Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Auteur/autrice : Esprit de la Liturgie Page 5 of 6

Pourquoi toute liturgie chrétienne doit être orientée

Notre étude part d’un constat: la pratique de célébrer la messe face au peuple semble être aujourd’hui un fait que bien peu de monde songe à remettre en cause. Célébrer l’Eucharistie face aux fidèles apparaît aux yeux de la plupart des catholiques comme un progrès inéluctable. Autrefois, le célébrant tournait le dos à l’assemblée en marmonnant des prières en un latin incompréhensible; aujourd’hui, le prêtre voit les fidèles, se tourne vers eux, célèbre face eux, leur permettant ainsi, pense-t’on, de mieux participer à l’action qui se déroule sur l’autel. Le fait pour les fidèles de «voir» l’intégralité des rites qui s’accomplissent sur l’autel est considéré à notre époque comme un élément essentiel de la célébration eucharistique. Par ailleurs, on attribue généralement cette pratique aux enseignements du concile Vatican II, qui aurait, pense-t’on, rétabli un usage antique longtemps oublié à partir d’un Moyen-Age obscurantiste et clérical. Cependant, il semble que cette vision des choses soit en réalité à la fois très récente, et très typique d’une certaine mentalité essentiellement moderne et occidentale. Cet article a pour but de donner des éléments de réponse aux trois questions suivantes: le concile Vatican II a t’il réellement demandé la célébration de l’Eucharistie face aux fidèles? Cette pratique a-t’elle été la pratique généralement pratiquée dans l’Eglise primitive? Enfin, exprime-t’elle adéquatement le mystère de l’Eucharistie et de la prière liturgique chrétienne?

Une pratique récente et controversée

Il suffit de parcourir la constitution conciliaire sur la liturgie pour s’apercevoir que le Concile lui-même, à aucun moment et contrairement à une idée reçue solidement ancrée dans les mentalités diocésaines, ne demande de retourner les autels en vue d’une célébration face au peuple. Sacrosanctum Concilium n’évoque même pas le sujet et les normes actuellement en vigueur n’en envisagent que la possibilité. La pratique consistant à installer de nouveaux « autels » pour pouvoir y célébrer la Messe face aux fidèles n’apparaît que de manière anecdotique dans les années 1940, avant de se répandre puis de se systématiser dans les années 1960-1970. Pourtant, dès 1955, Paul Claudel, l’un des plus grands écrivains catholiques du XXe siècle, publie une lettre ouverte intitulée La messe à l’envers, dans lequel il dénonce avec force la généralisation de cette pratique qui, contrairement à ce que l’on a pu dire, modifie substantiellement la théologie traditionnelle de la Messe. Il semble en effet que la généralisation de la célébration versus populum n’ait pas été le fruit d’une véritable réflexion sur la signification profonde de la liturgie, mais bien plutôt d’une « mode » consistant à ne concevoir la liturgie que du point de vue pastoral, et non du point de vue de la vérité théologique dont elle est pourtant sensée être l’expression. En outre, il s’avère, après étude sérieuse des sources patristiques et historiques, qu’une grande partie des présupposés ayant servi à justifier la « messe face au peuple » dans les années 1960 ont été construits sur de parfaits contresens et sur une interprétation en grande partie erronée des sources archéologiques paléochrétiennes. Ainsi, la disposition des basiliques romaines avait été un argument phare de nombre d’historiens et de liturgistes pour justifier la célébration de la messe face au peuple.

En réalité, ces arguments se sont avéré être faux à la fois sur le plan architectural et sur le plan historique ; La célébration dans ces basiliques est en effet bien orientée puisque l’Orient se situe la plupart du temps du côté de la porte d’entrée. Dans les premiers siècles, d’après certains liturgistes comme Louis Bouyer, les fidèles n’étaient d’ailleurs probablement pas disposés dans ce type d’édifice très spécifique comme ils le sont actuellement (face à l’autel et à l’abside), mais il semble qu’ils se plaçaient sur les côtés de l’autel et étaient eux aussi tournés, en même temps que le célébrant à l’autel, vers l’Orient. De même, le fait que les autels des églises des premiers siècles aient été construits de manière à ce qu’ils soient séparés du mur absidial a été interprété, par certains historiens de l’époque (cf. NUSSBAUM Otto, Das Standort des Liturgen am christlichen Altar, 1965), comme la preuve que la messe y était dite face aux fidèles ; or on sait aujourd’hui que cette interprétation est erronée et que le concept de « messe face au peuple » tel qu’on l’entend aujourd’hui est totalement étranger à la mentalité et aux pratiques liturgiques de l’Eglise primitive, comme l’ont très bien démontré les meilleurs spécialistes de la question tels que Klaus Gamber, Louis Bouyer ou encore Marcel Metzger (cf. METZGER Marcel, «La place des liturges à l’autel», Revue des sciences religieuses 45, 1971).

L’omniprésence de la symbolique de l’Orient chez les Pères

La célébration vers l’Orient, en revanche, est un fait attesté depuis les origines du christianisme. Commençons par étudier les écrits des Pères de l’Eglise et les écrivains chrétiens des premiers siècles. Ainsi, saint Augustin, au IVe s., écrit: «Quand nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient d’où le soleil se lève. Non que Dieu ne serait que là, non qu’il aurait abandonné les autres régions de la terre, … mais pour que l’esprit soit exhorté à se tourner vers une nature supérieure, à savoir Dieu. ». Pour Tertullien (vers 200), la prière vers l’Orient va de soi. Dans son petit ouvrage « Apologétique », il mentionne que les chrétiens «prient en direction du soleil levant». Saint Jean Damascène (VIIe s.) écrit: «Lors de son Ascension, Il monta vers l’Orient, et c’est ainsi que les Apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra, de la même manière qu’ils le virent monter au ciel, comme le Seigneur lui-même l’a dit: «Tel l’éclair qui jaillit de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident, tel sera le retour du Fils de l’homme» (Mt, 24, 27). Parce que nous l’attendons, nous l’adorons tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des Apôtres». Saint Athanase d’Alexandrie écrit au IVe siècle: «Les églises chrétiennes sont tournées du côté de l’Orient afin que nos regards soient dirigés du côté du paradis, notre antique patrie, d’où nous avons été chassés. Et nous prions Notre-Seigneur de nous rendre ce lieu d’où nous avons été chassés» (Pseudo-Athanase, PL. 23, col.618-619). Origène, au IIIe siècle: «C’est de l’orient, que nous vient le salut ; de là vient cet homme appelé Orient, médiateur entre Dieu et les hommes» (Homil. IX in Lev. n. 10). Saint Clément d’Alexandrie, au début du IIIe siècle, écrit dans les Stromates VII, 7, 43, 6-7, : «Etant donné que l’Orient est une image du jour de la naissance et l’endroit d’où croît la lumière qui a commencé à luire dans les ténèbres, un « jour » de la connaissance de la vérité s’est aussi levé sur ceux qui sont enveloppés dans les ténèbres ; les prières sont faites dans la direction du lever du soleil, vers l’est, selon la course du soleil.» Saint Ambroise de Milan, dans ses catéchèses sur le baptême, au IVe siècle, écrit: « Tu es donc entré pour regarder ton adversaire, à qui tu as décidé de renoncer en lui faisant face, et tu te tournes vers l’Orient [ad Orientem] ; car celui qui renonce au Diable se tourne vers le Christ, il le regarde droit dans les yeux » (Traité sur les Mystères). On pourrait aussi évoquer les textes des plus anciennes liturgies chrétiennes, dont beaucoup contiennent des textes évoquant clairement une orientation commune du clergé et des fidèles ; Ainsi, par exemple, l’anaphore copte de Saint Basile: «Approchez, vous autres hommes, tenez vous avec respect et regardez vers l’Orient!», ou bien encore l’anaphore de Saint Marc: «regardez vers l’Orient!».

Les pratiques liturgiques paléochrétiennes. L’avis des historiens et des liturgistes

Louis Bouyer, un des plus grands théologiens du Concile, était un farouche opposant de la messe « face au peuple ». Voici ce qu’il écrit dans son célèbre ouvrage Le Rite et l’Homme: « L’idée que la basilique romaine serait une forme idéale de l’église chrétienne parce qu’elle permettrait une célébration où prêtres et fidèles se feraient face est un complet contresens. C’est bien la dernière des choses à laquelle les anciens auraient pensé ». Le P. Josef A. Jungmann, auteur du célèbre ouvrage «Missarum sollemnia» écrit : « L’affirmation souvent répétée que l’autel de l’Église primitive supposait toujours que le prêtre soit tourné vers le peuple, s’avère être une légende ». Le Père Joseph Gélineau, que personne ne taxera d’intégriste puisqu’il a au contraire été à la pointe des innovations souhaitées par la partie la plus libérale du mouvement liturgique, écrit dans La Maison-Dieu (63, 1960, pp. 53-68): «Le célébrant, qui vient à l’autel pour l’eucharistie, ne devrait-il pas officier face au peuple? Il est nécessaire d’observer que le problème de l’autel versus populum tel qu’il se pose aujourd’hui est relativement nouveau dans l’histoire de la liturgie. Durant une période assez longue et pour une bonne part de la chrétienté, la question dominante, au dire de plusieurs historiens, ne fut pas celle de la position réciproque du célébrant et des fidèles, mais celle de l’orientation au sens strict, c’est-à-dire de se trouver face à l’Orient pour la prière. L’Orient symbolisait alors la direction de l’ascension et du retour du Christ ». Olivier Beigbeder quant-à lui note : «L’orientation des églises vers l’Est est un fait régulier au moins à partir du Ve siècle… Il est assez frappant de noter comment le respect de l’orientation a parfois été aux antipodes de la beauté: il n’est que de contempler, à Lyon, des rives de la Saône, la cathédrale Saint-Jean et l’église de Fourvière, pour constater que l’esthétique ne trouve pas son compte à ce que les églises tournent ainsi le dos à la rivière ». Le professeur Cyrille Vogel (1919-1982), grand spécialiste de l’histoire du culte chrétien et professeur à la Faculté de Strasbourg, fait lui aussi le même constat : «le problème d’une célébration vers le peuple en vue de le faire participer plus complètement à l’action eucharistique est un problème étranger à l’antiquité chrétienne, alors que la célébration vers l’Orient est une des grandes constantes du culte ». Plus récemment, dans un article publié en 2010 et intitulé L’orientation des autels, un problème mal posé?, Alain Rauwel, professeur agrégé à l’Université de Bourgogne, revient sur le débat entre spécialistes à propos de l’orientation de la liturgie durant le premier millénaire et le Moyen-Age, et conclut son étude en écrivant: «Le versus orientem est bien une évidence. Ce n’est donc pas à ses tenants d’apporter leurs preuves, mais à ses adversaires d’étayer leurs arguments. Pour l’heure, le moins que l’on puisse dire est que l’on a rien lu de convainquant…»

La véritable origine du «face au peuple»: la Réforme et l’humanisme de la Renaissance

On l’a vu, c’est en vain que l’on cherche dans les écrits des Pères des premiers siècles la moindre allusion à une quelconque « messe face au peuple » dans l’Eglise primitive. En revanche, l’idée d’une célébration face au peuple est explicitement et pour la première fois de l’histoire évoquée par Martin Luther lui-même: «Nous conserverons les ornements sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe, entre vrais chrétiens, il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi, et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple, comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre.» (Martin Luther, Deutsche Messe und Ordnung des Gottesdienstes, 1526). Or cette hypothèse de Luther selon laquelle le Christ lors de la Cène aurait célébré « face » à ses convives a été démentie par les meilleurs spécialistes de la question. Ainsi, le P. Bouyer affirme que « l’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fût chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis, ou allongés, sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait put survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était bien plutôt accentué par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table » . L’idée qu’une célébration « face au peuple » serait plus proche de la Cène décrite dans les Evangiles -et donc plus conforme à la volonté du Christ- est donc une idée récente, inaugurée par Luther, et certainement pas une idée remontant aux premiers chrétiens. Sur ce point, il est en outre nécessaire de rappeler la chose suivante: il ne faut pas perdre de vue le fait que la sainte Messe est à la fois un sacrifice et un Banquet mystique et n’est donc pas une simple reconstitution archéologique de la Cène. Hélas, la comparaison entre le texte de Luther appelant à une célébration face au peuple et ce qui a été mis en œuvre sur le terrain dans l’immense majorité des diocèses depuis cinquante ans ne peut que donner la très désagréable impression que le « catholicisme » tel qu’il est concrètement vécu dans les paroisses aujourd’hui semble bien plus fidèle à la pensée luthérienne qu’à l’enseignement des Pères de l’Eglise. Et cette impression est encore renforcée lorsque l’on constate qu’aucune Eglise d’Orient –dans l’ensemble restées plus fidèles aux pratiques cultuelles de l’Eglise primitive- ne pratique la célébration versus populum, excepté quelques unes qui ont subit au cours des dernières décennies la –mauvaise- influence occidentale.

Le problème tel qu’il se pose aujourd’hui

La conclusion qu’il nous faut tirer de cette étude est que la célébration « face au peuple » entre clairement en contradiction frontale avec toute l’histoire de la liturgie chrétienne, tant en Orient qu’en Occident, et ce depuis les temps apostoliques. La généralisation de la célébration face au peuple a donc bien été, et ce de manière incontestable, une rupture nette avec la tradition bimillénaire de l’Eglise; elle semble en outre avoir puissamment contribué faire perdre aux prêtres et aux fidèles le sens profond de l’Eucharistie. En avril 1992, le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, écrivait : «Nous nous sommes tellement tournés vers l’assemblée que nous avons oublié de nous tourner ensemble, peuple et ministres, vers Dieu ! Or, sans cette orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens chrétien». Le P. Louis Bouyer, que l’on ne peut taxer d’intégriste puisqu’il a été l’un des grands théologiens du Concile Vatican II, écrivait dans la préface de l’ouvrage Tournés vers le Seigneur de Klaus Gamber : «Il en résulte que la messe dite face au peuple n’est qu’un total contresens, ou plutôt un pur non-sens ! Le prêtre n’est pas une espèce de sorcier ou de prestidigitateur produisant ses tours devant une assistance de gobeurs : c’est le guide d’une action commune, nous entraînant dans la participation à ce qu’a fait une fois pour toutes Celui qu’il représente simplement, et devant la personnalité duquel la sienne propre doit s’effacer !». Il apparaît donc évident que la question de l’orientation de la prière liturgique en général, et de la célébration eucharistique en particulier, devrait faire l’objet d’une sérieuse réévaluation. Sa redécouverte dans la vie liturgique de nos paroisses pourrait bien être le signe d’une redécouverte salutaire et d’un approfondissement du sens spirituel, symbolique, cosmique et mystique du culte chrétien.

Cependant, il faut reconnaître qu’une telle restauration, quoique nécessaire, ne puisse se faire sans de sérieuses difficultés. On nous objectera, par exemple, qu’aujourd’hui une partie non négligeable de nos églises ne sont plus orientées, en particulier celles qui ont été construites à partir du XVIe siècle sans reprendre le plan d’une église médiévale préexistante. A cet époque en effet, la compréhension profonde du symbolisme traditionnel en général et celui du soleil Levant en particulier s’estompe et cède la place à de toutes autres considérations: on se préoccupe essentiellement de la bonne disposition de l’édifice par rapport à l’organisation urbaine. Le symbolisme sacré qui exprime la foi et soutien la spiritualité s’efface au profit du rationalisme et du pragmatisme modernes. Par ailleurs, à partir de cette même époque, les autels, qui jusqu’au Moyen Age avaient conservé la forme d’un cube ou d’un parallélépipède simple, conforme au symbolisme qu’ils sont sensés exprimer, commencent à se transformer en des meubles imposants et monumentaux, surchargés de sculptures et d’une ornementation de plus en plus chargée qui ont tendance à obstruer la fenêtre percée dans l’abside orientale et originellement destinée à faire pénétrer dans le sanctuaire la lumière matinale. Dans beaucoup d’églises qui portent les stigmates de ces transformations, il faut reconnaître que la célébration vers l’Orient perd une partie de son sens… sans que celui-ci disparaisse complètement. Nous pensons en effet que même là où le sanctuaire n’est pas orienté, ou bien là où la fenêtre orientale disparaît derrière les aménagements issus de ces époques, le fait pour les fidèles et les ministres d’être tournés dans le même sens, vers la croix et le tabernacle, conserve une signification spirituelle tout à fait essentielle. Notons cependant qu’il serait préférable, au moins dans les églises dont la taille le permet, de toujours célébrer sur un autel séparé du mur, de manière à pouvoir en faire le tour, notamment lors des différents encensements prévu dans la liturgie.

Ex Oriente Lux…

Pour conclure…

Il est un fait rigoureusement incontestable que les premiers chrétiens voyaient le lever du soleil à l’Est comme l’image de la Résurrection et le symbole préfigurant le retour glorieux du Ressuscité à la fin des temps. C’est cette vision pleine d’espérance qui a conduit les premiers disciples du Christ, et ce dès les temps apostoliques, à se tourner vers l’Orient pour la prière communautaire et surtout pour la célébration de l’Eucharistie. Le concile Vatican II, loin de demander la célébration dite « face au peuple », a au contraire souhaité réhabiliter cette dimension eschatologique de la liturgie chrétienne, notamment par l’ajout de cette prière : «Nous proclamons ta mort, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la Gloire», que nous chantons après la Consécration. Or, c’est précisément dans le cadre d’une liturgie orientée que cette prière prend tout son sens!

En outre, il est faux de prétendre que la célébration versus populum exprime davantage la dimension pastorale et communautaire de la liturgie. Ce serait même plutôt le contraire qui est vrai. En effet, l’orientation commune du clergé et des fidèles illustre parfaitement l’ecclésiologie paulinienne et patristique telle que l’a remise à l’honneur le concile Vatican II : l’Eglise comprise comme le Corps du Christ, un corps dont chacun des membres joue un rôle spécifique au service de l’unité de ce corps : lors de la célébration eucharistique, les fidèles, en vertu de leur baptême, forment le «Christ-Corps » proprement dit, tandis que le prêtre représente le « Christ-Tête » qui se tient en avant de celui-ci pour le ramener vers le Père ; l’orientation exprime également à merveille l’image du Bon Pasteur, qui conduit ses brebis vers les verts pâturages de la vie éternelle. A ce titre donc, l’orientation de la liturgie est pleinement « pastorale », dans le sens le plus noble et le plus fort de ce terme.

Revenir à la pratique de l’orientation de la Messe ne signifie donc certainement pas faire preuve de « traditionalisme » ou d’intégrisme, mais cela signifie bien au contraire renouer avec le meilleur et le plus authentique de la spiritualité chrétienne : une spiritualité orientée vers la Lumière de la Résurrection, habitée par une confiante espérance dans le retour glorieux du Christ ressuscité à la fin des temps.

Liturgia Verbi: La véritable signification de la liturgie de la Parole

Encensement de l’Evangile par le diacre, abbaye Saint-Joseph, Flavigny-sur-Ozerain

Dans le contexte actuel de décadence généralisée de la liturgie, l’une des réalités rituelles les plus incomprises du culte public de l’Eglise est la liturgie de la Parole. La restauration de cette partie de la Messe avait pourtant été un des grands objectifs de la réforme liturgique conciliaire ; dans le sillage de la remise à l’honneur de la Parole divine voulue par le Concile, cette réforme avait en effet pour but redonner à ce rite –car c’est bien un rite, s’inscrivant pleinement dans l’univers rituel de la Messe- toute sa solennité, et de montrer qu’il constitue bel et bien une liturgie à part entière, la liturgia Verbi , c’est-à-dire la liturgie du Verbe incarné, «qui porte l’univers par sa parole puissante » (He, 1, 3).
Avant toute considération à ce propos, il est nécessaire tout d’abord de comprendre la nature profonde du christianisme. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le christianisme n’est pas une « religion du Livre », mais bien une religion de la Parole, ce qui la différencie fondamentalement de l’Islam et du judaïsme rabbinique. Ces deux confessions religieuses, en effet, sont attachés à la lettre de la loi, à la lettre du texte sacré. Dans le christianisme au contraire, « la lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Cor, 3, 6). Le christianisme est tout entier une religion de l’écoute de la Parole divine, qui est toujours une Parole vivante : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.» (He 4, 12). Dans les évangiles, il s’agit surtout « d’entendre», « d’écouter » la Parole de Dieu, tandis que la règle de saint Benoit commence par « Ecoute ! », et non pas par « lis ». Dans cette optique, la mise par écrit dans un « livre » est très secondaire ; par ailleurs on remarquera que toute vraie tradition est d’abord et avant tout une tradition orale, et que la liturgie, ses rites autant que son esprit, se sont transmis de génération en génération plutôt par l’exemple et l’écoute que du fait des Missels et autres imprimés, qui restaient de toute façon rares et chers jusqu’à une époque récente. On notera en outre que l’on constate que dès qu’une tradition passe à l’écrit, elle y perd souvent son âme et son caractère « vivant ».

Il est également nécessaire de bien comprendre l’esprit de la réforme issue de Vatican II. Si, dans la forme ordinaire du rite romain, le Canon doit être proclamé à haute voix, c’est bien pour être chanté, soit sur les mélodies prévues à cet effet, soit recto tono. Il faut le dire avec force : surtout pour les dimanches et les jours de fête, il est aberrant que la prière eucharistique ne soit pas chantée intégralement. Le fait de se contenter de la réciter la rabaisse à une simple parole humaine, surtout si, comme c’est le cas en de nombreux endroits, le célébrant emploie un ton mièvre et « personnalisé » totalement inapproprié à la grandeur de ce qu’il accomplit. Le Canon, en effet, n’est pas une parole ordinaire mais bien un Parole sacrée, et même, si l’on prend son cœur –Ceci est mon Corps, livré pour vous, ceci est mon Sang, versé pour vous et pour la multitude, paroles par lesquelles s’opère le Sacrifice- une Parole de Dieu, au sens propre. Par la prière consécratoire, le prêtre ne fait que prêter sa voix au Christ qui est le véritable acteur de la célébration, à la fois Prêtre et Victime du sacrifice divin. Dans la prière eucharistique plus que dans toute autre, la Parole de Dieu est dite performative, c’est-à-dire qu’elle réalise, par le fait même d’être prononcée, ce qu’elle évoque. Il faut bien insister sur le fait que liturgie de la Parole et liturgie eucharistique sont bien les deux parties d’une seule et même Liturgie, qui est la Liturgie de la Messe. D’une certaine manière, et pour les raisons que nous venons d’expliquer, on peut dire que le Canon est aussi une liturgie de la Parole qui s’opère par la consécration des saintes Espèces, tandis que la Parole divine entendue avec l’Epître et l’Evangile est elle-même un pain spirituel ; l’écouter, c’est aussi se nourrir.
Comme pour la prière eucharistique, en proclamant l’épître et surtout l’Evangile, le diacre ou le prêtre n’exprime pas des idées personnelles, il ne tient pas des propos purement humains ; au contraire, là aussi il prête humblement sa voix à une réalité qui le dépasse très largement, et qui est cette Parole de vie, ce Verbe éternel qui était dès le commencement du monde, comme nous l’entendons dans le Prologue de l’Evangile selon saint Jean. Tout donc, dans sa manière de proclamer cette Parole, doit montrer que sa personnalité propre, pleine de faiblesses et d’insuffisances, s’efface complètement pour laisser s’exprimer le mystère du Verbe divin.

Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, chant de l’Evangile par le diacre

De l’ensemble de ces considérations il nous faut tirer deux conclusions pratiques :
1- LA LITURGIE DE LA PAROLE DOIT ETRE SOLENNISÉE. L’une des caractéristiques de la crise actuelle est que nous ne savons plus solenniser. Que signifie « solenniser » ? Cela signifie mettre en œuvre tous les symboles et tous les éléments matériels prescrits par les normes et la Tradition qui permettent de souligner l’importance du mystère que l’on célèbre. Il est aberrant, par exemple, que même dans des églises ou des sanctuaires dotés de tous les moyens matériels, le diacre qui proclame l’Evangile ne porte pas de dalmatique. La dalmatique, vêtement de joie et de solennité par excellence, n’est pas un accessoire secondaire, mais bien le vêtement qui exprime la nature de la fonction diaconale. Par ailleurs, on ne peut que saluer la pratique restaurée par la réforme liturgique de Vatican II de porter l’évangéliaire au cours de la procession d’entrée et de le poser sur l’autel durant la première partie de la messe. En effet, cette pratique, totalement traditionnelle et conservée dans bien des liturgies orientales (byzantine notamment), permet de souligner le lien intime entre liturgie du Verbe et liturgie eucharistique. En effet, l’autel, centre de l’église et point fixe placé au milieu du sanctuaire, symbolise la personne même du Christ, cette «pierre que les bâtisseurs ont rejeté» et qui est devenue «la pierre d’angle». L’évangéliaire symbolise la Parole de Dieu, qui elle est une réalité vivante et dynamique, qui «sort» de la personne du Christ (représentée par l’autel) pour nous rejoindre et nous transformer. La procession au cours de laquelle le diacre (ou le prêtre s’il n’y a pas de diacre) saisit l’évangéliaire posé sur l’autel et se rend à l’ambon pour chanter l’Evangile est la manifestation rituelle de la nature dynamique de ce mouvement par lequel le mystère du Verbe se manifeste aux hommes. Si l’on dispose d’un nombre de servants d’autel suffisant, il est donc impératif que cette procession entre l’autel et l’ambon ait lieu, le diacre ou le prêtre étant accompagné de deux céroféraires (en aube avec cordon ou soutane-surplis) qui ensuite encadrent l’ambon où le diacre va proclamer l’Evangile. En effet, ce rite consistant à encadrer la proclamation de l’Evangile de deux cierges portés par deux servants fait partie intégrante de la liturgie de la Parole, et signifie que la Parole de Dieu est la lumière qui éclaire nos existences. A cela s’ajoute la présence du thuriféraire balançant l’encensoir fumant, car la Parole manifeste la présence vivante de Dieu qui doit donc recevoir l’hommage représenté par l’encensement durant la proclamation. On veillera également à user d’un évangéliaire richement orné ; en effet cette riche ornementation du livre contenant les Évangiles, qui a souvent contribué à la production par les artistes de splendides œuvres artistiques, souligne l’importance, non du livre en lui-même, mais de la Parole divine qu’il contient et dont il n’est que le support matériel. Tous ces éléments sont décris dans les livres officiels et doivent être respectés et mis œuvre dès que cela est possible. En contemplant la procession solennelle du diacre portant l’évangéliaire, entouré des céroféraires et du thuriféraire, de l’autel à l’ambon, les fidèles comprennent que la Parole de Dieu est une réalité vivante et lumineuse, qui provient du Christ (représenté par l’autel) et qui vient jusqu’à nous pour transformer nos existences. Ne pas donner en revanche à la liturgie de la Parole tout ce déploiement riche en signification, c’est affaiblir la capacité de cette même liturgie à exprimer le mystère du Verbe divin.

Encensement de l’Évangile par le diacre, forme extraordinaire du rite romain

2- LA PAROLE DOIT ETRE CHANTEE. On se référera à ce sujet à l’explication très juste et profondément fidèle à la Tradition qu’en donne Jean Hani, qui affirme que la désacralisation de la liturgie de la Parole est aggravée par « la façon dont le texte est dit aujourd’hui, c’est-à-dire comme celle dont on lit n’importe quel texte littéraire, et, ce qui est plus grave, avec la fameuse diction expressive qui a pour effet de mettre en avant le lecteur au lieu du locuteur véritable qui est le Christ lui-même ou son porte-parole, l’évangéliste, ce qui revient au même. Régulièrement, l’Evangile était proclamé et non pas lu, de façon solennelle en utilisant une sorte de mélopée, ce qui avait pour résultat de hausser l’acte sur le plan supérieur, -le plan du sacré ; quand ils n’étaient pas chantés, l’Evangile et l’Epître étaient lus recto tono, un mode qui dépersonnalise, comme il convient, le lecteur, et valorise le texte [ou plus exactement, la Parole vivante dont le texte n’est que le support, ndlr] et son auteur ». Or, le fait de simplement « lire » le texte évangélique sur un ton que l’on veut faussement « personnalisé» ou intimiste, suppose en réalité une autre approche de la Parole, une approche en réalité imprégnée de mentalité protestante : la Parole de Dieu n’est plus cette réalité surnaturelle, supra humaine et sacrée, parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition, une Parole vivante sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir, derrière laquelle nous devons nous effacer et que nous devons recevoir dans l’humilité et l’obéissance, mais elle devient un texte quelconque que n’importe quel locuteur peut interpréter à sa guise, en fonction de ses goûts subjectifs et de son « inspiration » du moment. C’est hélas bien cette approche –fausse- de la proclamation de la Parole qui est aujourd’hui pratiquée dans l’immense majorité des paroisses. Jean Hani fait une autre remarque qui mérite d’être rapportée : « En supprimant les mots « in illo tempore », on enlève complètement à la nature du texte le caractère rituel qui permet de transcender le moment « hic et nunc » et qui permet de devenir le contemporain du Christ au moment où il donnait son enseignement. Le « mystère », car il s’agit bien d’un mystère, celui d’un Dieu parlant à l’homme, le mystère et sa « présence » sont évacués, l’Evangile lui n’est plus qu’un récit didactique, à but moral, ce n’est plus réellement le « Pain de la Parole », considéré dans la grande tradition chrétienne comme l’accompagnement vital du « Pain de la sainte table » » (Jean Hani, Le monde à l’envers. Essais critiques sur la civilisation moderne, l’Age d’homme, p. 51-52).

Diacre portant l’évangéliaire dans le rite byzantin.

Il faut dire et répéter que la Liturgie est la première école biblique. Toute liturgie véritablement traditionnelle est nécessairement comme « imprégnée » d’Ecriture sainte. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas une liturgie traditionnelle. Dans la liturgie grégorienne, l’essentiel des pièces du propre (introits, graduels, alléluia, antiennes d’offertoire et de communion) et une grande partie des pièces de l’ordinaire de la Messe sont des extraits de textes bibliques. A partir de la fin du Moyen-âge, le sens profond de cette «liturgie du Verbe» et de son déploiement rituel a été progressivement oublié. L’apparition du catéchisme au XVIe siècle (qui est une invention du protestantisme, reprise par l’Eglise tridentine) a été un moyen de compenser –sous une forme, hélas, très scolaire et rébarbative totalement étrangère à l’esprit des Anciens- l’affaiblissement de la puissance signifiante de l’antique liturgie du Verbe. Auparavant en effet, c’était cette liturgie de la Parole qui permettait l’appropriation par les chrétiens (ou ceux qui se préparaient à le devenir) de la Parole divine, par une sorte d’«immersion rituelle» dont les caractéristiques essentielles (la procession solennelle, le chant du graduel et de l’alléluia par la schola puis proclamation chantée du texte sacré par le diacre, l’usage des cierges et de l’encens) permettaient de comprendre la dimension supra humaine et surnaturelle de cette Parole, et donc de se laisser transformer par elle. C’est pour cela que jusqu’à une époque récente, la première partie de la Messe -rites pénitentiels et liturgie de la Parole- était appelée « Messe des catéchumènes » et constituait la seule partie de la Messe à laquelle ceux qui n’étaient pas encore reçu le baptême pouvaient assister, avant de quitter l’église au moment où débutait la liturgie eucharistique proprement dite, ou « Messe des fidèles », réservée aux fidèles baptisés et pleinement initiés aux mystères.
En conclusion, il est bon et essentiel que les catholiques se nourrissent de la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, mais prioritairement dans la façon dont l’Eglise les leur expose dans son sacrificium laudis, le sacrifice de louange à Dieu, et en particulier dans la liturgie du Verbe telle que nous l’avons reçue de la Tradition et telle qu’elle a été restaurée à la suite du Concile. La Liturgie n’est que difficilement compréhensible sans connaissance minimale de la Sainte Ecriture ; une connaissance de l’Ecriture sans culture liturgique s’éloigne de l’Esprit dans lequel l’Eglise veut que nous la recevions et méditions, et ouvre la porte à toutes les erreurs et à toutes les hérésies. Restaurer une authentique liturgie de la Parole qui soit conforme à l’esprit de la Tradition est donc indispensable pour que cet Esprit puisse préparer les fidèles à accueillir, à comprendre et à mettre en pratique dans leur vie la Parole du Maître.

«Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu, et qui la gardent!» (Saint Luc, XI, 28)

Images de la messe solennelle en rite dominicain à l’Angelicum, Rome

Article original par GREGORY DIPIPPO

Lundi dernier, en la fête de sainte Catherine d’Alexandrie, une messe solennelle en rite dominicain a été célébrée en l’église saints Sixte et Dominique, église de l’Angelicum, l’université dominicaine à Rome. Comme patronne des philosophes, sainte Catherine a toujours été tenue en grand honneur par l’ordre dominicain, spécialement par ses institutions éducatives. Le jeudi précédent, une messe solennelle en rit romain (ndlr, forme extraordinaire ) a eu lieu en la fête de la Présentation de la Vierge Marie. Nos remerciements à Don Elvir Tabaković, chanoine régulier de la congrégation de Windesheim qui étudie à l’Angelicum pour ces magnifiques photos. (Don Elvir a été interrogé récemment par John Henry Westen de LifeSite, sur sa précédente carrière de photographe professionnel, sa conversion et son entrée dans la vie religieuse.)

Alignement particulier aux dominicains pour l’Introït

Lorsque le célébrant et les ministres se rendent à la baquette, ils se placent en ordre hiérarchique, le prêtre étant au plus près de l’autel; un grémial est alors placé sur leurs genoux. Le sous-diacre n’est pas avec eux à ce moment, puisqu’il prépare le calice; comme dans beaucoup d’usages médiévaux du rite romain, une grande partie de la préparation du calice et de la patène est effectuée pendant la Messe des catéchumènes.

A l’intonation du Gloria in excelsis; on notera que le calice a déjà été amené à l’autel, et que les acolytes s’alignent avec les ministres sacrés.

La lecture du graduel, etc. se fait à la banquette…

… de même que la préparation du calice…

… et la bénédiction de l’encens à l’Évangile.

Pour l’Évangile, un pupitre est utilisé, le diacre, le sous-diacre et le thuriféraire se tenant en ligne devant le livre, tandis que les acolytes se tiennent derrière lui, avec leurs chandeliers.

Le sous-diacre s’agenouille en présentant l’Évangéliaire à baiser au prêtre.

L’offertoire dominicain est beaucoup plus court que celui du rite romain, puisqu’une grande partie de la préparation est faite en avance; ici, nous voyons la patène et le calice offerts ensemble.

Pour le dialogue de la préface, le diacre et le sous-diacre demeurent à l’autel; le thuriféraire les encense après « Gratias agamus »; après seulement, le sous-diacre prend la patène et le voile et se tient derrière le prêtre.

Comme dans la plupart des usages médiévaux, et dans le rite ambrosien, le prêtre étend les mains en forme de croix pour le « Unde et memores ».

Au début d’une Messe solennelle, le diacre porte le missel, et le sous-diacre, le lectionnaire; lorsqu’ils se retirent à la fin, le diacre porte le missel, mais le sous-diacre porte le calice au lieu du lectionnaire.

Messe solennelle selon le rite romain (forme extraordinaire, ndt) pour la Présentation de la Vierge Marie.

Traduction d’un article original de GREGORY DIPIPPO pour le site New liturgical movement, avec son aimable autorisation. Lien article original: http://www.newliturgicalmovement.org/2019/11/pictures-of-solemn-masses-at-angelicum.html

Et nos remerciements à Don Elvir Tabaković pour ses photos et son aimable autorisation. Page Facebook: https://it-it.facebook.com/donElvir/

Université pontificale saint Thomas d’Aquin-Angelicum. https://www.facebook.com/AngelicumOP/

Homélie de Mgr Rey en la solennité du Christ-Roi

Homélie dite dans le cadre du pèlerinage Summorum Pontificum à l’église de la Très Sainte Trinité des Pèlerins.

Qu’est-ce que l’esprit de la liturgie ?

«Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie.» (2 Cor., 3, 6)

Le christianisme est d’abord et avant tout la religion de l’Esprit. Dans la tradition chrétienne, l’Esprit n’est pas une réalité abstraite et théorique, condamnée à demeurer dans le domaine idéal d’hypothèses évanescentes, mais au contraire il est une réalité, la Vérité qui s’incarne et se manifeste dans la vie concrète de l’homme. L’homme lui-même, créé en tant que tel à l’image de Dieu qui «est esprit» (Jn, 4, 24), est essentiellement un animal spirituel, dont la vocation est d’adorer le Père «en esprit et en vérité», c’est-à-dire en exerçant son sacerdoce baptismal par la prière du cœur, prière qui, par le ministère sacerdotal de Jésus-Christ, «nous rends participants de la nature divine» (divinae naturae consortes, 2 Pe, 1, 4). Ce culte spirituel, qui est la véritable finalité du christianisme puisqu’il nous réconcilie avec le Père, se traduit et se concrétise nécessairement par un culte corporel et extérieur, dont la dimension corporelle doit être pleinement assumée sans jamais être déconnectée de sa finalité spirituelle : «Mes frères, je vous en prie au nom du Dieu très bon, consacrez votre corps à Dieu comme une offrande vivante, sainte et agréable : c’est le culte spirituel que vous lui devez» (Rom., 12, 1-5). C’est donc sur ce fondement des enseignements des Apôtres que s’est développée, tout au long des siècles, l’authentique liturgie chrétienne. Avant d’être un ensemble d’éléments matériels, de rites, de symboles et de gestes, la liturgie, son âme, son identité profonde, est d’être animée de l’intérieur par une certaine pensée, un «esprit», c’est-à-dire une «impulsion» spirituelle mystérieuse, qui, insuflée par le Christ aux Apôtres puis transmise de génération en génération par le biais de la Tradition apostolique, se manifeste à son plus haut degré de densité dans la sainte Liturgie, au cours de laquelle sont célébrés devant la face de Dieu les mystères divins. De même qu’il y a une «saine doctrine», une «foi juste», il existe une «orthodoxie liturgique», une «vraie liturgie», une liturgie authentique, qui exprime dans toute sa justesse et sa plénitude la profondeur de la foi chrétienne. Certes, cette liturgie authentique se manifeste à travers une grande diversité de «familles liturgiques», ou de «traditions» appartenant à des aires culturelles différentes (liturgie romaine, byzantine, copte, éthiopienne, etc), qui toutes jouissent d’une pleine et entière légitimité ; toutefois, s’il peut y avoir diverses manifestations culturelles, il n’y a derrière cette diversité légitime qu’une seule Tradition, qu’un seul «esprit» : c’est l’esprit de la Liturgie.

Comment définir cet esprit de la liturgie ? Quelles en sont les caractéristiques essentielles ?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de partir de la foi catholique telle que l’Eglise la proclame dans son Credo. La foi suppose avant tout la reconnaissance du primat absolu de Dieu Créateur sur toute réalité : «Je crois en Dieu le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible…» Toute approche de la liturgie doit donc choisir comme point de départ la suprématie divine et reconnaître que «tout vient de Lui» et que «tout est pour Lui». Si la Création est une manifestation de la puissance de Dieu, alors nécessairement cet ordre cosmique –changeant en apparence, mais en réalité immuable dans les lois qui le régissent- doit nécessairement jouer un rôle dans le culte public que le Corps mystique rend au Père. L’alternance du jour et de la nuit, le rythme des saisons, la course des astres dans l’univers, le surgissement du soleil à l’Est au petit matin et son extinction à l’Ouest au crépuscule doivent nécessairement être intégrés à la louange liturgique. Les offices célébrés dans les ténèbres de la nuit à la lueur des cierges, comme la Vigile pascale ou les messes Rorate durant l’Avent, ou bien la pratique de l’orientation commune des ministres et des fidèles vers l’Orient d’où jailli la lumière matinale (orientation que saint Jean Damascène affirme être une tradition reçue des Apôtres), sont de bons exemples de cette intégration des rythmes du cosmos dans le culte liturgique. L’univers visible est signe, symbole et préfiguration de l’univers invisible, avec qui il partage la même origine divine. La dimension cosmique de la liturgie est donc avant tout un culte rendu au Père Créateur de toutes choses, mais également à son Verbe.

A cette dimension cosmique doit nécessairement s’unir la dimension rituelle proprement chrétienne, qui nous vient de la Révélation opérée par le Christ et parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition. Ainsi, l’ensemble des rites sacrés, les ornements, le chant, l’encens, la lumière des cierges, la paramentique, les gestes et les prières, la proclamation solennelle de la Parole divine contenue dans la sainte Ecriture, les mouvements hiératiques opérés par les ministres dans le sanctuaire, bref, tout ce qui constitue la part rituelle de la liturgie forme un ensemble qui est tout entier une manifestation du mystère du Verbe. A la contemplation de l’univers créé lors de la première création –le cosmos- s’ajoute la contemplation de l’univers invisible, que le Fils nous a révélé et nous a fait connaître lors de cette seconde création qu’est le mystère de sa mort et de sa Résurrection. Cet univers invisible –les réalités célestes, la Jérusalem d’En-haut- est signifié, symbolisé, et préfiguré par le déploiement de toute la ritualité liturgique. Lorsque qu’est célébrée la sainte liturgie, le Ciel s’ouvre pour ne plus faire qu’un avec la terre, et nous dévoiler par anticipation cette patrie céleste à laquelle nous sommes appelés, et «à laquelle nous tendons comme des voyageurs» (Sacrosanctum Concilium, I, 8). Dès lors, l’intégration des rythmes du Cosmos dans le culte par l’orientation de la célébration en direction du soleil levant n’est plus seulement un hommage rendu au Père Créateur de toutes choses, mais elle devient également la manifestation rituelle de l’attente de la Parousie, par laquelle l’Eglise vit dans l’espérance du retour du Christ ressuscité dans la gloire à la fin des temps, «pour juger les vivants et les morts», et instaurer la plénitude de son règne d’Amour qui n’aura pas de fin.

La liturgie est la plus haute manifestation de la Tradition

Cette Tradition –patrimoine et trésor de toute l’Eglise- dont la liturgie chrétienne est la manifestation la plus élevée, doit, pour être pleinement agissante et permettre à la Parole de Dieu d’irriguer toute l’Eglise, être reçue avec humilité et transmise avec fidélité. Il faut être fermement convaincu qu’il n’y a pas de liturgie authentique en dehors de la Tradition reçue des Apôtres et développée organiquement depuis plus de vingt siècles. C’est par le renoncement à leur volonté propre, à leurs choix subjectifs, à leurs « goûts » personnels et aux modes passagères que fidèles et ministres, en se conformant strictement aux normes liturgiques et en mettant fidèlement en œuvre les rites sacrés reçus de la Tradition, mettront le Dieu vivant à la première place, c’est à dire au cœur des célébrations. La sainte Liturgie se reçoit, se cultive et se transmet, elle ne « s’invente » pas, ne se « construit » pas davantage, sans quoi elle se transforme en une idolâtrie où l’homme se célèbre lui-même, comparable à la danse des Hébreux autour du veau d’or relatée dans le livre de l’Exode.

Respect du sacré et liturgie céleste

Il nous faut ici insister sur l’importance fondamentale du respect du sacré qui doit caractériser toute liturgie authentiquement chrétienne. La sainte Liturgie est l’Opus Dei, l’œuvre de Dieu, elle est dans son essence profonde une réalité divine –non une fabrication humaine, quoique les éléments matériels qui la composent ont une origine humaine bien identifiable dans l’histoire- et une participation à la liturgie du Ciel. Ainsi, on ne chante pas « à la Messe », mais on chante la Messe, c’est-à-dire que nous unissons nos voix à celle des anges qui chantent dans la Cité céleste la louange du Dieu vivant. Cela suppose nécessairement que soient interprétées au cours des célébrations les mélodies sacrées –grégoriennes, pour ce qui est de la liturgie romaine- héritées de la Tradition, les cantiques en vernaculaire n’étant qu’un pis aller et une tolérance, qui ne peuvent en aucun cas remplacer le chant sacré traditionnel (grégorien d’abord, polyphonie sacrée ensuite). De même, les ornements et les vêtements liturgiques doivent exprimer à la fois la splendeur et la noble simplicité, simplicité qui ne se confond certainement pas avec le misérabilisme paroissial actuel. L’ornementation doit revêtir une dimension de préférence symbolique et non purement décorative et mondaine, le symbolisme sacré étant ce qui permet d’exprimer intuitivement le mystère, et de nous «connecter», par le biais de sa puissance signifiante, aux réalités invisibles, c’est-à-dire à ce sanctuaire divin «qui n’a pas été fait de main d’homme, et qui n’a pas été formé à la manière de ce monde» (He, 9, 11-15).

Liturgie et mystère

Il est également nécessaire d’insister sur le lien entre liturgie et mystère. Une célébration authentiquement liturgique ne doit pas tout montrer et tout dévoiler du premier coup. La dimension mystérique de la sainte liturgie n’est que le reflet du mystère de l’existence humaine, du mystère de la vie, de l’existence du monde, du mystère du bien et du mal. L’homme est mystère. Accepter l’humilité devant le mystère, c’est reconnaître la faiblesse de nos sens et de nos perceptions, c’est accepter le fait que nous ne pouvons prétendre «avoir fait le tour» de la question du sens de la destinée humaine, accepter notre impuissance radicale à exercer un quelconque pouvoir sur le Dieu vivant. Dieu est mystère, et s’il se dévoile à nous, c’est à travers et par la médiation du mystère de son Incarnation dont les sacrements et le symbolisme liturgique sont le prolongement concret et visible.

Le symbole, trait d’union entre le monde visible et l’univers invisible

C’est en effet bien comme une «manifestation divine» qu’il faut comprendre le mystère de la sainte liturgie. Dans son ouvrage intitulé Le sens du surnaturel, Jean Hani rappelle que «dans le christianisme, tout ce qui relève de son essence doit être référé à la Trinité», tandis que «tout ce qui relève de son existence doit être référé à l’Incarnation». L’essence, en effet, c’est Dieu en son mystère ineffable et inaccessible, tel qu’il se présente aux Hébreux dès l’Ancienne Alliance : «Je suis celui qui EST» (Ex, 3, 14). C’est le mystère même de l’Etre dans sa permanence et sa majesté indicible, ineffable communion d’Amour entre les Trois personnes divines. Mais pour que l’essence divine soit communiquée aux hommes, il fallait qu’elle se manifestât, et donc qu’elle passe de l’essence à l’existence. Le terme « existence » vient du latin « existere », qui signifie « sortir de », « se manifester », « se montrer ». C’est précisément le sens du mystère de l’Incarnation du Verbe, par laquelle Celui que l’univers ne peut contenir « sort » de son Essence ineffable pour se manifester aux hommes. Ce mystère de l’essence et de l’existence divines est admirablement exprimé dans la Divine Liturgie de Saint Jean Chrysostome par l’usage rituel du trikirion (chandelier à trois cierges) et du dikirion (chandelier à deux cierges), objets avec lesquelles l’évêque bénit à plusieurs reprises les fidèles. Trois, et deux : le mystère de la Trinité ineffable, et le mystère de la double nature divine et humaine du Christ, c’est-à-dire le mystère de l’Incarnation, manifestation du Verbe. L’Essence, et l’Existence. A travers cet exemple concret, il est possible de mieux comprendre l’impérieuse nécessité de respecter dans toute sa justesse et sa richesse le symbolisme sacré tel qu’il nous est légué par la Tradition : à travers lui, c’est le mystère même de Dieu qui est comme intuitivement communiqué aux fidèles, quand bien même tous n’en saisissent pas forcément tous les détails et toute la profondeur. On comprend mieux, dès lors, pourquoi certains affirment que le christianisme est « la religion de la sortie de la religion », c’est-à-dire la religion qui a permis le développement de l’agnosticisme contemporain. Il faudrait corriger cette assertion : ce n’est pas le vrai christianisme, le christianisme traditionnel tel qu’il se manifeste à travers l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes qui conduit à l’athéisme, mais plutôt les formes de christianisme –à commencer par le protestantisme- qui ont totalement évacué toute forme de liturgie comprise comme système complexe de symboles exprimant intuitivement le mystère. En effet, si Dieu se manifeste essentiellement à travers son Incarnation dont la sainte liturgie est le prolongement et l’actualisation, passant ainsi de l’essence à l’existence, on comprend aisément qu’une forme de religiosité refusant une telle liturgie et réduisant la religion à un froid cérébralisme faisant l’impasse sur le mystère, conduise inévitablement, à terme, à l’apparition d’une société niant l’existence de Dieu.

Normes et rubriques: la lettre et l’esprit

Il faut enfin, pour conclure, évoquer l’épineuse question des normes liturgiques et de leur relation à l’esprit de la liturgie. Il faut, dans ce domaine, éviter deux écueils opposés : d’un côté, ce que Martin Mosebach appelait « l’hérésie de l’informe», hérésie qui triomphe dans nos diocèses et nos paroisses depuis la réforme liturgique, et qui consiste à refuser que la liturgie revête des formes bien précises et héritées de la Tradition, c’est-à-dire issues d’un développement organique du rite. A travers le mystère de l’Incarnation, nous comprenons pourtant qu’il est vain d’opposer le fond et la forme, comme il est courant de l’entendre aujourd’hui. Beaucoup en effet disent : « l’important est le fond, la forme est accessoire ». Cette affirmation serait vraie si l’homme n’était qu’un « cerveau sur pattes » ou un « esprit sur pattes », mais ce n’est pas le cas. L’homme est un être incarné, doté certes d’une capacité rationnelle mais aussi de sens charnels qui influent profondément sur son psychisme et contribuent fortement à orienter sa pensée même. Refuser cette dimension « incarnée » pourtant consubstantielle à la nature humaine, comme l’a fait le protestantisme dans un premier temps, puis, dans le monde catholique par la suite, un certain progressisme pastoral et liturgique, c’est courir droit à la catastrophe. En effet, la forme exprime le fond qui se manifeste à travers elle ; sans la forme, le fond reste à l’état de vérité inaccessible ou d’abstraction incommunicable. La liturgie ne peut donc pas être célébrée « n’importe comment », mais elle doit revêtir des formes bien précises léguées par la Tradition et précisées par les normes officielles en vigueur.

L’autre écueil à éviter est celui du rubricisme. Cet écueil, qui a triomphé dans l’Eglise à la suite du Concile de Trente et qui explique largement, par réaction, le triomphe récent de « l’hérésie de l’informe », repose sur une erreur profonde, à savoir la confusion entre la Tradition et la rubrique. Toute Tradition véritable, en effet, est une tradition vivante et orale, dans le sens où c’est par une immersion dès la plus tendre enfance dans le « bain » liturgique que le fidèle se familiarise avec cet « ethos » liturgique traditionnel qui lui permet, par la suite, de participer fructueusement aux célébrations. La norme, la rubrique, n’est jamais qu’une précision, un mémento, un « pense-bête » comme on dirait aujourd’hui, bref, une règle écrite qui est postérieure à la Tradition –qui elle est un esprit, une réalité vivante-  et qui ne se confond pas avec elle. De même, un missel n’est jamais qu’une compilation de normes et une description des rites, il n’est certainement pas la liturgie elle-même dans sa vivante plénitude. C’est pourquoi il est absurde d’absolutiser tel ou tel missel, telle ou telle rubrique ou norme. Certes, le respect des normes est impératif pour éviter à la liturgie d’être démantelée par le subjectivisme et d’apparaître comme le rite de tel prêtre ou de telle communauté paroissiale, au lieu d’apparaître comme le rite objectif de l’Eglise tout entière. Mais ce respect des normes, pour être fécond, doit être vécu comme une « immersion » dans cet esprit de la liturgie dont nous avons tenté de cerner les contours et les caractéristiques essentielles dans cet article. Dans une certaine mesure, nous pouvons même dire que cet esprit de la liturgie est bien l’un des objectifs de l’œuvre rédemptrice opérée par le Christ. La religion hébraïque sous l’Ancien Testament, en effet, était une religion toute faite d’observances et de pratiques rituelles très précises et très codifiées. La prière, les ablutions, les jeûnes, les sacrifices offerts au Temple étaient régis par des règles très strictes dont la transgression était considérée comme un sacrilège et une profanation. Ce ritualisme qui aujourd’hui peut nous paraître étroit, avait son sens : voulu à l’origine par Dieu, il avait pour fonction de servir de « pédagogie » au peuple hébreu de manière à ce que les termes de sanctuaire, de sacrifice, d’oblation sainte, d’agneau sans tâche, prennent « sens » dans l’esprit des Israélites, préparant ainsi leurs esprits à une alliance nouvelle, dont tous ces éléments matériels n’étaient que la préfiguration. Alors que la ritualité juive vétérotestamentaire avait peu à peu dégénéré en une forme de légalisme purement extérieur et formel, la Révélation apportée par le Christ restaure le rite dans sa vocation originelle, qui est d’être au service de la vie intérieure de l’homme : «Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (Cor. 3, 16)

Conclusion: l’esprit de la liturgie, c’est l’esprit du Christ

Dans une certaine mesure, on peut dire également que cette Révélation chrétienne ne fut, en réalité, qu’une immense « réforme » et une universalisation de l’ancienne religion hébraïque attachée au seul vrai Dieu. Une « réforme», dans le sens où le Christ est venu rappeler ce que la spiritualité vétérotestamentaire enseignait déjà : « le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé » (Ps. 50) : la voie qui conduit à Dieu est, non pas le rite en lui-même, conçu comme quelque chose de purement extérieur, formel, et comme détaché de sa finalité propre, mais le rite comme créant les conditions de la prière vraie, de la prière du cœur, « en esprit et en vérité ». Dans la foi chrétienne, la fidélité à la Tradition est d’abord une fidélité à l’Esprit, car la Tradition est avant tout une réalité spirituelle qui ensuite s’incarne en un ensemble de normes, de textes, de rites, etc. C’est pourquoi Saint Paul enseigne que « la lettre tue, mais l’esprit donne la vie » (2 Cor. 3,6). Une lettre qui n’est pas éclairée par la lumière de l’esprit est une lettre morte, un texte obscur dont on ne comprend plus le sens profond. C’est pour cela que la Sainte Ecriture doit être lue à la lumière de la Tradition (qui a une nature spirituelle) pour être comprise dans la plénitude de son sens véritable. Il en va de même pour toute norme liturgique. Une norme lue en-dehors du véritable esprit de la liturgie n’a plus aucun sens, et par conséquent ne peut qu’aboutir à une liturgie soit sèche et mécanique, soit boiteuse et fade.

La liturgie est à l’image du Christ : elle a une double nature, humaine et divine. L’esprit de la liturgie n’est rien d’autre que l’esprit du Christ, parvenu jusqu’à nous par la sainte Tradition. A travers la Liturgie et par sa participation plénière et effective, le fidèle exerce son sacerdoce spirituel par l’immersion dans le mystère du Fils, et parvient ainsi à la communion avec le Père créateur de toutes choses, réalisant ainsi les promesses divines.

«Elle vient, l’heure, – et c’est maintenant –

où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité :

tels sont les adorateurs que recherche le Père.»

 (Jean, 4, 23)

G.A

Participation active et rôle des fidèles

La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui, en vertu de son baptême, est un droit et un devoir pour le peuple chrétien.

Ces paroles du Concile Vatican II ont été l’objet d’un nombre incalculable de commentaires en tous genres ; la plupart de ceux-ci, surtout dans l’immédiat après-concile, avait tendance à laisser tomber les deux premiers adjectifs pour ne retenir que le dernier (ce que dénonça Jacques Maritain dans « Le Paysan de la Garonne ».

Pourquoi cette insistance ? Il est vrai que jadis, la participation des fidèles s’était considérablement réduite. Le propagation de la Messe basse, son développement au détriment des formes plus solennelles de la liturgie (rappelons que la forme normative du rite romain est la Messe pontificale) ont progressivement conduit à l’effacement de la participation. Si les fidèles assistaient encore à la Messe, il était devenait difficile de comprendre qu’ils y prenaient part, non certes comme clercs (chacun à son rang) mais comme membres du corps mystique du Christ, c’est-à-dire de l’Église, Son Épouse, rendant un culte à son Époux.

L’effort du mouvement liturgique (dont les origines peuvent remonter aux travaux de dom Prosper Guéranger) fut de remédier à cet état de fait. C’est ainsi que furent publiés des missels bilingues à l’usage des fidèles, que certaines initiatives (parfois discutables) comme la Messe dialoguée ou commentée furent mises en place.

Ces efforts furent couronnés par le pape saint Pie X, dans son Motu proprio Tra le sollicitudine :

Notre plus vif désir étant, en effet, que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute façon et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunissent précisément pour puiser cet esprit à sa source première et indispensable : la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église. Car c’est en vain que nous espérons voir descendre sur nous, à cette fin, l’abondance des bénédictions du ciel si notre hommage au Très-Haut, au lieu de monter en odeur de suavité, remet au contraire dans la main du Seigneur les fouets avec lesquels le divin Rédempteur chassa autrefois du Temple ses indignes profanateurs.

Puis, par le Pape Pie XII, dans son encyclique Mediator Dei, en 1957 :

Il est donc nécessaire, Vénérables Frères, que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain Prêtre, selon la parole de l’Apôtre :  » Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus « offrant avec lui et par lui, se sanctifiant en lui.

Enfin, ces propos furent repris par la constitution sur la sainte liturgie du concile Vatican II. L’une des conséquences de cette insistance sur la participation fut la demande suivante, que l’on trouve dans cette même constitution : « Dans la révision des livres liturgiques, on veillera attentivement à ce que les rubriques prévoient aussi le rôle des fidèles. » (SC, 31).

Car aussi étonnant que cela puisse paraître, les livres antérieurs ne prévoyaient pas la participation des fidèles. À titre d’exemple, l’Ordo Missae de 1962 ne prévoyait qu’ainsi la communion des fidèles : « Après avoir consommé [le Saint-Sacrifice], s’il y a des communiants, le prêtre les communie, avant de se purifier » (Missale romanum, Ed. Typ. 1962, 1129). On peut s’étonner, à juste titre, de l’absence du rôle des fidèles dans le missel. En fait, elle prend acte de ce que le missel est un livre réservé au clergé, ne prévoyant que ce qui lui est utile, et faisant abstraction du reste (qui ne concerne de toute façon pas le prêtre) ; les fidèles sont donc laissés libres de leurs mouvements. On retrouve une telle conception dans nombres d’Églises orientales (mais pas toutes1), où les fidèles n’hésitent pas à déambuler dans l’église pendant les offices ; surtout, on en comprend le bien-fondé, qui laisse aux fidèles la liberté d’agir comme ils le désirent. L’Eglise n’est pas une caserne où les fidèles devraient agir exactement de la même façon sans se poser de questions.

L’ennui, c’est que cette omission volontaire n’est pas sans risque, une telle liberté pouvant se payer d’un manque de participation. Si les fidèles peuvent aller et venir dans l’église au cours de la Messe ou d’un office pour se livrer à leurs dévotions, que reste-t-il de l’action commune au cours de la Messe ? Le danger est d’aboutir à deux actions séparées, celle du clergé au sanctuaire, celle des fidèles dans la nef.

Un tel danger s’est trouvé aggravé par le vieillissement des langues liturgiques ainsi que par l’installation des bancs, en Occident, réduisant les fidèles au rang de simples spectateurs d’un culte rendu pour eux, mais dont il était difficile de voir qu’ils étaient partie prenante. On comprend dès lors l’insistance sur l’abandon des bancs, que l’on trouve par exemple chez le P. Louis Bouyer, dans son ouvrage de référence Architecture et liturgie.

Voilà pourquoi le missel de 1969 (et sa réédition partiellement révisée de 2002) prévoit la participation des fidèles, en particulier dans la Présentation générale du missel romain. On en voit certes tout l’intérêt et toute la légitimité : le but est de s’assurer que la liturgie demeure le « culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est‐a‐dire du Chef et de ses membres » (Mediator Dei), et non pas seulement celui d’une partie de ces membres.

Pour autant, on aurait tort de l’exagérer plus que de mesure. C’est ainsi que le missel reste silencieux sur de nombreuses attitude des fidèles (comme celle qu’ils doivent adopter après la communion), ainsi également que l’usage s’est conservé en certaines églises de leur permettre de se confesser pendant la Messe. L’Église sait bien que le risque d’une trop stricte uniformisation n’est pas moins périlleux que celui d’une trop souple exigence.

Par ailleurs, si l’Église prévoit la participation des fidèles, ce n’est pas sans réserve, ni sans garde-fous. Tous les autres acteurs ont leur rôle prévu, depuis le prêtre jusqu’à la schola cantorum. La présentation générale prévoit en outre explicitement, contre certaines tentations laicisantes, que la prière eucharistique est une prière proprement sacerdotale, que personne ne peut prononcer, à l’exception d’un évêque ou, en son absence, d’un prêtre. En outre, on se rappelle du sage précepte de Sacrosanctum Concilium qui précise que « Dans les célébrations liturgiques, chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques » (SC 28). La participation promue par l’Église ne peut donc pas se confondre avec un aplatissement des cérémonies. On relira ainsi avec profit ces propos de l’abbé Michel Gitton, dans son passionnant commentaire de Sacrosanctum Concilium :

On ne fait grandir personne en réduisant l’acte sacré par excellence qui nous unit à Dieu à être un prétexte pour mettre en avant Monsieur ou Madame un tel. Il n’est pas possible que la participation enseignée par le Concile ait voulu dire cela : les fidèles ne sont pas des enfants qu’il faudrait amuser en leur donnant « quelque chose à faire » pendant le Saint Sacrifice, il suffit de relire le n. 48 pour s’en convaincre : « L’Église se soucie d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi (la messe) comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée, soient formés par la Parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâce à Dieu ; qu’offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes et, de jour en jour, soient consommés par la médiation du Christ dans l’unité avec Dieu et entre eux pour que, finalement, Dieu soit tout en tous ». C’est à cette hauteur-là que se situe le souhait d’une meilleure participation. L’équivoque sur le mot « active » (en latin actuosa) a été depuis longtemps soulignée : la participation est active parce qu’elle mobilise tout l’homme intérieur dans ses facultés, et non parce qu’elle réclamerait qu’il « fasse quelque chose » ou qu’il s’exprime pendant la messe !

C’est donc quelque chose d’immensément noble et grand auquel l’Église aspire que nous parvenions. Non pas l’agitation permanente, encore moins la réduction du culte divin à un bavardage insipide et peu inspirant, mais l’entrée dans le mystère avec « crainte et tremblement », comme le chantent nos frères byzantins lors de l’offertoire de la Vigile pascale. Puissions-nous faire nôtre l’ambition de notre mère, la Sainte Église, et prendre toujours mieux part aux sacrements par lesquels le salut nous est offert.

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1 Un bon contre-exemple oriental de cette situation est celui des vieux-croyants (on appelle ainsi les orthodoxes russes attachés au rite byzantin en usage en Russie jusqu’au milieu du XVIIe siècle, lors de la réforme du patriarche Nikon de Moscou). La participation des fidèles y est requise et les dévotions individuelles proscrites lors des offices.

Qu’est-ce que les Rogations ?

Note : ce qui suit est la traduction d’un article de Shawn Tribe paru le 27 mai 2019 sur le site du (toujours excellent) Liturgical Arts Journal (https://www.liturgicalartsjournal.com/2019/05/what-are-rogation-days.html) .

 

Les lundi, mardi et mercredi de la semaine de l’Ascension sont, dans le calendrier romain d’avant 1970, des jours de Rogations. En ces temps où beaucoup s’attachent à redécouvrir nos traditions, beaucoup se demanderont sans doute : qu’est-ce que les Rogations ?

Les Rogations furent instituées pour apaiser la justice divine, implorer sa protection, et invoquer la bénédiction divine sur la moisson. On distingue les Rogations majeures et mineures – ces dernières ayant lieu trois jours avant l’Ascension.

La Catholic Encyclopedia, dans son article « Rogation Days », commente ainsi l’origine et l’emplacement des Rogations :

Les jours de Rogations sont le 25 avril – elles sont alors dites Majeures – et les trois jours avant l’Ascension, pour les Rogations mineures. Les Rogations majeures n’ont pas de lien avec la fête de Saint Marc, qui fut assignée à cette date bien plus tard ; elles semblent être très anciennes, ayant été introduites afin de combattre les antique Robiglia, durant lesquelles les païens organisaient des processions et des supplications à leurs dieux. Saint Grégoire le Grand légiféra sur cette coutume ancienne. Les Rogations mineures furent, elles, introduites par Saint Mamert, évêque de Vienne ; elles furent par la suite imposées en Gaule par le cinquième concile d’Orléans en 511, et reçurent l’approbation de Léon III (pape de 795 à 816).

L’abbé Francis X. Weiser, S.J., fait les observations suivantes concernant leur origine :

En 470, en un temps de nombreux désastres (tempêtes, inondations, séismes), l’évêque Mamert de Viennem en Gaule, initia l’observance annuelle d’exercices pénitentiels pendant les trois jours précédant l’Ascension. Avec l’aide des autorités civiles, il décréta que les fidèles devaient s’abstenir d’oeuvres serviles, et vivre ces trois jours dans la pénitence, la prère et le jeûne. Il prescrivit aussi des processions pénitentielles (ou litanies) pour chacun de ces trois jours. Ainsi on appela “litanie” l’ensemble de la célébration.

Bientôt les autres évêques de Gaule adoptèrent cette nouvelle pratique. Au début du VIème siècle, elle commença à se répandre aux pays voisins. En 511, le Concile d’Orláns l’imposa en France mérovingienne. Le diocèse de Milan accepta les litanies, mais les célébrait la semaine avant la Pentecôte. En Espagne, au VIè siècle, elles étaient célébrés la semaine après la Pentecôte. Le Concile de Mayence (813) les introduisit dans la partie germanique de l’Empire carolingien. Charlemagne et les évêques francs pressaient Léon III de les incorporer à la liturgie romaine. Le pape consentit à un compromis ; le jeûne ne fut pas adopté, au contraire de la procession pénitentielle [NdT : probablement parce qu’on considérait le jeûne comme inconvenant pour le temps pascal]. (Handbook of Christian Customs, p. 41-42)

Concernant les aspects liturgiques des jours de Rogation, la Catholic Encyclopedia note :

Les cérémonies à observer dans les processions des Rogations majeures et mineures sont indiquées au Rituel Romain, titre X, ch. iv. Après l’antienne “Exsurge Domine”, on chante la Litanie des saints en disant chaque versicule et répons deux fois. Après le versicule “Sancta Maria”, la procession se met en marche. Si nécessaire, on peut répéter la Litanie, ou ajouter des Psaumes graduels ou pénitentiels. Pour les Rogations Mineures, le Caeremoniale Episcoporum note : “eadem servantur, sed aliquanto remissius” (“On observera les mêmes règles, mais un peu plus simplement”). Si on fait la procession, on doit célébrer la Messe des Rogations, sans prêter aucunement attention à une fête occurante de quelque rang que ce soit – à moins qu’on ne dise qu’une seule messe, et la fête est alors commémorée. On fait une exception pour le patron ou le titulaire de l’Eglisem dont on célèbre alors la messe en commémorant les Rogations. La procession et la messe sont en violet. Le Bréviaire Romain indique que : “Tous ceux qui sont obligés à dire l’Office, et qui ne prennent pas part à la procession, sont tenus de réciter la Litanie, sans possibilité de l’anticiper.”

De peur que nos lecteurs s’imaginent que cette merveilleuse tradition est une chose du passé, voici une photographie d’une procession des Rogations ayant eu lieu en Hongrie en 2017 :

rogation2bhungary2b2017

Crise du symbolisme

Dans notre précédent article intitulé La théologie de la Lumière, nous avons vu que la crise actuelle de l’Eglise provient d’une très profonde rupture avec la « théologie de la lumière » qui a dominé les quinze premiers siècles de l’histoire de la spiritualité de l’Eglise. Il est bon de rappeler par la même occasion qu’à cette théologie de la lumière correspond nécessairement le principe selon lequel cette Lumière doit être contemplée, et que c’est donc la contemplation qui doit être placée au sommet de la hiérarchie des valeurs dans l’Eglise.

Ce primat absolu de la contemplation des vérités divines est rappelé avec autorité par le Concile Vatican II en sa constitution sur la Liturgie: «Car il appartient en propre à celle-ci [l’Eglise] d’être à la fois humaine et divine, visible et riche de réalités invisibles, fervente dans l’action et adonnée à la contemplation, présente dans le monde et cependant en chemin. Mais de telle sorte qu’en elle ce qui est humain est ordonné et soumis au divin ; ce qui est visible à l’invisible ; ce qui relève de l’action à la contemplation…» (Sacrosanctum Concilium). Ce primat que le magistère pérenne a toujours voulu donner dans sa spiritualité à la contemplation est la réponse de l’Eglise à l’enseignement du Christ: Primum quaerite Regnum Dei…, «Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît…» (Math. 6, 33). Cette supériorité de la contemplation sur l’activisme est encore rappelé au cours de l’épisode de Marthe et Marie dans l’évangile selon saint Luc, au cours duquel le Christ affirme que contempler le Seigneur et écouter sa Parole est « l’unique nécessaire » (Luc 10, 38-42). C’est pourquoi l’Eglise a toujours vu dans la vie contemplative -à laquelle sont appelés non seulement les moines, mais encore tous les fidèles chrétiens, chacun selon leurs possibilités- la source et le sommet de toute la spiritualité; toutes les activités, si nobles et si nécessaires soient-elles (l’exercice de la charité à l’égard des pauvres et du prochain, les formes multiples d’engagement social ou politique, etc) doivent être soumises à ce primat de la contemplation et en quelque sorte en découler naturellement pour ne pas sombrer dans un activisme vain et stérile. Or, toute vraie Liturgie est contemplative et mystique dans son essence. Contemplative, par l’ensemble des ses caractéristiques rituelles -le silence, l’orientation du prêtre et de l’assemblée vers l’Orient, le chant grégorien, le hiératisme et le calme des gestes rituels exprimant la sérénité intérieure…-; mystique, par sa finalité, puisque la contemplation débouche sur l’union à Dieu par la sanctification, que les Orientaux nomment divinisation, qui est le véritable objectif de la vie spirituelle.

A partir du Moyen-Age finissant et au moment de l’apparition de la modernité occidentale à fin XIIIe ou au début du XIVe siècle, l’Europe occidentale voit apparaître en son sein une très grave crise métaphysique. On lira ou relira à ce sujet avec profit La crise du symbolisme religieux de Jean Borella, ouvrage dans lequel l’auteur met en exergue la véritable nature de cette crise spirituelle; celle-ci, en effet, réside dans la perte progressive de la compréhension du symbolisme sacré, par lequel les réalités cosmiques -en particulier la lumière solaire- étaient compris comme des symboles puissants capables d’évoquer, par le biais de l’analogie, les mystères divins. Or, on va le voir, ce symbolisme sacré est le fondement même de toute la symbolique liturgique: perdre la compréhension de la nature essentiellement symbolique des réalités qui composent l’Univers visible, c’est, du même coup, perdre la signification même de la symbolique liturgique et donc perdre la spiritualité authentique et véritable qui seule permet d’établir une juste relation avec le Dieu vivant. Dès lors qu’elle n’est plus le canal par lequel les vérités mystiques illuminent la vie intérieure du chrétien, la Liturgie entre dans un lent mais inéluctable processus de décadence, la perte de la compréhension du symbolisme sacré entraînant une série de réactions en chaîne qui aboutissent finalement au démantèlement pur et simple de la Liturgie auquel nous assistons depuis cinquante ans. Cette décadence s’effectue selon deux phases bien distinctes:

une première phase, lente, de « rigidification » (XVIe – XXe siècle). Le sens profond des rites sacrés se perd, mais les autorités ecclésiastiques, pratiquant ainsi une forme « d’acharnement thérapeutique », maintiennent extérieurement les rites par ce que l’on pourrait appeler la « politique du corset »: c’est l’œuvre réformatrice de saint-Pie V qui, à la suite du Concile de Trente et souhaitant réagir aux erreurs protestantes, codifie le rite de la Messe à l’aide de rubriques décrivant chaque geste en détail. Certes, cette politique rend possible la survivance au cours des siècles qui suivirent de quelque chose de cet « ethos » liturgique traditionnel; mais sa faiblesse tient dans le fait que cet ethos ne survit qu’extérieurement; déjà, le rite, dont le sens profond n’est plus compris à la lumière de la théologie mystique, n’apparaît plus que comme un ritualisme purement formel, mécanique, et qui donc n’est plus vécût que comme une pénible contrainte; c’est dans ce contexte rituel appauvri et spirituellement anémié que va se développer une religiosité qui se réduit bien souvent à un pur conformisme social, puritain et moralisant, qui se satisfait de l’observance extérieure de rituels accomplis pour eux-mêmes et non pour les vérités mystiques auxquels ils donnent théoriquement accès; on a là toutes les caractéristiques de ce « catholicisme bourgeois », conservateur sans réellement être traditionnel, si typique du XIXe et du début du XXe siècle. C’est hélas trop souvent ce type de catholicisme que l’on trouve aujourd’hui encore dans certains milieux dits « conservateurs » ou « traditionalistes ».

une seconde phase, plus rapide elle, d’effondrement (1965-?). Ce « catholicisme bourgeois », formaliste et moralisateur, fait apparaître le christianisme comme un moralisme inhumain, et donc le rend détestable. La génération de mai 1968, avide de liberté et d’hédonisme, rejette en masse ce modèle qui n’était déjà plus qu’une sinistre caricature du véritable christianisme. Hélas, on peut dire que « le bébé fut jeté avec l’eau du bain »; ce ne fut pas seulement en effet le ritualisme froid et mécanique qui fut rejeté, mais aussi le rite lui-même, et avec lui, toutes les richesses théologiques et mystiques auquel il donnait accès. C’est alors que s’opéra le cataclysme dont nous subissons aujourd’hui encore les conséquences, à savoir la disparition pure et simple, dans la quasi totalité des diocèses, de la liturgie romaine que le Concile Vatican II entendait pourtant restaurer dans sa pureté originelle. Alors que la célébration orientée vers la Lumière matinale exprimait la nature profondément contemplative et eschatologique de la liturgie, la généralisation de la « messe face au peuple » consacre la disparition pure et simple, dans les célébrations, de la notion de contemplation, et le remplacement de l’eschatologie chrétienne traditionnelle, fondée sur l’attente du retour du Christ glorieux à la fin des temps, par un millénarisme matérialiste et progressiste proclamant l’avènement ici et maintenant d’une société « du bien-être », utopique et égalitaire. La contemplation de la Vérité chrétienne comprise comme objective est remplacée par un sentimentalisme pur, dans lequel le sujet s’enferme dans une forme de « narcissisme pseudo-spirituel », tout entier soumis à l’émotivité et à la dictature du subjectivisme et du relativisme. Dès lors que l’effondrement de la liturgie est acquis, c’est la totalité du corps ecclésial -y compris dans ses dimensions magistérielles, doctrinales et pastorales- qui entre à son tour dans un processus de décomposition de plus en plus rapide et prononcé. C’est la situation à laquelle tous les catholiques sont confrontés aujourd’hui.

Dès lors, il apparaît qu’il ne reste plus à l’Eglise que deux alternatives : laisser la Liturgie dépérir en poursuivant son démantèlement, allant dans le sens d’un appauvrissement toujours plus grand des rites et donc de la spiritualité qu’ils portent, ce qui ne pourra que rendre l’Eglise toujours plus anémiée et infidèle à sa nature profonde; ou bien, restaurer de manière intégrale toute la riche signification théologique et mystique des rites sacrés légués par la Tradition, condition indispensable à une « revivification » spirituelle de l’Eglise de l’intérieur, revivification sans laquelle aucun renouveau réel du christianisme ne sera possible, tant en Europe occidentale que dans le reste de l’univers catholique.

Georges Alswiller, de Pro Liturgia

La théologie de la lumière

Il est urgent, alors que l’Eglise apparaît aujourd’hui aux yeux de nombreux observateurs comme étant au bord de l’effondrement, d’analyser les causes profondes qui nous ont amené à la débâcle liturgique, doctrinale, et pastorale actuelle. Il apparaît en effet de plus en plus évident, au fur et à mesure que la crise de l’Eglise déploie toute son étendue, que cette crise provient d’un très profond effondrement de la spiritualité dont les racines sont à rechercher dans le Moyen-âge finissant et aux débuts de l’ère dite moderne.

Depuis les origines du christianisme et jusqu’à la fin de la période médiévale, la foi chrétienne était conçue, non pas comme un simple « sentiment religieux » subjectif, mais comme une adhésion à une réalité, à la Vérité, par nature immuable et objective. Pour les Anciens, Dieu était la réalité suprême, le Créateur des mondes visible et invisible, le grand ordonnateur de la course des astres dans l’Univers et de toute la Création; l’homme pouvait ainsi parvenir à la connaissance de Dieu par deux voies: la Foi dans les vérités révélées, d’abord; mais aussi par la contemplation du réel, du Cosmos, de la nature, l’activité rationnelle étant ainsi intégrée dans la recherche du Logos divin. Cette contemplation, loin de se limiter, comme le fera plus tard le scientisme moderne, à une connaissance purement matérialiste et utilitariste de la matière, reconnaissait au réel une dimension symbolique et métaphysique, intégrant donc l’ensemble de l’Univers dans une vision sacrale du monde. L’une des manifestations de cette adhésion radicale au réel dans toutes ses dimensions (matérielles comme spirituelles) était la « théologie de la lumière », déjà portée par les Pères des premiers siècles, et qui a dominé toute la théologie médiévale occidentale (et orientale encore de nos jours), déterminant la forme et les dimensions des édifices sacrés.

Pour cette sublime théologie, la lumière naturelle (lumen, en latin) ne se réduit pas à être un simple phénomène purement physique, mais est aussi et surtout un signe métaphysique qui exprime la Lumière divine (Lux) dont l’importance est absolument fondamentale dans la foi chrétienne, en particulier dans la théologie de l’apôtre Saint Jean: «Dieu est Lumière; en Lui, il n’y a point de ténèbres» (1 Jn 5). Dans la théologie johannique, puis patristique et médiévale, la lumière naturelle, créée par Dieu, est une manifestation divine, une théophanie. En la contemplant, il y a quelque chose de la Lumière ineffable de Dieu que nous contemplons. En outre, en contemplant un phénomène réel et observable empiriquement, la foi ne peut pas dégénérer -comme elle le fera plus tard- en sentimentalisme subjectiviste, puisqu’elle s’appuie sur le réel objectif et tel qu’il nous est donné pour atteindre la plus haute mystique. De ce fait, comme le prouvent les témoignages les plus anciens, la liturgie chrétienne, tant en Occident qu’en Orient, était quasi-systématiquement orientée vers le Soleil Levant, symbolisant le Christ ressuscité, Lumière du Monde, revenant dans la gloire à la fin des temps.Non seulement tous les édifices sacrés ou presque étaient orientés, mais le mur absidial des églises romanes puis gothiques était souvent percée d’une fenêtre pour laisser rentrer à flots dans le sanctuaire la lumière du matin, pendant que se déroulait le sacrifice eucharistique. Il serait trop long de recenser, en outre, toutes les allusions à cette théologie de la lumière dans les textes liturgiques médiévaux. Prenons à titre d’exemple les paroles de la magnifique hymne grégorienne Lucis Creator optime, attribuée au pape S. Grégoire le Grand (VIe – VIIe s.) et toujours chantée aujourd’hui lors de l’office des Vêpres:

Dieu bon, Créateur de la Lumière, qui avez produit le flambeau des jours / Vous avez préludé à l’origine de ce monde, au premier jour, cette lumière qui jusqu’alors n’avait pas brillé…

Du «fiat lux» de la Création primordiale, par lequel Dieu, au commencement des siècles, fit passer l’univers du néant à l’existence, à la Lumière mystique et intérieure apportée par le Christ lors de la Révélation chrétienne, il y a une remarquable et évidente continuité. Le Christ, en effet, est le nouvel Adam d’une nouvelle Création, lui qui nous appelé des ténèbres à son admirable Lumière (1 Pierre, 2, 9), lumière de sa vie et de sa résurrection, lumière de sa Parole et de son enseignement, et, finalement, lumière de son Etre même. Cette correspondance intime entre la lumière cosmique et solaire, la lumière liturgique des cierges, et la lumière intérieure et spirituelle, est également soulignée par les Orientaux, qui chantent à la fin de la Divine Liturgie un chant d’action de grâces qui commence par ces paroles: «Nous avons vu la vraie Lumière, nous avons reçu l’Esprit céleste, nous avons trouvé la foi véritable…». On le voit, la théologie de la lumière est absolument centrale dans toute liturgie authentiquement chrétienne. On mesure alors la véritable catastrophe spirituelle qu’a été à partir de la soi-disant « Renaissance », la perte du sens de cette symbolique splendide, et plus encore la généralisation en Occident de la « messe face au peuple », qui, en tournant littéralement le dos à l’Orient d’où jaillit la lumière, est la négation même de toute théologie liturgique un tant soit peu sérieuse et profonde. Nous reviendrons sur les modalités de cette crise et ses conséquences.

Georges Alswiller, de Pro Liturgia

La Semaine Sainte dans le rite byzantin

Le Christ est ressuscité ! En vérité, il est ressuscité !

Récemment l’Église latine célébrait la Résurrection du Sauveur, au terme de la fameuse « Semaine Sainte », connue pour ses riches célébrations.

Selon une formule bien connue du Pape de Rome Jean-Paul II de bienheureuse mémoire, il faut que l’Église catholique respire « à deux poumons » ; chaque poumon représente une partie, orientale ou occidentale, de l’Église. C’est pourquoi nous nous proposons de faire découvrir les cérémonies de la Semaine Sainte selon le rite byzantin.

Par avance, nous souhaitons toutefois avertir le lecteur de ce que notre exposé sera nécessairement concis et imparfait. Concis parce que traitant de cérémonies complexes, sur lesquelles il faut passer vite pour ne pas trop écrire ; imparfait parce qu’écrit par un bon connaisseur du rite byzantin, mais certainement pas un spécialiste. C’est à un de ceux-là qu’il faut s’adresser pour plus de détails ; et si d’aventure l’un d’eux lit cet article, nous le prions d’avance d’en excuser les défauts, et de le corriger s’il le juge bon.

Le samedi de Lazare et le dimanche des Rameaux

Dans le rite byzantin, le Carême prend fin le soir du dernier vendredi avant la Semaine Sainte (dite Grande Semaine chez les byzantins) ; commencé un lundi (et non un mercredi comme chez les Romains), il s’achève quarante jours plus tard, un vendredi.

Le lendemain, on fait mémoire de la résurrection de Lazare, accomplie par le Christ avant d’entrer à Jérusalem pour y subir Sa Passion. Il s’agit d’un usage typiquement grec, l’Église de Jérusalem ayant plutôt mis l’accent sur le repas de Béthanie, pris exactement six jours avant la Pâques juive (elle abandonna cet usage lorsqu’elle dut adopter les rites de l’Église de Constantinople). On y chante le tropaire suivant :

Voulant, avant Ta Passion, fonder notre foi en la commune résurrection, Tu as ressuscité Lazare d’entre les morts, ô Christ Dieu. C’est pourquoi, comme les enfants d’alors, nous portons les symboles de la victoire, et Te chantons, à Toi, vainqueur de la mort : « Hosanna au plus haut des cieux! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » !

Pour l’anecdote, un usage semblable existe dans l’ancien et très vénérable rit de Lyon, où la Messe des Rameaux commençait dans un cimetière près de la Collégiale Saint-Just, où l’on faisait commémorait la résurrection de Lazare.

Le lendemain, on chante la divine liturgie de saint Jean Chrysostome (alors que l’on faisait jusqu’ici usage de celle de saint Basile le grand). Vu comme l’une des douze grandes fêtes du Seigneur, le propre de cette fête prime sur celui du dimanche (le psaume 102, première antienne dominicale, est ainsi remplacé par le psaume 114).

On y chante le tropaire suivant, en plus du premier : « Ensevelis avec toi par le baptême, Christ notre Dieu, nous avons été rendus, par ta Résurrection, dignes de la vie immortelle. Avec des hymnes nous te chantons: « Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » ! « 

En guise de Mégalynaire (hymne à la Mère de Dieu chantée pendant l’anaphore), on chante l’hymne suivante : Le Seigneur est Dieu, il nous est apparu. Organisez une fête et, pleins d’allégresse, allons magnifier le Christ avec des palmes et des rameaux, chantant cette hymne : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, notre Sauveur ».

Enfin, à l’issue de la liturgie, on procède à la procession des palmes (alors que cette procession ouvre la Messe dans le rite romain). Le prêtre lit l’Évangile de Matines (Matthieu 21, 1-11, 15-17), puis bénit les Rameaux, les distribue, et ouvre une procession, en tenant en main un plateau recouvert de rameaux, et sur lequel se trouve l’icône de la fête. Pendant la procession, on chante la « grande doxologie » (Glória in excélsis Deo), entrecoupé du refrain : « Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », traditionnellement chanté par les enfants, dont c’est aujourd’hui la fête. À l’issue de la procession, le prêtre pose le plateau sur une table préparée à l’ambon, puis l’encense avant de donner le congé. Il faut noter que cette procession est très largement tombée en désuétude, sauf chez les Melkites (catholiques de rite byzantin du Moyen-Orient) et dans les Eglises orthodoxes d’Antioche et de Jérusalem.

Procession des Rameaux à Jérusalem.

Cette démonstration de joie est cependant la dernière. Si l’on ne mêle pas à ce dimanche la tonalité douloureuse de la Passion (contrairement au rite romain), on passe immédiatement après à la pénitence qui convient à la Semaine Sainte.

Les Lundi, Mardi et Mercredi Saint

Ici, il n’y a pas grand-chose à signaler ; ces trois jours étant aliturgiques, comme les Mercredis et Vendredis du Grand Carême, on y célèbre habituellement la divine liturgie des saints dons présanctifiés, attribuée au saint Pape de Rome Grégoire le Grand. Le lundi, on fait mémoire de Joseph, vendu par ses frères comme Jésus fut livré par un de ses disciples ; le mardi, on médite sur les vierges sages et les vierges folles de l’Évangile ; le mercredi enfin, on fait mémoire de cette femme qui, selon saint Jean, versa du parfum sur les pieds de Jésus, pour anticiper son ensevelissement. Durant ces trois jours saints, on chante le tropaire suivant : « Voici venir l’époux à la minuit : bienheureux le serviteur qu’il trouve éveillé, malheur à celui qu’il trouve endormi. Ô mon âme, veille donc à ne pas tomber dans le sommeil, de peur d’être livré à la mort et banni hors du royaume, mais réveille-toi en clamant : Saint, saint, saint es-tu, notre Dieu, par les prières de la Mère de Dieu, aie pitié de nous ».

Ce tropaire, ainsi que les lectures de cette semaine, ont une coloration toute escatologique, que l’on retrouve plutôt à l’Avent dans le rite romain.

À la grande entrée (procession du Pain et du Vin ou, en l’occurrence, du Corps et du Sang du Christ), on chante à la place du Cheruvikon le chant suivant : «Maintenant les puissances célestes concélèbrent invisiblement avec nous. Car voici que s’avance le Roi de gloire. Voici que s’avance avec son escorte le sacrifice mystique déjà accompli. Approchons-nous avec foi et désir afin de devenir participants de la vie éternelle. Alléluia, alléluia, alléluia ».

En voici une version en slavon ,

Et une autre version, en anglais.

Durant ce chant, les saints dons sont solennellement portés en procession dans l’église ; tous se prosternent alors pour adorer le Seigneur, invisiblement présent sous les Saintes Espèces. C’est le seul moment où les byzantins pratiquent l’adoration eucharistique, beaucoup plus fréquente chez les latins.

Enfin, la litanie pour les catéchumènes y est remplacée par une litanie pour « ceux qui se préparent à la Sainte Illumination [du Baptême] ».

Le Jeudi saint

Les matines de ce jour remplacent le tropaire ci-dessus mentionné (« Voici venir l’époux… ») par le tropaire suivant :

« Alors que Tes glorieux disciples étaient illuminés par le lavement des pieds après le repas, Judas l’impie était assombri par la maladie de l’avarice, et aux juges sans loi, il Te trahit, Juste Juge. Vois, ô ami de l’argent, cet homme s’est pendu en raison de son avarice. Fuis le désir insatiable qui osa de telles choses contre le Maître ! O Seigneur, Toi qui traite chacun avec justice, gloire à Toi ! « 

Notons au passage que les particularités des matines du Jeudi, Vendredi et Samedi Saint sont telles que nous oserions presque les comparer avec les « Ténèbres » du rite romain.

Comme dans celui-ci, ce jour est un jour de joie, celui où l’on célèbre l’Institution de l’Eucharistie par Notre-Seigneur. Aussi, on y célèbre la divine liturgie de saint Basile le Grand, unie aux Vêpres. Aussi la liturgie commence-t-elle par la bénédiction classique (« Béni est la Royauté du Père et du Fils et du Saint-Esprit… »), suivie du psaume 103 (psaume fixe de Vêpres dans le rite byzantin) ; viennent ensuite les psaumes 140, 141, 129 (De profundis), 116. On y intercale, à la manière byzantine, des tropaires, dont quelques-uns sont ici proposés au lecteur :

L’assemblée des Juifs1 n’a plus qu’à se précipiter pour livrer:. à Pilate le Démiurge et le Créateur de toutes choses. Ô les sans-loi! Ô les sans-foi! Ils font mettre en jugement celui qui est venu juger les vivants et les morts; ils préparent un supplice pour celui qui guérit les souffrances. Longanime Seigneur, grande est ta pitié! Gloire à toi!

Seigneur, Judas le prévaricateur qui, pendant la Cène, avait trempé la main au plat en même temps que toi, a tendu les mains à des gens sans loi, pour en recevoir son argent. Lui qui avait supputé le prix du parfum, il ne trembla pas à la pensée de te vendre, toi l’inappréciable. Lui qui présenta au Maître ses pieds à laver, il le baisa traîtreusement pour le livrer aux impies. Rejeté du chœur des Apôtres, quoiqu’il eût jeté loin de lui les trente pièces d’argent, il ne vit point ta Résurrection le troisième jour. A cause d’elle, aie pitié de nous!

Tu étais en vérité, Judas, de la race des vipères, de ces gens qui, au désert, mangeaient la manne et murmuraient contre leur nourricier! La nourriture était encore dans leur bouche qu’ ils déblatéraient contre Dieu, les ingrats! Et cet impie, ayant encore en bouche le pain céleste, consommait sa trahison contre le Sauveur! Esprit insatiable et audace inhumaine! Il vendait celui qui le nourrissait, et le Maître qu’il baisait, il le livrait à la mort! Vraiment, il est le fils prévaricateur de ces gens-là et, comme eux, il gagna bien sa perte. Mais toi, Seigneur, préserve nos âmes de cette inhumanité, toi qui es le seul incomparable en magnanimité.

De ces tropaires, on notera qu’ils s’insèrent dans une célébration joyeuse, tout en évoquant les événements tragiques à venir, contribuant ainsi à lier ensemble le Jeudi et le Vendredi, la Cène et la Passion, l’Eucharistie et la Croix. Difficile d’imaginer plus bel exposé de la foi catholique en ce domaine essentiel…

À l’issue de ces psaumes, a lieu la petite entrée (procession de l’Évangéliaire depuis et jusqu’au sanctuaire, qui ouvrait jadis la divine liturgie, comme c’est encore le cas dans le rite romain). On chante alors l’hymne vespérale (Phos Hilaron, Lumière joyeuse). Suivent trois lectures de l’Ancien Testament (Exode 10, 19, Job 38, 1-21 et 42, 1-5, Isaïe 50, 4-11), entrecoupées de deux prokimenon (chants avant les lectures, équivalent du graduel dans le rite romain). On chante alors le Trisaghion, puis un nouveau prokimenon, tiré très adroitement du psaume 2 (Quare fremuerunt gentes), évoquant la conspiration des pharisiens contre le Christ. L’épître est celle de 1 Corinthiens 11, 23-32, comme dans le rite romain ; et l’Évangile est une compilation de péricopes tirées des récits des quatre évangélistes, retraçant tout le drame de ce jour, depuis l’annonce de la trahison de Judas jusqu’au reniement de Pierre.

L’hymne des Chérubins (ou Cheruvikon), qui accompagne la Grande Entrée, est ici remplacée par l’un des trois Anti-Cheruvikon qui le remplacent exceptionnellement en certaines occasions (les autres étant les Présanctifiés et la Vigile Pascale). En ce jour, on chante donc l’hymne suivante : « À Ta Mystique Cène, ô Fils de Dieu, fais-moi participer aujourd’hui : je n’en dirai pas le mystère à tes ennemis, ni ne te donnerai le baiser de Judas ; mais, comme le Larron, je te confesse : souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton royaume ! ». On notera que la même hymne est utilisée le même jour, à la même place dans le rite ambrosien (de l’archidiocèse de Milan).

Si la liturgie est célébrée par un évêque, celui-ci procède à la consécration des saintes huiles (comme c’était le cas dans le rite romain avant 1955). Et à l’issue de la liturgie, l’évêque (ou l’higoumène du monastère) procède au lavement des pieds de douze clercs, cependant qu’un lecteur proclame l’Évangile du Lavement des pieds (Jean 13, 1-11). En voici une démonstration, par le Patriarche Cyrille de Moscou.

Le Vendredi saint

« L’office de ce jour a une physionomie unique. L’Église est manifestement mue par la préoccupation de ne pas perdre une circonstance de la passion de son divin Époux. Elle le suit heure par heure et, pour ainsi dire, pas à pas dans la voie sanglante qui l’a conduit au Cénacle, témoin de l’ institution de la sainte Eucharistie et de ses suprêmes et plus sublimes enseignements, au Calvaire et et au Sépulcre. C’est là que, tel un athlète qui a vaillamment combattu, il allait se reposer en attendant l’heure d’un triomphe assuré. » (E. Mercenier, La prière des Eglises de rite byzantin, t. II, p . 167).

L’office du jour commence en effet par les Matines du Vendredi Saint ou « Office des douze Évangiles ». Durant cet office, on chante en effet douze péricopes évangéliques (entrecoupées d’hymnes méditatives et de sourds coups de cloche), qui forment un récit presque complet de la Passion. Ce curieux usage proviendrait du rite de Jérusalem, où une procession se rendait en douze endroits caractérisant la Passion (ce qui a donné le Chemin de Croix chez les Latins). C’est évidemment un jour de jeûne, de pénitence, de deuil, où tout sacrement est proscrit, sauf ceux des malades et de la confession.

Après les Vêpres, ont lieu les « funérailles du Christ ». Le prêtre transfert l’épitaphios (une pièce de tissu sur laquelle est représentée, peinte ou brodée la mise au tombeau du Christ) depuis l’autel jusqu’au tombeau préparé au milieu de l’église, et tous le suivent en procession, cependant que le chœur chante : « Le noble Joseph descendit du bois de la croix ton corps immaculé, l’enveloppa dans un linceul pur avec des aromates, lui rendit les honneurs funèbres, et le déposa dans un sépulcre neuf. ». Cette cérémonie est l’équivalent de l’Adoration de la Croix, pratiquée par les Romains le même jour, lors d’une Messe dite des Présanctifiés. Après avoir déposé l’épitaphios, il l’encense et répand dessus des pétales de roses. Les fidèles s’approchent alors pour vénérer le tombeau du Christ en se prosternant. On chante alors le tropaire suivant : « Venez et bénissons le souvenir de Joseph d’Arimatie  », que nous vous proposons, soit de découvrir ici en slavon (chanté par les moines de Chevetogne, en Belgique, avec quelques images de l’office du Vendredi Saint) soit d’écouter ici, en français.

Le Grand Samedi

Vient le Samedi, jour d’attente et de deuil : l’Église pleure son Seigneur et espère sa Résurrection. En théorie du moins, car pour des raisons pratiques (entre autres pour raccourcir le jeûne), les Matines du Samedi Saint (qui omettent pour une fois l’alléluia, chanté par les byzantins tout au long du Carême, contrairement aux romains), sont célébrées le plus souvent la veille ; cela afin de célébrer la la Vigile pascale au samedi matin. En effet, l’Église grecque plaça au matin du Samedi la célébration de la Vigile, au cours de laquelle se célébraient des baptêmes. Cela crée une incohérence certaine dans le rituel byzantin : la liturgie toute entière est centrée sur le baptême, et l’on n’y baptise plus personne ; la Vigile ne fait qu’annoncer la Résurrection, mais elle le fait durant la matinée d’un jour réservé à l’attente. Une telle aberration existait également dans l’Église romaine, (Dom Guéranger note et déplore cette bizarrerie dans son « Année liturgique ») jusqu’à la restauration de la Semaine Sainte par Pie XII en 1955. On notera toutefois que certaines communautés, catholiques ou non, ont restauré à sa juste place l’antique vigile.

Celle-ci commence par un office de Vêpres ; après la bénédiction initiale et le chant du psaume 103, on y récite les psaumes du soir. Entre les versets de ces psaumes, on chante quelques-uns des stichères (Le stichère est un « trope » inséré dans les psaumes) suivants :

Venez, peuples, chantons et adorons le Christ en glorifiant Sa Résurrection d’entre les morts, car Il est notre Dieu, Lui qui a délivré le monde de l’égarement où L’avait fait tomber son ennemi.

En ce jour, l’Enfer se lamente et s’écrie : « Il eût mieux valu pour moi n’avoir pas accueilli Celui qui est né de Marie, car, en pénétrant dans mon domaine, Il a mis fin à mon pouvoir, Il a brisé mes portes d’airain, et, ceux que je détenais depuis si longtemps, Il les a, étant Dieu, ressuscités ». Gloire, Seigneur, à Ta croix et à Ta Résurrection !

En ce jour, l’Enfer se lamente et s’écrie: « Mon pouvoir est détruit. J’avais reçu un mort, comme l’un quelconque des morts, et je ne puis d’aucune façon Le retenir, mais avec Lui je vais être dépouillé de beaucoup d’âmes dont j’étais roi. Moi qui depuis toujours possédais les morts, voici que Lui les éveille tous ». Gloire, Seigneur, à Ta croix et à Ta Résurrection !

Suit alors la petite entrée, suivie de l’ancienne hymne « Lumière joyeuse », comme à toutes vêpres.

Après quoi, l’on récite immédiatement une série de quinze prophéties entrecoupées de chants, comme dans la vigile pascale romaine, qui comptait jadis douze prophéties, réduites aujourd’hui à sept (mais alors que les prophéties romaines sont entrecoupées d’oraisons, les lectures byzantines sont récitées à la suite). Certaines communautés n’en disent que trois ou quatre.

La dernière lecture est celle de Daniel 3, le fameux épisode de la fournaise. À l’issue de la lecture, tous chantent le Benedicite ou Cantique des trois enfants, ponctué du refrain : « Chantez le Seigneur, exaltez-le dans tous les siècles ». Le clergé se dépouille alors de ses vêtements sombres, et revêt des ornements blancs, signes de la fête5.

Au lieu du Trisaghion, on prend le chant suivant : « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ, Alléluia » ; sa présence s’explique par le caractère éminemment baptismal de cette vigile, au cours de laquelle les catéchumènes étaient baptisés (ce qui ne se fait malheureusement plus aujourd’hui, en-dehors de quelques communautés). Après le prokimenon, on lit l’épître (Romains 6), on chante le psaume 81 avec son antienne : « Lève-toi, Seigneur mon Dieu, et juge la terre, car Tu domines sur toutes les nations ». L’Évangile est celui de l’annonce de la Résurrection du Christ, en Matthieu 28. la liturgie poursuit alors un cours normal, sans grandes particularités autres que celles qui sont propres à la liturgie de saint Basile, à l’exception de ce chant, qui remplace le Cheruvikon : « Que fasse silence toute chair mortelle », tiré de la divine liturgie de saint Jacques, frère du Seigneur.

« Que fasse silence toute chair mortelle, qu’elle se tienne immobile, avec crainte et tremblement et que rien de terrestre n’occupe sa pensée : car le Roi des rois, le Seigneur des Seigneurs s’avance pour être immolé et donné en nourriture aux fidèles ; précédé des choeurs angéliques, avec toutes les principautés et les puissances des cieux, les Chérubins aux yeux innombrables, et les Séraphins aux six ailes qui se couvrent la face et chantent l’hymne sainte : Alléluia, Alléluia, Alléluia ».

Le dimanche de Pâques

Comme nous l’avons dit plus haut, la célébration de l’antique vigile annonce la Résurrection ; elle ne constitue pas toutefois le sommet de celle-ci, lequel est encore à venir. La vigile nous plaçait avec les Saintes Femmes, auxquelles un Ange annonça la Résurrection ; les cérémonies suivantes, elles, nous font connaître quelque chose de la joie de Marie-Madeleine voyant le Seigneur ressuscité.

« Il faut vivre une fois dans sa vie la Pâque byzantine, et si l’on a fait le Carême avant, c’est d’autant plus fort. Une joie sauvage, disait un moine de Chevetogne, quand on entre dans l’église illuminée, et qui grandit à chaque encensement du diacre, qui, au lieu de saluer en silence, conclut à chacun de ses passages : « Christ est ressuscité ! » Et tout le monde de lui répondre : « Il est vraiment ressuscité ! » Et ainsi jusqu’à l’Ascension. » (François Gineste, « La liturgie des heures dans le monde byzantin », Revue Résurrection, N°138-139, Septembre-décembre 2010.)

La célébration commence par l’office dit « de minuit », au cours duquel on enlève l’épitaphios. Puis, commence une procession : tous sortent, en portant des bannières et des drapeaux, le clergé en tête, et l’on fait le tour de l’église. Cette marche correspond à l’ancienne procession pascale, commune à tous les rites orientaux et occidentaux, mère de toutes les autres processions (en Occident, seul le rite dominicain l’a conservée telle qu’elle ; et l’ordre des prêcheurs a gardé cette procession dans la forme ordinaire du rite romain). On chante alors le chant suivant : « Ta Résurrection, ô Christ sauveur, les Anges la chantent dans les cieux ; accorde-nous, qui sommes sur terre, de Te glorifier avec de pures voix« .

On s’arrête alors devant la porte de l’église. Dans certaines communautés, l’usage est alors de proclamer l’Évangile de la Résurrection ; une telle tradition fut notamment remise en valeur par le P. Alexandre Schmemann.

Le prêtre prononce alors la bénédiction trinitaire suivante : « Gloire à la sainte, consubstantielle, vivifiante et indivisible Trinité, en tout temps, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ». Alors, le chœur entonne pour la première fois le fameux tropaire pascal : « Le Christ est ressuscité des morts, par Sa mort, Il a vaincu la mort, à ceux qui étaient au tombeau, il a donné la vie ! » ; ce tropaire accompagne de divers versets psalmiques.

On entre à nouveau dans l’église, et on entame les matines pascales, avec le chant du Canon pascal de saint Jean Damascène. En voici quelques extraits :

C’est le jour de la Résurrection, peuples, rayonnons de joie ! C’est la Pâque, la Pâque du Seigneur, de la mort à la vie, de la terre aux cieux, le Christ, notre Dieu, nous a fait passer ; chantons l’hymne de la victoire !

Purifions nos sens, nous verrons le Christ resplendissant, dans l’inaccessible Lumière de la Résurrection, et nous l’entendrons nous crier : réjouissez-vous en chantant l’hymne de la victoire.

Que le ciel se réjouisse, que la terre soit dans l’allégresse, que le monde soit en fête, le monde visible et invisible, car le Christ est ressuscité, Lui l’éternelle allégresse !

Pendant ce temps, le diacre encense toute l’église, disant à chaque encensement : « Le Christ est ressuscité ! », auquel les fidèles répondent par « En vérité, Il est ressuscité ! » ; et l’usage est de proclamer chaque acclamation dans une langue différente, pour souligner l’universalité de cet événement unique.

Après le Canon, on passe au chant des « versets pascals », dont voici une mise en musique (en slavon et en français) :

Puis, on passe aux laudes, après quoi le prêtre lit la très célèbre homélie pascale de saint Jean Chrysostome, riche en références bibliques et enthousiasmante au possible, surtout si l’on ne pense pas avoir fait un « bon » Carême. C’est l’un des rares exemples de lecture patristique dans le rite byzantin (alors que celles-ci sont habituelles et abondantes dans le rite romain). En temps normal, l’hymnographie en tient lieu.

Suit alors la divine liturgie de saint Jean Chrysostome. Deux particularités y sont à noter. Tout d’abord, le prokimenon est tiré du psaume 117 : « Voici le jour que fit le Seigneur, exultons et réjouissons-nous en lui », qui correspond exactement au graduel romain du jour de Pâques : « Haec Dies quam fecit Dominus… ». Le même verset se retrouverait, à la même place, dans le rite éthiopien et dans d’autres rites, ce qui tendrait à montrer la très haute antiquité de ce verset pour les célébrations pascales.

Ensuite, l’Évangile n’est autre que le fameux prologue de saint Jean, que les Romains lisent à Noël, qui récapitule toute l’économie du salut, jusqu’à l’Incarnation du Logos. L’usage veut qu’à l’issue de la liturgie, on procède à la bénédiction des œufs de Pâques ; suit alors une agape festive.

Enfin, dans l’après-midi, on chante des vêpres très courtes, dites « vêpres de la charité » ; il est d’usage d’y chanter à nouveau le prologue de saint Jean en différentes langues, pour souligner là encore que la Résurrection du Christ concerne tous les hommes.

Conclusion

Notre exposé de la Semaine Sainte byzantine, nécessairement succin, s’est voulu pour objectif d’exposer de manière pas trop mauvaise le déroulement des cérémonies menant à Pâques dans les églises orientales de tradition grecque. Nous osons espérer que notre travail n’aura pas été trop incompétent, et qu’il a intéressé le lecteur.

En guise d’envoi, nous nous permettrions d’inviter le lecteur à découvrir toujours plus les liturgies orientales. Ceci en vue premièrement de prendre conscience de ce que l’Église catholique n’est pas dite telle pour rien. Deuxièmement, afin que lorsqu’il reviendra à son propre patrimoine liturgique, celui-ci soit comme éclairé par ce qu’il aura découvert ; et ainsi, le lecteur aura envie de recouvrer toujours plus les richesses de sa propre tradition. Et sur ce dernier point, pour finir, nous laissons la parole à l’Archimandrite Robert Taft SJ de bienheureuse mémoire :

« En dernière analyse, la solution aux problèmes liturgiques des catholiques romains ne réside pas dans une idéalisation du concile de Trente ou de l’Orient. Les catholiques occidentaux, ignorants largement les richesses de leur propre tradition vivante, cherchent ailleurs, de façon erronée, ce qu’ils possèdent déjà. Je suis déçu de ce que les catholiques contemporains ne parviennent pas à comprendre, apprécier et transmettre les richesses de leur propre tradition latine […]. L’occident catholique n’a pas besoin de se tourner vers l’orient ou vers un passé médiéval ou tridentin disparu à jamais ; il a besoin de retourner à ses racines. Le christianisme latin est tout aussi apostolique, ancien, traditionnel, patristique, spirituel et monastique que celui de l’Orient. Une culture chrétienne ayant produit Chartres et le Mont-Saint-Michel ; Augustin et Jean Cassien ; le monachisme bénédictin et Cîteaux ; François d’Assise, Dominique, Ignace de Loyola, Jean de la Croix et Charles de Foucauld ; Thérèse d’Ávila et Thérèse de Lisieux, et la bienheureuse Mère Teresa ; et les papes de mon temps n’a besoin d’imiter personne, excepté Jésus-Christ. » (Archimandrite Robert E. Taft SJ, « Return to Our Roots : Recovering Western Liturgical Traditions », America Magazine, 26 Mai 2008).

1On pourrait légitimement s’insurger contre ce qui ressemble étrangement à une manifestation d’antisémitisme, dont nous souffrons encore aujourd’hui (et qui n’est malheureusement pas étrangère au rite romain non plus) ; on se rappellera toutefois que l’hymnographe traite ici moins du peuple juif comme tel que de ceux qui concrètement livrèrent Jésus à la mort.

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