https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2020-03/comment-suivre-benediction-urbi-et-orbi.html
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Ça y est, le Carême a commencé. Et avec le Carême, son lot de pénitences et de jeûnes, dans l’attente de Pâques. La liturgie prend alors des atours plus sobres : l’orgue se tait (sauf pour accompagner le chant des fidèles), l’autel n’est plus fleuri, les mélodies grégoriennes se font plus suppliantes et l’on supprime le mot en « A », qu’on retrouvera d’une manière spectaculaire lors de la Vigile pascale.
Tout cela est connu (du moins on peut l’espérer). Mais il est une caractéristique intéressante du temps du Carême, moins connue des fidèles et du clergé, décrite dans le Missel romain (ed. Typ. 2002, Carême, I). Voici une traduction officieuse et personnelle de cette description :
Il est fortement recommandé que la tradition du rassemblement de l’Eglise locale, sur le modèle des « stations » romaines soit conservée et promue, surtout pendant le Carême et au moins dans les plus grandes villes et d’une manière adaptée aux situations individuelles.
De tels rassemblements des fidèles, surtout sous la présidence du pasteur du diocèse, peuvent avoir lieu le dimanche, ou en d’autres jours appropriés pendant la semaine, soit sur la sépulture des saints, soit dans les sanctuaires ou églises principales d’une ville, ou même dans les lieux de pélerinage les plus fréquentés du diocèse.
Si une procession précède la Messe célébrée pour un tel rassemblement, les fidèles peuvent, selon les circonstances et conditions locales, se rassembler dans une église mineure ou dans un autre lieu approprié, autre que l’église où la procession se rendra.
Après avoir accueilli le peuple, le prêtre dira une collecte du Mystère de la Sainte Croix, ou celle pour la Rémission des péchés, ou pour l’Eglise, en particulier pour l’Eglise locale, ou l’une des oraisons sur le peuple. Après quoi, on se rend en procession à l’église où la Messe sera célébrée, pendant que l’on chante la litanie des saints. En des endroits appropriés de cette litanie, on peut insérer des invocations au saint patron, ou au saint fondateur, ou aux saints de l’Eglise locale.
Lorsque la procession parvient à l’église, le prêtre vénère l’autel et, selon l’opportunité, l’encense. Puis, en il dit la collecte de la Messe et poursuit celle-ci de la manière habituelle, en omettant les rites initiaux et, selon l’opportunité, le Kyrie.
Une telle pratique se veut donc une restauration de l’usage romain ancien, où la Messe était précédée d’une procession, d’une église à une autre. Le terme « collecte » qui désigne l’oraison d’ouverture de la Messe, vient d’ailleurs de là : le Pape chantait une oraison sur le lieu du « rassemblement » (collecta) de son peuple. De là, tous partaient en procession, en chantant des psaumes et des litanies, jusqu’au lieu où la Messe allait être célébrée. Une telle pratique était courante pendant le Carême, et la procession prenait alors une allure pénitentielle.
Cet usage, d’origine romaine, s’est ensuite transmis à nombre de lieux, en particulier en France. Pour plus d’informations, la lecture de cet article, consacré aux stations de Carême dans la liturgie parisienne, est incontournable : https://schola-sainte-cecile.com/2016/02/17/les-stations-de-careme-dans-lancien-rit-parisien/
Malgré cela, cet usage est tombé en désuétude à peu près partout.
On retrouve un tel schéma dans le missel romain (à ceci près que la procession semble faire partie de la Messe, au lieu de la précéder), qui nous invite à restaurer cette ancienne coutume ; cela permettrait de donner à nos offices quadragésimaux une allure propre à nous exhorter à la pénitence, grâce à l’effort de la procession. Pourquoi ne pas inviter votre curé (voire votre évêque) à mettre en œuvre cet usage ?
Dans le contexte actuel de décadence généralisée de la liturgie, l’une des réalités rituelles les plus incomprises du culte public de l’Eglise est la liturgie de la Parole. La restauration de cette partie de la Messe avait pourtant été un des grands objectifs de la réforme liturgique conciliaire ; dans le sillage de la remise à l’honneur de la Parole divine voulue par le Concile, cette réforme avait en effet pour but redonner à ce rite –car c’est bien un rite, s’inscrivant pleinement dans l’univers rituel de la Messe- toute sa solennité, et de montrer qu’il constitue bel et bien une liturgie à part entière, la liturgia Verbi , c’est-à-dire la liturgie du Verbe incarné, «qui porte l’univers par sa parole puissante » (He, 1, 3).
Avant toute considération à ce propos, il est nécessaire tout d’abord de comprendre la nature profonde du christianisme. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le christianisme n’est pas une « religion du Livre », mais bien une religion de la Parole, ce qui la différencie fondamentalement de l’Islam et du judaïsme rabbinique. Ces deux confessions religieuses, en effet, sont attachés à la lettre de la loi, à la lettre du texte sacré. Dans le christianisme au contraire, « la lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Cor, 3, 6). Le christianisme est tout entier une religion de l’écoute de la Parole divine, qui est toujours une Parole vivante : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.» (He 4, 12). Dans les évangiles, il s’agit surtout « d’entendre», « d’écouter » la Parole de Dieu, tandis que la règle de saint Benoit commence par « Ecoute ! », et non pas par « lis ». Dans cette optique, la mise par écrit dans un « livre » est très secondaire ; par ailleurs on remarquera que toute vraie tradition est d’abord et avant tout une tradition orale, et que la liturgie, ses rites autant que son esprit, se sont transmis de génération en génération plutôt par l’exemple et l’écoute que du fait des Missels et autres imprimés, qui restaient de toute façon rares et chers jusqu’à une époque récente. On notera en outre que l’on constate que dès qu’une tradition passe à l’écrit, elle y perd souvent son âme et son caractère « vivant ».
Il est également nécessaire de bien comprendre l’esprit de la réforme issue de Vatican II. Si, dans la forme ordinaire du rite romain, le Canon doit être proclamé à haute voix, c’est bien pour être chanté, soit sur les mélodies prévues à cet effet, soit recto tono. Il faut le dire avec force : surtout pour les dimanches et les jours de fête, il est aberrant que la prière eucharistique ne soit pas chantée intégralement. Le fait de se contenter de la réciter la rabaisse à une simple parole humaine, surtout si, comme c’est le cas en de nombreux endroits, le célébrant emploie un ton mièvre et « personnalisé » totalement inapproprié à la grandeur de ce qu’il accomplit. Le Canon, en effet, n’est pas une parole ordinaire mais bien un Parole sacrée, et même, si l’on prend son cœur –Ceci est mon Corps, livré pour vous, ceci est mon Sang, versé pour vous et pour la multitude, paroles par lesquelles s’opère le Sacrifice- une Parole de Dieu, au sens propre. Par la prière consécratoire, le prêtre ne fait que prêter sa voix au Christ qui est le véritable acteur de la célébration, à la fois Prêtre et Victime du sacrifice divin. Dans la prière eucharistique plus que dans toute autre, la Parole de Dieu est dite performative, c’est-à-dire qu’elle réalise, par le fait même d’être prononcée, ce qu’elle évoque. Il faut bien insister sur le fait que liturgie de la Parole et liturgie eucharistique sont bien les deux parties d’une seule et même Liturgie, qui est la Liturgie de la Messe. D’une certaine manière, et pour les raisons que nous venons d’expliquer, on peut dire que le Canon est aussi une liturgie de la Parole qui s’opère par la consécration des saintes Espèces, tandis que la Parole divine entendue avec l’Epître et l’Evangile est elle-même un pain spirituel ; l’écouter, c’est aussi se nourrir.
Comme pour la prière eucharistique, en proclamant l’épître et surtout l’Evangile, le diacre ou le prêtre n’exprime pas des idées personnelles, il ne tient pas des propos purement humains ; au contraire, là aussi il prête humblement sa voix à une réalité qui le dépasse très largement, et qui est cette Parole de vie, ce Verbe éternel qui était dès le commencement du monde, comme nous l’entendons dans le Prologue de l’Evangile selon saint Jean. Tout donc, dans sa manière de proclamer cette Parole, doit montrer que sa personnalité propre, pleine de faiblesses et d’insuffisances, s’efface complètement pour laisser s’exprimer le mystère du Verbe divin.
De l’ensemble de ces considérations il nous faut tirer deux conclusions pratiques :
1- LA LITURGIE DE LA PAROLE DOIT ETRE SOLENNISÉE. L’une des caractéristiques de la crise actuelle est que nous ne savons plus solenniser. Que signifie « solenniser » ? Cela signifie mettre en œuvre tous les symboles et tous les éléments matériels prescrits par les normes et la Tradition qui permettent de souligner l’importance du mystère que l’on célèbre. Il est aberrant, par exemple, que même dans des églises ou des sanctuaires dotés de tous les moyens matériels, le diacre qui proclame l’Evangile ne porte pas de dalmatique. La dalmatique, vêtement de joie et de solennité par excellence, n’est pas un accessoire secondaire, mais bien le vêtement qui exprime la nature de la fonction diaconale. Par ailleurs, on ne peut que saluer la pratique restaurée par la réforme liturgique de Vatican II de porter l’évangéliaire au cours de la procession d’entrée et de le poser sur l’autel durant la première partie de la messe. En effet, cette pratique, totalement traditionnelle et conservée dans bien des liturgies orientales (byzantine notamment), permet de souligner le lien intime entre liturgie du Verbe et liturgie eucharistique. En effet, l’autel, centre de l’église et point fixe placé au milieu du sanctuaire, symbolise la personne même du Christ, cette «pierre que les bâtisseurs ont rejeté» et qui est devenue «la pierre d’angle». L’évangéliaire symbolise la Parole de Dieu, qui elle est une réalité vivante et dynamique, qui «sort» de la personne du Christ (représentée par l’autel) pour nous rejoindre et nous transformer. La procession au cours de laquelle le diacre (ou le prêtre s’il n’y a pas de diacre) saisit l’évangéliaire posé sur l’autel et se rend à l’ambon pour chanter l’Evangile est la manifestation rituelle de la nature dynamique de ce mouvement par lequel le mystère du Verbe se manifeste aux hommes. Si l’on dispose d’un nombre de servants d’autel suffisant, il est donc impératif que cette procession entre l’autel et l’ambon ait lieu, le diacre ou le prêtre étant accompagné de deux céroféraires (en aube avec cordon ou soutane-surplis) qui ensuite encadrent l’ambon où le diacre va proclamer l’Evangile. En effet, ce rite consistant à encadrer la proclamation de l’Evangile de deux cierges portés par deux servants fait partie intégrante de la liturgie de la Parole, et signifie que la Parole de Dieu est la lumière qui éclaire nos existences. A cela s’ajoute la présence du thuriféraire balançant l’encensoir fumant, car la Parole manifeste la présence vivante de Dieu qui doit donc recevoir l’hommage représenté par l’encensement durant la proclamation. On veillera également à user d’un évangéliaire richement orné ; en effet cette riche ornementation du livre contenant les Évangiles, qui a souvent contribué à la production par les artistes de splendides œuvres artistiques, souligne l’importance, non du livre en lui-même, mais de la Parole divine qu’il contient et dont il n’est que le support matériel. Tous ces éléments sont décris dans les livres officiels et doivent être respectés et mis œuvre dès que cela est possible. En contemplant la procession solennelle du diacre portant l’évangéliaire, entouré des céroféraires et du thuriféraire, de l’autel à l’ambon, les fidèles comprennent que la Parole de Dieu est une réalité vivante et lumineuse, qui provient du Christ (représenté par l’autel) et qui vient jusqu’à nous pour transformer nos existences. Ne pas donner en revanche à la liturgie de la Parole tout ce déploiement riche en signification, c’est affaiblir la capacité de cette même liturgie à exprimer le mystère du Verbe divin.
2- LA PAROLE DOIT ETRE CHANTEE. On se référera à ce sujet à l’explication très juste et profondément fidèle à la Tradition qu’en donne Jean Hani, qui affirme que la désacralisation de la liturgie de la Parole est aggravée par « la façon dont le texte est dit aujourd’hui, c’est-à-dire comme celle dont on lit n’importe quel texte littéraire, et, ce qui est plus grave, avec la fameuse diction expressive qui a pour effet de mettre en avant le lecteur au lieu du locuteur véritable qui est le Christ lui-même ou son porte-parole, l’évangéliste, ce qui revient au même. Régulièrement, l’Evangile était proclamé et non pas lu, de façon solennelle en utilisant une sorte de mélopée, ce qui avait pour résultat de hausser l’acte sur le plan supérieur, -le plan du sacré ; quand ils n’étaient pas chantés, l’Evangile et l’Epître étaient lus recto tono, un mode qui dépersonnalise, comme il convient, le lecteur, et valorise le texte [ou plus exactement, la Parole vivante dont le texte n’est que le support, ndlr] et son auteur ». Or, le fait de simplement « lire » le texte évangélique sur un ton que l’on veut faussement « personnalisé» ou intimiste, suppose en réalité une autre approche de la Parole, une approche en réalité imprégnée de mentalité protestante : la Parole de Dieu n’est plus cette réalité surnaturelle, supra humaine et sacrée, parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition, une Parole vivante sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir, derrière laquelle nous devons nous effacer et que nous devons recevoir dans l’humilité et l’obéissance, mais elle devient un texte quelconque que n’importe quel locuteur peut interpréter à sa guise, en fonction de ses goûts subjectifs et de son « inspiration » du moment. C’est hélas bien cette approche –fausse- de la proclamation de la Parole qui est aujourd’hui pratiquée dans l’immense majorité des paroisses. Jean Hani fait une autre remarque qui mérite d’être rapportée : « En supprimant les mots « in illo tempore », on enlève complètement à la nature du texte le caractère rituel qui permet de transcender le moment « hic et nunc » et qui permet de devenir le contemporain du Christ au moment où il donnait son enseignement. Le « mystère », car il s’agit bien d’un mystère, celui d’un Dieu parlant à l’homme, le mystère et sa « présence » sont évacués, l’Evangile lui n’est plus qu’un récit didactique, à but moral, ce n’est plus réellement le « Pain de la Parole », considéré dans la grande tradition chrétienne comme l’accompagnement vital du « Pain de la sainte table » » (Jean Hani, Le monde à l’envers. Essais critiques sur la civilisation moderne, l’Age d’homme, p. 51-52).
Il faut dire et répéter que la Liturgie est la première école biblique. Toute liturgie véritablement traditionnelle est nécessairement comme « imprégnée » d’Ecriture sainte. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas une liturgie traditionnelle. Dans la liturgie grégorienne, l’essentiel des pièces du propre (introits, graduels, alléluia, antiennes d’offertoire et de communion) et une grande partie des pièces de l’ordinaire de la Messe sont des extraits de textes bibliques. A partir de la fin du Moyen-âge, le sens profond de cette «liturgie du Verbe» et de son déploiement rituel a été progressivement oublié. L’apparition du catéchisme au XVIe siècle (qui est une invention du protestantisme, reprise par l’Eglise tridentine) a été un moyen de compenser –sous une forme, hélas, très scolaire et rébarbative totalement étrangère à l’esprit des Anciens- l’affaiblissement de la puissance signifiante de l’antique liturgie du Verbe. Auparavant en effet, c’était cette liturgie de la Parole qui permettait l’appropriation par les chrétiens (ou ceux qui se préparaient à le devenir) de la Parole divine, par une sorte d’«immersion rituelle» dont les caractéristiques essentielles (la procession solennelle, le chant du graduel et de l’alléluia par la schola puis proclamation chantée du texte sacré par le diacre, l’usage des cierges et de l’encens) permettaient de comprendre la dimension supra humaine et surnaturelle de cette Parole, et donc de se laisser transformer par elle. C’est pour cela que jusqu’à une époque récente, la première partie de la Messe -rites pénitentiels et liturgie de la Parole- était appelée « Messe des catéchumènes » et constituait la seule partie de la Messe à laquelle ceux qui n’étaient pas encore reçu le baptême pouvaient assister, avant de quitter l’église au moment où débutait la liturgie eucharistique proprement dite, ou « Messe des fidèles », réservée aux fidèles baptisés et pleinement initiés aux mystères.
En conclusion, il est bon et essentiel que les catholiques se nourrissent de la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, mais prioritairement dans la façon dont l’Eglise les leur expose dans son sacrificium laudis, le sacrifice de louange à Dieu, et en particulier dans la liturgie du Verbe telle que nous l’avons reçue de la Tradition et telle qu’elle a été restaurée à la suite du Concile. La Liturgie n’est que difficilement compréhensible sans connaissance minimale de la Sainte Ecriture ; une connaissance de l’Ecriture sans culture liturgique s’éloigne de l’Esprit dans lequel l’Eglise veut que nous la recevions et méditions, et ouvre la porte à toutes les erreurs et à toutes les hérésies. Restaurer une authentique liturgie de la Parole qui soit conforme à l’esprit de la Tradition est donc indispensable pour que cet Esprit puisse préparer les fidèles à accueillir, à comprendre et à mettre en pratique dans leur vie la Parole du Maître.
Article original par l’abbé John Zuhlsdorf
Ce premier dimanche de l’Avent, temps pénitentiel, la sainte Église nous donne à lire le même passage de Saint Paul aux Romains dans les deux formes du rite romain.
Saint Thomas d’Aquin († 1274), dans son commentaire sur l’épitre aux Romains, raconte qu’à son époque cette lecture se faisait aussi au temps de l’Avent. C’est donc depuis longtemps que notre sainte mère l’Église juge que ce passage essentiel pour commencer du bon pied la nouvelle année liturgique.
Dans Romains 13, Paul nous exhorte urgemment à sortir des ténèbres de la nuit (la vie païenne dans le péché) pour, en entrant dans la lumière du jour (la vie chrétienne et vertueuse), nous préparer au combat. Il utilise l’image des vêtements : il nous faut rejeter les œuvres des ténèbres comme on dépose ses vêtements de la nuit, et nous revêtir d’une armure de lumière, car le jour est tout proche. Il nous faut rejeter nos péchés — qu’il liste — pour revêtir le Christ. « Le jour », c’est le jour du Jugement, le retour glorieux du Christ ; c’est bientôt le moment où il nous « visite », une autre manière de traduire le latin adventus, qui contient aussi l’idée d’une inspection.
Paul a sans doute emprunté son vocabulaire à La Vie d’Adam et Ève, commentaire hébraïque traditionnel sur la Genèse, qui raconte que nos premiers parents étaient initialement revêtus d’habits de lumière, qui leur furent retirés après la chute. À propos d’images vestimentaires, dans un passage similaire (Colossiens 3), Paul nous invite à nous débarrasser de l’homme ancien, Adam, et de revêtir l’homme nouveau, le Christ ; et il liste de nouveau les péchés qu’il nous faut rejeter. Si quelqu’un pense que l’ivrognerie est acceptable, ou le fait de semer la divison, qu’il prête attention aux lectures de ce jour !
Au début d’une nouvelle année, me permettrai-je d’exhorter mes frères prêtres et évêques ? Si vous ne le faites pas déjà, commencez à dire les prières traditionnellement récitées pendant que le célébrant revêt les ornements, à commencer par la soutane. Même l’humble surplis, habit de service ou de chœur, a sa prière à lui : « Daigne le Seigneur me revêtir de l’homme nouveau qui a été créé dans la justice et dans la sainteté de la vérité. Amen. »
Chers laïcs, quand vous allez à la Messe, faites peut-être un effort pour arriver quelques minutes en avance, pour prier pour le prêtre avant la Messe, pendant que lui-même récite ces prières préparatoires, pour mieux servir à l’autel.
Rejetez vos péchés. Examinez bien la liste de Paul. Revêtez votre armure. Si le maître arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis. Votre inspection pourrait être aujourd’hui.
Traduction d’un article original de l’abbé John Zuhlsdorf pour le Catholic Herald, avec son aimable autorisation. Lien vers l’article original : https://catholicherald.co.uk/magazine/as-a-new-year-begins-heres-an-exhortation-for-my-brother-priests/
Article original par GREGORY DIPIPPO
Lundi dernier, en la fête de sainte Catherine d’Alexandrie, une messe solennelle en rite dominicain a été célébrée en l’église saints Sixte et Dominique, église de l’Angelicum, l’université dominicaine à Rome. Comme patronne des philosophes, sainte Catherine a toujours été tenue en grand honneur par l’ordre dominicain, spécialement par ses institutions éducatives. Le jeudi précédent, une messe solennelle en rit romain (ndlr, forme extraordinaire ) a eu lieu en la fête de la Présentation de la Vierge Marie. Nos remerciements à Don Elvir Tabaković, chanoine régulier de la congrégation de Windesheim qui étudie à l’Angelicum pour ces magnifiques photos. (Don Elvir a été interrogé récemment par John Henry Westen de LifeSite, sur sa précédente carrière de photographe professionnel, sa conversion et son entrée dans la vie religieuse.)
Lorsque le célébrant et les ministres se rendent à la baquette, ils se placent en ordre hiérarchique, le prêtre étant au plus près de l’autel; un grémial est alors placé sur leurs genoux. Le sous-diacre n’est pas avec eux à ce moment, puisqu’il prépare le calice; comme dans beaucoup d’usages médiévaux du rite romain, une grande partie de la préparation du calice et de la patène est effectuée pendant la Messe des catéchumènes.
A l’intonation du Gloria in excelsis; on notera que le calice a déjà été amené à l’autel, et que les acolytes s’alignent avec les ministres sacrés.
La lecture du graduel, etc. se fait à la banquette…
… de même que la préparation du calice…
… et la bénédiction de l’encens à l’Évangile.
Pour l’Évangile, un pupitre est utilisé, le diacre, le sous-diacre et le thuriféraire se tenant en ligne devant le livre, tandis que les acolytes se tiennent derrière lui, avec leurs chandeliers.
Le sous-diacre s’agenouille en présentant l’Évangéliaire à baiser au prêtre.
L’offertoire dominicain est beaucoup plus court que celui du rite romain, puisqu’une grande partie de la préparation est faite en avance; ici, nous voyons la patène et le calice offerts ensemble.
Pour le dialogue de la préface, le diacre et le sous-diacre demeurent à l’autel; le thuriféraire les encense après « Gratias agamus »; après seulement, le sous-diacre prend la patène et le voile et se tient derrière le prêtre.
Comme dans la plupart des usages médiévaux, et dans le rite ambrosien, le prêtre étend les mains en forme de croix pour le « Unde et memores ».
Au début d’une Messe solennelle, le diacre porte le missel, et le sous-diacre, le lectionnaire; lorsqu’ils se retirent à la fin, le diacre porte le missel, mais le sous-diacre porte le calice au lieu du lectionnaire.
Messe solennelle selon le rite romain (forme extraordinaire, ndt) pour la Présentation de la Vierge Marie.
Traduction d’un article original de GREGORY DIPIPPO pour le site New liturgical movement, avec son aimable autorisation. Lien article original: http://www.newliturgicalmovement.org/2019/11/pictures-of-solemn-masses-at-angelicum.html
Et nos remerciements à Don Elvir Tabaković pour ses photos et son aimable autorisation. Page Facebook: https://it-it.facebook.com/donElvir/
Université pontificale saint Thomas d’Aquin-Angelicum. https://www.facebook.com/AngelicumOP/
Homélie dite dans le cadre du pèlerinage Summorum Pontificum à l’église de la Très Sainte Trinité des Pèlerins.
«Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie.» (2 Cor., 3, 6)
Le christianisme est d’abord et avant tout la religion de l’Esprit. Dans la tradition chrétienne, l’Esprit n’est pas une réalité abstraite et théorique, condamnée à demeurer dans le domaine idéal d’hypothèses évanescentes, mais au contraire il est une réalité, la Vérité qui s’incarne et se manifeste dans la vie concrète de l’homme. L’homme lui-même, créé en tant que tel à l’image de Dieu qui «est esprit» (Jn, 4, 24), est essentiellement un animal spirituel, dont la vocation est d’adorer le Père «en esprit et en vérité», c’est-à-dire en exerçant son sacerdoce baptismal par la prière du cœur, prière qui, par le ministère sacerdotal de Jésus-Christ, «nous rends participants de la nature divine» (divinae naturae consortes, 2 Pe, 1, 4). Ce culte spirituel, qui est la véritable finalité du christianisme puisqu’il nous réconcilie avec le Père, se traduit et se concrétise nécessairement par un culte corporel et extérieur, dont la dimension corporelle doit être pleinement assumée sans jamais être déconnectée de sa finalité spirituelle : «Mes frères, je vous en prie au nom du Dieu très bon, consacrez votre corps à Dieu comme une offrande vivante, sainte et agréable : c’est le culte spirituel que vous lui devez» (Rom., 12, 1-5). C’est donc sur ce fondement des enseignements des Apôtres que s’est développée, tout au long des siècles, l’authentique liturgie chrétienne. Avant d’être un ensemble d’éléments matériels, de rites, de symboles et de gestes, la liturgie, son âme, son identité profonde, est d’être animée de l’intérieur par une certaine pensée, un «esprit», c’est-à-dire une «impulsion» spirituelle mystérieuse, qui, insuflée par le Christ aux Apôtres puis transmise de génération en génération par le biais de la Tradition apostolique, se manifeste à son plus haut degré de densité dans la sainte Liturgie, au cours de laquelle sont célébrés devant la face de Dieu les mystères divins. De même qu’il y a une «saine doctrine», une «foi juste», il existe une «orthodoxie liturgique», une «vraie liturgie», une liturgie authentique, qui exprime dans toute sa justesse et sa plénitude la profondeur de la foi chrétienne. Certes, cette liturgie authentique se manifeste à travers une grande diversité de «familles liturgiques», ou de «traditions» appartenant à des aires culturelles différentes (liturgie romaine, byzantine, copte, éthiopienne, etc), qui toutes jouissent d’une pleine et entière légitimité ; toutefois, s’il peut y avoir diverses manifestations culturelles, il n’y a derrière cette diversité légitime qu’une seule Tradition, qu’un seul «esprit» : c’est l’esprit de la Liturgie.
Comment définir cet esprit de la liturgie ? Quelles en sont les caractéristiques essentielles ?
Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de partir de la foi catholique telle que l’Eglise la proclame dans son Credo. La foi suppose avant tout la reconnaissance du primat absolu de Dieu Créateur sur toute réalité : «Je crois en Dieu le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible…» Toute approche de la liturgie doit donc choisir comme point de départ la suprématie divine et reconnaître que «tout vient de Lui» et que «tout est pour Lui». Si la Création est une manifestation de la puissance de Dieu, alors nécessairement cet ordre cosmique –changeant en apparence, mais en réalité immuable dans les lois qui le régissent- doit nécessairement jouer un rôle dans le culte public que le Corps mystique rend au Père. L’alternance du jour et de la nuit, le rythme des saisons, la course des astres dans l’univers, le surgissement du soleil à l’Est au petit matin et son extinction à l’Ouest au crépuscule doivent nécessairement être intégrés à la louange liturgique. Les offices célébrés dans les ténèbres de la nuit à la lueur des cierges, comme la Vigile pascale ou les messes Rorate durant l’Avent, ou bien la pratique de l’orientation commune des ministres et des fidèles vers l’Orient d’où jailli la lumière matinale (orientation que saint Jean Damascène affirme être une tradition reçue des Apôtres), sont de bons exemples de cette intégration des rythmes du cosmos dans le culte liturgique. L’univers visible est signe, symbole et préfiguration de l’univers invisible, avec qui il partage la même origine divine. La dimension cosmique de la liturgie est donc avant tout un culte rendu au Père Créateur de toutes choses, mais également à son Verbe.
A cette dimension cosmique doit nécessairement s’unir la dimension rituelle proprement chrétienne, qui nous vient de la Révélation opérée par le Christ et parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition. Ainsi, l’ensemble des rites sacrés, les ornements, le chant, l’encens, la lumière des cierges, la paramentique, les gestes et les prières, la proclamation solennelle de la Parole divine contenue dans la sainte Ecriture, les mouvements hiératiques opérés par les ministres dans le sanctuaire, bref, tout ce qui constitue la part rituelle de la liturgie forme un ensemble qui est tout entier une manifestation du mystère du Verbe. A la contemplation de l’univers créé lors de la première création –le cosmos- s’ajoute la contemplation de l’univers invisible, que le Fils nous a révélé et nous a fait connaître lors de cette seconde création qu’est le mystère de sa mort et de sa Résurrection. Cet univers invisible –les réalités célestes, la Jérusalem d’En-haut- est signifié, symbolisé, et préfiguré par le déploiement de toute la ritualité liturgique. Lorsque qu’est célébrée la sainte liturgie, le Ciel s’ouvre pour ne plus faire qu’un avec la terre, et nous dévoiler par anticipation cette patrie céleste à laquelle nous sommes appelés, et «à laquelle nous tendons comme des voyageurs» (Sacrosanctum Concilium, I, 8). Dès lors, l’intégration des rythmes du Cosmos dans le culte par l’orientation de la célébration en direction du soleil levant n’est plus seulement un hommage rendu au Père Créateur de toutes choses, mais elle devient également la manifestation rituelle de l’attente de la Parousie, par laquelle l’Eglise vit dans l’espérance du retour du Christ ressuscité dans la gloire à la fin des temps, «pour juger les vivants et les morts», et instaurer la plénitude de son règne d’Amour qui n’aura pas de fin.
La liturgie est la plus haute manifestation de la Tradition
Cette Tradition –patrimoine et trésor de toute l’Eglise- dont la liturgie chrétienne est la manifestation la plus élevée, doit, pour être pleinement agissante et permettre à la Parole de Dieu d’irriguer toute l’Eglise, être reçue avec humilité et transmise avec fidélité. Il faut être fermement convaincu qu’il n’y a pas de liturgie authentique en dehors de la Tradition reçue des Apôtres et développée organiquement depuis plus de vingt siècles. C’est par le renoncement à leur volonté propre, à leurs choix subjectifs, à leurs « goûts » personnels et aux modes passagères que fidèles et ministres, en se conformant strictement aux normes liturgiques et en mettant fidèlement en œuvre les rites sacrés reçus de la Tradition, mettront le Dieu vivant à la première place, c’est à dire au cœur des célébrations. La sainte Liturgie se reçoit, se cultive et se transmet, elle ne « s’invente » pas, ne se « construit » pas davantage, sans quoi elle se transforme en une idolâtrie où l’homme se célèbre lui-même, comparable à la danse des Hébreux autour du veau d’or relatée dans le livre de l’Exode.
Respect du sacré et liturgie céleste
Il nous faut ici insister sur l’importance fondamentale du respect du sacré qui doit caractériser toute liturgie authentiquement chrétienne. La sainte Liturgie est l’Opus Dei, l’œuvre de Dieu, elle est dans son essence profonde une réalité divine –non une fabrication humaine, quoique les éléments matériels qui la composent ont une origine humaine bien identifiable dans l’histoire- et une participation à la liturgie du Ciel. Ainsi, on ne chante pas « à la Messe », mais on chante la Messe, c’est-à-dire que nous unissons nos voix à celle des anges qui chantent dans la Cité céleste la louange du Dieu vivant. Cela suppose nécessairement que soient interprétées au cours des célébrations les mélodies sacrées –grégoriennes, pour ce qui est de la liturgie romaine- héritées de la Tradition, les cantiques en vernaculaire n’étant qu’un pis aller et une tolérance, qui ne peuvent en aucun cas remplacer le chant sacré traditionnel (grégorien d’abord, polyphonie sacrée ensuite). De même, les ornements et les vêtements liturgiques doivent exprimer à la fois la splendeur et la noble simplicité, simplicité qui ne se confond certainement pas avec le misérabilisme paroissial actuel. L’ornementation doit revêtir une dimension de préférence symbolique et non purement décorative et mondaine, le symbolisme sacré étant ce qui permet d’exprimer intuitivement le mystère, et de nous «connecter», par le biais de sa puissance signifiante, aux réalités invisibles, c’est-à-dire à ce sanctuaire divin «qui n’a pas été fait de main d’homme, et qui n’a pas été formé à la manière de ce monde» (He, 9, 11-15).
Liturgie et mystère
Il est également nécessaire d’insister sur le lien entre liturgie et mystère. Une célébration authentiquement liturgique ne doit pas tout montrer et tout dévoiler du premier coup. La dimension mystérique de la sainte liturgie n’est que le reflet du mystère de l’existence humaine, du mystère de la vie, de l’existence du monde, du mystère du bien et du mal. L’homme est mystère. Accepter l’humilité devant le mystère, c’est reconnaître la faiblesse de nos sens et de nos perceptions, c’est accepter le fait que nous ne pouvons prétendre «avoir fait le tour» de la question du sens de la destinée humaine, accepter notre impuissance radicale à exercer un quelconque pouvoir sur le Dieu vivant. Dieu est mystère, et s’il se dévoile à nous, c’est à travers et par la médiation du mystère de son Incarnation dont les sacrements et le symbolisme liturgique sont le prolongement concret et visible.
Le symbole, trait d’union entre le monde visible et l’univers invisible
C’est en effet bien comme une «manifestation divine» qu’il faut comprendre le mystère de la sainte liturgie. Dans son ouvrage intitulé Le sens du surnaturel, Jean Hani rappelle que «dans le christianisme, tout ce qui relève de son essence doit être référé à la Trinité», tandis que «tout ce qui relève de son existence doit être référé à l’Incarnation». L’essence, en effet, c’est Dieu en son mystère ineffable et inaccessible, tel qu’il se présente aux Hébreux dès l’Ancienne Alliance : «Je suis celui qui EST» (Ex, 3, 14). C’est le mystère même de l’Etre dans sa permanence et sa majesté indicible, ineffable communion d’Amour entre les Trois personnes divines. Mais pour que l’essence divine soit communiquée aux hommes, il fallait qu’elle se manifestât, et donc qu’elle passe de l’essence à l’existence. Le terme « existence » vient du latin « existere », qui signifie « sortir de », « se manifester », « se montrer ». C’est précisément le sens du mystère de l’Incarnation du Verbe, par laquelle Celui que l’univers ne peut contenir « sort » de son Essence ineffable pour se manifester aux hommes. Ce mystère de l’essence et de l’existence divines est admirablement exprimé dans la Divine Liturgie de Saint Jean Chrysostome par l’usage rituel du trikirion (chandelier à trois cierges) et du dikirion (chandelier à deux cierges), objets avec lesquelles l’évêque bénit à plusieurs reprises les fidèles. Trois, et deux : le mystère de la Trinité ineffable, et le mystère de la double nature divine et humaine du Christ, c’est-à-dire le mystère de l’Incarnation, manifestation du Verbe. L’Essence, et l’Existence. A travers cet exemple concret, il est possible de mieux comprendre l’impérieuse nécessité de respecter dans toute sa justesse et sa richesse le symbolisme sacré tel qu’il nous est légué par la Tradition : à travers lui, c’est le mystère même de Dieu qui est comme intuitivement communiqué aux fidèles, quand bien même tous n’en saisissent pas forcément tous les détails et toute la profondeur. On comprend mieux, dès lors, pourquoi certains affirment que le christianisme est « la religion de la sortie de la religion », c’est-à-dire la religion qui a permis le développement de l’agnosticisme contemporain. Il faudrait corriger cette assertion : ce n’est pas le vrai christianisme, le christianisme traditionnel tel qu’il se manifeste à travers l’Eglise catholique et les Eglises orthodoxes qui conduit à l’athéisme, mais plutôt les formes de christianisme –à commencer par le protestantisme- qui ont totalement évacué toute forme de liturgie comprise comme système complexe de symboles exprimant intuitivement le mystère. En effet, si Dieu se manifeste essentiellement à travers son Incarnation dont la sainte liturgie est le prolongement et l’actualisation, passant ainsi de l’essence à l’existence, on comprend aisément qu’une forme de religiosité refusant une telle liturgie et réduisant la religion à un froid cérébralisme faisant l’impasse sur le mystère, conduise inévitablement, à terme, à l’apparition d’une société niant l’existence de Dieu.
Normes et rubriques: la lettre et l’esprit
Il faut enfin, pour conclure, évoquer l’épineuse question des normes liturgiques et de leur relation à l’esprit de la liturgie. Il faut, dans ce domaine, éviter deux écueils opposés : d’un côté, ce que Martin Mosebach appelait « l’hérésie de l’informe», hérésie qui triomphe dans nos diocèses et nos paroisses depuis la réforme liturgique, et qui consiste à refuser que la liturgie revête des formes bien précises et héritées de la Tradition, c’est-à-dire issues d’un développement organique du rite. A travers le mystère de l’Incarnation, nous comprenons pourtant qu’il est vain d’opposer le fond et la forme, comme il est courant de l’entendre aujourd’hui. Beaucoup en effet disent : « l’important est le fond, la forme est accessoire ». Cette affirmation serait vraie si l’homme n’était qu’un « cerveau sur pattes » ou un « esprit sur pattes », mais ce n’est pas le cas. L’homme est un être incarné, doté certes d’une capacité rationnelle mais aussi de sens charnels qui influent profondément sur son psychisme et contribuent fortement à orienter sa pensée même. Refuser cette dimension « incarnée » pourtant consubstantielle à la nature humaine, comme l’a fait le protestantisme dans un premier temps, puis, dans le monde catholique par la suite, un certain progressisme pastoral et liturgique, c’est courir droit à la catastrophe. En effet, la forme exprime le fond qui se manifeste à travers elle ; sans la forme, le fond reste à l’état de vérité inaccessible ou d’abstraction incommunicable. La liturgie ne peut donc pas être célébrée « n’importe comment », mais elle doit revêtir des formes bien précises léguées par la Tradition et précisées par les normes officielles en vigueur.
L’autre écueil à éviter est celui du rubricisme. Cet écueil, qui a triomphé dans l’Eglise à la suite du Concile de Trente et qui explique largement, par réaction, le triomphe récent de « l’hérésie de l’informe », repose sur une erreur profonde, à savoir la confusion entre la Tradition et la rubrique. Toute Tradition véritable, en effet, est une tradition vivante et orale, dans le sens où c’est par une immersion dès la plus tendre enfance dans le « bain » liturgique que le fidèle se familiarise avec cet « ethos » liturgique traditionnel qui lui permet, par la suite, de participer fructueusement aux célébrations. La norme, la rubrique, n’est jamais qu’une précision, un mémento, un « pense-bête » comme on dirait aujourd’hui, bref, une règle écrite qui est postérieure à la Tradition –qui elle est un esprit, une réalité vivante- et qui ne se confond pas avec elle. De même, un missel n’est jamais qu’une compilation de normes et une description des rites, il n’est certainement pas la liturgie elle-même dans sa vivante plénitude. C’est pourquoi il est absurde d’absolutiser tel ou tel missel, telle ou telle rubrique ou norme. Certes, le respect des normes est impératif pour éviter à la liturgie d’être démantelée par le subjectivisme et d’apparaître comme le rite de tel prêtre ou de telle communauté paroissiale, au lieu d’apparaître comme le rite objectif de l’Eglise tout entière. Mais ce respect des normes, pour être fécond, doit être vécu comme une « immersion » dans cet esprit de la liturgie dont nous avons tenté de cerner les contours et les caractéristiques essentielles dans cet article. Dans une certaine mesure, nous pouvons même dire que cet esprit de la liturgie est bien l’un des objectifs de l’œuvre rédemptrice opérée par le Christ. La religion hébraïque sous l’Ancien Testament, en effet, était une religion toute faite d’observances et de pratiques rituelles très précises et très codifiées. La prière, les ablutions, les jeûnes, les sacrifices offerts au Temple étaient régis par des règles très strictes dont la transgression était considérée comme un sacrilège et une profanation. Ce ritualisme qui aujourd’hui peut nous paraître étroit, avait son sens : voulu à l’origine par Dieu, il avait pour fonction de servir de « pédagogie » au peuple hébreu de manière à ce que les termes de sanctuaire, de sacrifice, d’oblation sainte, d’agneau sans tâche, prennent « sens » dans l’esprit des Israélites, préparant ainsi leurs esprits à une alliance nouvelle, dont tous ces éléments matériels n’étaient que la préfiguration. Alors que la ritualité juive vétérotestamentaire avait peu à peu dégénéré en une forme de légalisme purement extérieur et formel, la Révélation apportée par le Christ restaure le rite dans sa vocation originelle, qui est d’être au service de la vie intérieure de l’homme : «Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu’un détruit le sanctuaire de Dieu, cet homme, Dieu le détruira, car le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous. » (Cor. 3, 16)
Conclusion: l’esprit de la liturgie, c’est l’esprit du Christ
Dans une certaine mesure, on peut dire également que cette Révélation chrétienne ne fut, en réalité, qu’une immense « réforme » et une universalisation de l’ancienne religion hébraïque attachée au seul vrai Dieu. Une « réforme», dans le sens où le Christ est venu rappeler ce que la spiritualité vétérotestamentaire enseignait déjà : « le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est un esprit brisé » (Ps. 50) : la voie qui conduit à Dieu est, non pas le rite en lui-même, conçu comme quelque chose de purement extérieur, formel, et comme détaché de sa finalité propre, mais le rite comme créant les conditions de la prière vraie, de la prière du cœur, « en esprit et en vérité ». Dans la foi chrétienne, la fidélité à la Tradition est d’abord une fidélité à l’Esprit, car la Tradition est avant tout une réalité spirituelle qui ensuite s’incarne en un ensemble de normes, de textes, de rites, etc. C’est pourquoi Saint Paul enseigne que « la lettre tue, mais l’esprit donne la vie » (2 Cor. 3,6). Une lettre qui n’est pas éclairée par la lumière de l’esprit est une lettre morte, un texte obscur dont on ne comprend plus le sens profond. C’est pour cela que la Sainte Ecriture doit être lue à la lumière de la Tradition (qui a une nature spirituelle) pour être comprise dans la plénitude de son sens véritable. Il en va de même pour toute norme liturgique. Une norme lue en-dehors du véritable esprit de la liturgie n’a plus aucun sens, et par conséquent ne peut qu’aboutir à une liturgie soit sèche et mécanique, soit boiteuse et fade.
La liturgie est à l’image du Christ : elle a une double nature, humaine et divine. L’esprit de la liturgie n’est rien d’autre que l’esprit du Christ, parvenu jusqu’à nous par la sainte Tradition. A travers la Liturgie et par sa participation plénière et effective, le fidèle exerce son sacerdoce spirituel par l’immersion dans le mystère du Fils, et parvient ainsi à la communion avec le Père créateur de toutes choses, réalisant ainsi les promesses divines.
«Elle vient, l’heure, – et c’est maintenant –
où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité :
tels sont les adorateurs que recherche le Père.»
(Jean, 4, 23)
G.A
La Mère Église désire beaucoup que tous les fidèles soient amenés à cette participation pleine, consciente et active aux célébrations liturgiques, qui est demandée par la nature de la liturgie elle-même et qui, en vertu de son baptême, est un droit et un devoir pour le peuple chrétien.
Ces paroles du Concile Vatican II ont été l’objet d’un nombre incalculable de commentaires en tous genres ; la plupart de ceux-ci, surtout dans l’immédiat après-concile, avait tendance à laisser tomber les deux premiers adjectifs pour ne retenir que le dernier (ce que dénonça Jacques Maritain dans « Le Paysan de la Garonne ».
Pourquoi cette insistance ? Il est vrai que jadis, la participation des fidèles s’était considérablement réduite. Le propagation de la Messe basse, son développement au détriment des formes plus solennelles de la liturgie (rappelons que la forme normative du rite romain est la Messe pontificale) ont progressivement conduit à l’effacement de la participation. Si les fidèles assistaient encore à la Messe, il était devenait difficile de comprendre qu’ils y prenaient part, non certes comme clercs (chacun à son rang) mais comme membres du corps mystique du Christ, c’est-à-dire de l’Église, Son Épouse, rendant un culte à son Époux.
L’effort du mouvement liturgique (dont les origines peuvent remonter aux travaux de dom Prosper Guéranger) fut de remédier à cet état de fait. C’est ainsi que furent publiés des missels bilingues à l’usage des fidèles, que certaines initiatives (parfois discutables) comme la Messe dialoguée ou commentée furent mises en place.
Ces efforts furent couronnés par le pape saint Pie X, dans son Motu proprio Tra le sollicitudine :
Notre plus vif désir étant, en effet, que le véritable esprit chrétien refleurisse de toute façon et se maintienne chez tous les fidèles, il est nécessaire de pourvoir avant tout à la sainteté et à la dignité du temple où les fidèles se réunissent précisément pour puiser cet esprit à sa source première et indispensable : la participation active aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église. Car c’est en vain que nous espérons voir descendre sur nous, à cette fin, l’abondance des bénédictions du ciel si notre hommage au Très-Haut, au lieu de monter en odeur de suavité, remet au contraire dans la main du Seigneur les fouets avec lesquels le divin Rédempteur chassa autrefois du Temple ses indignes profanateurs.
Puis, par le Pape Pie XII, dans son encyclique Mediator Dei, en 1957 :
Il est donc nécessaire, Vénérables Frères, que tous les chrétiens considèrent comme un devoir principal et un honneur suprême de participer au sacrifice eucharistique, et cela, non d’une manière passive et négligente et en pensant à autre chose, mais avec une attention et une ferveur qui les unissent étroitement au Souverain Prêtre, selon la parole de l’Apôtre : » Ayez en vous les sentiments qui étaient dans le Christ Jésus « offrant avec lui et par lui, se sanctifiant en lui.
Enfin, ces propos furent repris par la constitution sur la sainte liturgie du concile Vatican II. L’une des conséquences de cette insistance sur la participation fut la demande suivante, que l’on trouve dans cette même constitution : « Dans la révision des livres liturgiques, on veillera attentivement à ce que les rubriques prévoient aussi le rôle des fidèles. » (SC, 31).
Car aussi étonnant que cela puisse paraître, les livres antérieurs ne prévoyaient pas la participation des fidèles. À titre d’exemple, l’Ordo Missae de 1962 ne prévoyait qu’ainsi la communion des fidèles : « Après avoir consommé [le Saint-Sacrifice], s’il y a des communiants, le prêtre les communie, avant de se purifier » (Missale romanum, Ed. Typ. 1962, 1129). On peut s’étonner, à juste titre, de l’absence du rôle des fidèles dans le missel. En fait, elle prend acte de ce que le missel est un livre réservé au clergé, ne prévoyant que ce qui lui est utile, et faisant abstraction du reste (qui ne concerne de toute façon pas le prêtre) ; les fidèles sont donc laissés libres de leurs mouvements. On retrouve une telle conception dans nombres d’Églises orientales (mais pas toutes1), où les fidèles n’hésitent pas à déambuler dans l’église pendant les offices ; surtout, on en comprend le bien-fondé, qui laisse aux fidèles la liberté d’agir comme ils le désirent. L’Eglise n’est pas une caserne où les fidèles devraient agir exactement de la même façon sans se poser de questions.
L’ennui, c’est que cette omission volontaire n’est pas sans risque, une telle liberté pouvant se payer d’un manque de participation. Si les fidèles peuvent aller et venir dans l’église au cours de la Messe ou d’un office pour se livrer à leurs dévotions, que reste-t-il de l’action commune au cours de la Messe ? Le danger est d’aboutir à deux actions séparées, celle du clergé au sanctuaire, celle des fidèles dans la nef.
Un tel danger s’est trouvé aggravé par le vieillissement des langues liturgiques ainsi que par l’installation des bancs, en Occident, réduisant les fidèles au rang de simples spectateurs d’un culte rendu pour eux, mais dont il était difficile de voir qu’ils étaient partie prenante. On comprend dès lors l’insistance sur l’abandon des bancs, que l’on trouve par exemple chez le P. Louis Bouyer, dans son ouvrage de référence Architecture et liturgie.
Voilà pourquoi le missel de 1969 (et sa réédition partiellement révisée de 2002) prévoit la participation des fidèles, en particulier dans la Présentation générale du missel romain. On en voit certes tout l’intérêt et toute la légitimité : le but est de s’assurer que la liturgie demeure le « culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est‐a‐dire du Chef et de ses membres » (Mediator Dei), et non pas seulement celui d’une partie de ces membres.
Pour autant, on aurait tort de l’exagérer plus que de mesure. C’est ainsi que le missel reste silencieux sur de nombreuses attitude des fidèles (comme celle qu’ils doivent adopter après la communion), ainsi également que l’usage s’est conservé en certaines églises de leur permettre de se confesser pendant la Messe. L’Église sait bien que le risque d’une trop stricte uniformisation n’est pas moins périlleux que celui d’une trop souple exigence.
Par ailleurs, si l’Église prévoit la participation des fidèles, ce n’est pas sans réserve, ni sans garde-fous. Tous les autres acteurs ont leur rôle prévu, depuis le prêtre jusqu’à la schola cantorum. La présentation générale prévoit en outre explicitement, contre certaines tentations laicisantes, que la prière eucharistique est une prière proprement sacerdotale, que personne ne peut prononcer, à l’exception d’un évêque ou, en son absence, d’un prêtre. En outre, on se rappelle du sage précepte de Sacrosanctum Concilium qui précise que « Dans les célébrations liturgiques, chacun, ministre ou fidèle, en s’acquittant de sa fonction, fera seulement et totalement ce qui lui revient en vertu de la nature de la chose et des normes liturgiques » (SC 28). La participation promue par l’Église ne peut donc pas se confondre avec un aplatissement des cérémonies. On relira ainsi avec profit ces propos de l’abbé Michel Gitton, dans son passionnant commentaire de Sacrosanctum Concilium :
On ne fait grandir personne en réduisant l’acte sacré par excellence qui nous unit à Dieu à être un prétexte pour mettre en avant Monsieur ou Madame un tel. Il n’est pas possible que la participation enseignée par le Concile ait voulu dire cela : les fidèles ne sont pas des enfants qu’il faudrait amuser en leur donnant « quelque chose à faire » pendant le Saint Sacrifice, il suffit de relire le n. 48 pour s’en convaincre : « L’Église se soucie d’obtenir que les fidèles n’assistent pas à ce mystère de la foi (la messe) comme des spectateurs étrangers et muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l’action sacrée, soient formés par la Parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâce à Dieu ; qu’offrant la victime sans tache, non seulement par les mains du prêtre, mais aussi ensemble avec lui, ils apprennent à s’offrir eux-mêmes et, de jour en jour, soient consommés par la médiation du Christ dans l’unité avec Dieu et entre eux pour que, finalement, Dieu soit tout en tous ». C’est à cette hauteur-là que se situe le souhait d’une meilleure participation. L’équivoque sur le mot « active » (en latin actuosa) a été depuis longtemps soulignée : la participation est active parce qu’elle mobilise tout l’homme intérieur dans ses facultés, et non parce qu’elle réclamerait qu’il « fasse quelque chose » ou qu’il s’exprime pendant la messe !
C’est donc quelque chose d’immensément noble et grand auquel l’Église aspire que nous parvenions. Non pas l’agitation permanente, encore moins la réduction du culte divin à un bavardage insipide et peu inspirant, mais l’entrée dans le mystère avec « crainte et tremblement », comme le chantent nos frères byzantins lors de l’offertoire de la Vigile pascale. Puissions-nous faire nôtre l’ambition de notre mère, la Sainte Église, et prendre toujours mieux part aux sacrements par lesquels le salut nous est offert.
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1 Un bon contre-exemple oriental de cette situation est celui des vieux-croyants (on appelle ainsi les orthodoxes russes attachés au rite byzantin en usage en Russie jusqu’au milieu du XVIIe siècle, lors de la réforme du patriarche Nikon de Moscou). La participation des fidèles y est requise et les dévotions individuelles proscrites lors des offices.
Un ami cher et respecté camarade a posté dans un commentaire sur le groupe Facebook Esprit de la liturgie cette intéressante vidéo :
https://www.youtube.com/watch?v=FEldVyjeacM
Inutile de cliquer tout de suite, je vous la résume dans la première moitié de cet article, en numérotant les différentes thèses que l’orateur expose. N’hésitez pas à la visionner en entier si vous voulez des détails. Il s’agit d’une conférence de 45 minutes du P. Fabrice du Haÿs, de la Communauté de l’Emmanuel, sur le thème “transformer la messe dominicale en messe missionnaire”.
Il faut d’abord dire que l’orateur ne prétend pas exposer plus que sa propre opinion, n’est pas dans une posture de transmission, mais plutôt de partage horizontal ; aussi, il me semble permis de critiquer ses propos en bien et en mal, comme ceux d’un docteur privé, non comme ceux d’un enseignant de la vérité catholique ; ce que je ferai dans une deuxième moitié de cet article.
1/ Résumé
L’orateur fait d’abord remarquer le rôle central de la liturgie dans le processus de conversion, particulièrement dans la “contagion” des fidèles vers leurs prochains qu’ils invitent à la Messe (proposition 1). Il démontre que la qualité très inégale de la liturgie (même au sein d’une seule paroisse) est un frein majeur à ce que les fidèles invitent des non-croyants à la Messe (prop. 2). Il donne beaucoup d’importance au ressenti d’un non-pratiquant qui rentre pour la première fois dans une église (bâtiment) particulière (prop. 3) ; il veut que la messe soit compréhensible par quelqu’un qui y assiste pour la première fois (prop. 4). Il donne dans ce but quatre points de réforme : l’accueil, la musique, les gestes liturgiques, l’homélie. Il conseille de garder une messe “ancienne version” pour les vieux aigris (j’explicite un sous-entendu) (prop. 5).
L’accueil
6. Faire accueillir la population cible par des fidèles du même groupe d’âge.
7. Mettre les meilleurs dans l’équipe accueil, pas des bouche-trou.
8. Accueillir hors d’une logique commerciale mais par amour de l’autre.
9. Prier en équipe accueil avant.
10. Ne pas singulariser les nouveaux ou les pointer du doigt.
11. Aider les gens à trouver une place de parking.
12. À la sortie, qu’un membre de l’équipe accueil demande les prénoms des nouveaux qu’il a identifiés (et ne les oublie pas).
13. Distribuer une feuille avec l’ordinaire de la messe aux gens qui ont l’air perdu.
14. Le célébrant demande, entre le chant d’entrée et le signe de croix, à toute l’assemblée, d’échanger son prénom avec ses voisins. (L’orateur argue qu’on a le droit car la Messe n’a pas commencé.) À la fin de la PU, le célébrant invite chacun à prier pour ceux dont il a reçu le prénom au début de la messe.
La musique
15. Personne n’écoute de l’orgue dans le métro, les gens n’ont donc pas envie d’entendre de l’orgue à la Messe.
16. Il faut utiliser les instruments que les gens aiment écouter : piano, guitare, percussion.
17. Supprimer l’animateur et le remplacer par une chorale amateur dirigée par un professionnel rémunéré (qui est là tous les dimanches).
18. La chorale ne doit pas se produire de manière concertante mais uniquement soutenir le chant de l’assemblée.
19. La qualité d’une assemblée revient au volume sonore de son chant.
20. La chorale ne doit pas répéter, sauf juste avant la Messe. Elle ne doit pas chercher à acquérir un niveau musical bien meilleur que celui de l’assemblée.
21. Le seul critère de sélection des nouveaux chants est : doit être acquis par l’assemblée en trois dimanches d’affilée maximum.
22. Il vaut mieux prendre des chants que les gens connaissent, plutôt que des chants qui collent aux textes du jour.
23. Projeter les paroles du chant sur un écran.
Les gestes liturgiques
24. Il faut concélébrer la grand-messe avec tous les prêtres de la paroisse.
25. Il faut faire des choses qui se voient, p.ex. procession d’évangéliaire, beaucoup de servants.
26. Le prêtre va donner le geste de paix à toutes les servantes d’assemblée qui vont le donner aux fidèles.
L’homélie
27. L’enseignement de l’homélitique au séminaire est quasiment inexistant.
28. À tour de rôle, chacun des 3 prêtres prépare son homélie du dimanche pour le mercredi matin et la donne à ses collègues, de sorte que chacun fait une bonne homélie une semaine sur trois au lieu d’une homélie superficielle chaque semaine.
29. Utiliser PowerPoint pour montrer dans l’homélie les titres des parties et les citations bibliques.
30. Il faut s’inspirer des pasteurs protestants pour la forme des homélies.
31. Il faut raccourcir les annonces (+ utiliser PowerPoint).
Questions
2/ Commentaires
Les propositions 1 et 2 me semblent incontestables, c’est d’ailleurs le témoignage de nombreux convertis. La proposition 3 ne me semble pas catégoriquement fausse, le ressenti a une importance qu’il ne faut pas négliger ; je ne suppose pas que l’orateur compte fonder une conversion sur un ressenti seul, ce qui serait une grave erreur ; cependant, il faut savoir quel ressenti on recherche : foule bruyante ou encens et silence ?
La proposition 4 me semble structurante pour l’ensemble du propos, et l’une des erreurs centrales de la position du P. du Haÿs. Ma proposition A : Comme mystère, la Messe est infiniment intelligible, mais fondamentalement incompréhensible. Donner au fidèle l’illusion qu’il comprend la Messe, parce qu’il peut tout voir (écran) et tout entendre (chants en français, absence générale de silence), va résulter en une intelligence de la Messe très superficielle.
La proposition 5 contredit la proposition 2, à moins qu’on décide de “cacher” la messe “ancienne version” en la transformant en messe privée.
Je donne d’emblée ce qui me paraît être les deux autres erreurs fondamentales du projet du P. du Haÿs. Ma proposition B : la cérémonie, l’événement qu’il propose, est utilitariste. L’orateur utilise fréquemment le terme de “pragmatisme”, et nul ne s’oppose au pragmatisme : tous les liturges de terrain ont vu leurs projets contrariés par l’entêtement de la réalité à ne pas se prêter à nos imaginations, et en liturgie comme partout ailleurs, on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Mais l’orateur ne vise nullement à faire ce qu’il peut pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû : il optimise les moyens à sa disposition pour attirer du monde.
Ma proposition C : la célébration décrite par le P. du Haÿs est une auto-célébration mondaine de l’assemblée.
Les bonnes idées
Avant de développer mes trois propositions qui s’opposent aux thèses implicites ou explicites exprimées dans la conférence, notons d’emblée les bonnes idées, qui procèdent d’un vrai pragmatisme et non d’une logique utilitariste, réductionniste et auto-célébrante : les propositions 7 (une vraie démarche d’accueil), 8 (éviter la logique commerciale), 9 (prier en équipe liturgique de manière générale), 10 (ne pas forcer les timidités), 11 (indiquer le parking) et 13 (distribuer un ordinaire). Je note que pas mal de paroisses qui célèbrent en latin (FORM ou FERM) distribuent un ordinaire, et j’ai eu le plaisir d’avoir un “planton parking” à diverses Messes où j’ai été cet été (surtout des tradies) ; le parking paroissial est même signalé en première page du site de la FSSP Tours ! Voilà une humble idée bien utile. Il nous faudrait tous nous inspirer des propositions 8 et 9 (allez écouter ses développements dans la conférence).
La proposition 17 constitue un retour au bon sens, malheureusement dévoyé par tout le reste : peut-être l’orateur a-t-il eu inconsciemment l’intuition qu’une assemblée dominicale n’est pas le public d’un music-hall qui doit se faire exciter par un chauffeur de salle pour faire bon accueil à la “star” du jour.
La proposition 18 est un sujet de controverse jusque parmi les amis de ce blog. Ma position est que la chorale est souvent excessivement concertante, dans tous les milieux (sauf là où la liturgie, bonne ou mauvaise, est très très pauvre, style paroisse de campagne avec 15 vieux et personne d’autre). Le chœur a un rôle liturgique propre et n’est pas un pis-aller qui chante ce que l’assemblée ne sait pas chanter. En tous cas, cette conception témoigne de traces de bon sens noyées dans une incompréhension de l’esprit de la liturgie.
Je n’ai rien de spécial contre le fond de la proposition 25 ; en incorrigible rubriciste, je vais me contenter de noter que ce qui n’est pas au missel n’est pas au missel, mais tant qu’il s’agit d’ajouts coutumiers ou légitimes, pourquoi pas.
Toute idée pour améliorer les homélies étant bonne à prendre, et le fait de se faire relire par ses confrères ne pouvant être une mauvaise idée, je souscris volontiers à la proposition 28 qui ne me concerne pas.
Les erreurs
Catégorie “messe compréhensible”
La plupart des éléments de cette catégorie sont des propositions visant à désacraliser la Messe pour la rendre “accessible”, “compréhensible”, pour citer l’orateur.
Propositions 15 et 16 : “il faut plaire aux gens, la musique plait aux gens, faisons écouter aux gens de la musique qui leur plait”. Il est d’ailleurs curieux de noter la contradiction entre l’idée “il faut faire écouter aux gens de la musique qui leur plait” et l’idée “si l’assemblée ne chante pas elle ne participe pas”. Les deux idées, passivité extrême (la messe est un show pour l’assemblée) et suractivité stérile (“moi aussi je veux faire un truc pendant la messe” !), semblent opposées, mais sont en fait la même incompréhension totale du rôle des fidèles dans la liturgie.
Propositions 20 et 21 : “visons un mauvais niveau musical”. L’orateur scelle sa position en disant qu’il est très content de la pauvreté musicale des chants de l’Emmanuel (qu’il affirme lui-même ; nombre d’entre eux sont effectivement musicalement nullissimes). Il récuse l’emploi de la polyphonie (ne répétons pas) car cela rendrait la chorale concertante : quel désespoir ! On pourrait former les choristes à une véritable compréhension de leur rôle liturgique, de sorte qu’ils puissent assumer un rôle différent de l’assemblée sans pour autant se produire en concert.
Catégorie “zéro culte gratuit, 100% catéchèse”
Propositions 29 et 30 : faire de l’homélie un mélange entre one-man-show à la façon du protestantisme évangélique et conférence d’entreprise. L’orateur récuse la brièveté comme critère de la bonne homélie. Il n’a, en ceci, pas entièrement tort ; personne ne reproche au P. Zanotti-Sorkine la longueur inénarrable de ses homélies, tant elles sont belles ; mais l’orateur a tort de dire que n’importe quel prêtre peut passionner ses ouailles pendant cinquante minutes. À la vérité, il faut faire un acte d’humilité et reconnaître que Dieu nous a donné, par l’Église, dans la liturgie, une catéchèse bien plus efficace que tout sermon écrit de main d’homme.
Proposition 24 : la concélébration systématique. Alors, de deux choses l’une : soit on supprime des messes ailleurs dans la paroisse (l’orateur mentionne qu’ils sont 3 prêtres pour 4 clochers), soit on fait biner ou triner des prêtres. On met donc en balance : – la grâce sacramentelle dont sont privés certains fidèles, et le culte dont Dieu est privé, quand on dit moins de messes ; – le signe de l’unité de l’Église et le faste de la célébration concélébrée ; – la place de la Messe dans la vie des prêtres, qui, la multipliant à l’excès, diminuent l’attention qu’ils y portent. Je ne suis pas juge du troisième point, mais le premier me semble nettement devoir avoir préséance sur le second.
Catégorie “auto-célébration de l’assemblée”
La volonté de transformer la messe en moment de tissage de lien social (alors qu’une paroisse devrait dédier des moments de qualité au lien social, hors du culte public rendu à Dieu et à lui seul) : proposition 6 (faire accueillir les jeunes par les jeunes et les vieux par les vieux), 12 et 14 (insistance sur les prénoms pour que les gens se connaissent), 26 (geste de paix en bazar), mais aussi 19 (si l’assemblée ne chante pas elle ne participe pas).
On dit que chanter c’est prier deux fois, et c’est vrai, si on chante une prière ; ou si on prie son chant ; mais la fausse logique dans laquelle le chant est indispensable à la participation, autrement dit dans laquelle on ne peut pas prier sans chanter, est une logique dans laquelle le chant n’est pas une prière.
La proposition 22 (plutôt des chants connus que des chants adaptés) me choque profondément ; elle est une conséquence nécessaire de la volonté de maintenir le niveau de la chorale au niveau de l’assemblée, et le niveau de l’assemblée au niveau des chants de l’Emmanuel. On ne veut pas confronter l’assemblée à la difficulté, à ses propres limites ; en somme, on tire vers le bas : c’est d’ailleurs un leitmotiv de toutes les propositions relatives à la musique.
Conclusion
On est pas sorti de l’auberge. Les membres de la Communauté de l’Emmanuel ont des positions variées sur la liturgie ; le fait que le P. du Haÿs ait été choisi pour donner une conférence lors du colloque dont est extraite la vidéo laisse supposer qu’il est représentatif d’une position consensuelle au sein de sa communauté, pas nécessairement généralisée, mais qui du moins n’y choque personne.
Les erreurs fondamentales sur le rôle de la liturgie dans la vie paroissiale, dans la vie intérieure des fidèles, et dans l’union de l’Église militante, souffrante et triomphante, que cette conférence révèle, laissent penser que même parmi les prêtres les plus jeunes, dits “de la nouvelle génération”, parmi lesquels l’hérésie formelle est moins répandue que dans la génération précédente, l’esprit de la liturgie n’a pas su pénétrer, et que notre labeur ne finira jamais !
Par Matthias von Pikkendorff
Note : ce qui suit est la traduction d’un article de Shawn Tribe paru le 27 mai 2019 sur le site du (toujours excellent) Liturgical Arts Journal (https://www.liturgicalartsjournal.com/2019/05/what-are-rogation-days.html) .
Les Rogations furent instituées pour apaiser la justice divine, implorer sa protection, et invoquer la bénédiction divine sur la moisson. On distingue les Rogations majeures et mineures – ces dernières ayant lieu trois jours avant l’Ascension.
La Catholic Encyclopedia, dans son article « Rogation Days », commente ainsi l’origine et l’emplacement des Rogations :
Les jours de Rogations sont le 25 avril – elles sont alors dites Majeures – et les trois jours avant l’Ascension, pour les Rogations mineures. Les Rogations majeures n’ont pas de lien avec la fête de Saint Marc, qui fut assignée à cette date bien plus tard ; elles semblent être très anciennes, ayant été introduites afin de combattre les antique Robiglia, durant lesquelles les païens organisaient des processions et des supplications à leurs dieux. Saint Grégoire le Grand légiféra sur cette coutume ancienne. Les Rogations mineures furent, elles, introduites par Saint Mamert, évêque de Vienne ; elles furent par la suite imposées en Gaule par le cinquième concile d’Orléans en 511, et reçurent l’approbation de Léon III (pape de 795 à 816).
L’abbé Francis X. Weiser, S.J., fait les observations suivantes concernant leur origine :
En 470, en un temps de nombreux désastres (tempêtes, inondations, séismes), l’évêque Mamert de Viennem en Gaule, initia l’observance annuelle d’exercices pénitentiels pendant les trois jours précédant l’Ascension. Avec l’aide des autorités civiles, il décréta que les fidèles devaient s’abstenir d’oeuvres serviles, et vivre ces trois jours dans la pénitence, la prère et le jeûne. Il prescrivit aussi des processions pénitentielles (ou litanies) pour chacun de ces trois jours. Ainsi on appela “litanie” l’ensemble de la célébration.
Bientôt les autres évêques de Gaule adoptèrent cette nouvelle pratique. Au début du VIème siècle, elle commença à se répandre aux pays voisins. En 511, le Concile d’Orláns l’imposa en France mérovingienne. Le diocèse de Milan accepta les litanies, mais les célébrait la semaine avant la Pentecôte. En Espagne, au VIè siècle, elles étaient célébrés la semaine après la Pentecôte. Le Concile de Mayence (813) les introduisit dans la partie germanique de l’Empire carolingien. Charlemagne et les évêques francs pressaient Léon III de les incorporer à la liturgie romaine. Le pape consentit à un compromis ; le jeûne ne fut pas adopté, au contraire de la procession pénitentielle [NdT : probablement parce qu’on considérait le jeûne comme inconvenant pour le temps pascal]. (Handbook of Christian Customs, p. 41-42)
Concernant les aspects liturgiques des jours de Rogation, la Catholic Encyclopedia note :
Les cérémonies à observer dans les processions des Rogations majeures et mineures sont indiquées au Rituel Romain, titre X, ch. iv. Après l’antienne “Exsurge Domine”, on chante la Litanie des saints en disant chaque versicule et répons deux fois. Après le versicule “Sancta Maria”, la procession se met en marche. Si nécessaire, on peut répéter la Litanie, ou ajouter des Psaumes graduels ou pénitentiels. Pour les Rogations Mineures, le Caeremoniale Episcoporum note : “eadem servantur, sed aliquanto remissius” (“On observera les mêmes règles, mais un peu plus simplement”). Si on fait la procession, on doit célébrer la Messe des Rogations, sans prêter aucunement attention à une fête occurante de quelque rang que ce soit – à moins qu’on ne dise qu’une seule messe, et la fête est alors commémorée. On fait une exception pour le patron ou le titulaire de l’Eglisem dont on célèbre alors la messe en commémorant les Rogations. La procession et la messe sont en violet. Le Bréviaire Romain indique que : “Tous ceux qui sont obligés à dire l’Office, et qui ne prennent pas part à la procession, sont tenus de réciter la Litanie, sans possibilité de l’anticiper.”
De peur que nos lecteurs s’imaginent que cette merveilleuse tradition est une chose du passé, voici une photographie d’une procession des Rogations ayant eu lieu en Hongrie en 2017 :