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Les noëls populaires de France à travers les siècles, partie 2/5

En cette saison de Noël 2022, Esprit de la Liturgie publie en feuilleton une synthèse des connaissances disponibles sur l’histoire des Noëls populaires en France, par notre ami Louis-Marie Salaün, que nous remercions et félicitons pour ce travail considérable, abondamment sourcé et annoté, et d’une grande érudition, auquel nous souhaitons une large diffusion. Les appels de notes renvoient à la fin de l’article.

Lien vers la première partie

Dans la première partie, nous avons parlé des origines des Noëls : tropes, séquences et Noëls farcis du Moyen-Âge, drames liturgiques prolongeant les offices de Noël.


3. Qu’est-ce qu’un noël populaire ?

Pour entrer dans le vif de notre sujet, il nous faut définir ce que sont les « noëls populaires ».15
A quels genres appartiennent-ils, qu’est-ce qui les caractérisent ?

3.1. Définition et caractéristique du noël

Les noëls populaires qui, nous l’avons vu sont issu des hymnes du plain-chant médiéval, sont des chansons profanes mais dont le sujet est religieux16 puisque afférents à la Nativité du Christ. Ils se situent entre chant et cantique spirituel. Il convient de faire tout de même une distinction avec le cantique. Le noël est une chanson « paraliturgique » c’est-à-dire non destinée à la liturgie (même s’il finira plus ou moins par l’intégrer au fil des siècles et jusqu’à nos jours). « Le noël est, avant tout, une chanson, et non pas un cantique, et c’est bien de ce sceau que l’a marqué l’esprit gaulois, puis français » nous dit Henri Bachelin17.
.
Ils sont dits « populaires » car écrits pour les gens du peuple18, et constituent un tableau des mœurs populaires. En effet, dans son texte il dépeint la société de telle époque, la vie modeste des petites gens, mais surtout nous dit comment l’humble paysan, l’ouvrier, le petit artisan comme le bourgeois ou le châtelain célébrait par le chant la naissance de Jésus. Comme nous le verrons plus loin, la simplicité de leur facture musicale permet de mémoriser facilement la mélodie, et permet donc à des gens ne sachant lire la musique, de les retenir aisément. Il faut en effet que ces chants puissent être retenus et chantés facilement par les gens du peuple. En cela, comme pour le chant traditionnel de nos provinces, le noël n’appartient pas à la musique « savante ». Ce sont des chants monodiques (à une seule voix) qui sont souvent accompagnés par des instruments, d’ailleurs souvent décrits dans les textes de ces noëls : épinette, chalumeau, hautbois, musette, tambourin, flûte, fifre, rebec, violon.

Les noëls populaires font appel à ce que l’on nomme la tradition orale. En effet, ils ne sont pas faits pour être écrits sur partition. On se transmet la mélodie de bouche à oreille. Néanmoins, on verra à partir du XVème siècle apparaître les premiers recueils de chants de Noël. À partir du XVIème siècle les noëls seront diffusés sur des « feuilles volantes », elles seront vendues par les enfants ou les ménétriers dans les rues des bourgs, des villages ou des grandes villes. Dans la majorité des cas, seuls les paroles sont écrites, la mélodie étant supposée connue de tous (voir notre 3 .2 en bas de page). Pour illustrer ce caractère populaire de nos noëls de France, écoutons ce que disait Chateaubriand19à ce sujet : « « Les noëls, qui peignoient les scènes rustiques, avoient un tour plein de grâce dans la bouche de la paysanne. Lorsque le bruit du fuseau accompagnoit ses chants, que ses enfants, appuyés sur ses genoux, écoutoient avec une grande attention l’histoire de l’Enfant Jésus et de sa crèche, on auroit en vain cherché des airs plus doux et une religion plus convenable à une mère ».
Citons également Dom Guéranger20 : « On entonnait quelques-uns de ces beaux noëls au chant desquels on avait passé de si touchantes veillées dans tout le cours de l’Avent. Les voix et les cœurs étaient d’accord en exécutant ces mélodies champêtres composées dans des jours meilleurs ». Pour bien comprendre le caractère pastoral, champêtre en même temps que religieux de nos noëls populaires écoutons ce qu’explique le musicien Bernard Lallement dans le livret qui accompagne le CD « Noël de France » :
« Plus que tout autre, le paysan, écrasé à longueur de siècles par tous les labeurs de la terre, victime de tous les fléaux, assommé de malheurs avait besoin de croire et d’espérer en un Dieu bon, juste et doux plus puissant que tous les monarques de la terre (…). L’âme populaire rurale, simple et naïve s’émeut de voir la toute-puissance Divine s’abaisser jusqu’à laisser le petit enfant de la Vierge Marie, naître dans une pauvre étable (…). Elle s’en émeut, mais aussi elle s’en réjouit, voyant dans le choix Divin un blâme supérieur de la richesse, de l’arrogance et de la froideur de cœur dont elle s’accompagne le plus souvent. Elle y puise du même coup, sinon la fierté, du moins le courage de la pauvreté et surtout le sentiment de l’égalité de chances devant l’amour de Dieu.

3.2. La notion de « timbre » des noëls

On parle de « timbre » pour désigner la mélodie sur laquelle on chante tel texte. Dans les fameuses « Bibles de noëls » et autres recueils, chaque chant est nommé la plupart du temps par les premiers mots de celui-ci. Ces recueils ne sont pas notés21, sauf exception, c’est pourquoi on trouve le titre suivi de l’indication : « sur l’air de… ». C’est ce que l’on appelle un timbre. Le même principe s’applique d’ailleurs pour les cantiques ou les chants traditionnels. Il n’est pas rare qu’une mélodie préexistante (d’origine profane ou sacrée) ou nouvellement composée, soit utilisée pour plusieurs textes. On adapte la mélodie en fonction du texte (ajout ou suppression de notes et parfois modification de la rythmique). Les noëls populaires usent aussi du principe de « contrafacta » déjà présent au Moyen-Âge : il consiste à adapter des paroles nouvelles sur une mélodie antérieure, sans changer notablement celle-ci. Ce procédé est également présent dans les chansons populaires traditionnelles. Pour illustrer notre propos, écoutons l’éditeur du célèbre noëllistes, Nicolas Saboly (1614 -1675) : « la tradition d’une même mélodie variait selon les diverses personnes qui me la faisaient entendre. Pour certains noëls, il m’arrivait d’avoir jusqu’à dix airs différents ; pour certains autres, je ne pouvais même pas trouver un seul ». Il est difficile de donner avec précision la provenance exacte de telle mélodie, de tel noël car la mélodie populaire n’est non seulement pas enfermée comme nous le verrons plus loin dans le carcan solfégique de la partition, mais elle n’est pas non plus limitée géographiquement. La mélodie d’une région donnée peut aller au-delà des limites de son aire d’utilisation et faire ainsi un « tour de France ». Ce fait est largement attesté au long des siècles. Prenons pour exemple « Joseph est bien marié » présenté comme noël Champenois du XVIème siècle. Sa mélodie est la même que le noël Bressan « Noié, Noié, est venu ». Il est en revanche plus facile de dater les mélodies grâces aux nombreux recueils que nous possédons et qui grâce à Dieu ont été conservés au fil des ans et aujourd’hui numérisés. Pour bien comprendre la construction musicale de nos noëls populaires, écoutons ce qu’en disent les musicologues : « Les mélodies originales de ces chants ont préexisté et elles ont même survécu aux paroles, ce qui représente un fait capital pour une étude musicologique. En effet, pour la musique, les cantiques et les noëls appliquent un système de tout temps très employé dont le rôle fut énorme et qui consiste à appliquer des paroles nouvelles, des couplets nouveaux et souvent d’actualité, sur un air connu donc préexistant. Dans la majorité des cas, l’air choisi n’est pas noté musicalement, il est seulement désigné par le titre ou par le premier vers des anciennes paroles. Cette étiquette qui lui est appliquée, est proprement ce que l’on appelle un timbre, à partir du XVIIIe siècle22.

Si à l’origine des noëls on a les tropes, les hymnes, les séquences et les noëls farcis du Moyen-Âge, les mélodies proviennent aussi de la sphère profane. Il faut à ce sujet souligner que, contrairement à notre époque, la frontière entre le profane et le sacré était quasi inexistante au Moyen-Âge. Ainsi, il n’est pas rare qu’un chant profane s’inspire d’une mélodie sacrée ou que des paroles religieuses soient placées sous une mélodie profane (c’est le cas de nombreux cantiques). Le noël populaire n’échappe pas à cette règle du XIIème au XIXème siècle. Ce phénomène d’absorption d’un air profane dans la sphère religieuse date au moins du XIIème siècle (c’est peut-être plus ancien encore). Certains tropes adoptent des clausules de mélodies populaires. Néanmoins, il est important de préciser qu’au Moyen-Âge, la sphère liturgique reste elle, imperméable aux airs profanes et à son univers musical bien séparé de l’univers musical profane jusqu’au XIVème siècle inclus. Un basculement se produira au XVème siècle, avec l’utilisation de cantus firmus23 d’origine profane. L’exemple le plus célèbre est la fameuse “messe parodie” de Guillaume Dufay dite “messe de l’homme armé”.

4. La musique des noëls populaires

Devant l’immense répertoire qui s’offre à nous, il est impossible de détailler l’aspect musical de chaque mélodie. Mais, à la suite des musicologues, nous pouvons cependant donner des éléments pour décrire la structure musicale de ces chansons.
L’une des caractéristiques de beaucoup de nos noëls populaires est d’avoir un caractère modal24.
D’ailleurs, quoi de plus normal quand on sait que le système modal prédomine jusqu’à l’apparition du système tonal au XVIIème siècle. Issu pour partie des mélodies sacrées comme nous l’avons dit au début de notre document, les airs de nos noëls ont une saveur modale très marquée (mode de ré et son voisin le mode de la, mode de mi ou de sol). Plus tard, à l’apparition du système tonal (XVIIème siècle) on adaptera les mélodies à ce nouveau système qui réduit l’expression musicale à deux modes : le mode Majeur et le mode mineur.
Écoutons encore Monique Rollin nous parler des mélodies des noëls : « Les mélodies empruntées sont anonymes et il n’est pas fait appel à un compositeur pour la musique de ces chants religieux. C’est l’auteur des paroles nouvelles qui procède au choix de la mélodie et à son adaptation. Les airs choisis ressortissent au genre du vaudeville, apparu vers 1550, qui recouvre uniquement des airs répandus dans le public. Ce sont des chansons en forme d’air, syllabiques, homophones et strophiques dans lesquelles tous les couplets se chantent sur une même musique »25.


D’une manière générale la mélodie des noëls populaire se caractérise par :

  • ambitus peu élevé (l’ambitus est l’étendue d’une mélodie de la note la plus grave à la plus aiguë),
  • l’emploi de la centonisation26 notamment dans les cadences finales, les clausules27 ou les incipit,
  • beaucoup de notes conjointes (qui se suivent de près),
  • peu de chromatismes (on trouve cependant dès le XIVème siècle l’apparition de la sensible),
  • des cadences28 ou clausules empruntées à d’autres airs profanes ou religieux,
  • la forme virelai ou rondeau (couplet-refrain) avec A-B ou A-B-A ou encore A-B-C,
  • une ligne mélodique assez dépouillée et syllabique,
  • rareté des mélismes,
  • répétition des phrases musicales ou de certains motifs musicaux,
  • rythmique simple suivant de près le langage parlé,
  • rythmique basée sur la longue et la brève avec emploi courant des mesures composées.

La mélodie du noël populaire n’est pas figée et est amené à subir au gré des époques, des collecteurs ou des interprètes, des transformations mélodiques29 et rythmiques. Les paroles peuvent aussi être modifiées en fonction des époques, des circonstances historiques du moment, ou tout simplement pour suivre l’évolution de la langue française. « Au cours des siècles, un même timbre subit des transformations dues à son succès. Ainsi, certaines variantes mélodiques incombent soit à la mémoire, dans le cas d’une
transmission orale, soit à des erreurs des scribes, lors d’une notation dans quelques recueils, soit encore aux initiatives du chanteur ou de l’arrangeur qui peuvent aller jusqu’à entraîner la conservation des seules notes pivots ».
Au fur et à mesure des époques, la mélodie du noël populaire va s’adapter au style musical du moment. De la même manière qu’au XVIIème siècle le chant grégorien (devenu « plain-chant » à partir du XIIIème siècle) se pare des ornements et cadences de la musique baroque30, les noëls populaires vont suivre pareil chemin. A partir de la Renaissance, avec l’emploi de plus en plus fréquent de la sensible31 et d’autres altérations, les mélodies modales évoluent vers la tonalité : on utilise des altérations accidentelles et des modifications de cadence. On modifie par endroit le rythme et / ou le tempo des mélodies, on pratique le monnayage32 des valeurs. Si les paroles sont modifiées, on va également modifier la mélodie en ajoutant ou supprimant des notes.
« Par rapport à l’ancien texte, en cas d’irrégularité dans la prosodie des différentes strophes, on procède à des répétitions ou à des réunions de notes ou encore à des ajouts quand le texte est plus long. Ainsi, la musique doit prévaloir dans l’adaptation des paroles au timbre : elle soutient le mot, elle guide les paroles. Le respect du modèle musical s’impose dans les rapports texte-musique. »33
Les mélodies des noëls ne sont en général pas des compositions originales. On utilise le procédé de la parodie, déjà présent à la Renaissance avec les « messes parodies ». Il s’agit de réutiliser une mélodie existante et d’y placer un texte nouveau. Autrement dit, c’est l’adaptation d’une œuvre musicale préexistante pour une autre utilisation. Voici ce que nous dit Lucie Jacquin dans son mémoire sur les noëls bourguignons de Bernard de La Monnoye (1700) : « En ce qui concerne les « noëls nouveaux », les reprises mélodiques sont d’origines plus variées et sont de moins en moins issues du répertoire liturgique. Certains airs de noëls sont issus de vaudevilles. Les vaudevilles sont originellement des chansons urbaines (c’est du moins l’hypothèse la plus probable. Une autre hypothèse voudrait que ces chansons soient issues du Val de Vire en Normandie). Avec le temps, elles deviennent de plus en plus populaires et leur contenu est de plus en plus satirique. Musicalement, elles n’adoptent pas la polyphonie savante mais plutôt l’harmonisation verticale »

5. Poésie, genres et caractère des noëls populaires

Si comme nous venons de le voir, l’intérêt musical du noël est indéniable, son intérêt littéraire l’est encore plus. Sans les paroles, nos beaux noëls ne seraient que de belles mélodies vidées de leur substance. C’est pourquoi nous allons dans ce chapitre nous intéresser au texte. Là encore, il serait impossible de traiter de l’ensemble du répertoire tellement il est dense. Nous parlons volontiers de poésie du noël car c’est ainsi qu’il faut voir le sens de ces productions. Le but du noël c’est de raconter la Nativité et de dépeindre autour de cet événement majeur de la vie chrétienne, la vie des contemporains des époques où ils furent écrits, chantés et diffusés. Pour ce faire, le texte use très souvent des mêmes procédés que ceux de la poésie. Poésie champêtre, populaire, régionale ou provinciale, mais poésie quand même. Le noël populaire destiné à être chanté par le peuple, a été écrit par des lettrés : prêtres, robins, écrivains, poètes. On trouve dans un dictionnaire cette définition rapportée par Henri Bachelin34 : C’est le récit évangélique de la naissance du Messie, développé en un langage rimé ou rythmé, d’une simplicité toute rustique et avec tous les sentiments d’une foi naïve ». Ainsi, les termes rimé et rythmé nous renvoient de fait à la poésie. Il possède son caractère propre à tel terroir dont il est issu (Anjou, Quercy, Poitou, Bretagne, Provence) et se conforme au vocabulaire et aux usages des gens de ces pays.

L’hymne des Laudes de Noël « A solis ortus cardine » traduite en français et utilisée comme cantique de Noël

Si nombre de nos noëls ont un vocabulaire imagé, il faut savoir (et ceux qui ont étudié le répertoire des noëls l’affirment sans hésitations) que, ce qu’ils nous racontent est le reflet de la réalité de la vie d’autrefois. En cela, on peut dire que ces chansons de noël équivalent à notre presse locale d’aujourd’hui. La même situation se retrouve d’ailleurs dans la chanson populaire traditionnelle : on raconte en chantant des faits, des événements, des situations et les mœurs de la société rurale ou urbaine d’autrefois. Le noël populaire est ainsi le miroir de la société et nous informe sur les conditions de vie des gens de leur époque.
Cette situation se retrouve dans les noëls du XVème au XIXème siècle. La tournure poétique et le langage change, mais le but reste le même.

Qui d’entre nous entrant dans une église ou visitant un musée n’a jamais vu de vitraux ou de tableaux représentant la sainte famille, les bergers, les rois mages ou les gens du pays de Judée habillés en tenue de l’époque médiévale, de la Renaissance, ou du XVIIème ? Pour nos noëls populaires, le principe est le même : Les bergers, ce sont, dans chaque noël, les habitants d’une paroisse déterminée qui partent immanquablement pour une ville lointaine, distante « d’au moins quinze lieues », nous dit Henri Bachelin.
Dans son ouvrage « Les noëls en France au XVème et XVIème siècle », Pierre Rézeau nous montre comment le récit évangélique de la Nativité s’enracine spontanément dans des terroirs généralement bien identifiables par l’utilisation entre autres des toponymes familiers, que ce soit en Normandie, en Limousin, en Poitou ou dans la région lyonnaise35
.
Pour les auteurs de nos noëls populaires, non seulement les « acteurs » de la Nativité de l’an I s’habillent comme au Moyen-Âge ou comme à la Renaissance, mais la route de Bethléem passe forcément par les hameaux de notre France rurale. Une chose est à noter dans la production des noëls depuis le XVème siècle. Si la grande majorité d’entre eux évoquent exclusivement la naissance du Christ et l’adoration des Mages, certains noëls évoquent d’autres scènes pouvant se rattacher à la Nativité : fuite de la sainte Famille en Égypte, massacre des saints innocents. Certains noëls évoquent également l’ancien testament, depuis la faute de nos premiers parents (évocation du « fruit de vie » en opposition au fruit défendu mangé par Adam et Ève) jusqu’à l’Annonciation.
Le noël populaire a pu même « servir à tel autre but que celui dicté par la foi héritée du Moyen Age ». Il est lié à l’actualité du moment sur divers sujets : politique, religion, histoire, culture voire même économie. Ce qui permet à Martijn RUS de dire : « S’y retrouvent, par exemple, les effets des guerres de religion, le souffle de la Renaissance, les échos de la vie des privilégiés qui vivent à la cour du roi, et, inversement, des démunis qui souffrent des lourdes taxes qui leur sont imposées, ainsi que les convictions athéistes des suppôts de la Révolution. En sorte qu’il me semble permis de considérer le noël, tel noël, comme un miroir de la société, dans l’un ou l’autre de ses aspects, à un certain moment de son devenir »36.
Citons encore, Dom Guéranger qui, dans son « année liturgique » témoigne de ce que nous venons de dire au sujet du contenu littéraire des noëls: « Ces naïfs cantiques redisaient les fatigues de Marie et de Joseph parcourant les rue de Bethléem, alors qu’ils cherchaient en vain un gîte dans les hôtelleries de cette ville ingrate ; l’enfantement miraculeux de la Reine du ciel ; les charmes du Nouveau-Né, dans son humble berceau ; l’arrivée des bergers avec leurs présents rustiques et la foi simple de leurs cœurs. On s’animait en passant d’un Noël à l’autre ; tous soucis de la vie étaient suspendus, toute douleur était charmée, toute âme épanouie ».

5.1. Poésie et langage du noël populaire

Les noëls de jadis sont à leurs manières des témoins vivants de la manière dont on s’exprimait autrefois, et rendent hommage à la beauté de notre langue française. Car si nos dialectes, patois, ou langues régionales avec leur côté « rustique », y sont largement représentés, notre belle langue française si délicieuse et mignarde y a aussi sa place, notamment au XVIème siècle.
Du langage si délicat de l’amour courtois médiéval « Ô Mère demoiselle, priez le petit que toute querelle soit apaisée par lui »37 à ces interjections du même âge : « Oyez les anges, chanter les louanges du p’tit Noël », en passant par des diminutifs du XIIIème siècle « je me suis levé par un beau matinet que l’aube prenait son blanc mantelet, la poésie de Noël se pare sous la plume des lettrés de belles et charmantes tournures. Bien évidemment le mot Noël est traité avec un panel assez large de déclinaisons : Nouel,
Naulet, Nau, Naou etc. Je ne résiste pas à l’envie de vous citer encore quelques vers de ce noël du XVème siècle « Or nous dites, Marie » :

De povres pastoureaulx
Qui gardoient es montaignes
Leurs brebis et agneaulx :
Ceux-là m’ont visitée,
Par grant affection ;
Moult me fut agréable
Leur Visitation.

Ou bien encore ce noël Bourguignon de la fin du XVème siècle « Noël pour l’amour de Marie » :

Or, prions la Vierge Marie,
Que son fils veuille supplier,
Qu’il nous donne si belle vie,
Qu’en Paradis puissions entrer

Et pour conclure, cette si belle poésie pleine de tendresse envers la Sainte Vierge, extrait du noël « Salut Rose vermeille » dont on retrouve le timbre en Bretagne et dans le Bourbonnais :

Vous êtes l’excellence,
Et des vierge la fleur,
En vous est abondance
De grâce et de douceur,
Douce Pucelle,
De grâce et de douceur

Mais dans sa littérature le noël populaire est aussi riche de termes et d’expressions populaires tirées des patois et dialectes locaux, des noms de métiers, d’instruments anciens. Les prénoms aussi ont une saveur d’antan : Jacotin, Robin, Jeannot et son pendant féminin Jeannette, ou encore Guillot.

Notre propos aurait manqué d’objectivité si nous avions passé sous silence quelques textes dans lesquels le langage populaire se fait grossier ou grivois. Ainsi de ce noël38 qui fait dialoguer les bergers Rogelin, Ruben et Raguel dans un langage peu châtié :

« Que t’es-tu levé faire pastoureaulx à minuit ?
Qué rage as-tu à braire si fort Naulet, Naulet,
Es-tou pas accouché ta femme cette nuit ?
As-tu tué ta truie, ta truie ou ton goret ? » ;

« Et toy Ruben, ton chapperon affuble
Vent de l’aulnay souffle au cul de la bergiere ».

« Bergiere Rachel prens le si dancerons ung branle,
Mais garde sur la glace tomber, car il verglace » (…)

« Abas, debout, trop les jambes tu haulses,
Cache ton cul, car tu n’as point de chaulses ».

Noël extrait du recueil de 1653 d’Artus Aucousteau maître de chapelle de la Sainte Chapelle39

5.2. les différents genres de noëls

Varié dans sa musique, le noël populaire l’est aussi dans son genre. C’est précisément ce point que nous allons brièvement aborder maintenant.

En effet, en consultant les nombreuses bibles des noëls et autres recueils on arrive à mettre en évidence une certaine variété :

  • noëls ou pastorale dialogués (dialogue entre les bergers, entre St Joseph et la Sainte Vierge…),
  • noëls d’énumérations (cadeaux à l’Enfant-Jésus, instruments de musique, métiers),
  • noëls des auberges (lieux réels ou fictifs),
  • noëls des oiseaux (c’est d’ailleurs le titre d’un noël breton du pays gallo),
  • noëls satiriques (en vogue à la Cour au XVIIème ou XVIIIème siècle),
  • noëls défilés (procession des villageois au son des instruments, des corps de métiers, du clergé).
    Ainsi, à l’image de nos chansons populaires réparties selon leur genre : chant de marin, chant
    militaire, chant des métiers, chants satiriques, chant des paysans, chanson d’amour, chant de guerre,
    chanson paillarde…les noëls peuvent se ranger sous plusieurs vocables selon les idées qu’ils expriment, les
    gens qu’ils font parler, les objets, lieux ou attitudes qu’ils décrivent.

5.3. Le caractère des noëls populaires

En parfaite corrélation avec l’emploi du langage du pays ou de la province dont il est issu, le noël se pare du caractère propre aux habitants du lieu. Ainsi, le noël angevin est allègre car l’Anjou est le pays du rire franc et du parler gaulois, en Poitou, Vendée et Bretagne le noël se fait plus naïf et mélancolique, tandis que le noël limousin, savoyard ou auvergnat se fait plus rude et austère à l’image du climat et du tempérament montagnard ou des contrées profondes.

Comme le dit Henri Bachelin, dans nos noëls de France, « c’est l’âme populaire qu’on rejoint dans tous, geignarde et caustique, mélancolique et gaie, réaliste et enthousiaste, en un mot ; l’homme, mais des sphères inférieures et dépourvu de culture, donc, d’idées générales ».
En naissant dans une région donnée, et parfois en voyageant dans une autre par le biais de la tradition orale ou de l’échange des recueils, le noël grâce à une heureuse adaptation emprunte le caractère et l’allure du lieu dans lequel il tombe. C’est ce qui fait avec la musique, tout le charme de nos noëls provinciaux. Charme qui fait la fierté des populations locales jusqu’à virer parfois au chauvinisme (mais peut-on reprocher à quelqu’un d’aimer sa terre et ce qui fait son âme ?)


15. Lorsque l’on parle des chants de Noël on ne met pas de majuscule au mot noël. On dira « la fête de Noël » mais « un noël »
16. À la Révolution française on trouvera des noëls dont le sujet est profane, exaltant le peuple, dénonçant la monarchie etc
17. In litt. « Les noëls français » d’Henri Bachelin
18. On a aussi chanté des noëls dans les châteaux et riches demeures, mais les compositions diffèrent des noëls dits populaires.
19. Extrait de « Génie du Christianisme » 4ème partie, Livre I, chapitre III
20. Extrait de « l’année liturgique », le temps de Noël Tours 1880 6ème édition page 170
21. Un recueil noté signifie que ce recueil possède la partition de la mélodie
22. Extrait de « Mélodies et timbres des cantiques et des noëls populaires » de Monique Rollin (page 39 à 49)
23. Désigne une mélodie de plain-chant en valeurs longues, utilisée comme base pour l’écriture polyphonique.
24. Le système modal existe depuis l’Antiquité. Il repose sur la place des demi-tons au sein d’une échelle diatonique.
25. Extrait de « Mélodies et timbres des cantiques et des noëls populaires » de Monique Rollin. (Page 39 à 49)
26. Procédé utilisé dès le bas Moyen-Âge qui consiste à utiliser des formules mélodiques ou fragments mélodiques types.
27. Le terme clausule désigne une terminaison musicale dans une mélodie, soit en cours soit en fin de mélodie.
28. Il faut ici entendre le terme cadence au sens mélodique (formule finale d’une mélodie) et non au sens harmonique.
29. Par exemple avec la « musica ficta » qui consiste à jouer des altérations non écrites, à certaines notes d’une partition.
30. Voir les messes royales d’Henry Du Mont avec emploi de la sensible et des tremblements (ornement vocal).
31. La sensible est le 7ème degré d’une gamme, distant d’un demi-ton d’avec la tonique. Elle est la caractéristique du système tonal.
32. Substitution d’une durée longue à d’autres durées plus courtes. Utilisé dans l’écriture musicale au Moyen-Âge et à la Renaissance
33. Extrait de « Mélodies et timbres des cantiques et des noëls populaires » de Monique Rollin (page 39 à 49).
34. « Les noëls français » par Henri Bachelin page 79
35. Pierre Rézeau, « Les Noëls en France aux XVe et XVIe siècles ». Édition et analyse par Guillaume Berthon
36. « Le noël, miroir de la société du XVème au XIXème siècle » par Martijn RUS
37. Noël provençal « Une très Sainte Vierge » dont la mélodie est tirée d’une danse de la Renaissance
38. Aneau (1539), Chant pastoral, en forme de Dialogue, a trois bergiers, et une bergiere, contenant l’Annonciation de l’Ange p.3
39. Partition extraite du livre « Les noëls français » de Henri Bachelin page 40


Dans le prochain épisode de cette série, Louis-Maris Salaün nous fera revivre l’évolution des Noëls à travers l’histoire, du Moyen-Âge au XIXe siècle.

Keur Moussa et l’inculturation du chant liturgique

Keur Moussa est une abbaye bénédictine fondée dans les années 60 à Keur Moussa dans l’Ouest du Sénégal qui compte aujourd’hui une trentaine de moines. L’abbaye est reconnue principalement pour son chant et sa musique liturgiques qui s’inscrivent profondément dans le principe d’inculturation et pour sa revitalisation d’un instrument de la culture mandingue, la kora.

Habituellement le terme d’inculturation désigne la transmission du message kérygmatique en fonction de la culture du pays (par exemple saint Paul à l’Aéropage) mais le terme est de plus en plus couramment utilisé de manière analogique pour désigner l’adaptation de l’expression rituelle de la Foi, la liturgie.

Ce principe d’inculturation du chant est explicitement cité ainsi : « 6. Le chant et la musique requis par la réforme liturgique – il est bon de le souligner – doivent également répondre aux exigences légitimes de l’adaptation et de l’inculturation. Il est toutefois clair que toute innovation dans cette matière délicate doit respecter des critères précis, tels que la recherche d’expressions musicales qui répondent au besoin d’impliquer l’assemblée tout entière dans la célébration et qui évitent, dans le même temps, de céder à la légèreté et à la superficialité. »

Pourquoi prendre Keur Moussa pour exemple ? parce que notre foi et notre rite romain ne connaissent pas de frontières et nous y trouvons un parfait et rare exemple d’adaptation du trésor liturgique à la culture environnante. Et la question que j’aimerais que nous nous posions : en quoi la musique de Keur Moussa est-elle plus liturgique et mieux inculturée que nos cantiques contemporains ?
eh bien j’y vois trois raisons:

Tout d’abord le texte, les chants de Keur Moussa repose sur les Saintes Écritures, comme le chant grégorien, le chant de cette abbaye ne s’éloigne pas de la parole de Dieu, il s’y attache et y trouve un ancrage pour sa composition, il tire des paroles évangéliques sa force mélodique.

Saint Jean Paul II dit à ce propos : « 3. En diverses occasions, j’ai moi-même rappelé la fonction précieuse et la grande importance de la musique et du chant pour une participation plus active et intense aux célébrations liturgiques, et j’ai souligné la nécessité de « purifier le culte d’erreurs de style, de formes d’expression médiocres, de musiques et de textes plats, peu adaptés à la grandeur de l’acte que l’on célèbre » , pour assurer la dignité et la beauté des formes de la musique liturgique. »

La deuxième raison est sa proximité avec la manière de chanter le grégorien dans une partie de ses compositions (Keur Moussa est une fille de Solesmes, rappelons-le) cela en conformité avec l’enseignement récent de l’Eglise sur la musique sacrée.

Et la dernière raison, sa stricte inculturation, la musique de l’abbaye n’use d’aucun artifice moderne ou occidental pour être jouée, vous n’entendrez aucun synthétiseur, aucune guitare, uniquement les instruments que l’on retrouve dans la musique traditionnelle sub-saharienne. Le mélange surprenant mais intelligent du chant avec une rythmique propre à la culture de l’Afrique de l’Ouest est réussi car il correspond à un mode d’expression soit solennel, soit joyeux ou contemplatif et permet réellement d’entrer dans une attitude de prière qui sied à la liturgie.

Voici quelques exemples concrets et en premier une pièce de l’ordinaire, un Agnus Dei en langue wolof dont voici les paroles:

Mburtum Yalla mi di dindi baakari adduna,
yërëm nu
Mburtum Yalla mi di dindi baakari adduna,
yërëm nu
Mburtum Yalla mi di dindi baakari adduna,
may nu jamm

Un deuxième exemple avec un accompagnement instrumental :

Et un dernier exemple avec un accompagnement à la kora :

Si vous désirez approfondir vos connaissances à ce sujet, voici un court article écrit par le Père Olivier-Marie SARR osb : https://www.academia.edu/

Forme et fonction : pour réfléchir sur la musique liturgique

Les débats sur le groupe Facebook Esprit de la Liturgie tournent souvent autour de la musique liturgique, et c’est bien : la musique est un sujet de premier plan, spécialement car le chant est la manière naturelle dont le texte liturgique est prononcé, comme nous l’avons montré à de nombreuses reprises.

Le débat public sur la musique liturgique est pollué par une certaine confusion des termes, et je souhaite dans cet article poser un petit nombre de définitions qui font consensus parmi les musiciens de métier, et qui pourraient aider les amateurs, nullement empêchés d’exprimer leur opinion sur la musique liturgique, à l’articuler avec plus de précision.

Forme musicale

La forme musicale décrit l’organisation d’une pièce musicale au point de vue de ses parties dans le temps. La musique liturgique connaît plusieurs familles de formes musicales.

La forme in directum

L’ensemble du texte est donné d’une seule traite sur une mélodie qui lui appartient. Souvent, des motifs mélodiques sont répétés (on les appelle cadences, en grégorien), mais la mélodie n’est pas rigoureusement périodique à la manière dont le sont les couplets d’une chanson, par exemple.

Le Gloria in excelsis, la psalmodie sans antienne des Complies monastiques, le Te Deum des Matines ou de l’Office des Lectures, adoptent (habituellement) la forme in directum alternée.

Le Trait chanté en Carême avant l’Évangile, l’Exsultet et le Noveritis, ou encore toutes les lectures bibliques, Leçons, Prophéties, Épîtres et Évangiles, emploient le plus souvent la forme in directum non-alternée. Il y a bien sûr des exceptions, pour le chant de la Passion par exemple.

La forme métrique

L’ensemble du texte est donné d’une seule traite sur une mélodie qui revient régulièrement. Ceci nécessite que le texte soit divisé en parties de longueur égale (en nombre de syllabes) : ce sont les stiques. Le texte doit donc être en vers (ce qui n’oblige pas ces vers à rimer). C’est la forme qu’ont les hymnes grégoriennes employées dans l’office divin. Beaucoup de cantiques populaires adoptent cette forme, quand ils n’ont pas de refrain.

Les chorals de Bach et leurs traductions françaises emploient une forme métrique particulière dans laquelle chaque stique contient des subdivisions bien structurées : la forme choral.

La forme métrique peut être alternée entre les deux parties d’un chœur, ou bien chantée par tous. Il n’y a pas, à ma connaissance, de pièce en forme métrique qui soit soliste par nature.

La forme antiphonale

Des versets, qui ont tous la même mélodie, mais des longueurs variables ou identiques, alternent avec une antienne, qui a toujours la même mélodie et le même texte. L’antienne est chantée par un effectif plus large que les versets : par exemple, deux moitiés du chœur alternent les versets, et tous chantent l’antienne ; ou bien, la schola chante l’antienne, et un ou des solistes chantent les versets.

La forme antiphonale a de multiples variations en fonction de la fréquence de l’antienne. Elle peut revenir entre chaque verset (forme couplet-refrain), tous les deux versets (forme le plus fréquemment employée pour les psaumes d’introït et de communion, ainsi que pour le Magnificat aux vêpres solennelles si l’on prévoit que l’encensement dure très longtemps), seulement avant et après l’ensemble des versets (forme employée pour le chant des psaumes dans l’office divin), voire même seulement à la fin (forme anciennement employée dans l’office divin aux féries).

Ainsi, le psaume dit « responsorial » qu’on chante fréquemment dans la messe de Paul VI est en fait un psaume antiphonal dont l’antienne revient (le plus souvent) tous les deux versets.

Les cantiques populaires à couplet et refrain sont également en forme antiphonale avec antienne répétée à chaque verset ; mais on parle alors de forme couplet-refrain.

[Edit 10/01/2022 : il faut distinguer la forme antiphonale, qui est une caractéristique de la structure de la pièce, de l’antiphonie en tant que mode d’exécution : voir la partie suivante.]

La forme responsoriale

La forme responsoriale est analogue à la forme antiphonale, mais après une première exposition de l’antienne au début de la pièce, on ne répète pas systématiquement toute l’antienne, mais seulement sa deuxième moitié. On parle alors de réponse et non d’antienne (mais il y a des exceptions).

Cette forme existe surtout dans le chant grégorien (qui est un style musical, comme on le verra plus loin) et a été assez peu employée dans les pièces en langue vulgaire.

Si on note R1 et R2 les deux moitiés de la réponse, et V1, V2, etc. les versets ; et Dox la doxologie (Gloria Patri, etc.), les différents emplois de la forme responsoriale sont :

  • Le répons prolixe, à Matines, dans l’Office des Lectures, et aux premières Vêpres des fêtes dans les usages médiévaux : R1 R2 V1 R2, éventuellement R1 R2 V1 R2 Dox R2 si le texte comprend la doxologie.
  • Le répons bref, à Laudes et Vêpres dans le rite bénédictin et dans la Liturgie des Heures de Paul VI : R1 R2 R1 R2 V R2 Dox R1 R2 (la réponse est chantée deux fois au début).
  • L’invitatoire, au début du premier office de la journée : R1 R2 R1 R2 V1 R2 V2 R1 R2 V3 R2 … Dox R2 R1 R2, avec donc la réponse (qui, pour l’occasion, est désignée comme une antienne par les livres liturgiques) chantée deux fois au début, puis sa deuxième moitié après les versets impairs, et intégralement après les versets pairs, puis reprise une dernière fois à la fin.
  • Le graduel de la messe, dans les usages médiévaux et dans le rite de Paul VI, à la manière des répons prolixes.
  • Mille autres cas particuliers : par exemple, dans ce célèbre enregistrement, l’ensemble Organum chante le Salve Regina de manière responsoriale, avec des versets et une reprise à O clemens.

[Edit 10/01/2022 : il faut distinguer la forme responsoriale, qui est une caractéristique de la structure de la pièce, du chant responsorial en tant que mode d’exécution : voir la partie suivante.]

Autres formes particulières

Certaines formes sont plus spécifiques à un emploi donné : la simple réponse, constituée de deux phrases ayant des mélodies voisines (Dominus vobiscum / Et cum spiritu tuo), la forme litanique, où les mêmes invocations sont répétées plusieurs fois avec des variantes (Ora pro nobis, Orate pro nobis, Miserere nobis, Te rogamus audi nos en fonction de la phrase qui précède), la forme alléluiatique qui n’existe que pour l’alléluia, avec une structure A1 (l’incipit) A1 (reprise) A2 (le jubilus) V A1 A2, et enfin la forme imitation, dans laquelle la même mélodie est répétée deux fois avec des paroles différentes : A A B B C C D D : c’est la forme de la plupart des séquences.

Mode d’exécution

[Partie ajoutée le 10/01/2022.]

Le mode d’exécution caractérise la manière dont les parties d’une pièces sont réparties entre plusieurs groupes de chanteurs.

On peut distinguer, parmi d’autres, l’exécution soliste, à laquelle on peut rattacher, comme apparentée, l’exécution par un petit groupe de solistes ; le chant de foule dans lequel tous chantent l’intégralité de la pièce ; l’antiphonie dans laquelle deux groupes de chanteurs à peu près de même taille alternent le chant ; et l’exécution responsoriale dans laquelle deux groupes de chanteurs de tailles très différentes alternent le chant, par exemple un soliste et un chœur, ou bien un chœur et l’assemblée.

Le mode d’exécution est largement indépendant de la forme musicale : par exemple, le Gloria de la messe est en forme in directum (il n’a rien qui ressemble à un refrain, une réponse, une partie répétée) et exécuté de manière responsoriale entre schola et assemblée ; le graduel de la messe est en forme responsoriale et souvent exécuté de manière soliste (ou plutôt par un petit groupe) ; le Sanctus de la messe est tantôt exécuté comme chant de foule, tantôt exécuté de manière responsoriale quand la schola seule chante la phrase Benedictus qui venit in nomine Domini. Le Te Deum de l’office est en forme in directum mais chanté en antiphonie ; et enfin, pour citer les cas où les notions portant le même nom concordent, la psalmodie de l’office est de forme antiphonale et chantée en antiphonie, et les répons de l’office sont de forme responsoriale et chantés de manière responsoriale.

Genre musical

Le genre est une description de la substance musicale de la pièce. Dans la musique vocale, il dépend, pas uniquement, mais significativement, du texte.

On distingue ordinairement le genre profane et le genre sacré ; et à l’intérieur de ces genres, on distingue des sous-genres. Pour ce qui nous occupe, nous sommes évidemment dans le genre sacré, dans le sous-genre de la musique liturgique ; pour éviter d’avoir à parler en permanence de sous-sous-genre, il convient d’appeler simplement genres musicaux de la musique liturgique les notions suivantes : antienne, psaume, oraison, hymne, répons, lecture, litanie, alléluia, séquence, offertoire, sanctus. Je ne mentionne pas le kyrie et l’agnus, qui sont des litanies, ni le gloria et le credo, qui sont des hymnes en prose (au moins vu du musicologue), ni le graduel, qui est un répons, ni l’introït et la communion, qui sont des antiennes intercalées avec des psaumes ; mais par simplicité on peut également considérer ces notions comme des genres musicaux de la musique liturgique.

Il faut également mentionner le genre qui est de loin le plus fréquent : le cantique populaire ou pieux cantique, et regroupe toutes les pièces dont le texte n’est pas codifié par la liturgie.

Il faut mentionner en outre des genres ombrelles, suites de pièces appartenant de manière fixe à plusieurs genres liturgiques : le genre messe, qui comprend une pièce pour chaque partie de l’ordinaire de la messe, le genre requiem qui comprend une pièce pour chaque partie de l’ordinaire et du propre du la messe des défunts, et les genres correspondants pour les offices, notamment le genre vêpres, le plus souvent composé (quelques compositeurs ont également composé des matines).

Fonction liturgique

La fonction liturgique est la partie de la liturgie pour laquelle un chant d’un genre donné est effectivement employée.

Il est important de distinguer le genre musical de la fonction liturgique. Idéalement, il devrait y avoir correspondance, mais beaucoup de messes (le genre musical) sont faites pour être exécutées en concert et non à la messe (la fonction liturgique). Il n’est pas rare, par exemple, d’employer une hymne (le genre musical) en guise de chant de communion (la fonction liturgique), ou bien, dans l’office, un cantique populaire (le genre musical) en guise d’hymne (la fonction liturgique), pourquoi pas une séquence (ou prose) (le genre) à l’offertoire (la fonction) et ainsi de suite. Que ces pratiques soient légitimes ou non n’est pas le propos de cet article ; mais la distinction est essentielle pour savoir de quoi on parle.

Certaines fonctions à caractère péri-liturgique peuvent donc se voir attribuer légitimement des pièces de divers genres : ainsi le chant de sortie (fonction péri-liturgique) peut être un cantique populaire, une antienne (ce qu’est le Salve Regina) ou pourquoi pas une litanie (de Lorette, du Sacré-Cœur…), qui sont divers genres musicaux. Le motet d’exposition (fonction péri-liturgique lors d’un Salut au Saint-Sacrement) peut être de n’importe quel genre ou presque.

Style musical

Au sens strict, le style musical désigne l’époque et la zone de composition, rattachant une pièce musicale à un courant artistique. On distingue ainsi habituellement, dans l’aire culturelle occidentale, la musique médiévale, renaissance, baroque, classique, romantique, moderne et contemporaine.

Nous nous trouvons ici confrontés à une difficulté, car, si le grégorien relève de la musique médiévale, les compositions néo-grégoriennes appartiennent en un certain sens au chant grégorien, alors qu’elles datent des époques ultérieures. Il convient de les rattacher à un style grégorien puisque ce fut l’intention de leur compositeur.

En musique liturgique, les distinctions d’époque pour définir les styles sont plus généralement inefficaces. Si la musique baroque ou classique est immédiatement identifiable, le plain-chant, le faux-bourdon et l’organum sont à cheval du Moyen-Âge jusqu’à l’époque baroque.

Au sein de la musique liturgique contemporaine, on peut aussi distinguer des styles : polyphonie contemporaine souvent a capella, très travaillée harmoniquement, telle que popularisée en France par les DAC ; chanson pop, recouvrant l’essentiel des chants de l’Emmanuel ; pastiche byzantin avec Gouzes et ses imitateurs, et ainsi de suite.

L’excellence des formes

La perfection liturgique d’une pièce de musique demande qu’il y ait adéquation entre style, genre, fonction et forme : c’est ce que demandait, au fond, Saint Pie X dans Tra le sollecitudini : l’excellence des formes, la bonta’ delle forme, en latin bonitas formarum, dans laquelle toutes les dimensions de la musique sont ordonnées ensemble à la fonction liturgique, tout en possédant chacune leur perfection propre.

Ainsi le style grégorien n’est-il pas le seul autorisé dans la liturgie, mais il est toujours adapté et fait référence, les divers styles polyphoniques (renaissance, contemporain…) ayant une place mesurée, ainsi que le chant populaire.

Ainsi il convient que les fonctions processionnales (chant d’entrée et chant de communion) soient en forme antiphonale afin de faciliter l’adaptation de la longueur du chant à celle de l’action liturgique : imaginez choisir une longue pièce en forme in directum et devoir la couper en plein milieu par manque de temps ! De même, par respect pour une très ancienne coutume, il serait bon que les offertoires (le genre) adaptés en français soient en forme responsoriale, d’autant que le texte de leurs versets a souvent été écrit pour s’enchaîner avec la seconde partie de la réponse. Enfin, citons deux erreurs de forme omniprésentes dans les compositions contemporaines : le Gloria et le Sanctus doivent être composés in directum (alterné, pour le Gloria, et non-alterné, pour le Sanctus) et non, comme c’est fréquent, en forme couplet-refrain ou antiphonale avec la première phrase répétée à la fin.

En conclusion, il est clair que la tradition liturgique latine a attribué une forme et un genre à chaque action liturgique : ce n’est pas en vain. Les compositeurs contemporains qui souhaitent inscrire leur art dans la vénérable tradition de l’Église d’occident feraient bien de s’y conformer : cet article démontre qu’une contrainte de genre et de forme ne doit pas être confondue avec une contrainte de style, et que la liberté artistique des compositeurs n’est en rien brimée par les exigences de la liturgie.

Rencontres grégoriennes : le chant de l’avenir

Les amoureux du chant grégorien s’étaient donné rendez-vous le week-end des 16 et 17 octobre 2021 à Paray-le-Monial pour deux jours de conférences et de formation, rythmés par la messe et l’office divin. Reportage.

Samedi, entre Laudes et les ateliers pratiques
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

« Historique »

Le mot a été lâché par François Fierens, de la chorale Saint-Irénée à Bruxelles, et vétéran des journées grégoriennes qui ont émaillé de loin en loin ces deux dernières décennies, lors de sa conférence de clôture. Historique au premier chef par la diversité des traditions interprétatives parmi les organisateurs de l’événement, et par leur volonté d’étudier ensemble et surtout de chanter ensemble. Historique surtout par l’émergence, évidente, d’une jeune garde, la génération née dans les années 1990 et qui veut reprendre possession de son patrimoine spirituel – quoiqu’il s’agisse d’une toute petite partie de cette génération, même parmi les jeunes catholiques pratiquants : inutile de nous voiler la face.

Juchés sur les épaules de géants

La session a été encadrée par trois conférences — une au début, du R. P. Le Bourgeois, de l’abbaye de Triors, et deux à la fin, de Giedrius Gapsys, musicologue et professeur au CGP, et de François Fierens, que nous évoquions ci-dessus. Le propos commun de ces trois conférenciers fut, chacun à leur manière, de mettre en évidence les racines du chant grégorien et de ces Rencontres : racines spirituelles, dans la conférence du P. Le Bourgeois, conférence qui fera date par sa profondeur, et dont la réception ne se dispensera pas d’une publication in extenso que l’auteur de ces lignes appelle de ses vœux ; racines historiques, dans la conférence de G. Gapsys, qui brossa en une petite heure l’histoire de la transmission du chant, sa traditio, autrement dit la manière dont, à chaque génération, même pendant l’« éclipse » de la période baroque, se sont levés des ouvriers pour faire parvenir jusqu’à nous l’héritage musical du christianisme occidental ; racines contemporaines, enfin, quand F. Fierens a retracé la petite histoire de la difficile réappropriation de son propre chant par l’Église durant les dernières décennies.

Samedi, Laudes de la fête de sainte Marguerite-Marie Alacoque
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Une seule voix…

Une série d’ateliers pratique sur deux jours ont permis aux participants de se former dans les domaines de leur choix — et ce choix était difficile : ateliers d’interprétation pour tous niveaux, des débutants complets aux confirmés, traitant tous les genres de pièces du répertoire ; mais aussi chironomie, direction, sémiologie, étude du rythme des textes et de la modalité.

Les animateurs des ateliers étaient issus de diverses traditions interprétatives du chant grégorien, fait remarquable dans un milieu toujours tenté par l’entre-soi et l’esprit de clocher. Il ne fait pas de doute que c’est là l’une des grandes forces de cet événement, que ses organisateurs souhaitent voir devenir annuel : non seulement montrer que des fidèles de formations et de niveaux très différents peuvent chanter ensemble, mais plus profondément, montrer que le chant grégorien est porteur de sa propre unité, à cause de son enracinement cultuel, c’est à dire à cause de cet esprit de service divin dont il est comme imbibé ; on se prend à redire comme l’Apôtre :

Quand l’un de vous dit : « Moi, j’appartiens à Mocquereau », et un autre : « Moi, j’appartiens à Cardine », n’est-ce pas une façon d’agir tout humaine ? Mais qui sont-ils ? Des serviteurs qui ont agi selon les dons du Seigneur à chacun d’eux. Un tel a planté, un autre a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. Nous sommes des collaborateurs de Dieu, et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit.

1 Co 3 : 4-9, seuls les noms des protagonistes ont été modifiés

… et une seule âme

Bien sûr, l’unité du chant ne pouvait s’accomplir que dans la liturgie pour laquelle il est fait. Les offices furent chantés selon l’un ou l’autre usage du rite romain ; les deux messes (sainte Marguerite-Marie Alacoque, le samedi ; le 29e dimanche du temps ordinaire, le lendemain) furent célébrées selon l’usage réformé ; on ne peut que regretter les malheureuses circonstances qui ont empêché les participants de célébrer l’une des deux selon l’usage plus ancien. La polyphonie n’était nullement exclue de ces liturgies, et le chœur Lux Amoris nous a portés à la prière en exécutant avec délicatesse quelques pièces bien choisies ; on retient spécialement un merveilleux Ubi Caritas de facture contemporaine, à la communion.

Le chœur Lux Amoris / Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Les amateurs de belle paramentique l’ont compris en voyant les photos du début de cet article : si le son était de qualité, l’image n’avait pas à rougir. L’abbé Guillaume Antoine est à créditer pour l’impressionnante collection de chapes importées pour l’occasion du diocèse de Coutances.

Samedi, Laudes de la fête de sainte Marguerite-Marie Alacoque
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Au-delà des belles photos, c’est dans l’obscurité, au cœur de la nuit, à la lumière des bougies, que l’union des âmes fut la plus parfaite. Le chant intégral des Matines, long, physiquement exigeant, fut pour certains une découverte : c’est au prix de la fatigue et du renoncement que l’office de nuit offre ses trésors à qui veut bien les conquérir. Pour l’auteur de ces lignes, pourtant habitué, les matines de ce 21e dimanche après la Pentecôte restent un joyau de chant et d’âme, une prière d’une intensité et d’une pureté sans pareilles ; vraiment, il n’est pas vain, le sacrifice de louange de ceux qui « se lèvent au milieu de la nuit pour lui rendre grâce » (Ps. 118 : 62). J’offre au lecteur, « en tremblant, comme un mystère », un écho lointain et diminué de cette louange, avec le répons Duo Seraphim enregistré à cette occasion :

Cor ad cor loquitur

Ces rencontres étaient placées sous le patronage de saint John Henry Newman, qui avait pris pour devise : Cor ad cor loquitur, le cœur parle au cœur ; une citation de saint François de Sales, qui, si ce dernier l’entendait de la prédication, s’applique de manière saisissante au chant grégorien :

La forme, dit le philosophe, donne l’être et l’âme à la chose. Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n’est rien. Dites peu, et dites bien, c’est beaucoup. Il faut [chanter] affectionément et dévotement, simplement et candidement, et avec confiance ; le souverain artifice est de n’avoir point d’artifice. Il faut que nos paroles soient enflammées, non par des cris et actions démesurées, mais pas l’affection intérieure. Il faut qu’elles sortent du cœur plus que de la bouche : on a beau dire, le cœur parle au cœur, mais la bouche ne parle qu’aux oreilles.

Si saint François de Sales donnait à cette phrase un sens tout horizontal, y considérant la relation entre deux personnes humaines, saint John Henry Newman lui ajoutait un sens vertical : dans sa révélation, le cœur de Dieu parle au cœur de l’homme, et dans le culte divin, le cœur de l’homme parle au cœur de Dieu ; c’est ainsi que dans sa louange perpétuelle, l’Église rend à Dieu, par le chant grégorien, les trésors qu’Il lui a révélés dans l’Esprit.

2e vêpres du 21e dimanche après la Pentecôte
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Pourquoi chanter les textes liturgiques ?

Ceux qui ont fait l’expérience de se rendre à une Messe célébrée dans un rite oriental (catholique ou non) auront remarqué que la liturgie y est intégralement chantée. On chante même les lectures, c’est dire ! Or, nous voyons rarement ce genre de choses dans nos paroisses. C’est même plutôt le contraire : même à la Messe du dimanche, nous récitons, sans chant, le signe de croix, les lectures, le Credo, les intentions de la prière universelle, voire le Notre Père. Pourtant, il ne devrait pas en être ainsi ; et ce qui est de facto propre aux orientaux sur ce point précis était commun à toutes les Eglises apostoliques… donc aussi à l’Eglise d’Occident, l’Eglise de Rome.

Le texte qui va suivre a été écrit par M. Peter Kwasniewski, théologien américain et grand défenseur de la forme extraordinaire du rite romain. Dans cet article, publié sur le site américain « New Liturgical Movement » et traduit par nos soins, il défend l’usage du chant des textes de la liturgie à l’encontre de leur pure et simple récitation.

Avant de vous laisser découvrir sa prose, nous précisons que nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec tous les propos tenus par M. Kwasniewski. Celui-ci a notamment attaqué la forme ordinaire du rite romain d’une manière que nous ne partageons pas le moins du monde.

Enfin, selon l’usage d’un vénérable site internet, nous nous autorisons des commentaires [placés entre crochets et en rouge].

Et maintenant, passons à l’article proprement dit !

L’on constate que toutes les religions du monde comportent le chant de textes sacrés [C’est là un fait indubitable et pratiquement universel que toutes les religions comportent le chant de leurs textes sacrés]. Une convergence aussi surprenante indique qu’il y a une connexion naturelle entre le culte du divin et le chant des textes impliqués dans les rites, à savoir, une connexion basée sur la nature de l’homme, du chant et de la parole.

La philosophie du chant des textes religieux

Cette pratique universelle dérive d’un sens intuitif que l’on ne parle pas des saintes choses, et des saints sentiments qui vont avec, comme l’on parlerait de choses ordinaires de tous les jours, mais devraient être élevées à un niveau supérieur par une mélodieuse modulation – ou submergées dans le silence. Les rituels authentiques, par conséquent, tendent à alterner silences (soit pour la méditation, soit pendant une action symbolique) et chants (qui peuvent être ou non accompagnés de quelque autre action).

Les actes de culte public deviennent plus solennels, et leur contenu plus attirant et mémorable, par le chant du clergé, des chantres, du choeur et de l’assemblée. Plus encore, le contraste entre le chant (l’expression humaine à son plus haut degré) et le silence (une abstinence « apophatique » délibérée de discours) est encore plus éclatant que le contraste entre parler et ne pas parler. Le premier ressemble à la montée et à la descente des vagues de l’océan, quand le second ressemble davantage à une lampe que l’on allume et éteint.

La première fonction du discours parlé est discursive, visant à l’instruction, guidée « vers » un auditeur [d’où le fait qu’il est, évidemment, beaucoup plus convenable que le chant pour ce qui est des homélies], tandis que le chant, qui unit plus facilement et naturellement plusieurs chanteurs en un seul corps, est capable, en plus de porter du sens et des sentiments qui vont au-delà de ce que les mots peuvent dire, d’augmenter considérablement le pouvoir de pénétration des mots eux-mêmes. L’on trouve ceci spécialement dans les « mélismes » du chant, les longues élaborations mélodiques sur une seule syllabe qui donnent voix aux émotions et aspirations intérieures que les mots ne peuvent pleinement exprimer.

Personne n’a commenté avec plus de profondeur le pouvoir quasi-mystique qu’a le chant d’unir les chanteurs entre eux et le sujet avec l’objet que le philosophe de la musique Victor Zuckerkandl. Dans son livre Man the Musician (L’homme, ce musicien), publié aux Presses universitaires de Princeton, en 1973, il écrit :

La musique est appropriée, elle aide, là où l’abandon de soi est requis ou attendu – là où le moi va au-delà de lui-même, là où le sujet et l’objet se rassemblent. Les tons semblent être le pont qui rend possible, ou du moins plus facile, de passer la frontière qui les sépare (24-25).

La parole parlée présupppose « l’autre », la personne ou les personnes à qui la parole est adressée ; celui qui parle et celui à qui l’on parle sont tournés l’un vers l’autre ; la parole va de l’un à l’autre, créant une situation où les deux se font face comme des individus distincts, séparés. Partout où l’on parle, il y a un « lui, pas moi » d’une part, et son contraire, un « moi, pas lui » d’autre part. C’est pourquoi la parole n’est pas l’expression naturelle du groupe.

Le chant est l’expression naturelle et appropriée du groupe, de unité des individus dans le groupe. Si c’est le cas, nous devons supposer que les tons – le chant – expriment essentiellement non pas l’individu, mais le groupe ; plus précisément, ils expriment l’individu dans la mesure où il est membre du groupe ; plus précisément encore, dans la mesure où sa relation à autrui n’est pas une relation de « face à eux » mais bien d’unité (togetherness).

En effet, alors que les mots tournent les gens face à face, les font se regarder les uns les autres, les tons les font regarder dans la même direction : tous suivent les tons dans leur commencement et leur fin. Au moment où les tons résonnent, la situation où un camp faisait face à l’autre se transforme en une situation d’unité, les individus pluriels et distincts en un seul groupe.

Et enfin :

Si les paroles ne sont pas simplement parlées mais chantées, elles bâtissent un pont vivant qui les lie aux choses auxquelles les mots réfèrrent, qui transforme la distinction et la séparation en unité. Par le moyen des tons, l’orateur va chercher les choses, les ramène avec lui, en lui-même, afin qu’elles ne soient plus « autres », quelque chose qui lui serait étranger, mais que l’autre chose et lui-même soient un.

Le chanteur demeure ce qu’il est, mais son être est élargi, son espace vital est étendu : en étant ce qu’il est, il peut maintenant, sans perdre son indentité, être ce qu’il n’est pas ; et l’autre chose, tout en étant ce qu’elle est peut, sans perdre son indentité, être avec le chanteur (29-30).

Au final, tout revient à cela : nous chantons quand nous sommes en accord, ou voulons l’être, avec notre activité ou l’objet de notre activité. Ceci est vrai lorsque nous sommes amoureux d’une autre personne. Cela est vrai par-dessus tout lorsque nous sommes amoureux de Dieu. Ceci est l’origine de la musique incomparablement belle de la tradition catholique. Saint Augustin dit : « Seul l’amant chante ». Nous chantons… nous chuchotons… et nous faisons silence.

Au cours de cette discussion, Zuckerkandl fait une remarque qui me rappelle douloureusement les années où j’ai grandi avec le Novus Ordo, avec des assemblées qui récitaient ensemble le Gloria et le « Saint, Saint, Saint ».

Peut-on imaginer que des gens viennent ensemble pour réciter des chants ? On le peut, mais seulement comme possibilité logique ; dans la vraie vie, cela serait absurde. Cela reviendrait à transformer quelque chose de naturel en quelque chose de tout à fait anormal, contre nature (25).

À la Messe basse, la récitation des textes qui sont normalement chantés ne « fonctionne » que parce que le prêtre dit seul les textes, et le fait à l’autel, ad orientem [1]. Il n’adresse les paroles du chant à personne, sinon à Dieu. Elles acquièrent ainsi une sorte de statut rituel comparable à celui du Canon récité. La récitation de textes chantés n’est pas liturgiquement idéale ; cette forme de Messe s’est développée pour la dévotion personnelle du prêtre célébrant à un autel latéral avec un clerc. Néanmoins, tout le monde devrait trouver étrange d’avoir une grande église bien remplie et de réciter alors les chants au lieu de les chanter. Mais nous pouvons laisser ce point-ci de côté pour l’instant, puisque j’en ai déjà parlé ailleurs.

[C’est un point sur lequel nous nous séparons de M. Kwasniewski. Le fait est que l’assemblée, même à la Messe basse selon la FE, répond au prêtre, ne serait-ce qu’en disant « Et cum spiritu tuo ». Aussi ce point-ci nous semble-t-il être un assaut injustifiée contre la FO, qui se retourne d’ailleurs contre lui-même.]

Raisons pratiques en faveur du chant

Le chant a aussi pour lui des raisons pratiques. Comme l’expérience le montre, des textes qui sont chantés ou psalmodiés (sung or chanted) avec une élocution correcte sont ouïs avec plus de clarté et de force dans une grande assemblée que des textes lus ou même criés. La musique a une manière de porter les mots et de leur faire pénétrer les oreilles et les âmes de ses auditeurs. Aux temps anciens, la poésie épique et lyrique, et même certaines parties des discours politiques, étaient chantés pour cette même raison.

L’amplification électrique n’était pas nécessaire lorsque les architectes tentaient de bâtir des espaces qui résonnaient convenablement et les ministres liturgiques apprenaient à chanter. Une église bien bâtie avec des chanteurs (singers) bien entrainés n’a aucunement besoin d’amplification artificielle. Plus encore, tout dans la liturgie n’a pas à être entendu, contrairement à ce que dit l’une des hypothèses clés derrière la « dégérénovation » (wreckovation) de nos rites [On l’a dit, M. Kwasniewski n’aime pas la FO ; on l’a également dit, nous ne partageons pas ce point de vue].

Difficile d’imaginer un aéroport moderne s’en sortir sans speakers pour ses annonces. C’est par contre une tragédie que les mêmes types de de production sonore techniques, pragmatiques, impersonnels et déconcentrés envahissent les églises. Dans une église, le micro tue l’intimité, l’humilité, la localité et la directivité de la voix humaine. La nouvelle voix devient une sorte de géant sans lieu (placeless giant), un « Big Brother » plus grand que nature, venant de partout et de nulle part, dominant et soumettant l’auditeur. Mettre des micros et des speakers dans une église n’accélère pas un processus naturel : il le renverse. Il n’y a pas de continuum entre la voix non-aidée et la voix artificiellement amplifiée : ce sont deux phénomènes différents, avec des phénoménologies radicalement différentes. Quand les textes rituels sont ornés d’une musique appropriée, leur message en est « porté » tant physiquement que spirituellement.

Le chant grégorien comme idéal du texte chanté

Les huit caractéristiques du chant grégorien sont :

  • la primauté de la parole ;
  • un rythme libre ;
  • le chant à l’unisson ;
  • une vocalisation sans accompagnements ;
  • la modalité ;
  • l’anonymat ;
  • la modération émotionnelle ;
  • une sacralité sans ambiguité.

(J’ai parlé de tout ceci en détails ici).

Ces caractéristiques, prises ensemble, montrent que le plain-chant n’est pas seulement un peu différent des autres types de musique vocale, mais radicalement et profondément différent [2]. Il est une musique liturgique de part en part, n’existant que pour le culte divin, parfaitement adapté à sa nature verbale et sacrée et bien adapté pour aider les fidèles qui l’associent avec ce culte et le trouvent aussi beau qu’étrange, comme L’est Dieu Lui-même.

Nous voyons mieux maintenant pourquoi le plain-chant est fait partie intégrante et nécessaire de la liturgie solennelle, pourquoi il donne une forme plus noble à la célébration et pourquoi il est spécialement adapté au rite romain et mérite la première place en son sein – tout ceci fut affirmé sans ambiguité dans Sacrosanctum Concilium.

Quand il est accompli de manière édifiante, le plain-chant, de lui-même, « s’accorde à l’esprit de l’action liturgique », ce qui ne peut être affirmé de tout autre morceau de musique. En d’autres termes, le plain-chant fournit la définition même de ce que signifie « s’accorder à l’esprit de l’action liturgique », et les autres œuvres musicales doivent être évalués, pour ainsi dire, par ce critère suprême – comme l’avait dit le pape Pie X dans son motu proprio Tra le sollecitudini : « on peut établir à bon droit la règle générale suivante : Une composition musicale ecclésiastique est d’autant plus sacrée et liturgique que, par l’allure, par l’inspiration et par le goût, elle se rapproche davantage de la mélodie grégorienne, et elle est d’autant moins digne de l’Église qu’elle s’écarte davantage de ce suprême modèle ».

___________________

Notes de l’auteur :

[1] Ceci est devenu mon objection principale à la Messe dialoguée, au moins en tant qu’elle demande la récitation de textes qui normalement devraient être chantés.

[2] On a souvent été remarqué que le lien puissant entre le chant et le catholicisme a été bien exploité par les réalisateurs de Hollywood qui, à chaque fois qu’ils veulent évoquer une « atmosphère catholique » s’assurent d’avoir quelque pièce de plain-chant flottant en arrière-plan. Si seulement le clergé d’aujourd’hui avait la moitié de ce « sens des affaires » !

*

* *

[Ainsi s’achève l’article de M. Kwasniewski. Nous l’avons dit, nous ne partageons pas tout ce qu’il professe, y compris dans cet article ; mais nous devons reconnaître qu’il fait d’excellentes remarques, surtout quant à la signification profonde du chant liturgique et à l’exemplarité du chant grégorien pour toute la musique liturgique, au moins dans le rite romain.

Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !]

Chantez votre mot d’accueil avec les tropes d’introït

1. Un peu d’histoire

1.1 Qu’est-ce qu’un trope ?

Honegger, dans son Dictionnaire de la Musique, donne la définition la plus générale du trope latin et sans doute la meilleure : « Le trope est un développement musical et littéraire d’une pièce de chant liturgique ». Il s’agit donc d’une pièce para-liturgique, comme le sont par exemple les cantiques, que notre confrère Isidore de Kiev a su si bien défendre dans l’article de ce blog qui leur est consacré : nous y reviendrons. Mais ce qui caractérise les tropes est le lien intime, textuel comme musical, avec une pièce de l’ordinaire ou du propre.

1.2. Deux typologies

Les musicologues distinguent volontiers les tropes logogènes, où le texte est premier et la mélodie composée pour le texte ; mélogènes, où le texte est composé pour s’adapter à une mélodie préexistante ; et méloforme, développement purement musical sans ajout de texte. Les jubilus primitifs étaient des tropes méloformes : certains sont passés dans les livres liturgiques, ce sont ces longues phrases sans paroles qui ponctuent les Alléluias grégoriens ; les autres sont tombés hors d’usage.

Les liturges vont peut-être préférer une autre typologie :

  • Tropes d’adaptation, qui reprennent une mélodie mélismatique1 préexistante en y adaptant des paroles nouvellement composées : c’est le cas de tous les tropes de Kyrie (Orbis Factor, Cunctipotens Genitor, etc.), et de certaines séquences qui utilisent la mélodie de l’Alléluia qui les précède, comme le Veni Sancte Spiritus.
  • Tropes de développement, qui ont pour fonction essentielle d’allonger la musique d’une pièce aux dimensions de l’action liturgique. On peut ranger dans cette catégorie les versets d’offertoire, sauf si on considère qu’ils font partie de la pièce elle-même (l’auteur ne prendra pas position).
  • Tropes d’interpolation ou d’encadrement, courtes gloses qui méditent sur le texte d’une pièce ou bien l’expliquent à l’assemblée, en s’insérant entre deux phrases du texte (interpolation) ou bien en l’introduisant ou en le concluant (encadrement). C’est à cette catégorie qu’appartiennent la plupart des tropes d’introït, et c’est ceux-là que nous allons examiner ici.
Exemple de trope d’adaptation mélogène : le Cunctipotens genitor Deus, sur l’air du Kyrie IV
(transcrit du Graduel de Fontevraud par l’auteur)

1 On appelle mélisme une suite de notes chantées sur la même syllabe. On parle alors de style mélismatique, par opposition au style syllabique. Par exemple, les Kyrie sont mélismatiques, les Credo sont principalement syllabiques.

1.3. Vie et mort des tropes

Les tropes sont souvent présentés à tort comme un développement tardif qui a accompagné la dégénérescence du chant grégorien aux 14e et 15e siècles. C’est tout à fait faux : s’ils n’ont pas l’antiquité du chant grégorien lui-même, les manuscrits les plus anciens que nous possédons incluent de nombreux tropes de tous les genres.

Le propre du temps était déjà presque stabilisé dès le milieu du 9e siècle par les efforts de normalisation de Charlemagne. La créativité humaine ayant horreur de l’immobilisme, il est facile d’imaginer qu’une fois le propre gravé dans le marbre les compositeurs ont tout de suite commencé à le développer par des textes et des mélodies nouvelles.

À partir de la fin du 12e siècle, les tropes d’introït vont muter vers une nouvelle forme musicale : le conduit (conductus), dont le nom vient de ce qu’il est destiné à accompagner la procession d’entrée. Il s’agit d’un chant de marche, mesuré, qui tranche avec le rythme très libre et psalmodique des tropes d’introït du haut moyen-âge. Dès cette époque, le lien entre conductus et l’introït qu’il accompagne ou introduit, devient de plus en plus lâche ; en définitive, le conduit deviendra le motet de procession, encore souvent basé sur la mélodie grégorienne. Puis, le motet, de plus en plus complexe et difficile d’exécution, deviendra cantique populaire là où le chœur n’est pas assez expert pour le chanter. C’est à ce stade que le lien avec le répertoire grégorien sera tout à fait perdu.

2. À quoi ressemble un trope d’introït ?

L’œuvre de restauration des tropes à partir des manuscrits grégoriens n’est qu’à peine commencée : le plus bel effort dans ce domaine jusqu’ici a été le travail de Ferdinand Haberl (1906-1985), président de l’institut pontifical de musique sacrée de 1970 à 1981. Son recueil de 86 tropes d’introït, toujours disponible chez ACV Deutschland (6€ + 4€ de port), rassemble les pièces les plus remarquables de ce genre oublié. En voici quelques-unes.

2.1. Oyez, oyez, braves gens !

L’une des fonctions du trope d’introït médiéval est clairement d’obtenir un peu de silence de la part de l’assemblée et de signaler, la cloche étant peut-être insuffisante, le début de la procession d’entrée. Dans la plupart des cas, cette fonction est combinée avec une explication relativement simple de la fête du jour :

(trope) Aujourd’hui, l’Esprit Saint descend sur les apôtres et remplit toute la terre.
(trope) Oyez, oyez ! Chantres, dites-leur !
(ant) L’Esprit du Seigneur remplit le globe de la terre, alléluia.
(trope) Aujourd’hui, l’Esprit Défenseur remplit toute cette maison de son feu divin !
(ant) Et lui qui contient toutes choses, connait toute parole.
(trope) Rendons donc grâces à la sainte Trinité, à l’unique Majesté :
(ant) Alléluia, alléluia, alléluia.

Trope Hodie Spiritus Sanctus de l’introït Spiritus Domini de la Pentecôte
Début du trope Hodie Spiritus Sanctus

2.2. Une méditation chantée

De nombreux tropes forment également une méditation-commentaire d’une grande profondeur, sur les paroles de l’introït lui-même, parfois en s’insérant dans la phrase grammaticale sans jamais en modifier le sens réel. En voici un exemple traduit par l’auteur :

(trope) Époux de l’Église, lumière des nations, qui a consacré le baptême et qui sauves toute la terre :
(ant) Voici qu’il vient,
(trope) Jésus, dont les rois des nations viennent s’enquérir à Jérusalem chargés de dons mystiques, demandant où est celui qui est né,
(ant) Le Seigneur souverain.
(trope) Nous aussi, nous avons vu l’étoile : nous aussi, nous savons bien que le Roi des rois est né !
(ant) La royauté est dans sa main,
(trope) À lui seul nous rendons l’honneur, la gloire, la louange et le triomphe,
(ant) Et la puissance, et la souveraineté.

Trope Ecclesiæ sponsus de l’introït Ecce advenit de l’Épiphanie.
Début du trope Ecclesiæ sponsus

2.3. Une invitation aux fidèles ?

La plupart des tropes s’adressent implicitement à l’assemblée, en appelant son attention (Eia ! Eia !), en lui posant une question rhétorique :

Qui cherchez-vous dans la mangeoire, dites-nous, bergers ? Le Sauveur, le Christ, le Seigneur, comme nous l’a dit l’ange.

Trope Quem quæritis de l’introït Puer natus est du jour de Noël

Ils s’y adressent quelquefois explicitement, y compris pour inviter la foule à se joindre au chant du chœur pour les parties les plus connues de l’introït. À Pâques, par exemple, le trope Resurrexit Dominus et l’antienne d’introït sont entremêlés, et en voici la fin :

(ant) Je suis ressuscité, et je suis toujours avec toi, alléluia, […]
(ant) Ta sagesse s’est montrée admirable, alléluia,
(trope) Chantons tous, clercs comme laïcs, celui à qui sont louange, honneur et force,
(trope) Au Seigneur ressuscité sur son trône céleste, avec le peuple des fidèles :
(ant) Alléluia, alléluia.

(ant) Resurrexi et adhuc tecum sum, alleluia […]
(ant) Mirabilis facta est scientia tua, alleluia
(tropus) Decantemus omnes, clerus atque vulgus, quem laus decet, honor, virtus,
(tropus) Resurgenti Domino cum fideli populo in excelso solio :
(ant) Alleluia, alleluia.

2.4. Un peu de pub pour la schola

Le plus célèbre des tropes d’introït reste le Gregorius præsul, qui a même l’honneur d’une page Wikipédia. Chanté le premier dimanche de l’avent en introduction de l’introït Ad te levavi, il est exceptionnel en ceci qu’il ne commente pas la fête du jour ou le texte de l’introït, mais parle de l’introït lui-même en tant que pièce musicale, et de tout le Graduel en tant que livre liturgique. On pourrait donc l’appeler un méta-trope.

Grégoire évêque […] rénova l’œuvre des Pères
et composa donc ce recueil d’art musical
à l’usage des scholæ cantorum au long de l’année.
Oyez ! Choristes, chantez avec le psalmiste : Ad te levavi…

Gregorius præsul [..] renovavit monumenta patrum priorum,
Tunc composuit hunc libellum musicæ artis
Scholæ cantorum anni circuli
Eia, paraphonista, dic cum psalmista : Ad te levavi…

La Schola Metensis en a enregistré une variante qu’on peut écouter sur cette page. En voici la partition issue du Graduel de Gaillac, avec la superbe lettrine du Ad te levavi qui le suit :

Peut-on y voir une manière pour la schola d’expliquer ses outils, son rôle et son travail à l’assemblée des fidèles ? L’auteur n’en doute pas.

3. Chanter un trope d’introït au 21e siècle ?

On a déjà écrit que parmi les très (trop ?) nombreuses portes ouvertes par le missel de 1969, on trouvait, dans la troisième forme de la préparation pénitentielle, la possibilité de chanter les antiques tropes de Kyrie ; de même, la permission donnée à l’introduction d’une brève monition au début de la Messe constitue une porte ouverte à l’emploi des tropes d’introït. Nous allons voir comment.

3.1. Dans la forme extraordinaire

Les rubriques du missel de 1962 ne mentionnent pas les tropes d’introït et, d’ailleurs, insistent sur le fait qu’il faut chanter l’introït qui se trouve dans le graduel romain, c’est à dire sans tropes. Cependant, là où un équilibre s’est créé entre fidélité à l’esprit de la liturgie et souplesse vis-à-vis des rubriques, on les chante de temps à autre : par exemple le trope Audite Insulæ pour la nativité de Saint Jean-Baptiste, à Saint-Eugène (Paris). Cela reste contra legem, diront les tridentinistes : tant pis pour eux.

Le choix fait dans cet exemple est de placer la schola dans la procession d’entrée, avec le tropiste en dernier (pour l’occasion confondu avec le chef de chœur). Ce choix a l’avantage d’illustrer le caractère processional du trope d’introït ; il a l’inconvénient de ne pas s’adresser à l’assemblée. En effet, dans le texte du trope comme dans celui de l’introït avec lequel il est entremêlé, c’est Jean Baptiste qui parle aux païens ; la schola tient le rôle de Jean Baptiste, il est assez logique qu’elle s’adresse à l’assemblée aussi bien qu’à Dieu (qui est le premier et principal auditoire, rappelons-le, de toute musique liturgique).

Écoutez, îles de la mer, soyez attentifs, tous les peuples : de loin le Seigneur m’a appelé, dès le ventre de ma mère le Seigneur a appelé mon nom.

Audite, insulæ, et attendite, populi : de longe Dominus ab utero vocabit me, de ventre matris meæ vocabit Dominus nomine meo.

L’aspersion dominicale relègue par contre le trope d’introït, qui ne peut être employé que comme processionnal, aux fêtes hors du dimanche, à moins d’organiser une deuxième procession d’entrée entre l’aspersion et le début de la messe, ce qui ne serait pas sans fondement.

3.2. Dans la forme ordinaire, à l’ancienne

La forme ordinaire fait les provisions rubricales nécessaires pour que le trope d’introït y soit tout à fait licite. La manière de le chanter est la suivante : on commence à chanter dès le début de la procession d’entrée, en chantant le trope et l’antienne d’entrée tels qu’ils sont imbriqués ensemble ; puis on chante le verset, puis on répète l’antienne seule. Si les encensements durent, on continue comme pour toute Messe (vraiment) chantée, en prenant d’autres versets ou un Gloria Patri et en reprenant l’antienne seule. Dans tous les cas, le trope n’est chanté qu’une fois.

Il importe de faire figurer le texte du chant, complètement développé (antienne tropée, verset, antienne non tropée) sur la feuille de Messe, afin de ne pas donner aux fidèles un sentiment de dépossession qui les ferait sortir d’une attitude de participation intérieure au chant de la schola. Ceci présente une difficulté là où le grégorien est si bien ancré, que tous les fidèles ont un missel grégorien et que l’édition de feuilles de Messe est superflue. Il semble clair qu’en 2020, ces endroits sont rares.

Les tropistes devraient, au contraire du chantre, faire face à l’assemblée, à laquelle ils s’adressent explicitement. Les soli étant, en liturgie, idéalement réservés au prêtre, il est bon que les tropistes soient deux ou trois, pas plus, le service du texte du trope nécessitant une certaine rapidité d’exécution peu compatible avec un chœur nombreux. Ils doivent être en tous cas beaucoup moins nombreux que la schola : si on n’a que quatre ou cinq choristes, le tropiste devra être seul. Il importe également que le tropiste soit physiquement distinct de la schola, et même idéalement hors du sanctuaire, afin d’illustrer son rôle para-liturgique et non liturgique. À ce titre, les pupitres d’animateur, délaissés par toutes les bonnes scholas, pourront retrouver une utilité. Il est tout à fait exclu que le tropiste chante depuis l’ambon.

3.3. Comme un mot d’accueil chanté ?

Pour éviter d’avoir à imprimer des feuilles, une solution facile est de plutôt chanter le trope en français. Dans cette option, deux problèmes se posent :

Premièrement, l’alternance entre français et latin au sein de l’introït (étant entendu que l’introït reste en latin ; je ne développe pas le cas de l’introït français, aujourd’hui pratiquement inexistant). Cette alternance est de nature à étonner les fidèles et nuit à la compréhension d’ensemble du texte.

Deuxièmement, l’adaptation nécessaire à la mélodie grégorienne : on risque de devoir faire un choix impossible entre musicalité du trope et qualité de la traduction.

Aussi, si on choisit la voie des tropes en français, le chemin le plus sûr est probablement d’adapter le trope pour lui donner la forme du Gregorius præsul évoqué plus haut : celle, non d’un trope intercalaire, mais d’une introduction chantée, sur le mode grégorien de l’introït qui va suivre immédiatement. On se rapproche alors nettement de la fonction para-liturgique du mot d’accueil (à laquelle, comme on l’a vu, les tropes d’introït antiques ne sont pas étrangers). L’introduction à l’introït en français ne présente que des avantages par rapport au sempiternel mot d’accueil :

  • Elle n’est pas improvisée mais doit être fixée par écrit, ce qui en augmentera mécaniquement la qualité textuelle dans des proportions dramatiques.
  • Elle ne met pas en avant la personne du célébrant puisqu’elle est donnée par un groupe de chanteurs anonymes.
  • Elle supprime le caractère mondain et interpersonnel du mot d’accueil (que ceci soit un avantage sera probablement débattu : l’auteur tient ferme sa position).
  • Elle est chantée, et chantée sur le ton de l’introït qui suit, ce qui la connecte efficacement à l’action liturgique à laquelle elle est subordonnée.

Curés de tous les pays, cessez d’improviser votre mot d’accueil : vous n’êtes pas des comédiens de one-man-show et vos paroissiens ne seront ni plus ni moins vos amis parce que vous ne leur aurez pas souhaité la bienvenue entre le signe de croix et le Confiteor. Rédigez deux phrases sur le saint du jour ou sur les lectures du dimanche, et confiez-les à votre chantre favori pour qu’il les chante sur le ton de l’introït. Et naturellement, si votre paroisse ne chante pas déjà l’introït, il est temps de vous y mettre par la même occasion.

Chanter à la Messe ou chanter la Messe ? Partie II

Dans la première partie, nous avons proposé quelques ressources pour apprendre à chanter le propre de la Messe, à savoir les antiennes d’entrée, d’offertoire et de communion (plus éventuellement le répons graduel et l’Alléluia), avec leurs versets tirés des psaumes.

Nous étions cependant resté en suspens sur une question primordiale : que faire des cantiques ? Si on chante le propre, cela veut-il dire qu’on ne chantera plus de cantiques ?

Précisons les termes de notre question. Le propre de la Messe inclut les antiennes présentées ci-dessus, qui sont proposées dans le Graduale Romanum (avec une variation possible pour les chants entre les lectures, que l’on peut prendre au graduel ou au lectionnaire). Dans la majorité des paroisses, ces chants ont disparus, au profit des cantiques ; nous entendons par « cantiques » ces chants extra-liturgiques, souvent en langue vulgaire, chantés au cours de la liturgie (Messe ou office divin).

Vous ne voyez pas de quoi on parle ? Bon. Vous voyez les chants des « carnets verts » de la communauté de l’Emmanuel ? Eh bien voilà, ce sont des cantiques.

Bref. Maintenant, vous voyez de quoi il s’agit. La question est : que faut-il en faire, de ces fameux cantiques ? C’est ce que nous allons voir en examinant leur légitimité dans un premier temps, leur choix dans un second temps.

1. Lâcher les cantiques ?

Si l’on chante le propre, faut-il laisser de côté les cantiques ? C’est une solution envisageable en certains lieux, et tout à fait justifiée, car ils n’ont rien d’obligatoire, ils viennent comme « par surcroît », en plus des chants qui accompagnent le rite. Ainsi, le seul « chant d’entrée » traditionnellement prévu par la liturgie est l’antienne d’introït, avec ses versets, l’antienne étant reprise entre chaque verset. Nous recommandons d’ailleurs la lecture de cet article (en anglais) où l’auteur décrit une Messe célébrée sans cantiques (selon le nouveau missel!) à laquelle il assista en la cathédrale Saint-Marc, à Venise.

Cela dit, trois arguments de poids plaident en faveur de leur maintien.

Premièrement, un simple constat : les cantiques, dans les paroisses, sont aujourd’hui une réalité. Il ne sert à rien de prétendre qu’ils n’existent pas, de faire comme s’ils étaient une illusion d’optique. En un mot, ils sont là ; et l’étant depuis longtemps, ils ne vont pas disparaître de sitôt.

Deuxièmement, le concile Vatican II nous demande de favoriser « les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré. » (Sacrosanctum Concilium, 30, c’est nous qui surlignons). Le mandat de l’Eglise est formel : les cantiques doivent être non seulement conservés, mais favorisés, dans la mesure où ils permettent aux fidèles de joindre leurs voix à celle de la schola, ce qui est plus difficile à faire pour les chants du propre ; plus encore, ces chants, le plus souvent composés en langue vulgaire, permettent de maintenir un équilibre entre celle-ci et la langue latine lorsque le propre est chanté en latin (ce que l’on souhaite au plus grand nombre).

Ce qui nous mène à notre troisième point : chaque pays catholique dispose d’une pléthore de cantiques composés au fil des siècles. Qu’on le veuille ou non, ils ont pénétré la piété et la spiritualité des peuples qui les ont vu naître. Et si l’on trouve parmi eux nombre d’œuvres médiocres (et plus encore aujourd’hui), certains peuvent être vus comme de vrais joyaux méritant d’être préservés. En un mot, ils font partie de notre tradition ; et ce serait pitié que de les voir disparaître purement et simplement de nos offices.

Pour ces trois raisons, la conservation des cantiques est chose acquise, que l’on considère lesdits cantiques comme un mal à tolérer ou comme un patrimoine à promouvoir. Ce point étant établi, reste à savoir quels cantiques il convient de chanter.

2. Quels cantiques ?

La difficulté avec les cantiques est double. Premièrement, ils ne sont souvent pas d’origine scripturaire ; deuxièmement, la liberté de choix en ce domaine est totale, avec le risque d’introduire des compositions mièvres, irritantes, voire doctrinalement douteuses ou carrément hérétiques (ne sourions pas, la chose est arrivée beaucoup trop souvent pour que l’on sous-estime ce péril). C’est une question de cohérence et d’intégrité : il ne sert de rien de chanter l’introït « Gaudeamus omnes » le jour de la Toussaint s’il est précédé de « Je crois au Dieu qui chante… ». Pour éviter cela, il conviendrait d’abord de se souvenir qu’un cantique chanté au cours de la Messe doit être approuvé par la conférence des évêques locale (cf. IGMR 48).

Il convient ensuite de faire une sélection. Le cardinal Francis Arinze, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin avait jadis invité les évêques américains à compiler des recueils de cantiques exclusivement catholiques. De nombreuses initiatives en ce sens ont répondu au souhait du cardinal ; citons par exemple le « Saint Jean de Brébeuf hymnal ».

Il n’existe, à notre connaissance, aucune autre composition en ce sens en langue française ; le besoin s’en fait pourtant ressentir. Souhaitons que nos évêques aient la hardiesse de mettre au point pareils recueils, pour l’édification du peuple qu’ils ont à paître.

En attendant, quels critères, pour les cantiques ? Le cardinal Arinze en donnait trois (il va de soi que ces indications supposent que le propre de la Messe est intégralement chanté, et que les cantiques ne peuvent que venir par surcroît) :

  • La profondeur théologique : il ne s’agit pas simplement d’éviter l’hérésie (ce qui relève du strict minimum!) mais plus encore, de proposer un chant au contenu doctrinal important ; on préférera donc toujours les textes forts et pleinement catholiques, puisant dans la parole de Dieu ou dans la tradition, aux compositions musicalement excitantes, mais spirituellement pauvres.
  • L’enracinement liturgique : la liturgie est en effet la source de toute théologie catholique digne de ce nom (Lex orandi, lex credendi, la loi de la prière est la loi de la foi) et sa nourriture ; il convient donc de bien choisir les cantiques, de discerner ceux qui conviennent au temps liturgique de ceux qui ne lui conviennent pas ; à cet égard, le grégorien doit nous servir de modèle, non seulement pour le propre, mais aussi pour les cantiques ; la solution retenue par le « Saint Jean de Brébeuf hymnal », consistant à chanter sur des tons très simples des hymnes tirés de la tradition hymnographique romaine doit à cet égard nous inspirer, tant pour la Messe que pour l’office).
  • La qualité musicale : les deux premières conditions étant posées, il va de soi que le cantique doit être plaisant à entendre et à chanter, afin que les fidèles prennent plaisir à chanter ce qui relève de leur foi, associant ainsi le beau au vrai ; ce qui implique, bien sûr, une certaine simplicité dans les mélodies, mais l’on se gardera de confondre la simplicité avec la médiocrité.

Enfin, il faut déterminer quel moment est le plus opportun pour le chant des cantiques. Laissons la parole à M. Laszlo Dobszay (qui parle ici dans le contexte de la forme extraordinaire et suppose, là encore, que le propre est intégralement chanté) :

En de nombreux pays, une pieuse tradition veut que le peuple se rassemble avant le début de la Messe et chante des cantiques en préparation de l’action sacrée. Il est aussi de coutume, en de nombreux endroits, qu’un cantique bref mais significatif soit chanté après l’Évangile et le sermon (je note au passage que cette coutume préserve la fonction originale et première du cantique de foule médiéval, qui était d’encadrer l’homélie). Là où l’offertoire est exécuté avec une solennité appropriée (procession, encensement), il y a assez de temps pour ajouter un chant de foule au chant d’offertoire lu ou récité. Plus encore, le cantique à l’Élévation remonte aussi au Moyen-Age : le peuple exprimait ainsi sa foi en la Présence Réelle et et adorait le Christ présent sur l’autel, pendant que le célébrant interrompait le Canon Missae (aujourd’hui [dans la forme ordinaire, ndt], ce cantique pourrait fonctionner comme un trope, pour ainsi dire, à l’acclamation « Mortem tuam »). La distribution de la Sainte Communion et l’action de grâce qui s’ensuit laisse, là encore, du temps pour chanter des cantiques après le chant de communion. Et un bon chant de foule est pratiquement indispensable à la fin de la Messe […]. Ces opportunités permettraient donc de chanter au moins deux ou trois, ou jusqu’à cinq ou six chants de foule1.

Même en chantant le propre, il y a donc du temps pour des cantiques :

  • avant la Messe ;
  • lors de la procession d’entrée, avant l’introït (c’est nous qui le notons) ;
  • après l’Evangile et le sermon ;
  • après l’antienne d’offertoire ;
  • après l’élévation ;
  • pendant la communion, après l’antienne afférante ;
  • à la fin de la Messe.

Soit six ou sept cantiques à la Grand-Messe.

Conclusion.

On l’a vu, il ne s’agit donc pas d’opposer les cantiques et le propre. Si le second a pour lui la tradition la plus ancienne et doit être restauré de ce fait, les premiers jouissent d’une incontestable popularité, qui rendrait leur suppression aussi maladroite que contre-productive.

Pour terminer, laissons peut-être la parole à saint Ambroise de Milan, qui lutta contre l’hérésie arienne avec les armes de l’hérésie, à savoir les cantiques et fit occuper par les fidèles catholiques une église de Milan, pour éviter que celle-ci ne fut remise aux hérétiques :

« Les Ariens disent que le peuple a été séduit par mes hymnes. Et je ne le dénie aucunement. C’est une grande hymne, plus puissante que n’importe quelle autre. Car qu’y a-t-il de plus puissant que la confession de la Trinité célébrée à haute voix par tout le peuple ? » (Ambroise de Milan, Sermo contra Auxentium 34, PL 16, 1017).

_________

1 Laszlo Dobszay, The Bugnini Liturgy and the Reform of the Reform, p. 119.

Chanter à la Messe ou chanter la Messe ? Première partie

Dans un précédent article, nous avons expliqué quelle était l’importance des « Propres », ces chants tirés le plus souvent de l’Ecriture Sainte qui accompagnent l’entrée du clergé, l’offertoire et la communion, et se trouvent aussi entre les lectures. Nous avons montré à quel point il faut déplorer leur disparition, source d’un détestable appauvrissement du rite romain, tant sur la forme que sur le fond, et encouragé le lecteur à réfléchir à leur restauration, y compris dans un contexte paroissial.

Mais comment faire ? Les propres, c’est bien joli, mais c’est difficile à chanter et tout le monde n’a pas forcément un grégorianiste sous le bras, capable de déchiffrer des mélodies et de monter une schola cantorum. En même temps, vous aimeriez bien chanter les propres, et commencer à le faire aussi facilement que possible. Comment faire, donc ?

Pour commencer, apprenez la psalmodie latine et les huit modes grégoriens, les propres n’étant guère que de la psalmodie très élaborée. Cette chaîne YouTube vous sera d’un grand secours : https://www.youtube.com/playlist?list=PLk6izfW-zm0KuatLTAuSNhzo5Sft0so4o

Une fois que vous les maîtriserez correctement, vous n’aurez qu’à chanter ces pièces en suivant ces modes. Pour connaître le mode de chaque pièce, rien de plus facile : son numéro est écrit en chiffres romains juste avant la mélodie proprement dite.

Prenez cette pièce. Les lettres « IN » (en haut à gauche, avant les premières notes) indiquent qu’il s’agit d’un introït. Ces lettres sont suivies du chiffre IV, qui indique le numéro du mode (en l’occurrence, le quatrième mode).

Commencez doucement, en vous contentant, à chaque fois, de l’antienne :

  • Pour l’introït : chantez l’antienne seule, en la psalmodiant sur le ton correspondant.
  • Pour le graduel : psalmodiez l’antienne seule, puis le verset, avant de répéter l’antienne.
  • Pour l’Alléluia : chantez à deux reprise l’Alléluia sur un ton simple, puis le verset, avant de reprendre l’Alléluia.
  • Pour le trait (qui, en Carême, remplace l’Alléluia) : psalmodiez l’antienne, puis les versets, sans reprendre l’antienne (le trait est en effet un psaume déclamé d’une traite, d’où son nom).
  • Pour l’offertoire et la communion : comme l’introït.

Une fois que vous vous serez habitué à ce procédé, passez au stade supérieur, de la psalmodie au chant plus orné. Commencez par les introïts et les communions, en prenant le texte et la mélodie au Graduale Romanum ; et cette fois-ci, chantez (autant que faire se peut) les versets de ces antiennes. Faites de même pour les offertoires, en les réservant peut-être aux membres les plus expérimentés de votre schola.

Restent le graduel, l’Alléluia et le trait, qui comptent parmi les pièces les plus difficiles ; si vous ne vous sentez pas capables de les interpréter, jetez un coup d’oeil à cet ouvrage, qui contient ces chants, sous une forme abrégée (attention, les pièces sont réparties selon l’ancien calendrier) : https://schola-sainte-cecile.com/2010/01/26/fichier-pdf-chants-abreges-des-graduels-des-alleluias-des-traits-pour-toute-lannee-sur-des-formules-psalmodiques-anciennes-1930/

On se référera aussi avec profit à ce document, qui contient toutes les pièces du propre sur des mélodies abrégées (là encore, réparties sur l’ancien calendrier) : https://media.musicasacra.com/pdf/propers-guam.pdf

Lorsque votre schola sera assez importante en nombre et en qualité, vous pourrez passez au stade supérieur, en prenant toutes les pièces au Graduale et en ajoutant des versets là où vous ne les aviez pas encore chantés (on trouvera les versets de l’offertoire ici : https://media.musicasacra.com/books/offertoriale1935.pdf)

Pour le Graduale Romanum lui-même, il est édité par Solesmes, mais on peut aussi le trouver en ligne : https://archive.ccwatershed.org/media/pdfs/14/02/17/10-18-21_0.pdf

Si vous n’avez pas le Graduale Romanum, nous vous conseillons de jeter un coup d’oeil au Missel grégorien, édité par l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes, qui contient toutes les pièces des dimanches, fêtes et jours importants, avec les principaux ordinaires grégoriens, et le tout avec une traduction qui permet aux choristes de comprendre ce qu’ils chantent : https://www.abbayedesolesmes.fr/affichagelivres/missel-gregorien-latin-francais

En voici une version pdf, en anglais (malheureusement, elle comprend encore l’ancienne traduction anglaise, abominable à plus d’un titre) : https://media.musicasacra.com/books/gregorianmissal-eng.pdf

Et maintenant, au travail !

Il nous reste deux questions à traiter : d’abord, celle de la langue. Les ressources que nous avons présenté n’existent qu’en latin pour le moment. Il n’existe malheureusement rien de semblable en langue française, pour l’instant. On notera tout de même cet ouvrage, qui a mis en musique les antiennes (entrée et communion) du missel romain : https://www.laprocure.com/chanter-messe-annees-dimanches-fete-choeur-soliste-assemblee-arnaud-peruta/9782359680881.html

Ensuite, il y a la question des cantiques, ces chants extra-liturgiques qui ont remplacé les propres. Que faut-il en faire ? Les propres doivent-ils les remplacer ? C’est ce que nous tâcherons d’aborder dans un second article.

Les vêtements liturgiques dans l’art

Par Shawn Tribe, 10 janvier 2020, Liturgical Art Journal

Alors qu’il est tout à fait courant de chercher des exemples de vêtements liturgiques anciens ou historiques dans les musées et les sacristies, une des sources souvent négligée sont les tableaux dépeignant des personnalités religieuses ou de scènes religieuses, en particulier ceux de la Renaissance ou du Moyen-Âge. Ces sources sont précieuses en ce sens qu’elles nous donnent un aperçu des styles particuliers et des goûts àcertaines époques pour lesquelles nous ne disposons que de peu d’artefacts. Certains textiles ou ornements que l’on peut trouver dans ces œuvres d’art m’intéressent particulièrement

A fin de démonstration, j’ai pensé que cela pourrait intéresser nos lecteurs de jeter un coup d’œil à ces quelques exemples de ces vêtements dont je parle. Bien sûr les détails observables dans ces œuvres d’art ne concernent pas exclusivement les vêtements mais également de nombreux autres aspects liturgiques et historiques.

Si vous aviez jusqu’à lors négligé ces sources, vous avez manqué une véritable mine d’informations.


Traduit avec l’aimable permission du Liturgical Art Journal et de son éditeur Shawn Tribe. Traduit par Baptiste Bonnal

Article original: https://www.liturgicalartsjournal.com/2020/01/vestments-in-art.html?fbclid=IwAR3cBIl9P1XfaXCK6ArGlaWUuB4ontnbhqJrh-U02CWsZH6xTKyalJpE0Po

La restauration de la messe pour les défunts

Introduction

La réforme liturgique de 1969 a permis de réintroduire dans la liturgie un très grand nombre de pièces du répertoire grégorien, souvent de très bonne qualité, et qui avaient été restaurées entre la fin du 19e et le milieu du 20e siècle, par la comparaison des sources médiévales, éclairée par l’étude musicologique du chant grégorien.

Il faut bien sûr déplorer le fait que cette restauration n’ait produit de fruit que dans une toute petite fraction de l’Église, la majorité se partageant entre l’attachement aux formes liturgiques tridentines et l’ignorance totale du chant grégorien.

Les choix opérés quant à la réintroduction de telle ou telle pièce ancienne sont informés par trois considérations :

  • l’emploi historique attesté, idéalement à plusieurs époques et en plusieurs lieux, de la pièce en question, à la place à laquelle on envisage de l’introduire ;
  • l’adéquation de la pièce aux lectures du jour dans le lectionnaire réformé ;
  • l’idonéité pastorale de la pièce à cet emplacement, c’est à dire le profit qu’on envisage pour les fidèles — pas pour Dieu — à ce que cette pièce soit chantée à cette occasion.

De ces trois considérations, les deux premières me semblent être celles qui ont le plus de poids, la troisième ayant son importance mais devant céder face au précédent historique ou à la cohérence du propre d’une Messe.

Cette troisième considération semble avoir largement gouverné le très grand nombre d’options prévues pour le propre de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire. C’est ce que nous allons mettre en évidence, en suggérant de différencier, parmi ces options, celles qui sont traditionnelles, c’est à dire d’un emploi attesté en plusieurs lieux et à plusieurs époques, de celles qui sont purement pastorales.

Dans ce but, on va présenter de manière synthétique l’évolution du propre de la Messe pour les défunts en fonction du temps et de la géographie, en groupant autant que possible les manuscrits par sphère d’influence. Les données de cet article sont largement issues de la thèse de doctorat de l’organiste et musicologue Nemesio Valle, de l’université de Pittsburgh.

Les manuscrits présentent les propres, tantôt regroupés en formulaires (une messe complète, puis une autre, puis une autre, si nécessaire en réutilisant la même pièce d’une messe sur l’autre), tantôt regroupés par fonction (les introïts tous ensemble, puis les graduels, etc). Dans presque tous les cas, les formulaires répondent à une nécessité purement pratique (minimiser le nombre de pages à tourner) et ne présentent pas de cohérence particulière : le même matériau musical, par exemple de deux messes complètes, sera complètement remélangé d’un manuscrit à l’autre. C’est pourquoi nous prenons ici le parti de présenter les pièces musicales fonction par fonction, sans nous soucier aucunement de quelle pièce est associée à quelle autre dans un formulaire de tel et tel manuscrit. Le seul critère de sélection est la présence d’une rubrique « missa pro defunctis« , « missa in exsequiis« , etc.

Les premiers propres de la Messe pour les défunts

La Messe pour les défunts constitue un développement relativement tardif de la liturgie. Dans la sphère d’influence franque, les rituels païens associés à la mort persistent longtemps après le baptême de Clovis : le plus souvent, on dit à l’intention du mort la messe du jour, en ajoutant des prières supplémentaires. Dans la sphère d’influence romaine, le sacramentaire de Vérone a cinq oraisons pour les messes super defunctos, sans point commun avec ce qui deviendra la messe dite de Requiem, la messe des morts telle que la connaîtra le Moyen Âge tardif ; l’apparition de chants propres pour la Messe pour les défunts a lieu au bien après la première stabilisation du propre du Temps, dans la deuxième moitié du 9e siècle, après la réforme carolingienne. On dispose de six sources, trois helvéto-germaniques (famille sangallienne) et trois franco-flamandes, antérieures à l’an mil. Elles comportent toutes un introït, un graduel, un ou plusieurs offertoires et une ou plusieurs antiennes de communion ; aucune ne comporte de trait ou d’alléluia.

Famille sangallienneFamille françaiseOption majoritaire
Intr.RequiemRequiem
Tuam Deus
Si enim credimus
Requiem
Grad.RequiemRequiem
Convertere
Requiem
Convertere
Off.Domine Jesu Christe
Domine convertere
Illumina
Domine convertere
Miserere mihi
Erue Domine
Domine convertere
Co.Dona eis Domine
Audivi vocem
Ego sum resurrectio
Omne quod dat
Lux æterna
Ego sum resurrectio
Synoptique des principaux propres de la Messe pour les défunts, 9e-10e siècle

Les propres du 11e siècle

Au 11e siècle, les sources abondent. Nemesio Valle, dans sa thèse, distingue les sphères d’influence germaniques (Saint-Gall, Rhénanie et Bavière), lorraines (Belgique, Lorraine, Picardie), française (Paris, Lyonnais), lombarde (Italie du Nord), aquitaine (Aquitaine et Espagne) et romaine (Rome, Naples). Nous choisissons d’en regrouper certaines dans le tableau suivant. Notons l’apparition du trait, avec trois textes différents. Les propres aquitains ne figurent pas dans ce tableau : ils sont extrêmement riches — une vingtaine de pièces qui ne se trouvent qu’en Aquitaine au 11e siècle — mais aussi éphémères, correspondant à une explosion artistique autour des pôles spirituels de Gaillac et Narbonne, et seront remplacés par les propres français dès le 12e siècle.

France / LombardieLorraine / Picardie /
Suisse / Allemagne
Rome
Intr.Requiem
Si enim credimus
Requiem
Si enim credimus
Rogamus te Domine
Ego autem
Grad.Requiem
Convertere
Requiem
Qui Lazarum
Si ambulem
Qui Lazarum
Tract.De profundisDe profundis
Sicut cervus
De profundis
Convertere
Off.Domine Jesu Christe
Erue Domine
Domine Jesu Christe
Domine convertere
Miserere mihi
Domine Jesu Christe
Domine convertere
Subvenite
Co.Lux æterna
Ego sum resurrectio
Audivi vocem
Ego sum resurrectio
Audivi vocem
Lux æterna
Qui Lazarum
Synoptique des principaux propres de la Messe pour les défunts, 11e siècle

On constate que le propre de la Messe pour les défunts telle qu’elle se pratique à Rome est très différent de celui employé dans le reste de l’Europe. Il s’agit de survivances du chant vieux-romain que la réforme grégorienne ne parviendra pas immédiatement à uniformiser, et la variabilité régionale restera considérable jusqu’au 13e siècle.

La convergence vers le propre tridentin

Le 12e et le 13e siècles sont une période paradoxale de convergence géographique et de diversification organique : la réforme du monachisme bénédictin par l’Ordre de Cluny, puis la fondation des Ordres chartreux et cistercien, enrichiront le répertoire des propres pour la Messe pour les défunts ; certaines pièces composées pour ces Ordres passeront dans le répertoire séculier — c’est notamment le cas du trait Absolve, dont le texte apparaît un peu plus tôt comme antienne de communion, et qui devient un trait à Cîteaux ; il finira, de manière surprenante car il est d’un emploi plutôt rare, par être sélectionné pour le missel tridentin (cf. tableau infra).

En parallèle, peu d’autres pièces nouvelles sont composées ; les différences entre la sphère romaine, la sphère française, et le Saint-Empire, tendent à s’amenuiser, et les compositions du 11e siècle voyagent dans toute l’Europe, avec une exception notable : le propre romain, avec l’introït Rogamus te Domine et le graduel Qui Lazarum (cf. supra) est utilisé jusqu’au 13e siècle, après quoi il disparaît tout à fait pour adopter la forme convergée.

C’est également au cours du 12e siècle que se répand l’usage des séquences, ou proses, aux Messes pour les défunts. La séquence De profundis exclamantes, composée en France au début du 12e siècle, est un peu plus ancienne, mais elle est rapidement supplantée par le Dies Iræ, et sa diffusion reste très limitée.

RomeEuropeMissel tridentin
Intr.Rogamus te DomineRequiemRequiem
Grad.Qui LazarumRequiem
Si ambulem
Requiem
Tract.De profundisDe profundis
Sicut cervus
Absolve
Seq.Dies IræDies Iræ
De profundis exclamantes
Dies Iræ
Off.Domine Jesu Christe
Subvenite
Domine Jesu Christe
O pie Deus
Erue Domine
Si ambulavero
Domine Jesu Christe
Co.Lux æterna
Absolve Domine
Pro quorum memoria
Chorus angelorum
Lux æterna
Absolve Domine
Pro quorum memoria
Ego sum resurrectio
Lux æterna
Principaux propres de la Messe pour les défunts, 13e siècle, et propre de cette Messe au missel tridentin, 1570

Dans le missel tridentin, des antiennes chantées à l’offertoire ou à la communion durant le Moyen Âge seront affectées à l’absoute, à la procession funéraire et à l’enterrement : il s’agit du Chorus angelorum (communion, qui devient le In paradisum), du Subvenite (offertoire de la tradition romaine), et du Ego sum resurrectio (communion de la tradition française).

Le propre de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire

On présente dans le tableau ci-dessous les nombreuses options pour la célébration de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire du rite romain. Dans la colonne de gauche figurent les chants qui ont été employés à la Messe pour les défunts de manière certaine à au moins un lieu et une époque, et d’une façon qui ne soit pas anecdotique (une seule source mineure peu fiable) ; autrement dit, ceux qui ont figuré plus haut dans cet article. Dans la colonne de droite figurent les autres chants proposés (source : Graduale Romanum 1974).

Chants traditionnelsChants nouveaux
Intr.Requiem
Ego autem
Intret oratio
Verba mea
Sicut oculi
Si iniquitates
De necessitatibus
Grad.Requiem
Convertere
Si ambulem
Lætatus sum
Salvum fac servum
Unam petii
All.De profundis
In exitu
Lætatus sum
Requiem
Tract.Absolve
De profundis
Qui seminant
Sicut cervus
Off.Domine Jesu Christe
Domine convertere
Illumina
Miserere mihi
Si ambulavero
Domine Deus salutis
De profundis
Co.Lux æterna
Amen dico vobis
Qui manducat
Domine quinque
Domine quis habitabit
Dominus regit me
Illumina faciem
Notas mihi fecisti
Panis quem ego dedero
Qui mihi ministrat
Le propre de la Messe pour les défunts, Graduel romain de 1974

Les deux changements qui sautent immédiatement aux yeux sont la disparition de la séquence Dies Iræ et le remplacement du trait par l’alléluia, sauf en Carême. Ces deux innovations s’expliquent par une insistance accrue sur la Résurrection et l’Espérance, au détriment du Jugement, du deuil et de la possibilité de la damnation. Ce changement de cap me semble hasardeux, surtout à une époque où la possibilité de la damnation est ignorée de nombreux catholiques.

On constate également le très grand nombre de chants nouveaux, tous en eux-mêmes traditionnels — aucun n’est une composition néo-grégorienne contemporaine — mais employés traditionnellement en d’autres circonstances (Carême, Semaine Sainte et Temps per annum pour l’essentiel). L’adéquation pastorale de ces chants à la messe pour les défunts ne fait pas de doute ; je juge simplement nécessaire de les marquer comme des innovations, ce qu’ils sont indubitablement.

On constate également avec tristesse l’absence d’un certain nombre de chants bien représentés dans les sources médiévales, c’est à dire simultanément bien documentés et significatifs au point de vue de la tradition liturgique occidentale. Voici la liste de ces pièces du propre pro defunctis qui ont connu une extension géographique importante, ou constituent un propre local d’une importance majeure (Rome, Paris) et qui ont été employés durant plusieurs siècles, et qui restent à ce jour absents du Graduel romain dans la forme ordinaire :

Intr.Si enim credimus (Picardie, Flandres, Allemagne, 9e-13e) (non restauré)
Rogamus te Domine (Rome et Italie, 11e-13e) (statut inconnu)
Grad.Qui Lazarum (Rome et Italie, 11e-13e ; Saint-Gall, 11e) (non restauré ; peut-être identique au répons Qui Lazarum de l’office des morts moderne ?)
Tract.Commovisti (tradition clunisienne ; Bavière, 12e-13e) (restauré, attribué au 2e dimanche de Carême)
Seq.Dies iræ (France, Belgique, 12e-14e ; monde entier, 14e-20e)
De profundis exclamantes (France, 11e-13e) (non restauré ; transcrit de Ms2 par l’auteur)
Off.O pie Deus (Aquitaine, 11e ; France et Italie, 12e-13e) (restauré par Dom Rupert Fischer)
Erue Domine (Noyon, 9e ; France, Belgique, Allemagne, 10e-13e) (restauré par Dom Rupert Fischer)
Co.Qui Lazarum (Rome, 11e-13e)
Dona eis Domine (Suisse et Allemagne, 9e-13e)
Audivi vocem (Lombardie, Suisse et Allemagne, 9e-12e)
Absolve Domine (Rhénanie, 11e ; toute l’Europe, 12e-13e)
Pro quorum memoria (Rhénanie, 11e ; toute l’Europe, 12e-13e)
Omne quod dat (Noyon, 9e ; Italie, 12e-13e)
Tuam Deus (Rome, 11e ; Allemagne, 11e-13e)
Chants de la messe pour les défunts manquants au Graduel dans la forme ordinaire

Certains de ces chants sont déjà restaurés, en particulier les offertoires grâce à Dom Rupert Fischer. Certains sont largement documentés mais manquent de sources notées et ne seront probablement pas restaurables.

Il est à noter que les antiennes médiévales qui ont regroupées, dans le missel tridentin, pour former la liturgie de la mise en terre, sont reconduites dans cette fonction presque à l’identique.

Conclusion

En conclusion, il y a lieu de se réjouir du fait que la réforme liturgique ait permis de retrouver une diversité légitime d’options pour les Messes pour les défunts, diversité qui correspond à la réalité liturgique historique. Les innovations qui consistent à permettre des pièces, certes idoines, mais dont l’emploi historique aux Messes pour les défunts n’est pas attesté, ne sont pas néfastes en elles-mêmes ; mais il me semble qu’une distinction spéciale aurait dû être attribuée aux options véritablement traditionnelles, et que certaines options traditionnelles doivent encore être restaurées.

S’il devait arriver quelque chose à l’auteur, ses proches auront l’amabilité d’implorer Dieu pour son âme au son de l’introït Requiem, du graduel Si ambulem, du trait Sicut cervus (de préférence dans sa version palestrinienne), de la séquence De profundis exclamantes, de l’offertoire Domine Jesu Christe et de l’antienne de communion Lux æterna.

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