Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Auteur/autrice : Esprit de la Liturgie

Pourquoi chanter les propres (et d’abord, qu’est-ce que c’est) ?

Schola Cantorum de la Communauté Saint-Martin.

Si votre paroisse dispose d’une chorale paroissiale, ou si (ce qui beaucoup plus fréquent) elle dispose d’une personne pour « animer les chants » (et supposons que ce soit vous), la première question qu’elle se pose est souvent la suivante : « on prend quel chant d’entrée ? ». Et alors on se dispute, parce que unetelle voudrait chanter ce chant à Marie qui est genre troooop beau (et vu la pluie d’étoiles filantes qui passe dans ses yeux, on se gardera bien de la contredire, d’autant plus que lesdits yeux ne manquent pas de beauté), untel préfère ce cantique entendu à Paray, qui est, à l’entendre, fort populaire auprès des jeunes (ce que l’on ne saurait souvent contester). Josiane Michu, soixante-cinq ans, préfère cette chanson composée dans les années 70 et qui, à l’entendre, devait être fort populaire dans ces années-là ; le Marquis de Grandgousier, quant à lui, préfère de très loin ce cantique « de toujours » entendu, que ses ancêtres chantaient tous les ans pendant le Carême. Adélaïde de la Tour-Quiglouce, elle, trouve que décidément, ce chant « oriental » est ma foi fort beau, et mériterait d’être chanté à l’offertoire ; quand au musicologue (Conservatoire et autres titres prestigieux), il trouve que ce petit motet baroque signé Palestrina ou Vivaldi (on ne sait plus, mais lui, si), compliqué à souhait mais ne manquant ni de charme ni de splendeur, trouverait une très bonne place à la communion. Et l’on n’oubliera pas les petits n’enfants du « Caté’ », à qui il faut bien trouver quelque chose à chanter pour les calmer, sans quoi ils risquent de manger leurs camarades en tapant sur leurs coloriages. Ou l’inverse.

Autant d’opinions différentes, qui suffiraient à mettre n’importe quelle sacristie à feu et à sang, pour le plus grand bonheur du curé, on l’imagine bien (pour les deux du fond, cette incise était ironique). C’est ce qui ne manque pas d’arriver ici, où tous se battent et se déchirent.

Cette image vous donnera peut-être une petite idée du carnage qui commence à se jouer en sacristie.

Imaginons alors un petit galopin, un homme nouveau dans cette équipe paroissiale, commencer à intervenir (alors que jusqu’ici, il s’est tenu coi). Imaginons qu’il leur tienne le discours suivant :

« Nan mais tout ça c’est bien gentil mais on n’a pas besoin de se disputer : on a déjà un chant d’entrée ».

Immédiatement, tous cessent de se disputer, Josiane lâche la jambe du musicologue (que son dentier mordait avec avidité), le Marquis abaisse l’épée avec laquelle il s’était promis de pourfendre le jeune chacha parodien, et les n’enfants du caté cessent leur cannibalisme (ou leur coloriage, le narrateur lui-même avoue qu’il n’en sais plus rien). Tous sont très étonnés ; quoi, on a déjà un chant d’entrée ?

Le galopin (par commodité, nous l’appellerons Gontran d’Occam) poursuit alors :

« Ben oui : ça s’appelle l’introït, c’est l’équivalent de l’antienne d’ouverture écrite dans le missel ; la partition du chant, on peut la trouver au graduel romain, ou au graduel simplex. Et c’est la même chose pour l’offertoire et la communion. En fait, on a juste besoin de les apprendre ».

Eh oui, cher lecteur : au risque de vous surprendre, sachez que les chants de la Messe sont déjà prêts à être utilisés : il s’agit de ceux qui se trouvent dans le « Graduale romanum », qui donne tous les chants de la Messe, ce qu’on appelle le Propre.

Pour ceux qui ne seraient pas familiers avec cette notion, voici quelques indications. Les textes de la Messe se subdivisent en deux catégories : l’ordinaire et le propre. L’ordinaire, c’est ce qui revient à chaque Messe : Kyrie, Gloria (s’il y a lieu), Credo, Sanctus, Agnus Dei. Ces textes ne changent pas, ils ne sont pas susceptibles d’être remplacés par d’autres textes. Tout au plus, on omet le Credo et le Gloria en-dehors des dimanches et fêtes ; et l’on ne dit pas le Gloria aux temps de pénitence (comme en ce moment en Carême).

Le propre, quant à lui, est ce qui est propre, précisément, à la Messe que l’on célèbre. Cela recoupe principalement trois types de textes :

  • D’abord les lectures ; elles sont propres au jour (et plus encore maintenant, alors que la réforme liturgique enclenchée par le dernier concile œcuménique a considérablement étendu le lectionnaire) ; c’est ainsi qu’on entend l’Évangile des Béatitudes à la Toussaint, ou celui de la Passion aux Rameaux.
  • Ensuite, les prières (collecte, prière sur les offrandes, préface, etc). Contrairement aux liturgies orientales, où ces prières sont fixes, la liturgie romaine dispose de plusieurs oraisons, propres à chaque Messe ou chaque type de Messe.
  • Enfin, les chants. Ces chants sont habituellement au nombre de cinq :
    • Antienne d’ouverture (ou introït), accompagnée d’un psaume.
    • Psaume entre les lectures (on peut aussi prendre le répons graduel indiqué par le Graduale romanum).
    • Ce mot en « A » qu’il est interdit de prononcer en Carême (et qui est du coup remplacé par le « trait »).
    • Antienne d’offertoire, accompagnée de versets psalmiques.
    • Antienne de communion, accompagnée d’un psaume.

Entre le mot en « A » et l’Évangile, vient parfois la « Séquence », composition poétique propre à certains jours.

À ce stade, vous pourriez vous demander quel est l’intérêt de chanter ces textes, au lieu de choisir nous-mêmes ceux qui nous plairaient. C’est une question légitime. Voici quelques réponses possibles :

I. Les propres sont traditionnels.

Que l’on ne confonde pas ce dernier mot avec la militance pour tel ou tel millésime des livres liturgiques romains ; l’auteur de ces lignes avoue ainsi qu’il ne verrait pas d’un mauvais œil la disparition corps et bien du missel de 1962. Les textes dont nous parlons ont cependant été chantés pendant des siècles, par nos ancêtres, et méritent de ce fait notre respect. Si nous avions un peu de respect pour cette démocratie des morts qu’est la tradition (comme le dit, magnifiquement d’ailleurs, Chesterton), cet argument devrait nous suffire. Attention : dire qu’ils sont traditionnels ne revient pas à dire qu’ils ont été chantés par nos ancêtres, et qu’on devrait ainsi les garder comme on garde des pièces de musée ; mais cela revient au contraire à dire que s’ils ont pu nourrir des générations de chrétiens avant nous, nous aurions tort de les balayer d’un revers de main pour imposer nos propres compositions.

II. Les propres sont recommandés par l’Eglise.

Eh oui : la liturgie romaine rénovée à la suite du Concile Vatican II non seulement permet mais encourage et recommande le chant des propres de la Messe. Voici par exemple ce que dit la Présentation générale du Missel romain au sujet de l’introït :

[L’introit] est exécuté alternativement par la schola et le peuple ou, de la même manière, par le chantre et le peuple, ou bien entièrement par le peuple ou par la schola seule. On peut employer ou bien l’antienne avec son psaume qui se trouvent soit dans le Graduale romanum soit dans le Graduale simplex ; ou bien un autre chant accordé au caractère de l’action sacrée, du jour ou du temps, dont le texte est approuvé par la Conférence des Évêques.

Commentons. Nous voyons qu’il faut employer le texte de l’introït se trouvant dans le Graduale romanum ou dans le Graduale simplex (qui contient des mélodies grégoriennes simplifiées à l’usage des petites paroisses). Il est permis d’employer un autre chant, mais non sans conditions : d’abord, il s’agit d’un usage secondaire, mentionné en deuxième lieu, ce qui indique qu’il n’est pas idéal ; ensuite, ce chant doit être adapté au temps liturgique (il n’y a aucun sens à prendre un « chant de louange » au début d’une Messe quadragésimale par exemple) ; enfin, le texte de ce chant doit être approuvé par la conférence des évêques, ce qui est loin d’être le cas de tous ; vous êtes-vous demandé si vos chants étaient bien approuvés, en bonne et due forme ? Si ce n’est pas le cas, jetez ces chants et usez des propres.

III. Les propres sont bibliques.

Ce qui différencie les propres de tout autre texte composé récemment est leur caractère hautement biblique. Presque tous ces textes sont tirés de la Parole de Dieu, dont le dernier concile a remis en valeur l’importance extrême dans la liturgie. Rejeter ces textes, c’est rejeter la Parole de Dieu elle-même.

IV. Les propres sont riches.

Ces chants sont porteurs d’une richesse biblique et dogmatique insurpassable. À un moment où l’on se demande quelle formation pourraient recevoir les fidèles, où ils doivent rendre compte de leur foi, ces textes ne sont pas sans intérêt. Prenons par exemple l’introït de la Messe du Jeudi Saint :

Nos autem gloriari oportet in cruce Domini nostri Iesu Christi, in quo est salus, vita et resurrectio nostra, per quem salvati et liberati sumus. Quant à nous, il faut nous glorifier dans la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui est notre salut, notre vie et notre résurrection, par qui nous sommes sauvés et délivrés.

Évidemment, un tel texte (Galates 6, 14) n’a pas été choisi au hasard. Et quelle catéchèse merveilleuse ! En quelques mots, tout est dit : le salut par la Passion du Christ, notre glorification en Sa croix, la Résurrection qu’elle nous valut. Et chanter le tout en entrant dans la Messe du Jeudi-Saint n’est évidemment pas anodin, puisque c’est précisément durant la Sainte-Cène que le Christ s’offre pour notre salut. De quoi résoudre en une phrase la stérile opposition entre repas et sacrifice qui encombre certains milieux de l’Église. Et de quoi en tirer profit en ce qui nous concerne.

V. Les propres font partie intégrante de la liturgie.

Ce fait est absolument capital. Les propres ne sont pas des textes que l’on rajouterait à la Messe pour faire joli, ou pour faire passer le temps ; ils sont un texte de la Messe, au même titre que les lectures et les oraisons. Amputer la Messe de ces textes revient à se priver d’une part de celle-ci. Au reste, la substitution des propres par d’autres textes est absolument impensable dans les liturgies orientales, qui restent conscientes de ce qu’on ne chante pas à la Messe ; on chante la Messe.

D’ailleurs, si je préfère choisir moi-même un chant pour accompagner la liturgie, au lieu de chanter la liturgie elle-même, alors, pour être cohérent, je ne devrais pas m’opposer à ce que les lectures bibliques soient remplacées par des textes composés ad hoc par untel ou unetelle. Si je le fais, je présuppose que ces lectures font partie de la Messe, et que les enlever reviendrait à priver la Messe d’une partie d’elle-même. À celui qui objecterait que la Messe, privée de ses propres, n’en serait pas invalide pour autant, je répondrais qu’un homme, privé de ses bras et jambes resterait incontestablement un homme. Est-ce une bonne raison pour les lui couper ?

VI. Les propres sont beaux.

Écoutez-moi ceci par exemple.

Une telle beauté se passe de tout autre commentaire.

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En guise de conclusion, l’auteur de ces lignes se permet d’appeler à l’action. Écoutez la voix de Gontran d’Occam : chantez les propres. Vous ne le regretterez pas.

Reste une question importante : celle de la langue. Actuellement, ces propres n’existent, pour l’essentiel, qu’en latin. En soi, ce n’est pas problématique : le dernier concile œcuménique a explicitement demandé que « l’usage de la langue latine soit conservé pour les rites latins » (Sacrosanctum Concilium, N°36).

Dans la pratique, l’usage de la langue vernaculaire s’est généralisé à toute l’Église latine. En soi, ce n’est pas un mal ; mais cela rend les propres difficilement accessibles. Une assemblée habituée à chanter en français aura du mal à passer au latin. Faut-il pour autant renoncer aux propres ? Ce serait trop facile.

Que l’on nous permette aujourd’hui de proposer une tierce voie. S’il est impossible de chanter les propres en latin, en raison de leur latinité, l’on pourrait alors traduire ces textes et les chanter en français (en les adaptant aux mélodies grégoriennes ou, plus probablement, en composant de nouvelles mélodies d’inspiration grégorienne). Cette solution a déjà été mise en œuvre par nombre de chrétiens orientaux en Europe Occidentale ; elle l’a été depuis longtemps également par les anglicans, dont la tradition chorale reste à ce jour une pure merveille. Enfin, elle l’est maintenant par certains compositeurs francophones, bien que leurs travaux soient peu connus du grand public catholique (on pense par exemple à cet ouvrage récent, tout à fait digne d’intérêt).

Pour résumer notre position, nous citerons le P. Bouyer, éminent théologien et acteur de la réforme liturgique :

Toutefois, une lecture pleinement liturgique de la Parole divine, à plus forte raison celle des chants psalmiques, doit avoir une solennité, non point surajoutée, mais découlant de la nature du texte lui-même. C’est au chant liturgique qu’il appartient de la donner. La Bible hébraïque comporte, depuis une très haute antiquité, des accents mélodiques considérés par les Juifs comme un élément inséparable du texte sacré. Pour eux, la lire publiquement autrement qu’en respectant cette cantilène traditionnelle, qui soustrait la Parole à toute tentative d’accaparement personnel de la part du lecteur, serait un véritable sacrilège. Jusqu’à la fin du Moyen Age et l’introduction malheureusement des « messes basses », on avait toujours été du même sentiment dans l’Église latine à l’égard des textes bibliques ou liturgiques. Les Orientaux sont tous restés fidèles à ces vues et à ces pratiques. C’est dire l’importance d’un chant d’Église à créer, ou adapter, pour la langue vulgaire, et qui en fera une langue non moins sacrée que le latin. On s’en occupe, et il y a lieu d’espérer que nous aurons bientôt les mélodies nous permettant, non seulement de chanter les chant psalmiques de procession ou de méditation, mais jusqu’aux lectures bibliques. Les anglicans et les luthériens ont depuis longtemps réalisé cela superbement. Il n’y a pas de raison pour que les catholiques soient incapables d’y arriver1.

Et si vous pouvez chanter les propres en latin… qu’attendez-vous ? Au travail et plus vite que cela ! Josiane, Adélaïde, le Marquis et les enfants du Caté vous attendent. Vous, de votre côté, n’attendez plus.

1Louis Bouyer, article du 13 novembre 1964, France Catholique N° 937.

Simone Weil, le Christ et le chant grégorien

Pour une génération entière de prêtres et de laïcs, la chose est entendue : le chant grégorien n’est qu’une vieillerie appartenant à un ancien monde, et qui doit être remisée aux oubliettes. Tout au plus, quelques uns concèdent que cette forme musicale possède une certaine valeur purement artistique et culturelle ; il conçoivent à la rigueur que puissent être organisés des concerts destiné à un public averti reprenant telle ou telle pièce du répertoire… mais que cette forme chantée de la liturgie romaine soit interprétée au cours des offices liturgiques, il n’en est pas question. Dans le meilleur des cas, on tolère, ici ou là, dans telle paroisse bien identifiée, une messe « avec chants grégoriens » tous les quatre dimanches célébrée en catimini à neuf heures du matin. Bref, on est très loin de « la première place » recommandée par la constitution conciliaire sur la Liturgie. Tout est donc fait aujourd’hui dans l’Eglise pour nous persuader qu’à part pour une poignée de catholiques lefebvristes, le chant grégorien ne dit plus rien à l’homme d’aujourd’hui et ne possède plus aucune valeur spirituelle et liturgique.

La célèbre philosophe Simone Weil n’est pas précisément ce que l’on appelle une « grenouille de bénitier ». Née en 1909 dans une famille juive, agnostique, elle se rapproche à partir des années 1930 de courants marxistes anti-staliniens, devient militante syndicale, côtoie un moment des groupuscules révolutionnaires adhérents au marxisme trotskyste avant de mourir prématurément de la tuberculose en 1943.

Quel rapport entre cette femme –apparemment bien éloignée des questions de liturgie, c’est le moins que l’on puisse dire- et le thème qui nous occupe ?

Une étude plus approfondie de sa biographie nous apprend qu’à partir de 1936, Simone Weil entreprit un long chemin à la fois intellectuel, spirituel et mystique qui la conduit peu à peu à reconnaître la vérité profonde du christianisme et à adhérer à la personne du Christ. Lors de la Semaine sainte de 1938, Simone Weil est à Solesmes. Elle assiste à tous les offices liturgiques du Triduum. C’est dans le cadre de ces solennelles célébrations de la Passion et de la Résurrection, qu’elle fit l’expérience d’ « une joie pure et parfaite dans la beauté inouïe du chant et des paroles ». Cette expérience spirituelle particulièrement forte effectuée dans le cadre de la liturgie monastique la marquera à vie. Plus tard, dans un recueil de pensées et de notes publié sous le titre La Pesanteur et la Grâce, elle écrira : « Quand on écoute Bach ou une mélodie grégorienne, toutes les facultés de l’âme se tendent et se taisent, pour appréhender cette chose parfaitement belle, chacune à sa façon » ; et plus loin : « Musique grégorienne. Quand on chante les mêmes choses des heures chaque jour et tous les jours, ce qui est même un peu au-dessous de la suprême excellence devient insupportable et s’élimine. »

Arrêtons-nous un instant, et méditons sur ces pensées de la philosophe. C’est évident, cette dernière phrase est directement issue de son expérience monastique à Solesmes : ceux qui « chantent les mêmes choses des heures chaque jour et tous les jours », ce sont les moines ; ce qui est marqué de la « suprême excellence », c’est le répertoire grégorien ; quant à ce qui devient insupportable et s’élimine…

Cette expérience fondamentale de beauté et de vérité, n’est-ce pas effectivement ce qui arrive à ceux qui assistent, par exemple lors d’une visite ou d’un séjour dans une abbaye, à la liturgie latine et grégorienne dans toute sa pureté ? Comment, après une telle contemplation sonore, supporter après cela de se voir infliger, de retour dans sa paroisse, les chansonnettes parfaitement insipides que notre mauvais clergé -bien secondé en cela, il est vrai, par l’inévitable armada de ces nouveaux marchands du Temple que sont les « laïcs en responsabilité »- nous impose dimanche après dimanche ? Comment ne pas voir dans les propos de la philosophe une incroyable lucidité, lorsque l’on constate aujourd’hui qu’effectivement ces parodies de liturgies sont véritablement insupportables, et que d’ailleurs le simple constat de la disparition programmée des communautés paroissiales qui pratiquent ce type de célébrations aussi informes qu’indigentes montre qu’effectivement, elles s’éliminent d’elles-mêmes les unes après les autres ?

On le voit, l’expérience liturgique faite à Solesmes a été fondatrice pour Simone Weil, et l’on peut penser que ce qu’elle a contemplé dans la célèbre abbaye a longtemps nourri ses méditations philosophiques et mystiques. Dès son époque, elle eût cette intuition fondamentale, à savoir que la beauté ne relève pas simplement du pur décoratif, mais que cette beauté est le signe -et c’est particulièrement vrai en liturgie- d’une vérité théologique très profonde. Voici par exemple ce qu’elle écrivait dans La Pesanteur et la Grâce : « En tout ce qui suscite chez nous le sentiment pur et authentique du beau, il y a réellement présence de Dieu. Il y a comme une espèce d’incarnation de Dieu dans le monde, dont la beauté est la marque. Le beau est la preuve expérimentale que l’incarnation est possible. Dès lors tout art de premier ordre est par essence religieux (c’est ce que l’on ne sait plus aujourd’hui) » Avant de conclure par cette affirmation sublime : « Une mélodie grégorienne témoigne autant que la mort d’un martyr. »

Le fait que cette femme -que l’on peut difficilement au vu de son parcours, qualifier de catholique traditionaliste, vous l’avez compris- évoque dans un de ses ouvrages à pas moins de quatre reprises différentes, le chant grégorien comme nourriture inestimable de l’âme devrait peut-être faire réfléchir nos évêques et autres « experts en pastorale liturgique », toujours prompts à remiser tout ce qui ressemble à un élément traditionnel de la liturgie catholique au placard, sous prétexte qu’il faut « s’adapter à la modernité » et « vivre avec son temps ». D’autant plus que Simone Weil est loin d’être la seule personnalité du XXe siècle à avoir exprimé son amour pour ce qui reste, n’en déplaise aux « équipes d’animation liturgiques », le chant propre de la liturgie catholique (cf. Sacrosanctum Concilium). On se souvient en effet qu’Antoine de Saint-Exupéry -pas catholique « du cru » pour un sou, lui non plus- avait écrit à ce propos des lignes comparables.

Par G.A, de Pro Liturgia

La bénédiction de Saint Blaise

Parmi les nombreuses coutumes para-liturgiques ayant disparu dans la tempête post-conciliaire en France, on trouve une bénédiction spéciale donnée le 3 février, jour de la Saint Blaise, qu’on invoque contre les maux de gorges. Cette bénédiction est encore très populaire dans les pays germaniques et anglo-saxons. Elle est généralement donnée au banc de communion, ou alors dans une file analogue à la procession de communion.

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Bénédiction de Saint Blaise donnée à Corpus Christi (Maiden Lane, Londres) en 2017

Elle consiste à prendre deux cierges, bénis la veille (jour de la Chandeleur), de les croiser et de les appliquer sur la gorge de celui recevant la bénédiction. Le prêtre dit alors :

“Per intercessionem S. Blasii liberet te Deus a malo gutteris et a quovis alio malo. In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti.”

ou, dans la traduction française :

« Que Dieu, par l’intercession de saint Blaise, évêque et martyr, te délivre du mal de gorge et de tout autre mal. Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. »

Gageons qu’elle ferait du bien à beaucoup d’entre nous !

[Grégorien] Quel ordinaire pour quelle messe ?

Nombreux sont, de nos jours, les responsables de la musique liturgique qui souhaitent réintroduire le chant vénérable de l’Eglise romaine, le chant grégorien, dans nos célébrations liturgiques, selon le souhait exprimé par l’Eglise au Second Concile du Vatican (cf Constitution sur la Sainte Liturgie, par. 116). Le plus simple est encore de commencer par l’ordinaire (Kyrie, Gloria, Sanctus, Agnus). Cependant, la tradition romaine offre un grand nombre d’ordinaires grégoriens pour chaque temps liturgique, ou type de fête, et il peut être difficile de s’y retrouver.

Nous reproduisons ici, comme un pense-bête, les indications pour l’usage des différents ordinaires, tels que donnés dans le Liber Usualis de 1962. On notera qu’elles ne couvrent pas tout à fait toutes les possibilités ; par exemple, le temps de la Septuagésime n’est pas déterminé, mais l’absence de Gloria pousse à user des ordinaires qu’on utiliserait en Carême.

Pour la forme ordinaire, il est sans doute utile de rappeler que les « fêtes de premières classes » correspondent au « solennités », les « fêtes du deuxième classe », aux « fêtes », et les « fêtes du troisième classe », aux « mémoires ». Ce qu’on appelle « commémoraison » dans la forme extraordinaire a disparu lors de la Réforme de 1969, à moins que l’on considère les « mémoires optionnelles » comme leurs successeurs. De mêmes, les « Vigiles », jours de préparation pénitentiels aux grandes fêtes, célébrées en violet, n’existent plus.

Enfin, il faut remarquer que la coutume a souvent usé d’un ordinaire plus largement que ne le prévoit le Liber ; ainsi, la messe VIII « De Angelis » est concrètement chantée lors de nombreux dimanches du temps ordinaire, ainsi qu’aux dimanches du temps de Noël.

Il est souhaitable que les fidèles soient exposés à une diversité suffisante d’ordinaires grégoriens, qui puissent nourrir leur piété en harmonie avec le cycle de la Liturgie. Puisse ce petit article y contribuer.

Temps pascal : Messe I (Lux et Origo)

Dimanches en vert : XI (Orbis factor)

Dimanches de l’Avent et de Carême : XVII

Fêtes de 1è classe : Messe II (Kyrie fons bonitatis), III (Kyrie Deus sempiterne)

Fêtes de 2è classe : IV (Cunctipotens Genitor Deus), V (Kyrie magnae Deus potentiae), VI (Kyrie Rex Genitor), VII (Kyrie Rex splendens), VIII (De Angelis)

Fêtes de 3è classe : XII (Pater cuncta), XIII (Stelliferi conditor orbis), XIV (Jesu redemptor)

Fêtes de la Vierge : IX (Cum Jubilo), X (Alme Pater, moins solennel)

Aux commémoraisons et aux féries du temps de Noël : XV (Dominator Deus)

Féries en vert : XVI

Féries de l’Avent et du Carême, Vigiles, Quatre-Temps et Rogations : XVIII (Deus Genitor Alme)

La problématique du sacré

« Aimer purement, c’est consentir à la distance, c’est adorer la distance entre soi et ce qu’on aime ».

Simone Weil, La Pesanteur et la Grâce, 1947

 

 

L’évacuation de la notion de sacré dans les célébrations liturgiques contemporaines est l’une des caractéristiques les plus marquantes de la crise actuelle de l’Eglise. Le monde catholique semble avoir définitivement rompu avec ce qui constituait l’un de ses marqueurs les plus significatifs, qui le distinguait du monde protestant tout en constituant un point commun avec les Eglises orientales, notamment orthodoxes, et qu’il avait hérité de toute la tradition et de la spiritualité biblique vétérotestamentaire : la distinction entre un espace sacré, entièrement consacré à la chose divine, et le monde profane. Au même titre que les autres éléments qui composent l’esprit traditionnel de la liturgie romaine, la notion de sacré est considérée, au moins depuis les années 1960, et ce malgré les rappels incessants des Papes sur la question, comme un archaïsmeempêchant de vivre le christianisme dans son authenticité. C’est ainsi que la réforme liturgique fut l’occasion d’un véritable déchaînement de violence iconoclaste et vandale : on arrachât  dans les églises les tables de communion qui, en plus de permettre la communion des fidèles à genoux, séparaient autrefois l’espace sacré -le chœur où se déroulaient les rites liturgiques, de la nef où se tenaient les fidèles ; on détruisît ou l’on cacha les maîtres-autels orientés pour placer au plus près de la nef souvent de simples tables en guise d’autel ; on s’efforça de faire ressembler les autels non pas à la pierre sacrée sur laquelle sont célébrés les saints mystères, mais à une simple table de repas autour de laquelle la communauté se réunit pour un moment dont la signification ne va pas véritablement au-delà de la simple fraternisation humaine.

Après vingt années de dévastation et de démolition méthodique de la vie liturgique de l’Eglise, il semble urgent, non de dresser le bilan de la pastorale mise en œuvre dans la plupart des diocèses -pastorale dont la nocivité ne peut plus, en 2017, faire aucun doute- mais de tenter de comprendre en profondeur ce qu’il convient d’appeler « la problématique du sacré ». La notion de sacré, en effet, est dans son essence même problématique et en apparence contradictoire : elle prétend fonder la relation de l’homme à Dieu sur une mise à distance de celui-ci par rapport à Celui-là. Autrement dit : elle propose d’éloigner pour lier. Pas étonnant qu’une compréhension superficielle -et donc fausse- de cette notion ait été celle retenue par une génération qui, et à juste titre, a voulu s’interroger sur le sens réel de toutes les composantes du catholicisme de routine biberonné depuis l’enfance, mais qui a peut-être un peu rapidement « jeté le bébé avec l’eau du bain ». Il faut aujourd’hui regarder la réalité en face : l’analyse qui a consisté à promouvoir l’effacement de toute trace de sacré dans le culte catholique fut une funeste erreur portant en germe la disparition pure et simple de la foi. Il convient aujourd’hui d’expliquer pourquoi.

 

Le sacré comme espace exclusivement réservé à Dieu et à la vie intérieure

 

L’erreur des progressistes a été de penser que la disparition du sacré allait contribuer à un rapprochement entre Dieu et l’homme. Or, il faut bien reconnaître qu’à plus d’un titre, il n’en a pas été ainsi. Non seulement la disparition du sacré semble plutôt avoir été l’un des facteurs expliquant la chute de la pratique dominicale, mais il est frappant de constater que très souvent, l’absence des éléments marqueurs du sacré -silence, respect du mystère, chant et musique spécifiquement sacrées- efface la possibilité même de la prière. Ainsi, dans les célébrations actuelles, les moments de silence se font rares ; les chants interprétés le sont souvent sur des mélodies empruntées au monde profane et s’intègrent donc mal avec le cadre liturgique qui se doit d’être uniquement orienté vers la prière. L’expérience des quarante dernières années nous démontre que lorsque le sacré n’existe pas, Dieu est complètement absent de la vie des hommes. Conserver un espace sacré, c’est réserver, con-sacrer un espace exclusivement pour Dieu, dans lequel tout sans exception est ordonné à la prière ; partout ailleurs certes, on ne peut empêcher l’envahissement du profane, mais dans ce cadre-là, (qui peut être un cadre spatial -une église-, temporel -le dimanche-, linguistique -le latin-, choral -le grégorien-) Dieu a pour ainsi dire l’exclusivité offrant ainsi à la vie intérieure -par nature fragile- un espace de liberté pour se développer et s’épanouir véritablement. Supprimez cette espace, et les rares oasis de vie intérieure que sont nos églises, dans des sociétés modernes dans lesquelles règne le bruit et l’agitation permanente, ne tarderont pas à s’éteindre. C’est sans doute l’une des clés de compréhension de l’épisode des Evangiles qui voit Jésus chasser avec violence les marchands du Temple : « La maison de mon Père est une maison de prière, et vous en avez fait une maison de trafics ». Un sanctuaire sacré est le dernier lieu permettant à la vie intérieure de l’homme de s’épanouir en Dieu ; supprimer cet espace, et c’est la possibilité même pour l’homme d’entrer en relation avec le Dieu trois fois Saint qui est remise en cause. Or, si dans cet espace Dieu n’a pas l’exclusivité, en réalité c’est comme s’il en était totalement exclu.

La suppression du sacré dans la liturgie a cela de terrible, que désormais même au cours des offices liturgiques la vie intérieure de l’homme ne peut plus s’épanouir ; l’être humain n’y retrouve rien de plus, en termes de nourriture spirituelle, que ce qu’il peut trouver dans les émissions les plus abrutissantes servies ad nauseam à la télévision : « animateurs » essayant désespérément de se rendre intéressants en s’agitant le plus possiblederrière un micro, éclats de rires, aller et venues incessantes, musique bruyante, instabilité, démagogie, familiarité artificielle, usage d’un vocabulaire superficiel voire trivial… Comment penser qu’un aussi triste spectacle permette aux fidèles de véritablement faire l’expérience de Dieu ? Ce n’est pas un hasard si toutes les civilisations humaines sans exception aucune, ont développé en leur sein le sens du sacré : la vieille sagesse traditionnelle permettait à toutes les sociétés de comprendre consciemment ou non que la préservation d’un espace sacré dans un univers profane est la condition sine qua non de la possibilité d’existence d’une vie un tant soit peu surnaturelle.

 

Le sacré comme mode de relation avec le mystère divin

Nous avons donc vu que la préservation du sacré permet d’ouvrir un espace dans lequel la relation à Dieu peut s’épanouir librement et sans contrainte. Mais le sens du sacré permet également à l’homme d’envisager sa relation à Dieu sur le mode qui correspond à la fois à la nature divine et à la nature humaine. Dieu n’est pas un copain sympathique : il est le Tout-Autre, celui dont ne sommes pas dignes de délier les sandales ; il est le Créateur de l’univers, le Seigneur des seigneurs et le roi des rois. L’homme est sa créature, une créature marquée par le péché et la misère, qui se doit donc d’envisager la relation à son Créateur sur le mode de l’humilité. C’est ce que ne semblent pas comprendre ce clergé progressiste qui traite avec désinvolture, comme s’il avait fait le tour de la question de Dieu, les mystères sacrés. Il y a en particulier chez nombre de fidèles « engagés » dans les paroisses la tentation de prendre le pouvoir sur le mystère divin, de l’instrumentaliser, de le transformer en objet de manipulation. Chez ces gens, la liturgie n’est pas vue comme un don que l’on reçoit avec humilité et respect, mais comme quelque chose que l’on peut déformer et modifier au gré de ses caprices et de ses envies. Personne, aucun être humain ne peut prétendre avoir fait le tour de la question divine. Dieu est mystère. Préserver un espace sacré permet de poser les jalons permettant à l’homme de respecter ce mystère de l’Incarnation, par lequel Celui que l’univers ne peut contenir accepte de se mettre à la portée de l’homme sous l’aspect d’un petit morceau de pain. Face à ce mystère insondable, y a-t-il d’autre attitude possible que celle de se tenir à distance et de contempler avec un infini respect et une infinie humilité ? 

Or, cette prise de distance respectueuse avec les réalités saintes qui s’accomplissent au cours des rites liturgiques est, paradoxalement, l’attitude permettant de se rapprocher de Dieu. C’est ce qu’avait bien compris Simone Weil, qui écrivait qu’ « aimer purement, c’est consentir à la distance, c’est aimer la distance entre soi et ce que l’on aime ». Dans le rapport à Dieu, la distance que suppose la notion de sacré est en réalité un mode de relation, le mode de relation spécifique et adapté qu’il convient de nouer avec Dieu. Le sacré n’empêche pas l’amour ; au contraire, il est la seule manière pour l’homme d’aimer véritablement le Dieu vivant et vrai.

 

G.A

Article publié originellement sur Pro Liturgia

 

Richesses propres de la forme ordinaire

De nos jours, la tendance identifiée sous le nom de « nouveau mouvement liturgique » ou « réforme de la réforme » semble s’étendre de plus en plus. Le vieux progressisme clérical n’a pas encore disparu de nos contrées, très loin de là, mais il perd du terrain. Jadis, il était inconvenant de célébrer la liturgie rénovée avec soin, encore moins avec faste, l’ad orientem n’étant pas même évoqué (sinon pour dire que avant, c’était scandaleux parce que le prêtre « nous tournait le dos »), et la beauté liturgique une chose enterrée, définitivement semblait-il ; quant au chant grégorien, et à la liturgie en langue latine, ils semblaient s’être définitivement exilés dans quelques abbayes bénédictines, Solesmes étant la plus réputée de celles-ci. Ces temps-là, pour paraphraser Churchill, ne touchent pas à leur fin, ni même au commencement de leur fin, mais, à la fin, peut-être, de leur commencement. Le fait qu’un cardinal ait pu évoquer ouvertement l’orientation commune du prêtre et des fidèles en est la preuve, inimaginable il y a seulement dix ou vingt ans.

De tout cela, il convient certes de se réjouir. Mais on remarquera aussi ce phénomène assez regrettable : les partisans de la réforme de la réforme semblent se tourner exclusivement vers la réintroduction d’usages tirés de la forme extraordinaire du rit romain. Il est certes très bon de s’inspirer de celle-ci pour« enrichir » la forme ordinaire et la replacer dans une ambiance et un ars celebrandi traditionnels. Cependant, il est triste de constater qu’à coté de ces richesses du passé que l’on réintroduit (ou que l’on redécouvre), d’autres sont laissées de côté (ou mal effectuées), celles-là même que la forme ordinaire du rit romain avait restauré.

Exposer brièvement quelques-unes de ces richesses et leur intérêt ; présenter une manière à la fois neuve et traditionnelle de les intégrer dans la liturgie ; apporter sa modeste contribution au mouvement liturgique dont il était question plus haut ; tel est le but de cet article. En cela, notre but est quelque peu différent de celui de l’abbé Peter M.J. Stravinskas, qui consistait à exposer les points sur lesquels la forme ordinaire pouvait enrichir la forme extraordinaire. Pour nous, il s’agira de montrer comment on peut concrètement mettre en œuvre ces « nouveaux rites » en les intégrant à une approche traditionnelle de la liturgie romaine, nonobstant les éventuelles réserves que l’on pourrait avoir quand à la nécessité de les introduire.

Les psaumes d’entrée, d’offertoire et de communion

L’introït est le plus souvent réduit (quand on le chante encore!) au chant de l’antienne, éventuellement accompagnée d’un verset psalmique quand on en trouve le temps. Le Gloria Patri, tombe le plus souvent à l’eau, même s’il est conservé en certains endroits (alors qu’il est obligatoire dans la forme extraordinaire, sauf pendant certains temps déterminés). Un phénomène semblable se produit lors du chant des antiennes d’offertoire et de communion.

C’est bien dommage, car la liturgie romaine permet de chanter plusieurs versets du psaume qui accompagne l’antienne, voire un psaume tout entier. Cela contribue à rendre à ces antiennes la fonction qu’elles avaient jadis : celle d’accompagner une procession.

N’hésitons donc pas à chanter plusieurs versets à chaque fois que nous aurons affaire à ces antiennes ; on peut même reprendre l’antienne entre chaque verset si on en a le temps, ce qui est une excellente manière de mémoriser ces antiennes, essentielles à la liturgie romaine.

Concrètement,voici ce que cela pourrait donner, pour l’introït de la Messe de Minuit :

Antiphona : Dominus dixit ad me : Filius meus es tu, ego hodie genui te. Antienne : Le Seigneur m’a dit : tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.
Quare fremuerunt gentes ? * Et populi meditati sunt inania ? (Antiphona) Pourquoi les peuples frémissent-ils, et les peuples méditent-ils du vide ? (Antienne)
Astiterunt reges terrae, et principes convenerunt in unum * adversus Dominum et advérsus Christum eius. (Ant) Les rois de la terre se sont dressés et les princes se sont assemblés * contre le Seigneur et contre Son Christ. (Ant)
Dirumpamus vincula eorum * et proiciamus a nobis iugum ipsorum. (Ant) « Brisons leurs chaînes, disent-ils, * et jetons loin de nous leur joug ! » (Ant)
Qui habitat in caelis, irridebit eos * et Dominus subsannabit eos. (Ant) Celui qui habite dans les cieux se rit d’eux, * le Seigneur se rit de leur folie. (Ant)
Tunc loquetur ad eos in ira sua, * et in furore suo conturbabit eos : (Ant) Alors Il leur parla dans sa colère, * il les épouvantera dans sa fureur : (Ant)
Ego autem constitui regem meum * super Sion, montem sanctum meum ! (Ant) C’est moi qu’il a établi roi * sur Sion, sa sainte montagne ! (Ant)
Postula a me, et dabo tibi gentes hereditatem tuam, * et possessionem tuam terminos terra. (Ant) Demande-moi, et je te donnerai les nations pour héritage, * et pour possession les confins de la terre. (Ant)
Etc. Etc.
Glória Patri, et Fílio, et Spirítui Sancto. *
Sicut erat in princípio, et nunc, et semper, et in saécula saeculórum. Amen.
Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit. * Comme il était au commencement, et maintenant et toujours et pour tous les siècles des siècles. Amen.
Antiphona. Antienne.

Évidemment,si l’introït est précédé par un chant religieux populaire (ce qui est parfois souhaitable pour mieux le faire passer), il vaut mieux s’en tenir au schéma « classique » (antienne, verset, Gloria Patri, reprise de l’antienne). Mais sinon, une telle manière de faire peut rendre à cette procession une ampleur et une magnificence dont elle est trop souvent dépourvue, à la fois somptueuse et si conforme à cette noble simplicité qui caractérise la liturgie romaine. Il en va de même pour les antiennes d’offertoire et de communion, auxquelles sont associées des versets psalmiques dont nous ne pouvons qu’encourager le chant.

Le chant des lectures en langue vernaculaire

Curieusement, alors même que l’on proclamait à qui voulait l’entendre que la réforme liturgique avait remis en valeur la Parole de Dieu, on l’abandonnait dès qu’il s’agissait des chants de la Messe ; plus encore, on abandonnait sa proclamation solennelle, pour y substituer une simple lecture, le plus souvent par un laïc en costume civil. Curieuse façon d’honorer les Écritures… Comme l’a très bien montré (pour une fois) M. Peter Kwasnievski, cette manière de proclamer la Parole de Dieu trahit une conception protestante de son rôle dans la liturgie.

La forme extraordinaire mettait bien mieux en valeur son importance, en la faisant solennellement chanter par un diacre (et un sous-diacre pour l’épître), mais cela n’est guère possible qu’en latin. Le nouveau missel, lui, permet le chant des différentes lectures directement en langue vernaculaire (on pourrait même envisager un double chant des lectures, d’abord en latin puis en français), toujours par des ministres en vêtement liturgique(ministres institués ou diacres). On honorerait ainsi les deux fonctions principales de la proclamation de la Parole de Dieu dans la liturgie : le culte divin (symbolisé par le chant des lectures) et l’instruction des fidèles (facilitée par l’emploi de la langue de ceux-ci). On notera d’ailleurs que le Graduale Romanum prévoit des tons pour le chant des différentes lectures, qui peuvent facilement être transposés à la langue française (sans parler de ceux qui ont été composés directement pour celle-ci, en particulier par le Fr. André Gouzes, op).

Le psaume responsorial et le Graduale Simplex

Cette mention pourra faire sursauter les plus traditionalistes de nos lecteurs, qui pourront se demander où se trouve l’intérêt de faire chanter ce psaume, dès lors que l’on dispose d’admirables graduels.Que l’on se rassure, l’auteur de ces lignes aime les graduels autant que ses lecteurs. Il tient seulement à leur faire remarquer qu’ils’agit probablement des pièces les plus ornées de la liturgie romaine, et conséquemment hors de portée de bien des scholae cantorum. Doit-on alors se résigner à cette éructation boiteuse, qualifiée on ne sait trop comment de psalmodie, qui s’est substituée au graduel ? Non point. Le Graduale Simplex prévoit les partitions d’antiennes d’ouverture, d’offertoire et de communion simplifiées… ainsi que celles des différents psaumes responsoriaux. Composés dans un style très sobre (qui ne nuit pas à leur beauté), ils peuvent ainsi être chantés par n’importe quelle chorale, l’assemblée pouvant reprendre le chant de l’antienne. Ils’agit d’une manière très simple de réintroduire le grégorien dans la liturgie paroissiale, tout en honorant la participation de l’assemblée. Enfin, la simplicité des mélodies de ces psaumes et des chants du Graduale Simplex en général permet éventuellement de les adapter à la langue française.

La prière des fidèles (ou prière universelle)

La constitution sur la sainte liturgie a explicitement demandé le rétablissement de l’antique litanie d’intercessions qui clôturait jadis ce que l’on appelle aujourd’hui la « liturgie de la Parole » et qui reste encore aujourd’hui inconnue du missel de 1962.

Malheureusement, elle est réduite à peu de choses. On passera charitablement sur la manière puérile dont ce rite est mis en œuvre dans la plupart des paroisses ; mais même dans les meilleurs endroits, on n’a guère droit qu’à une succession de prières composées ad hoc,dites (non chantées) par un diacre (dans le meilleur des cas) à laquelle l’assemblée répond par de fades refrains ; récemment,l’habitude s’est prise en certains endroits d’adresser ce refrain à la Sainte Vierge (« O Marie, prend nos prières… »), ce qui est une absurdité liturgique, dans la mesure où cette prière s’adresse à Dieu. C’est pourquoi cette prière est souvent le parent pauvre de la plupart des célébrations RDLR (Réforme De La Réforme), quand elle n’en est pas tout simplement éjectée.

Pour rendre à cette prière la beauté qu’elle réclame, il convient :

  • de la composer d’après les modèles traditionnels, ou d’adopter carrément ces derniers (à moins que l’on ne préfère les sobres formules du missel romain) ;
  • de faire chanter les intercessions par un diacre, puisque c’est là sa fonction ;
  • d’utiliser toujours des répons traditionnel (Kyrie, eleison ou Te rogamus, audi nos par exemple) à la place des « Entend nos prières, entend nos voix ».

On rappellera par ailleurs que les tons pour chanter les intercessions et les répons se trouvent au Graduale Simplex dont nous parlions plus haut, ainsi qu’au Graduale Romanum. Pour plus de précisions, on se référera avec profit à cet excellent article. Et à ce non moins excellent article.

Enfin,on se souviendra aussi que les conseils donnés ici s’appliquent aussi bien aux intercessions de la Messe qu’à celles de l’Office divin, à Laudes et Vêpres.

La procession d’offertoire

Ce rite très ancien (dont l’origine antique est attestée par le fameux témoignage de saint Justin Martyr) s’est progressivement complexifié… pour finalement disparaître. Des usages locaux en ont cependant gardé une trace (l’on pense notamment au rit dominicain, où le Calice est solennellement porté à l’autel par le sous-diacre, durant le chant du Gloria in excelsis Deo). À noter que contrairement à différents rites (gallican, byzantin,etc), le rit romain prépare les saints dons (Preparatio donorum) après la liturgie de la Parole (Liturgia Verbi), tandis que les rites susmentionnés procèdent à ce que nous appellerions l’offertoire avant la Messe proprement dite.

Si la restauration de ce rite n’est pas explicitement demandé par la constitution conciliaire sur la sainte liturgie, le pape Paul VI a néanmoins jugé bon de le rétablir. Il est regrettable qu’il soit si souvent absent (quoiqu’on peut trop facilement en imaginer les abus possibles…), car il est tout à fait intéressant : par cet usage, les fidèles symbolisent l’offrande qu’ils font de leurs propres biens et finalement d’eux-mêmes ; d’où la mention de « l’oeuvre de la main de l’homme » (óperis mánuum hóminum) dans les nouvelles prières d’offertoire, qui prennent ainsi leur sens grâce à cette procession.

Le mettre en œuvre n’est pas très difficile. On se référera avec profit aux informations données par l’excellent Cérémonial de la Sainte Messe à l’usage des paroisses, qui donne de précieux conseils pour l’exécution de ce rite (et de bien d’autres encore).On se contentera de rappeler quelques détails :

  • La procession doit partir du fond de l’église, pour aboutir au chœur (sans entrer dedans).
  • Elle doit être exécutée de préférence par des servants en tenue de service (soutane avec surplis ou aube avec amict et cordon) ou mieux, par des clercs, des chanoines par exemple (à Lyon, aux féries de Carême, deux chanoines apportaient les oblats au célébrant), qui s’abstiendront de tout effet théâtral : dès l’instant où les dons sont apportés, ils ne sont plus une nourriture ordinaire.
  • Ils ne doivent pas porter les vases sacrés (dont la manipulation doit être réservée autant que faire se peut aux ministres ordonnés), mais seulement les dons qui seront offerts (le pain et le vin), transportés dans des récipients adaptés (des ciboires par exemple).
  • À l’arrivée devant le chœur, il convient que le diacre (ou d’autres servants) reçoive les dons, avant de les aller présenter au prêtre pour qu’il les offre.
  • Éventuellement, rien n’empêche que l’on apporte par la même occasion du pain levé, qui pourra être béni à l’issue de la Messe (une charmante tradition médiévale, dont l’usage s’est maintenu en Russie) ; cela suppose évidemment que tout risque de confusion entre ces aliments et les « précieux dons offerts en sacrifice » (comme le dit la liturgie byzantine) soit écarté, sinon, il est préférable de ne pas introduire cet usage.

Le baiser de paix (osculum pacis)

La forme extraordinaire en réservait l’usage au seul clergé. La réforme liturgique voulut l’étendre à toute l’assemblée, ce qui était louable. Dans la pratique, c’est l’occasion d’une effusion sentimentale, longue et mondaine, qui ne convient nullement à cet instant sacré où l’Agnus Dei est rompu pour être donné en nourriture aux fidèles.

Le mieux serait de faire dériver la paix du Seigneur depuis le clergé jusqu’à l’assemblée, par l’accolade. Mais cette disposition est rarement réalisable. Deux solutions pourraient alors être envisagées :

  • D’une part, on pourrait user d’un instrument de paix, que le diacre présentait à baiser au prêtre, puis à toute l’assemblée (comme le faisaient certains rites médiévaux).
  • D’autre part, on pourrait substituer à la poignée de main l’accolade traditionnelle, à transmettre exclusivement à ses voisins pour ne pas donner à ce rite une importance démesurée.

Rappelons pour terminer, que quelque soit la manière dont la paix se transmet au peuple, l’ancienne manière de transmettre la paix dans le chœur,pour le clergé, garde tout son sens et reste normative, puisqu’elle n’a pas été abrogée.

La communion sous les deux espèces

La réforme liturgique a rétabli la possibilité de la communion sous les deux espèces, absente de l’ancien missel romain. Il faut s’en réjouir car même si la totalité des fruits de la Sainte Eucharistie peut être reçue par la communion sous une seule espèce,« elle réalise mieux sa forme de signe » (comme le dit le Catéchisme de l’Eglise catholique) sous les deux espèces. Encore faut-il bien mettre en œuvre cette réforme.

Le plus simple serait de distribuer une telle communion par intinction :le prêtre prend une hostie dans le ciboire (tenu par un diacre ou, à défaut, un acolyte), la trempe dans le Précieux Sang contenu dans le calice et la présente au communiant, en disant Corpus et Sanguis Christi (le Corps et le Sang du Christ), à quoi le communiant répond Amen.Le prêtre dépose alors l’hostie sur sa langue. Idéalement, le même acolyte (ou un autre) tient durant ce temps un plateau de communion sous le menton du communiant.

Cette pratique présente aussi un avantage : elle permet de restreindre la communion dans les mains qui, si antique qu’elle puisse apparaître, pose plus de problèmes qu’elles n’en résout.

La concélébration

On pourra trouver étonnante cette mention ; la concélébration n’est-elle pas très souvent mise en avant dans nos églises (certains disent même : trop souvent) ? C’est exact ;mais dans quel état ! Combien de Messes furent remplies de concélébrants hâtivement revêtus d’aubes douteuses et d’étoles ballantes, sans aucune autre tenue (dans les deux sens de ce terme) ?

C’est l’occasion de revenir sur le sens de la concélébration :l’unité du sacerdoce, dans le Summus Sacerdos qu’est le Christ. C’est pourquoi, dans la tradition occidentale du moins, la concélébration ne se conçoit guère qu’autour de l’évêque, comme l’a très bien montré l’abbé de Servigny dans son petit ouvrage intitulé Orate Fratres. Le dernier concile œcuménique a voulu remettre à l’honneur cette manière de célébrer la Messe ; et si trop souvent, elle ne sert qu’à expédier rapidement la célébration quotidienne des saints Mystères, il est possible d’intégrer la concélébration de manière harmonieuse et traditionnelle.

Cela suppose certaines contraintes. D’abord, réserver la concélébration pour les occasions exceptionnelles (il ne faut pas abuser des bonnes choses…) ; ensuite, il convient d’exiger des concélébrants le port de tous les vêtements liturgiques requis, sans exception. Il convient encore de ne pas en admettre trop, afin d’assurer à tous une proximité immédiate à l’autel (ce qui revient à n’avoir pas plus d’une douzaine de concélébrants). Il convient de réserver la concélébration aux occasions les plus importantes, et autour de l’évêque dans la mesure du possible. Enfin, il convient que tous sachent chanter (en latin ou en langue vernaculaire) les parties du Canon qui leur incombent.

***

Voilà pour ce bref exposé. On pourrait dire encore bien des choses ; on pourrait par exemple souhaiter que les suggestions de cet article soient ratifiées par l’autorité supérieure ; en attendant, la balle est dans notre camp. À nous de travailler à mettre en place ces « options » liturgiques, afin de montrer à tous que la réforme de la réforme, si elle doit avoir lieu, ne se fera pas sans reconnaître les mérites de certains des rites restaurés (ou institués) par la réforme liturgique qui a suivi le concile Vatican II.

Messe célébrée en la chapelle Sixtine, par le Pape François.

Que veulent les jeunes ? Ma dernière tournée chorale a peut-être une réponse [The Catholic Herald, 27/10/2018]

Traduction partielle d’un article de l’Abbé Dominic Allain paru dans le Catholic Herald, posté le 27/10/2018 (http://www.catholicherald.co.uk/commentandblogs/2018/10/27/what-do-young-people-want-my-recent-choir-tour-might-provide-an-answer/)

Architecture Cathedral Portal Church Zamora Door

Le portail de la cathédral de Zamora (Max Pixel)

[L’auteur est en tournée en Espagne avec la Schola Cantorum de la Cardinal Vaughan Memorial School, qui chante la messe en habit de choeur dans les stalles de la cathédrale de Zamora]

On ne peut s’empêcher de mettre en contraste l’architecture magnifique des cathédrales du Nord de l’Espagne, merveilleusement restaurées et préservées, avec la liturgie qui s’y déroule, à l’air minimaliste et à la perspective complètement horizontale. L’absence de silence, et la réduction des gestes rituels au strict minimum, mettent crûment en lumière la difficile vérité que, bien qu’elle n’ait que le mot “simplification” à la bouche, la liturgie réformée est en réalité une démonstration de verbosité.

Cette réforme a été un tel échec, même selon ses propres critères, qu’on juge maintenant nécessaire d’y ajouter des éléments, comme faire venir quelqu’un vers le sanctuaire au début de la messe pour expliquer ce qu’est le “thème du jour” – au cas où les quarante minutes ou presque de lectures, sermons, prières de demande et explications dans le vernaculaire soient insuffisants pour vous le faire capter. L’appauvrissement des gestes rituels a également provoqué frappé par ricochet.

De plus en plus, on observe le spectacle affligeant d’une assemblée de personnes âgées qui ont abandonnées les coutumes immémoriales de leurs ancêtres, comme s’agenouiller ou faire une génuflexion, et ce uniquement pour les remplacer par des mains étendues ou jointes lors du Notre Père, qu’on prie debout.

Ici, à Zamora, on ne lève plus les yeux vers le magnifique retable, avec ses scènes de l’histoire du Salut, et son cortège d’ange et de saints se pressant pour assister au Sacrifice. Au lieu de cela, on se concentre sur le siège en velours peluche du célébrant, à qui revient désormais la place d’honneur, au centre, face à l’assemblée.

On a qualifié l’architecture de musique figée ; mais alors, on peut bien dire de l’architecture des cathédrales qu’elle est une prière figée. Les bâtisseurs voulaient que les gens lèvent les yeux, comprenant que notre culte nous unit au culte de l’Eglise Triomphante, et que la vie surnaturelle est le véritable horizon où la beauté et le confort se trouvent.

C.S. Lewis disait que la soif spirituelle, non moins que la corporelle, cherche ce qui la nourrit, et il semble que les gens ont fait leur choix en ce qui concerne la liturgie réformée, telle qu’elle existe actuellement dans la plupart des églises. Je n’exagère rien en disant que je n’ai pas vu une seule personne de moins de 50 ans aux deux messes du dimanche de notre tournée, en différents endroits. Et pourtant, les jeunes attirés par la Forme Extraordinaire se voient qualifiés de suspects et rigides, même s’ils ne font que vivre quelque chose qui satisfait une soif. Les étiqueter de la sorte est aussi absurde que de dire que si vous avez une objection à ce qu’on démolisse la cathédrale de Zamora pour la remplacer par quelque chose de plus simple, vous avez un problème psychologique.

N’importe qui avec le moindre expérience des jeunes sait que rien ne peut les agacer davantage que des personnes plus âgées qu’eux essayant d’être à la mode. Les pertes subies lors des batailles liturgiques après le Concile ont été si catastrophiques que celui qui désire revenir à une position solide et éprouvée ne fait que preuve de sagesse. La rigidité psychologique insistant, malgré des pertes immenses, en disant que nous nous ne sommes pas allés assez loin dans le changement, me semble beaucoup plus dangereuse.

La musique de la Schola offre un autre éclairage sur ces bâtiments, et sur la liturgie telle qu’elle existe actuellement. L’assemblée vieillissante est absolument transportée par la beauté de leur héritage musical, chanté avec brio. Mais, tragiquement, leur réflexe est de sortir ses téléphone pour l’enregistrer, et quand les garçons ont fini de chanter à la fin de la messe, l’assemblée applaudit.

Cela part d’une bonne intention, mais qu’on puisse s’imaginer qu’une telle beauté a pour but notre divertissement ou l’enrichissement de notre culture est un exemple supplémentaire de l’appauvrissement dû à la réforme liturgique. L’idée que cette beauté soit pour Dieu, et, en fait, de Lui, apparaît au mieux comme une réflexion secondaire.

Ad orientem

20130111SMessa_612_zps8cdd511e« Face au peuple », « dos au peuple », « face à Dieu », « versus populum », « autel Vatican II », sont autant d’expressions familières relatives à la direction vers laquelle le prêtre célèbre la Sainte Messe, engendrant des discussions, débats, déménagements et problèmes mobiliers complexes dans nos églises. Mais d’où cela vient-il véritablement ? Quelle importance cela a-t-il ?

En réalité, cela vient de nulle part, et n’a aucune importance.

Tordons en tout premier lieu le cou à l’argument avancé par la majorité des catholiques défendant l’habitude prise après le Concile Vatican II, de placer l’autel entre le prêtre et les fidèles. Cet argument serait celui de la référence à la Sainte Cène, dernier repas pris par le Christ avec ses disciples, autour d’une table qui serait l’autel, donc. Mais cet argument est fallacieux, comme le rappelle le P. Louis Bouyer :

« L’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fût chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis, ou allongés, sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait pu survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était accentué bien plutôt par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table. » — Louis Bouyer, cité par le Cardinal Joseph Ratzinger in L’Esprit de la liturgie, p. 66, traduit de l’allemand par Génia Catala avec la collaboration de Grégory Solari. 2001.

En outre, Ratzinger reproche à cette vision de « repas » de vouloir imiter la Sainte Cène, alors que l’Eucharistie doit en faire mémoire sans la rejouer au sens théâtral du terme, alors que l’autel est bien plus que celui de la Cène mais la continuation de l’autel du sacrifice juif :

« La position du prêtre tourné vers le peuple a fait de l’assemblée priante une communauté refermée sur elle-même. Celle-ci n’est plus ouverte vers le monde à venir, ni vers le Ciel. » (ibid., p. 68)

D’ailleurs, le Concile ne dit rien au sujet de l’orientation de la célébration, proposant simplement de placer les autels des cathédrales à la croisée du transept et de la nef pour le rapprocher des fidèles. Le fait de placer un autel « Vatican II » juste devant le maître autel dans les églises n’a d’une part rien à voir avec le concile éponyme, et de l’autre massacre souvent l’unité architecturale de l’église et surcharge le chœur, au détriment d’une liturgie belle et digne.

Il faudrait donc bien célébrer la Sainte Messe dos aux fidèles, comme dans la « Messe de toujours », alors ?

Que nenni ! Originellement, l’usage n’était pas non plus de célébrer dos au peuple. En réalité, la question de l’orientation du prêtre par rapport aux fidèles était absente du débat avant le XVIe siècle. La seule question était celle de l’Orientation, c’est-à-dire de la célébration vers l’Orient, le soleil levant, l’est, symbole dont la portée théologique et symbolique est considérable et dépasse le thème de cet article. À l’injonction Sursum corda, « Tournons-nous vers le Seigneur », l’on joignait alors le geste à la parole et l’on se tournait vers l’est, quelque soit la direction de l’autel. Dans les églises à plan basilical, souvent occidentées à l’instar Saint Pierre de Rome, le peuple se mettait d’ailleurs dans les transepts, laissant la nef libre pour les nombreuses processions liturgiques.

La célébration vers l’est est la seule véritable et originelle question qu’il faut se poser. Fort malheureusement, à l’inverse, une grande partie des prêtres célébrant dans la forme extraordinaire du rite romain se targue de célébrer « face à Dieu », ce qui est absurde, Dieu étant bien évidemment transcendant et omniprésent. Ils oublient souvent qu’un certain nombre d’églises sont en fait orientées vers l’ouest, et qu’ils célèbrent en réalité face au soleil couchant, contre-exemple absolu de la liturgie qu’ils se targuent pourtant d’observer scrupuleusement.

Le Cardinal Ratzinger, conscient des problèmes pratiques qu’un retour universel à la célébration vers l’Orient pourrait causer, suggère de concentrer nos efforts sur la croix qui, dans les deux rites, se doit d’être présente au milieu de l’autel, qui serait notre « est intérieur », permettant de concentrer notre regard et nos prières vers le Christ, « le point de référence », le « soleil levant de l’histoire ».

Mais si l’Essentiel est évidemment le Christ, l’orientation a tout de même une portée et une influence très importante dans la signification des rites de la Sainte Messe. Alors dimanche prochain, sortez votre smartphone, votre application boussole, et regardez dans quelle direction votre cœur oriente ses prières.

Primum capitulum

P66 Page 7 Oct 2017

In principio erat Verbum, et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum. Hoc erat in principio apud Deum. Omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum est nihil quod factum est. In ipso vita erat, et vita erat lux hominum: et lux in tenebris lucet, et tenebrae eam non comprehenderunt. Fuit homo missus a Deo, cui nomen erat Joannes. Hic venit in testimonium, ut testimonium perhiberet de lumine, ut omnes crederent per illum. Non erat ille lux, sed ut testimonium perhiberet de lumine. Erat lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum. In mundo erat, et mundus per ipsum factus est, et mundus eum non cognovit. In propria venit, et sui eum non receperunt. Quotquot autem receperunt eum, dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine ejus. Qui non ex sanguinibus, neque ex voluntate carnis, neque ex voluntate viri, sed ex Deo nati sunt. Et Verbum caro factus est, et habitavit in nobis et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi unigeniti a Patre, plenum gratiae et veritatis.

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