverses façons dont le Canon rappelle à l’Église militante – les fidèles ici sur terre – les liens de communion partagés aux niveaux local et universel. Cet essai analysera principalement un aspect du Canon qui souligne cette » catholicité » de l’Église et de sa liturgie – les prières d’intercession pour l’Église, qui comprennent également le Memento pour les vivants4 – tout en reconnaissant qu’il existe d’autres moments dans le Canon qui peuvent également servir à souligner la catholicité de l’Église5.
Aide souhaitée
La section du Canon traitant des intercessions générales pour les membres vivants de l’Église n’est pas unique à cette forme de la Prière eucharistique. En effet, toutes les Prières eucharistiques – tant dans le Rite romain que dans les Rites occidentaux orientaux et non romains6 – comprennent des commémorations similaires pour les vivants, ainsi que pour les morts.7 Cependant, en examinant ce que nous trouvons dans le Canon romain, nous constatons une certaine spécificité concernant les résultats attendus des requêtes offertes au nom de l’Église. L’aperçu des intercessions pour l’Église commence après que le prêtre ait humblement demandé au « Père très miséricordieux » d' »accepter et de bénir » l’oblation offerte. Une fois cela accompli, le prêtre identifie le premier bénéficiaire du sacrifice offert au Père : « pour votre sainte Église catholique ». Prosper Guéranger note que » le premier intérêt qui est en jeu, quand on dit la messe, c’est la sainte Église, que rien n’est plus cher à Dieu ; il ne peut manquer d’être touché, quand on parle de son Église « 8.
En effet, les prières offertes au nom de toute l’Église sont quelque chose de bien observé dans la vie des premiers martyrs, dont beaucoup, comme saint Polycarpe (69-155 ap. J.-C.) et saint Fructuosus de Tarragone (mort en 259 ap. J.-C.), ont magnifiquement offert leur vie pour « toute l’Église catholique ».9 Jungmann s’attache à noter les deux marques ecclésiales attribuées à l’Église dans cette section du Canon qui manifestent sa grandeur : « L’Église est sainte ; elle est l’assemblée de ceux qui sont sanctifiés dans l’eau et dans l’Esprit Saint. […] Et elle est catholique ; selon le plan de grâce de Dieu, l’Église est destinée à tous les peuples, et au moment où ce mot a été inséré dans le canon, on pouvait dire triomphalement qu’elle s’étendait effectivement à tous les peuples, toto orbe terrarum « 10.
Et quelle requête offrons-nous au nom de l’Église sainte et catholique de Dieu ? Que le Seigneur Dieu veuille « lui accorder la paix, la garder, l’unir et la gouverner dans le monde entier ». Les deux premiers éléments de la demande – accorder à l’Église la paix (pacificare) et la garder (custodire) – sont tautologiques, bien que le dernier (custodire) fournisse l’expression négative nécessaire du premier (pacificare), indiquant que pour que l’Église soit un ferment pour le monde, elle doit d’abord être protégée des dangers qui se dressent contre elle.11 Mais ce qui est peut-être plus important que ces deux premiers éléments, ce sont les deux derniers dans lesquels il est demandé au Seigneur d’unir et de gouverner son Église, en indiquant l’essence de la « catholicité », du moins dans l’esprit de de Lubac et de Guardini : l’Église doit éviter le poison de la division en se soumettant au Dieu d’amour, qui unit son peuple élu dans un lien familial.
Protéger les bergers…
Les instruments choisis pour favoriser ce lien familial de communion sont ensuite introduits dans notre champ de vision : « Avec ton serviteur N. notre Pape et N. notre évêque « 12 Le mot « papa » – « père » – tiré du grec « πάπας », était initialement utilisé en référence à l’évêque local. Ce n’est qu’à partir du VIe siècle que ce titre affectueux est réservé au nom de l’évêque de Rome, tandis que l’évêque local reçoit un titre différent, apparemment plus formel et plus sacral : « Antistite nostro », « notre évêque » ou « grand prêtre « 13.
L’élément essentiel de la communion à laquelle les fidèles sont appelés, tant avec l’Église locale qu’avec l’Église universelle, se voit ainsi attribuer un cadre de référence immédiat : non seulement avec mon propre évêque, qui occupe la première place dans ma sphère de vie ecclésiale la plus immédiate, mais aussi avec le Souverain Pontife, le papa, dont la mission est de « confirmer les frères ». « C’est ce que l’on retrouve dans d’autres rites où » ceux par qui l’Esprit de Dieu veut diriger l’Église et la maintenir en tant que société visible » sont tenus en haut dans les intercessions de l’Église au début de la Grande Prière de la Messe. En outre, les autres Églises particulières en communion avec le Siège apostolique et, par conséquent, avec les autres Églises locales individuelles, sont également prises en considération : « et tous ceux qui, fidèles à la vérité, transmettent la foi catholique et apostolique « 15.
…et les brebis
Bien que les pasteurs de l’Église occupent la première place dans cette section du Canon consacrée à l’intercession, ils le font principalement à la lumière de la mission de leur ministère sacré : nourrir les membres du troupeau qui, eux-mêmes, participent directement à l’offrande sacrificielle. Le Memento des vivants comporte un certain nombre de détails poignants qui rappellent aux fidèles leur statut de cohéritiers du sacerdoce royal de Jésus-Christ. Ce premier Memento, équilibré à la fin du Canon par le Memento pour les morts qui suit, commence par offrir au célébrant un espace pour rappeler toute intention particulière offerte au nom des membres vivants du Corps mystique du Christ : « Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs N. et N. « 16 Naturellement, lorsque le Canon a commencé à être prononcé à voix basse (la vox secreta) vers le milieu du VIIIe siècle17, l’articulation de ces noms était soit rappelée mentalement par le célébrant, soit prononcée dans la vox secreta par le célébrant, soit chuchotée à son oreille lors des messes où il était entouré d’assistants, comme dans la Missa solemnis18.
Cependant, un aperçu de l’un des objectifs précieux de cette section du Canon peut être glané dans le catéchuménat restauré qui a été demandé par Sacrosanctum Concilium,19 et les Messes rituelles spéciales pour la célébration des Scrutinies qui ont été établies par la suite dans le Missale Romanum actuel.20 Dans ces Messes rituelles, suivant le modèle établi par l’ancien Sacramentaire gélasien (Gelasianum vetus) du VIIIe siècle21 – un document contenant de nombreux détails précieux sur les rites de l’initiation chrétienne – le célébrant est chargé d’insérer les noms des parrains et marraines des élus dans le Canon à ce moment de la Prière eucharistique : « Lorsque le Canon romain est utilisé, dans la section Memento, Domine (Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs), il y a une commémoration des parrains et des marraines.22 De plus, le Missel prévoit que les noms des parrains et des marraines sont effectivement lus par le célébrant et ne sont pas simplement fournis de manière collective : « Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs qui doivent présenter tes élus à la sainte grâce de ton baptême, [rubrique : « On lit ici les noms des parrains et des marraines »] et de tous ceux qui sont réunis ici et dont la foi et le dévouement te sont connus.23 La raison pour laquelle on nomme les parrains et les marraines plutôt que les élus est claire : dans le contexte du Canon, les seuls noms mentionnés sont ceux qui appartiennent au sacerdoce royal des baptisés.
Ce concept nous est présenté dans la suite de cette section, où le célébrant parle de la « foi et de la dévotion » des fidèles réunis, pour lesquels le sacrifice est offert. Deux observations peuvent être faites ici. La première est la manière dont le texte latin désigne les fidèles comme « omnium circumstantium », ce qui se traduit en anglais par « all gathered here ». Le terme » circumstantes » ou, dans certaines versions anciennes du Canon, » circum adstantes « , n’a pas pour but d’indiquer que l’on se tient debout en cercle, bien que la position debout ait été la principale posture lors de l’écoute du Canon, comme elle l’est encore en droit universel.24 Ce terme reflète plutôt les anciennes liturgies basilicales, dans lesquelles l’autel se trouvait entre le sanctuaire et la nef, » de sorte que les fidèles – surtout s’il y avait un transept – pouvaient former un demi-cercle ou un ‘anneau ouvert’ autour de l’autel « .25
Cette idée prend tout son sens lorsqu’elle est mise en relation avec la deuxième idée du Canon qui parle de la manière d’offrir l’oblation, soit par l’intermédiaire du célébrant au nom des circonstants – » C’est pour eux que nous t’offrons ce sacrifice de louange » – soit par leur propre connexion spirituelle à l’action directe du célébrant à l’autel – » ou bien ils l’offrent pour eux-mêmes et pour tous ceux qui leur sont chers « . « 26 Cela nous rappelle la véritable nature de la participation active (actuosa participatio), en ce sens que les fidèles « ne sont pas des spectateurs oisifs, encore moins une foule profane, mais ils sont tous ensemble participants de cette action sacrée par laquelle nous nous tenons devant Toi, ô Dieu ».27 Et ils unissent leurs intentions à celle du prêtre-célébrant, maintenant les liens familiaux de communion non seulement avec leurs coreligionnaires, mais aussi avec « les leurs », leur famille, leurs voisins et leurs amis.
Mission… à accomplir
Dans cette section du Canon où nous avons réfléchi sur la mission de l’Église militante de favoriser la communion à l’intérieur et à l’extérieur des limites de l’espace physique de l’édifice ecclésial, nous nous rappelons les paroles du Saint-Père dans sa récente Lettre apostolique Desiderio Desideravi où il affirme que « l’Incarnation, en plus d’être le seul événement toujours nouveau que l’histoire connaisse, est aussi la méthode même que la Sainte Trinité a choisie pour nous ouvrir le chemin de la communion. La foi chrétienne est soit une rencontre avec Lui vivant, soit elle n’existe pas. La Liturgie nous garantit la possibilité d’une telle rencontre ».28 Le Canon romain, en tant que patrimoine privilégié du Rite romain, nous a donné l’occasion, en tant que membres vivants du Corps du Christ, de faire cette rencontre.
Dans le dernier volet de cette série, nous examinerons comment le Canon peut nous amener à solidifier non seulement notre communion avec les membres de l’Église dans le domaine temporel, mais aussi à solidifier cette communion avec les membres qui se trouvent dans les domaines surnaturels de la purification et de la béatitude.
Henri de Lubac, Catholicism: Christ and the Common Destiny of Man, tr. Lancelot C. Sheppard and Elizabeth Englund (San Francisco: Ignatius Press, 1988) 48-49.
De Lubac, Catholicism., 47.
Romano Guardini, The Spirit of the Liturgy, tr. Ada Lane (New York: The Crossroad Publishing Company/A Herder & Herder Book, 1998) 36 [“The Fellowship of the Liturgy”].
Missale Romanum (2002), Ordo Missae nn. 84–85, from the line “in primis, quae tibi offerimus” in the Te igitur section, to the conclusion of the Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum.
Two such moments that this essay will not be able to treat include the Anamnesis of the Canon (Ordo Missae n. 92–93, from the Unde et memores, through the conclusion of the Supra quae propitio ac sereno vultu), wherein we identify how the hierarchically established Church (“we, your servants and your holy people”) offers the oblation, and how she likewise does so in view of the types that had been established (Abel, Abraham, Melchizedek), thus foreshadowing Christ and His Paschal Mystery. The other moment is found in the Nobis quoque peccatoribus at the conclusion of the Memento for the dead (Ordo Missae n. 96), wherein the Church Militant’s petition for the clergy and faithful gathered at that Mass to receive God’s pardon and mercy is presented to the Lord.
Specifically, the Mozarabic Rite of Toledo, Spain, and the Ambrosian Rite of Milan, Italy.
Jungmann notes that the practice of inserting particular names and categories of people into the Eucharistic Prayer became solidified in the East in the fourth century, and then became a regular part of the Roman practice by at least the fifth century, as witnessed to by Pope St. Innocent I’s letter to Decentius, the Bishop of Gubbio. Josef Jungmann, The Mass of the Roman Rite: Its Origins and Development, Vol. I, tr. Francis Brunner (Notre Dame: Christian Classics, 1950) 53–54. Cf. Innocent I, Epistula 25, in Patrologia Latina, XX, ed. J.P. Migne (Paris, 1845) 553, 5.
Prosper Guéranger, On the Holy Mass (Farnborough, Hampshire: Saint Michael’s Abbey Press, 2006) 70–71.
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154: “When Bishop Polycarp of Smyrna (d. 155–156), upon being arrested, begged for a little time to pray, he prayed aloud for all whom he had known and for the whole Catholic Church, spread over the world. Another martyr-bishop, Fructuosus of Tarragona (d. 259), about to be burnt to death, answered a Christian who sought his prayer, saying in a firm voice: ‘I am bound to remember the whole Catholic Church from sunrise to sunset.’”
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154. Emphasis original.
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154.
“una cum famulo tuo Papa nostro N. et Antistite nostro N.”
G.G. Willis, A History of Early Roman Liturgy: To the Death of Pope Gregory the Great, Henry Bradshaw Society, Subsidia 1 (London: The Boydell Press, 1994) 43; Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 155.
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154.
“et omnibus orthodoxis atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus.” As Willis notes, “The rightly believing defenders of the Catholic and Apostolic Faith are not the faithful in general, who are prayed for in the first part of this prayer, but the bishops in particular” (Willis, A History of Early Roman Liturgy, 43).
“Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum N. et N.”
See Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 104.
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 164.
Sacrosanctum concilium §64.
Missale Romanum, Iuxta typicam tertiam (2008), Missae rituales, “I. In conferendis sacramentis initiationis christianae. 2. In Scrutinis peragendis.”The Roman Missal, English translation according to the Third Typical Edition: for use in the Dioceses of the United States of America (2011), Ritual Masses, “I. For the Conferral of the Sacraments of Christian Initiation. 2. For the Celebration of the Scrutinies.”
See Liber sacramentorum Romanae Aeclesiae ordinis anni circuli. Sacramentarium gelasianum, ed. Leo Cunibert Mohlberg, Leo Eizenhöfer, Petrus Siffrin, Rerum Ecclesiasticarum Documenta, Series Maior, Fontes IV (Rome: Herder, 1960) 33, n. 195.
See Liber sacramentorum Romanae 33, n.195. A similar allowance is made for Eucharistic Prayers II and III.
See Liber sacramentorum Romanae 33, n.195.
See Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 166. In article 43 of the General Instruction of the Roman Missal the universal norm is given, and then the exception for the United States indicated: “The faithful should stand […] from the invitation, Orate, fratres (Pray, brethren), before the Prayer over the Offerings until the end of Mass […]. In the dioceses of the United States of America, they should kneel beginning after the singing or recitation of the Sanctus (Holy, Holy, Holy) until after the Amen of the Eucharistic Prayer […].”
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 166.
“[…] pro quibus tibi offerimus: vel qui tibi offerunt hoc sacrificium laudis, pro se suisque omnibus […].”
Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 167.
L’association Esprit de la Liturgie, avec toute l’Église, confie à la miséricorde de Dieu l’âme de notre Pape Émérite, Benoît XVI, en ce jour où elle s’en est allée rejoindre le sein du Père.
Notre association pleure en Joseph Ratzinger un grand théologien, un père spirituel, et l’inspiration de notre propre œuvre en faveur du renouveau de la pensée et de la célébration liturgique. Comme pape, il offrit à l’Église une voie de réconciliation liturgique que nous nous efforcerons toujours de suivre.
Que les Anges de Dieu reçoivent et présentent son âme à la face du Très-Haut. Qu’il repose dans la paix. Que brille sur lui la lumière qui n’a pas de fin.
Note d’Esprit de la Liturgie : Esprit de la Liturgie est heureuse de présenter au public francophone la traduction d’une série d’articles du père Ryan T. Ruiz s.l.d., sur l’histoire du canon romain, parue le 25 octobre 2022 dans les colonnes de la revue liturgique américaine Adoremus. Le père Ryan Ruiz est un prêtre de l’archidiocèse de Cincinnati. Il est actuellement doyen de l’école de théologie, directeur de la liturgie, professeur adjoint de liturgie et des sacrements, et membre du corps enseignant de formation au Mount St. Mary’s Seminary and School of Theology de Cincinnati. Le père Ruiz est titulaire d’un doctorat en liturgie sacrée de l’Institut liturgique pontifical de Sant’Anselmo, à Rome.
Lors de leur 22e session tenue le 17 septembre 1562, les Pères du Concile de Trente ont fourni à l’Église l’éclairage suivant concernant le Canon de la Messe : « Les choses saintes doivent être traitées d’une manière sainte, et ce sacrifice [l’Eucharistie] est la plus sainte de toutes les choses. Ainsi, pour que ce sacrifice puisse être dignement et respectueusement offert et reçu, l’Église catholique a institué, il y a de nombreux siècles, le canon sacré. Il est si exempt de toute erreur qu’il ne contient rien qui n’ait une forte saveur de sainteté et de piété et rien qui n’élève à Dieu l’esprit de ceux qui l’offrent. Car il se compose des paroles de Notre Seigneur lui-même, des traditions apostoliques et des pieuses instructions des saints pontifes »[1].
Dans ce bref résumé de la formule liturgique la plus essentielle de l’Église, que le savant Guéranger a décrit comme une « prière mystérieuse » dans laquelle « le ciel s’incline sur la terre, et Dieu descend vers nous »[2], les Pères de Trente ont non seulement reconnu la sainteté du Canon romain, mais aussi les sources sacrées sur lesquelles il a été fondé : notre Seigneur lui-même, ses Apôtres, et les successeurs de ses Apôtres. Dans cette description, nous rencontrons l’herméneutique par laquelle l’Église a toujours abordé la force stabilisatrice des choses liturgiques : la continuité et la tradition.
Dans ce bref essai, le premier d’une série en plusieurs parties sur le Canon romain, nous examinerons brièvement l’historicité du Canon – ses sources – et comment le Canon, comme notre Saint-Père actuel, le Pape François, l’a récemment noté, constitue l’un des » éléments les plus distinctifs » du Rite romain et, ainsi, démontre une ligne de continuité entre la Messe dans sa forme actuelle et » les formes antérieures de la liturgie « [3]. « Le but de ces essais est de nous permettre de mieux apprécier le riche patrimoine que nous avons reçu de nos ancêtres dans la foi, et de nous aider à mieux entrer dans le véritable esprit de la sainte liturgie.
Canon gélasien
Notre étude de l’antiquité du Canon peut commencer par l’une des plus anciennes versions existantes du Canon complet qui se trouve dans l’ancien sacramentaire gélasien (Gelasianum vetus) du VIIe ou VIIIe siècle[4]. [Dans cet ancien sacramentaire, le Canon commence par le dialogue de la préface, suivi d’une forme de préface qui est encore conservée dans le Missel de Paul VI et de Jean-Paul II sous le nom de « Préface commune II » (Praefatio communis II), et dans le Missel de Jean XXIII sous le nom de « Préface commune » (Praefatio communis)[5]. Le Canon se poursuit ensuite par l’incipit familier, Te igitur, et comprend également au moins une indication rubriquée parallèle à celle que l’on trouve dans le Missale Romanum de 1962[6].
Ainsi, il existe des similitudes certaines entre cet ancien exemplaire et le Canon actuel. Cependant, il y a aussi des caractéristiques uniques qui distinguent cette version de celle que nous avons reçue. Par exemple, après avoir prié pour le pape et l’évêque dans le Memento pour les vivants, le Canon gélasien demande également que des prières soient offertes pour le roi et pour tous les habitants du royaume : « Memento, deus, rege nostro cum omne populo » [7] Une autre caractéristique unique de l’exemplaire du Gelasianum vetus est l’inclusion de saints supplémentaires dans la section Communicantes. Après l’articulation des noms des deux derniers saints énumérés dans le Canon actuel – Cosme et Damien – la version du vieux gélasien demande ensuite l’intercession des saints Denis, Rusticus et Eleutherius, missionnaires à Paris, ainsi que des saints Hilaire, Martin, Augustin, Grégoire, Jérôme et Benoît[8]. On peut supposer qu’avec l’insertion des prières pour le roi et le royaume dans le Memento pour les vivants, et l’inclusion des saints Denis, Rusticus et Eleuthère dans les Communicantes, le Gelasianum vetus reflétait simplement son statut de » sacramentaire mixte « , un sacramentaire entièrement romain, mais qui commençait aussi à prendre des éléments francs après sa réception au-delà des Alpes[9]. [Une autre caractéristique intéressante du Canon du Gelasianum vetus se trouve dans les mots » diesque nostros in tua pace disponas » ( » ordonne nos jours dans ta paix « ) qui occupent une place dans la section Hanc igitur[10]. Bien que cette phrase soit toujours observée dans le missel actuel, Guéranger note que cette section a très probablement été ajoutée aux premiers exemplaires du Canon par St. Grégoire le Grand à l’époque de l’invasion lombarde de l’Italie à la fin du sixième siècle[11]. Ainsi, nous pouvons voir dans cette ancienne version du Canon romain une prière fixe qui admettait néanmoins certains éléments qui aidaient l’Église à répondre aux besoins sociétaux et pastoraux de l’époque.
Canon ambrosien
Bien que la version du Canon trouvée dans le Gelasianum vetus soit l’un des premiers textes complets attestant de l’ancienneté de cette anaphore, l’histoire du Canon remonte en fait à bien plus tôt. Dans les réflexions de saint Ambroise du IVe siècle sur les rites d’initiation célébrés dans son église de Milan, nous trouvons une version encore plus ancienne du Canon qui met en contexte ce que l’on trouve dans le Gelasianum vetus. Comme nous l’observons dans le De sacramentis, une série d’homélies mystagogiques probablement prêchées autour de 391, saint Ambroise n’avait pas peur de préserver les coutumes locales de son Église milanaise, ni d’harmoniser les pratiques liturgiques de Milan avec celles de Rome[12]. Cette ouverture aux coutumes de Rome se reflète dans la partie IV du De sacramentis, où saint Ambroise identifie les mots qu’il utilise pour la prière eucharistique[13].
Bien que le Canon complet ne soit pas illustré dans cette réflexion mystagogique, et que les parties que nous trouvons ne correspondent pas toujours directement à ce que l’on trouve dans la version de l’ancien gélasien, les » différences « , comme le note G.G. Willis, » entre le Canon de saint Ambroise et le Canon finalement établi sont moins remarquables que leurs similitudes « [14]. « [14] Les parallèles avec le Canon romain dans De sacramentis sont notés dans les sections suivantes : le Quam oblationem ( » Fais-toi plaisir, ô Dieu, nous te prions, de bénir […. ] « ), le Qui pridie (le début du récit de l’institution), le Unde et memores (le début de l’anamnèse), le Supra quae (la suite de l’anamnèse, faisant référence à Abel, Abraham et Melchisédech) et le Supplices te rogamus (l’épiclèse de la communion demandant que la grâce du sacrement soit reçue par tous ceux qui y participent)[15]. [15]
Si l’on compare le canon du Gelasianum vetus à celui du De sacramentis de saint Ambroise, on constate le resserrement progressif des caractéristiques qui ont contribué au « génie du rite romain ». Willis a résumé ces caractéristiques à travers les idées connexes de Christine Mohrmann et Camilus Callewaert :
» Le professeur Christine Mohrmann a raison de dire que le Canon gélasien… est, comme l’avait déjà soutenu Mgr Callewaert, une modification stylistique des formes trouvées dans le De sacramentis de saint Ambroise. Sa caractéristique la plus frappante, dit-elle, est l’accumulation de synonymes, et une tendance à amplifier et à rendre le langage plus solennel. Les constructions paratactiques sont remplacées soit par une clause relative, par exemple Fac nobis hanc oblationem par Quam oblationem […], soit par un absolu ablatif, comme lorsque respexit in caelum est remplacé par elevatis oculis in caelum […]. Une autre tendance est l’accumulation de synonymes. C’est là une caractéristique forte de l’euchologie romaine, qui a déjà fait son apparition dans le Canon cité par saint Ambroise, et qui devient beaucoup plus fréquente dans le Canon développé « [16].
Prière centrale
En examinant la question du » génie » du Rite Romain, pour utiliser l’expression popularisée par Edmund Bishop[17], nous trouvons dans le Canon une expression unique de la romanità de notre Rite. En suivant la description faite par Bishop des caractéristiques du Rite romain comme étant sa « simplicité, son caractère pratique, une grande sobriété et maîtrise de soi, sa gravité et sa dignité »[18], nous rencontrons ces détails dans la structure du Canon, ainsi que son air rhétorique, théologique et spirituel qui le distingue des anaphores (prières eucharistiques) observées dans les autres Rites de l’Église, tant en Orient qu’en Occident non romain[19].
Alors que l’Église continue à réfléchir sur les réformes liturgiques du Concile Vatican II, et qu’elle prend à cœur la récente exhortation du Saint-Père sur son rôle de » gardienne de la tradition « , un endroit merveilleux pour commencer cette réflexion sur l’engagement de l’Église dans la continuité et la tradition est cette prière centrale de la Messe qui unit l’Église militante, l’Église souffrante et l’Église triomphante dans le Sacrifice sacerdotal du Fils au Père dans l’Esprit. Dans les prochains épisodes de cette série, nous nous engagerons dans une étude plus approfondie du Canon, de ses diverses caractéristiques, et de la manière dont nous, clergé et fidèles, pouvons profiter de la richesse de cette ancienne euchologie qui occupe toujours une place de choix dans notre Rite romain[20].
Notes:
Council of Trent. Session XXII (September 17, 1562), Ch. 4, in Henrich Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum (Compendium of Creeds, Definitions, and Declarations on Matters of Faith and Morals, 43rd Edition, ed. Peter Hünermann, Robert Fastiggi and Anne Englund Nash (San Francisco: Ignatius, 2012) 418-419, n. 1745. ↑
Prosper Guéranger, The Liturgical Year, Vol. 1. Advent, tr. Laurence Shepherd (Fitzwilliam, NH: Loreto Publications, 2000) 78. ↑
Most scholars place the terminus a quo from after the pontificate of Pope St. Gregory the Great (†604) and the terminus ad quem to before the pontificate of Pope St. Gregory II (715-731). See Cassian Folsom, “The Liturgical Books of the Roman Rite,” in Handbook for Liturgical Studies, Vol. I, Introduction to the Liturgy, ed. Anscar Chupungco (Collegeville: Liturgical Press, A Pueblo Book, 1997) 245-314, esp. 248. See also Eric Palazzo, A History of Liturgical Books: From the Beginning to the Thirteenth Century (Collegeville: Liturgical Press/A Pueblo Book, 1998) 45. ↑
Liber sacramentorum Romanae Aeclesiae ordinis anni circuli. Sacramentarium gelasianum, ed. Leo Cunibert Mohlberg, Leo Eizenhöfer, Petrus Siffrin, Rerum Ecclesiasticarum Documenta, Series Maior, Fontes IV (Rome: Herder, 1960) 183-184, nn. 1242-1243. Henceforward abbreviated as GeV (Gelasianum vetus) with the identifying reference numbers being the margin numbers found in the critical edition. ↑
This is found in GeV 1244 where we find five signs of the cross rubrically prescribed at the words, “[…] uti accepta habeas et benedicas + haec dona +, haec munera +, haec sancta + sacrificia i[n]libata + […]” (“that you accept and bless + these gifts +, these offerings +, these holy + and unblemished sacrifices +”). This parallels, though does not exactly correspond, what we find in the Missale Romanum of John XXIII (1962), where only three signs of the cross are called for at this point in the Canon, at the words “haec + dona, haec + munera, haec + sancta sacrificia illibata.” In the Missale Romanum of Paul VI and John Paul II, no additional gestures are called for. ↑
GeV 1244. Interestingly, in referencing the bishop the GeV uses both “antistite” and “episcopo” – “una cum famulo tuo papa nostro illo et antestite [sic] nostro illo episcopo” – instead of only “antistite” as found in the current Canon. ↑
Although a sacramentary devised for presbyteral use in the tituli of Rome, especially – as scholars surmise – in the Church of San Pietro in Vinculi (St. Peter in Chains), the Gelasianum vetus nevertheless exhibits elements of cross-pollination with Frankish customs then beginning to abound in the Roman Rite. Cf. Folsom, “The Liturgical Books of the Roman Rite,” 249, and Palazzo, A History of Liturgical Books, 45-46. ↑
Prosper Guéranger, On the Holy Mass (Farnborough, Hampshire: St. Michael’s Abbey Press, 2006) 81. ↑
See De sacramentis III, 5, regarding the practice in Milan of the post-baptismal washing of feet: “We are aware that the Roman Church does not follow this custom, although we take her as our prototype, and follow her rite in everything.” English translation from Edward Yarnold, The Awe Inspiring Rites of Initiation: Baptismal Homilies of the Fourth Century (Middlegreen, Slough: St. Paul Publications, 1971) 122. ↑
G.G. Willis, A History of Early Roman Liturgy: To the Death of Pope Gregory the Great, Henry Bradshaw Society, Subsidia 1 (London: The Boydell Press, 1994) 23. ↑
Cf. Ibid., 24. See also Uwe Michael Lang, The Voice of the Church at Prayer: Reflections on Liturgy and Language (San Francisco: Ignatius, 2012) 111-113. Here, Father Lang gives a synoptic table outlining more clearly these parallels. ↑
Willis, A History of Early Roman Liturgy, 27-28. Cf. C. Mohrmann, “Quelques observations sur l’évolution stylistique du canon romain,” Vigiliae Christianae IV (1950) 1-19; C. Callewaert, “Histoire primitive du canon romain,” Sacris Erudiri II (1949) 95-110. ↑
Edmund Bishop. The Genius of the Roman Rite. Strand (England): The Weekly Register, 1899. ↑
En cette saison de Noël 2022, Esprit de la Liturgie publie en feuilleton une synthèse des connaissances disponibles sur l’histoire des Noëls populaires en France, par notre ami Louis-Marie Salaün, que nous remercions et félicitons pour ce travail considérable, abondamment sourcé et annoté, et d’une grande érudition, auquel nous souhaitons une large diffusion. Les appels de notes renvoient à la fin de l’article.
Dans la première partie, nous avons parlé des origines des Noëls : tropes, séquences et Noëls farcis du Moyen-Âge, drames liturgiques prolongeant les offices de Noël.
3. Qu’est-ce qu’un noël populaire ?
Pour entrer dans le vif de notre sujet, il nous faut définir ce que sont les « noëls populaires ».15 A quels genres appartiennent-ils, qu’est-ce qui les caractérisent ?
3.1. Définition et caractéristique du noël
Les noëls populaires qui, nous l’avons vu sont issu des hymnes du plain-chant médiéval, sont des chansons profanes mais dont le sujet est religieux16 puisque afférents à la Nativité du Christ. Ils se situent entre chant et cantique spirituel. Il convient de faire tout de même une distinction avec le cantique. Le noël est une chanson « paraliturgique » c’est-à-dire non destinée à la liturgie (même s’il finira plus ou moins par l’intégrer au fil des siècles et jusqu’à nos jours). « Le noël est, avant tout, une chanson, et non pas un cantique, et c’est bien de ce sceau que l’a marqué l’esprit gaulois, puis français » nous dit Henri Bachelin17. . Ils sont dits « populaires » car écrits pour les gens du peuple18, et constituent un tableau des mœurs populaires. En effet, dans son texte il dépeint la société de telle époque, la vie modeste des petites gens, mais surtout nous dit comment l’humble paysan, l’ouvrier, le petit artisan comme le bourgeois ou le châtelain célébrait par le chant la naissance de Jésus. Comme nous le verrons plus loin, la simplicité de leur facture musicale permet de mémoriser facilement la mélodie, et permet donc à des gens ne sachant lire la musique, de les retenir aisément. Il faut en effet que ces chants puissent être retenus et chantés facilement par les gens du peuple. En cela, comme pour le chant traditionnel de nos provinces, le noël n’appartient pas à la musique « savante ». Ce sont des chants monodiques (à une seule voix) qui sont souvent accompagnés par des instruments, d’ailleurs souvent décrits dans les textes de ces noëls : épinette, chalumeau, hautbois, musette, tambourin, flûte, fifre, rebec, violon.
Les noëls populaires font appel à ce que l’on nomme la tradition orale. En effet, ils ne sont pas faits pour être écrits sur partition. On se transmet la mélodie de bouche à oreille. Néanmoins, on verra à partir du XVème siècle apparaître les premiers recueils de chants de Noël. À partir du XVIème siècle les noëls seront diffusés sur des « feuilles volantes », elles seront vendues par les enfants ou les ménétriers dans les rues des bourgs, des villages ou des grandes villes. Dans la majorité des cas, seuls les paroles sont écrites, la mélodie étant supposée connue de tous (voir notre 3 .2 en bas de page). Pour illustrer ce caractère populaire de nos noëls de France, écoutons ce que disait Chateaubriand19à ce sujet : « « Les noëls, qui peignoient les scènes rustiques, avoient un tour plein de grâce dans la bouche de la paysanne. Lorsque le bruit du fuseau accompagnoit ses chants, que ses enfants, appuyés sur ses genoux, écoutoient avec une grande attention l’histoire de l’Enfant Jésus et de sa crèche, on auroit en vain cherché des airs plus doux et une religion plus convenable à une mère ». Citons également Dom Guéranger20 : « On entonnait quelques-uns de ces beaux noëls au chant desquels on avait passé de si touchantes veillées dans tout le cours de l’Avent. Les voix et les cœurs étaient d’accord en exécutant ces mélodies champêtres composées dans des jours meilleurs ». Pour bien comprendre le caractère pastoral, champêtre en même temps que religieux de nos noëls populaires écoutons ce qu’explique le musicien Bernard Lallement dans le livret qui accompagne le CD « Noël de France » : « Plus que tout autre, le paysan, écrasé à longueur de siècles par tous les labeurs de la terre, victime de tous les fléaux, assommé de malheurs avait besoin de croire et d’espérer en un Dieu bon, juste et doux plus puissant que tous les monarques de la terre (…). L’âme populaire rurale, simple et naïve s’émeut de voir la toute-puissance Divine s’abaisser jusqu’à laisser le petit enfant de la Vierge Marie, naître dans une pauvre étable (…). Elle s’en émeut, mais aussi elle s’en réjouit, voyant dans le choix Divin un blâme supérieur de la richesse, de l’arrogance et de la froideur de cœur dont elle s’accompagne le plus souvent. Elle y puise du même coup, sinon la fierté, du moins le courage de la pauvreté et surtout le sentiment de l’égalité de chances devant l’amour de Dieu.
3.2. La notion de « timbre » des noëls
On parle de « timbre » pour désigner la mélodie sur laquelle on chante tel texte. Dans les fameuses « Bibles de noëls » et autres recueils, chaque chant est nommé la plupart du temps par les premiers mots de celui-ci. Ces recueils ne sont pas notés21, sauf exception, c’est pourquoi on trouve le titre suivi de l’indication : « sur l’air de… ». C’est ce que l’on appelle un timbre. Le même principe s’applique d’ailleurs pour les cantiques ou les chants traditionnels. Il n’est pas rare qu’une mélodie préexistante (d’origine profane ou sacrée) ou nouvellement composée, soit utilisée pour plusieurs textes. On adapte la mélodie en fonction du texte (ajout ou suppression de notes et parfois modification de la rythmique). Les noëls populaires usent aussi du principe de « contrafacta » déjà présent au Moyen-Âge : il consiste à adapter des paroles nouvelles sur une mélodie antérieure, sans changer notablement celle-ci. Ce procédé est également présent dans les chansons populaires traditionnelles. Pour illustrer notre propos, écoutons l’éditeur du célèbre noëllistes, Nicolas Saboly (1614 -1675) : « la tradition d’une même mélodie variait selon les diverses personnes qui me la faisaient entendre. Pour certains noëls, il m’arrivait d’avoir jusqu’à dix airs différents ; pour certains autres, je ne pouvais même pas trouver un seul ». Il est difficile de donner avec précision la provenance exacte de telle mélodie, de tel noël car la mélodie populaire n’est non seulement pas enfermée comme nous le verrons plus loin dans le carcan solfégique de la partition, mais elle n’est pas non plus limitée géographiquement. La mélodie d’une région donnée peut aller au-delà des limites de son aire d’utilisation et faire ainsi un « tour de France ». Ce fait est largement attesté au long des siècles. Prenons pour exemple « Joseph est bien marié » présenté comme noël Champenois du XVIème siècle. Sa mélodie est la même que le noël Bressan « Noié, Noié, est venu ». Il est en revanche plus facile de dater les mélodies grâces aux nombreux recueils que nous possédons et qui grâce à Dieu ont été conservés au fil des ans et aujourd’hui numérisés. Pour bien comprendre la construction musicale de nos noëls populaires, écoutons ce qu’en disent les musicologues : « Les mélodies originales de ces chants ont préexisté et elles ont même survécu aux paroles, ce qui représente un fait capital pour une étude musicologique. En effet, pour la musique, les cantiques et les noëls appliquent un système de tout temps très employé dont le rôle fut énorme et qui consiste à appliquer des paroles nouvelles, des couplets nouveaux et souvent d’actualité, sur un air connu donc préexistant. Dans la majorité des cas, l’air choisi n’est pas noté musicalement, il est seulement désigné par le titre ou par le premier vers des anciennes paroles. Cette étiquette qui lui est appliquée, est proprement ce que l’on appelle un timbre, à partir du XVIIIe siècle22.
Si à l’origine des noëls on a les tropes, les hymnes, les séquences et les noëls farcis du Moyen-Âge, les mélodies proviennent aussi de la sphère profane. Il faut à ce sujet souligner que, contrairement à notre époque, la frontière entre le profane et le sacré était quasi inexistante au Moyen-Âge. Ainsi, il n’est pas rare qu’un chant profane s’inspire d’une mélodie sacrée ou que des paroles religieuses soient placées sous une mélodie profane (c’est le cas de nombreux cantiques). Le noël populaire n’échappe pas à cette règle du XIIème au XIXème siècle. Ce phénomène d’absorption d’un air profane dans la sphère religieuse date au moins du XIIème siècle (c’est peut-être plus ancien encore). Certains tropes adoptent des clausules de mélodies populaires. Néanmoins, il est important de préciser qu’au Moyen-Âge, la sphère liturgique reste elle, imperméable aux airs profanes et à son univers musical bien séparé de l’univers musical profane jusqu’au XIVème siècle inclus. Un basculement se produira au XVème siècle, avec l’utilisation de cantus firmus23 d’origine profane. L’exemple le plus célèbre est la fameuse “messe parodie” de Guillaume Dufay dite “messe de l’homme armé”.
4. La musique des noëls populaires
Devant l’immense répertoire qui s’offre à nous, il est impossible de détailler l’aspect musical de chaque mélodie. Mais, à la suite des musicologues, nous pouvons cependant donner des éléments pour décrire la structure musicale de ces chansons. L’une des caractéristiques de beaucoup de nos noëls populaires est d’avoir un caractère modal24. D’ailleurs, quoi de plus normal quand on sait que le système modal prédomine jusqu’à l’apparition du système tonal au XVIIème siècle. Issu pour partie des mélodies sacrées comme nous l’avons dit au début de notre document, les airs de nos noëls ont une saveur modale très marquée (mode de ré et son voisin le mode de la, mode de mi ou de sol). Plus tard, à l’apparition du système tonal (XVIIème siècle) on adaptera les mélodies à ce nouveau système qui réduit l’expression musicale à deux modes : le mode Majeur et le mode mineur. Écoutons encore Monique Rollin nous parler des mélodies des noëls : « Les mélodies empruntées sont anonymes et il n’est pas fait appel à un compositeur pour la musique de ces chants religieux. C’est l’auteur des paroles nouvelles qui procède au choix de la mélodie et à son adaptation. Les airs choisis ressortissent au genre du vaudeville, apparu vers 1550, qui recouvre uniquement des airs répandus dans le public. Ce sont des chansons en forme d’air, syllabiques, homophones et strophiques dans lesquelles tous les couplets se chantent sur une même musique »25.
D’une manière générale la mélodie des noëls populaire se caractérise par :
ambitus peu élevé (l’ambitus est l’étendue d’une mélodie de la note la plus grave à la plus aiguë),
l’emploi de la centonisation26 notamment dans les cadences finales, les clausules27 ou les incipit,
beaucoup de notes conjointes (qui se suivent de près),
peu de chromatismes (on trouve cependant dès le XIVème siècle l’apparition de la sensible),
des cadences28 ou clausules empruntées à d’autres airs profanes ou religieux,
la forme virelai ou rondeau (couplet-refrain) avec A-B ou A-B-A ou encore A-B-C,
une ligne mélodique assez dépouillée et syllabique,
rareté des mélismes,
répétition des phrases musicales ou de certains motifs musicaux,
rythmique simple suivant de près le langage parlé,
rythmique basée sur la longue et la brève avec emploi courant des mesures composées.
La mélodie du noël populaire n’est pas figée et est amené à subir au gré des époques, des collecteurs ou des interprètes, des transformations mélodiques29 et rythmiques. Les paroles peuvent aussi être modifiées en fonction des époques, des circonstances historiques du moment, ou tout simplement pour suivre l’évolution de la langue française. « Au cours des siècles, un même timbre subit des transformations dues à son succès. Ainsi, certaines variantes mélodiques incombent soit à la mémoire, dans le cas d’une transmission orale, soit à des erreurs des scribes, lors d’une notation dans quelques recueils, soit encore aux initiatives du chanteur ou de l’arrangeur qui peuvent aller jusqu’à entraîner la conservation des seules notes pivots ». Au fur et à mesure des époques, la mélodie du noël populaire va s’adapter au style musical du moment. De la même manière qu’au XVIIème siècle le chant grégorien (devenu « plain-chant » à partir du XIIIème siècle) se pare des ornements et cadences de la musique baroque30, les noëls populaires vont suivre pareil chemin. A partir de la Renaissance, avec l’emploi de plus en plus fréquent de la sensible31 et d’autres altérations, les mélodies modales évoluent vers la tonalité : on utilise des altérations accidentelles et des modifications de cadence. On modifie par endroit le rythme et / ou le tempo des mélodies, on pratique le monnayage32 des valeurs. Si les paroles sont modifiées, on va également modifier la mélodie en ajoutant ou supprimant des notes. « Par rapport à l’ancien texte, en cas d’irrégularité dans la prosodie des différentes strophes, on procède à des répétitions ou à des réunions de notes ou encore à des ajouts quand le texte est plus long. Ainsi, la musique doit prévaloir dans l’adaptation des paroles au timbre : elle soutient le mot, elle guide les paroles. Le respect du modèle musical s’impose dans les rapports texte-musique. »33 Les mélodies des noëls ne sont en général pas des compositions originales. On utilise le procédé de la parodie, déjà présent à la Renaissance avec les « messes parodies ». Il s’agit de réutiliser une mélodie existante et d’y placer un texte nouveau. Autrement dit, c’est l’adaptation d’une œuvre musicale préexistante pour une autre utilisation. Voici ce que nous dit Lucie Jacquin dans son mémoire sur les noëls bourguignons de Bernard de La Monnoye (1700) : « En ce qui concerne les « noëls nouveaux », les reprises mélodiques sont d’origines plus variées et sont de moins en moins issues du répertoire liturgique. Certains airs de noëls sont issus de vaudevilles. Les vaudevilles sont originellement des chansons urbaines (c’est du moins l’hypothèse la plus probable. Une autre hypothèse voudrait que ces chansons soient issues du Val de Vire en Normandie). Avec le temps, elles deviennent de plus en plus populaires et leur contenu est de plus en plus satirique. Musicalement, elles n’adoptent pas la polyphonie savante mais plutôt l’harmonisation verticale »
5. Poésie, genres et caractère des noëls populaires
Si comme nous venons de le voir, l’intérêt musical du noël est indéniable, son intérêt littéraire l’est encore plus. Sans les paroles, nos beaux noëls ne seraient que de belles mélodies vidées de leur substance. C’est pourquoi nous allons dans ce chapitre nous intéresser au texte. Là encore, il serait impossible de traiter de l’ensemble du répertoire tellement il est dense. Nous parlons volontiers de poésie du noël car c’est ainsi qu’il faut voir le sens de ces productions. Le but du noël c’est de raconter la Nativité et de dépeindre autour de cet événement majeur de la vie chrétienne, la vie des contemporains des époques où ils furent écrits, chantés et diffusés. Pour ce faire, le texte use très souvent des mêmes procédés que ceux de la poésie. Poésie champêtre, populaire, régionale ou provinciale, mais poésie quand même. Le noël populaire destiné à être chanté par le peuple, a été écrit par des lettrés : prêtres, robins, écrivains, poètes. On trouve dans un dictionnaire cette définition rapportée par Henri Bachelin34 : C’est le récit évangélique de la naissance du Messie, développé en un langage rimé ou rythmé, d’une simplicité toute rustique et avec tous les sentiments d’une foi naïve ». Ainsi, les termes rimé et rythmé nous renvoient de fait à la poésie. Il possède son caractère propre à tel terroir dont il est issu (Anjou, Quercy, Poitou, Bretagne, Provence) et se conforme au vocabulaire et aux usages des gens de ces pays.
Si nombre de nos noëls ont un vocabulaire imagé, il faut savoir (et ceux qui ont étudié le répertoire des noëls l’affirment sans hésitations) que, ce qu’ils nous racontent est le reflet de la réalité de la vie d’autrefois. En cela, on peut dire que ces chansons de noël équivalent à notre presse locale d’aujourd’hui. La même situation se retrouve d’ailleurs dans la chanson populaire traditionnelle : on raconte en chantant des faits, des événements, des situations et les mœurs de la société rurale ou urbaine d’autrefois. Le noël populaire est ainsi le miroir de la société et nous informe sur les conditions de vie des gens de leur époque. Cette situation se retrouve dans les noëls du XVème au XIXème siècle. La tournure poétique et le langage change, mais le but reste le même.
Qui d’entre nous entrant dans une église ou visitant un musée n’a jamais vu de vitraux ou de tableaux représentant la sainte famille, les bergers, les rois mages ou les gens du pays de Judée habillés en tenue de l’époque médiévale, de la Renaissance, ou du XVIIème ? Pour nos noëls populaires, le principe est le même : Les bergers, ce sont, dans chaque noël, les habitants d’une paroisse déterminée qui partent immanquablement pour une ville lointaine, distante « d’au moins quinze lieues », nous dit Henri Bachelin. Dans son ouvrage « Les noëls en France au XVème et XVIème siècle », Pierre Rézeau nous montre comment le récit évangélique de la Nativité s’enracine spontanément dans des terroirs généralement bien identifiables par l’utilisation entre autres des toponymes familiers, que ce soit en Normandie, en Limousin, en Poitou ou dans la région lyonnaise35 . Pour les auteurs de nos noëls populaires, non seulement les « acteurs » de la Nativité de l’an I s’habillent comme au Moyen-Âge ou comme à la Renaissance, mais la route de Bethléem passe forcément par les hameaux de notre France rurale. Une chose est à noter dans la production des noëls depuis le XVème siècle. Si la grande majorité d’entre eux évoquent exclusivement la naissance du Christ et l’adoration des Mages, certains noëls évoquent d’autres scènes pouvant se rattacher à la Nativité : fuite de la sainte Famille en Égypte, massacre des saints innocents. Certains noëls évoquent également l’ancien testament, depuis la faute de nos premiers parents (évocation du « fruit de vie » en opposition au fruit défendu mangé par Adam et Ève) jusqu’à l’Annonciation. Le noël populaire a pu même « servir à tel autre but que celui dicté par la foi héritée du Moyen Age ». Il est lié à l’actualité du moment sur divers sujets : politique, religion, histoire, culture voire même économie. Ce qui permet à Martijn RUS de dire : « S’y retrouvent, par exemple, les effets des guerres de religion, le souffle de la Renaissance, les échos de la vie des privilégiés qui vivent à la cour du roi, et, inversement, des démunis qui souffrent des lourdes taxes qui leur sont imposées, ainsi que les convictions athéistes des suppôts de la Révolution. En sorte qu’il me semble permis de considérer le noël, tel noël, comme un miroir de la société, dans l’un ou l’autre de ses aspects, à un certain moment de son devenir »36. Citons encore, Dom Guéranger qui, dans son « année liturgique » témoigne de ce que nous venons de dire au sujet du contenu littéraire des noëls: « Ces naïfs cantiques redisaient les fatigues de Marie et de Joseph parcourant les rue de Bethléem, alors qu’ils cherchaient en vain un gîte dans les hôtelleries de cette ville ingrate ; l’enfantement miraculeux de la Reine du ciel ; les charmes du Nouveau-Né, dans son humble berceau ; l’arrivée des bergers avec leurs présents rustiques et la foi simple de leurs cœurs. On s’animait en passant d’un Noël à l’autre ; tous soucis de la vie étaient suspendus, toute douleur était charmée, toute âme épanouie ».
5.1. Poésie et langage du noël populaire
Les noëls de jadis sont à leurs manières des témoins vivants de la manière dont on s’exprimait autrefois, et rendent hommage à la beauté de notre langue française. Car si nos dialectes, patois, ou langues régionales avec leur côté « rustique », y sont largement représentés, notre belle langue française si délicieuse et mignarde y a aussi sa place, notamment au XVIème siècle. Du langage si délicat de l’amour courtois médiéval « Ô Mère demoiselle, priez le petit que toute querelle soit apaisée par lui »37 à ces interjections du même âge : « Oyez les anges, chanter les louanges du p’tit Noël », en passant par des diminutifs du XIIIème siècle « je me suis levé par un beau matinet que l’aube prenait son blanc mantelet, la poésie de Noël se pare sous la plume des lettrés de belles et charmantes tournures. Bien évidemment le mot Noël est traité avec un panel assez large de déclinaisons : Nouel, Naulet, Nau, Naou etc. Je ne résiste pas à l’envie de vous citer encore quelques vers de ce noël du XVème siècle « Or nous dites, Marie » :
De povres pastoureaulx Qui gardoient es montaignes Leurs brebis et agneaulx : Ceux-là m’ont visitée, Par grant affection ; Moult me fut agréable Leur Visitation.
Ou bien encore ce noël Bourguignon de la fin du XVème siècle « Noël pour l’amour de Marie » :
Or, prions la Vierge Marie, Que son fils veuille supplier, Qu’il nous donne si belle vie, Qu’en Paradis puissions entrer
Et pour conclure, cette si belle poésie pleine de tendresse envers la Sainte Vierge, extrait du noël « Salut Rose vermeille » dont on retrouve le timbre en Bretagne et dans le Bourbonnais :
Vous êtes l’excellence, Et des vierge la fleur, En vous est abondance De grâce et de douceur, Douce Pucelle, De grâce et de douceur
Mais dans sa littérature le noël populaire est aussi riche de termes et d’expressions populaires tirées des patois et dialectes locaux, des noms de métiers, d’instruments anciens. Les prénoms aussi ont une saveur d’antan : Jacotin, Robin, Jeannot et son pendant féminin Jeannette, ou encore Guillot.
Notre propos aurait manqué d’objectivité si nous avions passé sous silence quelques textes dans lesquels le langage populaire se fait grossier ou grivois. Ainsi de ce noël38 qui fait dialoguer les bergers Rogelin, Ruben et Raguel dans un langage peu châtié :
« Que t’es-tu levé faire pastoureaulx à minuit ? Qué rage as-tu à braire si fort Naulet, Naulet, Es-tou pas accouché ta femme cette nuit ? As-tu tué ta truie, ta truie ou ton goret ? » ;
« Et toy Ruben, ton chapperon affuble Vent de l’aulnay souffle au cul de la bergiere ».
« Bergiere Rachel prens le si dancerons ung branle, Mais garde sur la glace tomber, car il verglace » (…)
« Abas, debout, trop les jambes tu haulses, Cache ton cul, car tu n’as point de chaulses ».
Noël extrait du recueil de 1653 d’Artus Aucousteau maître de chapelle de la Sainte Chapelle39
5.2. les différents genres de noëls
Varié dans sa musique, le noël populaire l’est aussi dans son genre. C’est précisément ce point que nous allons brièvement aborder maintenant.
En effet, en consultant les nombreuses bibles des noëls et autres recueils on arrive à mettre en évidence une certaine variété :
noëls ou pastorale dialogués (dialogue entre les bergers, entre St Joseph et la Sainte Vierge…),
noëls d’énumérations (cadeaux à l’Enfant-Jésus, instruments de musique, métiers),
noëls des auberges (lieux réels ou fictifs),
noëls des oiseaux (c’est d’ailleurs le titre d’un noël breton du pays gallo),
noëls satiriques (en vogue à la Cour au XVIIème ou XVIIIème siècle),
noëls défilés (procession des villageois au son des instruments, des corps de métiers, du clergé). Ainsi, à l’image de nos chansons populaires réparties selon leur genre : chant de marin, chant militaire, chant des métiers, chants satiriques, chant des paysans, chanson d’amour, chant de guerre, chanson paillarde…les noëls peuvent se ranger sous plusieurs vocables selon les idées qu’ils expriment, les gens qu’ils font parler, les objets, lieux ou attitudes qu’ils décrivent.
5.3. Le caractère des noëls populaires
En parfaite corrélation avec l’emploi du langage du pays ou de la province dont il est issu, le noël se pare du caractère propre aux habitants du lieu. Ainsi, le noël angevin est allègre car l’Anjou est le pays du rire franc et du parler gaulois, en Poitou, Vendée et Bretagne le noël se fait plus naïf et mélancolique, tandis que le noël limousin, savoyard ou auvergnat se fait plus rude et austère à l’image du climat et du tempérament montagnard ou des contrées profondes.
Comme le dit Henri Bachelin, dans nos noëls de France, « c’est l’âme populaire qu’on rejoint dans tous, geignarde et caustique, mélancolique et gaie, réaliste et enthousiaste, en un mot ; l’homme, mais des sphères inférieures et dépourvu de culture, donc, d’idées générales ». En naissant dans une région donnée, et parfois en voyageant dans une autre par le biais de la tradition orale ou de l’échange des recueils, le noël grâce à une heureuse adaptation emprunte le caractère et l’allure du lieu dans lequel il tombe. C’est ce qui fait avec la musique, tout le charme de nos noëls provinciaux. Charme qui fait la fierté des populations locales jusqu’à virer parfois au chauvinisme (mais peut-on reprocher à quelqu’un d’aimer sa terre et ce qui fait son âme ?)
15. Lorsque l’on parle des chants de Noël on ne met pas de majuscule au mot noël. On dira « la fête de Noël » mais « un noël » 16. À la Révolution française on trouvera des noëls dont le sujet est profane, exaltant le peuple, dénonçant la monarchie etc 17. In litt. « Les noëls français » d’Henri Bachelin 18. On a aussi chanté des noëls dans les châteaux et riches demeures, mais les compositions diffèrent des noëls dits populaires. 19. Extrait de « Génie du Christianisme » 4ème partie, Livre I, chapitre III 20. Extrait de « l’année liturgique », le temps de Noël Tours 1880 6ème édition page 170 21. Un recueil noté signifie que ce recueil possède la partition de la mélodie 22. Extrait de « Mélodies et timbres des cantiques et des noëls populaires » de Monique Rollin (page 39 à 49) 23. Désigne une mélodie de plain-chant en valeurs longues, utilisée comme base pour l’écriture polyphonique. 24. Le système modal existe depuis l’Antiquité. Il repose sur la place des demi-tons au sein d’une échelle diatonique. 25. Extrait de « Mélodies et timbres des cantiques et des noëls populaires » de Monique Rollin. (Page 39 à 49) 26. Procédé utilisé dès le bas Moyen-Âge qui consiste à utiliser des formules mélodiques ou fragments mélodiques types. 27. Le terme clausule désigne une terminaison musicale dans une mélodie, soit en cours soit en fin de mélodie. 28. Il faut ici entendre le terme cadence au sens mélodique (formule finale d’une mélodie) et non au sens harmonique. 29. Par exemple avec la « musica ficta » qui consiste à jouer des altérations non écrites, à certaines notes d’une partition. 30. Voir les messes royales d’Henry Du Mont avec emploi de la sensible et des tremblements (ornement vocal). 31. La sensible est le 7ème degré d’une gamme, distant d’un demi-ton d’avec la tonique. Elle est la caractéristique du système tonal. 32. Substitution d’une durée longue à d’autres durées plus courtes. Utilisé dans l’écriture musicale au Moyen-Âge et à la Renaissance 33. Extrait de « Mélodies et timbres des cantiques et des noëls populaires » de Monique Rollin (page 39 à 49). 34. « Les noëls français » par Henri Bachelin page 79 35. Pierre Rézeau, « Les Noëls en France aux XVe et XVIe siècles ». Édition et analyse par Guillaume Berthon 36. « Le noël, miroir de la société du XVème au XIXème siècle » par Martijn RUS 37. Noël provençal « Une très Sainte Vierge » dont la mélodie est tirée d’une danse de la Renaissance 38. Aneau (1539), Chant pastoral, en forme de Dialogue, a trois bergiers, et une bergiere, contenant l’Annonciation de l’Ange p.3 39. Partition extraite du livre « Les noëls français » de Henri Bachelin page 40
Dans le prochain épisode de cette série, Louis-Maris Salaün nous fera revivre l’évolution des Noëls à travers l’histoire, du Moyen-Âge au XIXe siècle.
En cette saison de Noël 2022, Esprit de la Liturgie publie en feuilleton une synthèse des connaissances disponibles sur l’histoire des Noëls populaires en France, par notre ami Louis-Marie Salaün, que nous remercions et félicitons pour ce travail considérable, abondamment sourcé et annoté, et d’une grande érudition, auquel nous souhaitons une large diffusion. Les appels de notes renvoient à la fin de l’article.
Louis-Marie Salaün est passionné par le chant liturgique (spécialement le chant grégorien), les musiques anciennes (médiévale, Renaissance et baroque) et traditionnelles. Il s’intéresse beaucoup aux pratiques vocales liés au chant liturgique. Depuis plusieurs années il s’intéresse de très près à la musicologie et a la liturgie (pour les deux formes du rit romain). Il possède une longue pratique du chant dans le cadre liturgique (chantre en paroisse, chef de chœur, choriste et chantre de schola). Il est actuellement chantre à la cathédrale de Troyes, membre du chœur grégorien et du chœur polyphonique de cette même cathédrale. Il pratique la musique (instruments anciens et traditionnels) au sein de formations amateur qu’il a lui-même fondé.
Introduction
Pour reprendre les mots d’un musicien et harmonisateur bien connu1, on peut affirmer avec raison que « peu de thèmes ont été plus abondamment et mieux chantés par les peuples que celui de la Nativité ». Et c’est très vrai pour ne parler que de notre France, où les noëls, dit-il « forment la veine la plus féconde de toute la lyrique populaire ».
En effet, s’il est des chants qui nous sont familiers et que nous aimons à entendre et chanter quand vient Noël, ce sont bien nos beaux noëls populaires. Ils nous sont devenus familiers mais connaît-on vraiment leurs origines, leur Histoire…et leurs histoires ?
Le but de notre document – sans prétendre être une étude musicologique complète sur le sujet – est d’informer le lecteur sur l’origine de cette tradition musicale des noëls populaires, et de donner un aperçu d’ensemble sur ce répertoire si particulier, si riche, si varié et si beau. Nos sources nous permettrons d’aborder un peu plus en détail le répertoire de telle ou telle province, pour être au plus près de nos traditions locales.
Parce que la fête de Noël est intimement liée à notre religion catholique, nous évoquerons les connexions étroites entre ces airs populaires et le chant grégorien, qui fut à partir du IXème siècle2 à l’origine de la naissance de la polyphonie. Nous verrons également le parcours du noël populaire au fil des époques, entre liturgie et « paraliturgie ».
Entrons sans plus tarder à la découverte de ces timbres et textes qui, chacun à leur manière, dans leur langue, leur patois, leur dialecte célèbrent depuis huit siècles, la naissance du Sauveur et la joie de Noël.
1. Pourquoi chanter Noël
Puisque Noël est avec Pâques, l’une des plus grandes fêtes liturgiques de la religion catholique, et que la liturgie accorde une place importante au chant, il nous est bon d’entamer notre sujet en nous posant cette question : pourquoi nous chrétiens, chantons-nous ? Nous chantons parce que nous sommes sauvés, et parce que nous répondons à la Parole de Dieu par le chant. Dans l’histoire du Salut, à l’intervention salvatrice de Dieu il y a une réponse de l’homme sauvé, par le chant. Au long de l’Histoire Sainte, quand Dieu intervient pour sauver un homme ou un peuple, celui-ci répond en chantant : cantique de Daniel, cantique de Jonas3…
Comment ne pas imaginer que cette nuit bénie, alors que le peuple d’Israël attendait depuis si longtemps la venue du Sauveur, qui devait racheter la faute de nos premiers parents et nous rendre l’héritage céleste si malheureusement compromis4, fut l’occasion de chanter la gloire de Dieu ? De la même manière que Zacharie chanta le Benedictus après avoir recouvré la vue à l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, que la Sainte Vierge chanta le Magnificat après avoir reçu de l’ange l’annonce qu’elle enfantera le Sauveur et que Siméon chanta le Nunc Dimittis lors de la présentation de Jésus au temple, on peut imaginer que les anges et les bergers chantèrent la naissance du Sauveur.
Si l’Évangile de la messe de minuit5 nous dit : « Et soudainement apparu avec l’ange la multitude de l’armée des Cieux qui louaient Dieu en disant : Gloire à Dieu dans les hauteurs des Cieux », l’antienne du Magnificat des vêpres du jour de Noël, ajoute : « Aujourd’hui le Christ est né, aujourd’hui le Sauveur c’est manifesté, aujourd’hui les anges chantent sur la terre… ». On peut raisonnablement penser que les anges ne se sont pas contentés de réciter le Gloria mais de le chanter. Et l’on imagine bien les bergers revenus de la crèche, répondre à cet émerveillement en chantant.
La littérature savoureuse de nos beaux noëls populaires français ira jusqu’à attribuer aux anges la composition musicale du gloria. Ainsi ce noël provençal du XVème siècle « C’était à l’heure de Minuit » dont le deuxième couplet nous dit : « En ce saint jour, tout plein d’appâts, les anges ne sommeillaient pas ; ils composaient leur Gloria : Alleluia ! ».
Bien des siècles plus tard, lorsque la liturgie célèbrera la fête de Noël c’est encore en chantant que la naissance de Jésus sera annoncée et proclamée avec le chant grégorien « Puer natus est nobis… » et tant d’autres pièces si belles sur des textes de l’Ancien Testament. Ainsi pouvons-nous expliquer les raisons qui ont poussé les peuples et particulièrement, le peuple de France à chanter Noël, d’abord dans l’église pendant la liturgie mais aussi assez rapidement, sur les parvis de celles-ci dans les palais royaux, et jusque dans les plus humbles chaumières de nos villages.
Première partie : origines, histoire et évolution des noëls populaires
« Amis j’entends le chant des anges, ils annoncent dans leurs louanges un enfant, Roi des Cieux »
Saint Louis-Marie Grignion de Montfort
2. Les origines des noëls populaires en France
A partir du moment où Noël fut célébré avec grande solennité, l’homme a cherché en parallèle à fixer le souvenir de cette belle fête par diverses formes d’art : peinture, poésie, sculpture mais aussi et surtout musique !
D’une certaine manière, on pourrait faire remonter les premiers chants de Noël au jour de la naissance du Christ lorsque les bergers « s’en retournèrent, célébrant les louanges et la gloire de Dieu à cause de tout ce qu’ils avaient vu et entendu selon qu’il leur avait été dit »6.
On estime généralement que les noëls en France sont nés aux alentours du XIème siècle. Certains musicologues n’hésitent pas à dire que le genre du noël populaire est né en France. On dit que le plus ancien noël qui soit noté (c’est-à-dire ayant une partition) serait le célèbre « Entre le boeuf et l’âne gris » daté du XIIIème siècle7.
C’est d’abord dans le contexte liturgique qu’il faut situer l’apparition des premiers noëls, sous forme de proses ou de tropes. Nous allons développer maintenant ces deux genres particulièrement en vogue durant l’époque médiévale.
2.1. Les hymnes ou proses de Noël
En dehors des pièces grégoriennes de la messe de la nuit, de l’aurore et du jour dont on peut faire remonter la composition au IXème siècle (c’est la période de composition de la majorité du répertoire du chant « Romano-Franc » ou plus exactement « chant Messin » qui plus tard sera nommé chant grégorien en hommage à Saint Grégoire), il a existé au XIIème siècle par exemple d’autres compositions musicales utilisées dans le cadre de la liturgie : les proses ou hymnes8.
Ainsi, le moine Adam de Saint Victor écrit la prose « In natale Salvatoris » consacré à l’heureux événement de Noël :
En ce jour de la naissance du Sauveur,
Nous, créatures, répondons au chant des Anges :
Par l'harmonie de voix diverses,
Mais pleines d'ensemble, formons un doux concert.
Heureux jour, que celui-ci dans lequel,
Coéternel au Père, le Sauveur naît d'une Vierge !
Heureux et agréable jour !
Le monde se réjouit d'être éclairé par la lumière du véritable soleil.
2.2. Les tropes de Noël
Parmi les autres développements du chant et du texte liturgique au Moyen-Âge, on trouve ce que l’on appelle des tropes. La liturgie de la Nativité utilise également cette forme, qui donna elle aussi plus tard naissance au genre du noël populaire. Au IXème siècle, le moine Tutilon de l’abbaye de Saint Gall (Suisse) écrivit pour la fête de Noël le trope « Hodie cantandus est », qui passe pour l’un des premiers du genre.
Qu’est-ce qu’un trope ? C’est l’intercalation d’un texte nouveau dans un texte chanté authentique et officiel9. Ce fut d’abord l’adjonction d’un texte sous les mélismes10 de l’alleluia ou du kyrie.
Qu’est-ce qu’une pièce tropée ? C’est une pièce où, dans le but pieux de rendre une fête plus solennelle en allongeant l’office sacré, on a intercalé de nouvelles paroles destinées à préparer ou développer les paroles du thème primitif. Les tropes sont donc des fragments poétiques chantés paraphrasant un texte liturgique.
Pour la fête de la Nativité il y a par exemple le trope de l’introït « Puer natus est nobis ». Le texte de l’introït est le suivant : « Un enfant nous est né et il nous a été donné un fils ; il portera sur son épaule la marque de son empire, et il sera appelé l’Ange du grand conseil ».
Et voici ce même texte enveloppé de son trope : « Réjouissons-nous aujourd’hui parce que Dieu est descendu des Cieux, et pour nous sur la terre un enfant nous est né, depuis longtemps prédit par les prophètes, et il nous a été donné un fils. Nous l’avons déjà appris de son Père dont il portera sur son épaule la marque de son empire, et la puissance et l’empire sont dans sa main, et il sera appelé Admirable, Messager de Paix, l’Ange du Grand Conseil ».
Il existe principalement deux formes de tropes utilisés dans la liturgie médiévale : – le trope mélogène ou trope d’adaptation : on place un texte syllabique sous une mélodie existante11 ; – le trope logogène : composition d’un texte nouveau que l’on place sous une mélodie nouvelle.
2.3. Les noëls farcis
En dehors du trope, se développe ce que l’on appelle le noël « farcis »12. Il consiste en le mélange de la langue latine et de la langue vernaculaire au sein d’un même texte.
Au fur et à mesure que la langue française se construit, son utilisation verra le jour dans la liturgie, même si le latin reste la langue des offices religieux. Dès la deuxième moitié du XIIème siècle, plusieurs parties de l’office sont en français, ainsi que l’indique en 1192 l’évêque de Paris Eudes de Sully : « le jour de Noël, deux prêtres vêtus de chapes de soie entremêlent dans la récitation de l’épître et de l’évangile, des réflexions ou des prières en langue commune. Près du jubé se placent des groupes d’enfants de chœur qui donnent la réplique au célébrant en chantant des vers français, paraphrase des textes liturgiques ».
Le noël farci perdurera jusqu’à la Renaissance. L’un des exemples le plus connu du noël farci est sans doute ce noël qui reprend le texte de l’hymne « Conditor Alme siderum » :
CONDITOR fus le nom pareil
Qui fist la Lune et le Soleil,
Et les Estoiles pour tout vray ;
Noël, c'est un nom sans pareil.
TU CREAS tant que nous avons,
Ciel et terre, mer et poissons,
Et pour ce dire en doit on :
EXAUDI PRECES SUPPLICUM.
Un noël Poitevin du XVème siècle utilise le procédé du texte farci :
FIDELIS PICTAVIA,
Peuple doux et débonnaire,
PROPTER HEC NATALIA
Doit chanter ne se doit taire
Ou bien encore cet autre noël :
Célébrons la naissance
NOSTRI SALVATORIS
Qui fait la complaisance
DEI SUI PATRIS
2.4. Le chant dans les drames liturgiques
À la suite des tropes, se répandent à partir du XIIème siècle, ce qu’on appelle les « drames ». Le drame liturgique est une représentation théâtrale qui met en scène les fêtes liturgiques importantes, et raconte des événements de l’Histoire Sainte. On va ainsi jouer et chanter par exemple la scène de la Nativité (et même de l’Épiphanie). Au départ, le drame est une cérémonie religieuse que l’on joue à l’intérieur des églises dans le cadre de la liturgie. Nos noëls populaires sont directement issus de ces drames, qui furent en quelque sorte, les premières pièces de théâtre.
D’abord limités à certains diocèses, les drames vont rapidement s’étendre à d’autres et l’on verra naître des offices tels que « l’office des prophètes du Christ », le « drame des Pasteurs » et « l’office de l’étoile ». Par la suite, les drames seront joués sur les parvis des églises et cathédrales, ils prendront alors le nom de « Ludus de Nativitate Domini » c’est-à-dire un jeu chanté d’un bout à l’autre et noté en neumes. À Sens (Yonne) au XIIIème siècle, pendant qu’une procession amenait à l’église Saint Étienne où se célébrait la messe, la plus belle jeune fille de la ville juchée sur un âne, on chantait la prose suivante qui était déjà un noël populaire : « Orientis partibus, Adventavit asinus, Pulcher et fortissimus »
Écoutons maintenant le récit du drame des Pasteurs tel que le relate Noël Hervé dans son ouvrage « Les noëls français, essai littéraire et historique » :
l’Office nocturne de Noël, après le chant du Te Deum, commence l’Office des pasteurs. Une étable est préparée derrière l’autel et on y a placé par avance une statue de la Vierge. Tout d’abord, un enfant, placé très haut devant le choeur, et figurant un ange, annonce la naissance de Notre-Seigneur à des chanoines qui jouent le rôle de bergers. Ceux-ci entrent dans le choeur, pendant que l’ange leur dit : — Ne craignez pas, car je viens vous annoncer une grande nouvelle. Aujourd’hui il vous est né un Sauveur… Dans les tribunes de l’église se tiennent, tels des anges, plusieurs autres enfants qui chantent à haute voix : — Gloire à Dieu dans les cieux ! Les pasteurs, en entendant ces voix, s’avancent et reprennent : — Paix sur la terre… Pax in terris nunciatur In excelsis gloria. (…) . Mediator homo Deus Descendit in proprio, Ut ascendat homo reus Ad admissa gaudia. Eia ! Eia !
Les drames liturgiques connurent leurs heures de gloire, mais aussi leur déclin. En effet, ces représentations dont le but initial était d’embellir la liturgie de l’office où de la messe, d’édifier la piété des fidèles, finissent par dégénérer en « mascarades licencieuses » à l’image de la « fête des fous ». Aussi, l’Église fit sortir des édifices religieux les drames. Mais là encore, même en dehors des églises, des abus se produisirent, conduisant l’Église à interdire purement et simplement la tenue de ces représentations qui n’avaient plus grand chose de religieux. « Depuis longtemps d’ailleurs, ces représentations théâtrales étaient prétextes à satires et s’émaillaient peu à peu au gré des acteurs de plaisanteries grossières, d’équivoques obscènes, comme on en peut trouver à chaque page de Gargantua ou de Pantagruel » nous dit Noël Hervé.
Les drames liturgiques et les « Mistères » (du latin « ministerium ») furent interdits par l’Église au XVème siècle. En 1485 le concile de Sens (Yonne) recommande d’éviter les danses et jeux de théâtre qui profanent les temples « et que si l’on fait quelque chose, que ce soit honnêtement, sans empêchement des offices, ni barbouillages de figures »14. Au siècle suivant, le Parlement interdit également la représentation des mystères sacrés par un décret du 17 novembre 1548, en ces termes : « La Cour a inhibé et défendu, inhibe et deffend aux dicts suppliant de jouer le mystère de la Passion notre Sauveur, ne autres mystère sacrez, sur peine d’amende arbitraire ; leur permettant néanmoins de pouvoir jouer autre mystère prophanes, honestes et licites, sans offencer ou injurier autre personne ».
1. Il s’agit de Bernard Lallement qui harmonisa de très nombreux chants et noëls populaires 2. Avant que naisse le chant Messin (appelé plus tard chant « grégorien ») au IXème siècle, il existait en Gaule le chant Gallican. 3. Extrait des notes personnelles de l’auteur prise à l’occasion d’un stage de chant grégorien dirigé par Dom Daniel Saulnier en 2019 4. In litt. « Les noëls français, essai historique et littéraire » par Noël Hervé 5. Évangile selon Saint Luc, ch. 2 6. Évangile selon Saint Luc, ch. 2 : 20 7. Recueil de chants de Noël « Noël ! Chantons Noël » de Paul ARMA aux éditions ouvrières, juillet 1942 8. Lorsqu’il s’agit d’un chant liturgique hymne s’emploi au féminin. On parlera en revanche « d’un hymne national » 9. « Histoire de la poésie liturgique au Moyen-Âge » par Léon Gautier 10. Un mélisme est une longue vocalise (plusieurs notes sur une même syllabe) que l’on retrouve dans le chant grégorien. 11. C’est le cas de la plupart des Kyrie grégoriens : Kyrie « Cunctipotens genitor Deus », représenté ici, ou le kyrie « Orbis factor » 12. Le chant farci est un chant dont on ajoute des paroles latines à un chant en langue vernaculaire. Farci veut dire « entremêler ». 13. La mélodie de cette prose est ici transcrite en notation moderne. La notation médiévale originale est en neumes. 14. In « La belle bible des noëls Guérandais » par Fernand Guériff
Dans le prochain épisode de cette série, Louis-Marie Salaün en viendra au cœur du sujet, et parlera des Noëls populaires en général, sans acception d’époque ou de lieu, sous l’angle littéraire et musicologique : caractéristiques musicales, forme, rythme, timbre, emploi, langue, poésie… Dans le troisième épisode, sera abordée le détail de leur histoire.