Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

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Mentalité de messe basse : de certains abus dans l’usus antiquior

Cet article reflète l’opinion personnelle de son auteur et n’engage pas Esprit de la liturgie.


Les lecteurs de ce blog ont l’habitude de me voir entrer dans d’interminables précisions sémantiques, définissant tous les termes et posant tous les fondements théoriques de mes conclusions, car j’espère que la clarté de mes propos y gagne ce que leur brièveté y perd. Ce n’est pas la démarche de cette tribune. Si les lecteurs en expriment le souhait, je pourrai développer les origines historiques de la mentalité de messe basse, et comment elle a influencé de manière déterminante la création du Novus Ordo Missæ ; mais aujourd’hui, parlons pratique.

J’ai roulé ma bosse ces dix dernières années dans un grand nombre de célébrations de ce qui fut la forme extraordinaire et qu’il faut maintenant appeler l’usage plus antique, usus antiquior, au gré des (nombreux) déménagements et des vacances. La qualité liturgique de ces célébrations est relativement bonne dans l’ensemble, les défauts observés étant, la plupart du temps, légitimement imputables au manque de volontaires suffisamment formés : en tant qu’ancien cérémoniaire et ancien chef de chœur, je sais plus qu’un autre qu’en liturgie on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.

Cependant, à beaucoup d’endroits, des défauts de diverses natures ne peuvent être expliqués que par un manque de formation liturgique général de toute la communauté, prêtres et fidèles, ou bien par une coupable recherche de la facilité.

Qu’est-ce que la mentalité de messe basse ?

La mentalité de messe basse est, au niveau théorique, la construction de la liturgie à partir de la messe basse, à laquelle on rajoute des éléments en fonction des moyens dont on dispose et de la solennité qu’on veut donner à la célébration : chants, servants, diacre et sous-diacre, encens, orgue, et ainsi de suite. C’est la logique qui fonde explicitement les célébrations dans l’usage réformé.

Au contraire, la liturgie romaine se construit à partir de la messe pontificale, en en retirant certaines parties pour obtenir la messe solennelle, puis la messe chantée, puis la messe basse.

Au niveau pratique, la mentalité de messe basse se trahit dans une célébration par l’import, dans une messe chantée, voire dans une messe solennelle ou pontificale, d’éléments de la messe basse qui n’appartiennent pas à ces célébrations. C’est ce dont nous allons voir de multiples et lamentables exemples.

Des abus, vraiment ?

Certaines des pratiques que je vais lister sont des abus au sens strict, c’est à dire des contraventions au code des rubriques du missel romain de 1962. Certaines autres, licites en elles-mêmes, et parfois justifiées par la nécessité ou les circonstances, ne sont pas des abus, mais, soit par leur accumulation au sein d’une même Messe, soit par l’habitude qu’on en prend et qui les rend ordinaires, trahissent un défaut de compréhension de la liturgie assez profond pour mériter d’être rectifié. J’ai noté celles ci par les mots « mauvaise habitude », ce qui bien sûr n’est que l’opinion d’un fidèle qui veut que le culte rendu à la majesté divine soit le moins possible indigne d’elle.

Je vais également tenter de catégoriser ces pratiques : la plupart relèvent d’une mentalité de messe basse, certaines relèvent d’un certain pastoralisme, ce qui est le nom catholique du populisme, c’est à dire la tentation de satisfaire les envies du peuple plutôt que de chercher à l’élever ; certaines autres relèvent de l’archéologisme, l’attachement désordonné à des formes liturgiques révolues.

Fidèles attachés à l’usage ancien du rite romain, il est inimaginable que nous nous posions en donneurs de leçons vis-à-vis des habitués de l’usage réformé — et pourtant, il y aurait plus d’une leçon à donner : l’auteur de ces lignes ne s’en est pas privé dans de précédents articles — si nous ne donnons pas à voir dans nos propres églises des célébrations absolument exemplaires.

Crache ton venin !

Procédons dans l’ordre de l’Ordo Missæ.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : si l’on ne fait pas l’aspersion, il n’y a aucune raison d’attendre le début des prières au bas de l’autel pour chanter l’introït1. On peut admettre l’idée d’un chant de foule pendant la procession : mais à bien des endroits on laisse passer la procession d’entrée en silence (ou en noyant le silence dans l’orgue) alors que l’introït est, de par sa nature musicale, que confirment les rubriques, un chant de procession. Si on fait l’aspersion, la question ne se pose pas.

Abus (pastoralisme) : l’encens est absolument défendu aux messes basses2. Je l’y ai déjà vu employé, quoique rarement.

Mauvaise habitude (pastoralisme) : l’encens est seulement permis aux messes chantées, comme une concession faite au désir légitime du peuple d’assister à une célébration hiératique2 ; son emploi n’appartient vraiment qu’à la messe solennelle, et il est très souhaitable de se mettre en quête des ministres nécessaires à celle-ci si on veut employer l’encens. Il est inexcusable d’employer l’encens alors que la messe chantée n’est, par ailleurs, pas célébrée avec le degré de solennité qui lui convient (voir ci-dessous : pas de Graduel, d’Offertoire, de lectures chantées).

Abus (pastoralisme) : s’il est légitime d’employer un Kyrie non-grégorien (du moment que le chant grégorien conserve la première place par ailleurs, par exemple si le Propre est intégralement chanté), il n’est pas acceptable d’en modifier le texte, soit en réduisant les répétitions à trois fois deux au lieu de trois fois trois, soit en les augmentant à trois fois six ou plus3. La même chose est vraie pour les Gloria avec refrain et les Sanctus trafiqués (répétition du Hosanna).

Mauvaise habitude (archéologisme) : les chants de l’ordinaire de la messe devraient habituellement pouvoir être chantés par l’assemblée4, même si employer des ordinaires polyphoniques est légitime pour une cause particulière.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : le chant du Gloria appartient aux fidèles et à la schola, en alternance4 ; il est incompréhensible que les fidèles s’asseyent en même temps que le célébrant au milieu du Gloria. Cette habitude a été prise parce que les fidèles ont tendance à adopter la même attitude corporelle que les servants (qui, eux, n’ont pas pour rôle de chanter le Gloria), ce qui est l’exemple parfait de la mentalité de messe basse. N’importe quel chanteur vous dira qu’on chante abominablement mal assis. Chantons debout, ou à genoux ; en tous cas le bassin aligné avec la cage thoracique. J’encourage donc les prêtres à rester courageusement debout à l’autel après avoir fini de réciter le Gloria, pour montrer l’exemple aux fidèles : rappelons que la possibilité qui leur est faite de s’asseoir est une simple permission5. La même chose est vraie pour le Credo, nous n’y reviendrons pas.

Abus (mentalité de messe basse) : si la messe est chantée, la collecte doit être chantée6. On ne peut pas chanter Oremus, puis dire la collecte, comme cela se fait dans l’usage réformé et malheureusement parfois dans l’usus antiquior. L’idée qu’un prêtre qui ne chante pas bien doit se taire est ignoble, puisqu’elle réduit la messe à son aspect exclusivement humain et horizontal. La même chose est vraie de la postcommunion, nous n’y reviendrons pas.

Abus (mentalité de messe basse) : si la messe est chantée, l’Épître peut être chantée7 et l’Évangile doit obligatoirement l’être8. La législation récente impose qu’on emploie la traduction liturgique de ces lectures. La manière la plus rubricale de procéder est donc de chanter le latin liturgiquement (c’est à dire avec Lectio EpistolæDeo gratias, puis Sequentia sancti EvangeliiLaus tibi Christe) puis de répéter les lectures non-liturgiquement en français ; une option audacieuse, quoique non sans fondement historique, peut être de chanter les deux liturgiquement ; une option douteusement licite, mais à mon avis permise, irréprochable sur le fond d’un point de vue liturgique, et assez pratique, est d’omettre le latin et de chanter le français de manière liturgique. En tous cas, l’option la plus répandue qui consiste à lire le français à la place où on devrait chanter la lecture liturgiquement est un abus manifeste. Les tons de l’Épître et de l’Évangile (et celui de la Prophétie pour les messes qui en comportent) s’adaptent assez bien au français.

Abus (paresse/pastoralisme) : il n’est pas permis d’omettre le Graduel9 (ce qui est très fréquent, peut-être même majoritaire dans les messes chantées en France), voire également l’Alléluia, comme on le voit parfois : on chante un Alléluia prévu pour l’usage réformé, comme celui de Berthier, et on omet le verset. S’il faut faire court (encore que ce soit une piètre excuse) ou si la schola n’a pas le niveau (ce qui se comprend mieux), la schola doit chanter ces textes sur un ton psalmodique. Les ressources nécessaires sont disponibles auprès de l’auteur et partout sur Internet.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : à la messe solennelle, depuis la suppression de la lecture privée de l’Épître et de l’Évangile par le prêtre célébrant, les réponses Deo gratias et Laus tibi Christe ne sont plus dites. Le cas de la messe chantée n’est pas clair, mais en tous cas seuls les servants pourraient être tenus de dire ces réponses. En règle générale, l’assemblée chante toutes ses réponses (à l’exception du Domine non sum dignus avant la communion, parce qu’historiquement il ne fait pas partie de la Messe à proprement parler), donc elle ne devrait pas répondre Deo gratias et Laus tibi Christe. Il n’est pas interdit aux fidèles de répondre (de manière générale les fidèles sont très libres dans la messe traditionnelle) mais cette habitude trahit une mentalité de messe basse.

Abus (mentalité de messe basse) : à la messe chantée, il n’est pas permis de réciter le Credo pour gagner du temps6. Prêtres pressés, raccourcissez votre sermon. Les fidèles ne s’en souviendront que mieux.

Abus (paresse) : à la messe chantée, le chant de l’Offertoire n’est pas optionnel9. Si le chœur tient à chanter une polyphonie, tous les Offertoires ont été mis en polyphonie par Palestrina, Lassus, Victoria et leurs collègues10. Si le chœur tient à chanter une polyphonie en particulier qui n’est pas l’Offertoire du jour, de deux choses l’une : soit on n’emploie pas l’encens, et ce n’est pas possible ; soit on l’emploie, et il y a amplement le temps de chanter les deux. Si l’organiste se plaint qu’on ne le laisse pas jouer, alors l’arbitrage doit se faire entre l’orgue et la polyphonie qui n’est pas le propre ; l’Offertoire du propre a droit de cité absolu. Rappelons que l’Offertoire dispose de versets pour le prolonger tout le temps nécessaire.

Abus (mentalité de messe basse) : si on emploie l’encens, et qu’on a chanté l’Offertoire sans ses versets (ou bien, malheureusement, une polyphonie sans l’Offertoire, voir ci-dessus), il est fréquent que le chant se soit interrompu au moment de l’Orate fratres. Alors, dans beaucoup d’églises, le célébrant le dit à voit forte et claire pour que les fidèles répondent de même le Suscipiat. Cette pratique est typique de la mentalité de messe basse et contraire aux rubriques11.

Abus (archéologisme) : le Benedictus du Sanctus doit se chanter à sa suite et avant l’Élévation12, ce qui exclut de la liturgie les Sanctus trop longs. Cet abus est rare mais il existe.

Mauvaise habitude (archéologisme/pastoralisme) : il a été permis, à l’époque où le Benedictus se chantait après l’Élévation, de chanter à son emplacement un pieux motet eucharistique, dans le cas où il serait joint au Sanctus. Cependant, le silence est toujours le meilleur choix pour le temps qui va de l’Élévation au Pater13.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : à la messe solennelle et, par ricochet, à la messe chantée, les servants et assistants in choro ne sont tenus de s’agenouiller qu’à la consécration (de Hanc igitur à Hæc quotiescumque), sauf aux temps pénitentiels où les rubriques prescrivent un agenouillement plus long14. Les fidèles doivent pouvoir sans jugement s’agenouiller pendant tout le Canon ou seulement pour la consécration. Il s’agit d’une contamination par mentalité de messe basse, l’agenouillement pendant tout le Canon étant la coutume de cette dernière.

Abus (paresse) : tout ce que nous avons dit sur le chant de l’Offertoire vis-à-vis des pieux cantiques et motets s’applique également à la communion. L’antienne de communion, avec ses versets, est un processionnal, et doit donc être chantée en premier, dès la fin du Domine non sum dignus des fidèles, et pendant la procession de communion6. S’il y a grand concours de peuple, c’est une mauvaise habitude de la chanter sans versets pour faire de la place au reste du programme musical. La durée très importante de la purification, quand le célébrant est consciencieux, ce qu’on peut espérer, doit suffire à la chorale pour satisfaire ses fringales polyphoniques ou le souhait de l’assemblée de chanter un pieux cantique, voire les deux.

Objections et solutions

« Après tout, ces abus sont bien moins graves que ceux qui existent dans l’usage réformé ! » me rétorqueront certains traditionalistes bon teint. Et depuis quand peut-on excuser sa propre turpitude par celle des autres ? L’existence de ce genre d’argument n’est pas un exemple très reluisant de la formation morale de notre milieu.

« La chorale ne sait pas chanter le propre en grégorien », entend-on partout. Si la chorale sait lire la musique, elle sait chanter le propre en grégorien ; à plus forte raison si elle est capable de chanter une polyphonie de la Renaissance. Si elle ne veut pas répéter le Graduel, elle peut le psalmodier. Les Introïts et Communions sont si faciles que même une assemblée devrait pouvoir les chanter, avec un peu de formation. L’Offertoire mérite qu’on le répète deux ou trois fois avant la Messe pour le mettre en place : c’est l’affaire d’un quart d’heure.

« On est pas des moines » : cette objection est digne d’un slogan politique du genre le plus fangeux. Le chant grégorien n’a rien de monastique. Les moines l’ont conservé quand les fidèles l’ont abandonné, parce qu’ils sont conservateurs, alors que les fidèles sont dilettantes. Le propre grégorien de la Messe n’est pas très long et laisse une large place aux autres genres de musique. Il semble long parce que, pas répété par une chorale paresseuse, il est chanté presque partout beaucoup trop lentement.

« Le fait de réciter les réponses des servants (Deo gratias après l’épître, Laus tibi Christe, Suscipiat Dominus) correspond à un désir légitime de participation des fidèles » : voilà un argument que je n’entends pas souvent, et qui est très juste. Il me semble aisé de mettre ces réponses en musique sur un ton approprié ; resterait ensuite à modifier les rubriques pour donner aux fidèles la possibilité de les chanter, comme c’est le cas pour les deux premières réponses dans l’usage réformé (du moins en théorie). En attendant, la propension à les réciter relève d’une mentalité de messe basse.

« C’est pas grave » : voilà l’objection, fort courante, qui me donnera ma conclusion. La liturgie est un acte collectif de tout le peuple de Dieu, où chacun occupe une fonction qu’il reçoit de l’Église15 : prêtre, diacre, sous-diacre, lecteur, servant, chantre (ou psalmiste), schola ou chorale, assemblée, organiste. Une communauté chrétienne qui a la louange de Dieu au cœur de sa vie ne commet, si ce n’est pressée par les circonstances, aucun des abus ci-dessus, n’adopte aucune de ces mauvaises habitudes, car chacun y connaît son rôle, et le remplit entièrement sans en déborder.

La mentalité de messe basse est intimement liée à l’idée selon laquelle le célébrant peut arbitrairement modifier de fond en comble la forme de la célébration ; idée fausse, contre-nature, scandaleuse, et pourtant considérée comme normale dans beaucoup de paroisses qui emploient l’usage réformé. À nous, fidèles attachés à l’usus antiquior, il faut un sursaut d’humilité pour réapprendre à recevoir la liturgie au lieu de vouloir la faire.


  1. De Musica Sacra et Sacra Liturgia (dans la suite MS58), S. Congrégation des Rites, 1958, §32a
  2. Codex rubricarum 1960 (dans la suite CR60), S. Jean XXIII, §426 et les décrets de 1884 et 1886 de la S. Congrégation des Rites
  3. Tra le sollecitudini (dans la suite TLS), motu proprio de S. Pie X, 1903, §8 et 11
  4. MS58, §25b
  5. CR60, §523-524
  6. Par exemple CR60, §271
  7. CR60, §514
  8. Ritus servandus in celebratione Missae (dans la suite RS62), missel romain de 1962, VI, §4, et CR60, §271
  9. CR60, §469 et §513e, MS58, §27b pour l’offertoire et §27c pour la communion
  10. Entrez l’incipit dans https://www.cpdl.org/
  11. RS61, VII, 7 et 11, et CR60, §513d
  12. TLS, §22
  13. MS58, §27f
  14. CR60, §521c
  15. CR60, §272

Crédit photo : Mater Dei Latin Mass Parish, Irving, Texas. Abbé Thomas Longua, FSSP, célébrant ; abbé Terrence Gordon, FSSP, diacre de la messe ; abbé Phil Wolfe, FSSP, sous-diacre de la messe.

Les Prières au bas de l’autel et le Dernier Évangile : une étude de cas sur le conservatisme de Saint Pie V

Traduit de l’anglais et d’après un article de Peter Kwasniewski publié le 23/08/2021 sur le site https://www.newliturgicalmovement.org/ .

Je me souviens d’avoir entendu il y a quelques années deux affirmations : d’abord que le psaume 42 était récité pendant la procession menant de la sacristie jusqu’à l’autel comme un acte de préparation personnelle, que le Dernier Évangile était proclamé en route pour la sacristie comme un action de grâce personnelle ; et ensuite que c’est le pape Pie V qui, le premier, les a intégrés dans le missel Romain à la place qu’ils occupent désormais. J’ai d’ailleurs moi-même répété à la lettre ces opinions dans une séance de Questions-Réponses après une conférence donnée à Saint-Louis. Un religieux présent lors de cette conférence m’a écrit par la suite une fraternelle correction très polie, et j’ai pensé qu’il serait bénéfique que je partage avec mes lecteurs ce qu’il avait lui-même partagé avec moi -en particulier quand ces derniers temps des personnes qui devraient être mieux informées attribuent souvent à Pie V des actes fantastiques d’originalité.

*          *          *

« Vous avez dit que le Dernier Évangile et les Prières au bas de l’autel étaient des dévotions antérieures à la réforme de Pie V, et qu’elles étaient récitées en marchant pendant la procession depuis la sacristie et en se rendant à la sacristie. J’ai pensé que vous seriez intéressés de voir des photographies des missels Romains préalables au Concile de Trente qui, en réalité, prescrivent l’état actuel des pratiques dans leurs rubriques. On pense que 1474 est l’année de la première édition du Missale Romanum. La Henry Bradshaw Society a publié en 1899 une édition critique du Missale Romanum de 1474 de Milan. Si le Dernier Évangile n’est pas mentionné dans l’Ordinaire, les prières au bas de l’autel, elles, sont là :

Missale Romanum 1474 (1899 édition critique)

Un Missale Romanum imprimé à Venise en 1501, trois ans avant avant la naissance de Pie V, contient deux sections de rubriques : une introduction au début et un Ordinarium Misse au milieu du tome. Ce Missel inclue à la fois les Prières au bas de l’autel et le Dernier Évangile décrits d’une manière parfaitement conforme au format auquel nous sommes habitués durant les messes en forme extraordinaire aujourd’hui. Puisqu’il ne présente pas de pagination, j’ai inclus un outil de recherche textuelle qui mènera aux pages visées (le scan pourra être téléchargé gratuitement également). Il y a :

-Une première section qui inclue les Prières au bas de l’autel : stans ante infimum gradum altaris (cherchez : letificat iyuentutem)

-L’Ordinarium incluant les Prières au bas de l’autel : cum intrat ad altare (cherchez : facerdos cũ itrat)

-La première section décrit le Dernier Evangile : ad cornu evangelii (cherchez : Initium fancti euangely)

-L’Ordinarium ne mentionne pas un Dernier Evangile après le Placeat (cherchez : tibi laf qua fancta)

1501 Missale Romanum (Venise)

On constate que nombre de missels de cette période omettent le Dernier Évangile. Je n’en pas trouvé un seul pour le moment qui omet les Prières au bas de l’autel, dont la forme reste la même dans tous les missels, au moins en ce qui concerne le rite Romain. J’ai également constaté qu’aucun missel ne mentionnait que ces prières devaient être récitées pendant la procession, ce qui signifie que dans l’usage Romain, au moins à l’époque des premiers missels imprimés, la pratique de la récitation de la prière en marchant ne subsistait pas – en supposant qu’elle ait été la norme un jour.

Voici des photographies d’un Missale Romanum imprimé en 1540 : la page de garde, les Prières au bas de l’autel, et le Dernier Évangile :

Un sondage non exhaustif des missels romains primitifs imprimés, numérisés et mis en ligne sur Internet, permet de constater que l’usage du Dernier Évangile (ou de tout ce qui peut survenir après le Placeat) avait tendance à fluctuer jusqu’à l’époque du pape Pie V, dont l’édition du missel a normalisé un certain nombre de choses – et dont c’était précisément l’objet : Pie V voulait publier pour ainsi dire une sorte d’idéal atteignable. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la formule de bénédiction finale. Pour autant on ne peut pas dire que Pie V a inventé la pratique actuelle. Outre les éditions de 1501 et de 1540 du Missale Romanum vues précédemment, la pratique précise que l’on connait actuellement dans les messes en forme extraordinaire se retrouve dans certains usages non Romains tels que le Missale Aniciensis de 1543 dans le diocèse du Puy-en-Velay :

-Prières au bas de l’autel : ante altare (chercher : ang)

-Dernier Évangile après Placeat (chercher : erat verbül)

1543 Missale Aniciensis

C’est le genre de choses que l’on trouve où que l’on regarde : tous les ingrédients du Missel de Pie V de 1570 étaient déjà pleinement présents dans des éditions antérieures. En fin de compte c’est un missel qui transmet d’une manière très conservatrice, tout en clarifiant et en cristallisant désormais au bénéfice de l’Église universelle, ce qui était habituel pour la Curie Romaine. Contraste frappant s’il en est avec la méthode de son 37ème successeur. »

Corollairement : le missel de 1965 n’apporte aucune solution à nos problèmes. Ce missel de transition marque déjà une corruption de l’ancienne tradition Romaine.

[Cette dernière considération de P. Kwasniewski n’engage pas la rédaction d’Esprit de la liturgie, au sein de laquelle existent diverses opinions au sujet du missel de 1965.]

L’apport juridique de Summorum Pontificum

Note du traducteur : On trouvera ci-dessous une traduction d’un article de Gregory DiPippo paru le 9 juillet sur le site du New Liturgical Movement. M. DiPippo est le directeur de la rédaction du New Liturgical Movement, et un expert des réformes du rite romain au XXè siècle. Il propose dans cet article une explication possible du sens précis à donner à l’expression des « deux formes de l’unique rite romain », que Benoît XVI a introduit dans Summorum Pontificum pour caractériser la relation entre liturgies pré- et post-concilaires dans le cadre de l’Église latine. Cette réflexion est intéressante car elle intègre les aspects juridiques du problème tout en proposant une manière de classer les différentes liturgies chrétiennes, puis situe les deux formes du rite romain dans ce double-cadre juridique et liturgique. J’y ai ajouté quelques observations.


Ces derniers jours, avec les rumeurs d’une possible suppression ou d’un retour en arrière de Summorum Pontificum, il y a eu beaucoup de discussions sur son statut et sa signification. J’ai donc pensé qu’il serait utile de rééditer cet exposé sur la question, publié à l’origine lors du dixième anniversaire du motu proprio [NDT : En 2017]. Pour résumer : le motu proprio n’est pas un document sur l’histoire de la liturgie, mais une disposition légale, et doit être lu et compris comme tel.

Je me suis également souvenu aujourd’hui de cette déclaration sur le sujet d’un dominicain français, le père Thierry-Dominique Humbrecht, qui vaut la peine d’être considérée : « Le pluralisme liturgique des deux états du rite romain est peut-être dommageable, mais il est la conséquence d’un éclatement liturgique sauvage, plus dommageable encore, sur lequel la lumière officielle est encore trop timidement faite. »

Je propose ici d’examiner ce que le pape Benoît XVI a voulu dire, et ce qu’il a réalisé, en caractérisant la messe traditionnelle et sa réforme post-conciliaire comme deux formes du même rite, l’une extraordinaire et l’autre ordinaire. Avant cela, je crois qu’il est nécessaire d’établir une distinction entre les termes qui ont été historiquement utilisés pour décrire les variations au sein d’une liturgie ou d’une famille liturgique : « rite » et « usage ».

À ma connaissance, la distinction entre un rite et un usage n’a pas été officiellement établie par l’Église dans sa loi ; il s’agit donc uniquement de mon point de vue sur la question.

Pour des raisons de clarté, les variantes d’un même rite devraient, à proprement parler, être appelées des usages, comme l’usage de Sarum [NDT : la liturgie de l’Église de Salisbury, qui était la plus répandue en Angleterre avant la Réforme protestante] ou l’usage carmélitain ; c’est ainsi qu’elles étaient le plus souvent appelées avant la réforme tridentine. Par exemple, on lit sur la page de garde du Missel de Sarum : « Missale ad usum insignis ecclesiae Sarisburiensis – le Missel selon l’usage de la célèbre église de Salisbury ».

Le frontispice d’un missel de Sarum imprimé à Paris en 1555.

Il est vrai que même avant le concile de Trente, il y avait une certaine confusion entre ces termes, et que « rite » était parfois employé au lieu de « usage » ; après Trente, le terme « usage » est devenu rare. La terminologie n’a certainement jamais été uniforme, et de nombreux livres liturgiques n’utilisent aucun des deux termes, et n’ont qu’un adjectif modifiant les mots « Missel », « Bréviaire », etc. Les Dominicains disaient soit « selon l’Ordre Sacré des Prêcheurs », soit « selon le Rite de l’Ordre Sacré des Prêcheurs ».

A gauche, le début du Missel pré-tridentin « selon l’usage de la célèbre église de Liège ». À droite, le frontispice d’une édition post-tridentine du « Breviarium Leodiense – Bréviaire de Liège » ; « Leodiensis » est la forme adjectivale du nom de la ville en latin, Leodium. En français, on pourrait le traduire plus littéralement par « Bréviaire Liégeois ».

Toutefois, si l’on souhaite établir une distinction entre les différentes liturgies d’une part, et les variantes au sein d’une même liturgie d’autre part, tout en conservant une certaine terminologie historique, il semble évident que « rite » est le plus approprié pour les premières, et « usage » pour les secondes. Il serait absurde de décrire les liturgies des églises orientales comme « l’usage byzantin, l’usage copte, etc. » en les comparant à « l’usage romain » ; il s’agit clairement de rites entièrement différents. « Usage », d’autre part, était le terme prédominant pour les variantes du rite romain alors qu’il y avait de nombreuses variantes de ce type célébrées dans toute l’Europe occidentale.

Toutes les caractéristiques essentielles du rite romain, telles que l’Ordinaire de la Messe et la structure de l’Office, sont les mêmes d’un Usage à l’autre. Elles ne sont pas les mêmes dans les autres Rites. Cela ne s’applique pas seulement au Canon, mais à toute la structure de la Messe : Introit, Kyrie, Gloria, Collecte(s), Épître, Graduel, Alléluia, etc. À quelques variations mineures près, qui sont plus des variations d’agencement que de formulation, l’essentiel des textes liturgiques est également identique. En parcourant chaque missel ou antiphonaire de chaque usage du rite romain, on trouvera l’introït Ad te levavi le premier dimanche de l’Avent, Populus Sion le deuxième, etc. Il est vrai que certaines caractéristiques ultérieures du rite, notamment les prières d’Offertoire et les séquences, diffèrent considérablement d’un usage à l’autre. Ces variances sont cependant restreintes dans des bornes bien visibles, ont beaucoup d’éléments en commun, et peuvent donc être regroupées en familles.

De plus, toute Messe ou tout Office propre écrit pour un Usage peut être transposé dans n’importe lequel des autres sans aucune difficulté. Par exemple, Saint Thomas d’Aquin était dominicain et a écrit l’office et la messe de la Fête-Dieu selon l’usage français médiéval suivi par son ordre. (L’office avait neuf répons à Matines, plutôt que huit comme dans l’usage romain, un verset entre Matines et Laudes, etc.) Presque rien n’a dû être fait pour ajuster ces textes pour le Missel et le Bréviaire selon « l’usage de la Curie romaine », qui dans la réforme tridentine est devenu le Missel et le Bréviaire de Saint Pie V.

Cependant, lorsque la messe de la Fête-Dieu a été ajoutée au rite ambrosien, il a fallu procéder à toutes sortes d’ajustements : l’ajout d’une première lecture, de l’antienne après l’Évangile, de l’Oratio super sindonem et du Transitorium, qui n’existent pas dans le rite romain, et la suppression de la Séquence, qui n’a jamais existé dans le rite ambrosien. Inversement, si l’on voulait prendre la messe ambrosienne de la Saint-Ambroise, par exemple, et la transposer dans le rite romain, il faudrait la modifier très considérablement, en ajoutant un verset de psaume et le Gloria à l’Ingressa pour en faire un Introit, et en supprimant la première lecture, l’antienne après l’Evangile, l’Oratio super sindonem, et le Transitorium.

[Note : pour simplifier, on peut penser la différence entre « usages » et « rites » de façon analogue à la différence existante entre différents dialectes d’une même langue, d’un côté, et différentes langues, de l’autre. Des dialectes sont généralement inter-compréhensibles, et on peut assez facilement passer de l’un à l’autre ; tel n’est pas normalement le cas de deux langues. Que les linguistes nous pardonnent cette analogie un peu crue, dont nous savons qu’elle a ses limites. Elle semble naturelle, dans la mesure où chaque liturgie chrétienne n’est jamais que la langue rituelle dans laquelle la Sainte Église s’adresse à son Divin Époux.]

Si nous acceptons ces définitions de rite et d’usage, il me semble très clair qu’aucune d’entre elles n’est appropriée pour décrire la relation entre ce que nous appelons maintenant les deux formes du rite romain. Au niveau très élémentaire de ce que nous voyons et entendons habituellement dans une messe dans la forme ordinaire et une messe de la forme extraordinaire, elles apparaissent immédiatement comme deux rites différents. Le liturgiste Joseph Gelineau SJ a déclaré à propos de la messe réformée : « Il faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus. Il est détruit ». (Demain la Liturgie, Éditions du Cerf, 1977, p. 9-10) Une telle déclaration ne peut être considérée comme l’opinion d’un seul homme ; le père Gelineau était une figure de proue de la réforme liturgique, et il était très estimé par son architecte le plus célèbre, l’archevêque Annibale Bugnini. Des déclarations similaires, qu’elles soient pour ou contre la réforme, ont été faites par beaucoup d’autres personnes. Il n’y a pas d’autre changement antérieur dans le rite romain à propos duquel je pourrais imaginer qu’un spécialiste sérieux de la liturgie emploie pareil langage.

[Note : si l’on décide, au contraire, de comparer une messe solennelle selon le missel préconciliaire à la forme ordinaire selon sa forme la plus « traditionalisante » possible, c’est-à-dire orientée, chantée en latin et en grégorien, et célébrée avec les options les plus proches du missel préconciliaire, il semble également que des différences rituelles notables apparaitront assez rapidement. Pour la liturgie de la Parole, on pense aux rites introductif de la forme ordinaire, séparant l’Introït et le Kyrie, qui se suivent en forme extraordinaire ; à la lecture précédant l’épître, et au Graduel qui la suit au lieu de suivre l’Epître ; et à l’inversion Alléluia/Séquence.]

Sur la base de mon argument de transposition donné ci-dessus, (les textes peuvent facilement être déplacés d’un Usage à un autre, mais peuvent beaucoup moins facilement, ou pas du tout, être déplacés d’un Rite à un autre), on peut dire que formes ordinaire et extraordinaire partagent une certaine identité. La plupart des textes de n’importe quel bloc de textes de messe peuvent être déplacés de l’un à l’autre assez facilement, ou du moins, beaucoup plus facilement qu’ils ne pouvaient être déplacés entre les rites byzantin et ambrosien. Cependant, si l’on considère que la réforme post-conciliaire a entraîné un déplacement des textes liturgiques bien plus important que ce qui s’était produit auparavant dans le rite romain, et les différences rituelles significatives, il est beaucoup plus difficile d’affirmer que formes ordinaire et extraordinaire partagent une identité. Historiquement, il s’agit d’une situation absolument anormale ; il n’y a jamais eu de cas de deux rites ou usages qui partageaient autant de choses et qui étaient pourtant si radicalement différents.

Pour cette raison, l’identité des deux formes d’un même rite, telle qu’établie par Summorum Pontificum, a parfois été décrite comme une « fiction juridique ». Je soutiens que c’est une façon tout à fait appropriée de décrire la situation, que l’identité des deux formes d’un seul Rite EST une fiction juridique, et que c’est une bonne chose.

Une fiction juridique n’est pas la même chose qu’un mensonge. L’adoption, par exemple, est une fiction juridique, qui stipule que du point de vue de la loi, telle personne est l’enfant de telle autre. Il ne s’agit absolument pas d’une fausse déclaration, même si l’enfant adopté n’est pas la progéniture naturelle du parent. La reconnaissance par la loi du lien entre un parent et un enfant est peut-être l’aspect le moins significatif, précisément parce qu’elle ne crée pas ce lien et ne peut le dissoudre. En ce sens, l’adoption déclare simplement que l’absence de relation génétique entre deux personnes spécifiques n’est pas juridiquement pertinente, et qu’une relation parent-enfant existe entre elles.

De la même manière, l’action de Benoît XVI en créant deux « formes » n’avait pas pour but de parler de la relation entre forme ordinaire et forme extraordinaire du point de vue de l’érudition liturgique ou historique, mais uniquement comme une description de la relation entre elles en droit. Elle déclare simplement que la relation ténue entre les deux formulaires n’est pas pertinente sur le plan juridique.

En droit, un prêtre d’un rite donné a besoin d’autorisations spéciales (les facultés) pour célébrer la messe dans un autre rite. Il s’agit d’une disposition légale utile et parfaitement raisonnable pour diverses raisons, et qui existe depuis longtemps, mais ce n’est pas une nécessité morale en soi ; lorsqu’elles ont été jugées utiles sur le plan pastoral, l’Église s’est montrée assez souple pour accorder de telles autorisations. Cependant, l’objectif de Summorum Pontificum était d’établir qu’un prêtre de rite romain n’a pas besoin d’une faculté ou d’une permission spéciale pour dire la Messe selon le missel traditionnel, comme c’était le cas sous l’indult Ecclesia Dei. Je crois que Benoît XVI a agi très sagement et consciencieusement en adoptant une catégorie complètement différente de toutes celles utilisées précédemment, celle de la « forme » au lieu de « l’usage » ou du « rite », pour contourner un problème juridique important, à savoir que par toute autre solution, il aurait rendu la grande majorité des prêtres catholiques « bi-rituels ». Cela aurait été une abomination juridique sans précédent.

Mettre en place les ornements du prêtre et préparer le calice pour la messe (forme extraordinaire du rite romain)

Après avoir vu comment préparer l’autel et la crédence le servant doit savoir préparer le calice. En effet, même si c’est normalement à un sous-diacre ou au prêtre de préparer le calice, il peut charger le servant de le disposer. Ce dernier veille alors à ne pas toucher directement le calice avec les mains mais en se munissant si possible de gants en tissu. En effet, seul le sous-diacre peut toucher les vases sacrés (calice et patène) et les linges sacrés (purificatoire, pale et corporal), car il en reçoit le pouvoir lors de son ordination.

Le calice se prépare de la manière suivante : le purificatoire déplié est posé sur les bords de la coupe du calice. La patène contenant une grande hostie est placée sur le purificatoire, la pale est posée sur la patène et l’hostie, le voile du calice recouvre l’ensemble du calice, la croix brodée sur le tissu centrée sur le devant. La bourse contenant le corporal est posée sur le voile du calice la croix brodée vers le haut. Attention à ne pas oublier de mettre l’hostie sur la patène.

On prépare ainsi le calice pour toutes les messe basses et les messes chantées. À la messe basse, on le laissera à la sacristie, et le prêtre entrera en procession en le portant, tandis qu’à la messe chantée avec encensement, le calice sera posé sur la crédence avant la messe, et amené sur l’autel par le cérémoniaire avant l’offertoire.

Préparer les ornements incombe habituellement au sacristain ou à un servant de messe. Celui-ci dispose alors sur le meuble de la sacristie (ou chasublier) les ornements du prêtre de la manière suivante :

Il étend d’abord la chasuble à plat sur le meuble, en mettant le dos de celle ci vers le haut. Il dispose correctement les cordons situé à l’intérieur de la chasuble afin qu’ils ne soient pas visible de l’extérieur.

Sur la chasuble, il dépose l’étole. Il la place en forme de H, c’est-à-dire en plaçant les franges vers le col de la chasuble et la collerette (partie en dentelle) dirigée vers le bas pour être facilement accessible par le célébrant. Il pose ensuite le manipule au milieu, par-dessus l’étole.

Les franges sont également dirigées vers le col de la chasuble et l’attache des pans du manipule placée à droite. Puis il dispose le cordon, les glands dirigés vers la droite (on prends souvent l’habitude d’écrire la lettre M (pour Maria) avec le cordon).

Il place l’aube par-dessus le tout en repliant les manches, et relève la moitié inférieure pour que le célébrant puisse la prendre plus facilement. Enfin il déplie l’amict sur l’aube et dispose convenablement le cordons attachés à l’amict.

À côté des ornements, on déposera la barrette du célébrant.

Les ornements se préparent ainsi à toutes les messes basses et aux messes chantées qui ne sont pas précédées d’une aspersion ou d’une autre cérémonie durant laquelle le célébrant revêtira la chape. Dans ces cas là, on placera la chasuble et le manipule sur la banquette, et le reste des ornements à la sacristie.

Voici donc les règles générales, mais comme à chaque fois, il faut savoir les adapter à la situation, c’est là tout le rôle du cérémoniaire. Observer chaque circonstance, et s’adapter. Les prêtres par exemple ne portent pas tous la barrette. Les voiles de calices n’ont pas toujours de croix, surtout en Italie. Si le célébrant en à l’usage, le cérémoniaire veillera à la présence de la calotte. Ce sont ses qualités d’adaptations qui font un bon cérémoniaire, ce que nous devons tous aspirer à devenir, pour la plus grande gloire de Dieu

Maître des cérémonies Pontificales: Monseigneur Enrico Dante

Un des plus grands esprits liturgiques du vingtième siècle a été Monseigneur Enrico Dante (1884-1967). Il fût choisi parmi beaucoup pour être le Maître des Cérémonies pontificales durant trois décennies importantes qui atteindront leur apogée avec le Concile Vatican II. Le 24 avril est l’anniversaire de sa mort à l’âge de 82 ans. Mgr Dante incarne l’âge d’or de la liturgie pontificale.

Mgr Dante se repère aisément, on le voit debout proche des papes – dans son raffinement oriental – dans l’élégance de ses manières et de son comportement. Son attitude n’était rien de moins que parfaite. Il fût l’architecte derrière les célébrations pontificales sous les pontificats de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI. En tant que cérémoniaire du pape, il était le ciment qui maintenait la tenue des liturgies papales complexes. Ces années ont vues le développement de la photographie, précieux témoignages de ce qu’était la splendeur et l’imagination de l’ancienne chapelle et de la cour papale. Les célébrations liturgiques devaient débuter telles un spectacle époustouflant de beauté, une telle scène ne pouvait être tenue qu’à Rome et au Vatican. Les fidèles rentraient chez eux avec les yeux pleins de joie et le cœur plein de révérence.

Aujourd’hui encore, Mgr Dante compte de nombreux adeptes parmi les liturges. Certains pèlerins venant à Rome souhaitent visiter encore aujourd’hui sa tombe. Il est enterré dans la crypte de la Basilique de Sainte-Agathe des Goths, aujourd’hui église titulaire du Cardinal Burke, située juste en bas de la rue derrière l’Angelicum. Demandez à la sacristie de voir la crypte du bas et le sacristain vous ouvrira la porte et allumera la lumière.

Dante a été chargé à la fois d’assister et de superviser certaines des plus belles fonctions sacrées jamais filmées. Ce furent des années de prestige, d’élégance baroque et de beauté, lorsque les hautes liturgies scintillaient dans le rayonnement du soleil d’Orient, avec tant de subtils éléments byzantins. Les liturgies étaient construites pour durer éternellement, aussi longtemps que la papauté elle-même. Le centre du travail de Dante était d’assister le Saint-Père à l’autel durant la Sainte Messe. Je peux certainement dire moi-même qu’aucun homme à l’autel ne m’a autant impressionné dans son rôle sacré de cérémoniaire.

Au cours des dernières années de son mandat, le vent du changement a soufflé et bientôt la tempête de la révolution a eu l’élan d’un train de marchandises. Le changement était dans l’air et l’esprit révolutionnaire était, de l’avis de beaucoup, imparable. Aujourd’hui, les historiens et les liturges curieux étudient et s’émerveillent devant les précieux rites de l’Antiquité qui ont survécu jusqu’à nos jours, consignés à jamais dans les vieux Cérémonials de la sacristie de la Basilique du Vatican, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque du Vatican. Mgr Dante a été le dernier cérémoniaire papal avant l’arrivée du novus ordo . Les drames sacrés des liturgies papales de l’époque étaient une succession de grands personnages et comprenaient des figurants aussi colorés que l’imposante Garde Noble et les gardiens du Pape. L’aristocratie locale de rang et d’intellect était incluse avec des rôles spéciaux. La noblesse romaine, les maisons royales d’Europe et les hauts dignitaires de l’église, ainsi que le corps diplomatique accréditées auprès du Saint-Siège, jouaient un rôle important dans les liturgies papales, assurant la présence des dignitaires de la haute cour, portant les différents insignes des ordres royaux et chevaleresques et les décorations militaires d’honneur. Les sediaris, vêtus de leurs brillants costumes de brocart rouge, portaient le pape dans une grande entrée sur la sedia gestatoria. Le haut chambellan de Sa Sainteté, était toujours présent. Les visiteurs étaient pris par l’émotion de la scène.

Moins d’un an après la mort de Dante, la cour et la chapelle papale ont été secouées par le Motu Proprio Pontificalis Domus, abolissant de fait les protocoles des siècles précédent. La sagesse et les traditions des siècles ont été supprimées au profit d’un nouveau départ, tandis que les rôles du clergé et des laïcs dans la chapelle pontificale ont été réorganisés de manière drastique. En bref, l’époque des liturgies complexes du « pharaon » papal était révolue, où les liturgies resplendissaient dans un habit de joyaux. Les gens s’étaient lassés de la grandeur.

On peut dire beaucoup de choses sur Monseigneur Dante et la majesté perdue des liturgies papales à cette époque ; je recommande le lien vers sa page Wiki pour une brève biographie. Hélas, je souhaiterait qu’un historien intrépide écrive sa biographie. Dante a été préfet des cérémonies pontificales de 1947 à 1965. Il a fait ses débuts dans les liturgies papales en 1914 lorsqu’il a rejoint le Collège des cérémoniaires pontificaux. Il a été créé cardinal le 22 février 1965. Il a vécu deux ans en tant que cardinal de la Sainte Église romaine et est décédé le 24 avril 1967. Dans votre charité, veuillez offrir une prière pour le repos de son âme.

Article original de John Paul Sonnen publié sur Liturgical Arts Journal, traduit par Guy Bachelier .

Les processions de Carême

Ça y est, le Carême a commencé. Et avec le Carême, son lot de pénitences et de jeûnes, dans l’attente de Pâques. La liturgie prend alors des atours plus sobres : l’orgue se tait (sauf pour accompagner le chant des fidèles), l’autel n’est plus fleuri, les mélodies grégoriennes se font plus suppliantes et l’on supprime le mot en « A », qu’on retrouvera d’une manière spectaculaire lors de la Vigile pascale.

Tout cela est connu (du moins on peut l’espérer). Mais il est une caractéristique intéressante du temps du Carême, moins connue des fidèles et du clergé, décrite dans le Missel romain (ed. Typ. 2002, Carême, I). Voici une traduction officieuse et personnelle de cette description :

Il est fortement recommandé que la tradition du rassemblement de l’Eglise locale, sur le modèle des « stations » romaines soit conservée et promue, surtout pendant le Carême et au moins dans les plus grandes villes et d’une manière adaptée aux situations individuelles.

De tels rassemblements des fidèles, surtout sous la présidence du pasteur du diocèse, peuvent avoir lieu le dimanche, ou en d’autres jours appropriés pendant la semaine, soit sur la sépulture des saints, soit dans les sanctuaires ou églises principales d’une ville, ou même dans les lieux de pélerinage les plus fréquentés du diocèse.

Si une procession précède la Messe célébrée pour un tel rassemblement, les fidèles peuvent, selon les circonstances et conditions locales, se rassembler dans une église mineure ou dans un autre lieu approprié, autre que l’église où la procession se rendra.

Après avoir accueilli le peuple, le prêtre dira une collecte du Mystère de la Sainte Croix, ou celle pour la Rémission des péchés, ou pour l’Eglise, en particulier pour l’Eglise locale, ou l’une des oraisons sur le peuple. Après quoi, on se rend en procession à l’église où la Messe sera célébrée, pendant que l’on chante la litanie des saints. En des endroits appropriés de cette litanie, on peut insérer des invocations au saint patron, ou au saint fondateur, ou aux saints de l’Eglise locale.

Lorsque la procession parvient à l’église, le prêtre vénère l’autel et, selon l’opportunité, l’encense. Puis, en il dit la collecte de la Messe et poursuit celle-ci de la manière habituelle, en omettant les rites initiaux et, selon l’opportunité, le Kyrie.

Une telle pratique se veut donc une restauration de l’usage romain ancien, où la Messe était précédée d’une procession, d’une église à une autre. Le terme « collecte » qui désigne l’oraison d’ouverture de la Messe, vient d’ailleurs de là : le Pape chantait une oraison sur le lieu du « rassemblement » (collecta) de son peuple. De là, tous partaient en procession, en chantant des psaumes et des litanies, jusqu’au lieu où la Messe allait être célébrée. Une telle pratique était courante pendant le Carême, et la procession prenait alors une allure pénitentielle.

Cet usage, d’origine romaine, s’est ensuite transmis à nombre de lieux, en particulier en France. Pour plus d’informations, la lecture de cet article, consacré aux stations de Carême dans la liturgie parisienne, est incontournable : https://schola-sainte-cecile.com/2016/02/17/les-stations-de-careme-dans-lancien-rit-parisien/

Malgré cela, cet usage est tombé en désuétude à peu près partout.

On retrouve un tel schéma dans le missel romain (à ceci près que la procession semble faire partie de la Messe, au lieu de la précéder), qui nous invite à restaurer cette ancienne coutume ; cela permettrait de donner à nos offices quadragésimaux une allure propre à nous exhorter à la pénitence, grâce à l’effort de la procession. Pourquoi ne pas inviter votre curé (voire votre évêque) à mettre en œuvre cet usage ?

Voyez, même le Pape donne l’exemple (ici au Mercredi des Cendres, en 2019)

Pourquoi toute liturgie chrétienne doit être orientée

Notre étude part d’un constat: la pratique de célébrer la messe face au peuple semble être aujourd’hui un fait que bien peu de monde songe à remettre en cause. Célébrer l’Eucharistie face aux fidèles apparaît aux yeux de la plupart des catholiques comme un progrès inéluctable. Autrefois, le célébrant tournait le dos à l’assemblée en marmonnant des prières en un latin incompréhensible; aujourd’hui, le prêtre voit les fidèles, se tourne vers eux, célèbre face eux, leur permettant ainsi, pense-t’on, de mieux participer à l’action qui se déroule sur l’autel. Le fait pour les fidèles de «voir» l’intégralité des rites qui s’accomplissent sur l’autel est considéré à notre époque comme un élément essentiel de la célébration eucharistique. Par ailleurs, on attribue généralement cette pratique aux enseignements du concile Vatican II, qui aurait, pense-t’on, rétabli un usage antique longtemps oublié à partir d’un Moyen-Age obscurantiste et clérical. Cependant, il semble que cette vision des choses soit en réalité à la fois très récente, et très typique d’une certaine mentalité essentiellement moderne et occidentale. Cet article a pour but de donner des éléments de réponse aux trois questions suivantes: le concile Vatican II a t’il réellement demandé la célébration de l’Eucharistie face aux fidèles? Cette pratique a-t’elle été la pratique généralement pratiquée dans l’Eglise primitive? Enfin, exprime-t’elle adéquatement le mystère de l’Eucharistie et de la prière liturgique chrétienne?

Une pratique récente et controversée

Il suffit de parcourir la constitution conciliaire sur la liturgie pour s’apercevoir que le Concile lui-même, à aucun moment et contrairement à une idée reçue solidement ancrée dans les mentalités diocésaines, ne demande de retourner les autels en vue d’une célébration face au peuple. Sacrosanctum Concilium n’évoque même pas le sujet et les normes actuellement en vigueur n’en envisagent que la possibilité. La pratique consistant à installer de nouveaux « autels » pour pouvoir y célébrer la Messe face aux fidèles n’apparaît que de manière anecdotique dans les années 1940, avant de se répandre puis de se systématiser dans les années 1960-1970. Pourtant, dès 1955, Paul Claudel, l’un des plus grands écrivains catholiques du XXe siècle, publie une lettre ouverte intitulée La messe à l’envers, dans lequel il dénonce avec force la généralisation de cette pratique qui, contrairement à ce que l’on a pu dire, modifie substantiellement la théologie traditionnelle de la Messe. Il semble en effet que la généralisation de la célébration versus populum n’ait pas été le fruit d’une véritable réflexion sur la signification profonde de la liturgie, mais bien plutôt d’une « mode » consistant à ne concevoir la liturgie que du point de vue pastoral, et non du point de vue de la vérité théologique dont elle est pourtant sensée être l’expression. En outre, il s’avère, après étude sérieuse des sources patristiques et historiques, qu’une grande partie des présupposés ayant servi à justifier la « messe face au peuple » dans les années 1960 ont été construits sur de parfaits contresens et sur une interprétation en grande partie erronée des sources archéologiques paléochrétiennes. Ainsi, la disposition des basiliques romaines avait été un argument phare de nombre d’historiens et de liturgistes pour justifier la célébration de la messe face au peuple.

En réalité, ces arguments se sont avéré être faux à la fois sur le plan architectural et sur le plan historique ; La célébration dans ces basiliques est en effet bien orientée puisque l’Orient se situe la plupart du temps du côté de la porte d’entrée. Dans les premiers siècles, d’après certains liturgistes comme Louis Bouyer, les fidèles n’étaient d’ailleurs probablement pas disposés dans ce type d’édifice très spécifique comme ils le sont actuellement (face à l’autel et à l’abside), mais il semble qu’ils se plaçaient sur les côtés de l’autel et étaient eux aussi tournés, en même temps que le célébrant à l’autel, vers l’Orient. De même, le fait que les autels des églises des premiers siècles aient été construits de manière à ce qu’ils soient séparés du mur absidial a été interprété, par certains historiens de l’époque (cf. NUSSBAUM Otto, Das Standort des Liturgen am christlichen Altar, 1965), comme la preuve que la messe y était dite face aux fidèles ; or on sait aujourd’hui que cette interprétation est erronée et que le concept de « messe face au peuple » tel qu’on l’entend aujourd’hui est totalement étranger à la mentalité et aux pratiques liturgiques de l’Eglise primitive, comme l’ont très bien démontré les meilleurs spécialistes de la question tels que Klaus Gamber, Louis Bouyer ou encore Marcel Metzger (cf. METZGER Marcel, «La place des liturges à l’autel», Revue des sciences religieuses 45, 1971).

L’omniprésence de la symbolique de l’Orient chez les Pères

La célébration vers l’Orient, en revanche, est un fait attesté depuis les origines du christianisme. Commençons par étudier les écrits des Pères de l’Eglise et les écrivains chrétiens des premiers siècles. Ainsi, saint Augustin, au IVe s., écrit: «Quand nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient d’où le soleil se lève. Non que Dieu ne serait que là, non qu’il aurait abandonné les autres régions de la terre, … mais pour que l’esprit soit exhorté à se tourner vers une nature supérieure, à savoir Dieu. ». Pour Tertullien (vers 200), la prière vers l’Orient va de soi. Dans son petit ouvrage « Apologétique », il mentionne que les chrétiens «prient en direction du soleil levant». Saint Jean Damascène (VIIe s.) écrit: «Lors de son Ascension, Il monta vers l’Orient, et c’est ainsi que les Apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra, de la même manière qu’ils le virent monter au ciel, comme le Seigneur lui-même l’a dit: «Tel l’éclair qui jaillit de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident, tel sera le retour du Fils de l’homme» (Mt, 24, 27). Parce que nous l’attendons, nous l’adorons tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des Apôtres». Saint Athanase d’Alexandrie écrit au IVe siècle: «Les églises chrétiennes sont tournées du côté de l’Orient afin que nos regards soient dirigés du côté du paradis, notre antique patrie, d’où nous avons été chassés. Et nous prions Notre-Seigneur de nous rendre ce lieu d’où nous avons été chassés» (Pseudo-Athanase, PL. 23, col.618-619). Origène, au IIIe siècle: «C’est de l’orient, que nous vient le salut ; de là vient cet homme appelé Orient, médiateur entre Dieu et les hommes» (Homil. IX in Lev. n. 10). Saint Clément d’Alexandrie, au début du IIIe siècle, écrit dans les Stromates VII, 7, 43, 6-7, : «Etant donné que l’Orient est une image du jour de la naissance et l’endroit d’où croît la lumière qui a commencé à luire dans les ténèbres, un « jour » de la connaissance de la vérité s’est aussi levé sur ceux qui sont enveloppés dans les ténèbres ; les prières sont faites dans la direction du lever du soleil, vers l’est, selon la course du soleil.» Saint Ambroise de Milan, dans ses catéchèses sur le baptême, au IVe siècle, écrit: « Tu es donc entré pour regarder ton adversaire, à qui tu as décidé de renoncer en lui faisant face, et tu te tournes vers l’Orient [ad Orientem] ; car celui qui renonce au Diable se tourne vers le Christ, il le regarde droit dans les yeux » (Traité sur les Mystères). On pourrait aussi évoquer les textes des plus anciennes liturgies chrétiennes, dont beaucoup contiennent des textes évoquant clairement une orientation commune du clergé et des fidèles ; Ainsi, par exemple, l’anaphore copte de Saint Basile: «Approchez, vous autres hommes, tenez vous avec respect et regardez vers l’Orient!», ou bien encore l’anaphore de Saint Marc: «regardez vers l’Orient!».

Les pratiques liturgiques paléochrétiennes. L’avis des historiens et des liturgistes

Louis Bouyer, un des plus grands théologiens du Concile, était un farouche opposant de la messe « face au peuple ». Voici ce qu’il écrit dans son célèbre ouvrage Le Rite et l’Homme: « L’idée que la basilique romaine serait une forme idéale de l’église chrétienne parce qu’elle permettrait une célébration où prêtres et fidèles se feraient face est un complet contresens. C’est bien la dernière des choses à laquelle les anciens auraient pensé ». Le P. Josef A. Jungmann, auteur du célèbre ouvrage «Missarum sollemnia» écrit : « L’affirmation souvent répétée que l’autel de l’Église primitive supposait toujours que le prêtre soit tourné vers le peuple, s’avère être une légende ». Le Père Joseph Gélineau, que personne ne taxera d’intégriste puisqu’il a au contraire été à la pointe des innovations souhaitées par la partie la plus libérale du mouvement liturgique, écrit dans La Maison-Dieu (63, 1960, pp. 53-68): «Le célébrant, qui vient à l’autel pour l’eucharistie, ne devrait-il pas officier face au peuple? Il est nécessaire d’observer que le problème de l’autel versus populum tel qu’il se pose aujourd’hui est relativement nouveau dans l’histoire de la liturgie. Durant une période assez longue et pour une bonne part de la chrétienté, la question dominante, au dire de plusieurs historiens, ne fut pas celle de la position réciproque du célébrant et des fidèles, mais celle de l’orientation au sens strict, c’est-à-dire de se trouver face à l’Orient pour la prière. L’Orient symbolisait alors la direction de l’ascension et du retour du Christ ». Olivier Beigbeder quant-à lui note : «L’orientation des églises vers l’Est est un fait régulier au moins à partir du Ve siècle… Il est assez frappant de noter comment le respect de l’orientation a parfois été aux antipodes de la beauté: il n’est que de contempler, à Lyon, des rives de la Saône, la cathédrale Saint-Jean et l’église de Fourvière, pour constater que l’esthétique ne trouve pas son compte à ce que les églises tournent ainsi le dos à la rivière ». Le professeur Cyrille Vogel (1919-1982), grand spécialiste de l’histoire du culte chrétien et professeur à la Faculté de Strasbourg, fait lui aussi le même constat : «le problème d’une célébration vers le peuple en vue de le faire participer plus complètement à l’action eucharistique est un problème étranger à l’antiquité chrétienne, alors que la célébration vers l’Orient est une des grandes constantes du culte ». Plus récemment, dans un article publié en 2010 et intitulé L’orientation des autels, un problème mal posé?, Alain Rauwel, professeur agrégé à l’Université de Bourgogne, revient sur le débat entre spécialistes à propos de l’orientation de la liturgie durant le premier millénaire et le Moyen-Age, et conclut son étude en écrivant: «Le versus orientem est bien une évidence. Ce n’est donc pas à ses tenants d’apporter leurs preuves, mais à ses adversaires d’étayer leurs arguments. Pour l’heure, le moins que l’on puisse dire est que l’on a rien lu de convainquant…»

La véritable origine du «face au peuple»: la Réforme et l’humanisme de la Renaissance

On l’a vu, c’est en vain que l’on cherche dans les écrits des Pères des premiers siècles la moindre allusion à une quelconque « messe face au peuple » dans l’Eglise primitive. En revanche, l’idée d’une célébration face au peuple est explicitement et pour la première fois de l’histoire évoquée par Martin Luther lui-même: «Nous conserverons les ornements sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe, entre vrais chrétiens, il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi, et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple, comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre.» (Martin Luther, Deutsche Messe und Ordnung des Gottesdienstes, 1526). Or cette hypothèse de Luther selon laquelle le Christ lors de la Cène aurait célébré « face » à ses convives a été démentie par les meilleurs spécialistes de la question. Ainsi, le P. Bouyer affirme que « l’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fût chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis, ou allongés, sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait put survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était bien plutôt accentué par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table » . L’idée qu’une célébration « face au peuple » serait plus proche de la Cène décrite dans les Evangiles -et donc plus conforme à la volonté du Christ- est donc une idée récente, inaugurée par Luther, et certainement pas une idée remontant aux premiers chrétiens. Sur ce point, il est en outre nécessaire de rappeler la chose suivante: il ne faut pas perdre de vue le fait que la sainte Messe est à la fois un sacrifice et un Banquet mystique et n’est donc pas une simple reconstitution archéologique de la Cène. Hélas, la comparaison entre le texte de Luther appelant à une célébration face au peuple et ce qui a été mis en œuvre sur le terrain dans l’immense majorité des diocèses depuis cinquante ans ne peut que donner la très désagréable impression que le « catholicisme » tel qu’il est concrètement vécu dans les paroisses aujourd’hui semble bien plus fidèle à la pensée luthérienne qu’à l’enseignement des Pères de l’Eglise. Et cette impression est encore renforcée lorsque l’on constate qu’aucune Eglise d’Orient –dans l’ensemble restées plus fidèles aux pratiques cultuelles de l’Eglise primitive- ne pratique la célébration versus populum, excepté quelques unes qui ont subit au cours des dernières décennies la –mauvaise- influence occidentale.

Le problème tel qu’il se pose aujourd’hui

La conclusion qu’il nous faut tirer de cette étude est que la célébration « face au peuple » entre clairement en contradiction frontale avec toute l’histoire de la liturgie chrétienne, tant en Orient qu’en Occident, et ce depuis les temps apostoliques. La généralisation de la célébration face au peuple a donc bien été, et ce de manière incontestable, une rupture nette avec la tradition bimillénaire de l’Eglise; elle semble en outre avoir puissamment contribué faire perdre aux prêtres et aux fidèles le sens profond de l’Eucharistie. En avril 1992, le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, écrivait : «Nous nous sommes tellement tournés vers l’assemblée que nous avons oublié de nous tourner ensemble, peuple et ministres, vers Dieu ! Or, sans cette orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens chrétien». Le P. Louis Bouyer, que l’on ne peut taxer d’intégriste puisqu’il a été l’un des grands théologiens du Concile Vatican II, écrivait dans la préface de l’ouvrage Tournés vers le Seigneur de Klaus Gamber : «Il en résulte que la messe dite face au peuple n’est qu’un total contresens, ou plutôt un pur non-sens ! Le prêtre n’est pas une espèce de sorcier ou de prestidigitateur produisant ses tours devant une assistance de gobeurs : c’est le guide d’une action commune, nous entraînant dans la participation à ce qu’a fait une fois pour toutes Celui qu’il représente simplement, et devant la personnalité duquel la sienne propre doit s’effacer !». Il apparaît donc évident que la question de l’orientation de la prière liturgique en général, et de la célébration eucharistique en particulier, devrait faire l’objet d’une sérieuse réévaluation. Sa redécouverte dans la vie liturgique de nos paroisses pourrait bien être le signe d’une redécouverte salutaire et d’un approfondissement du sens spirituel, symbolique, cosmique et mystique du culte chrétien.

Cependant, il faut reconnaître qu’une telle restauration, quoique nécessaire, ne puisse se faire sans de sérieuses difficultés. On nous objectera, par exemple, qu’aujourd’hui une partie non négligeable de nos églises ne sont plus orientées, en particulier celles qui ont été construites à partir du XVIe siècle sans reprendre le plan d’une église médiévale préexistante. A cet époque en effet, la compréhension profonde du symbolisme traditionnel en général et celui du soleil Levant en particulier s’estompe et cède la place à de toutes autres considérations: on se préoccupe essentiellement de la bonne disposition de l’édifice par rapport à l’organisation urbaine. Le symbolisme sacré qui exprime la foi et soutien la spiritualité s’efface au profit du rationalisme et du pragmatisme modernes. Par ailleurs, à partir de cette même époque, les autels, qui jusqu’au Moyen Age avaient conservé la forme d’un cube ou d’un parallélépipède simple, conforme au symbolisme qu’ils sont sensés exprimer, commencent à se transformer en des meubles imposants et monumentaux, surchargés de sculptures et d’une ornementation de plus en plus chargée qui ont tendance à obstruer la fenêtre percée dans l’abside orientale et originellement destinée à faire pénétrer dans le sanctuaire la lumière matinale. Dans beaucoup d’églises qui portent les stigmates de ces transformations, il faut reconnaître que la célébration vers l’Orient perd une partie de son sens… sans que celui-ci disparaisse complètement. Nous pensons en effet que même là où le sanctuaire n’est pas orienté, ou bien là où la fenêtre orientale disparaît derrière les aménagements issus de ces époques, le fait pour les fidèles et les ministres d’être tournés dans le même sens, vers la croix et le tabernacle, conserve une signification spirituelle tout à fait essentielle. Notons cependant qu’il serait préférable, au moins dans les églises dont la taille le permet, de toujours célébrer sur un autel séparé du mur, de manière à pouvoir en faire le tour, notamment lors des différents encensements prévu dans la liturgie.

Ex Oriente Lux…

Pour conclure…

Il est un fait rigoureusement incontestable que les premiers chrétiens voyaient le lever du soleil à l’Est comme l’image de la Résurrection et le symbole préfigurant le retour glorieux du Ressuscité à la fin des temps. C’est cette vision pleine d’espérance qui a conduit les premiers disciples du Christ, et ce dès les temps apostoliques, à se tourner vers l’Orient pour la prière communautaire et surtout pour la célébration de l’Eucharistie. Le concile Vatican II, loin de demander la célébration dite « face au peuple », a au contraire souhaité réhabiliter cette dimension eschatologique de la liturgie chrétienne, notamment par l’ajout de cette prière : «Nous proclamons ta mort, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la Gloire», que nous chantons après la Consécration. Or, c’est précisément dans le cadre d’une liturgie orientée que cette prière prend tout son sens!

En outre, il est faux de prétendre que la célébration versus populum exprime davantage la dimension pastorale et communautaire de la liturgie. Ce serait même plutôt le contraire qui est vrai. En effet, l’orientation commune du clergé et des fidèles illustre parfaitement l’ecclésiologie paulinienne et patristique telle que l’a remise à l’honneur le concile Vatican II : l’Eglise comprise comme le Corps du Christ, un corps dont chacun des membres joue un rôle spécifique au service de l’unité de ce corps : lors de la célébration eucharistique, les fidèles, en vertu de leur baptême, forment le «Christ-Corps » proprement dit, tandis que le prêtre représente le « Christ-Tête » qui se tient en avant de celui-ci pour le ramener vers le Père ; l’orientation exprime également à merveille l’image du Bon Pasteur, qui conduit ses brebis vers les verts pâturages de la vie éternelle. A ce titre donc, l’orientation de la liturgie est pleinement « pastorale », dans le sens le plus noble et le plus fort de ce terme.

Revenir à la pratique de l’orientation de la Messe ne signifie donc certainement pas faire preuve de « traditionalisme » ou d’intégrisme, mais cela signifie bien au contraire renouer avec le meilleur et le plus authentique de la spiritualité chrétienne : une spiritualité orientée vers la Lumière de la Résurrection, habitée par une confiante espérance dans le retour glorieux du Christ ressuscité à la fin des temps.

Liturgia Verbi: La véritable signification de la liturgie de la Parole

Encensement de l’Evangile par le diacre, abbaye Saint-Joseph, Flavigny-sur-Ozerain

Dans le contexte actuel de décadence généralisée de la liturgie, l’une des réalités rituelles les plus incomprises du culte public de l’Eglise est la liturgie de la Parole. La restauration de cette partie de la Messe avait pourtant été un des grands objectifs de la réforme liturgique conciliaire ; dans le sillage de la remise à l’honneur de la Parole divine voulue par le Concile, cette réforme avait en effet pour but redonner à ce rite –car c’est bien un rite, s’inscrivant pleinement dans l’univers rituel de la Messe- toute sa solennité, et de montrer qu’il constitue bel et bien une liturgie à part entière, la liturgia Verbi , c’est-à-dire la liturgie du Verbe incarné, «qui porte l’univers par sa parole puissante » (He, 1, 3).
Avant toute considération à ce propos, il est nécessaire tout d’abord de comprendre la nature profonde du christianisme. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le christianisme n’est pas une « religion du Livre », mais bien une religion de la Parole, ce qui la différencie fondamentalement de l’Islam et du judaïsme rabbinique. Ces deux confessions religieuses, en effet, sont attachés à la lettre de la loi, à la lettre du texte sacré. Dans le christianisme au contraire, « la lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Cor, 3, 6). Le christianisme est tout entier une religion de l’écoute de la Parole divine, qui est toujours une Parole vivante : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.» (He 4, 12). Dans les évangiles, il s’agit surtout « d’entendre», « d’écouter » la Parole de Dieu, tandis que la règle de saint Benoit commence par « Ecoute ! », et non pas par « lis ». Dans cette optique, la mise par écrit dans un « livre » est très secondaire ; par ailleurs on remarquera que toute vraie tradition est d’abord et avant tout une tradition orale, et que la liturgie, ses rites autant que son esprit, se sont transmis de génération en génération plutôt par l’exemple et l’écoute que du fait des Missels et autres imprimés, qui restaient de toute façon rares et chers jusqu’à une époque récente. On notera en outre que l’on constate que dès qu’une tradition passe à l’écrit, elle y perd souvent son âme et son caractère « vivant ».

Il est également nécessaire de bien comprendre l’esprit de la réforme issue de Vatican II. Si, dans la forme ordinaire du rite romain, le Canon doit être proclamé à haute voix, c’est bien pour être chanté, soit sur les mélodies prévues à cet effet, soit recto tono. Il faut le dire avec force : surtout pour les dimanches et les jours de fête, il est aberrant que la prière eucharistique ne soit pas chantée intégralement. Le fait de se contenter de la réciter la rabaisse à une simple parole humaine, surtout si, comme c’est le cas en de nombreux endroits, le célébrant emploie un ton mièvre et « personnalisé » totalement inapproprié à la grandeur de ce qu’il accomplit. Le Canon, en effet, n’est pas une parole ordinaire mais bien un Parole sacrée, et même, si l’on prend son cœur –Ceci est mon Corps, livré pour vous, ceci est mon Sang, versé pour vous et pour la multitude, paroles par lesquelles s’opère le Sacrifice- une Parole de Dieu, au sens propre. Par la prière consécratoire, le prêtre ne fait que prêter sa voix au Christ qui est le véritable acteur de la célébration, à la fois Prêtre et Victime du sacrifice divin. Dans la prière eucharistique plus que dans toute autre, la Parole de Dieu est dite performative, c’est-à-dire qu’elle réalise, par le fait même d’être prononcée, ce qu’elle évoque. Il faut bien insister sur le fait que liturgie de la Parole et liturgie eucharistique sont bien les deux parties d’une seule et même Liturgie, qui est la Liturgie de la Messe. D’une certaine manière, et pour les raisons que nous venons d’expliquer, on peut dire que le Canon est aussi une liturgie de la Parole qui s’opère par la consécration des saintes Espèces, tandis que la Parole divine entendue avec l’Epître et l’Evangile est elle-même un pain spirituel ; l’écouter, c’est aussi se nourrir.
Comme pour la prière eucharistique, en proclamant l’épître et surtout l’Evangile, le diacre ou le prêtre n’exprime pas des idées personnelles, il ne tient pas des propos purement humains ; au contraire, là aussi il prête humblement sa voix à une réalité qui le dépasse très largement, et qui est cette Parole de vie, ce Verbe éternel qui était dès le commencement du monde, comme nous l’entendons dans le Prologue de l’Evangile selon saint Jean. Tout donc, dans sa manière de proclamer cette Parole, doit montrer que sa personnalité propre, pleine de faiblesses et d’insuffisances, s’efface complètement pour laisser s’exprimer le mystère du Verbe divin.

Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, chant de l’Evangile par le diacre

De l’ensemble de ces considérations il nous faut tirer deux conclusions pratiques :
1- LA LITURGIE DE LA PAROLE DOIT ETRE SOLENNISÉE. L’une des caractéristiques de la crise actuelle est que nous ne savons plus solenniser. Que signifie « solenniser » ? Cela signifie mettre en œuvre tous les symboles et tous les éléments matériels prescrits par les normes et la Tradition qui permettent de souligner l’importance du mystère que l’on célèbre. Il est aberrant, par exemple, que même dans des églises ou des sanctuaires dotés de tous les moyens matériels, le diacre qui proclame l’Evangile ne porte pas de dalmatique. La dalmatique, vêtement de joie et de solennité par excellence, n’est pas un accessoire secondaire, mais bien le vêtement qui exprime la nature de la fonction diaconale. Par ailleurs, on ne peut que saluer la pratique restaurée par la réforme liturgique de Vatican II de porter l’évangéliaire au cours de la procession d’entrée et de le poser sur l’autel durant la première partie de la messe. En effet, cette pratique, totalement traditionnelle et conservée dans bien des liturgies orientales (byzantine notamment), permet de souligner le lien intime entre liturgie du Verbe et liturgie eucharistique. En effet, l’autel, centre de l’église et point fixe placé au milieu du sanctuaire, symbolise la personne même du Christ, cette «pierre que les bâtisseurs ont rejeté» et qui est devenue «la pierre d’angle». L’évangéliaire symbolise la Parole de Dieu, qui elle est une réalité vivante et dynamique, qui «sort» de la personne du Christ (représentée par l’autel) pour nous rejoindre et nous transformer. La procession au cours de laquelle le diacre (ou le prêtre s’il n’y a pas de diacre) saisit l’évangéliaire posé sur l’autel et se rend à l’ambon pour chanter l’Evangile est la manifestation rituelle de la nature dynamique de ce mouvement par lequel le mystère du Verbe se manifeste aux hommes. Si l’on dispose d’un nombre de servants d’autel suffisant, il est donc impératif que cette procession entre l’autel et l’ambon ait lieu, le diacre ou le prêtre étant accompagné de deux céroféraires (en aube avec cordon ou soutane-surplis) qui ensuite encadrent l’ambon où le diacre va proclamer l’Evangile. En effet, ce rite consistant à encadrer la proclamation de l’Evangile de deux cierges portés par deux servants fait partie intégrante de la liturgie de la Parole, et signifie que la Parole de Dieu est la lumière qui éclaire nos existences. A cela s’ajoute la présence du thuriféraire balançant l’encensoir fumant, car la Parole manifeste la présence vivante de Dieu qui doit donc recevoir l’hommage représenté par l’encensement durant la proclamation. On veillera également à user d’un évangéliaire richement orné ; en effet cette riche ornementation du livre contenant les Évangiles, qui a souvent contribué à la production par les artistes de splendides œuvres artistiques, souligne l’importance, non du livre en lui-même, mais de la Parole divine qu’il contient et dont il n’est que le support matériel. Tous ces éléments sont décris dans les livres officiels et doivent être respectés et mis œuvre dès que cela est possible. En contemplant la procession solennelle du diacre portant l’évangéliaire, entouré des céroféraires et du thuriféraire, de l’autel à l’ambon, les fidèles comprennent que la Parole de Dieu est une réalité vivante et lumineuse, qui provient du Christ (représenté par l’autel) et qui vient jusqu’à nous pour transformer nos existences. Ne pas donner en revanche à la liturgie de la Parole tout ce déploiement riche en signification, c’est affaiblir la capacité de cette même liturgie à exprimer le mystère du Verbe divin.

Encensement de l’Évangile par le diacre, forme extraordinaire du rite romain

2- LA PAROLE DOIT ETRE CHANTEE. On se référera à ce sujet à l’explication très juste et profondément fidèle à la Tradition qu’en donne Jean Hani, qui affirme que la désacralisation de la liturgie de la Parole est aggravée par « la façon dont le texte est dit aujourd’hui, c’est-à-dire comme celle dont on lit n’importe quel texte littéraire, et, ce qui est plus grave, avec la fameuse diction expressive qui a pour effet de mettre en avant le lecteur au lieu du locuteur véritable qui est le Christ lui-même ou son porte-parole, l’évangéliste, ce qui revient au même. Régulièrement, l’Evangile était proclamé et non pas lu, de façon solennelle en utilisant une sorte de mélopée, ce qui avait pour résultat de hausser l’acte sur le plan supérieur, -le plan du sacré ; quand ils n’étaient pas chantés, l’Evangile et l’Epître étaient lus recto tono, un mode qui dépersonnalise, comme il convient, le lecteur, et valorise le texte [ou plus exactement, la Parole vivante dont le texte n’est que le support, ndlr] et son auteur ». Or, le fait de simplement « lire » le texte évangélique sur un ton que l’on veut faussement « personnalisé» ou intimiste, suppose en réalité une autre approche de la Parole, une approche en réalité imprégnée de mentalité protestante : la Parole de Dieu n’est plus cette réalité surnaturelle, supra humaine et sacrée, parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition, une Parole vivante sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir, derrière laquelle nous devons nous effacer et que nous devons recevoir dans l’humilité et l’obéissance, mais elle devient un texte quelconque que n’importe quel locuteur peut interpréter à sa guise, en fonction de ses goûts subjectifs et de son « inspiration » du moment. C’est hélas bien cette approche –fausse- de la proclamation de la Parole qui est aujourd’hui pratiquée dans l’immense majorité des paroisses. Jean Hani fait une autre remarque qui mérite d’être rapportée : « En supprimant les mots « in illo tempore », on enlève complètement à la nature du texte le caractère rituel qui permet de transcender le moment « hic et nunc » et qui permet de devenir le contemporain du Christ au moment où il donnait son enseignement. Le « mystère », car il s’agit bien d’un mystère, celui d’un Dieu parlant à l’homme, le mystère et sa « présence » sont évacués, l’Evangile lui n’est plus qu’un récit didactique, à but moral, ce n’est plus réellement le « Pain de la Parole », considéré dans la grande tradition chrétienne comme l’accompagnement vital du « Pain de la sainte table » » (Jean Hani, Le monde à l’envers. Essais critiques sur la civilisation moderne, l’Age d’homme, p. 51-52).

Diacre portant l’évangéliaire dans le rite byzantin.

Il faut dire et répéter que la Liturgie est la première école biblique. Toute liturgie véritablement traditionnelle est nécessairement comme « imprégnée » d’Ecriture sainte. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas une liturgie traditionnelle. Dans la liturgie grégorienne, l’essentiel des pièces du propre (introits, graduels, alléluia, antiennes d’offertoire et de communion) et une grande partie des pièces de l’ordinaire de la Messe sont des extraits de textes bibliques. A partir de la fin du Moyen-âge, le sens profond de cette «liturgie du Verbe» et de son déploiement rituel a été progressivement oublié. L’apparition du catéchisme au XVIe siècle (qui est une invention du protestantisme, reprise par l’Eglise tridentine) a été un moyen de compenser –sous une forme, hélas, très scolaire et rébarbative totalement étrangère à l’esprit des Anciens- l’affaiblissement de la puissance signifiante de l’antique liturgie du Verbe. Auparavant en effet, c’était cette liturgie de la Parole qui permettait l’appropriation par les chrétiens (ou ceux qui se préparaient à le devenir) de la Parole divine, par une sorte d’«immersion rituelle» dont les caractéristiques essentielles (la procession solennelle, le chant du graduel et de l’alléluia par la schola puis proclamation chantée du texte sacré par le diacre, l’usage des cierges et de l’encens) permettaient de comprendre la dimension supra humaine et surnaturelle de cette Parole, et donc de se laisser transformer par elle. C’est pour cela que jusqu’à une époque récente, la première partie de la Messe -rites pénitentiels et liturgie de la Parole- était appelée « Messe des catéchumènes » et constituait la seule partie de la Messe à laquelle ceux qui n’étaient pas encore reçu le baptême pouvaient assister, avant de quitter l’église au moment où débutait la liturgie eucharistique proprement dite, ou « Messe des fidèles », réservée aux fidèles baptisés et pleinement initiés aux mystères.
En conclusion, il est bon et essentiel que les catholiques se nourrissent de la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, mais prioritairement dans la façon dont l’Eglise les leur expose dans son sacrificium laudis, le sacrifice de louange à Dieu, et en particulier dans la liturgie du Verbe telle que nous l’avons reçue de la Tradition et telle qu’elle a été restaurée à la suite du Concile. La Liturgie n’est que difficilement compréhensible sans connaissance minimale de la Sainte Ecriture ; une connaissance de l’Ecriture sans culture liturgique s’éloigne de l’Esprit dans lequel l’Eglise veut que nous la recevions et méditions, et ouvre la porte à toutes les erreurs et à toutes les hérésies. Restaurer une authentique liturgie de la Parole qui soit conforme à l’esprit de la Tradition est donc indispensable pour que cet Esprit puisse préparer les fidèles à accueillir, à comprendre et à mettre en pratique dans leur vie la Parole du Maître.

«Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu, et qui la gardent!» (Saint Luc, XI, 28)

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