Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

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Les nouvelles collectes : l’exemple de saint Laurent

Nous célébrions hier la fête de saint Laurent de Rome, diacre, mort martyr sur un gril en 258 sous la persécution de l’Empereur Valérien.

Laurent était, comme diacre, attaché au service du Pape Sixte II. Celui-ci ayant été condamné à mort, Laurent, dont le plus ardent désir était de mourir avec celui qu’il considérait comme son père spirituel, le suivait en pleurant et lui disait :

« Quo progréderis sine fílio, pater ? quo, sacérdos sancte, sine minístro próperas ? » : « Où allez-vous, mon père, sans votre fils ? Saint pontife, où allez-vous sans votre diacre ? » (première antienne de Matines dans l’usage traditionnel, supprimée dans l’usage réformé).

Le pape lui répondit : « Non ego te désero, fili, neque derelínquo; sed majóra tibi debéntur pro Christi fide certámina. » : « Je ne t’abandonne pas, mon fils, ni ne te déserte ; mais une épreuve plus pénible t’est réservée, pour la foi au Christ. » (troisième antienne de Matines dans l’usage traditionnel, supprimée dans l’usage réformé).

Ce sont ce Sixte et ce Laurent qui sont mentionnés au Canon romain (ou première prière eucharistique dans l’usage réformé).

Cette fête nous donne l’occasion de nous pencher sur la manière dont ont été composées les prières d’ouverture, ou collectes, de la liturgie réformée ; il faut noter d’ailleurs que la prière d’ouverture de la messe est également utilisée pour conclure certains offices de la liturgie des heures, son importance dans la prière de l’Église ne saurait donc être exagérée.

Les textes liturgiques

La collecte du missel de 1962 est la suivante :

Da nobis, quǽsumus, omnípotens Deus: vitiórum nostrórum flammas exstínguere; qui beáto Lauréntio tribuísti tormentórum suórum incéndia superáre.

Nous te prions, Seigneur, d’éteindre en nous l’ardeur de nos vices, toi qui as donné au bienheureux Laurent la force de surmonter les flammes de ses tourments.

Cette collecte, bien attestée dans quarante-neuf manuscrits existants à partir du VIIIe siècle, est universellement utilisée pour saint Laurent, et presque toujours le jour même de sa fête (une poignée de manuscrits utilisent cette oraison à la vigile ou à l’octave). La seule variation textuelle de cette prière est l’ajout de martyri après Laurentio, dans cinq manuscrits.

En revanche, la collecte de l’usage réformé est une composition nouvelle, assemblée à partir de trois sources préexistantes (deux collectes et une préface) : on parle de centonisation. Les parties issues des trois sources sont mises en évidence ci-dessous de manière différente :

Deus, cuius caritátis ardóre beátus Lauréntius 
servítio cláruit fidélis et martýrio gloriósus,
fac nos amáre quod amávit, et ópere exercére quod dócuit.

C’est l’ardeur de ton amour, Seigneur, qui a donné au diacre saint Laurent de se montrer fidèle dans son service, et d’accéder à la gloire du martyre : accorde-nous d’aimer ce qu’il aimait, et d’accomplir ce qu’il a enseigné.

Les sources

La première source de cette composition nouvelle est une collecte universellement utilisée pour saint Laurent, attestée dans vingt-neuf manuscrits, dont le sacramentaire gélasien, datant du VIe siècle : ci-dessous en gras, la partie utilisée dans notre centonisation.

Deus, cuius caritatis ardore beatus Laurentius edaces incendii flammas, contempto persecutore, devicit, concede propitius, ut omnes, qui martyrii eius merita veneramur, protectionis tuae auxilio muniamur. 

O Dieu, qui donne cette ardeur d’amour pour toi par laquelle saint Laurent, après avoir défié le persécuteur, a surmonté le feu dévorant de l’incendie, accorde dans ta miséricorde que tous ceux qui vénèrent les mérites de son martyre soient défendus par le secours de ta protection.

La deuxième source est une préface pour saint Laurent, attestée dans seulement trois manuscrits, dont le Sacramentaire Léonien (Ve siècle), peut-être pour la vigile de sa fête ; ci-dessous en gras, la partie utilisée (lourdement modifiée) dans notre centonisation.

Praevenientes natalem diem beati Laurentii, qui levita simul martyrque venerandus, et proprio claruit gloriosus officio, et memoranda refulsit passione sublimis.

Anticipant l’anniversaire de saint Laurent, vénéré comme diacre et martyr, particulièrement remarquable et glorieux dans son devoir, et dont la sublime passion est un rappel lumineux.

La troisième et dernière source est une autre collecte, qui, avant la suppression de l’octave de saint Laurent par le pape Pie XII dans Cum nostra hac aetate (23 mars 1955), était la collecte de cette octave (17 août). Elle est présente dans trente-quatre manuscrits, à partir du VIIIe siècle, et utilisée pour saint Laurent dans tous ces manuscrits (dans un manuscrit, cette prière est dupliquée et utilisée pour saint Maurice). En gras, la partie utilisée pour notre centonisation :

Excita, domine, in ecclesia tua spiritum, cui sanctus Laurentius levita servivit, ut, eodemnos replente studeamus amare, quod amavit, et opere exercere, quod docuit.

Seigneur, suscite dans ton Église l’Esprit que servait saint Laurent diacre, afin que, remplis du même Esprit, nous nous efforcions d’aimer ce qu’il a aimé et de mettre en pratique ce qu’il a enseigné.

Toutes les prières anciennes utilisées pour composer la nouvelle collecte du Missel réformé sont donc associées à saint Laurent dans la tradition manuscrite, ce qui est un important point positif.

Les biais de la centonisation

La centonisation est une pratique assez habituelle dans l’élaboration de textes liturgiques, mais généralement on assemble plutôt des versets bibliques, en les juxtaposant, pour en faire ressortir un sens qui n’est pas évident dans le contexte de chacun des versets employés, par exemple en rapprochant un verset de l’Ancien Testament avec un verset du Nouveau. Il y avait eu par le passé des centonisations à partir d’oraisons, mais assez rarement, et jamais à l’échelle d’un missel entier (presque 80% des collectes du nouveau missel sont des centonisations, voire des compositions originales).

Personne ne songerait à critiquer en soi la réintroduction dans la liturgie d’une collecte du Ve siècle, ou d’une autre du VIIIe siècle, ce que sont la première et la troisième source de notre centonisation. Mais, après avoir vu les parties de ces sources qui ont été employées pour composer la nouvelle collecte, il est nécessaire de nous pencher sur les parties qui ont été rejetées. L’allusion à la façon dont saint Laurent a été martyrisé (edaces incendii flammas) a été supprimée de la première source, ainsi que toute notion de besoin et de supplication de la protection de Dieu (protectionis tuae auxilio muniamur), et de persécution (contempto persecutore), mais surtout, l’idée que son martyre est méritoire (martyrii eius merita) est occultée.

En outre, la demande de la nouvelle collecte, pour que nous puissions aimer ce que saint Laurent a aimé et mettre en pratique son enseignement (fac nos amáre quod amávit, et ópere exercére quod dócuit) a été fortement abrégée par rapport au texte d’origine. La troisième source, dont cette phrase est issue, demande à Dieu d’envoyer son Esprit Saint dans son Église et de nous remplir de ce même Esprit, comme l’était saint Laurent ; ce n’est que par le moyen de cette grâce divine que nous pourrons nous efforcer d’aimer ce que saint Laurent aimait et de mettre en pratique son enseignement.

Il est donc remarquable de constater que, dans cette nouvelle collecte, nous demandons à Dieu la charité et le salut, mais que les moyens de ces fins, mentionnés dans les sources, à savoir la grâce divine et les mérites de la Passion du Christ, à laquelle s’unissent les mérites des saints et spécialement ceux des martyrs, sont absents du résultat de leur centonisation.

Une réécriture nécessaire ?

Dans la collecte du Missel de 1962, nous demandons que nos propres vices soient éteints (vitiórum nostrórum flammas exstínguere), tout comme saint Laurent, dans son martyre, a surmonté le supplice des flammes (tribuísti tormentórum suórum incéndia superáre). Les réformateurs auraient-ils trouvée inélégante l’allusion au « vice », et la description du martyre, trop crue pour nos fins et sensibles esprits modernes ?

Il faut rappeler ici les mots lumineux du Concile Vatican II dans sa constitution Sacrosanctum Concilium :

On ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des anciennes par un développement en quelque sorte organique.

Sacrosanctum Concilium n°23

Dans l’exemple spécifique de la réécriture de la collecte (ou prière d’ouverture) pour saint Laurent, le résultat de la réforme correspond-il à ce qu’a voulu le Concile par ces mots ? Employer une des deux collectes anciennes (première et troisième source) aurait certainement correspondu au critère de continuité organique, mais pourquoi les fusionner, et pourquoi employer une préface pour « boucher les trous » ? On ne peut pas dire que le résultat sort de ses sources par un développement organique.

Mais surtout, c’est la nécessité certaine de réécrire la collecte du missel tridentin (dont il faut rappeler qu’elle est tout aussi ancienne !) qui n’est pas établie : était-il certainement nécessaire de ne plus parler de « nos vices », ou du « supplice des flammes », ou plus généralement de réécrire cette oraison ? On laissera le lecteur répondre pour lui-même à cette question.

Conclusion

Nous avons jugé à propos, plutôt que d’émettre une opinion de portée générale sur les oraisons du missel des saints Paul VI et Jean-Paul II, de donner à nos lecteurs l’historique d’élaboration d’une unique oraison, prise comme exemple. Cet exemple est représentatif, puisque les centonisations de trois sources ou plus forment la majorité des oraisons du nouveau missel. Les biais relevés dans la manière dont les passages centonisés ont été sélectionnés se retrouvent également dans de nombreuses autres oraisons.

Le Saint-Père écrivait dans la lettre d’accompagnement du Motu Proprio Traditionis Custodes : « Quiconque veut célébrer avec dévotion selon les formes antérieures de la liturgie peut trouver dans le Missel romain réformé selon le Concile Vatican II tous les éléments du Rite romain ».

L’exemple que nous avons traité aujourd’hui illustre pourquoi l’usage réformé, même célébré dignement, vers l’orient, en latin et avec chant grégorien, n’est pas interchangeable avec l’usage ancien. Il ne s’agit pas de juger ici de l’infériorité de l’un sur l’autre, mais simplement de constater que chacun contient des richesses dignes d’êtres préservées, « pour perpétuelle mémoire ».


Cet article est librement inspiré d’un article de M. Matthew Hazell sur le blog Rorate Caeli, que nous remercions vivement pour son étude sur les oraisons de la Saint-Laurent.

This article is freely inspired by another one by Mr. Matthew Hazell on the Rorate Caeli blog, whom we thank greatly for his study on St. Lawrence’s euchology.

L’apport juridique de Summorum Pontificum

Note du traducteur : On trouvera ci-dessous une traduction d’un article de Gregory DiPippo paru le 9 juillet sur le site du New Liturgical Movement. M. DiPippo est le directeur de la rédaction du New Liturgical Movement, et un expert des réformes du rite romain au XXè siècle. Il propose dans cet article une explication possible du sens précis à donner à l’expression des « deux formes de l’unique rite romain », que Benoît XVI a introduit dans Summorum Pontificum pour caractériser la relation entre liturgies pré- et post-concilaires dans le cadre de l’Église latine. Cette réflexion est intéressante car elle intègre les aspects juridiques du problème tout en proposant une manière de classer les différentes liturgies chrétiennes, puis situe les deux formes du rite romain dans ce double-cadre juridique et liturgique. J’y ai ajouté quelques observations.


Ces derniers jours, avec les rumeurs d’une possible suppression ou d’un retour en arrière de Summorum Pontificum, il y a eu beaucoup de discussions sur son statut et sa signification. J’ai donc pensé qu’il serait utile de rééditer cet exposé sur la question, publié à l’origine lors du dixième anniversaire du motu proprio [NDT : En 2017]. Pour résumer : le motu proprio n’est pas un document sur l’histoire de la liturgie, mais une disposition légale, et doit être lu et compris comme tel.

Je me suis également souvenu aujourd’hui de cette déclaration sur le sujet d’un dominicain français, le père Thierry-Dominique Humbrecht, qui vaut la peine d’être considérée : « Le pluralisme liturgique des deux états du rite romain est peut-être dommageable, mais il est la conséquence d’un éclatement liturgique sauvage, plus dommageable encore, sur lequel la lumière officielle est encore trop timidement faite. »

Je propose ici d’examiner ce que le pape Benoît XVI a voulu dire, et ce qu’il a réalisé, en caractérisant la messe traditionnelle et sa réforme post-conciliaire comme deux formes du même rite, l’une extraordinaire et l’autre ordinaire. Avant cela, je crois qu’il est nécessaire d’établir une distinction entre les termes qui ont été historiquement utilisés pour décrire les variations au sein d’une liturgie ou d’une famille liturgique : « rite » et « usage ».

À ma connaissance, la distinction entre un rite et un usage n’a pas été officiellement établie par l’Église dans sa loi ; il s’agit donc uniquement de mon point de vue sur la question.

Pour des raisons de clarté, les variantes d’un même rite devraient, à proprement parler, être appelées des usages, comme l’usage de Sarum [NDT : la liturgie de l’Église de Salisbury, qui était la plus répandue en Angleterre avant la Réforme protestante] ou l’usage carmélitain ; c’est ainsi qu’elles étaient le plus souvent appelées avant la réforme tridentine. Par exemple, on lit sur la page de garde du Missel de Sarum : « Missale ad usum insignis ecclesiae Sarisburiensis – le Missel selon l’usage de la célèbre église de Salisbury ».

Le frontispice d’un missel de Sarum imprimé à Paris en 1555.

Il est vrai que même avant le concile de Trente, il y avait une certaine confusion entre ces termes, et que « rite » était parfois employé au lieu de « usage » ; après Trente, le terme « usage » est devenu rare. La terminologie n’a certainement jamais été uniforme, et de nombreux livres liturgiques n’utilisent aucun des deux termes, et n’ont qu’un adjectif modifiant les mots « Missel », « Bréviaire », etc. Les Dominicains disaient soit « selon l’Ordre Sacré des Prêcheurs », soit « selon le Rite de l’Ordre Sacré des Prêcheurs ».

A gauche, le début du Missel pré-tridentin « selon l’usage de la célèbre église de Liège ». À droite, le frontispice d’une édition post-tridentine du « Breviarium Leodiense – Bréviaire de Liège » ; « Leodiensis » est la forme adjectivale du nom de la ville en latin, Leodium. En français, on pourrait le traduire plus littéralement par « Bréviaire Liégeois ».

Toutefois, si l’on souhaite établir une distinction entre les différentes liturgies d’une part, et les variantes au sein d’une même liturgie d’autre part, tout en conservant une certaine terminologie historique, il semble évident que « rite » est le plus approprié pour les premières, et « usage » pour les secondes. Il serait absurde de décrire les liturgies des églises orientales comme « l’usage byzantin, l’usage copte, etc. » en les comparant à « l’usage romain » ; il s’agit clairement de rites entièrement différents. « Usage », d’autre part, était le terme prédominant pour les variantes du rite romain alors qu’il y avait de nombreuses variantes de ce type célébrées dans toute l’Europe occidentale.

Toutes les caractéristiques essentielles du rite romain, telles que l’Ordinaire de la Messe et la structure de l’Office, sont les mêmes d’un Usage à l’autre. Elles ne sont pas les mêmes dans les autres Rites. Cela ne s’applique pas seulement au Canon, mais à toute la structure de la Messe : Introit, Kyrie, Gloria, Collecte(s), Épître, Graduel, Alléluia, etc. À quelques variations mineures près, qui sont plus des variations d’agencement que de formulation, l’essentiel des textes liturgiques est également identique. En parcourant chaque missel ou antiphonaire de chaque usage du rite romain, on trouvera l’introït Ad te levavi le premier dimanche de l’Avent, Populus Sion le deuxième, etc. Il est vrai que certaines caractéristiques ultérieures du rite, notamment les prières d’Offertoire et les séquences, diffèrent considérablement d’un usage à l’autre. Ces variances sont cependant restreintes dans des bornes bien visibles, ont beaucoup d’éléments en commun, et peuvent donc être regroupées en familles.

De plus, toute Messe ou tout Office propre écrit pour un Usage peut être transposé dans n’importe lequel des autres sans aucune difficulté. Par exemple, Saint Thomas d’Aquin était dominicain et a écrit l’office et la messe de la Fête-Dieu selon l’usage français médiéval suivi par son ordre. (L’office avait neuf répons à Matines, plutôt que huit comme dans l’usage romain, un verset entre Matines et Laudes, etc.) Presque rien n’a dû être fait pour ajuster ces textes pour le Missel et le Bréviaire selon « l’usage de la Curie romaine », qui dans la réforme tridentine est devenu le Missel et le Bréviaire de Saint Pie V.

Cependant, lorsque la messe de la Fête-Dieu a été ajoutée au rite ambrosien, il a fallu procéder à toutes sortes d’ajustements : l’ajout d’une première lecture, de l’antienne après l’Évangile, de l’Oratio super sindonem et du Transitorium, qui n’existent pas dans le rite romain, et la suppression de la Séquence, qui n’a jamais existé dans le rite ambrosien. Inversement, si l’on voulait prendre la messe ambrosienne de la Saint-Ambroise, par exemple, et la transposer dans le rite romain, il faudrait la modifier très considérablement, en ajoutant un verset de psaume et le Gloria à l’Ingressa pour en faire un Introit, et en supprimant la première lecture, l’antienne après l’Evangile, l’Oratio super sindonem, et le Transitorium.

[Note : pour simplifier, on peut penser la différence entre « usages » et « rites » de façon analogue à la différence existante entre différents dialectes d’une même langue, d’un côté, et différentes langues, de l’autre. Des dialectes sont généralement inter-compréhensibles, et on peut assez facilement passer de l’un à l’autre ; tel n’est pas normalement le cas de deux langues. Que les linguistes nous pardonnent cette analogie un peu crue, dont nous savons qu’elle a ses limites. Elle semble naturelle, dans la mesure où chaque liturgie chrétienne n’est jamais que la langue rituelle dans laquelle la Sainte Église s’adresse à son Divin Époux.]

Si nous acceptons ces définitions de rite et d’usage, il me semble très clair qu’aucune d’entre elles n’est appropriée pour décrire la relation entre ce que nous appelons maintenant les deux formes du rite romain. Au niveau très élémentaire de ce que nous voyons et entendons habituellement dans une messe dans la forme ordinaire et une messe de la forme extraordinaire, elles apparaissent immédiatement comme deux rites différents. Le liturgiste Joseph Gelineau SJ a déclaré à propos de la messe réformée : « Il faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus. Il est détruit ». (Demain la Liturgie, Éditions du Cerf, 1977, p. 9-10) Une telle déclaration ne peut être considérée comme l’opinion d’un seul homme ; le père Gelineau était une figure de proue de la réforme liturgique, et il était très estimé par son architecte le plus célèbre, l’archevêque Annibale Bugnini. Des déclarations similaires, qu’elles soient pour ou contre la réforme, ont été faites par beaucoup d’autres personnes. Il n’y a pas d’autre changement antérieur dans le rite romain à propos duquel je pourrais imaginer qu’un spécialiste sérieux de la liturgie emploie pareil langage.

[Note : si l’on décide, au contraire, de comparer une messe solennelle selon le missel préconciliaire à la forme ordinaire selon sa forme la plus « traditionalisante » possible, c’est-à-dire orientée, chantée en latin et en grégorien, et célébrée avec les options les plus proches du missel préconciliaire, il semble également que des différences rituelles notables apparaitront assez rapidement. Pour la liturgie de la Parole, on pense aux rites introductif de la forme ordinaire, séparant l’Introït et le Kyrie, qui se suivent en forme extraordinaire ; à la lecture précédant l’épître, et au Graduel qui la suit au lieu de suivre l’Epître ; et à l’inversion Alléluia/Séquence.]

Sur la base de mon argument de transposition donné ci-dessus, (les textes peuvent facilement être déplacés d’un Usage à un autre, mais peuvent beaucoup moins facilement, ou pas du tout, être déplacés d’un Rite à un autre), on peut dire que formes ordinaire et extraordinaire partagent une certaine identité. La plupart des textes de n’importe quel bloc de textes de messe peuvent être déplacés de l’un à l’autre assez facilement, ou du moins, beaucoup plus facilement qu’ils ne pouvaient être déplacés entre les rites byzantin et ambrosien. Cependant, si l’on considère que la réforme post-conciliaire a entraîné un déplacement des textes liturgiques bien plus important que ce qui s’était produit auparavant dans le rite romain, et les différences rituelles significatives, il est beaucoup plus difficile d’affirmer que formes ordinaire et extraordinaire partagent une identité. Historiquement, il s’agit d’une situation absolument anormale ; il n’y a jamais eu de cas de deux rites ou usages qui partageaient autant de choses et qui étaient pourtant si radicalement différents.

Pour cette raison, l’identité des deux formes d’un même rite, telle qu’établie par Summorum Pontificum, a parfois été décrite comme une « fiction juridique ». Je soutiens que c’est une façon tout à fait appropriée de décrire la situation, que l’identité des deux formes d’un seul Rite EST une fiction juridique, et que c’est une bonne chose.

Une fiction juridique n’est pas la même chose qu’un mensonge. L’adoption, par exemple, est une fiction juridique, qui stipule que du point de vue de la loi, telle personne est l’enfant de telle autre. Il ne s’agit absolument pas d’une fausse déclaration, même si l’enfant adopté n’est pas la progéniture naturelle du parent. La reconnaissance par la loi du lien entre un parent et un enfant est peut-être l’aspect le moins significatif, précisément parce qu’elle ne crée pas ce lien et ne peut le dissoudre. En ce sens, l’adoption déclare simplement que l’absence de relation génétique entre deux personnes spécifiques n’est pas juridiquement pertinente, et qu’une relation parent-enfant existe entre elles.

De la même manière, l’action de Benoît XVI en créant deux « formes » n’avait pas pour but de parler de la relation entre forme ordinaire et forme extraordinaire du point de vue de l’érudition liturgique ou historique, mais uniquement comme une description de la relation entre elles en droit. Elle déclare simplement que la relation ténue entre les deux formulaires n’est pas pertinente sur le plan juridique.

En droit, un prêtre d’un rite donné a besoin d’autorisations spéciales (les facultés) pour célébrer la messe dans un autre rite. Il s’agit d’une disposition légale utile et parfaitement raisonnable pour diverses raisons, et qui existe depuis longtemps, mais ce n’est pas une nécessité morale en soi ; lorsqu’elles ont été jugées utiles sur le plan pastoral, l’Église s’est montrée assez souple pour accorder de telles autorisations. Cependant, l’objectif de Summorum Pontificum était d’établir qu’un prêtre de rite romain n’a pas besoin d’une faculté ou d’une permission spéciale pour dire la Messe selon le missel traditionnel, comme c’était le cas sous l’indult Ecclesia Dei. Je crois que Benoît XVI a agi très sagement et consciencieusement en adoptant une catégorie complètement différente de toutes celles utilisées précédemment, celle de la « forme » au lieu de « l’usage » ou du « rite », pour contourner un problème juridique important, à savoir que par toute autre solution, il aurait rendu la grande majorité des prêtres catholiques « bi-rituels ». Cela aurait été une abomination juridique sans précédent.

Revue Esprit de la liturgie – édition 2020

Chers amis lecteurs

Nous sommes fiers de partager avec vous notre première édition numérique de la revue Esprit de la liturgie, fruit de notre travail depuis 2017.

Cette revue reprend trois articles qui représentent bien notre ligne éditoriale et notre intention de promouvoir la liturgie dans sa continuité avec les textes du Concile Vatican II et avec la Tradition vivante de l’Eglise.

Je vous souhaite une bonne lecture et vous encourage à la partager avec votre entourage, votre paroisse, vos amis prêtres et dans votre diocèse.

Il est fortement recommandé de lire cela sur un ordinateur pour une lecture plus aisée.

Les processions de Carême

Ça y est, le Carême a commencé. Et avec le Carême, son lot de pénitences et de jeûnes, dans l’attente de Pâques. La liturgie prend alors des atours plus sobres : l’orgue se tait (sauf pour accompagner le chant des fidèles), l’autel n’est plus fleuri, les mélodies grégoriennes se font plus suppliantes et l’on supprime le mot en « A », qu’on retrouvera d’une manière spectaculaire lors de la Vigile pascale.

Tout cela est connu (du moins on peut l’espérer). Mais il est une caractéristique intéressante du temps du Carême, moins connue des fidèles et du clergé, décrite dans le Missel romain (ed. Typ. 2002, Carême, I). Voici une traduction officieuse et personnelle de cette description :

Il est fortement recommandé que la tradition du rassemblement de l’Eglise locale, sur le modèle des « stations » romaines soit conservée et promue, surtout pendant le Carême et au moins dans les plus grandes villes et d’une manière adaptée aux situations individuelles.

De tels rassemblements des fidèles, surtout sous la présidence du pasteur du diocèse, peuvent avoir lieu le dimanche, ou en d’autres jours appropriés pendant la semaine, soit sur la sépulture des saints, soit dans les sanctuaires ou églises principales d’une ville, ou même dans les lieux de pélerinage les plus fréquentés du diocèse.

Si une procession précède la Messe célébrée pour un tel rassemblement, les fidèles peuvent, selon les circonstances et conditions locales, se rassembler dans une église mineure ou dans un autre lieu approprié, autre que l’église où la procession se rendra.

Après avoir accueilli le peuple, le prêtre dira une collecte du Mystère de la Sainte Croix, ou celle pour la Rémission des péchés, ou pour l’Eglise, en particulier pour l’Eglise locale, ou l’une des oraisons sur le peuple. Après quoi, on se rend en procession à l’église où la Messe sera célébrée, pendant que l’on chante la litanie des saints. En des endroits appropriés de cette litanie, on peut insérer des invocations au saint patron, ou au saint fondateur, ou aux saints de l’Eglise locale.

Lorsque la procession parvient à l’église, le prêtre vénère l’autel et, selon l’opportunité, l’encense. Puis, en il dit la collecte de la Messe et poursuit celle-ci de la manière habituelle, en omettant les rites initiaux et, selon l’opportunité, le Kyrie.

Une telle pratique se veut donc une restauration de l’usage romain ancien, où la Messe était précédée d’une procession, d’une église à une autre. Le terme « collecte » qui désigne l’oraison d’ouverture de la Messe, vient d’ailleurs de là : le Pape chantait une oraison sur le lieu du « rassemblement » (collecta) de son peuple. De là, tous partaient en procession, en chantant des psaumes et des litanies, jusqu’au lieu où la Messe allait être célébrée. Une telle pratique était courante pendant le Carême, et la procession prenait alors une allure pénitentielle.

Cet usage, d’origine romaine, s’est ensuite transmis à nombre de lieux, en particulier en France. Pour plus d’informations, la lecture de cet article, consacré aux stations de Carême dans la liturgie parisienne, est incontournable : https://schola-sainte-cecile.com/2016/02/17/les-stations-de-careme-dans-lancien-rit-parisien/

Malgré cela, cet usage est tombé en désuétude à peu près partout.

On retrouve un tel schéma dans le missel romain (à ceci près que la procession semble faire partie de la Messe, au lieu de la précéder), qui nous invite à restaurer cette ancienne coutume ; cela permettrait de donner à nos offices quadragésimaux une allure propre à nous exhorter à la pénitence, grâce à l’effort de la procession. Pourquoi ne pas inviter votre curé (voire votre évêque) à mettre en œuvre cet usage ?

Voyez, même le Pape donne l’exemple (ici au Mercredi des Cendres, en 2019)

Pourquoi toute liturgie chrétienne doit être orientée

Notre étude part d’un constat: la pratique de célébrer la messe face au peuple semble être aujourd’hui un fait que bien peu de monde songe à remettre en cause. Célébrer l’Eucharistie face aux fidèles apparaît aux yeux de la plupart des catholiques comme un progrès inéluctable. Autrefois, le célébrant tournait le dos à l’assemblée en marmonnant des prières en un latin incompréhensible; aujourd’hui, le prêtre voit les fidèles, se tourne vers eux, célèbre face eux, leur permettant ainsi, pense-t’on, de mieux participer à l’action qui se déroule sur l’autel. Le fait pour les fidèles de «voir» l’intégralité des rites qui s’accomplissent sur l’autel est considéré à notre époque comme un élément essentiel de la célébration eucharistique. Par ailleurs, on attribue généralement cette pratique aux enseignements du concile Vatican II, qui aurait, pense-t’on, rétabli un usage antique longtemps oublié à partir d’un Moyen-Age obscurantiste et clérical. Cependant, il semble que cette vision des choses soit en réalité à la fois très récente, et très typique d’une certaine mentalité essentiellement moderne et occidentale. Cet article a pour but de donner des éléments de réponse aux trois questions suivantes: le concile Vatican II a t’il réellement demandé la célébration de l’Eucharistie face aux fidèles? Cette pratique a-t’elle été la pratique généralement pratiquée dans l’Eglise primitive? Enfin, exprime-t’elle adéquatement le mystère de l’Eucharistie et de la prière liturgique chrétienne?

Une pratique récente et controversée

Il suffit de parcourir la constitution conciliaire sur la liturgie pour s’apercevoir que le Concile lui-même, à aucun moment et contrairement à une idée reçue solidement ancrée dans les mentalités diocésaines, ne demande de retourner les autels en vue d’une célébration face au peuple. Sacrosanctum Concilium n’évoque même pas le sujet et les normes actuellement en vigueur n’en envisagent que la possibilité. La pratique consistant à installer de nouveaux « autels » pour pouvoir y célébrer la Messe face aux fidèles n’apparaît que de manière anecdotique dans les années 1940, avant de se répandre puis de se systématiser dans les années 1960-1970. Pourtant, dès 1955, Paul Claudel, l’un des plus grands écrivains catholiques du XXe siècle, publie une lettre ouverte intitulée La messe à l’envers, dans lequel il dénonce avec force la généralisation de cette pratique qui, contrairement à ce que l’on a pu dire, modifie substantiellement la théologie traditionnelle de la Messe. Il semble en effet que la généralisation de la célébration versus populum n’ait pas été le fruit d’une véritable réflexion sur la signification profonde de la liturgie, mais bien plutôt d’une « mode » consistant à ne concevoir la liturgie que du point de vue pastoral, et non du point de vue de la vérité théologique dont elle est pourtant sensée être l’expression. En outre, il s’avère, après étude sérieuse des sources patristiques et historiques, qu’une grande partie des présupposés ayant servi à justifier la « messe face au peuple » dans les années 1960 ont été construits sur de parfaits contresens et sur une interprétation en grande partie erronée des sources archéologiques paléochrétiennes. Ainsi, la disposition des basiliques romaines avait été un argument phare de nombre d’historiens et de liturgistes pour justifier la célébration de la messe face au peuple.

En réalité, ces arguments se sont avéré être faux à la fois sur le plan architectural et sur le plan historique ; La célébration dans ces basiliques est en effet bien orientée puisque l’Orient se situe la plupart du temps du côté de la porte d’entrée. Dans les premiers siècles, d’après certains liturgistes comme Louis Bouyer, les fidèles n’étaient d’ailleurs probablement pas disposés dans ce type d’édifice très spécifique comme ils le sont actuellement (face à l’autel et à l’abside), mais il semble qu’ils se plaçaient sur les côtés de l’autel et étaient eux aussi tournés, en même temps que le célébrant à l’autel, vers l’Orient. De même, le fait que les autels des églises des premiers siècles aient été construits de manière à ce qu’ils soient séparés du mur absidial a été interprété, par certains historiens de l’époque (cf. NUSSBAUM Otto, Das Standort des Liturgen am christlichen Altar, 1965), comme la preuve que la messe y était dite face aux fidèles ; or on sait aujourd’hui que cette interprétation est erronée et que le concept de « messe face au peuple » tel qu’on l’entend aujourd’hui est totalement étranger à la mentalité et aux pratiques liturgiques de l’Eglise primitive, comme l’ont très bien démontré les meilleurs spécialistes de la question tels que Klaus Gamber, Louis Bouyer ou encore Marcel Metzger (cf. METZGER Marcel, «La place des liturges à l’autel», Revue des sciences religieuses 45, 1971).

L’omniprésence de la symbolique de l’Orient chez les Pères

La célébration vers l’Orient, en revanche, est un fait attesté depuis les origines du christianisme. Commençons par étudier les écrits des Pères de l’Eglise et les écrivains chrétiens des premiers siècles. Ainsi, saint Augustin, au IVe s., écrit: «Quand nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient d’où le soleil se lève. Non que Dieu ne serait que là, non qu’il aurait abandonné les autres régions de la terre, … mais pour que l’esprit soit exhorté à se tourner vers une nature supérieure, à savoir Dieu. ». Pour Tertullien (vers 200), la prière vers l’Orient va de soi. Dans son petit ouvrage « Apologétique », il mentionne que les chrétiens «prient en direction du soleil levant». Saint Jean Damascène (VIIe s.) écrit: «Lors de son Ascension, Il monta vers l’Orient, et c’est ainsi que les Apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra, de la même manière qu’ils le virent monter au ciel, comme le Seigneur lui-même l’a dit: «Tel l’éclair qui jaillit de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident, tel sera le retour du Fils de l’homme» (Mt, 24, 27). Parce que nous l’attendons, nous l’adorons tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des Apôtres». Saint Athanase d’Alexandrie écrit au IVe siècle: «Les églises chrétiennes sont tournées du côté de l’Orient afin que nos regards soient dirigés du côté du paradis, notre antique patrie, d’où nous avons été chassés. Et nous prions Notre-Seigneur de nous rendre ce lieu d’où nous avons été chassés» (Pseudo-Athanase, PL. 23, col.618-619). Origène, au IIIe siècle: «C’est de l’orient, que nous vient le salut ; de là vient cet homme appelé Orient, médiateur entre Dieu et les hommes» (Homil. IX in Lev. n. 10). Saint Clément d’Alexandrie, au début du IIIe siècle, écrit dans les Stromates VII, 7, 43, 6-7, : «Etant donné que l’Orient est une image du jour de la naissance et l’endroit d’où croît la lumière qui a commencé à luire dans les ténèbres, un « jour » de la connaissance de la vérité s’est aussi levé sur ceux qui sont enveloppés dans les ténèbres ; les prières sont faites dans la direction du lever du soleil, vers l’est, selon la course du soleil.» Saint Ambroise de Milan, dans ses catéchèses sur le baptême, au IVe siècle, écrit: « Tu es donc entré pour regarder ton adversaire, à qui tu as décidé de renoncer en lui faisant face, et tu te tournes vers l’Orient [ad Orientem] ; car celui qui renonce au Diable se tourne vers le Christ, il le regarde droit dans les yeux » (Traité sur les Mystères). On pourrait aussi évoquer les textes des plus anciennes liturgies chrétiennes, dont beaucoup contiennent des textes évoquant clairement une orientation commune du clergé et des fidèles ; Ainsi, par exemple, l’anaphore copte de Saint Basile: «Approchez, vous autres hommes, tenez vous avec respect et regardez vers l’Orient!», ou bien encore l’anaphore de Saint Marc: «regardez vers l’Orient!».

Les pratiques liturgiques paléochrétiennes. L’avis des historiens et des liturgistes

Louis Bouyer, un des plus grands théologiens du Concile, était un farouche opposant de la messe « face au peuple ». Voici ce qu’il écrit dans son célèbre ouvrage Le Rite et l’Homme: « L’idée que la basilique romaine serait une forme idéale de l’église chrétienne parce qu’elle permettrait une célébration où prêtres et fidèles se feraient face est un complet contresens. C’est bien la dernière des choses à laquelle les anciens auraient pensé ». Le P. Josef A. Jungmann, auteur du célèbre ouvrage «Missarum sollemnia» écrit : « L’affirmation souvent répétée que l’autel de l’Église primitive supposait toujours que le prêtre soit tourné vers le peuple, s’avère être une légende ». Le Père Joseph Gélineau, que personne ne taxera d’intégriste puisqu’il a au contraire été à la pointe des innovations souhaitées par la partie la plus libérale du mouvement liturgique, écrit dans La Maison-Dieu (63, 1960, pp. 53-68): «Le célébrant, qui vient à l’autel pour l’eucharistie, ne devrait-il pas officier face au peuple? Il est nécessaire d’observer que le problème de l’autel versus populum tel qu’il se pose aujourd’hui est relativement nouveau dans l’histoire de la liturgie. Durant une période assez longue et pour une bonne part de la chrétienté, la question dominante, au dire de plusieurs historiens, ne fut pas celle de la position réciproque du célébrant et des fidèles, mais celle de l’orientation au sens strict, c’est-à-dire de se trouver face à l’Orient pour la prière. L’Orient symbolisait alors la direction de l’ascension et du retour du Christ ». Olivier Beigbeder quant-à lui note : «L’orientation des églises vers l’Est est un fait régulier au moins à partir du Ve siècle… Il est assez frappant de noter comment le respect de l’orientation a parfois été aux antipodes de la beauté: il n’est que de contempler, à Lyon, des rives de la Saône, la cathédrale Saint-Jean et l’église de Fourvière, pour constater que l’esthétique ne trouve pas son compte à ce que les églises tournent ainsi le dos à la rivière ». Le professeur Cyrille Vogel (1919-1982), grand spécialiste de l’histoire du culte chrétien et professeur à la Faculté de Strasbourg, fait lui aussi le même constat : «le problème d’une célébration vers le peuple en vue de le faire participer plus complètement à l’action eucharistique est un problème étranger à l’antiquité chrétienne, alors que la célébration vers l’Orient est une des grandes constantes du culte ». Plus récemment, dans un article publié en 2010 et intitulé L’orientation des autels, un problème mal posé?, Alain Rauwel, professeur agrégé à l’Université de Bourgogne, revient sur le débat entre spécialistes à propos de l’orientation de la liturgie durant le premier millénaire et le Moyen-Age, et conclut son étude en écrivant: «Le versus orientem est bien une évidence. Ce n’est donc pas à ses tenants d’apporter leurs preuves, mais à ses adversaires d’étayer leurs arguments. Pour l’heure, le moins que l’on puisse dire est que l’on a rien lu de convainquant…»

La véritable origine du «face au peuple»: la Réforme et l’humanisme de la Renaissance

On l’a vu, c’est en vain que l’on cherche dans les écrits des Pères des premiers siècles la moindre allusion à une quelconque « messe face au peuple » dans l’Eglise primitive. En revanche, l’idée d’une célébration face au peuple est explicitement et pour la première fois de l’histoire évoquée par Martin Luther lui-même: «Nous conserverons les ornements sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe, entre vrais chrétiens, il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi, et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple, comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre.» (Martin Luther, Deutsche Messe und Ordnung des Gottesdienstes, 1526). Or cette hypothèse de Luther selon laquelle le Christ lors de la Cène aurait célébré « face » à ses convives a été démentie par les meilleurs spécialistes de la question. Ainsi, le P. Bouyer affirme que « l’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fût chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis, ou allongés, sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait put survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était bien plutôt accentué par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table » . L’idée qu’une célébration « face au peuple » serait plus proche de la Cène décrite dans les Evangiles -et donc plus conforme à la volonté du Christ- est donc une idée récente, inaugurée par Luther, et certainement pas une idée remontant aux premiers chrétiens. Sur ce point, il est en outre nécessaire de rappeler la chose suivante: il ne faut pas perdre de vue le fait que la sainte Messe est à la fois un sacrifice et un Banquet mystique et n’est donc pas une simple reconstitution archéologique de la Cène. Hélas, la comparaison entre le texte de Luther appelant à une célébration face au peuple et ce qui a été mis en œuvre sur le terrain dans l’immense majorité des diocèses depuis cinquante ans ne peut que donner la très désagréable impression que le « catholicisme » tel qu’il est concrètement vécu dans les paroisses aujourd’hui semble bien plus fidèle à la pensée luthérienne qu’à l’enseignement des Pères de l’Eglise. Et cette impression est encore renforcée lorsque l’on constate qu’aucune Eglise d’Orient –dans l’ensemble restées plus fidèles aux pratiques cultuelles de l’Eglise primitive- ne pratique la célébration versus populum, excepté quelques unes qui ont subit au cours des dernières décennies la –mauvaise- influence occidentale.

Le problème tel qu’il se pose aujourd’hui

La conclusion qu’il nous faut tirer de cette étude est que la célébration « face au peuple » entre clairement en contradiction frontale avec toute l’histoire de la liturgie chrétienne, tant en Orient qu’en Occident, et ce depuis les temps apostoliques. La généralisation de la célébration face au peuple a donc bien été, et ce de manière incontestable, une rupture nette avec la tradition bimillénaire de l’Eglise; elle semble en outre avoir puissamment contribué faire perdre aux prêtres et aux fidèles le sens profond de l’Eucharistie. En avril 1992, le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, écrivait : «Nous nous sommes tellement tournés vers l’assemblée que nous avons oublié de nous tourner ensemble, peuple et ministres, vers Dieu ! Or, sans cette orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens chrétien». Le P. Louis Bouyer, que l’on ne peut taxer d’intégriste puisqu’il a été l’un des grands théologiens du Concile Vatican II, écrivait dans la préface de l’ouvrage Tournés vers le Seigneur de Klaus Gamber : «Il en résulte que la messe dite face au peuple n’est qu’un total contresens, ou plutôt un pur non-sens ! Le prêtre n’est pas une espèce de sorcier ou de prestidigitateur produisant ses tours devant une assistance de gobeurs : c’est le guide d’une action commune, nous entraînant dans la participation à ce qu’a fait une fois pour toutes Celui qu’il représente simplement, et devant la personnalité duquel la sienne propre doit s’effacer !». Il apparaît donc évident que la question de l’orientation de la prière liturgique en général, et de la célébration eucharistique en particulier, devrait faire l’objet d’une sérieuse réévaluation. Sa redécouverte dans la vie liturgique de nos paroisses pourrait bien être le signe d’une redécouverte salutaire et d’un approfondissement du sens spirituel, symbolique, cosmique et mystique du culte chrétien.

Cependant, il faut reconnaître qu’une telle restauration, quoique nécessaire, ne puisse se faire sans de sérieuses difficultés. On nous objectera, par exemple, qu’aujourd’hui une partie non négligeable de nos églises ne sont plus orientées, en particulier celles qui ont été construites à partir du XVIe siècle sans reprendre le plan d’une église médiévale préexistante. A cet époque en effet, la compréhension profonde du symbolisme traditionnel en général et celui du soleil Levant en particulier s’estompe et cède la place à de toutes autres considérations: on se préoccupe essentiellement de la bonne disposition de l’édifice par rapport à l’organisation urbaine. Le symbolisme sacré qui exprime la foi et soutien la spiritualité s’efface au profit du rationalisme et du pragmatisme modernes. Par ailleurs, à partir de cette même époque, les autels, qui jusqu’au Moyen Age avaient conservé la forme d’un cube ou d’un parallélépipède simple, conforme au symbolisme qu’ils sont sensés exprimer, commencent à se transformer en des meubles imposants et monumentaux, surchargés de sculptures et d’une ornementation de plus en plus chargée qui ont tendance à obstruer la fenêtre percée dans l’abside orientale et originellement destinée à faire pénétrer dans le sanctuaire la lumière matinale. Dans beaucoup d’églises qui portent les stigmates de ces transformations, il faut reconnaître que la célébration vers l’Orient perd une partie de son sens… sans que celui-ci disparaisse complètement. Nous pensons en effet que même là où le sanctuaire n’est pas orienté, ou bien là où la fenêtre orientale disparaît derrière les aménagements issus de ces époques, le fait pour les fidèles et les ministres d’être tournés dans le même sens, vers la croix et le tabernacle, conserve une signification spirituelle tout à fait essentielle. Notons cependant qu’il serait préférable, au moins dans les églises dont la taille le permet, de toujours célébrer sur un autel séparé du mur, de manière à pouvoir en faire le tour, notamment lors des différents encensements prévu dans la liturgie.

Ex Oriente Lux…

Pour conclure…

Il est un fait rigoureusement incontestable que les premiers chrétiens voyaient le lever du soleil à l’Est comme l’image de la Résurrection et le symbole préfigurant le retour glorieux du Ressuscité à la fin des temps. C’est cette vision pleine d’espérance qui a conduit les premiers disciples du Christ, et ce dès les temps apostoliques, à se tourner vers l’Orient pour la prière communautaire et surtout pour la célébration de l’Eucharistie. Le concile Vatican II, loin de demander la célébration dite « face au peuple », a au contraire souhaité réhabiliter cette dimension eschatologique de la liturgie chrétienne, notamment par l’ajout de cette prière : «Nous proclamons ta mort, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la Gloire», que nous chantons après la Consécration. Or, c’est précisément dans le cadre d’une liturgie orientée que cette prière prend tout son sens!

En outre, il est faux de prétendre que la célébration versus populum exprime davantage la dimension pastorale et communautaire de la liturgie. Ce serait même plutôt le contraire qui est vrai. En effet, l’orientation commune du clergé et des fidèles illustre parfaitement l’ecclésiologie paulinienne et patristique telle que l’a remise à l’honneur le concile Vatican II : l’Eglise comprise comme le Corps du Christ, un corps dont chacun des membres joue un rôle spécifique au service de l’unité de ce corps : lors de la célébration eucharistique, les fidèles, en vertu de leur baptême, forment le «Christ-Corps » proprement dit, tandis que le prêtre représente le « Christ-Tête » qui se tient en avant de celui-ci pour le ramener vers le Père ; l’orientation exprime également à merveille l’image du Bon Pasteur, qui conduit ses brebis vers les verts pâturages de la vie éternelle. A ce titre donc, l’orientation de la liturgie est pleinement « pastorale », dans le sens le plus noble et le plus fort de ce terme.

Revenir à la pratique de l’orientation de la Messe ne signifie donc certainement pas faire preuve de « traditionalisme » ou d’intégrisme, mais cela signifie bien au contraire renouer avec le meilleur et le plus authentique de la spiritualité chrétienne : une spiritualité orientée vers la Lumière de la Résurrection, habitée par une confiante espérance dans le retour glorieux du Christ ressuscité à la fin des temps.

Liturgia Verbi: La véritable signification de la liturgie de la Parole

Encensement de l’Evangile par le diacre, abbaye Saint-Joseph, Flavigny-sur-Ozerain

Dans le contexte actuel de décadence généralisée de la liturgie, l’une des réalités rituelles les plus incomprises du culte public de l’Eglise est la liturgie de la Parole. La restauration de cette partie de la Messe avait pourtant été un des grands objectifs de la réforme liturgique conciliaire ; dans le sillage de la remise à l’honneur de la Parole divine voulue par le Concile, cette réforme avait en effet pour but redonner à ce rite –car c’est bien un rite, s’inscrivant pleinement dans l’univers rituel de la Messe- toute sa solennité, et de montrer qu’il constitue bel et bien une liturgie à part entière, la liturgia Verbi , c’est-à-dire la liturgie du Verbe incarné, «qui porte l’univers par sa parole puissante » (He, 1, 3).
Avant toute considération à ce propos, il est nécessaire tout d’abord de comprendre la nature profonde du christianisme. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le christianisme n’est pas une « religion du Livre », mais bien une religion de la Parole, ce qui la différencie fondamentalement de l’Islam et du judaïsme rabbinique. Ces deux confessions religieuses, en effet, sont attachés à la lettre de la loi, à la lettre du texte sacré. Dans le christianisme au contraire, « la lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Cor, 3, 6). Le christianisme est tout entier une religion de l’écoute de la Parole divine, qui est toujours une Parole vivante : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.» (He 4, 12). Dans les évangiles, il s’agit surtout « d’entendre», « d’écouter » la Parole de Dieu, tandis que la règle de saint Benoit commence par « Ecoute ! », et non pas par « lis ». Dans cette optique, la mise par écrit dans un « livre » est très secondaire ; par ailleurs on remarquera que toute vraie tradition est d’abord et avant tout une tradition orale, et que la liturgie, ses rites autant que son esprit, se sont transmis de génération en génération plutôt par l’exemple et l’écoute que du fait des Missels et autres imprimés, qui restaient de toute façon rares et chers jusqu’à une époque récente. On notera en outre que l’on constate que dès qu’une tradition passe à l’écrit, elle y perd souvent son âme et son caractère « vivant ».

Il est également nécessaire de bien comprendre l’esprit de la réforme issue de Vatican II. Si, dans la forme ordinaire du rite romain, le Canon doit être proclamé à haute voix, c’est bien pour être chanté, soit sur les mélodies prévues à cet effet, soit recto tono. Il faut le dire avec force : surtout pour les dimanches et les jours de fête, il est aberrant que la prière eucharistique ne soit pas chantée intégralement. Le fait de se contenter de la réciter la rabaisse à une simple parole humaine, surtout si, comme c’est le cas en de nombreux endroits, le célébrant emploie un ton mièvre et « personnalisé » totalement inapproprié à la grandeur de ce qu’il accomplit. Le Canon, en effet, n’est pas une parole ordinaire mais bien un Parole sacrée, et même, si l’on prend son cœur –Ceci est mon Corps, livré pour vous, ceci est mon Sang, versé pour vous et pour la multitude, paroles par lesquelles s’opère le Sacrifice- une Parole de Dieu, au sens propre. Par la prière consécratoire, le prêtre ne fait que prêter sa voix au Christ qui est le véritable acteur de la célébration, à la fois Prêtre et Victime du sacrifice divin. Dans la prière eucharistique plus que dans toute autre, la Parole de Dieu est dite performative, c’est-à-dire qu’elle réalise, par le fait même d’être prononcée, ce qu’elle évoque. Il faut bien insister sur le fait que liturgie de la Parole et liturgie eucharistique sont bien les deux parties d’une seule et même Liturgie, qui est la Liturgie de la Messe. D’une certaine manière, et pour les raisons que nous venons d’expliquer, on peut dire que le Canon est aussi une liturgie de la Parole qui s’opère par la consécration des saintes Espèces, tandis que la Parole divine entendue avec l’Epître et l’Evangile est elle-même un pain spirituel ; l’écouter, c’est aussi se nourrir.
Comme pour la prière eucharistique, en proclamant l’épître et surtout l’Evangile, le diacre ou le prêtre n’exprime pas des idées personnelles, il ne tient pas des propos purement humains ; au contraire, là aussi il prête humblement sa voix à une réalité qui le dépasse très largement, et qui est cette Parole de vie, ce Verbe éternel qui était dès le commencement du monde, comme nous l’entendons dans le Prologue de l’Evangile selon saint Jean. Tout donc, dans sa manière de proclamer cette Parole, doit montrer que sa personnalité propre, pleine de faiblesses et d’insuffisances, s’efface complètement pour laisser s’exprimer le mystère du Verbe divin.

Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, chant de l’Evangile par le diacre

De l’ensemble de ces considérations il nous faut tirer deux conclusions pratiques :
1- LA LITURGIE DE LA PAROLE DOIT ETRE SOLENNISÉE. L’une des caractéristiques de la crise actuelle est que nous ne savons plus solenniser. Que signifie « solenniser » ? Cela signifie mettre en œuvre tous les symboles et tous les éléments matériels prescrits par les normes et la Tradition qui permettent de souligner l’importance du mystère que l’on célèbre. Il est aberrant, par exemple, que même dans des églises ou des sanctuaires dotés de tous les moyens matériels, le diacre qui proclame l’Evangile ne porte pas de dalmatique. La dalmatique, vêtement de joie et de solennité par excellence, n’est pas un accessoire secondaire, mais bien le vêtement qui exprime la nature de la fonction diaconale. Par ailleurs, on ne peut que saluer la pratique restaurée par la réforme liturgique de Vatican II de porter l’évangéliaire au cours de la procession d’entrée et de le poser sur l’autel durant la première partie de la messe. En effet, cette pratique, totalement traditionnelle et conservée dans bien des liturgies orientales (byzantine notamment), permet de souligner le lien intime entre liturgie du Verbe et liturgie eucharistique. En effet, l’autel, centre de l’église et point fixe placé au milieu du sanctuaire, symbolise la personne même du Christ, cette «pierre que les bâtisseurs ont rejeté» et qui est devenue «la pierre d’angle». L’évangéliaire symbolise la Parole de Dieu, qui elle est une réalité vivante et dynamique, qui «sort» de la personne du Christ (représentée par l’autel) pour nous rejoindre et nous transformer. La procession au cours de laquelle le diacre (ou le prêtre s’il n’y a pas de diacre) saisit l’évangéliaire posé sur l’autel et se rend à l’ambon pour chanter l’Evangile est la manifestation rituelle de la nature dynamique de ce mouvement par lequel le mystère du Verbe se manifeste aux hommes. Si l’on dispose d’un nombre de servants d’autel suffisant, il est donc impératif que cette procession entre l’autel et l’ambon ait lieu, le diacre ou le prêtre étant accompagné de deux céroféraires (en aube avec cordon ou soutane-surplis) qui ensuite encadrent l’ambon où le diacre va proclamer l’Evangile. En effet, ce rite consistant à encadrer la proclamation de l’Evangile de deux cierges portés par deux servants fait partie intégrante de la liturgie de la Parole, et signifie que la Parole de Dieu est la lumière qui éclaire nos existences. A cela s’ajoute la présence du thuriféraire balançant l’encensoir fumant, car la Parole manifeste la présence vivante de Dieu qui doit donc recevoir l’hommage représenté par l’encensement durant la proclamation. On veillera également à user d’un évangéliaire richement orné ; en effet cette riche ornementation du livre contenant les Évangiles, qui a souvent contribué à la production par les artistes de splendides œuvres artistiques, souligne l’importance, non du livre en lui-même, mais de la Parole divine qu’il contient et dont il n’est que le support matériel. Tous ces éléments sont décris dans les livres officiels et doivent être respectés et mis œuvre dès que cela est possible. En contemplant la procession solennelle du diacre portant l’évangéliaire, entouré des céroféraires et du thuriféraire, de l’autel à l’ambon, les fidèles comprennent que la Parole de Dieu est une réalité vivante et lumineuse, qui provient du Christ (représenté par l’autel) et qui vient jusqu’à nous pour transformer nos existences. Ne pas donner en revanche à la liturgie de la Parole tout ce déploiement riche en signification, c’est affaiblir la capacité de cette même liturgie à exprimer le mystère du Verbe divin.

Encensement de l’Évangile par le diacre, forme extraordinaire du rite romain

2- LA PAROLE DOIT ETRE CHANTEE. On se référera à ce sujet à l’explication très juste et profondément fidèle à la Tradition qu’en donne Jean Hani, qui affirme que la désacralisation de la liturgie de la Parole est aggravée par « la façon dont le texte est dit aujourd’hui, c’est-à-dire comme celle dont on lit n’importe quel texte littéraire, et, ce qui est plus grave, avec la fameuse diction expressive qui a pour effet de mettre en avant le lecteur au lieu du locuteur véritable qui est le Christ lui-même ou son porte-parole, l’évangéliste, ce qui revient au même. Régulièrement, l’Evangile était proclamé et non pas lu, de façon solennelle en utilisant une sorte de mélopée, ce qui avait pour résultat de hausser l’acte sur le plan supérieur, -le plan du sacré ; quand ils n’étaient pas chantés, l’Evangile et l’Epître étaient lus recto tono, un mode qui dépersonnalise, comme il convient, le lecteur, et valorise le texte [ou plus exactement, la Parole vivante dont le texte n’est que le support, ndlr] et son auteur ». Or, le fait de simplement « lire » le texte évangélique sur un ton que l’on veut faussement « personnalisé» ou intimiste, suppose en réalité une autre approche de la Parole, une approche en réalité imprégnée de mentalité protestante : la Parole de Dieu n’est plus cette réalité surnaturelle, supra humaine et sacrée, parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition, une Parole vivante sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir, derrière laquelle nous devons nous effacer et que nous devons recevoir dans l’humilité et l’obéissance, mais elle devient un texte quelconque que n’importe quel locuteur peut interpréter à sa guise, en fonction de ses goûts subjectifs et de son « inspiration » du moment. C’est hélas bien cette approche –fausse- de la proclamation de la Parole qui est aujourd’hui pratiquée dans l’immense majorité des paroisses. Jean Hani fait une autre remarque qui mérite d’être rapportée : « En supprimant les mots « in illo tempore », on enlève complètement à la nature du texte le caractère rituel qui permet de transcender le moment « hic et nunc » et qui permet de devenir le contemporain du Christ au moment où il donnait son enseignement. Le « mystère », car il s’agit bien d’un mystère, celui d’un Dieu parlant à l’homme, le mystère et sa « présence » sont évacués, l’Evangile lui n’est plus qu’un récit didactique, à but moral, ce n’est plus réellement le « Pain de la Parole », considéré dans la grande tradition chrétienne comme l’accompagnement vital du « Pain de la sainte table » » (Jean Hani, Le monde à l’envers. Essais critiques sur la civilisation moderne, l’Age d’homme, p. 51-52).

Diacre portant l’évangéliaire dans le rite byzantin.

Il faut dire et répéter que la Liturgie est la première école biblique. Toute liturgie véritablement traditionnelle est nécessairement comme « imprégnée » d’Ecriture sainte. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas une liturgie traditionnelle. Dans la liturgie grégorienne, l’essentiel des pièces du propre (introits, graduels, alléluia, antiennes d’offertoire et de communion) et une grande partie des pièces de l’ordinaire de la Messe sont des extraits de textes bibliques. A partir de la fin du Moyen-âge, le sens profond de cette «liturgie du Verbe» et de son déploiement rituel a été progressivement oublié. L’apparition du catéchisme au XVIe siècle (qui est une invention du protestantisme, reprise par l’Eglise tridentine) a été un moyen de compenser –sous une forme, hélas, très scolaire et rébarbative totalement étrangère à l’esprit des Anciens- l’affaiblissement de la puissance signifiante de l’antique liturgie du Verbe. Auparavant en effet, c’était cette liturgie de la Parole qui permettait l’appropriation par les chrétiens (ou ceux qui se préparaient à le devenir) de la Parole divine, par une sorte d’«immersion rituelle» dont les caractéristiques essentielles (la procession solennelle, le chant du graduel et de l’alléluia par la schola puis proclamation chantée du texte sacré par le diacre, l’usage des cierges et de l’encens) permettaient de comprendre la dimension supra humaine et surnaturelle de cette Parole, et donc de se laisser transformer par elle. C’est pour cela que jusqu’à une époque récente, la première partie de la Messe -rites pénitentiels et liturgie de la Parole- était appelée « Messe des catéchumènes » et constituait la seule partie de la Messe à laquelle ceux qui n’étaient pas encore reçu le baptême pouvaient assister, avant de quitter l’église au moment où débutait la liturgie eucharistique proprement dite, ou « Messe des fidèles », réservée aux fidèles baptisés et pleinement initiés aux mystères.
En conclusion, il est bon et essentiel que les catholiques se nourrissent de la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, mais prioritairement dans la façon dont l’Eglise les leur expose dans son sacrificium laudis, le sacrifice de louange à Dieu, et en particulier dans la liturgie du Verbe telle que nous l’avons reçue de la Tradition et telle qu’elle a été restaurée à la suite du Concile. La Liturgie n’est que difficilement compréhensible sans connaissance minimale de la Sainte Ecriture ; une connaissance de l’Ecriture sans culture liturgique s’éloigne de l’Esprit dans lequel l’Eglise veut que nous la recevions et méditions, et ouvre la porte à toutes les erreurs et à toutes les hérésies. Restaurer une authentique liturgie de la Parole qui soit conforme à l’esprit de la Tradition est donc indispensable pour que cet Esprit puisse préparer les fidèles à accueillir, à comprendre et à mettre en pratique dans leur vie la Parole du Maître.

«Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu, et qui la gardent!» (Saint Luc, XI, 28)

La restauration de la messe pour les défunts

Introduction

La réforme liturgique de 1969 a permis de réintroduire dans la liturgie un très grand nombre de pièces du répertoire grégorien, souvent de très bonne qualité, et qui avaient été restaurées entre la fin du 19e et le milieu du 20e siècle, par la comparaison des sources médiévales, éclairée par l’étude musicologique du chant grégorien.

Il faut bien sûr déplorer le fait que cette restauration n’ait produit de fruit que dans une toute petite fraction de l’Église, la majorité se partageant entre l’attachement aux formes liturgiques tridentines et l’ignorance totale du chant grégorien.

Les choix opérés quant à la réintroduction de telle ou telle pièce ancienne sont informés par trois considérations :

  • l’emploi historique attesté, idéalement à plusieurs époques et en plusieurs lieux, de la pièce en question, à la place à laquelle on envisage de l’introduire ;
  • l’adéquation de la pièce aux lectures du jour dans le lectionnaire réformé ;
  • l’idonéité pastorale de la pièce à cet emplacement, c’est à dire le profit qu’on envisage pour les fidèles — pas pour Dieu — à ce que cette pièce soit chantée à cette occasion.

De ces trois considérations, les deux premières me semblent être celles qui ont le plus de poids, la troisième ayant son importance mais devant céder face au précédent historique ou à la cohérence du propre d’une Messe.

Cette troisième considération semble avoir largement gouverné le très grand nombre d’options prévues pour le propre de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire. C’est ce que nous allons mettre en évidence, en suggérant de différencier, parmi ces options, celles qui sont traditionnelles, c’est à dire d’un emploi attesté en plusieurs lieux et à plusieurs époques, de celles qui sont purement pastorales.

Dans ce but, on va présenter de manière synthétique l’évolution du propre de la Messe pour les défunts en fonction du temps et de la géographie, en groupant autant que possible les manuscrits par sphère d’influence. Les données de cet article sont largement issues de la thèse de doctorat de l’organiste et musicologue Nemesio Valle, de l’université de Pittsburgh.

Les manuscrits présentent les propres, tantôt regroupés en formulaires (une messe complète, puis une autre, puis une autre, si nécessaire en réutilisant la même pièce d’une messe sur l’autre), tantôt regroupés par fonction (les introïts tous ensemble, puis les graduels, etc). Dans presque tous les cas, les formulaires répondent à une nécessité purement pratique (minimiser le nombre de pages à tourner) et ne présentent pas de cohérence particulière : le même matériau musical, par exemple de deux messes complètes, sera complètement remélangé d’un manuscrit à l’autre. C’est pourquoi nous prenons ici le parti de présenter les pièces musicales fonction par fonction, sans nous soucier aucunement de quelle pièce est associée à quelle autre dans un formulaire de tel et tel manuscrit. Le seul critère de sélection est la présence d’une rubrique « missa pro defunctis« , « missa in exsequiis« , etc.

Les premiers propres de la Messe pour les défunts

La Messe pour les défunts constitue un développement relativement tardif de la liturgie. Dans la sphère d’influence franque, les rituels païens associés à la mort persistent longtemps après le baptême de Clovis : le plus souvent, on dit à l’intention du mort la messe du jour, en ajoutant des prières supplémentaires. Dans la sphère d’influence romaine, le sacramentaire de Vérone a cinq oraisons pour les messes super defunctos, sans point commun avec ce qui deviendra la messe dite de Requiem, la messe des morts telle que la connaîtra le Moyen Âge tardif ; l’apparition de chants propres pour la Messe pour les défunts a lieu au bien après la première stabilisation du propre du Temps, dans la deuxième moitié du 9e siècle, après la réforme carolingienne. On dispose de six sources, trois helvéto-germaniques (famille sangallienne) et trois franco-flamandes, antérieures à l’an mil. Elles comportent toutes un introït, un graduel, un ou plusieurs offertoires et une ou plusieurs antiennes de communion ; aucune ne comporte de trait ou d’alléluia.

Famille sangallienneFamille françaiseOption majoritaire
Intr.RequiemRequiem
Tuam Deus
Si enim credimus
Requiem
Grad.RequiemRequiem
Convertere
Requiem
Convertere
Off.Domine Jesu Christe
Domine convertere
Illumina
Domine convertere
Miserere mihi
Erue Domine
Domine convertere
Co.Dona eis Domine
Audivi vocem
Ego sum resurrectio
Omne quod dat
Lux æterna
Ego sum resurrectio
Synoptique des principaux propres de la Messe pour les défunts, 9e-10e siècle

Les propres du 11e siècle

Au 11e siècle, les sources abondent. Nemesio Valle, dans sa thèse, distingue les sphères d’influence germaniques (Saint-Gall, Rhénanie et Bavière), lorraines (Belgique, Lorraine, Picardie), française (Paris, Lyonnais), lombarde (Italie du Nord), aquitaine (Aquitaine et Espagne) et romaine (Rome, Naples). Nous choisissons d’en regrouper certaines dans le tableau suivant. Notons l’apparition du trait, avec trois textes différents. Les propres aquitains ne figurent pas dans ce tableau : ils sont extrêmement riches — une vingtaine de pièces qui ne se trouvent qu’en Aquitaine au 11e siècle — mais aussi éphémères, correspondant à une explosion artistique autour des pôles spirituels de Gaillac et Narbonne, et seront remplacés par les propres français dès le 12e siècle.

France / LombardieLorraine / Picardie /
Suisse / Allemagne
Rome
Intr.Requiem
Si enim credimus
Requiem
Si enim credimus
Rogamus te Domine
Ego autem
Grad.Requiem
Convertere
Requiem
Qui Lazarum
Si ambulem
Qui Lazarum
Tract.De profundisDe profundis
Sicut cervus
De profundis
Convertere
Off.Domine Jesu Christe
Erue Domine
Domine Jesu Christe
Domine convertere
Miserere mihi
Domine Jesu Christe
Domine convertere
Subvenite
Co.Lux æterna
Ego sum resurrectio
Audivi vocem
Ego sum resurrectio
Audivi vocem
Lux æterna
Qui Lazarum
Synoptique des principaux propres de la Messe pour les défunts, 11e siècle

On constate que le propre de la Messe pour les défunts telle qu’elle se pratique à Rome est très différent de celui employé dans le reste de l’Europe. Il s’agit de survivances du chant vieux-romain que la réforme grégorienne ne parviendra pas immédiatement à uniformiser, et la variabilité régionale restera considérable jusqu’au 13e siècle.

La convergence vers le propre tridentin

Le 12e et le 13e siècles sont une période paradoxale de convergence géographique et de diversification organique : la réforme du monachisme bénédictin par l’Ordre de Cluny, puis la fondation des Ordres chartreux et cistercien, enrichiront le répertoire des propres pour la Messe pour les défunts ; certaines pièces composées pour ces Ordres passeront dans le répertoire séculier — c’est notamment le cas du trait Absolve, dont le texte apparaît un peu plus tôt comme antienne de communion, et qui devient un trait à Cîteaux ; il finira, de manière surprenante car il est d’un emploi plutôt rare, par être sélectionné pour le missel tridentin (cf. tableau infra).

En parallèle, peu d’autres pièces nouvelles sont composées ; les différences entre la sphère romaine, la sphère française, et le Saint-Empire, tendent à s’amenuiser, et les compositions du 11e siècle voyagent dans toute l’Europe, avec une exception notable : le propre romain, avec l’introït Rogamus te Domine et le graduel Qui Lazarum (cf. supra) est utilisé jusqu’au 13e siècle, après quoi il disparaît tout à fait pour adopter la forme convergée.

C’est également au cours du 12e siècle que se répand l’usage des séquences, ou proses, aux Messes pour les défunts. La séquence De profundis exclamantes, composée en France au début du 12e siècle, est un peu plus ancienne, mais elle est rapidement supplantée par le Dies Iræ, et sa diffusion reste très limitée.

RomeEuropeMissel tridentin
Intr.Rogamus te DomineRequiemRequiem
Grad.Qui LazarumRequiem
Si ambulem
Requiem
Tract.De profundisDe profundis
Sicut cervus
Absolve
Seq.Dies IræDies Iræ
De profundis exclamantes
Dies Iræ
Off.Domine Jesu Christe
Subvenite
Domine Jesu Christe
O pie Deus
Erue Domine
Si ambulavero
Domine Jesu Christe
Co.Lux æterna
Absolve Domine
Pro quorum memoria
Chorus angelorum
Lux æterna
Absolve Domine
Pro quorum memoria
Ego sum resurrectio
Lux æterna
Principaux propres de la Messe pour les défunts, 13e siècle, et propre de cette Messe au missel tridentin, 1570

Dans le missel tridentin, des antiennes chantées à l’offertoire ou à la communion durant le Moyen Âge seront affectées à l’absoute, à la procession funéraire et à l’enterrement : il s’agit du Chorus angelorum (communion, qui devient le In paradisum), du Subvenite (offertoire de la tradition romaine), et du Ego sum resurrectio (communion de la tradition française).

Le propre de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire

On présente dans le tableau ci-dessous les nombreuses options pour la célébration de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire du rite romain. Dans la colonne de gauche figurent les chants qui ont été employés à la Messe pour les défunts de manière certaine à au moins un lieu et une époque, et d’une façon qui ne soit pas anecdotique (une seule source mineure peu fiable) ; autrement dit, ceux qui ont figuré plus haut dans cet article. Dans la colonne de droite figurent les autres chants proposés (source : Graduale Romanum 1974).

Chants traditionnelsChants nouveaux
Intr.Requiem
Ego autem
Intret oratio
Verba mea
Sicut oculi
Si iniquitates
De necessitatibus
Grad.Requiem
Convertere
Si ambulem
Lætatus sum
Salvum fac servum
Unam petii
All.De profundis
In exitu
Lætatus sum
Requiem
Tract.Absolve
De profundis
Qui seminant
Sicut cervus
Off.Domine Jesu Christe
Domine convertere
Illumina
Miserere mihi
Si ambulavero
Domine Deus salutis
De profundis
Co.Lux æterna
Amen dico vobis
Qui manducat
Domine quinque
Domine quis habitabit
Dominus regit me
Illumina faciem
Notas mihi fecisti
Panis quem ego dedero
Qui mihi ministrat
Le propre de la Messe pour les défunts, Graduel romain de 1974

Les deux changements qui sautent immédiatement aux yeux sont la disparition de la séquence Dies Iræ et le remplacement du trait par l’alléluia, sauf en Carême. Ces deux innovations s’expliquent par une insistance accrue sur la Résurrection et l’Espérance, au détriment du Jugement, du deuil et de la possibilité de la damnation. Ce changement de cap me semble hasardeux, surtout à une époque où la possibilité de la damnation est ignorée de nombreux catholiques.

On constate également le très grand nombre de chants nouveaux, tous en eux-mêmes traditionnels — aucun n’est une composition néo-grégorienne contemporaine — mais employés traditionnellement en d’autres circonstances (Carême, Semaine Sainte et Temps per annum pour l’essentiel). L’adéquation pastorale de ces chants à la messe pour les défunts ne fait pas de doute ; je juge simplement nécessaire de les marquer comme des innovations, ce qu’ils sont indubitablement.

On constate également avec tristesse l’absence d’un certain nombre de chants bien représentés dans les sources médiévales, c’est à dire simultanément bien documentés et significatifs au point de vue de la tradition liturgique occidentale. Voici la liste de ces pièces du propre pro defunctis qui ont connu une extension géographique importante, ou constituent un propre local d’une importance majeure (Rome, Paris) et qui ont été employés durant plusieurs siècles, et qui restent à ce jour absents du Graduel romain dans la forme ordinaire :

Intr.Si enim credimus (Picardie, Flandres, Allemagne, 9e-13e) (non restauré)
Rogamus te Domine (Rome et Italie, 11e-13e) (statut inconnu)
Grad.Qui Lazarum (Rome et Italie, 11e-13e ; Saint-Gall, 11e) (non restauré ; peut-être identique au répons Qui Lazarum de l’office des morts moderne ?)
Tract.Commovisti (tradition clunisienne ; Bavière, 12e-13e) (restauré, attribué au 2e dimanche de Carême)
Seq.Dies iræ (France, Belgique, 12e-14e ; monde entier, 14e-20e)
De profundis exclamantes (France, 11e-13e) (non restauré ; transcrit de Ms2 par l’auteur)
Off.O pie Deus (Aquitaine, 11e ; France et Italie, 12e-13e) (restauré par Dom Rupert Fischer)
Erue Domine (Noyon, 9e ; France, Belgique, Allemagne, 10e-13e) (restauré par Dom Rupert Fischer)
Co.Qui Lazarum (Rome, 11e-13e)
Dona eis Domine (Suisse et Allemagne, 9e-13e)
Audivi vocem (Lombardie, Suisse et Allemagne, 9e-12e)
Absolve Domine (Rhénanie, 11e ; toute l’Europe, 12e-13e)
Pro quorum memoria (Rhénanie, 11e ; toute l’Europe, 12e-13e)
Omne quod dat (Noyon, 9e ; Italie, 12e-13e)
Tuam Deus (Rome, 11e ; Allemagne, 11e-13e)
Chants de la messe pour les défunts manquants au Graduel dans la forme ordinaire

Certains de ces chants sont déjà restaurés, en particulier les offertoires grâce à Dom Rupert Fischer. Certains sont largement documentés mais manquent de sources notées et ne seront probablement pas restaurables.

Il est à noter que les antiennes médiévales qui ont regroupées, dans le missel tridentin, pour former la liturgie de la mise en terre, sont reconduites dans cette fonction presque à l’identique.

Conclusion

En conclusion, il y a lieu de se réjouir du fait que la réforme liturgique ait permis de retrouver une diversité légitime d’options pour les Messes pour les défunts, diversité qui correspond à la réalité liturgique historique. Les innovations qui consistent à permettre des pièces, certes idoines, mais dont l’emploi historique aux Messes pour les défunts n’est pas attesté, ne sont pas néfastes en elles-mêmes ; mais il me semble qu’une distinction spéciale aurait dû être attribuée aux options véritablement traditionnelles, et que certaines options traditionnelles doivent encore être restaurées.

S’il devait arriver quelque chose à l’auteur, ses proches auront l’amabilité d’implorer Dieu pour son âme au son de l’introït Requiem, du graduel Si ambulem, du trait Sicut cervus (de préférence dans sa version palestrinienne), de la séquence De profundis exclamantes, de l’offertoire Domine Jesu Christe et de l’antienne de communion Lux æterna.

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