Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Étiquette : Grégorien

Missel Laudate : une recension

En collaboration avec la maison d’édition Artège
Lien pour acheter le missel Laudate: https://www.editionsartege.fr/livre/fiche/laudate

Les plus anciens se rappellent sans doute des missels des fidèles dont la première moitié du XXe siècle fut l’âge d’or. Des livres comme les « Dom Lefebvre » et « Maredsous » demeurent pour beaucoup d’entre nous de précieuses ressources.

L’essort de ces missels fut freiné avec la réforme liturgique. Beaucoup se disaient qu’ils ne se justifiaient que par l’exclusivité du latin dans la liturgie. Pourquoi tenir dans ses mains ce que l’on entend désormais dans sa langue ? Si quelques missels des fidèles furent publiés depuis, ils n’ont pas grand-chose en commun avec leurs prédecesseurs, dans la forme ou dans le fond ; en particulier, la tradition proprement latine, le propre de la Messe par exemple, brille par son absence.

Il manquait donc un missel qui pût réconcilier la réforme liturgique et la tradition des missels des fidèles. C’est ce manque que le missel grégorien Laudate, préparé par une équipe de laïcs et de prêtres (de la Communauté Saint-Martin pour l’essentiel), entend combler.

Avant d’examiner cet ouvrage en détail, notons que contrairement à ce que son titre complet pourrait indiquer, ce missel n’est pas tout à fait « grégorien », dans la mesure où il ne contient pas les partitions permettant de chanter la Messe (contrairement à l’excellent « Missel grégorien » de Solesmes, qui ne contient cependant pas les lectures), mis à part quelques exceptions sur lesquelles nous reviendrons plus bas.

Ce qui frappe au premier abord, c’est la beauté de l’ouvrage. Sa couverture noire (ornée d’une superbe enluminure dans l’édition standard), la dorure de ses pages (dans l’édition cuir), les illustrations, la présentation des textes confèrent au tout un aspect à la fois sobre et élégant.

Le livre est divisé en quatre parties. D’abord, le propre de chaque Messe, à savoir les oraisons (dans l’original latin et la traduction officielle nouvellement promulguée) et le propre grégorien : introïts, graduels, offertoires… accompagnés d’une traduction, celle-ci à usage privé, non liturgique (nous y reviendrons). Chaque Messe (à l’exception des féries de l’Avent et du Carême) est précédée d’une présentation et d’une méditation puisant dans les textes de la tradition grégorienne. Cette démarche, explicitement revendiquée dans l’introduction, éclaire tout l’ouvrage : il ne s’agit pas seulement de se laisser nourrir par les péricopes bibliques, comme le proposent les missels déjà existant, mais d’assimiler cette nourriture à l’aide de la liturgie et la tradition. On y retrouve donc deux fonctions essentielles de la liturgie : la formation des fidèles et le modèle de la foi, selon l’adage bien connu : lex orandi, lex credendi (la loi de la prière est la loi de la foi). Une deuxième partie, beaucoup plus courte, comprend l’ordinaire de la Messe, là encore en latin et français ; sont également indiquées les préfaces et un choix de textes pour la prière des fidèles.

La troisième partie comprend les lectures et les chants indiqués au lectionnaire (sauf pour quelques grandes fêtes, où ces lectures sont données en première partie). Assurément, faire tenir toutes les lectures de la liturgie rénovée en un seule livre était un défi de taille ; mais les rédacteurs du Laudate l’ont relevé en se limitant aux lectures du temporal, sauf lorsque le sanctoral indique des lectures propres obligatoires. Choix discutable, mais conforme à la nécessité autant qu’à la pratique habituelle. Esthétiquement, la présentation des lectures est un peu moins agréable que celle des textes propres (chants et oraisons) de la première partie.

La quatrième et dernière partie est un ensemble de prières, d’enseignements et de dévotions, allant des sacrements aux offices du dimanche en passant par le rosaire, le chapelet de la miséricorde et autres litanies. Un très riche ensemble de textes, dans la lignée, là encore, des anciens missels des fidèles, et où ceux-ci puiseront avec profit de quoi nourrir leur vie spirituelle. Une sélection de partitions d’ordinaires grégoriens pour l’année cloture l’ouvrage.

Puisque nous parlons des partitions, c’est le moment d’évoquer un point qui pourra passer pour un défaut : elles sont en notation moderne et non en notation grégorienne. Cela choquera les puristes et laissera les autres indifférents. Pour notre part, sans condamner ce choix, sans même y voir un défaut, nous nous interrogeons sur sa pertinence : après tout, la notation grégorienne n’est pas plus compliquée que la moderne et sa présence aurait pu constituer une porte d’entrée vers l’univers du plain-chant.

Si ce point n’est pas forcément un défaut, le Laudate contient tout de même des imperfections bien réelles ; si l’honnêteté nous oblige à les indiquer, elle nous intime aussi de préciser qu’elles sont très peu nombreuses et de faible importance. Quelques traductions discutables sont à déplorer (ainsi ne comprend-on pas pourquoi les traducteurs ont choisi de rendre « Beati » par « Heureux » quand « Bienheureux » semblait mieux indiqué) dans les textes français du propre ; la part laissée à l’office divin est trop faible (il eût été approprié d’insérer au moins les antiennes du Benedictus et du Magnificat des dimanches et fêtes de l’année) ; quelques coquilles sans importance pourraient être détectées ça et là.

On pourra aussi juger étrange le choix d’indiquer les lectures à part du propre chanté et des oraisons ; sans doute ne voulait-on pas grossir à l’infini un livre déjà volumineux. Mais ceci nous indique un des objectifs de ce missel, celui de distinguer la « Messe grégorienne » (chantée en grégorien) et la Messe « normale ou dialoguée ». Cet objectif semble clair si l’on se réfère aux multiples allusions à la beauté de la Messe grégorienne distinguée de « l’autre Messe ». Ainsi, à la présentation du lectionnaire : « Les deux systèmes du Graduel romain et du lectionnaire romain ayant chacun leur logique propre, ils ne peuvent être combinés sans dommage pour la liturgie » (page 1047) ; ou bien : « les textes des chants grégoriens ont fait l’objet d’une traduction libre qui n’est pas destinée à être lue dans la liturgie » (page 8), etc. autant de citations qui semblent tracer une barrière entre la liturgie connue des fidèles et celle des communautés de Solesmes, Kergonan, Saint-Wandrille et Evron.

Ce but nous semble très critiquable. Outre qu’il semble un peu artificiel (après tout, il s’agit non seulement du même rite, mais de la même forme rituelle, la forme ordinaire du rite romain), il paraît surtout dangereux. Si l’on présente la liturgie grégorienne comme une réalité à part de la liturgie habituelle, pourquoi les pratiquants de la seconde feraient-ils un pas vers la première ?

Cette petite réserve mise de côté, le Laudate n’en demeure pas moins un ouvrage exceptionnel, aussi inattendu que bienvenu, auquel nous souhaitons le plus grand succès.

Rubriques de l’Ordo Cantus Missæ

Connaissez-vous l’Ordo Cantus Missæ ? C’est une partie méconnue du Missel Romain (de 1970 – 2002) qui donne la liste des chants à employer pendant la messe chantée pour chaque jour de l’année. La messe chantée (missa in cantu) définie et régulée par l’Ordo Cantus Missæ est une célébration intégralement chantée (où l’on chante, par exemple, les lectures, la prière universelle, la prière eucharistique, et tout le reste), qui ne doit pas être confondue avec la messe avec chants (missa cum cantu), qui est une messe lue à laquelle on ajoute des chants, et qui constitue la forme de célébration la plus répandue dans les paroisses. La messe chantée en forme ordinaire est rarement célébrée, mais le lecteur curieux pourra regarder cette vidéo :

L’Ordo Cantus Missæ comprend un avant-propos (Prænotanda) qui donne des rubriques pour la messe chantée. Nous devons à notre très estimé ami Jérémie Klinger cette traduction des rubriques de l’Ordo Cantus Missæ, dont nous croyons bon de rappeler qu’elles ont la même autorité que le missel lui-même et sa présentation générale.


Ordo Cantus Missæ

Prænotanda

1. De la mise à jour du graduel romain

Lors de la mise en place du calendrier général et des livres liturgiques, en particulier le missel et le lectionnaire, plusieurs changements et ajustements s’avérèrent nécessaires dans le Graduale Romanum. La suppression de plusieurs célébrations au cours de l’année liturgique comme le temps de la Septuagésime, l’octave de Pentecôte ou encore les Quatre-Temps et les messes qui les accompagnaient, tout comme le transfert de certaines fêtes de saints à des dates plus opportunes rendirent certaines adaptations nécessaires. Inversement, des chants propres devaient être donnés aux nouvelles messes et le nouvel arrangement du lectionnaire rendait nécessaire le fait que de nombreux textes, en particulier les antiennes de communion qui étaient reliées aux anciennes lectures, soient transférées à d’autres jours.

Ainsi, on a donné au Graduel Romain une nouvelle organisation, en gardant toujours en tête le §114 de la constitution Sacrosanctum Concilium qui énonce en particulier : « Le trésor de la musique sacrée sera conservé et cultivé avec la plus grande sollicitude. » L’authentique répertoire grégorien n’a souffert d’aucun détriment : au contraire, il a été renouvelé de diverses manières : les compositions jugées tardives sont mises de côté ; les textes les plus anciens sont utilisés avec un meilleur effet, et certaines nouvelles rubriques facilitent un usage plus large et plus varié du répertoire.

Le premier prérequis consiste en la préservation de l’intégrité de l’authentique trésor grégorien. Ainsi, les chants appartenant à des messes qui jusqu’à maintenant n’avaient pas leur place dans l’année liturgique ont été utilisés pour former d’autres messes (par exemple les féries de l’Avent et les féries entre l’Ascension et la Pentecôte). D’autres ont permis de substituer des chants revenant souvent au cours de l’année (par exemple durant le Carême ou les Dimanches du Temps ordinaire). D’autres enfin, selon leur caractère, ont été assignés à des fêtes de saints.

Près de vingt pièces grégoriennes authentiques qui, en raison de changements variés, n’étaient plus utilisées ont également été restaurées. Il a été décidé qu’aucune pièce authentique ne pourrait être rejetée ou mutilée, à l’exception de certains éléments jugés inappropriés pour le temps liturgique comme par exemple l’usage du mot Alleluia qui parfois se rencontre dans le texte d’une antienne en formant partie intégrante de la mélodie.

En mettant à part les compositions néo-grégoriennes tardives, en particulier celles composées pour les fêtes de saints, seules les mélodies grégoriennes authentiques ont été retenues, bien qu’il soit toujours permis pour ceux qui le préféreraient, de chanter ces compositions néo-grégoriennes puisqu’aucune d’entre-elles n’a été supprimée du Graduale Romanum. En effet, dans le cas où elles ont acquis un usage universel (solennité du Sacré Cœur, fête du Christ-Roi, Immaculée Conception de la B.V.M.), aucune substitution n’a été faite. Toutefois, dans d’autres cas, un nouveau corpus de chants a été choisi à partir du répertoire authentique, tout en essayant de conserver les mêmes textes dans la mesure du possible.

Finalement, après avoir mis de côté les mélodies non authentiques, nous avons pris soin de mettre en ordre les chants authentiques de manière plus appropriée en évitant les répétitions trop nombreuses et en donnant la part belle à d’autres mélodies de la plus grande qualité qui n’apparaissaient qu’une fois dans l’année. Un grand soin a été pris dans l’enrichissement des communs en leur assignant des chants qui ne sont pas strictement propres à un saint en particulier et qui peuvent ainsi être utiles pour tous les saints du même ordre. Les communs ont également été enrichis par des chants issus du propre du temps qui étaient rarement utilisés. Les rubriques permettent une plus grande facilité de choix des chants dans les nouveaux communs, ce qui permet de satisfaire les besoins pastoraux plus largement.

De la même manière, il est donné une certaine liberté de choix pour le Propre du Temps : il est permis de substituer à un texte propre au jour quelque autre texte du même temps liturgique, si on le juge opportun.

Les règles de la messe chantée telles qu’énoncées au début du Graduale Romanum de 1908 ont été ainsi réexaminées et modifiées, afin que la fonction de chaque chant apparaisse plus clairement.

2. Des rites devant être observés lors d’une messe chantée

1. Après que les fidèles se soient rassemblés et pendant que le prêtre et les ministres se rendent à l’autel, on commence l’antienne d’introït. Son intonation peut être raccourcie ou prolongée ou, mieux encore, le chant peut être immédiatement entonné par tout le chœur. Dans ce cas, l’astérisque qui indique dans le Graduel la partie réservée au chantre, doit être considérée comme un signe simplement indicatif.

L’antienne est chantée par le chœur, le verset par un ou plusieurs chantres, puis l’antienne est reprise par le chœur.

L’antienne et les versets peuvent être alternés de cette manière autant de fois que nécessaire pour accompagner la procession. Avant la dernière répétition de l’antienne, le Gloria Patri peut être chanté en guise de dernier verset. Si toutefois la mélodie du Gloria Patri possède une terminaison particulière, cette terminaison doit être utilisée pour chaque verset.

Si la répétition du Gloria Patri et de l’antienne prolonge excessivement le chant, on omettra la doxologie. Si la procession est particulièrement courte, on ajoutera un seul verset, ou bien même on chantera l’antienne seule sans ajouter de verset.

Lorsqu’une procession liturgique précède la messe, l’antienne d’introït est chantée au moment où la procession pénètre dans l’église, ou bien elle est omise, comme indiqué dans les livres liturgiques dans des cas spécifiques.

2. L’acclamation Kyrie eleison peut être partagée entre deux ou trois chantres ou chœurs, selon l’opportunité. Chaque acclamation est normalement chantée deux fois, ce qui n’exclut toutefois pas un plus grand nombre, en particulier suivant la structure musicale de chaque pièce, comme indiqué ci-dessous au numéro 491.
[NDT : le numéro 491 est dans le corps de l’OCM ; voir la fin de cet article.]

Lorsque le Kyrie est chanté pendant l’acte pénitentiel, on chante un court trope avant chaque acclamation.

3. L’hymne Gloria in excelsis est entonnée par le prêtre ou, si nécessaire, par le chantre. Elle est reprise alternativement par les chantres et le chœur ou par deux chœurs. La division des versets, indiquée par une double barre dans le Graduale Romanum peut ne pas être respectée si l’on trouve une méthode plus appropriée suivant la mélodie.

Quand, le dimanche, on emploie le rite de bénédiction et d’aspersion de l’eau bénite, ce rite tient lieu d’acte pénitentiel.

4. Lorsqu’il y a deux lectures avant l’évangile, la première, qui est habituellement tirée de l’Ancien Testament, est chantée sur le ton des leçons ou des prophéties et se termine par la formule habituelle pour un point final. La conclusion, Verbum Domini, est chantée avec la même formule que pour un point final et la réponse Deo gratias est chantée par tous en suivant la forme habituellement utilisée pour la conclusion des leçons.

5. Le répons graduel est chanté après la première lecture par des chantres ou par le chœur, mais le verset est chanté jusqu’à la fin uniquement par les chantres. Ainsi, on ne tiendra pas compte de l’astérisque indiquant une reprise du chant par le chœur à la fin du verset du graduel ou de l’alléluia, ou bien du dernier verset du trait. Lorsque cela semble opportun, la première partie du répons peut être reprise jusqu’au verset.

Durant le temps pascal, le répons graduel est omis et l’alléluia est chanté tel que décrit ci-dessous.

6. La seconde lecture, tirée du Nouveau Testament, est chantée sur le ton de l’épître avec sa propre formule de terminaison propre. Elle peut également être chantée sur le ton de la première lecture. La conclusion, Verbum Domini, est chantée suivant la mélodie donnée dans les tons communs, à laquelle tout le monde répond Deo gratias.

7. L’alléluia ou le trait suivent la seconde lecture. L’alléluia est chanté de la manière suivante : la mélodie complète est chantée par les chantres puis reprise ensuite par le chœur. Cependant, elle peut, si nécessaire, être chantée une unique fois par tous. Le verset est ensuite chanté jusqu’à la fin par les chantres, puis l’alléluia est repris par tous.

Durant le Carême, on chante le trait à la place de l’alléluia, dont les versets sont alternés entre les deux parties du chœur qui se répondent, ou bien alternativement entre les chantres et le chœur. Le dernier verset peut être chanté par tous.

8. Si l’on doit chanter la séquence, elle est chantée après le dernier alléluia alternativement par les chantres et le chœur ou par les deux parties du chœur. Le Amen final est omis. Si l’alléluia et son verset ne sont pas chantés, la séquence est omise.

9. S’il y a une seule lecture avant l’évangile, on chante le répons graduel ou l’alléluia et son verset. Durant le temps pascal, l’un ou l’autre des alléluia peuvent être choisis.

10. Après la formule de conclusion propre de l’évangile, on ajoute Verbum Domini selon la mélodie donnée dans les tons communs et tout le monde répond Laus tibi, Christe.

11. Le Credo peut être chanté par tous, ou en alternance selon la coutume.

12. La prière universelle se fait selon la coutume locale.

13. Après l’antienne d’offertoire, des versets peuvent être chantés, selon la tradition, mais ils peuvent toujours être omis, même dans l’antienne Domine Jesu Christe de la messe des morts. Après chaque verset, l’antienne ou une partie de celle-ci est reprise selon la manière indiquée.

14. Après la préface, tous chantent le Sanctus. Après la consécration, tous chantent l’acclamation d’anamnèse.

15. À la conclusion de la doxologie de la prière eucharistique, tous acclament : Amen. Ensuite, le prêtre seul entonne l’invitation à l’oraison dominicale que tous chantent avec lui. Ce dernier chante seul l’embolisme et tous le rejoignent pour la doxologie conclusive.

16. Durant la fraction du pain et la commixtion, on chante l’invocation Agnus Dei, entonnée par les chantres et poursuivie par tous. Cette invocation peut être répétée autant de fois que nécessaire tant que la fraction du pain se poursuit, tout en gardant à l’esprit sa forme musicale. L’invocation finale se conclut par dona nobis pacem.

17. On entonne l’antienne de communion lorsque le prêtre communie au Corps du Seigneur. Elle est chantée de la même manière que l’antienne d’introït, mais de telle sorte que les chanteurs puissent recevoir commodément ce sacrement.

18. Après la bénédiction du prêtre, le diacre chante la monition Ite, missa est et tous acclament : Deo gratias.

3. De la manière d’utiliser l’Ordo Cantus Missæ

19. Étant donnée la grande variété de lectures introduites dans le nouveau Missel et le fait que les chants de la messe issus de la tradition ne pouvant être changés, les chants ont été disposés en accord avec les différentes lectures du cycle triennal (années A, B, C) du lectionnaire dominical.

Pour les féries, les chants du dimanche précédent sont repris, avec des modifications pour les accorder avec les lectures assignées à chaque férie de l’Avent, du Carême et du Temps pascal, et avec la première lecture des féries du temps ordinaire, suivant le cycle biennal.

Si un chant paraît être relié de manière plus ou moins forte à certaines lectures, il peut être conservé avec elles au cas où ces dernières viendraient à être transférées.

20. Les variations pouvant intervenir dans le propre du temps sont indiquées dans cet Ordo, après chaque formulaire, par les abréviations suivantes :
– A,B,C pour les dimanches, solennités et certaines fêtes ;
– I et II avec le numéro de la férie (le samedi étant désigné par le numéro 7) pour les féries du temps ordinaire ;
– le numéro de la férie pour les féries des temps privilégiés.

21. La norme principale que cet Ordo Cantus Missæ s’attache à suivre est de respecter le plus possible l’ordonnancement du Missale Romanum. Pour cette raison, certains formulaires de chants ont été transférés ou altérés.

Des psaumes de communion

22. Les numéros des psaumes et leurs versets ont été notés d’après la Nova Vulgata, (Typis Polyglottis Vaticanis, 1969). Leurs versets et parties sont arrangés selon la Liturgia Horarum (Typis Polyglottis Vaticanis, 1971).

23. Une astérisque placée après le numéro d’un psaume indique que l’antienne n’est pas tirée du psautier et que ce psaume lui a été assigné ad libitum.

Dans ce cas, un autre psaume peut lui être substitué, si on le préfère, comme par exemple le psaume 33 qui était utilisé à la communion dans la tradition antique.

Lorsque le psaume 33 est indiqué comme psaume de communion, il n’y a pas de préférence parmi les versets à chanter dans ce psaume.


De l’emploi du Kyriale Romanum

[NDT : nous traduisons ici le n°491 de l’OCM, qui est en relation avec son n°2, ci-dessus.]

  1. Pour les chants de l’Ordo Missæ, on emploiera le Kyriale Romanum ou le Kyriale Simplex.
    On peut sélectionner les chants en fonction du talent ou des capacités des chanteurs, en employant des mélodies plus ornées aux célébrations plus solennelles.
  2. Quand le Kyrie est noté in extenso avec neuf invocations, sa forme musicale exige qu’on les chante en entier. Par contre, quand les premières invocations Kyrie sont identiques, on ne les chante que deux fois, et de même pour les invocations Christe et de nouveau Kyrie (p.ex. le Kyrie V). Quand la dernière invocation Kyrie a une mélodie particulière, l’invocation Kyrie qui la précède n’est chantée qu’une fois (p.ex. le Kyrie I).
    En règle générale on sera attentif à conserver les répétitions des invocations.
  3. Quand le Kyrie est utilisé comme réponse à une série d’invocations dans l’acte pénitentiel, on choisira une mélodie convenable, à savoir le Kyrie XVI ou XVIII du Kyriale Romanum, ou l’un de ceux du Kyriale Simplex.
  4. Quand, à la Messe dominicale, on emploie le rite de bénédiction et d’aspersion de l’eau bénite à la place de l’acte pénitentiel, on chante l’antienne Asperges me ou, au temps pascal, Vidi aquam.

Romanité et bonitas formarum

Je souhaiterais examiner ici le rapport qui existe dans le chant grégorien entre texte, musique et rite. Je prendrai d’abord grand soin de définir deux réalités éminemment polysémiques : le chant grégorien et le rite romain ; il me semble que cette définition est un exercice fondamental pour saisir le lien entre romanité rituelle et chant grégorien. Le lecteur que ces considérations ennuient pourra se reporter directement à la conclusion intermédiaire “Chant et rite”. Ensuite, je tenterai de dépasser l’affirmation (au demeurant tout à fait vraie) selon laquelle le chant grégorien est suprêmement au service de son texte, pour montrer comment il dit plus que son texte, en éclairant le rapport entre ce dernier et l’action rituelle particulière qui lui est attachée.

1. Qu’est-ce que le chant grégorien ?

Le terme admet de multiples définitions ; je vais en donner trois, qui recouvrent trois réalités très différentes ; et c’est à partir de la troisième que je vais opérer dans la suite, quoique les deux premières aient leur valeur propre dans leur domaine propre.

1.1. Le chant grégorien des historiens

Pour un historien, le chant grégorien est le répertoire musical formé pendant le siècle qui précéda la réforme carolingienne (donc entre 700 et 800), par importation en Francie (le royaume mérovingien, puis carolingien, couvrant l’ouest de l’Allemagne, le Bénélux et la moitié nord de la France) du chant qu’on appelle aujourd’hui vieux-romain, qui comme son nom l’indique était le chant employé à Rome avant d’y être supplanté par le chant grégorien, importation décidée par les souverains Francs et réalisée par de nombreux échanges de chantres entre la cour papale et la cour royale franque durant le 8e siècle.

Au sobre et solennel chant vieux-romain, les chantres francs ajoutèrent de nombreuses ornementations, reflétant le goût des barbares du nord pour une certaine exubérance – exubérance qui nous semble aujourd’hui très relative !

Ce chant, plus proprement appelé romano-franc, fut appelé grégorien sous Charlemagne par référence à la réforme de saint Grégoire le Grand (mort en 604), non pour exagérer son antiquité, mais parce qu’il se voulait un simple développement du chant romain que Grégoire le Grand avait stabilisé en créant la Schola cantorum de Rome.

Le chant grégorien des historiens est donc défini par les manuscrits du 9e-10e siècles, les premiers sur lesquels figure la notation musicale en plus du texte, ce qui en exclut, d’une part, les compositions postérieures, et d’autre part, les parties chantées de la liturgie qui sont pas issues de cette assimilation par la culture franque de l’art musical romain ; ce dont nous donnerons quelques exemples plus loin.

1.2. Le chant grégorien des musicologues

Pour un musicologue ou un musicien versé dans ces matières, le chant grégorien est un chant :
— monodique, c’est-à-dire à une seule voix ;
a capella, c’est-à-dire sans accompagnement d’instruments ;
— employant l’échelle diatonique, c’est à dire les tons et les demi-tons tels qu’on les connaît dans la musique occidentale jusqu’à nos jours ;
— modal, c’est-à-dire que chaque pièce emploie les notes de la gamme naturelle en les organisant autour d’une ou deux teneurs ou cordes, des notes sur lesquelles la mélodie se pose régulièrement et autour desquelles elle se développe ;
— relativement orné, et faisant usage de figures mélodiques, ou cadences, nombreuses mais bien identifiées ; ceci le différencie du plain-chant des 17e et 18e siècles, beaucoup plus simple dans son expression.

Cette définition recouvre donc les compositions ajoutées au répertoire liturgique après cette première moitié du moyen-âge qui définit le chant grégorien des historiens, pour autant que ces compositions dites néo-grégoriennes respectent le caractère musical propre du chant grégorien, tel qu’on l’a défini ci-dessus, ce qui est le cas de la plupart d’entre elles.

1.2. Le chant grégorien du Concile Vatican II

D’après la constitution Sacrosanctum Concilium (1963) du deuxième concile du Vatican, le chant grégorien est le chant propre de la liturgie romaine.

Cette phrase est la plupart du temps considérée comme étant l’attribution d’un titre ou d’une distinction (“chant propre de la liturgie romaine”) à une réalité préexistante (le chant grégorien – reste à savoir lequel : celui des musicologues ou celui des historiens, ou un autre encore).

On devrait plutôt comprendre cette phrase comme une définition. Qu’est-ce que le chant grégorien ? C’est ce qu’on chante dans la liturgie romaine. Mais que chante-t-on dans la liturgie romaine ? Au moment où le Concile donne cette définition, ce qu’on chante dans la liturgie romaine est défini par ses livres officiels : l’Antiphonale Romanum de 1912, pour l’office divin (sauf Matines), le Graduale Romanum de 1908, révisé en 1961, pour les chants de la Messe (sauf les parties du prêtre), le Missale Romanum de 1962 (pour les parties du prêtre à la Messe).

Et que contiennent ces livres ?
— Le chant grégorien des historiens, c’est-à-dire toutes les pièces du chant romano-franc du 9e siècle, plus ou moins bien restituées, pour employer le terme consacré, à partir des manuscrits anciens, à l’exception notable des répons de Matines, joyaux de la musique liturgique médiévale, que le rite romain n’a toujours pas officiellement restaurés (encore que quelque progrès ait été fait en ce sens après la réforme liturgique) ;
— le chant grégorien des musicologues, c’est-à-dire, en plus des pièces précédentes, des pièces plus récentes, allant du 12e au 20e siècle, fidèles aux caractéristiques musicales du chant grégorien ;
— une grande variété de tons communs qui constituent une partie incontournable de ces livres, mais qui ne sont pas capturés par les définitions précédentes. Ce sont les tons sur lesquels on chante les psaumes de l’office (rappelons que chaque office comporte entre trois et neuf psaumes), les psaumes de la messe (en 1963, il y en a deux : un à l’entrée et un à la communion ; le premier est aujourd’hui le plus souvent réduit à son antienne et un verset, le second est réduit à son antienne) ; il s’agit encore des tons sur lesquels le prêtre chante Dominus vobiscum et l’assemblée répond Et cum spiritu tuo, des tons sur lesquels on chante les lectures de la messe et de l’office, des tons sur lesquels le prêtre chante la préface de la Messe, le Pater noster, et ainsi de suite ;
— des directives sur la manière de chanter, qui sont inséparables des partitions elles-mêmes, qui constituent des indications d’interprétation au même titre que celles figurant sur la portée de nos partitions modernes. En particulier, certaines parties doivent se chanter recto tono, est-il précisé, c’est-à-dire continûment sur une seule note, ou bien voce recta et depressa, c’est-à-dire recto tono sur une note très grave.

Suis-je en train d’affirmer que de débiter une phrase ou un texte entier sur une seule note, ce serait du chant grégorien ? Oui, sans hésitation, puisqu’il s’agit de chant et que cela a lieu au sein de la liturgie romaine. Du recto tono aux Alléluias les plus ornés, du ton dit de la Prophétie servant pour chanter les lectures vétérotestamentaires des Quatre-Temps et des Vigiles, aux hymnes des heures de l’office, voilà tout ce qu’embrassaient dans leur esprit les Pères conciliaires quand, en 1963, ils liaient indissolublement le chant grégorien et la liturgie romaine. Mais quelle liturgie romaine ?

2. Qu’est-ce que le rite romain ?

Je vais également donner trois définitions de ce terme ; mais contrairement aux trois définitions du grégorien, qui sont toutes trois vraies (encore que seule la troisième me semble permettre d’exprimer correctement la place du chant grégorien dans la liturgie), les deux premières définitions que je vais donner sont fausses, ou au moins assez incomplètes pour qu’il faille les rejeter.

2.1. Le rite romain des archéologues

L’univers de la liturgie est plein de nostalgiques. Ce n’est pas un mal en soi ; il me semble que tout historien fantasme son propre Âge d’Or, et sait bien, même inconsciemment, quelle date il choisirait s’il lui était offert de voyager dans le temps. Nous prétendons tous être tournés vers l’avenir, et ultimement vers la Parousie ; et nous essayons sincèrement de l’être, du moins la plupart d’entre nous. Mais nous avons tous notre époque fétiche — et notre lieu fétiche, car le rite romain n’a été unifié géographiquement que très récemment.

Certains cèdent à cette tentation et, plus ou moins consciemment, appellent “rite romain” la liturgie telle qu’elle était pratiquée à leur point favori du temps et de l’espace. L’auteur de ces lignes rêve la nuit — la nuit, mais pas le jour, c’est à dire involontairement — de vivre la liturgie des cathédrales de Metz, Aix-la-Chapelle et Laon autour de 820. Cette forme particulière de perversion est assez rare ; il existe trois principaux clubs d’archéologues aux perversions plus répandues.

— Les fixistes, qui déterminent subjectivement une date à partir de laquelle le spectre du modernisme a commencé de s’introduire dans la liturgie ; pour la majorité, c’est 1962 ; c’est la popularité des livres de 1962 qui a poussé Benoît XVI à reconnaître ceux-ci comme forme extraordinaire du rite romain dans Summorum Pontificum Cura en 2007. Certains, mieux informés, arguent que l’action de Mgr. Annibale Bugnini, le principal auteur de la réforme de 1969-1975, a commencé avec la réforme de la semaine sainte de 1955, et donnent 1954 comme la date indépassable de la liturgie romaine. D’autres enfin, plus rares, considèrent que saint Pie X, qui, dans Divino Afflatu (1911), a énormément raccourci l’office en supprimant les répétitions de psaumes dans le psautier hebdomadaire, s’est écarté de la disposition immémoriale du psautier romain en faisant, avant la lettre, œuvre de pastoralisme, et s’en tiennent à l’état de la liturgie en 1910.

— Les vieux-jeunes, qui vont tranquillement sur leur soixante-dix ans en se morfondant de ce que le grand élan des années post-conciliaires semble s’essouffler avec le retour de quelques soutanes, d’un petit peu de latin, mais surtout d’une jeunesse désireuse de sacré et peu alléchée par l’idée de rendre à la Majesté divine le culte qu’elle mérite en chantant des paroles dignes d’une mauvaise Internationale sur une musique digne d’un mauvais Patrick Sébastien, et taxant cette jeunesse de rigidité, nouveau péché mortel à la mode.

— Enfin, les archéologues que visait spécifiquement Pie XII dans Mediator Dei (1947) — encore que sa condamnation puisse fort bien s’appliquer rétroactivement aux deux premières catégories —, c’est-à-dire ceux qui visent, ou prétendent viser, un retour à la liturgie apostolique et paléo-chrétienne (certains acceptent de considérer également la liturgie basilicale des 4e et 5e siècles, encore qu’ils choisissent soigneusement ce qu’ils en retiennent, surtout pas, par exemple, l’orientation). Non contents de nier la possibilité que l’Esprit Saint puisse conduire l’Église au cours de l’histoire dans ses définitions liturgiques, ils sont forcés de compenser par leurs propres inventions l’absence presque totale de certitudes sur le contenu de la liturgie des premiers siècles (la somme des faits certains, ou même seulement très probables, à propos de la liturgie avant le 6e siècle, tiendrait aisément sur le recto d’une feuille A5).

Ce n’est pas sans un certain malaise qu’il faut admettre que ce troisième club d’archéologues a eu une influence déterminante sur la réforme liturgique des années 1970.

Il n’est pas nécessaire de s’étendre beaucoup sur la vacuité de ces définitions, entièrement subjectives et arbitraires, nourries surtout par l’imagination et le fantasme.

2.2. Le rite romain de Traditionis Custodes

J’appelle, un peu plaisamment, “rite romain de Traditionis Custodes”, le rite qui, à une date donnée de l’histoire, est celui pratiqué à Rome par la curie pontificale.

Ce rite romain-là a toujours été assez dépouillé, comparativement aux liturgies qui se déploient dans les cathédrales de l’Europe occidentale, d’Aix-la-Chapelle à Lyon, de Narbonne à Salisbury. Il est codifié par le peu recommandable pape Nicolas III en 1277, et étendu en 1570 par saint Pie V à tous les diocèses latins dont le rite propre datait de moins de 200 ans. Il est régulièrement modifié de manière unilatérale par l’arbitraire pontifical, ce qui va alimenter les tensions entre Rome et les Églises particulières des différents pays européens (surtout la France) jusqu’à la fin du 19e siècle.

Enfin, ce rite se transforma en profondeur lorsqu’il fut presque entièrement réécrit en 1970, et traduit ; son ars celebrandi ne cessera jamais de dépendre fortement du pontife régnant, avant comme après la réforme ; mouvement de balancier finalement assez traditionnel.

Il est à noter que dans cette définition, le rite romain est aujourd’hui célébré presque exclusivement en italien et en anglais, sauf pour certaines parties qui sont encore parfois chantées en latin aux plus grandes fêtes.

En somme, le rite romain de Traditionis Custodes, c’est ce que le pontife régnant a décrété, indépendamment de tout souci de continuité historique.

2.3. Le rite romain du Concile Vatican II

En écrivant que le chant grégorien est le chant propre de la liturgie romaine, les Pères conciliaires ne pouvaient certainement pas avoir une posture archéologique : en effet, affirmer que le chant grégorien est le chant propre d’un objet passé et figé est peut-être vrai, mais ce n’est sûrement pas intéressant ; cela reviendrait à énoncer un fait historique (en tel lieu, à telle époque, on chantait du chant grégorien) sans qu’il ne puisse y avoir aucune conséquence pratique hic et nunc.

Les Pères conciliaires ne pensaient sûrement pas non plus à la seule liturgie de la curie papale. D’une part, venant de diocèses des quatre coins du monde, ils la connaissaient assez peu ; d’autre part, la liturgie curiale étant soumise à un certain arbitraire pontifical, toute vérité qu’on dit sur elle ne peut être que de faible portée : elle tient dans le temps jusqu’à la prochaine réformette, et elle tient dans l’espace dans les limites du diocèse de Rome.

Il faut donc prendre l’hypothèse que les Pères conciliaires ont voulu, en liant chant grégorien et rite romain, poser une affirmation qui était vraie avant eux et resterait vraie après eux, et qui était vraie pour toutes ces parties de l’Église latine qui n’ont pas d’autre rite propre que celui de Rome, quelles que soient les adaptations locales qu’on y avait ménagées dans le passé et qu’on continuerait d’y ménager dans l’avenir.

Qu’est-ce donc que le rite romain ? C’est la collection, ou, mieux, la récapitulation (les imprimeurs parleraient d’image composite, et les mathématiciens, d’intégrale), de toutes les liturgies célébrées dans l’histoire de l’Occident chrétien, du moment qu’elles étaient célébrées en référence à ce qui se faisait ou s’était fait à Rome, sans forcément en chercher une imitation parfaite.

Cette définition est bien belle, pourra-t-on rétorquer, mais elle est absolument inutilisable ; j’en conviens. Cependant, employer cette définition permet de dégager quelques constantes, quelques caractéristiques du rite romain, non pas universelles sans exception, mais dont les exceptions sont marginales, et qu’un œil honnête reconnaît comme centrales dans cette immense collection de liturgies particulières de toutes les époques.

On peut citer, pêle-mêle, la structure de l’année liturgique, la structure de la Messe, les huit offices quotidiens, la majorité des oraisons, chants et lectures du cycle des dimanches (les oraisons et les lectures ont été entièrement changées dans l’usage réformé après 1970, mais pas les chants, qui subsistent dans le Graduel de 1974), et surtout une manière de prononcer les prières du prêtre comme de l’assemblée, qui n’est jamais la voix parlée, mais toujours soit la voix basse, soit le chant, un chant monodique, a capella, modal, orné, autrement dit, mouvant et mutant avec plus ou moins de succès à travers les époques, le chant grégorien.

Conclusion intermédiaire : chant et rite

Nous voici arrivés, après un développement sémantique dont le lecteur qui l’a enduré jusqu’au bout me pardonnera la longueur, à la conclusion de ces premières parties : le chant grégorien est le support de la parole dans la liturgie de l’Occident chrétien, de son évangélisation primitive à nos jours. Il est le vecteur de tous les textes qui ne sont pas récités à voix basse, qu’ils soient chantés recto tono, ou de manière syllabique ou psalmodique, ou au contraire d’une manière si ornée que de longues secondes en séparent les mots. Cette définition, bien sûr, admet des exceptions : il y a bien une poignée de textes lus lors de la célébration des sacrements autres que l’Eucharistie ; et dans cette petite fraction de seconde que sont les soixante-dix dernières années au regard de l’histoire de l’Église, la majorité des textes liturgiques a été lue à voix haute plutôt que chantée ; il y a bien eu des époques où le chant ne pouvait, d’un point de vue musical, revendiquer qu’une parenté très lointaine, voire inexistante, avec le chant grégorien : c’est le cas de notre époque, et ce fut aussi le cas d’une partie de l’époque moderne et industrielle ; il y a bien certains lieux dans l’Occident chrétien où le chant liturgique n’a jamais eu les caractéristiques musicales du grégorien : c’est surtout le cas du chant mozarabe, car les chants ambrosien, dominicain, coutançais, clunisien, ne se différencient qu’à peine, musicalement, du chant grégorien romain. Mais ces exceptions ont toutes un caractère périphérique : soit géographiquement (l’Espagne mozarabe, c’est loin), soit chronologiquement (la déclamation parlée des lectures, c’est récent), soit musicalement (le plain-chant, c’est une dégénérescence du grégorien qu’un énergique sursaut impulsé par Dom Guéranger a eu tôt fait de restaurer).

Nos définitions bien choisies des deux termes de la phrase de Sacrosanctum Concilium nous permettent donc d’exprimer une fois de plus l’articulation fondamentale entre le rite romain et le chant grégorien : le second est la voix naturelle du premier, le support de sa parole.

3. Diversité du rite, diversité des formes

3.1. La bonitas formarum

À l’époque contemporaine, c’est le motu proprio Tra le sollecitudini (moins connu sous son titre latin Inter plurimas pastoralis officii sollicitudines) du saint pape Pie X, publié en 1903, qui définit les bases théoriques de la musique liturgique, pour la première fois depuis le concile de Trente (et dans la continuité de ce dernier). Trois critères y sont donnés : la sanctitas, l’universalitas, et la bonitas formarum. Pie X développe ces trois critères : la sanctitas impose qu’on ne devrait pas pouvoir confondre une pièce de musique liturgique avec une pièce de musique profane, ni par son texte, ni par sa composition ; l’universalitas n’est pas l’uniformité géographique absolue, mais permet d’exprimer le génie musical de chaque culture seulement dans la mesure où il se conforme au caractère objectif du culte divin ; mais c’est la bonitas formarum qui nous intéresse aujourd’hui. Pie X développe peu cet aspect, si ce n’est pour préciser que cette beauté doit élever l’âme et non seulement consister en un exercice esthétique sans but supérieur à lui-même.

Le pape poursuit son propos en expliquant que le chant grégorien possède au degré ultime ces trois qualités.

Le texte latin (et l’original italien, bontà delle forme) seraient mieux traduits en parlant de l’excellence des formes. Pourquoi ce pluriel à formes ? Parce que le chant grégorien, tel qu’on l’a défini au-dessus, possède de toute évidence une très grande variété de formes, allant du recto tono aux interminables mélismes des alléluias ; la diversité des actions rituelles au sein du rite romain entraîne une diversité de formes musicales pour le chant liturgique, et chacune de ces formes doit être excellente, c’est à dire portée à son plus haut degré de perfection technique. Dans son chirographe pour le centenaire de Tra le sollecitudini, le saint pape Jean-Paul II va plus loin, en enseignant que :

La musique liturgique doit répondre à certaines conditions spécifiques : l’adhésion totale aux textes qu’elle présente, l’harmonie avec le temps et le moment liturgique auquel elle est destinée, la juste correspondance avec les gestes proposés par le rite. Les divers moments liturgiques exigent en effet une expression musicale qui leur soit propre, visant à chaque fois à faire apparaître la nature propre d’un rite déterminé.”

Nous allons voir pourquoi le chant grégorien correspond à ces conditions de manière insurpassable.

3.2. Contexte scripturaire et rituel

Considérons deux emplois liturgiques de ce verset du psaume 50 :

Aspérges me, Dómine, hyssópo, et mundábor : lavábis me, et super nivem dealbábor.

Asperge-moi, Seigneur, avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai plus blanc que neige.

On trouve ce verset chanté avec le reste du psaume 50 (le fameux Miserere, psaume pénitentiel par excellence) à l’office des Ténèbres du vendredi saint, sur le ton 7c commandé par l’antienne Proprio Filio suo (ci-dessous).

On le chante également pendant l’aspersion à la grand-messe dominicale (ci-dessous).

Comparons ces deux partitions. Elles ont en commun le mode 7 (transposé), dont l’antienne de l’aspersion dominicale exhibe toutes les caractéristiques : repos intermédiaire sur le ré (finales du segment Asperges me, du segment Domine et du segment lavabis me) ; forte présence mélodique du do parmi les notes de passage ; finales des deux stiques sur le sol inférieur. Le mode 7 n’est généralement pas considéré comme un mode triste, ou pénitentiel (ce sont plutôt les modes 2 et 6), il exprime une certaine confiance ; Guido d’Arezzo le qualifie d’angélique, et Adam de Fulda, de ton de la jeunesse.

Quelles différences observe-t-on ? Le verset de psaume est chanté sur le rythme naturel de la parole, et dure environ six secondes ; on parle de chant syllabique. L’antienne est chantée sur le rythme d’une déclamation très lente, et dure environ trente secondes. Elle comporte donc des notes de passage ornementales ; on parle de chant neumatique.

De plus, le verset est chanté dans le contexte du psaume entier, à égalité avec les dix-neuf autres versets de ce psaume ; il constitue l’action liturgique principale au moment de sa récitation ; il n’est pas répété. Il est chanté par des chanoines, des moines, un groupe de laïcs, généralement pas par une grosse assemblée (même à l’époque où les offices des Ténèbres étaient très à la mode, on n’y rencontrait pas la même foule qu’à la messe). Avec le reste du psaume 50, il exprime le sentiment général d’une contrition pleine d’espérance.

Au contraire, ce même verset du psaume 50 est mis en valeur de manière singulière dans l’antienne, d’autant qu’il est chanté par tout le peuple à la Messe ; c’est un chant d’assemblée, d’où l’intérêt d’une certaine lenteur dans le débit des syllabes (tous ceux qui ont entendu le Je crois en Dieu récité par une foule nombreuse ont constaté qu’il était parfaitement inintelligible à un non-initié, sauf quand la foule adopte un débit nettement plus lent que celui d’une conversation). L’Asperges me accompagne l’aspersion, qui constitue l’action liturgique principale, dont il dépend et qu’il illustre : l’assemblée est invitée à se remémorer son baptême par ce chant. Il est répété, généralement deux fois, mais parfois trois ou plus si l’aspersion se prolonge, s’adaptant au rite dont il dépend.

Nous observons donc dans cet exemple deux formes du chant grégorien, qui permettent, ou bien d’insérer un fragment de texte dans son contexte scripturaire (c’est le cas du verset), ou bien d’élever celui-ci au-dessus de son contexte scripturaire (c’est le cas de l’antienne) pour l’appliquer à une réalité (le baptême) inconnue de son auteur humain.

3.3. Solennité du jour liturgique

Considérons les deux chants ci-dessous. Le premier sert de conclusion aux Laudes des fêtes de 2e classe (dans l’usage réformé, il conclut les Laudes des fêtes, par opposition aux mémoires et aux solennités).
Le second conclut les Laudes (et les Vêpres) des féries de l’Avent et du Carême.

Il apparaît clairement que le chant grégorien, pour le même texte assurant la même fonction rituelle, permet de différencier le degré de solennité du jour liturgique, en adoptant un chant mélismatique (pour les plus grandes fêtes), neumatique (comme dans le premier exemple) ou syllabique (comme dans le second).

3.4. Fonction du texte et de la pièce

Considérons deux emplois liturgiques de ce verset du psaume 16 :

Custódi me, Dómine, ut pupíllam óculi : sub umbra alárum tuárum prótege me.

Garde-moi, Seigneur, comme la prunelle de l’œil ; à l’ombre de tes ailes, protège-moi.

On chante ce texte comme graduel à la Messe (partition ci-dessous). Depuis au moins le 8e siècle (on ne dispose pas de sources assez fiables avant), et jusqu’à la réforme de 1969, ce graduel était chanté après l’Épître sur les dons de l’Esprit (1 Corinthiens 12) et avant l’Alléluia Te decet hymnus, Deus, in Sion, et tibi reddétur votum in Jerúsalem (Il est bon de te chanter, Dieu, dans Sion, et de tenir nos promesses envers toi dans Jérusalem), puis la parabole du publicain et du pharisien (Luc 18). Les lectures qui l’encadrent sont aujourd’hui variables et ne sont jamais celles citées ci-dessus.

Entre les lectures de la messe, la liturgie propose un temps de méditation avec le chant du graduel et de l’alléluia. Le texte est servi très lentement, certaines syllabes comportant une quinzaine de notes : on parle de chant mélismatique. Les mots s’entremêlent, dans l’esprit des assistants, avec les échos de l’Épître qui vient d’être lue ; pour ceux qui ont lu les textes de la messe à l’avance (c’est à dire le plus grand nombre, espérons-le), les longs mélismes se superposent également aux paroles les plus frappantes de la parabole du pharisien et du publicain qui va suivre.

Les mots sur lesquels portent les mélismes ne sont pas forcément les plus importants ; et l’accentuation latine des mots n’est pas prise en compte (ce sont parfois les dernières syllabes des mots, normalement faibles, qui portent les mélismes : Domine, tuarum ; ou bien des mots d’une seule syllabe, sub, deux fois me).

C’est que la composition de ce graduel sert son texte, mais pas seulement son texte : elle s’inscrit dans le reste de la liturgie de la Parole (on aurait dit dans le passé : messe des catéchumènes), et elle la sert dans son ensemble : garde-moi, Seigneur, pourrait gloser un fidèle de cette assemblée, garde-moi de confondre l’observance et la sincérité, comme le fait le pharisien ; garde-moi de l’esprit de division dont parle saint Paul au début de son épître.

On chante également ce verset du psaume 16 comme versicule à l’office de Complies, avec un texte légèrement modifié (passage au pluriel des deux me), après avoir écouté la lecture brève (ou capitule) et chanté le répons bref In manus tuas (En tes mains je remets mon esprit), et juste avant de chanter le cantique de Syméon :

Au contraire du graduel, la manière dont celui qui chante Complies appréhende ce verset n’est pas informée par de longs textes qui l’encadrent, mais simplement par l’heure de la journée : la nuit est comprise comme une période de danger et de tentations, et l’assistance divine est invoquée ici de manière plus immédiate.

La fonction rituelle de ce versicule n’est pas d’abord de faire méditer son texte par la communauté en prière, mais plutôt d’articuler entre elles deux parties de l’office, à la manière d’une virgule dans une phrase. Les mots individuels ne sont pas distingués les uns des autres ; la phrase est servie recto tono et le mélisme final permet d’épuiser son souffle pour reprendre une grande inspiration avant de chanter l’antienne du Nunc Dimittis.

Nous observons donc dans cette exemple deux autres formes du chant grégorien en forte dépendance avec le contexte rituel dans lequel elles s’insèrent : dans un cas, il s’agit d’une pause méditative entre deux rites intellectuellement denses (les lectures) ; dans l’autre cas, il s’agit d’une brève respiration entre deux parties de l’office.

3.5. Caractérisation du texte

Comparons deux extraits de lectures de la Messe. Il s’agit de deux lectures du même jour, le samedi des Quatre-Temps de septembre. Le choix, peu répandu, de les noter ici en français, permet de mieux faire ressortir le caractère propre des deux textes l’un par rapport à l’autre.

Notre premier exemple est un fragment de lecture vétérotestamentaire (Lévitique 23), chanté sur le ton dit “de la Prophétie” :

Les deux cadences intermédiaires descendent d’un demi-ton : cette dissonance produit une certaine tension mélodique, symbolique à la fois du caractère négatif des prophéties de l’Ancien Testament, et du caractère non-définitif de l’ancienne alliance. La quinte descendante de la cadence finale évoque de façon saisissante une trompette, certainement l’instrument le plus propre à la prophétie.

Notre second exemple est un fragment de lecture néotestamentaire (Hébreux 9), qui répond aux prescriptions de l’ancienne loi qui faisaient l’objet de la première lecture, chanté sur le ton dit “de l’Épître” :

Les cadences de ce ton sont nettement plus complexes, pas parce qu’elles sont plus ornées, mais parce qu’elles sont préparées par deux à cinq syllabes qui les précèdent. Elles correspondent éminemment à l’art de la rhétorique, au caractère d’exhortation qui se retrouve dans la plupart des Épîtres. Le chant du dernier stique un demi-ton en dessous de la corde de récitation provoque également une tension résolue par le retour sur la corde à la dernière note, autre effet rhétorique. Ce ton oblige le lecteur à articuler avec une grande netteté, à s’appuyer sur les syllabes fortes, particulièrement en latin, le français étant dans l’ensemble une langue moins accentuée et plus plane (au sens de ce mot dans l’expression plain-chant, cantus planus).

Conclusion : le chant grégorien comme critère de la musique liturgique

En nous approchant de la conclusion de cette étude, relisons la citation du saint Pape Jean-Paul II déjà imprimée plus haut : “la musique liturgique doit répondre à certaines conditions spécifiques : l’adhésion totale aux textes qu’elle présente, l’harmonie avec le temps et le moment liturgique auquel elle est destinée, la juste correspondance avec les gestes proposés par le rite. Les divers moments liturgiques exigent en effet une expression musicale qui leur soit propre, visant à chaque fois à faire apparaître la nature propre d’un rite déterminé.”

Le chant grégorien correspond à ces critères à un degré suprême et indépassable (dans l’univers musical occidental) : nous avons vu de quelle manière il est au service de son texte, s’adaptant, dans sa forme, à la solennité du jour et au temps liturgique ; s’étirant ou se raccourcissant en fonction du geste rituel qu’il accompagne, quand il ne constitue pas lui-même l’action principale de la liturgie ; se mettant constamment en étroite relation avec les autres parties de la liturgie et avec l’heure du jour ; présentant tantôt son texte dans le contexte biblique, et tantôt révélant les sens cachés de ce texte par la juxtaposition avec un geste ou une parole qui l’éclaire.

En tout ceci, il constitue la référence de la bontà delle forme, l’excellence des formes, demandée par saint Pie X pour la musique liturgique.

Jamais le Magistère n’a souhaité exclure de la liturgie les autres styles musicaux, encore que certains, comme l’opéra ou la musique pop-rock, soient irrémédiablement impropres à l’emploi liturgique. Le chant grégorien montre aux compositeurs une voie exigeante : si les compositeurs sérieux, à ce jour, ont généralement compris que le texte devait être respecté, ils doivent encore acquérir cette sensibilité au contexte rituel, au caractère propre du texte, au contexte scripturaire, à la fonction liturgique de la pièce et aux gestes qu’elle accompagne, pour espérer composer une œuvre véritablement utile et durable.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : le chant grégorien, dans son sens le plus général, tel que nous l’avons défini, n’est pas un style parmi d’autres, auquel le Concile Vatican II aurait poliment reconnu une primauté d’honneur sans implications pratiques. S’il laisse de temps à autre un peu de place à une polyphonie ou à un cantique populaire, il continue d’irriguer toute la liturgie à travers ses tons communs, son répertoire, son exigence que toutes les parties audibles soient chantées, et son éthos, autrement dit son style, subtil compromis entre retenue et expressivité. Il est indissolublement marié au rite romain, et toute liturgie, aussi belle soit-elle, qui s’en détacherait, ne saurait prétendre au bel adjectif de « romaine ».

Forme et fonction : pour réfléchir sur la musique liturgique

Les débats sur le groupe Facebook Esprit de la Liturgie tournent souvent autour de la musique liturgique, et c’est bien : la musique est un sujet de premier plan, spécialement car le chant est la manière naturelle dont le texte liturgique est prononcé, comme nous l’avons montré à de nombreuses reprises.

Le débat public sur la musique liturgique est pollué par une certaine confusion des termes, et je souhaite dans cet article poser un petit nombre de définitions qui font consensus parmi les musiciens de métier, et qui pourraient aider les amateurs, nullement empêchés d’exprimer leur opinion sur la musique liturgique, à l’articuler avec plus de précision.

Forme musicale

La forme musicale décrit l’organisation d’une pièce musicale au point de vue de ses parties dans le temps. La musique liturgique connaît plusieurs familles de formes musicales.

La forme in directum

L’ensemble du texte est donné d’une seule traite sur une mélodie qui lui appartient. Souvent, des motifs mélodiques sont répétés (on les appelle cadences, en grégorien), mais la mélodie n’est pas rigoureusement périodique à la manière dont le sont les couplets d’une chanson, par exemple.

Le Gloria in excelsis, la psalmodie sans antienne des Complies monastiques, le Te Deum des Matines ou de l’Office des Lectures, adoptent (habituellement) la forme in directum alternée.

Le Trait chanté en Carême avant l’Évangile, l’Exsultet et le Noveritis, ou encore toutes les lectures bibliques, Leçons, Prophéties, Épîtres et Évangiles, emploient le plus souvent la forme in directum non-alternée. Il y a bien sûr des exceptions, pour le chant de la Passion par exemple.

La forme métrique

L’ensemble du texte est donné d’une seule traite sur une mélodie qui revient régulièrement. Ceci nécessite que le texte soit divisé en parties de longueur égale (en nombre de syllabes) : ce sont les stiques. Le texte doit donc être en vers (ce qui n’oblige pas ces vers à rimer). C’est la forme qu’ont les hymnes grégoriennes employées dans l’office divin. Beaucoup de cantiques populaires adoptent cette forme, quand ils n’ont pas de refrain.

Les chorals de Bach et leurs traductions françaises emploient une forme métrique particulière dans laquelle chaque stique contient des subdivisions bien structurées : la forme choral.

La forme métrique peut être alternée entre les deux parties d’un chœur, ou bien chantée par tous. Il n’y a pas, à ma connaissance, de pièce en forme métrique qui soit soliste par nature.

La forme antiphonale

Des versets, qui ont tous la même mélodie, mais des longueurs variables ou identiques, alternent avec une antienne, qui a toujours la même mélodie et le même texte. L’antienne est chantée par un effectif plus large que les versets : par exemple, deux moitiés du chœur alternent les versets, et tous chantent l’antienne ; ou bien, la schola chante l’antienne, et un ou des solistes chantent les versets.

La forme antiphonale a de multiples variations en fonction de la fréquence de l’antienne. Elle peut revenir entre chaque verset (forme couplet-refrain), tous les deux versets (forme le plus fréquemment employée pour les psaumes d’introït et de communion, ainsi que pour le Magnificat aux vêpres solennelles si l’on prévoit que l’encensement dure très longtemps), seulement avant et après l’ensemble des versets (forme employée pour le chant des psaumes dans l’office divin), voire même seulement à la fin (forme anciennement employée dans l’office divin aux féries).

Ainsi, le psaume dit « responsorial » qu’on chante fréquemment dans la messe de Paul VI est en fait un psaume antiphonal dont l’antienne revient (le plus souvent) tous les deux versets.

Les cantiques populaires à couplet et refrain sont également en forme antiphonale avec antienne répétée à chaque verset ; mais on parle alors de forme couplet-refrain.

[Edit 10/01/2022 : il faut distinguer la forme antiphonale, qui est une caractéristique de la structure de la pièce, de l’antiphonie en tant que mode d’exécution : voir la partie suivante.]

La forme responsoriale

La forme responsoriale est analogue à la forme antiphonale, mais après une première exposition de l’antienne au début de la pièce, on ne répète pas systématiquement toute l’antienne, mais seulement sa deuxième moitié. On parle alors de réponse et non d’antienne (mais il y a des exceptions).

Cette forme existe surtout dans le chant grégorien (qui est un style musical, comme on le verra plus loin) et a été assez peu employée dans les pièces en langue vulgaire.

Si on note R1 et R2 les deux moitiés de la réponse, et V1, V2, etc. les versets ; et Dox la doxologie (Gloria Patri, etc.), les différents emplois de la forme responsoriale sont :

  • Le répons prolixe, à Matines, dans l’Office des Lectures, et aux premières Vêpres des fêtes dans les usages médiévaux : R1 R2 V1 R2, éventuellement R1 R2 V1 R2 Dox R2 si le texte comprend la doxologie.
  • Le répons bref, à Laudes et Vêpres dans le rite bénédictin et dans la Liturgie des Heures de Paul VI : R1 R2 R1 R2 V R2 Dox R1 R2 (la réponse est chantée deux fois au début).
  • L’invitatoire, au début du premier office de la journée : R1 R2 R1 R2 V1 R2 V2 R1 R2 V3 R2 … Dox R2 R1 R2, avec donc la réponse (qui, pour l’occasion, est désignée comme une antienne par les livres liturgiques) chantée deux fois au début, puis sa deuxième moitié après les versets impairs, et intégralement après les versets pairs, puis reprise une dernière fois à la fin.
  • Le graduel de la messe, dans les usages médiévaux et dans le rite de Paul VI, à la manière des répons prolixes.
  • Mille autres cas particuliers : par exemple, dans ce célèbre enregistrement, l’ensemble Organum chante le Salve Regina de manière responsoriale, avec des versets et une reprise à O clemens.

[Edit 10/01/2022 : il faut distinguer la forme responsoriale, qui est une caractéristique de la structure de la pièce, du chant responsorial en tant que mode d’exécution : voir la partie suivante.]

Autres formes particulières

Certaines formes sont plus spécifiques à un emploi donné : la simple réponse, constituée de deux phrases ayant des mélodies voisines (Dominus vobiscum / Et cum spiritu tuo), la forme litanique, où les mêmes invocations sont répétées plusieurs fois avec des variantes (Ora pro nobis, Orate pro nobis, Miserere nobis, Te rogamus audi nos en fonction de la phrase qui précède), la forme alléluiatique qui n’existe que pour l’alléluia, avec une structure A1 (l’incipit) A1 (reprise) A2 (le jubilus) V A1 A2, et enfin la forme imitation, dans laquelle la même mélodie est répétée deux fois avec des paroles différentes : A A B B C C D D : c’est la forme de la plupart des séquences.

Mode d’exécution

[Partie ajoutée le 10/01/2022.]

Le mode d’exécution caractérise la manière dont les parties d’une pièces sont réparties entre plusieurs groupes de chanteurs.

On peut distinguer, parmi d’autres, l’exécution soliste, à laquelle on peut rattacher, comme apparentée, l’exécution par un petit groupe de solistes ; le chant de foule dans lequel tous chantent l’intégralité de la pièce ; l’antiphonie dans laquelle deux groupes de chanteurs à peu près de même taille alternent le chant ; et l’exécution responsoriale dans laquelle deux groupes de chanteurs de tailles très différentes alternent le chant, par exemple un soliste et un chœur, ou bien un chœur et l’assemblée.

Le mode d’exécution est largement indépendant de la forme musicale : par exemple, le Gloria de la messe est en forme in directum (il n’a rien qui ressemble à un refrain, une réponse, une partie répétée) et exécuté de manière responsoriale entre schola et assemblée ; le graduel de la messe est en forme responsoriale et souvent exécuté de manière soliste (ou plutôt par un petit groupe) ; le Sanctus de la messe est tantôt exécuté comme chant de foule, tantôt exécuté de manière responsoriale quand la schola seule chante la phrase Benedictus qui venit in nomine Domini. Le Te Deum de l’office est en forme in directum mais chanté en antiphonie ; et enfin, pour citer les cas où les notions portant le même nom concordent, la psalmodie de l’office est de forme antiphonale et chantée en antiphonie, et les répons de l’office sont de forme responsoriale et chantés de manière responsoriale.

Genre musical

Le genre est une description de la substance musicale de la pièce. Dans la musique vocale, il dépend, pas uniquement, mais significativement, du texte.

On distingue ordinairement le genre profane et le genre sacré ; et à l’intérieur de ces genres, on distingue des sous-genres. Pour ce qui nous occupe, nous sommes évidemment dans le genre sacré, dans le sous-genre de la musique liturgique ; pour éviter d’avoir à parler en permanence de sous-sous-genre, il convient d’appeler simplement genres musicaux de la musique liturgique les notions suivantes : antienne, psaume, oraison, hymne, répons, lecture, litanie, alléluia, séquence, offertoire, sanctus. Je ne mentionne pas le kyrie et l’agnus, qui sont des litanies, ni le gloria et le credo, qui sont des hymnes en prose (au moins vu du musicologue), ni le graduel, qui est un répons, ni l’introït et la communion, qui sont des antiennes intercalées avec des psaumes ; mais par simplicité on peut également considérer ces notions comme des genres musicaux de la musique liturgique.

Il faut également mentionner le genre qui est de loin le plus fréquent : le cantique populaire ou pieux cantique, et regroupe toutes les pièces dont le texte n’est pas codifié par la liturgie.

Il faut mentionner en outre des genres ombrelles, suites de pièces appartenant de manière fixe à plusieurs genres liturgiques : le genre messe, qui comprend une pièce pour chaque partie de l’ordinaire de la messe, le genre requiem qui comprend une pièce pour chaque partie de l’ordinaire et du propre du la messe des défunts, et les genres correspondants pour les offices, notamment le genre vêpres, le plus souvent composé (quelques compositeurs ont également composé des matines).

Fonction liturgique

La fonction liturgique est la partie de la liturgie pour laquelle un chant d’un genre donné est effectivement employée.

Il est important de distinguer le genre musical de la fonction liturgique. Idéalement, il devrait y avoir correspondance, mais beaucoup de messes (le genre musical) sont faites pour être exécutées en concert et non à la messe (la fonction liturgique). Il n’est pas rare, par exemple, d’employer une hymne (le genre musical) en guise de chant de communion (la fonction liturgique), ou bien, dans l’office, un cantique populaire (le genre musical) en guise d’hymne (la fonction liturgique), pourquoi pas une séquence (ou prose) (le genre) à l’offertoire (la fonction) et ainsi de suite. Que ces pratiques soient légitimes ou non n’est pas le propos de cet article ; mais la distinction est essentielle pour savoir de quoi on parle.

Certaines fonctions à caractère péri-liturgique peuvent donc se voir attribuer légitimement des pièces de divers genres : ainsi le chant de sortie (fonction péri-liturgique) peut être un cantique populaire, une antienne (ce qu’est le Salve Regina) ou pourquoi pas une litanie (de Lorette, du Sacré-Cœur…), qui sont divers genres musicaux. Le motet d’exposition (fonction péri-liturgique lors d’un Salut au Saint-Sacrement) peut être de n’importe quel genre ou presque.

Style musical

Au sens strict, le style musical désigne l’époque et la zone de composition, rattachant une pièce musicale à un courant artistique. On distingue ainsi habituellement, dans l’aire culturelle occidentale, la musique médiévale, renaissance, baroque, classique, romantique, moderne et contemporaine.

Nous nous trouvons ici confrontés à une difficulté, car, si le grégorien relève de la musique médiévale, les compositions néo-grégoriennes appartiennent en un certain sens au chant grégorien, alors qu’elles datent des époques ultérieures. Il convient de les rattacher à un style grégorien puisque ce fut l’intention de leur compositeur.

En musique liturgique, les distinctions d’époque pour définir les styles sont plus généralement inefficaces. Si la musique baroque ou classique est immédiatement identifiable, le plain-chant, le faux-bourdon et l’organum sont à cheval du Moyen-Âge jusqu’à l’époque baroque.

Au sein de la musique liturgique contemporaine, on peut aussi distinguer des styles : polyphonie contemporaine souvent a capella, très travaillée harmoniquement, telle que popularisée en France par les DAC ; chanson pop, recouvrant l’essentiel des chants de l’Emmanuel ; pastiche byzantin avec Gouzes et ses imitateurs, et ainsi de suite.

L’excellence des formes

La perfection liturgique d’une pièce de musique demande qu’il y ait adéquation entre style, genre, fonction et forme : c’est ce que demandait, au fond, Saint Pie X dans Tra le sollecitudini : l’excellence des formes, la bonta’ delle forme, en latin bonitas formarum, dans laquelle toutes les dimensions de la musique sont ordonnées ensemble à la fonction liturgique, tout en possédant chacune leur perfection propre.

Ainsi le style grégorien n’est-il pas le seul autorisé dans la liturgie, mais il est toujours adapté et fait référence, les divers styles polyphoniques (renaissance, contemporain…) ayant une place mesurée, ainsi que le chant populaire.

Ainsi il convient que les fonctions processionnales (chant d’entrée et chant de communion) soient en forme antiphonale afin de faciliter l’adaptation de la longueur du chant à celle de l’action liturgique : imaginez choisir une longue pièce en forme in directum et devoir la couper en plein milieu par manque de temps ! De même, par respect pour une très ancienne coutume, il serait bon que les offertoires (le genre) adaptés en français soient en forme responsoriale, d’autant que le texte de leurs versets a souvent été écrit pour s’enchaîner avec la seconde partie de la réponse. Enfin, citons deux erreurs de forme omniprésentes dans les compositions contemporaines : le Gloria et le Sanctus doivent être composés in directum (alterné, pour le Gloria, et non-alterné, pour le Sanctus) et non, comme c’est fréquent, en forme couplet-refrain ou antiphonale avec la première phrase répétée à la fin.

En conclusion, il est clair que la tradition liturgique latine a attribué une forme et un genre à chaque action liturgique : ce n’est pas en vain. Les compositeurs contemporains qui souhaitent inscrire leur art dans la vénérable tradition de l’Église d’occident feraient bien de s’y conformer : cet article démontre qu’une contrainte de genre et de forme ne doit pas être confondue avec une contrainte de style, et que la liberté artistique des compositeurs n’est en rien brimée par les exigences de la liturgie.

Chantez votre mot d’accueil avec les tropes d’introït

1. Un peu d’histoire

1.1 Qu’est-ce qu’un trope ?

Honegger, dans son Dictionnaire de la Musique, donne la définition la plus générale du trope latin et sans doute la meilleure : « Le trope est un développement musical et littéraire d’une pièce de chant liturgique ». Il s’agit donc d’une pièce para-liturgique, comme le sont par exemple les cantiques, que notre confrère Isidore de Kiev a su si bien défendre dans l’article de ce blog qui leur est consacré : nous y reviendrons. Mais ce qui caractérise les tropes est le lien intime, textuel comme musical, avec une pièce de l’ordinaire ou du propre.

1.2. Deux typologies

Les musicologues distinguent volontiers les tropes logogènes, où le texte est premier et la mélodie composée pour le texte ; mélogènes, où le texte est composé pour s’adapter à une mélodie préexistante ; et méloforme, développement purement musical sans ajout de texte. Les jubilus primitifs étaient des tropes méloformes : certains sont passés dans les livres liturgiques, ce sont ces longues phrases sans paroles qui ponctuent les Alléluias grégoriens ; les autres sont tombés hors d’usage.

Les liturges vont peut-être préférer une autre typologie :

  • Tropes d’adaptation, qui reprennent une mélodie mélismatique1 préexistante en y adaptant des paroles nouvellement composées : c’est le cas de tous les tropes de Kyrie (Orbis Factor, Cunctipotens Genitor, etc.), et de certaines séquences qui utilisent la mélodie de l’Alléluia qui les précède, comme le Veni Sancte Spiritus.
  • Tropes de développement, qui ont pour fonction essentielle d’allonger la musique d’une pièce aux dimensions de l’action liturgique. On peut ranger dans cette catégorie les versets d’offertoire, sauf si on considère qu’ils font partie de la pièce elle-même (l’auteur ne prendra pas position).
  • Tropes d’interpolation ou d’encadrement, courtes gloses qui méditent sur le texte d’une pièce ou bien l’expliquent à l’assemblée, en s’insérant entre deux phrases du texte (interpolation) ou bien en l’introduisant ou en le concluant (encadrement). C’est à cette catégorie qu’appartiennent la plupart des tropes d’introït, et c’est ceux-là que nous allons examiner ici.
Exemple de trope d’adaptation mélogène : le Cunctipotens genitor Deus, sur l’air du Kyrie IV
(transcrit du Graduel de Fontevraud par l’auteur)

1 On appelle mélisme une suite de notes chantées sur la même syllabe. On parle alors de style mélismatique, par opposition au style syllabique. Par exemple, les Kyrie sont mélismatiques, les Credo sont principalement syllabiques.

1.3. Vie et mort des tropes

Les tropes sont souvent présentés à tort comme un développement tardif qui a accompagné la dégénérescence du chant grégorien aux 14e et 15e siècles. C’est tout à fait faux : s’ils n’ont pas l’antiquité du chant grégorien lui-même, les manuscrits les plus anciens que nous possédons incluent de nombreux tropes de tous les genres.

Le propre du temps était déjà presque stabilisé dès le milieu du 9e siècle par les efforts de normalisation de Charlemagne. La créativité humaine ayant horreur de l’immobilisme, il est facile d’imaginer qu’une fois le propre gravé dans le marbre les compositeurs ont tout de suite commencé à le développer par des textes et des mélodies nouvelles.

À partir de la fin du 12e siècle, les tropes d’introït vont muter vers une nouvelle forme musicale : le conduit (conductus), dont le nom vient de ce qu’il est destiné à accompagner la procession d’entrée. Il s’agit d’un chant de marche, mesuré, qui tranche avec le rythme très libre et psalmodique des tropes d’introït du haut moyen-âge. Dès cette époque, le lien entre conductus et l’introït qu’il accompagne ou introduit, devient de plus en plus lâche ; en définitive, le conduit deviendra le motet de procession, encore souvent basé sur la mélodie grégorienne. Puis, le motet, de plus en plus complexe et difficile d’exécution, deviendra cantique populaire là où le chœur n’est pas assez expert pour le chanter. C’est à ce stade que le lien avec le répertoire grégorien sera tout à fait perdu.

2. À quoi ressemble un trope d’introït ?

L’œuvre de restauration des tropes à partir des manuscrits grégoriens n’est qu’à peine commencée : le plus bel effort dans ce domaine jusqu’ici a été le travail de Ferdinand Haberl (1906-1985), président de l’institut pontifical de musique sacrée de 1970 à 1981. Son recueil de 86 tropes d’introït, toujours disponible chez ACV Deutschland (6€ + 4€ de port), rassemble les pièces les plus remarquables de ce genre oublié. En voici quelques-unes.

2.1. Oyez, oyez, braves gens !

L’une des fonctions du trope d’introït médiéval est clairement d’obtenir un peu de silence de la part de l’assemblée et de signaler, la cloche étant peut-être insuffisante, le début de la procession d’entrée. Dans la plupart des cas, cette fonction est combinée avec une explication relativement simple de la fête du jour :

(trope) Aujourd’hui, l’Esprit Saint descend sur les apôtres et remplit toute la terre.
(trope) Oyez, oyez ! Chantres, dites-leur !
(ant) L’Esprit du Seigneur remplit le globe de la terre, alléluia.
(trope) Aujourd’hui, l’Esprit Défenseur remplit toute cette maison de son feu divin !
(ant) Et lui qui contient toutes choses, connait toute parole.
(trope) Rendons donc grâces à la sainte Trinité, à l’unique Majesté :
(ant) Alléluia, alléluia, alléluia.

Trope Hodie Spiritus Sanctus de l’introït Spiritus Domini de la Pentecôte
Début du trope Hodie Spiritus Sanctus

2.2. Une méditation chantée

De nombreux tropes forment également une méditation-commentaire d’une grande profondeur, sur les paroles de l’introït lui-même, parfois en s’insérant dans la phrase grammaticale sans jamais en modifier le sens réel. En voici un exemple traduit par l’auteur :

(trope) Époux de l’Église, lumière des nations, qui a consacré le baptême et qui sauves toute la terre :
(ant) Voici qu’il vient,
(trope) Jésus, dont les rois des nations viennent s’enquérir à Jérusalem chargés de dons mystiques, demandant où est celui qui est né,
(ant) Le Seigneur souverain.
(trope) Nous aussi, nous avons vu l’étoile : nous aussi, nous savons bien que le Roi des rois est né !
(ant) La royauté est dans sa main,
(trope) À lui seul nous rendons l’honneur, la gloire, la louange et le triomphe,
(ant) Et la puissance, et la souveraineté.

Trope Ecclesiæ sponsus de l’introït Ecce advenit de l’Épiphanie.
Début du trope Ecclesiæ sponsus

2.3. Une invitation aux fidèles ?

La plupart des tropes s’adressent implicitement à l’assemblée, en appelant son attention (Eia ! Eia !), en lui posant une question rhétorique :

Qui cherchez-vous dans la mangeoire, dites-nous, bergers ? Le Sauveur, le Christ, le Seigneur, comme nous l’a dit l’ange.

Trope Quem quæritis de l’introït Puer natus est du jour de Noël

Ils s’y adressent quelquefois explicitement, y compris pour inviter la foule à se joindre au chant du chœur pour les parties les plus connues de l’introït. À Pâques, par exemple, le trope Resurrexit Dominus et l’antienne d’introït sont entremêlés, et en voici la fin :

(ant) Je suis ressuscité, et je suis toujours avec toi, alléluia, […]
(ant) Ta sagesse s’est montrée admirable, alléluia,
(trope) Chantons tous, clercs comme laïcs, celui à qui sont louange, honneur et force,
(trope) Au Seigneur ressuscité sur son trône céleste, avec le peuple des fidèles :
(ant) Alléluia, alléluia.

(ant) Resurrexi et adhuc tecum sum, alleluia […]
(ant) Mirabilis facta est scientia tua, alleluia
(tropus) Decantemus omnes, clerus atque vulgus, quem laus decet, honor, virtus,
(tropus) Resurgenti Domino cum fideli populo in excelso solio :
(ant) Alleluia, alleluia.

2.4. Un peu de pub pour la schola

Le plus célèbre des tropes d’introït reste le Gregorius præsul, qui a même l’honneur d’une page Wikipédia. Chanté le premier dimanche de l’avent en introduction de l’introït Ad te levavi, il est exceptionnel en ceci qu’il ne commente pas la fête du jour ou le texte de l’introït, mais parle de l’introït lui-même en tant que pièce musicale, et de tout le Graduel en tant que livre liturgique. On pourrait donc l’appeler un méta-trope.

Grégoire évêque […] rénova l’œuvre des Pères
et composa donc ce recueil d’art musical
à l’usage des scholæ cantorum au long de l’année.
Oyez ! Choristes, chantez avec le psalmiste : Ad te levavi…

Gregorius præsul [..] renovavit monumenta patrum priorum,
Tunc composuit hunc libellum musicæ artis
Scholæ cantorum anni circuli
Eia, paraphonista, dic cum psalmista : Ad te levavi…

La Schola Metensis en a enregistré une variante qu’on peut écouter sur cette page. En voici la partition issue du Graduel de Gaillac, avec la superbe lettrine du Ad te levavi qui le suit :

Peut-on y voir une manière pour la schola d’expliquer ses outils, son rôle et son travail à l’assemblée des fidèles ? L’auteur n’en doute pas.

3. Chanter un trope d’introït au 21e siècle ?

On a déjà écrit que parmi les très (trop ?) nombreuses portes ouvertes par le missel de 1969, on trouvait, dans la troisième forme de la préparation pénitentielle, la possibilité de chanter les antiques tropes de Kyrie ; de même, la permission donnée à l’introduction d’une brève monition au début de la Messe constitue une porte ouverte à l’emploi des tropes d’introït. Nous allons voir comment.

3.1. Dans la forme extraordinaire

Les rubriques du missel de 1962 ne mentionnent pas les tropes d’introït et, d’ailleurs, insistent sur le fait qu’il faut chanter l’introït qui se trouve dans le graduel romain, c’est à dire sans tropes. Cependant, là où un équilibre s’est créé entre fidélité à l’esprit de la liturgie et souplesse vis-à-vis des rubriques, on les chante de temps à autre : par exemple le trope Audite Insulæ pour la nativité de Saint Jean-Baptiste, à Saint-Eugène (Paris). Cela reste contra legem, diront les tridentinistes : tant pis pour eux.

Le choix fait dans cet exemple est de placer la schola dans la procession d’entrée, avec le tropiste en dernier (pour l’occasion confondu avec le chef de chœur). Ce choix a l’avantage d’illustrer le caractère processional du trope d’introït ; il a l’inconvénient de ne pas s’adresser à l’assemblée. En effet, dans le texte du trope comme dans celui de l’introït avec lequel il est entremêlé, c’est Jean Baptiste qui parle aux païens ; la schola tient le rôle de Jean Baptiste, il est assez logique qu’elle s’adresse à l’assemblée aussi bien qu’à Dieu (qui est le premier et principal auditoire, rappelons-le, de toute musique liturgique).

Écoutez, îles de la mer, soyez attentifs, tous les peuples : de loin le Seigneur m’a appelé, dès le ventre de ma mère le Seigneur a appelé mon nom.

Audite, insulæ, et attendite, populi : de longe Dominus ab utero vocabit me, de ventre matris meæ vocabit Dominus nomine meo.

L’aspersion dominicale relègue par contre le trope d’introït, qui ne peut être employé que comme processionnal, aux fêtes hors du dimanche, à moins d’organiser une deuxième procession d’entrée entre l’aspersion et le début de la messe, ce qui ne serait pas sans fondement.

3.2. Dans la forme ordinaire, à l’ancienne

La forme ordinaire fait les provisions rubricales nécessaires pour que le trope d’introït y soit tout à fait licite. La manière de le chanter est la suivante : on commence à chanter dès le début de la procession d’entrée, en chantant le trope et l’antienne d’entrée tels qu’ils sont imbriqués ensemble ; puis on chante le verset, puis on répète l’antienne seule. Si les encensements durent, on continue comme pour toute Messe (vraiment) chantée, en prenant d’autres versets ou un Gloria Patri et en reprenant l’antienne seule. Dans tous les cas, le trope n’est chanté qu’une fois.

Il importe de faire figurer le texte du chant, complètement développé (antienne tropée, verset, antienne non tropée) sur la feuille de Messe, afin de ne pas donner aux fidèles un sentiment de dépossession qui les ferait sortir d’une attitude de participation intérieure au chant de la schola. Ceci présente une difficulté là où le grégorien est si bien ancré, que tous les fidèles ont un missel grégorien et que l’édition de feuilles de Messe est superflue. Il semble clair qu’en 2020, ces endroits sont rares.

Les tropistes devraient, au contraire du chantre, faire face à l’assemblée, à laquelle ils s’adressent explicitement. Les soli étant, en liturgie, idéalement réservés au prêtre, il est bon que les tropistes soient deux ou trois, pas plus, le service du texte du trope nécessitant une certaine rapidité d’exécution peu compatible avec un chœur nombreux. Ils doivent être en tous cas beaucoup moins nombreux que la schola : si on n’a que quatre ou cinq choristes, le tropiste devra être seul. Il importe également que le tropiste soit physiquement distinct de la schola, et même idéalement hors du sanctuaire, afin d’illustrer son rôle para-liturgique et non liturgique. À ce titre, les pupitres d’animateur, délaissés par toutes les bonnes scholas, pourront retrouver une utilité. Il est tout à fait exclu que le tropiste chante depuis l’ambon.

3.3. Comme un mot d’accueil chanté ?

Pour éviter d’avoir à imprimer des feuilles, une solution facile est de plutôt chanter le trope en français. Dans cette option, deux problèmes se posent :

Premièrement, l’alternance entre français et latin au sein de l’introït (étant entendu que l’introït reste en latin ; je ne développe pas le cas de l’introït français, aujourd’hui pratiquement inexistant). Cette alternance est de nature à étonner les fidèles et nuit à la compréhension d’ensemble du texte.

Deuxièmement, l’adaptation nécessaire à la mélodie grégorienne : on risque de devoir faire un choix impossible entre musicalité du trope et qualité de la traduction.

Aussi, si on choisit la voie des tropes en français, le chemin le plus sûr est probablement d’adapter le trope pour lui donner la forme du Gregorius præsul évoqué plus haut : celle, non d’un trope intercalaire, mais d’une introduction chantée, sur le mode grégorien de l’introït qui va suivre immédiatement. On se rapproche alors nettement de la fonction para-liturgique du mot d’accueil (à laquelle, comme on l’a vu, les tropes d’introït antiques ne sont pas étrangers). L’introduction à l’introït en français ne présente que des avantages par rapport au sempiternel mot d’accueil :

  • Elle n’est pas improvisée mais doit être fixée par écrit, ce qui en augmentera mécaniquement la qualité textuelle dans des proportions dramatiques.
  • Elle ne met pas en avant la personne du célébrant puisqu’elle est donnée par un groupe de chanteurs anonymes.
  • Elle supprime le caractère mondain et interpersonnel du mot d’accueil (que ceci soit un avantage sera probablement débattu : l’auteur tient ferme sa position).
  • Elle est chantée, et chantée sur le ton de l’introït qui suit, ce qui la connecte efficacement à l’action liturgique à laquelle elle est subordonnée.

Curés de tous les pays, cessez d’improviser votre mot d’accueil : vous n’êtes pas des comédiens de one-man-show et vos paroissiens ne seront ni plus ni moins vos amis parce que vous ne leur aurez pas souhaité la bienvenue entre le signe de croix et le Confiteor. Rédigez deux phrases sur le saint du jour ou sur les lectures du dimanche, et confiez-les à votre chantre favori pour qu’il les chante sur le ton de l’introït. Et naturellement, si votre paroisse ne chante pas déjà l’introït, il est temps de vous y mettre par la même occasion.

La restauration de la messe pour les défunts

Introduction

La réforme liturgique de 1969 a permis de réintroduire dans la liturgie un très grand nombre de pièces du répertoire grégorien, souvent de très bonne qualité, et qui avaient été restaurées entre la fin du 19e et le milieu du 20e siècle, par la comparaison des sources médiévales, éclairée par l’étude musicologique du chant grégorien.

Il faut bien sûr déplorer le fait que cette restauration n’ait produit de fruit que dans une toute petite fraction de l’Église, la majorité se partageant entre l’attachement aux formes liturgiques tridentines et l’ignorance totale du chant grégorien.

Les choix opérés quant à la réintroduction de telle ou telle pièce ancienne sont informés par trois considérations :

  • l’emploi historique attesté, idéalement à plusieurs époques et en plusieurs lieux, de la pièce en question, à la place à laquelle on envisage de l’introduire ;
  • l’adéquation de la pièce aux lectures du jour dans le lectionnaire réformé ;
  • l’idonéité pastorale de la pièce à cet emplacement, c’est à dire le profit qu’on envisage pour les fidèles — pas pour Dieu — à ce que cette pièce soit chantée à cette occasion.

De ces trois considérations, les deux premières me semblent être celles qui ont le plus de poids, la troisième ayant son importance mais devant céder face au précédent historique ou à la cohérence du propre d’une Messe.

Cette troisième considération semble avoir largement gouverné le très grand nombre d’options prévues pour le propre de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire. C’est ce que nous allons mettre en évidence, en suggérant de différencier, parmi ces options, celles qui sont traditionnelles, c’est à dire d’un emploi attesté en plusieurs lieux et à plusieurs époques, de celles qui sont purement pastorales.

Dans ce but, on va présenter de manière synthétique l’évolution du propre de la Messe pour les défunts en fonction du temps et de la géographie, en groupant autant que possible les manuscrits par sphère d’influence. Les données de cet article sont largement issues de la thèse de doctorat de l’organiste et musicologue Nemesio Valle, de l’université de Pittsburgh.

Les manuscrits présentent les propres, tantôt regroupés en formulaires (une messe complète, puis une autre, puis une autre, si nécessaire en réutilisant la même pièce d’une messe sur l’autre), tantôt regroupés par fonction (les introïts tous ensemble, puis les graduels, etc). Dans presque tous les cas, les formulaires répondent à une nécessité purement pratique (minimiser le nombre de pages à tourner) et ne présentent pas de cohérence particulière : le même matériau musical, par exemple de deux messes complètes, sera complètement remélangé d’un manuscrit à l’autre. C’est pourquoi nous prenons ici le parti de présenter les pièces musicales fonction par fonction, sans nous soucier aucunement de quelle pièce est associée à quelle autre dans un formulaire de tel et tel manuscrit. Le seul critère de sélection est la présence d’une rubrique « missa pro defunctis« , « missa in exsequiis« , etc.

Les premiers propres de la Messe pour les défunts

La Messe pour les défunts constitue un développement relativement tardif de la liturgie. Dans la sphère d’influence franque, les rituels païens associés à la mort persistent longtemps après le baptême de Clovis : le plus souvent, on dit à l’intention du mort la messe du jour, en ajoutant des prières supplémentaires. Dans la sphère d’influence romaine, le sacramentaire de Vérone a cinq oraisons pour les messes super defunctos, sans point commun avec ce qui deviendra la messe dite de Requiem, la messe des morts telle que la connaîtra le Moyen Âge tardif ; l’apparition de chants propres pour la Messe pour les défunts a lieu au bien après la première stabilisation du propre du Temps, dans la deuxième moitié du 9e siècle, après la réforme carolingienne. On dispose de six sources, trois helvéto-germaniques (famille sangallienne) et trois franco-flamandes, antérieures à l’an mil. Elles comportent toutes un introït, un graduel, un ou plusieurs offertoires et une ou plusieurs antiennes de communion ; aucune ne comporte de trait ou d’alléluia.

Famille sangallienneFamille françaiseOption majoritaire
Intr.RequiemRequiem
Tuam Deus
Si enim credimus
Requiem
Grad.RequiemRequiem
Convertere
Requiem
Convertere
Off.Domine Jesu Christe
Domine convertere
Illumina
Domine convertere
Miserere mihi
Erue Domine
Domine convertere
Co.Dona eis Domine
Audivi vocem
Ego sum resurrectio
Omne quod dat
Lux æterna
Ego sum resurrectio
Synoptique des principaux propres de la Messe pour les défunts, 9e-10e siècle

Les propres du 11e siècle

Au 11e siècle, les sources abondent. Nemesio Valle, dans sa thèse, distingue les sphères d’influence germaniques (Saint-Gall, Rhénanie et Bavière), lorraines (Belgique, Lorraine, Picardie), française (Paris, Lyonnais), lombarde (Italie du Nord), aquitaine (Aquitaine et Espagne) et romaine (Rome, Naples). Nous choisissons d’en regrouper certaines dans le tableau suivant. Notons l’apparition du trait, avec trois textes différents. Les propres aquitains ne figurent pas dans ce tableau : ils sont extrêmement riches — une vingtaine de pièces qui ne se trouvent qu’en Aquitaine au 11e siècle — mais aussi éphémères, correspondant à une explosion artistique autour des pôles spirituels de Gaillac et Narbonne, et seront remplacés par les propres français dès le 12e siècle.

France / LombardieLorraine / Picardie /
Suisse / Allemagne
Rome
Intr.Requiem
Si enim credimus
Requiem
Si enim credimus
Rogamus te Domine
Ego autem
Grad.Requiem
Convertere
Requiem
Qui Lazarum
Si ambulem
Qui Lazarum
Tract.De profundisDe profundis
Sicut cervus
De profundis
Convertere
Off.Domine Jesu Christe
Erue Domine
Domine Jesu Christe
Domine convertere
Miserere mihi
Domine Jesu Christe
Domine convertere
Subvenite
Co.Lux æterna
Ego sum resurrectio
Audivi vocem
Ego sum resurrectio
Audivi vocem
Lux æterna
Qui Lazarum
Synoptique des principaux propres de la Messe pour les défunts, 11e siècle

On constate que le propre de la Messe pour les défunts telle qu’elle se pratique à Rome est très différent de celui employé dans le reste de l’Europe. Il s’agit de survivances du chant vieux-romain que la réforme grégorienne ne parviendra pas immédiatement à uniformiser, et la variabilité régionale restera considérable jusqu’au 13e siècle.

La convergence vers le propre tridentin

Le 12e et le 13e siècles sont une période paradoxale de convergence géographique et de diversification organique : la réforme du monachisme bénédictin par l’Ordre de Cluny, puis la fondation des Ordres chartreux et cistercien, enrichiront le répertoire des propres pour la Messe pour les défunts ; certaines pièces composées pour ces Ordres passeront dans le répertoire séculier — c’est notamment le cas du trait Absolve, dont le texte apparaît un peu plus tôt comme antienne de communion, et qui devient un trait à Cîteaux ; il finira, de manière surprenante car il est d’un emploi plutôt rare, par être sélectionné pour le missel tridentin (cf. tableau infra).

En parallèle, peu d’autres pièces nouvelles sont composées ; les différences entre la sphère romaine, la sphère française, et le Saint-Empire, tendent à s’amenuiser, et les compositions du 11e siècle voyagent dans toute l’Europe, avec une exception notable : le propre romain, avec l’introït Rogamus te Domine et le graduel Qui Lazarum (cf. supra) est utilisé jusqu’au 13e siècle, après quoi il disparaît tout à fait pour adopter la forme convergée.

C’est également au cours du 12e siècle que se répand l’usage des séquences, ou proses, aux Messes pour les défunts. La séquence De profundis exclamantes, composée en France au début du 12e siècle, est un peu plus ancienne, mais elle est rapidement supplantée par le Dies Iræ, et sa diffusion reste très limitée.

RomeEuropeMissel tridentin
Intr.Rogamus te DomineRequiemRequiem
Grad.Qui LazarumRequiem
Si ambulem
Requiem
Tract.De profundisDe profundis
Sicut cervus
Absolve
Seq.Dies IræDies Iræ
De profundis exclamantes
Dies Iræ
Off.Domine Jesu Christe
Subvenite
Domine Jesu Christe
O pie Deus
Erue Domine
Si ambulavero
Domine Jesu Christe
Co.Lux æterna
Absolve Domine
Pro quorum memoria
Chorus angelorum
Lux æterna
Absolve Domine
Pro quorum memoria
Ego sum resurrectio
Lux æterna
Principaux propres de la Messe pour les défunts, 13e siècle, et propre de cette Messe au missel tridentin, 1570

Dans le missel tridentin, des antiennes chantées à l’offertoire ou à la communion durant le Moyen Âge seront affectées à l’absoute, à la procession funéraire et à l’enterrement : il s’agit du Chorus angelorum (communion, qui devient le In paradisum), du Subvenite (offertoire de la tradition romaine), et du Ego sum resurrectio (communion de la tradition française).

Le propre de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire

On présente dans le tableau ci-dessous les nombreuses options pour la célébration de la Messe pour les défunts dans la forme ordinaire du rite romain. Dans la colonne de gauche figurent les chants qui ont été employés à la Messe pour les défunts de manière certaine à au moins un lieu et une époque, et d’une façon qui ne soit pas anecdotique (une seule source mineure peu fiable) ; autrement dit, ceux qui ont figuré plus haut dans cet article. Dans la colonne de droite figurent les autres chants proposés (source : Graduale Romanum 1974).

Chants traditionnelsChants nouveaux
Intr.Requiem
Ego autem
Intret oratio
Verba mea
Sicut oculi
Si iniquitates
De necessitatibus
Grad.Requiem
Convertere
Si ambulem
Lætatus sum
Salvum fac servum
Unam petii
All.De profundis
In exitu
Lætatus sum
Requiem
Tract.Absolve
De profundis
Qui seminant
Sicut cervus
Off.Domine Jesu Christe
Domine convertere
Illumina
Miserere mihi
Si ambulavero
Domine Deus salutis
De profundis
Co.Lux æterna
Amen dico vobis
Qui manducat
Domine quinque
Domine quis habitabit
Dominus regit me
Illumina faciem
Notas mihi fecisti
Panis quem ego dedero
Qui mihi ministrat
Le propre de la Messe pour les défunts, Graduel romain de 1974

Les deux changements qui sautent immédiatement aux yeux sont la disparition de la séquence Dies Iræ et le remplacement du trait par l’alléluia, sauf en Carême. Ces deux innovations s’expliquent par une insistance accrue sur la Résurrection et l’Espérance, au détriment du Jugement, du deuil et de la possibilité de la damnation. Ce changement de cap me semble hasardeux, surtout à une époque où la possibilité de la damnation est ignorée de nombreux catholiques.

On constate également le très grand nombre de chants nouveaux, tous en eux-mêmes traditionnels — aucun n’est une composition néo-grégorienne contemporaine — mais employés traditionnellement en d’autres circonstances (Carême, Semaine Sainte et Temps per annum pour l’essentiel). L’adéquation pastorale de ces chants à la messe pour les défunts ne fait pas de doute ; je juge simplement nécessaire de les marquer comme des innovations, ce qu’ils sont indubitablement.

On constate également avec tristesse l’absence d’un certain nombre de chants bien représentés dans les sources médiévales, c’est à dire simultanément bien documentés et significatifs au point de vue de la tradition liturgique occidentale. Voici la liste de ces pièces du propre pro defunctis qui ont connu une extension géographique importante, ou constituent un propre local d’une importance majeure (Rome, Paris) et qui ont été employés durant plusieurs siècles, et qui restent à ce jour absents du Graduel romain dans la forme ordinaire :

Intr.Si enim credimus (Picardie, Flandres, Allemagne, 9e-13e) (non restauré)
Rogamus te Domine (Rome et Italie, 11e-13e) (statut inconnu)
Grad.Qui Lazarum (Rome et Italie, 11e-13e ; Saint-Gall, 11e) (non restauré ; peut-être identique au répons Qui Lazarum de l’office des morts moderne ?)
Tract.Commovisti (tradition clunisienne ; Bavière, 12e-13e) (restauré, attribué au 2e dimanche de Carême)
Seq.Dies iræ (France, Belgique, 12e-14e ; monde entier, 14e-20e)
De profundis exclamantes (France, 11e-13e) (non restauré ; transcrit de Ms2 par l’auteur)
Off.O pie Deus (Aquitaine, 11e ; France et Italie, 12e-13e) (restauré par Dom Rupert Fischer)
Erue Domine (Noyon, 9e ; France, Belgique, Allemagne, 10e-13e) (restauré par Dom Rupert Fischer)
Co.Qui Lazarum (Rome, 11e-13e)
Dona eis Domine (Suisse et Allemagne, 9e-13e)
Audivi vocem (Lombardie, Suisse et Allemagne, 9e-12e)
Absolve Domine (Rhénanie, 11e ; toute l’Europe, 12e-13e)
Pro quorum memoria (Rhénanie, 11e ; toute l’Europe, 12e-13e)
Omne quod dat (Noyon, 9e ; Italie, 12e-13e)
Tuam Deus (Rome, 11e ; Allemagne, 11e-13e)
Chants de la messe pour les défunts manquants au Graduel dans la forme ordinaire

Certains de ces chants sont déjà restaurés, en particulier les offertoires grâce à Dom Rupert Fischer. Certains sont largement documentés mais manquent de sources notées et ne seront probablement pas restaurables.

Il est à noter que les antiennes médiévales qui ont regroupées, dans le missel tridentin, pour former la liturgie de la mise en terre, sont reconduites dans cette fonction presque à l’identique.

Conclusion

En conclusion, il y a lieu de se réjouir du fait que la réforme liturgique ait permis de retrouver une diversité légitime d’options pour les Messes pour les défunts, diversité qui correspond à la réalité liturgique historique. Les innovations qui consistent à permettre des pièces, certes idoines, mais dont l’emploi historique aux Messes pour les défunts n’est pas attesté, ne sont pas néfastes en elles-mêmes ; mais il me semble qu’une distinction spéciale aurait dû être attribuée aux options véritablement traditionnelles, et que certaines options traditionnelles doivent encore être restaurées.

S’il devait arriver quelque chose à l’auteur, ses proches auront l’amabilité d’implorer Dieu pour son âme au son de l’introït Requiem, du graduel Si ambulem, du trait Sicut cervus (de préférence dans sa version palestrinienne), de la séquence De profundis exclamantes, de l’offertoire Domine Jesu Christe et de l’antienne de communion Lux æterna.

[Grégorien] Quel ordinaire pour quelle messe ?

Nombreux sont, de nos jours, les responsables de la musique liturgique qui souhaitent réintroduire le chant vénérable de l’Eglise romaine, le chant grégorien, dans nos célébrations liturgiques, selon le souhait exprimé par l’Eglise au Second Concile du Vatican (cf Constitution sur la Sainte Liturgie, par. 116). Le plus simple est encore de commencer par l’ordinaire (Kyrie, Gloria, Sanctus, Agnus). Cependant, la tradition romaine offre un grand nombre d’ordinaires grégoriens pour chaque temps liturgique, ou type de fête, et il peut être difficile de s’y retrouver.

Nous reproduisons ici, comme un pense-bête, les indications pour l’usage des différents ordinaires, tels que donnés dans le Liber Usualis de 1962. On notera qu’elles ne couvrent pas tout à fait toutes les possibilités ; par exemple, le temps de la Septuagésime n’est pas déterminé, mais l’absence de Gloria pousse à user des ordinaires qu’on utiliserait en Carême.

Pour la forme ordinaire, il est sans doute utile de rappeler que les « fêtes de premières classes » correspondent au « solennités », les « fêtes du deuxième classe », aux « fêtes », et les « fêtes du troisième classe », aux « mémoires ». Ce qu’on appelle « commémoraison » dans la forme extraordinaire a disparu lors de la Réforme de 1969, à moins que l’on considère les « mémoires optionnelles » comme leurs successeurs. De mêmes, les « Vigiles », jours de préparation pénitentiels aux grandes fêtes, célébrées en violet, n’existent plus.

Enfin, il faut remarquer que la coutume a souvent usé d’un ordinaire plus largement que ne le prévoit le Liber ; ainsi, la messe VIII « De Angelis » est concrètement chantée lors de nombreux dimanches du temps ordinaire, ainsi qu’aux dimanches du temps de Noël.

Il est souhaitable que les fidèles soient exposés à une diversité suffisante d’ordinaires grégoriens, qui puissent nourrir leur piété en harmonie avec le cycle de la Liturgie. Puisse ce petit article y contribuer.

Temps pascal : Messe I (Lux et Origo)

Dimanches en vert : XI (Orbis factor)

Dimanches de l’Avent et de Carême : XVII

Fêtes de 1è classe : Messe II (Kyrie fons bonitatis), III (Kyrie Deus sempiterne)

Fêtes de 2è classe : IV (Cunctipotens Genitor Deus), V (Kyrie magnae Deus potentiae), VI (Kyrie Rex Genitor), VII (Kyrie Rex splendens), VIII (De Angelis)

Fêtes de 3è classe : XII (Pater cuncta), XIII (Stelliferi conditor orbis), XIV (Jesu redemptor)

Fêtes de la Vierge : IX (Cum Jubilo), X (Alme Pater, moins solennel)

Aux commémoraisons et aux féries du temps de Noël : XV (Dominator Deus)

Féries en vert : XVI

Féries de l’Avent et du Carême, Vigiles, Quatre-Temps et Rogations : XVIII (Deus Genitor Alme)

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