Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Auteur/autrice : Esprit de la Liturgie Page 3 of 6

Le calendrier pré-1955 et son inculturation

Le texte qui suit est la traduction d’un article paru sur le site Liturgical Arts Journal. Nos commentaires sont entre crochets.

Le dernier demi-siècle a vu une grande poussée d’inculturation et d’adaptation de la liturgie romaine à divers pays et peuples. Paradoxalement, cependant, cette même période a également vu une simplification spectaculaire du calendrier liturgique. Je dis paradoxalement parce que le calendrier a longtemps été la partie de la liturgie romaine la plus libre de s’adapter à son environnement géographique et culturel. Si vous remettez à un bibliophile médiéval un livre d’heures et que vous lui demandez d’en déterminer la provenance, il se tournera probablement vers le calendrier et cherchera des saints propres à sa région. S’il trouve saint Bavon marqué en rouge le 1er octobre, il vous dira que le livre a été produit pour les Belges.

Bien que la messe romaine médiévale ait été tolérante à l’égard de légères variations locales telles que l’usage de Sarum ou celui de Lyon, celles-ci ont perdu de leur importance et ne sont pratiquement jamais rencontrées aujourd’hui. Dans des endroits comme les États-Unis, et parmi certains ordres comme les Jésuites, la Messe a toujours été offerte selon les livres romains au sens strict. Mais ces endroits se sont toujours vantés d’avoir des calendriers distincts et des ensembles uniques de Propres.

Après la conquête française de l’Algérie en 1830, qui a ressuscité l’église d’Afrique du Nord tombée sous les invasions islamiques, les nouveaux évêques de Carthage ont produit un nouveau calendrier liturgique pour recouvrer son ancien patrimoine. Une flopée de saints africains presque oubliés réintègrent les Propre de l’office et de la messe. Le grand saint Cyprien de Carthage, qui, dans le rite romain, ne partageait qu’une modeste fête semi-double avec le pape saint Corneille, se retrouva avec sa propre fête double de première classe avec octave. De nouvelles fêtes ont également été établies pour les papes et les martyrs africains, et le cardinal Lavigerie a promu le culte de ces saints locaux nouvellement restaurés auprès de ses ouailles.


Pourtant, même en l’absence d’une direction épiscopale aussi forte, les membres les plus humbles du laïcat catholique comprenaient ce principe général. Jeroen deWulf, spécialiste de la diaspora africaine, a montré comment les communautés noires d’Europe ont bricolé leur propre cycle annuel de fêtes en fonction des patrons de leurs églises et de leurs confréries laïques : « Les processions et les célébrations avaient lieu principalement lors de fêtes intimement liées à la communauté noire, comme la fête de saint Moïse le Noir, un moine ascète d’Égypte (28 août) ; sainte Iphigénie, une princesse nubienne légendaire (21 septembre) ; Saint Benoît le Maure de Palerme, dont les parents étaient des esclaves africains (5 octobre) ; Saint Elesbaan, anciennement connu sous le nom de roi Kaleb d’Axum dans l’actuelle Éthiopie (27 octobre) ; et Notre-Dame du Rosaire (premier dimanche d’octobre), qui étaient tous vénérés avec des loas (chants de vénération) spécifiques. La communauté noire du Portugal vénérait également un saint Antoine noir, appelé Saint Antoine de Notto, originaire de Libye et qui avait été esclave en Sicile. »
N’oublions pas que tout cela se déroulait dans le contexte d’un calendrier liturgique traditionnel beaucoup plus complexe et aussi beaucoup plus décentralisé que celui auquel la plupart des catholiques sont aujourd’hui habitués. Aujourd’hui, les grandes conférences épiscopales nationales et supranationales ont repris le processus d’élaboration des calendriers liturgiques des diocèses individuels.

Mais si nous voulons que l’inculturation soit conduite par des communautés plutôt que par des comités, il est impératif que nous tirions les leçons du calendrier qui a rendu cette flexibilité possible.

Afin de prouver ce point, il pourrait être utile de sortir de l’abstrait et de mener une petite expérience de pensée. En nous concentrant sur une communauté particulière – les catholiques amérindiens du Canada et des États-Unis – nous pouvons voir exactement ce qu’un calendrier traditionnel peut offrir de plus que le calendrier moderne.

La sainte patronne des catholiques amérindiens est sainte Kateri Tekakwitha (1656-1680), béatifiée en 1980 et canonisée en 2012. Malgré les siècles qui se sont écoulés depuis sa mort, elle est une sainte moderne, dans le sens où sa fête a toujours été célébrée dans le contexte de la liturgie réformée et n’a jamais été célébrée dans la liturgie traditionnelle.

Actuellement, deux fêtes sont associées à sainte Kateri. Au Canada, elle est vénérée le 17 avril, date de sa mort. Mais bien que la date canadienne soit historiquement exacte, elle a l’inconvénient de tomber à la mi-avril, où elle est régulièrement déplacée par les jours immuables de la Semaine Sainte et de Pâques. En 1982, les évêques américains ont décidé de déplacer la fête en été, où elle pourrait être célébrée avec beaucoup moins de complications. Ainsi, le deuxième jour associé à Sainte Kateri est le 14 juillet, jour de sa fête aux États-Unis.


Notez que ces deux dates s’excluent mutuellement et se séparent nettement selon les frontières nationales. Les Canadiens ne célèbrent pas Kateri le 14 juillet, et les Américains ne la célèbrent pas le 17 avril. On pourrait envisager, je suppose, de permettre à chaque nation de célébrer également la fête de l’autre – mais il est très peu probable qu’une telle chose soit autorisée, car tout l’esprit du nouveau calendrier est de résister aux duplications. (Et pour être juste, les duplications exactes de jours de fête sont rares même dans les anciens calendriers).

Ainsi, à l’heure actuelle, les catholiques amérindiens n’ont qu’un jour sur 365 pour honorer liturgiquement leur patronne – et, ce qui est un comble, pas plus que les autres Canadiens ou Américains.

Avec un peu d’imagination, cette fraction de 1/365 pourrait être quelque peu augmentée. Par exemple, des collections locales de saints apparaissent actuellement dans certains calendriers tout au long du mois de novembre : Tous les saints d’Irlande (le 6), Tous les saints d’Afrique (le 6), Tous les saints du Pays de Galles (le 8), Tous les saints d’Angleterre (le 8), Tous les saints de l’Ordre dominicain (le 12), Tous les saints des Bénédictins (le 13), Tous les saints de l’Ordre séraphique (le 29).

[Nous profitons de cette excellente remarque pour remarquer que dans le rite byzantin, la Toussaint (qui a lieu le premier dimanche après la Pentecôte) est également suivie d’une fête de tous les saints « locaux » ; compte tenu de cet exemple et de ceux cités par l’auteur, nous ajouterions qu’une fête de tous les saints de France serait extrêmement profitable d’un point de vue pastoral autant que liturgique].

Une date similaire pourrait être choisie pour honorer Sainte Kateri et, indirectement, les martyrs et confesseurs putatifs qui apparaissent dans ses hagiographies mais dont les causes n’ont pas encore abouti : Catherine Gandeaktena, Françoise Gonnhatenha, Marguerite Garangouas, Stephen Tegonanakoa, et d’autres.

L’Ordre joséphite, créé en 1893 pour servir les Américains d’origine africaine, a fait quelque chose de similaire dans son Manuel de prières (1895). Ils ont dûment honoré saint Benoît le Maure le jour de sa fête, le 4 avril, mais ont également indiqué une date apparemment redondante pour « saint Benoît le Maure, et tous les saints de sa race », le 5 novembre. Cette dernière date visait probablement à commémorer un autre homme cher au cœur des catholiques noirs, saint Martin de Porres, qui n’avait pas encore été canonisé à l’époque.

Nous pouvons certainement qualifier ces développements de « superflus » si nous le voulons. Mais cette caractéristique de l’ancien calendrier – dont de nombreux réformateurs liturgiques souhaitaient se débarrasser – peut également être considérée de manière positive comme un outil précieux d’inculturation.

Dans le cadre d’une petite expérience de pensée, avançons l’esprit du calendrier traditionnel d’environ 70 ans et faisons comme si les changements intermédiaires n’avaient jamais eu lieu : la suppression de la plupart des octaves en 1955, la réduction des commémorations en 1960, l’abolition des commémorations en 1969 et la simplification des rangs des fêtes en 1970.


Tout d’abord, là où sainte Kateri est la patronne d’une église ou d’une communauté, elle aurait une octave commune attachée à sa fête ; huit jours complets de célébration liturgique dans la messe et dans l’office divin. Au Canada, où aucune fête ou dimanche de haut rang n’intervient, la messe quotidienne des 18, 19 et 20 avril répète la messe de sainte Kateri. Les 21, 22 et 24 avril, les fêtes de St Anselme, Ss. Soter et Caius, et de St. Fidelis ont la priorité, mais même pendant ces messes, Ste Kateri reste présente dans les commémorations. Le 23 avril, un prêtre pourrait dire soit la Messe de Sainte Kateri avec une commémoration de Saint Georges, soit la Messe de Saint Georges avec une commémoration de Sainte Kateri. Nous verrions quelque chose de similaire aux États-Unis à partir de la fête de Sainte Kateri le 14 juillet – une octave liturgique où Sainte Kateri serait soit la messe principale de la journée, soit rappelée comme une commémoration.


Cette octave patronale, supprimée en 1955, distingue automatiquement toutes les églises et communautés sous l’égide de Sainte Kateri de toutes les autres. Elle reconnaît, avec sagesse, que les organismes ecclésiaux qui ont Sainte Kateri comme patronne spéciale méritent d’avoir un peu plus de temps pour l’honorer.

Les anciens calendriers nous présentent d’autres exemples tout prêts qui pourraient servir de modèles pour des occasions supplémentaires d’étoffer encore plus le calendrier.


Prenons la fête de l’apparition de saint Michel Archange (8 mai). Nous savons, grâce à des récits historiques fiables, que Sainte Kateri a fait plusieurs apparitions à des prêtres et à des amis après sa mort. Si l’Église les juge dignes de foi, une messe de l’apparition de sainte Kateri pourrait peut-être être attribuée aux dates qui nous sont parvenues de l’histoire : le 23 avril (dans l’octave canadienne) ou le 1er septembre.


Ou encore, prenez les nombreuses fêtes locales qui commémorent la translation des reliques : Le 25 avril pour saint Vincent de Paul, le 24 mai pour saint Dominique, le 11 octobre pour saint Augustin. Ne serait-il pas tout aussi approprié pour les fils et filles spirituels de Sainte Kateri d’honorer leur patronne comme les Vincentiens, les Dominicains et les Augustins honorent la leur ? Ses reliques ont été transférées à son lieu de repos actuel, l’église de Saint-François-Xavier à Kahnawake, au Québec, le 1er novembre 1972. La Toussaint, bien sûr, ne peut pas être déplacée, mais pourquoi ne pas reporter définitivement la translation à une férie de l’octave de la Toussaint (restaurée), comme le 3 novembre ?


Ou, pour aller vraiment loin, supposons qu’un dilettante américain de la liturgie (en parlant de façon purement hypothétique, bien sûr), le nez plongé dans les sources primaires, conclue que les Canadiens avaient raison après tout : le Lys des Mohawks devrait vraiment être honoré en avril. Mais il ne veut pas non plus être mis à l’écart de ses compatriotes. Puis, en consultant des calendriers liturgiques de Kahnawake datant du début du XXe siècle, il découvre que l’église de la mission de Saint-François-Xavier, lieu de repos actuel de Sainte-Kateri et église mère du catholicisme amérindien, célébrait la fête de sa dédicace le deuxième dimanche de juillet, du 8 au 14. (Et selon la norme de l’époque, elle aurait été un double de la première classe avec une octave). Ce fait fournit la couverture parfaite pour préserver à la fois les dates américaines et canadiennes modernes, avec un accent légèrement différent qui évite la répétition exacte.


Si vous avez perdu le fil de tout cela, cela nous laisse avec : 1 ou 2 jours par an sur le thème des Amérindiens dans le calendrier actuel, mais jusqu’à un nombre stupéfiant de 19 jours par an sur le thème des Amérindiens en utilisant les outils fournis par le calendrier traditionnel. (Nous supposons une octave de 8 jours avec la fête principale le 17 avril, une octave de 8 jours pour la Dédicace à partir de la deuxième semaine de juillet, et trois fêtes putatives pour l’apparition le 1er septembre, la translation des reliques autour du 3 novembre, et la Toussaint de l’Amérique [autochtone]).

Certes, le total le plus élevé ne s’applique qu’au sanctuaire de Kateri à Kahnawake, mais ce résultat n’est-il pas logique ?

Le sanctuaire natal de sainte Kateri ne devrait-il pas être le lieu qui lui est consacré avec le plus de ferveur dans le monde entier ? Et à partir de là, sa présence dans le calendrier peut progressivement diminuer à mesure que l’on s’éloigne de son centre de dévotion. Il faudrait demander une autorisation spéciale pour célébrer des messes supplémentaires putatives comme la Translation ou l’Apparition. Mais en supposant que ces permissions puissent être accordées aux communautés ayant une importante population autochtone – et pourquoi pas, si l’inculturation est vraiment notre objectif – ces messes seraient des célébrations liturgiques uniques en leur genre. Le reste d’entre nous, catholiques du Canada et des États-Unis, serait ravi de se joindre à l’observation de sa fête principale une fois par an, mais les fêtes spéciales pourraient être uniques en leur genre.

Il est vrai que j’ai laissé libre cours à mon imagination dans cet exercice, mais seulement dans la mesure où il s’agit d’introduire des pratiques liturgiques autrefois courantes dans une ère de minimalisme liturgique brutal. Ce que j’ai décrit ci-dessus pour Sainte Kateri était une procédure assez courante il y a seulement quelques siècles. Dans un livre liturgique du diocèse de Lisbonne datant de 1780, les octaves, les vigiles, les dédicaces et les traductions d’intérêt local représentent quelque 37 jours, soit 10% de l’année liturgique.

Et il faut certainement admettre que l’ajout de fêtes au calendrier traditionnel est un chemin beaucoup plus simple vers une liturgie inculturée que d’aller jusqu’à l’extrême en essayant de rédiger et de faire approuver un nouvel ordinaire de la Messe ou (horreur!) une nouvelle prière eucharistique ou un « Credo amérindien ».

Quelle que soit la préoccupation du milieu du XXème siècle concernant la duplication et la redondance liturgiques, elle semble de plus en plus avoir manqué le but premier de la liturgie. Ceux qui aiment sainte Kateri et la considèrent comme leur patronne spéciale veulent la célébrer. Et pas qu’un peu ! Toujours en proportion des mystères de Notre Seigneur, bien sûr, mais si nous pouvons prendre un peu plus de temps pour célébrer des aspects légèrement différents de sa vie et de sa glorification au ciel, comme nous l’avons toujours fait pour les autres saints de la chrétienté, alors pourquoi laisser passer cette occasion ?

Bien sûr, je ne veux pas minimiser la valeur de l’inculturation au-delà du calendrier – les lecteurs de ces pages connaissent peut-être mes articles précédents sur les usages liturgiques uniques de Kahnawake et des autres missions. Lorsque des textes liturgiques de ce type existent, je suis ravi de les encourager et de les promouvoir. Cependant, de tels développements reposent généralement sur une antiquité immémoriale ou sur des indults et des permissions spéciales, et sont donc relativement rares.

Alors que les calendriers locaux sont typiques de toutes les communautés catholiques, complètement anticipés dans la structure du Rite Romain, et amplement prévus par un système de classement qui a traditionnellement donné une grande latitude aux intérêts dévotionnels locaux.

Et même avec des Rites et des Usages uniques, le calendrier a un rôle particulier à jouer.

Il n’y a qu’une poignée d’églises dans le diocèse de Tolède qui utilisent le rite mozarabe, une très ancienne liturgie espagnole remontant au 7e siècle. Toutefois, les églises de rite romain de Tolède sont autorisées à participer à ce patrimoine local en offrant cette liturgie deux fois par an, lors des fêtes de l’Incarnation et de saint Ildephonse. En France, la Fraternité Saint-Pierre, de rite romain, a fait revivre le rite solennel de Lyon à l’occasion de fêtes locales importantes comme celles de saint Irénée et de saint Just.

Offrir des liturgies locales pour des fêtes d’intérêt local est beaucoup plus naturel pour les Rites occidentaux que, par exemple, de bricoler de nouvelles anaphores en s’inspirant ostensiblement des modèles hippolytain, mozarabe et basilien, puis de les offrir à tout le monde sans distinction, sous forme de buffet.

Bien que la flexibilité moderne puisse initialement séduire un inculturateur par sa liberté de particulariser, on apprend rapidement qu’une masse bancale d’options universellement disponibles est exactement le contraire d’une liturgie véritablement inculturée, qui a des divergences fixes et locales bien définies par rapport au Missel Romain. Le rite ambrosien ne propose pas d’options pour la durée de l’Avent, il prescrit simplement un Avent de 6 semaines, et c’est tout. Nous pourrions dire la même chose des Illationes mozarabes, du cérémonial de Sarum ou du cycle d’introïts du Kaiatonsera Teieriwakwatha [Il s’agit d’une sorte d’adaptation des propres liturgiques romains à l’usage des chrétiens amérindiens de l’actuel Canada, en langue huronne, NDT].

En résumé, il semble évident que le Missel romain traditionnel d’avant 1955, limité dans ses options générales mais extrêmement généreux dans son traitement des fêtes locales, offre un potentiel d’inculturation bien plus important que ses révisions ultérieures, qui offrent une pléthore d’options générales mais limitent la capacité de personnalisation locale.

Communiqué d’Esprit de la liturgie sur le motu proprio Traditionis Custodes

La publication par le pape François du motu proprio Traditionis Custodes est une source de grande souffrance pour Esprit de la liturgie comme pour tous ceux, fidèles de l’une ou l’autre forme du rite romain, qui sont attachés à la pensée de Benoît XVI en matière de liturgie.

Il n’est pas envisageable d’adhérer à la volonté explicite du Souverain Pontife de voir disparaître l’usage ancien au profit de l’usage réformé, tant que la situation de fait de cet usage réformé est celle d’une rupture avec la tradition liturgique latine.

Cette rupture se fait selon trois axes : premièrement, une grande partie des éléments les plus antiques de la liturgie traditionnelle (oraisons, lectures, antiennes), est absente de la liturgie réformée ; deuxièmement, les options les plus couramment choisies dans la liturgie réformée ne correspondent pas à la tradition liturgique latine (abandon du grégorien, de l’orientation, plus généralement du hiératisme) ; troisièmement, même si les abus liturgiques au sens strict se font plus rares que par le passé, ils sont encore assez fréquents pour qu’on souhaite s’en prémunir.

Cette rupture, Esprit de la liturgie a toujours voulu contribuer à la réduire, encouragée par l’appel de Benoît XVI à recevoir les usages nouveaux avec une herméneutique de réforme dans la continuité. Le Motu Proprio Traditionis Custodes, au contraire, entérine cette rupture.

Dans la situation présente, la possibilité de célébrer la Messe, l’Office divin et les Sacrements selon l’usage ancien est un témoignage, ô combien vivant, de la tradition liturgique latine, qui doit continuer d’informer l’ars celebrandi de l’usage réformé et ses éventuelles réformes ultérieures.

La généreuse liberté donnée par le pape Benoît XVI à tout fidèle du rite latin de bénéficier des livres liturgiques en usage en 1962 avait arrêté net la “guerre des missels” qui empoisonnait la vie de l’Église depuis les années 1970. C’est dans le cadre de cette coexistence, largement paisible, que notre association s’est proposée d’encourager une réflexion qui aille au-delà d’une prise de position pour l’un ou l’autre missel, et permette de promouvoir un vrai sens liturgique et traditionnel dans les célébrations de l’Église latine aujourd’hui. Elle était en cela encouragée par l’affirmation de l’égale dignité des deux formes du rite romain, affirmation que Traditionis Custodes répudie dès son premier article. Le motu proprio ramène ainsi la liturgie préconciliaire, et l‘Église avec lui, quarante ans en arrière, et déterre au passage la hache de guerre liturgique.

L’association Esprit de la liturgie, son blog, son groupe Facebook et sa revue, continueront de promouvoir l’ars celebrandi traditionnel du rite romain, son esthétique, son chant et sa symbolique, dans l’usage ancien comme dans l’usage réformé, toujours convaincue de la profonde vérité de ces paroles de Benoît XVI dans la lettre accompagnant le motu proprio :

“L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place.”

Le comité d’Esprit de la liturgie

L’apport juridique de Summorum Pontificum

Note du traducteur : On trouvera ci-dessous une traduction d’un article de Gregory DiPippo paru le 9 juillet sur le site du New Liturgical Movement. M. DiPippo est le directeur de la rédaction du New Liturgical Movement, et un expert des réformes du rite romain au XXè siècle. Il propose dans cet article une explication possible du sens précis à donner à l’expression des « deux formes de l’unique rite romain », que Benoît XVI a introduit dans Summorum Pontificum pour caractériser la relation entre liturgies pré- et post-concilaires dans le cadre de l’Église latine. Cette réflexion est intéressante car elle intègre les aspects juridiques du problème tout en proposant une manière de classer les différentes liturgies chrétiennes, puis situe les deux formes du rite romain dans ce double-cadre juridique et liturgique. J’y ai ajouté quelques observations.


Ces derniers jours, avec les rumeurs d’une possible suppression ou d’un retour en arrière de Summorum Pontificum, il y a eu beaucoup de discussions sur son statut et sa signification. J’ai donc pensé qu’il serait utile de rééditer cet exposé sur la question, publié à l’origine lors du dixième anniversaire du motu proprio [NDT : En 2017]. Pour résumer : le motu proprio n’est pas un document sur l’histoire de la liturgie, mais une disposition légale, et doit être lu et compris comme tel.

Je me suis également souvenu aujourd’hui de cette déclaration sur le sujet d’un dominicain français, le père Thierry-Dominique Humbrecht, qui vaut la peine d’être considérée : « Le pluralisme liturgique des deux états du rite romain est peut-être dommageable, mais il est la conséquence d’un éclatement liturgique sauvage, plus dommageable encore, sur lequel la lumière officielle est encore trop timidement faite. »

Je propose ici d’examiner ce que le pape Benoît XVI a voulu dire, et ce qu’il a réalisé, en caractérisant la messe traditionnelle et sa réforme post-conciliaire comme deux formes du même rite, l’une extraordinaire et l’autre ordinaire. Avant cela, je crois qu’il est nécessaire d’établir une distinction entre les termes qui ont été historiquement utilisés pour décrire les variations au sein d’une liturgie ou d’une famille liturgique : « rite » et « usage ».

À ma connaissance, la distinction entre un rite et un usage n’a pas été officiellement établie par l’Église dans sa loi ; il s’agit donc uniquement de mon point de vue sur la question.

Pour des raisons de clarté, les variantes d’un même rite devraient, à proprement parler, être appelées des usages, comme l’usage de Sarum [NDT : la liturgie de l’Église de Salisbury, qui était la plus répandue en Angleterre avant la Réforme protestante] ou l’usage carmélitain ; c’est ainsi qu’elles étaient le plus souvent appelées avant la réforme tridentine. Par exemple, on lit sur la page de garde du Missel de Sarum : « Missale ad usum insignis ecclesiae Sarisburiensis – le Missel selon l’usage de la célèbre église de Salisbury ».

Le frontispice d’un missel de Sarum imprimé à Paris en 1555.

Il est vrai que même avant le concile de Trente, il y avait une certaine confusion entre ces termes, et que « rite » était parfois employé au lieu de « usage » ; après Trente, le terme « usage » est devenu rare. La terminologie n’a certainement jamais été uniforme, et de nombreux livres liturgiques n’utilisent aucun des deux termes, et n’ont qu’un adjectif modifiant les mots « Missel », « Bréviaire », etc. Les Dominicains disaient soit « selon l’Ordre Sacré des Prêcheurs », soit « selon le Rite de l’Ordre Sacré des Prêcheurs ».

A gauche, le début du Missel pré-tridentin « selon l’usage de la célèbre église de Liège ». À droite, le frontispice d’une édition post-tridentine du « Breviarium Leodiense – Bréviaire de Liège » ; « Leodiensis » est la forme adjectivale du nom de la ville en latin, Leodium. En français, on pourrait le traduire plus littéralement par « Bréviaire Liégeois ».

Toutefois, si l’on souhaite établir une distinction entre les différentes liturgies d’une part, et les variantes au sein d’une même liturgie d’autre part, tout en conservant une certaine terminologie historique, il semble évident que « rite » est le plus approprié pour les premières, et « usage » pour les secondes. Il serait absurde de décrire les liturgies des églises orientales comme « l’usage byzantin, l’usage copte, etc. » en les comparant à « l’usage romain » ; il s’agit clairement de rites entièrement différents. « Usage », d’autre part, était le terme prédominant pour les variantes du rite romain alors qu’il y avait de nombreuses variantes de ce type célébrées dans toute l’Europe occidentale.

Toutes les caractéristiques essentielles du rite romain, telles que l’Ordinaire de la Messe et la structure de l’Office, sont les mêmes d’un Usage à l’autre. Elles ne sont pas les mêmes dans les autres Rites. Cela ne s’applique pas seulement au Canon, mais à toute la structure de la Messe : Introit, Kyrie, Gloria, Collecte(s), Épître, Graduel, Alléluia, etc. À quelques variations mineures près, qui sont plus des variations d’agencement que de formulation, l’essentiel des textes liturgiques est également identique. En parcourant chaque missel ou antiphonaire de chaque usage du rite romain, on trouvera l’introït Ad te levavi le premier dimanche de l’Avent, Populus Sion le deuxième, etc. Il est vrai que certaines caractéristiques ultérieures du rite, notamment les prières d’Offertoire et les séquences, diffèrent considérablement d’un usage à l’autre. Ces variances sont cependant restreintes dans des bornes bien visibles, ont beaucoup d’éléments en commun, et peuvent donc être regroupées en familles.

De plus, toute Messe ou tout Office propre écrit pour un Usage peut être transposé dans n’importe lequel des autres sans aucune difficulté. Par exemple, Saint Thomas d’Aquin était dominicain et a écrit l’office et la messe de la Fête-Dieu selon l’usage français médiéval suivi par son ordre. (L’office avait neuf répons à Matines, plutôt que huit comme dans l’usage romain, un verset entre Matines et Laudes, etc.) Presque rien n’a dû être fait pour ajuster ces textes pour le Missel et le Bréviaire selon « l’usage de la Curie romaine », qui dans la réforme tridentine est devenu le Missel et le Bréviaire de Saint Pie V.

Cependant, lorsque la messe de la Fête-Dieu a été ajoutée au rite ambrosien, il a fallu procéder à toutes sortes d’ajustements : l’ajout d’une première lecture, de l’antienne après l’Évangile, de l’Oratio super sindonem et du Transitorium, qui n’existent pas dans le rite romain, et la suppression de la Séquence, qui n’a jamais existé dans le rite ambrosien. Inversement, si l’on voulait prendre la messe ambrosienne de la Saint-Ambroise, par exemple, et la transposer dans le rite romain, il faudrait la modifier très considérablement, en ajoutant un verset de psaume et le Gloria à l’Ingressa pour en faire un Introit, et en supprimant la première lecture, l’antienne après l’Evangile, l’Oratio super sindonem, et le Transitorium.

[Note : pour simplifier, on peut penser la différence entre « usages » et « rites » de façon analogue à la différence existante entre différents dialectes d’une même langue, d’un côté, et différentes langues, de l’autre. Des dialectes sont généralement inter-compréhensibles, et on peut assez facilement passer de l’un à l’autre ; tel n’est pas normalement le cas de deux langues. Que les linguistes nous pardonnent cette analogie un peu crue, dont nous savons qu’elle a ses limites. Elle semble naturelle, dans la mesure où chaque liturgie chrétienne n’est jamais que la langue rituelle dans laquelle la Sainte Église s’adresse à son Divin Époux.]

Si nous acceptons ces définitions de rite et d’usage, il me semble très clair qu’aucune d’entre elles n’est appropriée pour décrire la relation entre ce que nous appelons maintenant les deux formes du rite romain. Au niveau très élémentaire de ce que nous voyons et entendons habituellement dans une messe dans la forme ordinaire et une messe de la forme extraordinaire, elles apparaissent immédiatement comme deux rites différents. Le liturgiste Joseph Gelineau SJ a déclaré à propos de la messe réformée : « Il faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus. Il est détruit ». (Demain la Liturgie, Éditions du Cerf, 1977, p. 9-10) Une telle déclaration ne peut être considérée comme l’opinion d’un seul homme ; le père Gelineau était une figure de proue de la réforme liturgique, et il était très estimé par son architecte le plus célèbre, l’archevêque Annibale Bugnini. Des déclarations similaires, qu’elles soient pour ou contre la réforme, ont été faites par beaucoup d’autres personnes. Il n’y a pas d’autre changement antérieur dans le rite romain à propos duquel je pourrais imaginer qu’un spécialiste sérieux de la liturgie emploie pareil langage.

[Note : si l’on décide, au contraire, de comparer une messe solennelle selon le missel préconciliaire à la forme ordinaire selon sa forme la plus « traditionalisante » possible, c’est-à-dire orientée, chantée en latin et en grégorien, et célébrée avec les options les plus proches du missel préconciliaire, il semble également que des différences rituelles notables apparaitront assez rapidement. Pour la liturgie de la Parole, on pense aux rites introductif de la forme ordinaire, séparant l’Introït et le Kyrie, qui se suivent en forme extraordinaire ; à la lecture précédant l’épître, et au Graduel qui la suit au lieu de suivre l’Epître ; et à l’inversion Alléluia/Séquence.]

Sur la base de mon argument de transposition donné ci-dessus, (les textes peuvent facilement être déplacés d’un Usage à un autre, mais peuvent beaucoup moins facilement, ou pas du tout, être déplacés d’un Rite à un autre), on peut dire que formes ordinaire et extraordinaire partagent une certaine identité. La plupart des textes de n’importe quel bloc de textes de messe peuvent être déplacés de l’un à l’autre assez facilement, ou du moins, beaucoup plus facilement qu’ils ne pouvaient être déplacés entre les rites byzantin et ambrosien. Cependant, si l’on considère que la réforme post-conciliaire a entraîné un déplacement des textes liturgiques bien plus important que ce qui s’était produit auparavant dans le rite romain, et les différences rituelles significatives, il est beaucoup plus difficile d’affirmer que formes ordinaire et extraordinaire partagent une identité. Historiquement, il s’agit d’une situation absolument anormale ; il n’y a jamais eu de cas de deux rites ou usages qui partageaient autant de choses et qui étaient pourtant si radicalement différents.

Pour cette raison, l’identité des deux formes d’un même rite, telle qu’établie par Summorum Pontificum, a parfois été décrite comme une « fiction juridique ». Je soutiens que c’est une façon tout à fait appropriée de décrire la situation, que l’identité des deux formes d’un seul Rite EST une fiction juridique, et que c’est une bonne chose.

Une fiction juridique n’est pas la même chose qu’un mensonge. L’adoption, par exemple, est une fiction juridique, qui stipule que du point de vue de la loi, telle personne est l’enfant de telle autre. Il ne s’agit absolument pas d’une fausse déclaration, même si l’enfant adopté n’est pas la progéniture naturelle du parent. La reconnaissance par la loi du lien entre un parent et un enfant est peut-être l’aspect le moins significatif, précisément parce qu’elle ne crée pas ce lien et ne peut le dissoudre. En ce sens, l’adoption déclare simplement que l’absence de relation génétique entre deux personnes spécifiques n’est pas juridiquement pertinente, et qu’une relation parent-enfant existe entre elles.

De la même manière, l’action de Benoît XVI en créant deux « formes » n’avait pas pour but de parler de la relation entre forme ordinaire et forme extraordinaire du point de vue de l’érudition liturgique ou historique, mais uniquement comme une description de la relation entre elles en droit. Elle déclare simplement que la relation ténue entre les deux formulaires n’est pas pertinente sur le plan juridique.

En droit, un prêtre d’un rite donné a besoin d’autorisations spéciales (les facultés) pour célébrer la messe dans un autre rite. Il s’agit d’une disposition légale utile et parfaitement raisonnable pour diverses raisons, et qui existe depuis longtemps, mais ce n’est pas une nécessité morale en soi ; lorsqu’elles ont été jugées utiles sur le plan pastoral, l’Église s’est montrée assez souple pour accorder de telles autorisations. Cependant, l’objectif de Summorum Pontificum était d’établir qu’un prêtre de rite romain n’a pas besoin d’une faculté ou d’une permission spéciale pour dire la Messe selon le missel traditionnel, comme c’était le cas sous l’indult Ecclesia Dei. Je crois que Benoît XVI a agi très sagement et consciencieusement en adoptant une catégorie complètement différente de toutes celles utilisées précédemment, celle de la « forme » au lieu de « l’usage » ou du « rite », pour contourner un problème juridique important, à savoir que par toute autre solution, il aurait rendu la grande majorité des prêtres catholiques « bi-rituels ». Cela aurait été une abomination juridique sans précédent.

Mettre en place les ornements du prêtre et préparer le calice pour la messe (forme extraordinaire du rite romain)

Après avoir vu comment préparer l’autel et la crédence le servant doit savoir préparer le calice. En effet, même si c’est normalement à un sous-diacre ou au prêtre de préparer le calice, il peut charger le servant de le disposer. Ce dernier veille alors à ne pas toucher directement le calice avec les mains mais en se munissant si possible de gants en tissu. En effet, seul le sous-diacre peut toucher les vases sacrés (calice et patène) et les linges sacrés (purificatoire, pale et corporal), car il en reçoit le pouvoir lors de son ordination.

Le calice se prépare de la manière suivante : le purificatoire déplié est posé sur les bords de la coupe du calice. La patène contenant une grande hostie est placée sur le purificatoire, la pale est posée sur la patène et l’hostie, le voile du calice recouvre l’ensemble du calice, la croix brodée sur le tissu centrée sur le devant. La bourse contenant le corporal est posée sur le voile du calice la croix brodée vers le haut. Attention à ne pas oublier de mettre l’hostie sur la patène.

On prépare ainsi le calice pour toutes les messe basses et les messes chantées. À la messe basse, on le laissera à la sacristie, et le prêtre entrera en procession en le portant, tandis qu’à la messe chantée avec encensement, le calice sera posé sur la crédence avant la messe, et amené sur l’autel par le cérémoniaire avant l’offertoire.

Préparer les ornements incombe habituellement au sacristain ou à un servant de messe. Celui-ci dispose alors sur le meuble de la sacristie (ou chasublier) les ornements du prêtre de la manière suivante :

Il étend d’abord la chasuble à plat sur le meuble, en mettant le dos de celle ci vers le haut. Il dispose correctement les cordons situé à l’intérieur de la chasuble afin qu’ils ne soient pas visible de l’extérieur.

Sur la chasuble, il dépose l’étole. Il la place en forme de H, c’est-à-dire en plaçant les franges vers le col de la chasuble et la collerette (partie en dentelle) dirigée vers le bas pour être facilement accessible par le célébrant. Il pose ensuite le manipule au milieu, par-dessus l’étole.

Les franges sont également dirigées vers le col de la chasuble et l’attache des pans du manipule placée à droite. Puis il dispose le cordon, les glands dirigés vers la droite (on prends souvent l’habitude d’écrire la lettre M (pour Maria) avec le cordon).

Il place l’aube par-dessus le tout en repliant les manches, et relève la moitié inférieure pour que le célébrant puisse la prendre plus facilement. Enfin il déplie l’amict sur l’aube et dispose convenablement le cordons attachés à l’amict.

À côté des ornements, on déposera la barrette du célébrant.

Les ornements se préparent ainsi à toutes les messes basses et aux messes chantées qui ne sont pas précédées d’une aspersion ou d’une autre cérémonie durant laquelle le célébrant revêtira la chape. Dans ces cas là, on placera la chasuble et le manipule sur la banquette, et le reste des ornements à la sacristie.

Voici donc les règles générales, mais comme à chaque fois, il faut savoir les adapter à la situation, c’est là tout le rôle du cérémoniaire. Observer chaque circonstance, et s’adapter. Les prêtres par exemple ne portent pas tous la barrette. Les voiles de calices n’ont pas toujours de croix, surtout en Italie. Si le célébrant en à l’usage, le cérémoniaire veillera à la présence de la calotte. Ce sont ses qualités d’adaptations qui font un bon cérémoniaire, ce que nous devons tous aspirer à devenir, pour la plus grande gloire de Dieu

Préparation du sanctuaire pour une messe lue (forme extraordinaire du rite romain)

Avant chaque office liturgique, les sacristains doivent mettre en place tout ce qui sera nécessaire au bon déroulement de cet office, principalement dans le sanctuaire (ou chœur) et dans la sacristie. Dans le sanctuaire se trouve l’autel, recouvert de ses trois nappes, et sur lequel sont posés une croix et des chandeliers de part et d’autre. Dans la plupart des églises où l’autel a été conçu pour la forme extraordinaire du rite romain, derrière l’autel se trouvent les « gradins », de chaque côté du tabernacle : c’est sur cela que se posent généralement les chandeliers. Une croix peut être fixée au mur derrière l’autel, auquel cas il n’est pas nécessaire d’en mettre une sur le tabernacle.

Quand il n’y a pas d’office célébré à l’autel, il est recouvert du tapis d’autel (drap placé sur l’autel, par-dessus les trois nappes, pour les protéger). Avant la messe il faut donc l’enlever. On le plie en ramenant les extrémités vers le milieu de l’autel.

Pour préparer la messe pour la forme extraordinaire, il faut placer tout d’abord les canons d’autel. Il y a trois canons à placer dans un ordre précis. Côté épître (à droite), on pose, debout, appuyé contre le gradin de l’autel, le canon sur lequel est inscrite la prière Deus, qui humanae substantiae dignitatem et la prière du lavabo ; au centre, le plus grand des trois canons, qui contient les prières de la consécration, le Gloria, le Credo et certaines autres prières récitées par le célébrant ; côté évangile (à gauche), on place le canon sur lequel est imprimé le dernier évangile contenant le texte du Prologue de Saint Jean.

On dépose ensuite sur l’autel le pupitre et le missel (accompagné d’un lectionnaire contenant la traduction des lectures, si le célébrant souhaite la lire à l’autel). Le tout est placé dans le coin droit de l’autel, appelé aussi le côté épître, puisque c’est à cet endroit que le prêtre la récite. Le missel est posé de telle sorte que le pupitre soit bien droit face au célébrant. La tranche du missel est tournée vers le centre de l’autel, et les signets sont répartis sur le côté pour être accessibles facilement par le prêtre au cours de la cérémonie.

Avant d’allumer les cierges de l’autel, le sacristain ou le servant prépare aussi la crédence. C’est une table recouverte d’une nappe blanche. Elle se place côté épître du sanctuaire « in plano » (« sur le sol » c’est à dire qu’elle n’est pas sur le marchepied de l’autel) entre l’autel et la banquette.

Il faut y placer les burettes sur un plateau. Le manuterge, plié et posé sur les burettes afin de protéger leur contenu. Une des burettes est remplie de vin, l’autre d’eau. On place un bassin pour le Lavabo. On dépose sur la crédence la clochette, un plateau de communion et, si nécessaire, la feuille des prières de Léon XIII (dites « léonines ») qui suivent la messe.

Pour que tout soit prêt dans le sanctuaire pour la célébration de la messe basse, il faut de mettre les signets aux bonnes pages dans le missel d’autel, afin que le célébrant n’ait pas à les chercher au cour de la messe. Sur l’autel, le missel est posé sur un pupitre ou un coussin, légèrement incliné pour lire commodément. Pour savoir où trouver les textes d’une messe, servons-nous d ‘un repère en divisant le missel d’autel en trois grandes parties : le temporal, le canon et le sanctoral. Ces trois parties sont elles-mêmes subdivisées en sous parties.

1) Le temporal contient les textes des messes du dimanche, des fêtes de Notre-Seigneur et aussi le sanctoral du 26 décembre au 14 janvier.

2) La deuxième partie contient les prières du canon de la messe. Ce sont celles qui sont pour toutes les messes et qui comportent les paroles de la consécration. Cette partie du missel est précédée des textes des différentes préfaces de la messe

3) Le sanctoral contient le propre des messes des saints du calendrier liturgique, le commun des messes des saints et les messes votives pour certains jours de la semaine.

Ainsi, la messe du dimanche se retrouvera plutôt dans la première partie du missel. En semaine nous trouverons plutôt la messe du jour du côté du sanctoral. Dans le missel des fidèles nous retrouvons habituellement la même division.

Quand tout est en place, le sacristain ou un servant allume les cierges (pour une messe basse, un de chaque côté de la croix) en allumant d’abord le côté épître, puis le côté évangile. En principe, les chandeliers doivent être allumés à partir de la lampe du sanctuaire (si celle ci est facilement accessible.)

Une fois le sanctuaire ainsi préparé, la cérémonie pourra commencer, et pour que la messe se déroule convenablement et dignement, il faudra que ceux qui la préparent prennent bien soin de ne rien oublier. Si nécessaire, celui qui installe le sanctuaire se fera une liste des choses à préparer. Cela ferait désordre si le servant devait se rendre à la sacristie au milieu de la messe pour aller chercher un objet liturgique que le sacristain aurait oublié.

La résurrection de Sacrosanctum Concilium

« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Luc 9 : 22)

Toute grande œuvre de l’Église suit le chemin de la vie terrestre du Christ. Portée par l’Esprit Saint elle commence dans un printemps de joie, puis arrive l’hiver de la passion et de la mort apparente et, enfin, elle fleurit dans l’été de la résurrection et de la gloire.

La théologie carmélitaine enseigne cette vérité avec une précision particulière au sujet de l’ascension spirituelle des âmes. Celles-ci ne peuvent qu’atteindre la perfection en traversant l’épreuve que saint Jean de la Croix nomme la nuit de l’esprit, formée de tourments terribles, intérieurs et extérieurs, que sainte Thérèse d’Avila décrit en détail dans la sixième demeure de son Château intérieur.

Ceci est tout aussi vrai pour l’œuvre des conciles. Le grand archevêque, missionnaire et intellectuel, le vénérable Fulton Sheen, affirmait ainsi, en 1979, peu avant sa mort :

« Les tensions qui ont eu lieu après le concile ne sont pas étonnantes pour ceux qui connaissent entièrement l’histoire de l’Église. C’est un fait historique qu’à chaque fois qu’il y a une descente importante de l’Esprit Saint, tel que pendant un concile œcuménique, il y a toujours des attaques supplémentaires de l’anti-Esprit, du démon. » (A Treasure in Clay, p. 308)

En effet, après le concile de Nicée, au IVe siècle, la crise dite « arienne » qu’il était censé corriger s’empira au contraire, au point il où fallut convoquer 50 ans plus tard, le concile de Constantinople, pour y mettre enfin un terme. Et que dire du grand concile de Trente, qui répondit brillamment, point par point, aux divers « réformateurs » protestants ? Il eut lieu de 1545 à 1563, et les guerres de religion qui mirent à feu et à sang notre pays, entre catholiques et protestants, elles, commencèrent… en 1562.

Qu’en fut-il de la réforme liturgique des deux derniers siècles ? Née brillamment au 19e siècle dans les cœurs, les esprits et les lieux de cultes de profonds théologiens et hommes d’Église, elle fut peu à peu portée jusqu’au Magistère, d’abord avec la réforme du bréviaire de saint Pie X, ensuite avec celle de la semaine sainte du vénérable Pie XII et, enfin, le concile œcuménique Vatican II consacrait les fruits de ce travail dans sa constitution Sacrosanctum Concilium, qui donna les principes théologiques et pratiques généraux d’une réforme d’ensemble du culte catholique. Voici, pourrait-on dire, les mystères joyeux de la réforme liturgique.

Mais que se passa-t-il ensuite ? Il est difficile de décrire l’ampleur du désastre qui arriva, de la passion et de la mort qu’a traversé cet aspect si essentiel de la vie de l’Église catholique. Peut-être pourrions-nous commencer par l’illustrer avec cette description de la place du culte au congrès mondial de la revue Concilium de 1970, cinq ans après la clôture de Vatican II, qui regroupait alors l’élite mondiale de la théologie catholique. Tracey Rowland, membre actuelle de la Commission théologique internationale, rapporte ainsi l’expérience du père dominicain Cornelius Ernst, alors présent :

Celui-ci s’est « plaint que les organisateurs aient conçu le congrès comme un événement politique, un exercice pour faire pression sur les autorités de l’Église […] ; qu’il n’y ait pas eu de messe les jours de semaine ; que la messe du dimanche ait été différée pour le bénéfice des médias et dominée par une « chorale d’écoliers belges chantant des airs sautillants’ […] » (Catholic Theology, p.91)

La description est brève, mais suffisante pour que quiconque est familier de Sacrosanctum Concilium puisse saisir la contravention la plus totale de son enseignement dans ce qui devrait être une rencontre hautement spirituelle. Moins d’une décennie après l’écriture et l’adoption de ce texte, il était déjà manifestement ignoré et méprisé par ceux qui auraient dû être les mieux placés pour le comprendre et le vivre. L’on pourra mentionner, en passant, que la débâcle manifeste de Concilium pesa certainement lourdement dans les facteurs qui poussèrent, en 1972, les pères Hans Urs Von Balthasar, Joseph Ratzinger et Henri de Lubac à fonder Communio, la revue qui devait heureusement prendre le relai comme figure de proue de la recherche théologique catholique.

Si l’état de la liturgie était tel parmi l’élite de l’Église, malheureusement sur le terrain, dans les paroisses, diocèses et communautés religieuses, les choses n’allaient pas autrement. Sans passer trop de temps sur ceci – les descriptions seraient longues, et les abus sont encore dans la mémoire de beaucoup – nous citerons simplement le constat d’un des plus grands artisans du Renouveau liturgique du milieu du XXe siècle, qui était un soutien initialement enthousiaste des efforts de réforme postconciliaires, le père Louis Bouyer. En 1968, trois ans après la clôture du concile, il affirmait :

« Une fois de plus, ici, il faut dire les choses sans ambages : il n’y a pratiquement plus de liturgie digne de ce nom, à l’heure actuelle, dans l’Église catholique. La liturgie d’hier n’était plus guère qu’un cadavre embaumé. Ce qu’on appelle liturgie aujourd’hui n’est plus guère que ce cadavre décomposé. » (La décomposition du catholicisme, p. 144)

Le constat est on ne peut plus sévère. Le culte catholique serait donc passé d’un état dominant de formalisme souvent creux, vécu sans en pénétrer véritablement le sens, et donc avec peu de profit spirituel, à un état de chaos généralisé. Plutôt que de faire revivre la liturgie, les premiers efforts de réforme de la faire sortir de son état « embaumé, » l’auraient plutôt amenée à celui pire encore de « décomposé. » Avant, il restait au moins la forme. Ensuite, même pas cela. Les principes et règles fondamentales du culte catholique n’étaient plus réellement vécus, ni dans les gestes, ni dans les cœurs.

La liturgie est donc bien morte au courant des années 1960. Après le printemps de la redécouverte par le mouvement liturgique de ses principes théologiques, historiques et spirituels, qui furent ensuite consacrés par le magistère, elle fut conduite à sa flagellation, son humiliation et, finalement, à son meurtre.

« ‘Femme, pourquoi pleures-tu ?’ Elle leur répond : ‘On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé.’ » (Jean 20:13)

Cependant, l’Église est indéfectible. Elle ne peut pas s’effacer devant les portes de l’Enfer, et cela implique que ses attributs essentiels possèdent cette grâce aussi. L’Église aura ainsi toujours une hiérarchie et des sacrements valides, elle préservera toujours le dépôt de la foi, et elle ne perdra jamais, au moins totalement, l’essence de sa liturgie. Le peuple de Dieu est par nature un peuple de prêtres, de sacrifice et de louange, une assemblée vouée au culte. Toute mort concernant sa liturgie sacrée ne peut donc qu’être apparente, et elle ne peut qu’être permise temporairement par la volonté du Très Haut pour la purification de son peuple, pour l’amener à un plus grand rayonnement de sa Gloire, même si un tel châtiment peut durer quarante années dans le désert.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

« Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » (Jean 2 : 19)

Méditons le passage du livre des Rois dans lequel, pendant la rénovation du Temple ordonnée par le roi Josias, il y eut une découverte inattendue :

« Le grand prêtre Helcias dit au secrétaire Shafane : ‘J’ai trouvé le livre de la Loi dans la maison du Seigneur.’ […] Après avoir entendu les paroles du livre de la Loi, le roi déchira ses vêtements. […] Le roi fit convoquer auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem. […] Il s’engageait à suivre le Seigneur en observant ses commandements, ses édits et ses décrets, de tout son cœur et de toute son âme, accomplissant ainsi les paroles de l’Alliance inscrites dans ce livre. Et tout le peuple s’engagea dans l’Alliance. » (2 Rois 22-23)

L’on avait alors perdu le Livre de la Loi ! Au point de l’avoir oublié… Mais quand le grand roi Josias entendit pour la première fois les paroles inspirées, il engagea une réforme générale de la religion et de la liturgie des Hébreux, qui était tombée dans un chaos à peu près complet, jusqu’à un culte idolâtrique, rendu aux Baals et autres divinités païennes, qui se tenait dans le Temple de Salomon.

Ne sommes-nous pas dans une situation analogue ? Qui peut lire les paroles inouïes en majesté de Sacrosanctum Concilium sans sentir quelque chose comme le déchirement intérieur de Josias ? Nous avons tellement erré ! Et la parole de l’Église de Dieu est si grande, belle et vraie !

Que faut-il faire ? Il est l’heure de la résurrection, qui doit tout d’abord avoir lieu dans nos cœurs et nos actes. Comme le peuple de Dieu sous la conduite de Josias, il faut revenir à l’attitude la plus fondamentale dans le service du Seigneur : « Ecoute, Israël ! » (Deut. 6 : 4)

Oui, écoute ! Que dit vraiment le saint concile ? Voilà la voie à suivre. Résumons sa spiritualité :

« La liturgie est le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu. » (SC §10)

Oui, rien n’est plus important que la liturgie car « tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. » (Mat. 22 : 37-38) Et la liturgie est le lieu où nous servons Dieu, où nous l’aimons, le plus directement, le plus immédiatement et le plus puissamment.

Dans toutes les autres circonstances de la vie, nous honorons le Seigneur en lui offrant le sacrifice d’actes qui ont pour objet immédiat et premier des choses du monde. Mais dans son culte sacré, nous lui offrons le sacrifice de sa propre Parole, de son Corps et de son Sang. Rien ne peut être supérieur à cela, et par nul autre moyen pouvons-nous entrer dans une communion plus profonde et plus complète avec Lui. C’est seulement dans le Temple que l’eau vive peut-être puisée avec une telle profondeur pour le salut du monde. Il ne peut donc rien y avoir au-dessus de la liturgie dans la vie de l’Église. La pensée du contraire serait le signe que l’on est tombé dans une forme d’idolâtrie ou une autre, mettant quelque chose au-dessus du service du Très Haut.

Ensuite, la liturgie se reçoit. « C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie. » (SC §22) La source de la liturgie est la Tradition, et le Saint-Siège est le modérateur premier de celle-ci. Ce qui resterait ensuite de décisions graves sont confiées aux évêques. Voilà les règles à suivre, et les seules.

Comme le culte de l’ancienne alliance, dont les règles sont déployées en détail dans le Pentateuque, le culte de la nouvelle alliance se reçoit et ne s’invente pas. Nous adorons Dieu selon la manière qu’il nous donne de le faire par son Église, et cela passe par la Tradition, le Saint-Siège et la hiérarchie épiscopale. Les initiatives liturgiques ne respectant pas ces fondements et qui ont fleurie ces cinq dernières décennies sont donc des attitudes absolument anticatholiques et sacrilèges.

Ensuite, la liturgie doit être vécue de manière toujours plus profonde par le chrétien :

« Cette participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie. Elle est, en effet, la source première et indispensable à laquelle les fidèles doivent puiser un esprit vraiment chrétien ; et c’est pourquoi elle doit être recherchée avec ardeur par les pasteurs d’âmes, dans toute l’action pastorale, avec la pédagogie nécessaire. » (SC §14)

Qu’entend le concile par l’expression de « participation pleine et active » ? Cela signifie que la liturgie ne peut rester qu’un acte extérieur et formel pour être vécue en vérité. Le chrétien doit tendre toujours plus à vivre intérieurement et réellement les actes que le culte lui donne d’accomplir. Et cela doit être « recherché avec ardeur. »

Ainsi, le Kyrie eleison doit être une réelle imploration de la miséricorde de Dieu, comme celle du publicain de l’Évangile, qui par cette humilité « était devenu un homme juste. » (Luc 18 : 14) Le Sanctus doit être une exultation parmi les Séraphins. La consécration doit être un moment d’oblation et d’adoration totale devant le Mystère le plus élevé de Dieu se rendant présent sur l’autel. Chaque geste, antienne, lecture et chant doit devenir progressivement un moment, une action, vécue toujours plus pleinement dans sa vérité.

D’ailleurs, que seraient nos cultes sinon ? Qu’est-ce qu’un homme qui dit « credo, » mais ne croit pas ? Qui se mettrait à genoux, et n’adorerait pas ? Qui se frapperait la poitrine, sans se repentir ? De son trône dans le Tabernacle, le Seigneur ne serait-il pas en train de le regarder comme les pharisiens ? « Hypocrite ! »

Et, bien sûr, cette sincérité, cette droiture, ne peut pas se limiter au temps de culte pour que la liturgie soit vécue pleinement. Celle-ci ne peut que véritablement vivre et rayonner si elle est vécue dans une vie chrétienne sincère et fervente en tous ses autres aspects essentiels :

« Pour obtenir cette pleine efficacité, il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie avec les dispositions d’une âme droite, qu’ils harmonisent leur âme avec leur voix, et qu’ils coopèrent à la grâce d’en haut pour ne pas recevoir celle-ci en vain. » (SC §11)

Il serait, en effet, impossible d’essayer d’entrer dans les mystères les plus élevés de Dieu, déployés dans le culte, sans par ailleurs que nous fassions de réels efforts de cheminement vers la sainteté. Cela implique, au minimum, d’adhérer pleinement à la foi de l’Église, de rejeter tous les péchés, de cultiver les vertus et en particulier la charité, d’avoir une vie de prière personnelle et de pénitence régulière, et de participer à la hauteur de ses moyens à l’apostolat de l’Église. En d’autres termes, cela implique de chercher à vivre l’Évangile en toutes ses dimensions.

Car la liturgie est bien la source et le sommet de la vie chrétienne. Comme Moïse montant converser avec le Seigneur au Sinaï, le chrétien va s’y ressourcer et adorer son Dieu, et il en revient ensuite, rayonnant de grâces, apporter la lumière au monde. Elle est à la fois le lieu où le baptisé puise l’eau vive à répandre, et l’autel où il offre ensuite les mérites acquis au Dieu trois fois saint. Mais si cette vie n’est vécue que partiellement, le cycle, pour ainsi dire, de réception et de transmission des grâces est rompu. Nous arriverions à l’autel les mains vides, en imposteurs. Nous nous présenterions pour recevoir le salaire des moissonneurs sans avoir moissonné. « Comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” (Mat. 22 : 12) Et le Seigneur ne saurait tolérer un serviteur qui ne porte l’eau vive à personne. « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. » (Mat. 7 : 19) Seule une âme véritablement animée par l’Esprit de l’Evangile, configurée au Logos éternel, peut traverser le rideau du Temple pour vivre ce qui se déroule dans le saint des saints.

Cependant, si la théologie et la spiritualité de Sacrosanctum Concilium sont bien vécues dans leur intégralité, en vérité, la liturgie devient le lieu par excellence où l’on va, comme l’écrivait saint Grégoire de Nysse, au sujet de la vie spirituelle, «de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin. » L’on s’y élève à Dieu avec une puissance inégalable, et l’on obtient en retour des grâces extraordinaires pour le monde. Car la liturgie est « l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré. » (SC §7)

Comment donc sauver le monde ? Que ressuscite Sacrosanctum Concilium ! Prenons aujourd’hui la constitution du saint concile et lisons là à nouveau, comme Josias, les anciens, et le peuple de Juda. « Ecoute, Israël !» Et puis, surtout, faisons ensuite ce qu’elle dit : « Quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. » (Mathieu 7 : 24)

L’Esprit Saint aujourd’hui s’adresse à nous, comme à saint Augustin, peu avant son illumination : « tolle, lege, » « prend, lis ! » Si comme lui, nous voulons recevoir la grâce de la régénération spirituelle, de la résurrection, nous devons obéir à la Parole sacrée. Il n’y a pas d’autre voie. Et quand cela sera fait, la crise actuelle de la liturgie sera alors bien rapidement un mauvais souvenir, comme le sont aujourd’hui la crise arienne et tant d’autres, et l’Église rayonnera d’une gloire d’une splendeur qui nous est difficilement concevable, nous qui sommes nés au désert.

Et cela arrivera, avec certitude, car toute mort apparente du Corps mystique du Christ, où d’un de ses attributs essentiels, ne peut que mener à sa résurrection, qui aura infailliblement lieu « au troisième jour. » Qu’il vienne !

Les Psaumes, voix du Christ et de l’Eglise

Qu’il s’agisse de la Messe ou de l’Office, le Livre des Psaumes fournit une grande partie, pour ne pas dire l’essentiel des textes constituant la prière publique de l’Eglise, en Orient comme en Occident. Cette forme poétique et mystérieuse de prière, dominée par la figure du Juste, préfiguration du Christ, manifeste le mystère de l’homme confronté à ces sentiments si contradictoires que sont l’amour, la haine, la joie, le désir de louange, le repentir, le désespoir et l’espérance, enfin la confiance en Dieu. Loin du sentimentalisme et de l’irénisme modernes, la spiritualité concrète, incarnée et réaliste proposée par les psaumes représente la voie privilégiée que la Tradition chrétienne a choisi pour chanter à Dieu la «laus perennis», la louange à la fois individuelle et communautaire à la Très Sainte Trinité. La première partie du texte qui suit est extrait de l’ouvrage «Les psaumes commentés par les Pères», (collection Les Pères dans la foi, n°1-2, p.13-15); la seconde partie reprend le texte d’une catéchèse du pape Benoit XVI prononcée lors d’une audience générale en 2011. Nous remercions les moines de l’abbaye Notre-Dame de Randol de nous avoir fourni, dans le cadre de leurs Journées liturgiques, les références des différents textes ayant servi de base à ce dossier.

«Qu’y a-t-il de meilleur qu’un psaume? C’est pourquoi David dit très bien: Louez le Seigneur, car le psaume est une bonne chose: à notre Dieu, louange douce et belle! Et c’est vrai Car le psaume est bénédiction prononcée par le peuple, louange de Dieu par l’assemblée, applaudissement par tous, parole dite par l’univers, voix de l’Eglise, mélodieuse profession de foi» (S. Ambroise de Milan, Psal. 1, 9: PL14, 924).

Jésus et les psaumes

« A lire les Évangiles, le lecteur constate que le Psautier est le livre de l’Ancien Testament de beaucoup le plus cité. Il représente un tiers de toutes les citations bibliques. Le Christ lui-même se réfère explicitement aux psaumes. Une première fois, quand il cite aux scribes le psaume 109, où David appelle le Messie «son Seigneur». Comment peut-il dès lors être son fils? Ce texte se trouve dans les trois synoptiques. Plus nettement encore, après la Résurrection, Jésus apparaît aux disciples réunis à Jérusalem. Il mange sous leurs yeux, puis leur fait la remarque: «Ce sont là mes paroles telles que je vous les ai dîtes, quand j’étais encore avec vous: il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit à mon sujet, dans la loi de Moise, les prophètes et les psaumes» (Lc 24, 44).

Dans les Evangiles, chez Luc surtout, les citations tirées des psaumes paraissent surtout dans les moments importants de la vie de Jésus, comme le livre de sa mission et de sa prière. Au Tentateur, il réplique par une citation du psaume (Mt 4, 6, avec citation du psaume 90, 11-12) que nous commenterons plus loin. Les trois citations, rapportées par l’évangile johannique, se trouvent dans la bouche même de Jésus. Les psaumes lui sont si familiers qu’ils paraissent souvent des réminiscences inconscientes. « Il les utilise avec une pénétration, une liberté qui contrastent singulièrement avec la superficialité et la raideur littérale des scribes. Il trouve en eux la Parole de Dieu, fondement de ses exigences (Mt 5, 35), expression de sa prière (Mt 26, 36; 27, 46).» (A. George).

Cette Parole lui annonce surtout et lui découvre le mystère de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Le repas d’adieux s’ouvre et s’achève par le chant du Hallel (Ps. 112/117). Les psaumes 21 et 68 apparaissent en filigrane, dans le récit de la crucifixion et de la mort. Deux évangélistes rapportent que le Crucifié récita en croix le psaume «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?». Offrande et prière se fondent là dans une même liturgie, où le don suprême accomplit l’histoire et les prophéties.

Solidaire des «pauvres d’Israël», seul et abandonné, objet de mépris comme le psalmiste, le Christ sait que l’abandon et la déréliction ne sont pas le dernier mot de la prière, mais la certitude de l’efficacité de la souffrance et de l’épreuve. Jésus a conscience, comme il l’avait annoncé, du triomphe de l’opprimé, de l’avènement du règne de Dieu, du rassemblement universel autour du Serviteur glorifié.

La figure du Juste qui espère en Dieu dans l’épreuve est l’un des thèmes majeurs du Psautier.

Saint Luc place sur les lèvres expirantes de Jésus la prière du psaume 30: «Entre tes mains, je remets mon esprit». Expression de la paix et de la confiance entre les mains de son Père, dernier cri sur la route du retour à Lui. Prière que les générations chrétiennes pour la suite des siècles répètent à la chute du jour.

Il faut aller plus loin et nous interroger sur le rapport existentiel entre Jésus et les psaumes. «Le Christ allait hériter, dit Péguy, d’un monde déjà fait et pourtant il allait tout entier le refaire.» Jésus a vécu et prié l’histoire tourmentée des hommes, traversée d’infidélités et de relèvements, pétrie d’appels désespérés, quand l’impie écrase le juste. Les psaumes exprimaient l’expérience de l’humanité: l’amertume du péché, la vacuité du succès et de la richesse, la solitude et la confiance, et, comme les hommes sont pécheurs, la vindicte et l’imprécation. »

La question des psaumes imprécatoires

A propos de ces psaumes, qui peuvent décontenancer le chrétien moderne par la violence ou la haine qui s’en dégage, S. Thomas d’Aquin écrivait dans la Somme théologique: «Ces sortes d’imprécations contenues dans l’Ecriture sainte peuvent s’interpréter de trois manières: Premièrement, comme prédictions et non comme souhaits; ainsi: «Que les pécheurs aillent en enfer» veut dire: ils iront en enfer. Deuxièmement, comme des souhaits; mais alors le souhait ne se rapporte pas à la peine des hommes mais à la justice de celui qui punit; ainsi parle le Psaume: «Le juste se réjouira en voyant la vengeance», car Dieu lui-même, en punissant, «ne se réjouit pas de la perdition des impies», dit la Sagesse, mais de sa justice, car dit le Psalmiste: «Le Seigneur est juste et aime la justice». Troisièmement, comme un désir d’éloigner le péché, et non comme un désir de la peine elle-même: l’on souhaite ainsi que les péchés soient détruits et que les hommes vivent». (Saint Thomas, Somme théologique, II II 25/6/3).

En d’autres termes, « Jésus a assumé ce fleuve de boue, y compris la vindicte et la vengeance -devant lesquelles nous, esprits délicats, faisons la fine bouche-, non pour les cautionner mais pour les convertir en prière. Véritable Job de l’histoire universelle, il est venu l’éclairer de la lumière qui était en lui et qui vient transfigurer le monde. Il assume «le péché du monde» pour amener une humanité souillée jusqu’à la pureté de la Source et lui frayer un passage vers Dieu. Tel est, selon le mot d’Augustin d’Hippone, l’admirable chantre des psaumes» (Les psaumes commentés par les Pères, p. 13-15).

Vindica Sanguinem!

VINDICA SANGUINEM. Ce sont là les deux premiers mots d’une prière que l’Eglise adresse à Dieu, pour lui demander d’exercer la vengeance. Nul n’en saisira le sens profond s’il n’a d’abord souffert; s’il n’a jamais écouté un choeur de moines chanter cet Introit de la messe des martyrs, phrase musicale qui, de deux mots parmi les plus durs sur des lèvres d’hommes, vengeance, sang! fait une prière de pardon et de douceur, d’une sérénité poignante, d’une majesté inégalable. C’est l’appel à la seule vengeance qu’un Dieu d’amour veuille exercer -et les chrétiens avec Lui.

Catéchèse du pape Benoit XVI sur les psaumes, audience générale, 22 juin 2011.

Chers frères et soeurs,

Dans les précédentes catéchèses, nous nous sommes arrêtés sur plusieurs figures de l’Ancien Testament particulièrement significatives pour notre réflexion sur la prière. J’ai parlé d’Abraham qui intercède pour les villes étrangères, de Jacob qui pendant la lutte nocturne reçoit la bénédiction, de Moïse qui invoque le pardon pour son peuple, et d’Elie qui prie pour la conversion d’Israël. Avec la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais commencer une nouvelle étape du parcours: au lieu de commenter des épisodes particuliers de personnages en prière, nous entrerons dans le «livre de prière» par excellence, le livre des Psaumes. Dans les prochaines catéchèses nous lirons et nous méditerons quelques-uns des Psaumes les plus beaux et les plus chers à la tradition de prière de l’Eglise. Je voudrais aujourd’hui les présenter en parlant du livre des Psaumes dans son ensemble.

Le Psautier se présente comme un «formulaire» de prière, un recueil de cent cinquante psaumes que la tradition biblique donne au peuple des croyants afin qu’ils deviennent sa prière, notre prière, notre manière de nous adresser à Dieu et de nous mettre en relation avec Lui. Dans ce livre, toute l’expérience humaine avec ses multiples facettes et toute la gamme des sentiments qui accompagnent l’existence de l’homme trouvent leur expression. Dans les Psaumes se mêlent et s’expriment la joie et la souffrance, le désir de Dieu et la perception de la propre indignité, le bonheur et le sentiment d’abandon, la confiance en Dieu et la douloureuse solitude, la plénitude de vie et la peur de mourir. Toute la réalité du croyant se retrouve dans ces prières, que le peuple d’Israël tout d’abord et ensuite l’Eglise ont assumées comme médiation privilégiée de la relation avec l’unique Dieu et comme réponse adaptée à sa révélation dans l’histoire. En tant que prière, les psaumes sont des manifestations de l’âme et de la foi, où tous peuvent se reconnaître et dans lesquels se communique cette expérience de proximité particulière avec Dieu à laquelle chaque homme est appelé. Et c’est toute la complexité de l’existence humaine qui se concentre dans la complexité des différentes formes littéraires des divers Psaumes: hymnes, lamentations, supplications individuelles et collectives, chants de remerciement, psaumes pénitentiels, psaumes sapientiels et d’autres genres que nous pouvons retrouver dans ces compositions poétiques.

Malgré cette multiplicité expressive, deux grands domaines qui synthétisent la prière du Psautier peuvent être identifiés: la supplique, liée à la lamentation, et la louange, deux dimensions reliées et presque inséparables. Car la supplique est animée par la certitude que Dieu répondra, et cela ouvre à la louange et à l’action de grâce; et la louange et le remerciement naissent de l’expérience d’un salut reçu, qui suppose un besoin d’aide que la supplique exprime.

Dans la supplique, l’orant se lamente et décrit sa situation d’angoisse, de danger, de désolation, ou bien, comme dans les psaumes pénitentiels, il confesse sa faute, le péché, en demandant d’être pardonné. Il expose au Seigneur son état de besoin dans la certitude d’être écouté, et cela implique une reconnaissance de Dieu comme bon, désireux du bien et «amant de la vie» (cf. Sg 11, 26), prêt à aider, sauver, pardonner. C’est ainsi, par exemple, que prie le Psalmiste dans le Psaume 31: «En toi Seigneur j’ai mon refuge; garde-moi d’être humilié pour toujours […] Tu m’arraches au filet qu’ils m’ont tendu; oui, c’est toi mon abri» (vv. 2.5). Dans la lamentation peut donc déjà apparaître quelque chose de la louange, qui se préannonce dans l’espérance de l’intervention divine et qui se fait ensuite explicite quand le salut divin devient réalité. De manière analogue, dans les Psaumes d’action de grâce et de louange, en faisant mémoire du don reçu ou en contemplant la grandeur de la miséricorde de Dieu, on reconnaît également sa propre petitesse et la nécessité d’être sauvés, qui est à la base de la supplication. On confesse ainsi à Dieu sa propre condition de créature inévitablement marquée par la mort, mais pourtant porteuse d’une désir de vie radical. Le Psalmiste s’exclame donc, dans le Psaume 86: «Je te rends grâce de tout mon cœur, Seigneur mon Dieu, toujours je rendrai gloire à ton nom; il est grand, ton amour pour moi: tu m’as tiré de l’abîme des morts» (vv. 12-13). De cette manière, dans la prière des Psaumes, la supplique et la louange se mêlent et se fondent dans un unique chant qui célèbre la grâce éternelle du Seigneur qui se penche sur notre fragilité.

C’est précisément pour permettre au peuple des croyants de s’unir à ce chant que le livre du Psautier a été donné à Israël et à l’Eglise. En effet, les Psaumes enseignent à prier. Dans ceux-ci, la Parole de Dieu devient parole de prière — et ce sont les paroles du Psalmiste inspiré —, qui devient également parole de l’orant qui prie avec les Psaumes. Telle est la beauté et la particularité de ce livre biblique: les prières qui y sont contenues, à la différence d’autres prières que nous trouvons dans l’Ecriture sainte, ne sont pas insérées dans une trame narrative qui en spécifie le sens et la fonction. Les Psaumes sont donnés au croyant précisément comme texte de prière, qui a pour unique but de devenir la prière de celui qui les assume et avec eux s’adresse à Dieu. Etant donné qu’ils sont la Parole de Dieu, celui qui prie les Psaumes parle à Dieu avec les paroles mêmes que Dieu nous a données, il s’adresse à Lui avec les paroles que Lui-même nous donne. Ainsi, en priant les Psaumes on apprend à prier. Ils sont une école de la prière.

Il advient quelque chose d’analogue lorsque l’enfant commence à parler, c’est-à-dire qu’il apprend à exprimer ses sensations, ses émotions, ses besoins avec des mots qui ne lui appartiennent pas de façon innée, mais qu’il apprend de ses parents et de ceux qui vivent autour de lui. Ce que l’enfant veut exprimer est son propre vécu, mais le moyen d’expression appartient à d’autres; et lui peu à peu s’en approprie; les mots reçus des parents deviennent ses mots et à travers ces mots il apprend aussi une manière de penser et de sentir, il accède à tout un monde de concepts, et il grandit à l’intérieur de celui-ci, il entre en relation avec la réalité, avec les hommes et avec Dieu. La langue de ses parents est enfin devenue sa langue, il parle avec les mots reçus des autres qui sont désormais devenus ses mots. Ainsi en est-il avec la prière des Psaumes. Ils nous sont donnés pour que nous apprenions à nous adresser à Dieu, à communiquer avec Lui, à lui parler de nous avec ses mots, à trouver un langage pour la rencontre avec Dieu. Et à travers ces mots, il sera possible aussi de connaître et d’accueillir les critères de son action, de s’approcher du mystère de ses pensées et de ses voies (cf. Is 55, 8-9), afin de grandir toujours davantage dans la foi et dans l’amour. Comme nos mots ne sont pas seulement des mots, mais qu’ils nous enseignent un monde réel et conceptuel, de même ces prières aussi nous enseignent le cœur de Dieu, si bien que non seulement nous pouvons parler de Dieu, mais nous pouvons apprendre qui est Dieu et, en apprenant comment parler avec Lui, nous apprenons à être homme, à être nous-mêmes.

A cet égard, apparaît significatif le titre que la tradition juive a donné au Psautier. Il s’appelle tehillîm, un terme hébreu qui veut dire «louanges», de cette racine verbale que nous retrouvons dans l’expression «Alleluia», c’est-à-dire, littéralement: «louez le Seigneur». Ce livre de prières, donc, même si multiforme et complexe, avec ses divers genres littéraires et avec son articulation entre louange et supplique, est en fin de compte un livre de louanges, qui enseigne à rendre grâces, à célébrer la grandeur du don de Dieu, à reconnaître la beauté de ses œuvres et à glorifier son saint Nom. C’est là la réponse la plus adaptée face à la manifestation du Seigneur et à l’expérience de sa bonté. En nous enseignant à prier, les Psaumes nous enseignent que même dans le désespoir, dans la douleur, la présence de Dieu demeure, elle est source d’émerveillement et de réconfort; on peut pleurer, supplier, intercéder, se plaindre, mais dans la conscience que nous sommes en train de cheminer vers la lumière, où la louange pourra être définitive. Comme nous l’enseigne le Psaume 36: «En toi est la source de vie; par ta lumière nous voyons la lumière» (Ps 36, 10).

Mais outre ce titre général du livre, la tradition juive a donné à de nombreux Psaumes des titres spécifiques, en les attribuant, en grande majorité, au roi David. Figure d’une remarquable fibre humaine et théologique, David est un personnage complexe, qui a traversé les expériences fondamentales les plus variées de l’existence. Jeune pasteur du troupeau paternel, vivant alternativement des épisodes positifs et négatifs, parfois même dramatiques, il devient roi d’Israël, pasteur du peuple de Dieu. Homme de paix, il a combattu de nombreuses guerres; inlassable et tenace chercheur de Dieu, il a trahi son amour, et cela est caractéristique: il est toujours resté un chercheur de Dieu, même si très souvent il a gravement péché; humble pénitent, il a accueilli le pardon divin, ainsi que la peine divine, et il a accepté un destin marqué par la douleur. David a ainsi été un roi, avec toutes ses faiblesses, «selon le cœur de Dieu» (cf. 1 Sam 13, 14), c’est-à-dire un orant passionné, un homme qui savait ce que veut dire supplier et louer. Le lien des Psaumes avec cet insigne roi d’Israël est donc important, parce qu’il est une figure messianique. Oint par le Seigneur, chez qui est en quelque sorte ébauché le mystère du Christ.

Tout aussi importantes et significatives sont la manière et la fréquence avec lesquelles les paroles des Psaumes sont reprises par le Nouveau Testament, en assumant et en soulignant cette valeur prophétique suggérée par le lien du Psautier avec la figure messianique de David. Dans le Seigneur Jésus, qui pendant sa vie terrestre a prié avec les Psaumes, ils trouvent leur accomplissement définitif et ils révèlent leur sens le plus plein et le plus profond. Les prières du Psautier, avec lesquelles on parle à Dieu, nous parlent de Lui, nous parlent du Fils, image du Dieu invisible (Col 1, 15), qui nous révèle de manière accomplie le Visage du Père. Le chrétien, donc, en priant les Psaumes, prie le Père dans le Christ et avec le Christ, en assumant ces chants dans une perspective nouvelle, qui a dans le mystère pascal son ultime clé interprétative. L’horizon de l’orant s’ouvre ainsi à une réalité inattendue, chaque Psaume acquiert une lumière nouvelle dans le Christ et le Psautier peut briller dans toute son infinie richesse.

Très chers frères et sœurs, prenons donc en main ce livre saint, laissons Dieu nous apprendre à nous adresser à Lui, faisons du Psautier un guide qui nous aide et nous accompagne quotidiennement sur le chemin de la prière. Et demandons nous aussi, comme disciples de Jésus, «Seigneur, apprends-nous à prier» (Lc 11, 1), en ouvrant notre cœur pour accueillir la prière du Maître, où toutes les prières trouvent leur accomplissement. Ainsi, rendus fils dans le Fils, nous pourrons parler à Dieu en l’appelant «Notre Père». Merci.

In conspectu Angelorum psallam tibi Domine… (Ps. 137)

Oremus : Plaidoyer pour la prière des fidèles

Dicamus omnes Archives - Liturgia
Ancienne litanie diaconale en latin.

Prions, frères très chers, pour la Sainte Église de Dieu ; afin que notre Dieu et Seigneur daigne la pacifier, l’unir et la conserver par tout l’orbe de la terre [lui soumettant toute puissance et principauté], et nous donne une vie calme et paisible pour glorifier Dieu, le Père tout-puissant.

Ainsi commence la prière solennelle de l’Eglise de Rome durant la Messe du Vendredi-Saint (les paroles entre crochets sont absentes du missel de saint Paul VI), un des plus fameux exemples de « prière universelle » que nous ayons conservé, qui impressionne par sa saveur toute antique.

Pourtant, pour la plupart d’entre nous, la « prière universelle » est ce moment pénible de la Messe où quelque fidèle (souvent très jeune ou très âgé) va monter à l’ambon pour ânonner quelque liste d’intentions de prières composées ad hoc la veille au soir, entrecoupées de refrains infantilisants. Peut-être que la situation décrite ici (en anglais) vous rappellera de « bons » souvenirs…

De telles expériences, nous en avons tous eu notre lot, et beaucoup souhaitent désormais n’en plus entendre parler. Mais qu’en serait-il s’ils savaient que la prière des fidèles (ou « prière universelle ») est en fait extrêmement traditionnelle ? Si oui, comment bien la mettre en œuvre ? Nous avions eu l’occasion d’en parler dans un article précédent, et souhaiterions l’aborder maintenant plus en détails.

Nous avons déjà abordé cette prière dans notre article consacré aux richesses de la forme ordinaire du rite romain. Ici, nous souhaiterions, grâce à un rapide aperçu historique (qui constituera notre première partie) approfondir ce que nous avions effleuré jadis dans le contexte de la forme ordinaire (que nous verrons dans une deuxième partie), avant d’envisager une possible mise en œuvre de cette prière dans la forme extraordinaire (dans une troisième et dernière partie).

Si la première partie de ce texte ne vous intéresse pas, nous vous conseillons de passer directement à la deuxième, qui commence par un résumé de la partie précédente.

Histoire de la prière des fidèles

Origines et applications diverses

Il est hors de question de faire une histoire complète de la prière des fidèles (terme général et tardif que nous utilisons ici par pure commodité), même en se limitant à l’Occident : ce serait trop long et de peu d’importance ici. Plus modestement, nous allons brosser à très gros traits une chronologie de cette prière en présentant les diverses formes qu’elle a pu trouver dans le rite romain (en faisant allusion aux autres rites là où cela paraitra opportun).

On attribue généralement à saint Paul l’origine de cette prière : « J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. » (1 Timothée 2, 1-4).

Cette prière est donc dite « universelle » (terme très récent, mais que nous utiliserons néanmoins par commodité) car elle s’applique à tous les besoins des hommes et du monde. On remarquera que saint Paul demande de prier pour « les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité » ; c’est d’autant plus remarquable que ceux-ci étaient rarement chrétiens au premier siècle. L’on voit dès lors que le christianisme primitif, loin d’être un mouvement révolutionnaire, respecte à ce point l’autorité mise en place hic et nunc qu’il prescrit à ses fidèles de prière de prier pour elle.

Les différentes Eglises apostoliques eurent chacune leur manière de mettre en œuvre cette exhortation. Dans les Églises assyro-chaldéennes et arméniennes, cette prière prend la forme d’une litanie (appelée « Karozoutha » chez les assyriens) après la proclamation de l’Evangile, suivie d’un renvoi des catéchumènes. Les coptes ont adopté l’usage des « prières catholiques » (trois oraisons sacerdotales semblables aux grandes oraisons du Vendredi-Saint dans le rite latin) après l’offertoire. Enfin, le rite byzantin connaît une profusion de litanies, dont celle qui suit directement l’Evangile, où les fidèles répondent à chaque demande par un triple Kyrie eleison. Curieusement, le rite syriaque et sa variante maronite ne semblent pas avoir l’usage de cette prière, bien que certains indices sérieux semblent indiquer qu’elle ait existé jadis dans cette tradition.

Ici, nous pouvons voir un diacre gréco-catholique remplir son office en chantant une litanie à laquelle les fidèles répondent par « Kyrie eleison » ou « Paraskhou Kyrie » (Accorde, Seigneur).

Quelque soit la forme qu’ait revêtue la prière des fidèles, on y retrouve quelques constantes : elle a habituellement lieu après l’Evangile (ou au début de la Messe), sert de transition entre la Messe des catéchumènes et la Messe de la parole (on renvoi habituellement les catéchumènes après cette prière) et est adressée à Dieu pour les besoins, temporels ou spirituels, du monde entier.

En Occident, le rite ambrosien, liturgie propre à Milan, sorte de synthèse entre le rite gallican et le rite romain, semble avoir connu l’usage de litanies sur le modèle grec, avec usage du Kyrie eleison comme réponse des fidèles ; cet usage a été conservé aux dimanches de Carême, où la litanie se substitue au Gloria in excelsis Deo. Le rite mozarabe semble l’avoir connu, de même que l’ancienne liturgie des Gaules, abandonnée sous Charlemagne (on attribue notamment à saint Martin de Tours une litanie en latin qui fut conservée par de nombreux diocèses français jusqu’au XIXe siècle, notamment pour les Rogations). Enfin, la tradition anglicane (en laquelle nous serions tenté de voir une tradition rituelle à part entière) connait plusieurs formes de prière des fidèles après le Credo.

Reste à examiner le rite romain ; c’est ce qui sera fait dès à présent.

Dans le rite romain

De l’aveu de tous les historiens de la liturgie, la forme la plus ancienne qu’ait revêtue la prière des fidèles dans le rite romain est la série des Orationes solemnes du Vendredi Saint. Son origine est inconnue (certains y voient une série de diptyques originaire d’Alexandrie), mais son prestige la fit conserver jalousement par l’Eglise romaine jusqu’à nos jours, avec quelques modifications. Chaque prière est constituée d’une monition chantée par le diacre (autrefois par le prêtre), d’un agenouillement des fidèles, d’une prière silencieuse, d’un relèvement et d’une oraison sacerdotale ratifiée par l’Amen du peuple. A-t-elle toujours été réservée au Vendredi Saint ou s’agit-il de la prière habituelle de l’Eglise romaine dans l’Antiquité ? Nous n’en savons rien.

Grandes oraisons du Vendredi-Saint chantées dans la forme extraordinaire du rite romain.

Nous savons en revanche que cette prière fut par la suite remplacée (ou complétée) par une litanie, attribuée au saint pape Gélase, la Deprecatio gelasii, construite sur un modèle grec, mais composée en un style authentiquement romain. Il semble qu’elle ait été chantée après l’Evangile, mais qu’elle ait par la suite été déplacée avant la Messe, au cours des processions requises par la liturgie stationale romaine : le peuple se rassemblait autour du pape dans une églises dite de station, d’où l’on se rendait en une seconde église où le pape allait célébrer la Messe ; en chemin, on chantait la litanie de saint Gélase, puis, plus tard, la litanie des saints (soit dit en passant, c’était ainsi que commençait la divine liturgie byzantine). Un tel usage a été conservé pour les « litanies majeures » et reste suggéré pour les dimanches de Carême par le missel romain (ed. typ. 2002).

Notons que contrairement à une idée reçue, il semblerait que notre Kyrie ne provienne pas de cette litanie ; il n’apparut en effet que bien longtemps après qu’elle ne soit tombée en désuétude. Il s’agit d’un chant propre, introduit relativement tardivement dans le rite romain, sous l’influence du rite gallican, et dont on pourrait trouver un équivalent dans le Trisaghion du rite byzantin.

Comme nous l’avons donc vu, la litanie de saint Gélase finit par tomber en désuétude. Néanmoins, une forme d’Oratio fidelium a subsisté en Occident, principalement en Allemagne, en France (jusqu’au XIXe siècle) et en Angleterre (jusqu’à la réforme anglicane) : le prône. En France, il se composait d’une série d’annonces et de publications de bans (pour des mariages). Venait ensuite la prière proprement dite, composée d’un invitatoire assez long, du chant du psaume 122 (Ad te levavi), d’une série de versets d’origine biblique et d’une oraison du prêtre. Ces prières étaient d’ailleurs chantées dans la langue du peuple, au moins en partie, ce qui ne fut pas sans conséquence pour la catéchèse :

Un épisode célèbre du procès de Jeanne d’Arc nous le montre : pour faire dire à la sainte une hérésie, on lui pose une question difficile : « Êtes-vous sûre d’être en état de grâce ? » ; et elle répond avec une justesse chrétienne et une adresse qui confondent ses juges comme Jésus confondait les Pharisiens: « Si j’y suis, Dieu m’y garde; si je n’y suis pas, Dieu m’y mette ! » Les historiens n’ont pas remarqué que Jeanne illettrée puisait de quoi vaincre les docteurs dans les prières du prône : « Nous prierons, y disait le prêtre chaque dimanche, pour ceux qui sont en état de grâce, que Dieu les y tienne jusques à la fin, et ceux qui sont en péché mortel, que Dieu les en veuille jeter hors hâtivement » (Pierre-Marie Gy op, « Signification pastorale des prières du prône », la Maison-Dieu N° 30, 1952, p. 130).

Cet aperçu de la diversité des prières des fidèles dans la liturgie romaine serait incomplet si l’on ne mentionnait pas enfin une autre forme très ancienne : la litanie des saints de la Vigile pascale. Primitivement, la Vigile se composait de douze lectures de l’Ancien Testament entrecoupées de chants et d’oraisons. Après quoi, on partait en procession aux fonts baptismaux en chantant le psaume 41 (Sicut cervus), on l’on baptisait les catéchumènes. Puis, on revenait en procession au sanctuaire en chantant une litanie des saints un peu abrégée, survivance de l’époque où le pape, ses ministres et le peuple romain allaient d’une église à l’autre en chantant cette litanie. De sorte qu’il n’est pas interdit de voir là une des formes les plus traditionnelles de cette prière romaine des fidèles (bien que l’ordonnancement actuel de la Vigile pascale empêche de le voir avec la clarté nécessaire). Comme on le sait, cette litanie a été conservée en de nombreuses autres occasions, notamment pour les ordinations.

Ordinations les 25, 26 et 27 juin 2020 - Communauté Saint-Martin
Ordination sacerdotale, durant laquelle on chante une des formes les plus connues de la « PU » : la litanie des saints (pendant la prostration des ordinants).

Ainsi, jusqu’au XXe siècle, la liturgie romaine connaissait trois formes habituelles d’Oratio fidelium : le prône médiéval, les grandes oraisons du Vendredi-Saint et la litanie des saints de la Vigile pascale (ainsi qu’en d’autres occasions).

Le concile Vatican II, par la constitution Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie, demanda explicitement la restauration de cette prière :

La « prière commune », ou « prière des fidèles », sera rétablie après l’évangile et l’homélie, surtout les dimanches et fêtes de précepte, afin qu’avec la participation du peuple, on fasse des supplications pour la sainte Église, pour ceux qui détiennent l’autorité publique, pour ceux qui sont accablés de diverses détresses, et pour tous les hommes et le salut du monde entier (Sacrosanctum Concilium, 53).

En application de cette décision conciliaire, la prière des fidèles est à présent mentionnée par la dernière édition du Missale Romanum de saint Paul VI, qui la présente ainsi :

Dans la prière universelle, ou prière des fidèles, le peuple répond en quelque sorte à la parole de Dieu reçue dans la foi et, exerçant la fonction de son sacerdoce baptismal, présente à Dieu des prières pour le salut de tous. Il convient que cette prière ait lieu habituellement aux messes avec peuple, si bien que l´on fasse des supplications pour la sainte Église, pour ceux qui nous gouvernent, pour ceux qui sont accablés par diverses misères, pour tous les hommes et pour le salut du monde entier (PGMR 69).

Cependant, le missel de saint Paul VI n’imposait aucun formulaire fixe et obligatoire, ce qui entraîna l’application désastreuse que l’on connait à notre époque. Et c’est maintenant vers celle-ci que nous nous tournons pour tenter de réfléchir sur quelques bonnes manières de la mettre en œuvre.

La prière des fidèles aujourd’hui

L’aperçu historique que nous venons de terminer nous permet de faire les conclusions suivantes :

  • depuis les temps apostoliques, les Eglises chrétiennes ont coutume de prier pour toutes les intentions du monde ;
  • cette prière a pris des formes très variées selon les Eglises et les traditions apostoliques (de sorte qu’il serait plus exact de parler de prières, au pluriel) ;
  • le rite romain a connu trois formes principales d’Oratio fidelium :
    • les grandes oraisons du Vendredi-Saint ;
    • la litanie (celle de tous les saints, celle de saint Gélase et celles d’origine gallicane conservées par certains diocèses français) ;
    • le prône (on trouvera en annexe un formulaire du prône dans le rite de Salisbury, ancienne liturgie de l’Angleterre médiévale) ;
  • le dernier concile œcuménique a demandé une restauration plus complète de cette prière, laquelle a abouti à un désordre généralisé.

De tout cela, nous pouvons tirer une conclusion sur la nature de cette prière : elle est un rite où « l’Eglise comme telle […] prie pour les intentions de ses membres » comme le dit fort justement dom Guy Oury osb (cf La Messe de saint Pie V à Paul VI). Sa fonction est donc distincte de celle de la prière eucharistique, où l’on prie pour l’application des grâces sacramentelles aux fidèles.

Ceci ayant été établi, que faire ? Comment donner à cette prière la forme qu’elle mérite au sein de la forme ordinaire du rite romain ? Et par ailleurs, une restauration est-elle possible dans la forme extraordinaire ? C’est ce que nous allons voir à présent.

Dans la forme ordinaire

Une première solution consisterait à omettre cette prière purement et simplement. On ne peut manquer de sympathiser avec ceux qui « zappent » ce passage souvent ennuyeux, en raison de mauvais souvenirs. C’est, semble-t-il, l’usage récent de Notre-Dame-de-Paris (le cardinal Lustiger détestait la prière universelle). Le problème de cette solution est que la prière universelle a une fonction qui lui est propre, et supprimer cette prière n’est pas le meilleur moyen d’assurer cette fonction.

En outre, la prière universelle est attestée, sous une forme ou une autre, dans pratiquement tous les rites orientaux et occidentaux, ainsi que dans le passé du rite romain. Restaurer une prière de ce type présenterait donc un avantage historique incontestable.

Alors, s’il faut la conserver, comment la mettre en œuvre ? Voyons ce qu’en dit la Présentation générale du missel romain (PGMR) :

[Le prêtre] l’introduit par une brève monition qui invite les fidèles à prier. Il la conclut par une oraison. Il faut que les intentions soient sobres, composées avec une sage liberté et en peu de mots, et qu’elles expriment la supplication de toute la communauté. Elles sont dites de l’ambon, ou d’un autre lieu approprié, par le diacre, un chantre, un lecteur ou un autre fidèle laïc. Le peuple, debout, exprime sa supplication, soit par une invocation commune après chacune des intentions, soit par une prière silencieuse (PGMR 71).

La PGMR semble donc autoriser seulement deux modèles de prière :

  • un modèle litanique, où les fidèles répondent à chaque intention par une invocation (comme « Kyrie eleison ») ;
  • un modèle proche des grandes oraisons, où l’on répond à chaque intention par la prière silencieuse.

Dans les deux cas, la prière est introduite par une monition du prêtre et conclue par une oraison prononcée également par le prêtre.

Nous remarquerons par ailleurs que le ministre ordinaire de la prière universelle est le diacre ; c’est lui qui est mentionné en premier lieu par la PGMR. C’est donc à lui de remplir cette fonction s’il y en a un, et non à un laïc désigné quelques minutes avant le début de la Messe ou à un membre de « l’équipe d’animation liturgique ». A défaut de diacre, le missel prévoit que sa fonction présente sera remplie par un chantre ou un acolyte (ou un autre fidèle laïc à défaut, encore que l’on peine à voir en quelles circonstances une Messe chantée ne comprenne ni chantre, ni acolyte). La prière est proclamée depuis l’ambon.

Quant au texte de la prière, nous conseillons franchement de prendre les intercessions prévues par le missel romain ; elles n’existent, certes, qu’à titre d’exemple et sont de composition récente, mais leur facture sobre et franchement catholique les rend mille fois préférables à quelque formulaire écrit ad hoc la veille pour le lendemain. Le lecteur curieux trouvera en annexe un des formulaires proposés par le missel, traduit par votre serviteur.

Il est de beaucoup préférable que la prière universelle soit chantée, sur un ton simple, comme par exemple celui des oraisons. Cela ne doit pas étonner le lecteur : la liturgie chrétienne est toujours chantée, et la « Messe lue » occidentale n’est qu’une exception, d’ailleurs prévue historiquement pour le seul cas du prêtre célébrant privément. Le chant ne doit donc pas être vue comme une manière d’embellir un édifice déjà existant mais comme une partie intégrante de celui-ci. Dans le cas de la prière universelle, le diacre peut, avec un peu d’efforts, apprendre à chanter les intercessions qui lui reviennent ; les fidèles, de leur côté, répondront avec des prières affinées par l’usage traditionnel, comme « Kyrie eleison » ou « Te rogamus, audi nos », ou encore « Praesta omnipotens Deus » (autant de formules facilement traduisibles et chantables en français si nécessaire).

A partir de 23:40, vous pouvez voir le chant de la litanie de Vêpres correctement effectuée.

Il est à noter que des conseils semblables peuvent et doivent s’appliquer aux litanies de louange et d’intercessions contenues dans l’office divin rénové : prendre les vrais textes (de préférence tirées des Heures grégoriennes ou sur le site Societas Laudis qui donne le texte complet de l’office divin en sa forme ordinaire), les chanter et leur adjoindre des répons traditionnels capables d’être facilement mémorisés (ces répons sont d’ailleurs donnés avec les litanies).

Dans la forme extraordinaire ?

Ce que nous avons écrit ci-dessus restait dans le cadre de la plus stricte légalité : nous n’avons fait qu’indiquer la meilleure manière d’écrire ce qui existait déjà. Ce qui va suivre, sans prétendre s’extraire de la légalité, suggère de remettre en vigueur un modèle qui, nous semble-t-il, n’a jamais été canoniquement interdit, et qui a été présenté plus haut. Il s’agit du prône.

Comme on l’a dit, la prière universelle (quelque soit la forme qu’elle prenne) a une fonction qui lui est propre, et que l’on retrouve dans pratiquement tous les rites apostoliques. Il serait donc dommage que cette forme si ancienne de prière soit absente de la forme ancienne du rite romain. À défaut d’une réforme, qui ne serait peut-être pas appréciée de tous, à défaut de rétablissement d’une forme plus antique (comme la litanie de saint Gélase), pourrait-on suggérer la restauration d’un usage ancien et profitable à tous, clercs et fidèles ? C’est ce que nous allons faire ici, en répondant à quatre questions :

Qui ? Le prêtre qui célèbre la Messe.

Quand ? Le dimanche et les jours de fête, à la Messe chantée ou solennelle, juste après l’homélie.

Où ? De préférence en chaire ; là en tous cas où le prêtre aura prêché.

Comment ? En prenant modèle sur les anciens formulaires prévus à cet effet.

À toutes fins utiles, nous suggérons de jeter un coup d’œil à ce livre, le Rituel des rituels pour les prônes des dimanches, fêtes et sacrements publié par l’abbé Migne (connu pour avoir publié en latin et en grec les œuvres des pères de l’Eglise).

On trouvera le prône des dimanches et des fêtes aux pages 6 à 11. il se compose ainsi :

  • en premier lieu, une longue énumération des diverses intentions de prières pour lesquelles on priera (à notre avis, cette monition mériterait d’être drastiquement raccourcie tant elle est verbeuse) ;
  • vient ensuite le chant du psaume 122 (Ad te levavi), en latin ;
  • une série de versets bibliques ;
  • l’oraison conclusive ;
  • si besoin est, on répète la même opération pour les défunts.

À notre connaissance, il n’est besoin d’aucune autorisation pour mettre en œuvre cette forme d’Oratio fidelium. Si toutefois nous nous étions trompés, si l’Eglise avait légiféré en sens contraire, il irait de soi que les conseils que nous donnons ici pour le prône dans la forme extraordinaire ne devraient pas être suivis.

Faudrait-il faire de même pour l’office divin ? Répondre à cette question reviendrait à proposer une réforme du bréviaire de la forme extraordinaire. Peut-être faudrait-il étendre à toute l’année les « Preces » prévues à Laudes et à Vêpres pour les jours de pénitence ; ou placer les Preces dominicales de Prime et de Complies aux deux grandes heures canoniales, au moins pour les dimanches et fêtes ; ou encore ajouter (restaurer ?) une litanie de prières sur le modèle de la Deprecatio Gelasii. Nous le suggérons pour l’avenir ; nous ne le mettons pas en œuvre à présent et nous invitons le lecteur à en faire autant.

Conclusion

Pour finir, après avoir présenté l’histoire de la prière universelle et certaines manières grâce auxquelles on pourrait lui rendre la beauté qu’elle mérite au sein de la liturgie romaine, nous voudrions seulement émettre le souhait que cette prière retrouve l’éclat qu’elle mérite dans le rite romain, afin que Dieu soit glorifié et que Son peuple soit sauvé.

Chant de l’Evangile par le diacre à l’ambon antique (tenant lieu de chaire). C’est ici que le prêtre prêche, c’est également ici qu’il doit diriger la prière des fidèles ou le prône.

Annexe 1 : formulaire de prière du missel romain (editio typica 2002)

[Nous indiquons en gras les réponses du peuple ou de la schola ; cette remarque vaut aussi pour la seconde annexe].

Monition du Prêtre : Frères très chers, que chaque prière de notre cœur soit dirigée Vers Dieu le Père Tout-Puissant, car c’est Sa Volonté que toute l’humanité soit sauvée et parvienne à la plénitude de la Vérité

Le diacre :

V/. Pour la Sainte Église de Dieu ; afin que le Seigneur, daigne la garder et la préserver, prions le Seigneur.

R. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

V/. Pour tous les peuples de la terre ; afin que le Seigneur daigne préserver leur concorde, prions le Seigneur.

R/. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

V/. Pour tous ceux qui sont accablés par toutes sortes de nécessités ; afin que le Seigneur daigne leur accorder le réconfort, prions le Seigneur.

R/. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

V/. Pour nous tous et pour toute notre communauté ; afin que le Seigneur daigne nous recevoir en un sacrifice qui Lui soit acceptable, prions le Seigneur.

R/. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

Oraison du Prêtre : Dieu, notre refuge et notre force, auteur de la piété de Ton Église, entend ses pieuses prières, afin que ce qui est demandé dans la foi soit réellement reçu. Par le Christ Notre-Seigneur.

R/. Amen.

Annexe 2 : Prière du prône, selon le rite de Salisbury, en Angleterre

Offrons nos prières à Dieu, à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Notre-Dame sainte Marie, et à toute la compagnie des cieux, Le suppliant d’accorder Sa miséricorde à toute la Sainte Eglise, afin que Dieu la garde en bon état, tout spécialement l’Eglise d’Angleterre, notre Eglise-mère, cette Eglise et toutes celles de la chrétienté.

Pour notre Pape N., le patriarche de Jérusalem, les cardinaux, pour les archevêques et les évêques, et spécialement pour notre évêque N., que Dieu le garde pour son saint service. Pour le recteur/doyen et pour tous les autres ministres qui servent l’Eglise.

Pour la Terre sainte et la Sainte Croix, afin que Dieu les délivre des mains des païens.

Pour la paix de l’Eglise et de la terre.

Pour notre souverain N., notre premier ministre N.,

[Pour les ducs, comtes et barons et tous ceux qui doivent garder en paix cette terre et tous ceux qui la gouvernent].

Pour la santé de N. et N.

Pour ceux qui vivent en péché mortel.

Pour nos frères et sœurs et tous nos paroissiens, et tous ceux qui font le bien pour cette église ou fondation. Pour nous-mêmes, que Dieu dans Sa miséricorde, nous accorde la grâce de vivre pour le salut de votre âme et pour tous les peuples vraiment chrétiens.

[On dit alors le psaume 66, Deus misereatur :]

Que Dieu nous soit compatissant et nous bénisse, * qu’Il fasse resplendir sur nous Sa face et qu’Il ait pitié de nous.

Que sur la terre on connaisse Ta voie, * parmi toutes les nations, Ton salut.

Que les peuples Te célèbrent, ô Dieu, * que tous les peuples Te célèbrent.

Que les nations soient dans la joie et l’allégresse + car Tu gouvernes les peuples avec droiture ; * sur la terre, Tu juges les nations.

Que les peuples Te célèbrent, ô Dieu, * que tous les peuples Te célèbrent.

La terre a donné son fruit, * que Dieu, notre Dieu, nous bénisse.

Que Dieu nous bénisse, * et qu’on Le craigne jusqu’aux confins de la terre.

R/. Gloire au Père et au Fils * et au Saint-Esprit,

V/. Comme il était au commencement, maintenant et toujours, * et dans les siècles des siècles. Amen.

Kyrie eleison

Christe eleison.

Kyrie eleison.

Notre Père (en silence jusqu’à) : Et garde-nous d’entrer dans la tentation.

Mais délivre-nous du mal.

Montre-nous, Seigneur, Ta miséricorde,

Et donne-nous Ton salut.

Que Tes prêtres soient revêtus de justice,

Et qu’en Toi se réjouissent Tes saints.

Seigneur, sauve le roi.

Et exauce-nous au jour où nous T’invoquons.

Accorde le salut à Ton peuple,

Gouverne-le et relève-le à jamais.

Que la paix règne en tes remparts,

Et l’abondance dans tes forteresses.

Seigneur, exauce ma prière,

Et que mon cri parvienne jusqu’à Toi.

Le Seigneur soit avec vous.

Et avec ton esprit.

Prions.

Ô Dieu, qui par la grâce de Ton Saint-Esprit déverse les dons de la charité dans les cœurs de Ton peuple fidèle, accorde à Tes serviteurs et servantes pour lesquels nous supplions Ta clémence, la santé de l’âme et du corps, afin qu’ils Te puissent aimer de toute leur force et accomplir ce qui est agréable à Tes yeux avec une entière affection ; quant à nous, accorde-nous la paix en nos jours, par le Christ, Notre-Seigneur.

Amen.

Prions (tous se mettent à genoux).

Pour les âmes de N. et N., archevêques, évêques, clercs, bienfaiteurs, etc. qui ont servi cette église ou qui y ont fait quelque bien, ou pour cette fondation et pour toutes les âmes dont les os reposent dans cette église et ce cimetière, et pour tous ceux qui ont donné à cette église ou fondation des rentes, vêtements ou tout autre bien par lequel Dieu est mieux adoré dans cette église, et pour les ministres qui en sont mieux lotis ; pour les âmes de tous nos pères, mères, grand-pères, parrains, marraines, frères, sœurs, et de tous nos paroissiens, pour toutes les âmes qui ont fait quelque bien dans cette église et pour toute âme chrétienne.

[On dit alors le psaume 129, De profundis :]

Des profondeurs j’ai crié vers toi, Seigneur : * Seigneur, écoute ma voix.

Que Ton oreille se fasse attentive * à la voix de ma supplication.

Si tu regardes les iniquités, Seigneur, * Seigneur, qui pourra subsister ?

Mais près de Toi est la propitiation. * À cause de Ton Nom, je T’ai attendu, Seigneur ;

Avec confiance mon âme a attendu Ta parole. * Mon âme a espéré dans le Seigneur,

Depuis la garde du matin jusqu’à la nuit, + depuis la garde du matin, * qu’Israël espère dans le Seigneur.

Car auprès du Seigneur est la miséricorde, * auprès de Lui abonde la rédemption.

C’est Lui qui rachètera Israël * de toutes ses iniquités.

Donne-leur, Seigneur, le repos éternel,

Et fais briller sur eux la lumière sans déclin.

Des portes de l’enfer,

Délivre leurs âmes, Seigneur.

Je le crois, je verrai les bienfaits du Seigneur

Sur la terre des vivants.

Absous, nous T’en prions, Seigneur, les âmes de Tes serviteurs et servantes, nos relations, nos voisins, nos amis, nos bienfaiteurs de même que celles de tous nos fidèles défunts de toutes les chaînes de leurs péchés ; que dans la gloire de la Résurrection, ils puissent être élevés à la vie et respirer à nouveau parmi Tes saints et élus ; par le Christ, Notre-Seigneur.
Amen.

Qu’ils reposent en paix.

Amen.

Revue Esprit de la liturgie – édition 2020

Chers amis lecteurs

Nous sommes fiers de partager avec vous notre première édition numérique de la revue Esprit de la liturgie, fruit de notre travail depuis 2017.

Cette revue reprend trois articles qui représentent bien notre ligne éditoriale et notre intention de promouvoir la liturgie dans sa continuité avec les textes du Concile Vatican II et avec la Tradition vivante de l’Eglise.

Je vous souhaite une bonne lecture et vous encourage à la partager avec votre entourage, votre paroisse, vos amis prêtres et dans votre diocèse.

Il est fortement recommandé de lire cela sur un ordinateur pour une lecture plus aisée.

Pourquoi chanter les textes liturgiques ?

Ceux qui ont fait l’expérience de se rendre à une Messe célébrée dans un rite oriental (catholique ou non) auront remarqué que la liturgie y est intégralement chantée. On chante même les lectures, c’est dire ! Or, nous voyons rarement ce genre de choses dans nos paroisses. C’est même plutôt le contraire : même à la Messe du dimanche, nous récitons, sans chant, le signe de croix, les lectures, le Credo, les intentions de la prière universelle, voire le Notre Père. Pourtant, il ne devrait pas en être ainsi ; et ce qui est de facto propre aux orientaux sur ce point précis était commun à toutes les Eglises apostoliques… donc aussi à l’Eglise d’Occident, l’Eglise de Rome.

Le texte qui va suivre a été écrit par M. Peter Kwasniewski, théologien américain et grand défenseur de la forme extraordinaire du rite romain. Dans cet article, publié sur le site américain « New Liturgical Movement » et traduit par nos soins, il défend l’usage du chant des textes de la liturgie à l’encontre de leur pure et simple récitation.

Avant de vous laisser découvrir sa prose, nous précisons que nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec tous les propos tenus par M. Kwasniewski. Celui-ci a notamment attaqué la forme ordinaire du rite romain d’une manière que nous ne partageons pas le moins du monde.

Enfin, selon l’usage d’un vénérable site internet, nous nous autorisons des commentaires [placés entre crochets et en rouge].

Et maintenant, passons à l’article proprement dit !

L’on constate que toutes les religions du monde comportent le chant de textes sacrés [C’est là un fait indubitable et pratiquement universel que toutes les religions comportent le chant de leurs textes sacrés]. Une convergence aussi surprenante indique qu’il y a une connexion naturelle entre le culte du divin et le chant des textes impliqués dans les rites, à savoir, une connexion basée sur la nature de l’homme, du chant et de la parole.

La philosophie du chant des textes religieux

Cette pratique universelle dérive d’un sens intuitif que l’on ne parle pas des saintes choses, et des saints sentiments qui vont avec, comme l’on parlerait de choses ordinaires de tous les jours, mais devraient être élevées à un niveau supérieur par une mélodieuse modulation – ou submergées dans le silence. Les rituels authentiques, par conséquent, tendent à alterner silences (soit pour la méditation, soit pendant une action symbolique) et chants (qui peuvent être ou non accompagnés de quelque autre action).

Les actes de culte public deviennent plus solennels, et leur contenu plus attirant et mémorable, par le chant du clergé, des chantres, du choeur et de l’assemblée. Plus encore, le contraste entre le chant (l’expression humaine à son plus haut degré) et le silence (une abstinence « apophatique » délibérée de discours) est encore plus éclatant que le contraste entre parler et ne pas parler. Le premier ressemble à la montée et à la descente des vagues de l’océan, quand le second ressemble davantage à une lampe que l’on allume et éteint.

La première fonction du discours parlé est discursive, visant à l’instruction, guidée « vers » un auditeur [d’où le fait qu’il est, évidemment, beaucoup plus convenable que le chant pour ce qui est des homélies], tandis que le chant, qui unit plus facilement et naturellement plusieurs chanteurs en un seul corps, est capable, en plus de porter du sens et des sentiments qui vont au-delà de ce que les mots peuvent dire, d’augmenter considérablement le pouvoir de pénétration des mots eux-mêmes. L’on trouve ceci spécialement dans les « mélismes » du chant, les longues élaborations mélodiques sur une seule syllabe qui donnent voix aux émotions et aspirations intérieures que les mots ne peuvent pleinement exprimer.

Personne n’a commenté avec plus de profondeur le pouvoir quasi-mystique qu’a le chant d’unir les chanteurs entre eux et le sujet avec l’objet que le philosophe de la musique Victor Zuckerkandl. Dans son livre Man the Musician (L’homme, ce musicien), publié aux Presses universitaires de Princeton, en 1973, il écrit :

La musique est appropriée, elle aide, là où l’abandon de soi est requis ou attendu – là où le moi va au-delà de lui-même, là où le sujet et l’objet se rassemblent. Les tons semblent être le pont qui rend possible, ou du moins plus facile, de passer la frontière qui les sépare (24-25).

La parole parlée présupppose « l’autre », la personne ou les personnes à qui la parole est adressée ; celui qui parle et celui à qui l’on parle sont tournés l’un vers l’autre ; la parole va de l’un à l’autre, créant une situation où les deux se font face comme des individus distincts, séparés. Partout où l’on parle, il y a un « lui, pas moi » d’une part, et son contraire, un « moi, pas lui » d’autre part. C’est pourquoi la parole n’est pas l’expression naturelle du groupe.

Le chant est l’expression naturelle et appropriée du groupe, de unité des individus dans le groupe. Si c’est le cas, nous devons supposer que les tons – le chant – expriment essentiellement non pas l’individu, mais le groupe ; plus précisément, ils expriment l’individu dans la mesure où il est membre du groupe ; plus précisément encore, dans la mesure où sa relation à autrui n’est pas une relation de « face à eux » mais bien d’unité (togetherness).

En effet, alors que les mots tournent les gens face à face, les font se regarder les uns les autres, les tons les font regarder dans la même direction : tous suivent les tons dans leur commencement et leur fin. Au moment où les tons résonnent, la situation où un camp faisait face à l’autre se transforme en une situation d’unité, les individus pluriels et distincts en un seul groupe.

Et enfin :

Si les paroles ne sont pas simplement parlées mais chantées, elles bâtissent un pont vivant qui les lie aux choses auxquelles les mots réfèrrent, qui transforme la distinction et la séparation en unité. Par le moyen des tons, l’orateur va chercher les choses, les ramène avec lui, en lui-même, afin qu’elles ne soient plus « autres », quelque chose qui lui serait étranger, mais que l’autre chose et lui-même soient un.

Le chanteur demeure ce qu’il est, mais son être est élargi, son espace vital est étendu : en étant ce qu’il est, il peut maintenant, sans perdre son indentité, être ce qu’il n’est pas ; et l’autre chose, tout en étant ce qu’elle est peut, sans perdre son indentité, être avec le chanteur (29-30).

Au final, tout revient à cela : nous chantons quand nous sommes en accord, ou voulons l’être, avec notre activité ou l’objet de notre activité. Ceci est vrai lorsque nous sommes amoureux d’une autre personne. Cela est vrai par-dessus tout lorsque nous sommes amoureux de Dieu. Ceci est l’origine de la musique incomparablement belle de la tradition catholique. Saint Augustin dit : « Seul l’amant chante ». Nous chantons… nous chuchotons… et nous faisons silence.

Au cours de cette discussion, Zuckerkandl fait une remarque qui me rappelle douloureusement les années où j’ai grandi avec le Novus Ordo, avec des assemblées qui récitaient ensemble le Gloria et le « Saint, Saint, Saint ».

Peut-on imaginer que des gens viennent ensemble pour réciter des chants ? On le peut, mais seulement comme possibilité logique ; dans la vraie vie, cela serait absurde. Cela reviendrait à transformer quelque chose de naturel en quelque chose de tout à fait anormal, contre nature (25).

À la Messe basse, la récitation des textes qui sont normalement chantés ne « fonctionne » que parce que le prêtre dit seul les textes, et le fait à l’autel, ad orientem [1]. Il n’adresse les paroles du chant à personne, sinon à Dieu. Elles acquièrent ainsi une sorte de statut rituel comparable à celui du Canon récité. La récitation de textes chantés n’est pas liturgiquement idéale ; cette forme de Messe s’est développée pour la dévotion personnelle du prêtre célébrant à un autel latéral avec un clerc. Néanmoins, tout le monde devrait trouver étrange d’avoir une grande église bien remplie et de réciter alors les chants au lieu de les chanter. Mais nous pouvons laisser ce point-ci de côté pour l’instant, puisque j’en ai déjà parlé ailleurs.

[C’est un point sur lequel nous nous séparons de M. Kwasniewski. Le fait est que l’assemblée, même à la Messe basse selon la FE, répond au prêtre, ne serait-ce qu’en disant « Et cum spiritu tuo ». Aussi ce point-ci nous semble-t-il être un assaut injustifiée contre la FO, qui se retourne d’ailleurs contre lui-même.]

Raisons pratiques en faveur du chant

Le chant a aussi pour lui des raisons pratiques. Comme l’expérience le montre, des textes qui sont chantés ou psalmodiés (sung or chanted) avec une élocution correcte sont ouïs avec plus de clarté et de force dans une grande assemblée que des textes lus ou même criés. La musique a une manière de porter les mots et de leur faire pénétrer les oreilles et les âmes de ses auditeurs. Aux temps anciens, la poésie épique et lyrique, et même certaines parties des discours politiques, étaient chantés pour cette même raison.

L’amplification électrique n’était pas nécessaire lorsque les architectes tentaient de bâtir des espaces qui résonnaient convenablement et les ministres liturgiques apprenaient à chanter. Une église bien bâtie avec des chanteurs (singers) bien entrainés n’a aucunement besoin d’amplification artificielle. Plus encore, tout dans la liturgie n’a pas à être entendu, contrairement à ce que dit l’une des hypothèses clés derrière la « dégérénovation » (wreckovation) de nos rites [On l’a dit, M. Kwasniewski n’aime pas la FO ; on l’a également dit, nous ne partageons pas ce point de vue].

Difficile d’imaginer un aéroport moderne s’en sortir sans speakers pour ses annonces. C’est par contre une tragédie que les mêmes types de de production sonore techniques, pragmatiques, impersonnels et déconcentrés envahissent les églises. Dans une église, le micro tue l’intimité, l’humilité, la localité et la directivité de la voix humaine. La nouvelle voix devient une sorte de géant sans lieu (placeless giant), un « Big Brother » plus grand que nature, venant de partout et de nulle part, dominant et soumettant l’auditeur. Mettre des micros et des speakers dans une église n’accélère pas un processus naturel : il le renverse. Il n’y a pas de continuum entre la voix non-aidée et la voix artificiellement amplifiée : ce sont deux phénomènes différents, avec des phénoménologies radicalement différentes. Quand les textes rituels sont ornés d’une musique appropriée, leur message en est « porté » tant physiquement que spirituellement.

Le chant grégorien comme idéal du texte chanté

Les huit caractéristiques du chant grégorien sont :

  • la primauté de la parole ;
  • un rythme libre ;
  • le chant à l’unisson ;
  • une vocalisation sans accompagnements ;
  • la modalité ;
  • l’anonymat ;
  • la modération émotionnelle ;
  • une sacralité sans ambiguité.

(J’ai parlé de tout ceci en détails ici).

Ces caractéristiques, prises ensemble, montrent que le plain-chant n’est pas seulement un peu différent des autres types de musique vocale, mais radicalement et profondément différent [2]. Il est une musique liturgique de part en part, n’existant que pour le culte divin, parfaitement adapté à sa nature verbale et sacrée et bien adapté pour aider les fidèles qui l’associent avec ce culte et le trouvent aussi beau qu’étrange, comme L’est Dieu Lui-même.

Nous voyons mieux maintenant pourquoi le plain-chant est fait partie intégrante et nécessaire de la liturgie solennelle, pourquoi il donne une forme plus noble à la célébration et pourquoi il est spécialement adapté au rite romain et mérite la première place en son sein – tout ceci fut affirmé sans ambiguité dans Sacrosanctum Concilium.

Quand il est accompli de manière édifiante, le plain-chant, de lui-même, « s’accorde à l’esprit de l’action liturgique », ce qui ne peut être affirmé de tout autre morceau de musique. En d’autres termes, le plain-chant fournit la définition même de ce que signifie « s’accorder à l’esprit de l’action liturgique », et les autres œuvres musicales doivent être évalués, pour ainsi dire, par ce critère suprême – comme l’avait dit le pape Pie X dans son motu proprio Tra le sollecitudini : « on peut établir à bon droit la règle générale suivante : Une composition musicale ecclésiastique est d’autant plus sacrée et liturgique que, par l’allure, par l’inspiration et par le goût, elle se rapproche davantage de la mélodie grégorienne, et elle est d’autant moins digne de l’Église qu’elle s’écarte davantage de ce suprême modèle ».

___________________

Notes de l’auteur :

[1] Ceci est devenu mon objection principale à la Messe dialoguée, au moins en tant qu’elle demande la récitation de textes qui normalement devraient être chantés.

[2] On a souvent été remarqué que le lien puissant entre le chant et le catholicisme a été bien exploité par les réalisateurs de Hollywood qui, à chaque fois qu’ils veulent évoquer une « atmosphère catholique » s’assurent d’avoir quelque pièce de plain-chant flottant en arrière-plan. Si seulement le clergé d’aujourd’hui avait la moitié de ce « sens des affaires » !

*

* *

[Ainsi s’achève l’article de M. Kwasniewski. Nous l’avons dit, nous ne partageons pas tout ce qu’il professe, y compris dans cet article ; mais nous devons reconnaître qu’il fait d’excellentes remarques, surtout quant à la signification profonde du chant liturgique et à l’exemplarité du chant grégorien pour toute la musique liturgique, au moins dans le rite romain.

Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !]

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