Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

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Pourquoi Romains 12,1 est la clé de Ratzinger pour l’esprit et la vérité du culte ( Mariusz Biliniewicz )

Article provenant du site Adoremus, vous retrouverez l’article original ici.

Mariusz Biliniewicz est actuellement directeur du bureau de liturgie de l’archidiocèse de Sydney, en Australie. Il a travaillé à l’Université de Notre Dame d’Australie en tant que maître de conférences en théologie et doyen associé de la recherche et du développement académique. Il a étudié et travaillé en Pologne, en Irlande et en Australie, et a donné des conférences et publié des articles à l’échelle internationale sur un certain nombre de sujets théologiques. Il s’intéresse à la théologie catholique contemporaine, à la liturgie, aux sacrements, au Concile Vatican II, aux intersections entre l’ecclésiologie et la théologie morale, à la foi et à la raison, et à la théologie systématique générale.


Dans les religions pré-chrétiennes, le sacrifice était toujours associé à la destruction et à l'expiation : l'homme, conscient de sa culpabilité, voulait offrir à Dieu (ou aux dieux) quelque chose qui lui apporterait le pardon et la réconciliation. En même temps, ces tentatives de réconciliation avec la divinité étaient toujours accompagnées d'un sentiment d'inadéquation et d'insuffisance : l'offrande ne pouvait toujours être qu'un remplacement du véritable don, qui est l'homme lui-même. Les animaux ou les fruits de la récolte ne pouvaient pas satisfaire Dieu et ne pouvaient servir que de représentation imparfaite de celui qui les offre. Source de l'image : AB/Wikipdedia

Dans les religions pré-chrétiennes, le sacrifice était toujours associé à la destruction et à l’expiation : l’homme, conscient de sa culpabilité, voulait offrir à Dieu (ou aux dieux) quelque chose qui lui apporterait le pardon et la réconciliation. En même temps, ces tentatives de réconciliation avec la divinité étaient toujours accompagnées d’un sentiment d’inadéquation et d’insuffisance : l’offrande ne pouvait toujours être qu’un remplacement du véritable don, qui est l’homme lui-même. Les animaux ou les fruits de la récolte ne pouvaient pas satisfaire Dieu et ne pouvaient servir que de représentation imparfaite de celui qui les offre.
Source de l’image : AB/Wikipdedia

Romains 12,1 doit être l’une des citations bibliques préférées de Joseph Ratzinger/Benoît XVI. Elle apparaît dans plusieurs de ses principaux ouvrages sur la liturgie, et elle est souvent utilisée dans son traitement de la nature sacrificielle de l’Eucharistie. Dans ce passage, saint Paul écrit : « Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à présenter vos corps comme un sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu, ce qui constitue votre culte spirituel » (Revised Standard Version). L’idée de « culte spirituel » (Gr. λογικὴν λατρεία) est traduite dans la langue anglaise de diverses manières : la New International Version parle de  » culte vrai et approprié « , la Douay Rheims-American Edition de « service raisonnable « , l’American Standard Version de « service spirituel « , la Christian Standard Bible de  » vraie culte « , le Phillips New Testament in Modern English de  » culte intelligent « , la New American Standard Bible de  » service spirituel du culte « , la New Catholic Bible de  » un acte spirituel de culte  » et la New English Translation de « service raisonnable « .

Dans l’Ancien Testament, des sacrifices sanglants d’animaux devaient être offerts par les prêtres à Dieu afin de reconnaître sa souveraineté et d’obtenir sa bénédiction. Cependant, le culte du Temple prescrit par la Loi « était aussi toujours accompagné d’un vif sentiment de son insuffisance. » Le peuple de Dieu s’est lentement et progressivement rendu compte qu’il n’y avait rien qu’il puisse offrir à Dieu qui possède tout. Dieu voulait autre chose….
Source de l’image : AB/Wikipedia

Pour comprendre ce que cette idée signifie pour Ratzinger, nous devons la placer dans le contexte de sa compréhension générale du sacrifice au sens chrétien (saint Paul parle de « sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu »). Dans L’esprit de la liturgie (SL), Ratzinger estime que la véritable signification du sacrifice chrétien (c’est-à-dire la messe) est « enfouie sous les débris d’interminables malentendus » (SL, 27) et que cela pose des problèmes non seulement dans le dialogue œcuménique avec les chrétiens non catholiques, mais aussi dans le débat théologique et liturgique interne au catholicisme.

Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre.

Romains 12,1

Le Sacrifice avant le Christ

Ratzinger croit que « dans toutes les religions, le sacrifice est au cœur du culte » (SL, 27) et que la centralité de ce concept dans l’histoire des religions est l’expression de quelque chose d’important, une réalité qui nous concerne également (SL, 19). Dans les religions préchrétiennes, le sacrifice était toujours associé à la destruction et à l’expiation : l’homme, conscient de sa culpabilité, voulait offrir à Dieu (ou aux dieux) quelque chose qui lui apporterait le pardon et la réconciliation. En même temps, ces tentatives de réconciliation avec la divinité étaient toujours accompagnées d’un sentiment d’inadéquation et d’insuffisance : l’offrande ne pouvait toujours être qu’un remplacement du véritable don, qui est l’homme lui-même. Les animaux ou les fruits de la moisson ne pouvaient pas satisfaire Dieu et ne pouvaient servir que de représentation imparfaite de celui qui les offre.

On peut dire la même chose du système sacrificiel de l’Ancien Testament. Des sacrifices sanglants d’animaux devaient être offerts par les prêtres à Dieu afin de reconnaître sa souveraineté et d’obtenir sa bénédiction. Cependant, le culte du Temple prescrit par la Loi « était toujours accompagné d’un vif sentiment de son insuffisance » (SL, 39). Le peuple de Dieu s’est lentement et progressivement rendu compte qu’il ne pouvait rien offrir à Dieu qui possède tout. Dieu voulait autre chose : « Plus précieuse que le sacrifice est l’obéissance, la soumission meilleure que la graisse des béliers ! » (1 Samuel 15, 22) ;  » Je désire l’amour inébranlable et non les sacrifices, la connaissance de Dieu, plutôt que les holocaustes  » (Osée 6, 6). Cela a été confirmé par Dieu lui-même qui, par l’intermédiaire des prophètes, a accusé Israël de cultiver des gestes vides qui ne s’accompagnent pas d’une transformation intérieure du cœur :  » Si j’avais faim, je ne te le dirais pas, car le monde et tout ce qu’il contient est à moi. Est-ce que je mange la chair des taureaux, ou est-ce que je bois le sang des chèvres ? Offre à Dieu un sacrifice d’action de grâces, et fais tes vœux au Très-Haut » (Psaume 50 [49], 12-14) ; ou encore : « Je déteste, je méprise vos fêtes, et je ne prends aucun plaisir à vos assemblées solennelles. Vous me proposez vos holocaustes et vos offrandes de céréales, mais je ne les accepte pas, et je ne regarde pas les sacrifices de paix de vos bêtes grasses. Éloigne de moi le bruit de tes chants, je n’écouterai pas la mélodie de tes harpes » (Amos 5:21-23).

Le véritable abandon à Dieu consiste en l’union de l’homme et de la création avec Dieu. l’appartenance à Dieu n’a rien à voir avec la destruction ou le non-être : il s’agit plutôt d’une manière d’être. cela signifie se perdre soi-même comme seule manière possible de se trouver soi-même.

Un tournant s’est produit avec l’exil à Babylone. En terre étrangère, il n’y avait pas de Temple, pas de forme publique et communautaire du culte divin tel que décrété dans la loi. Israël était privé de culte et se tenait devant Dieu les mains vides. Or, c’est précisément cette situation de crise qui a entraîné une révision de la théologie du culte dans l’Ancien Testament. C’est précisément « le vide même des mains d’Israël, la lourdeur de son cœur, qui devait désormais être un culte, servir d’équivalent spirituel aux oblations manquantes du Temple ». Ce sont les souffrances d’Israël  » par Dieu et pour Dieu, le cri de son cœur brisé, sa plaidoirie persistante devant le Dieu silencieux, qui devaient compter à ses yeux comme des « sacrifices gras » et des holocaustes entiers  » (SL, 45).

La situation dans laquelle se trouvait Israël a coïncidé avec la rencontre de la critique grecque du culte en tant que tel. Celle-ci a conduit au développement de l’idée de λογικὴν λατρεία (θυσία) : le culte spirituel, le culte selon le Logos, c’est-à-dire selon la raison. C’est à cette idée que Romains 12,1 fait allusion. Dans l’Ancien Testament, le peuple de Dieu a fini par se rendre compte que la reconnaissance de la souveraineté de Dieu sur toutes choses ne consiste pas en une destruction, mais en quelque chose de complètement différent. Comme l’affirme Ratzinger, « [la véritable reddition à Dieu] consiste dans l’union de l’homme et de la création avec Dieu. L’appartenance à Dieu n’a rien à voir avec la destruction ou le non-être : elle est plutôt une manière d’être. Cela signifie se perdre soi-même comme la seule manière possible de se trouver soi-même (cf. Marc 8, 35 ; Matthieu 10, 39) » (SL 28, « Théologie de la Liturgie » (TL), 25).

En même temps, un aspect important est ajouté ici par Ratzinger, à travers l’influence de son grand maître, saint Augustin d’Hippone. Cette transformation conduisant à l’union de l’être humain avec Dieu, qui est le vrai et propre sacrifice agréable à Dieu, ne doit pas être réalisée seulement au niveau des individus, mais au niveau de la communauté. Il y a donc une composante ecclésiologique très importante dans la pensée de Ratzinger. Augustin enseigne que le véritable accomplissement du culte a lieu lorsque « toute la communauté humaine rachetée, c’est-à-dire l’assemblée et la communauté des saints, est offerte à Dieu en sacrifice par le Grand Prêtre qui s’est offert lui-même » (Cité de Dieu, X,8 ; voir : TL, 25). En d’autres termes, « le sacrifice, c’est nous-mêmes…, la multitude : un seul corps dans le Christ » (TL, 25) ; « le véritable « sacrifice » est la civitas Dei, c’est-à-dire l’humanité transformée par l’amour, la divinisation de la création et l’abandon de toutes choses à Dieu : Dieu tout en tous (cf. 1 Corinthiens 15, 28). Telle est la finalité du monde. C’est l’essence du sacrifice et du culte » (SL, 25).

La théologie de Ratzinger sur le sacrifice du Christ est largement fondée sur sa lecture de l’Évangile de saint Jean et de la Lettre aux Hébreux. De l’épître aux Hébreux, Ratzinger retient l’idée que le sacrifice du Christ est offert une fois pour toutes, sur l’autel de la croix, le Christ étant le nouveau et ultime Grand Prêtre. De Jean, il retient l’idée que le Christ est aussi le nouveau temple.
Source de l’image : AB/Wikimedia. Giovanni Bellini (vers 1430 -1516)

La nouvelle alliance et l’Eucharistie

Si le fait de lier les sacrifices d’animaux à l’idée d’un culte selon la raison/Logos était un pas dans la bonne direction, la nature humaine est toujours constituée d’un esprit et d’un corps. Si l’aspect spirituel du culte est premier et essentiel, la nature humaine aspire toujours à une expression extérieure de cette soumission intérieure à Dieu. C’est là que le concept grec de λογικὴν λατρεία tombe à plat, car il ne rend pas justice à la condition pscyhosomatique humaine – notre lutte naturelle pour exprimer notre dimension spirituelle par des moyens physiques. C’est là qu’arrive l’accomplissement final de cette idée avec l’événement de l’Incarnation du Logos, le Fils divin – dans lequel, finalement, Dieu et l’homme se rencontrent en une seule personne, le Christ.

La théologie de Ratzinger sur le sacrifice du Christ est largement fondée sur sa lecture de l’Évangile de saint Jean et de la Lettre aux Hébreux. De l’épître aux Hébreux, Ratzinger retient l’idée que le sacrifice du Christ est offert une fois pour toutes, sur l’autel de la croix, le Christ étant le nouveau et ultime Grand Prêtre. De Jean, il tire l’idée que le Christ est aussi le nouveau temple – c’est son humanité que Jésus a à l’esprit lorsqu’il annonce :  » Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai  » (Jean 12,19). L’événement de la purification du Temple est plus qu’un simple coup de colère contre les marchands et les abus qui avaient lieu à cette époque. C’est « une attaque contre le culte du Temple, dont faisaient partie les animaux sacrifiés et l’argent spécial du Temple collecté à cette occasion » (SL, 43). La mort du Christ sur la croix, suivie de la déchirure du rideau du Temple en deux, puis, dans les années à venir, de la destruction physique du Temple, a mis fin à l’ancienne économie du culte et inauguré la nouvelle : le vrai culte aura désormais lieu dans le nouveau Temple, dans le Christ lui-même, qui est la demeure du Père et de l’Esprit.

Les désirs de tous les systèmes religieux pré-chrétiens et le dynamisme du culte de l’ancien testament sont pleinement réalisés dans le sacrifice de la messe.

Le sacrifice de Jésus sur la croix, cependant, est constamment re-présenté par l’Église lorsque le sacrement de l’Eucharistie est célébré. L’événement une fois pour toutes dépasse les frontières historiques et déborde sur le passé et le présent : si nous mentionnons Abel, Abraham et Melchisédek dans le Canon romain comme ceux qui participent également à l’offrande de l’Eucharistie, alors dans la célébration de la messe nous avons affaire à quelque chose de plus qu’un simple mémorial compris comme le souvenir d’un événement important du passé. Comme l’explique Ratzinger, le εφάπαξ, c’est-à-dire une fois pour toutes, est lié au αἰώνῐος, c’est-à-dire éternel ; et le semel, c’est-à-dire une fois, porte en lui le semper, c’est-à-dire toujours (SL, 56-57).

C’est dans le contexte de la célébration chrétienne de l’Eucharistie qu’il faut comprendre l’énoncé de Paul dans Romains 12,1. Notre « culte spirituel » consiste en notre soumission à Dieu « en esprit et en vérité » (Jean 4,24). Cette soumission est intérieure (spirituelle), mais aussi physique (corporelle)-même si pour  » corps  » Paul utilise le terme grec plus générique σῶμα plutôt que le plus spécifique σάρξ, il ne fait aucun doute qu’il parle ici de la personne entière. Cette soumission de la personne humaine n’a pas lieu, en quelque sorte, de manière isolée ou parallèle à la soumission du Christ au Père représentée dans l’Eucharistie, mais en relation profonde avec elle. Dans l’Eucharistie, l’élément spirituel est combiné avec l’élément physique – à travers les signes et les actions visibles, des réalités invisibles et spirituelles prennent place. Les aspirations de tous les systèmes religieux pré-chrétiens et le dynamisme du culte de l’Ancien Testament se réalisent pleinement dans le sacrifice de la Messe, où l’offrande physique ne peut être un simple geste vide qui peut (ou non) exprimer une disposition intérieure de la personne. La personne qui offre ce sacrifice, le Christ lui-même, offre au Père son esprit et son corps, et l’Église est invitée et entraînée dans ce processus de soumission dans l’amour. Les deux faces d’une même médaille, l’offrande extérieure et la disposition intérieure, deviennent dans le Christ la réalité, et elles se perpétuent dans le don de l’Eucharistie.

Tout comme la philosophie peut préparer le terrain pour la foi (« le dieu des philosophes » est en même temps le dieu biblique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob), l’idée grecque de « culte spirituel/raisonnable » peut être comprise comme une préparation au vrai culte « en esprit et en vérité » qui vient avec la révélation du logos incarné.

Culte : raisonnable, spirituel et vrai

La façon dont Ratzinger comprend le concept de λογικὴν λατρεία dans Romains 12:1 est révélatrice de la façon dont il comprend la relation générale entre les idées qui proviennent de l’extérieur du christianisme, et la révélation divine que nous connaissons par la Bible et la Tradition. Tout comme la philosophie peut préparer le terrain pour la foi (« le Dieu des philosophes » est en même temps le Dieu biblique d’Abraham, d’Isaac et de Jacob), l’idée grecque de « culte spirituel/raisonnable » peut être comprise comme une préparation au vrai culte « en esprit et en vérité » qui vient avec la révélation du Logos incarné. Les écritures et la théologie chrétiennes reprennent les concepts et les idées non chrétiennes qui indiquent la bonne direction et les remplissent d’une nouvelle signification, la signification ultime qui vient de Jésus-Christ, le Verbe (Logos) du Père.

Cet accomplissement ne complète pas la révélation chrétienne avec quelque chose qu’elle ne posséderait pas autrement ; mais il aide à faire ressortir et à articuler ces éléments qui sont déjà là, même s’ils ne sont pas toujours présents de manière évidente, ou même s’ils ne sont pas perçus avec facilité. Le dialogue entre la raison humaine et la foi a lieu dans tous les domaines de la théologie, y compris dans celui de la liturgie et des sacrements. Les catholiques sont habitués depuis longtemps à unir leurs propres offrandes au Sacrifice de la Messe. L’analyse que fait Ratzinger de Romains 12,1 nous aide à comprendre encore mieux la relation intérieure qui existe entre le sacrifice de l’autel et nos propres offrandes spirituelles que nous apportons à l’Eucharistie, afin que le culte promis « en esprit et en vérité » (Jean 4,24) devienne une réalité toujours plus complète dans nos vies.

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — partie VI : La période de formation de la liturgie latine

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.


Au quatrième siècle, la ville de Rome n’est plus le centre du pouvoir politique, mais sa culture classique conserve une emprise sur les élites de l’Empire romain. À partir du pape Damas (r. 366-384), un effort conscient a été fait pour évangéliser les symboles de la culture romaine pour la foi chrétienne. Une partie de ce projet consistait à christianiser l’espace public par le biais d’un vaste programme de construction qui devait transformer Rome en une ville dominée par les églises[1]. Une autre partie importante de ce projet était la christianisation du temps public ; un cycle de fêtes chrétiennes tout au long de l’année remplaçait les célébrations païennes, comme le montre le depositio martyrum de la Chronographie de 354. Ce calendrier liturgique, que l’on peut dater de l’année 336, commence par la fête de la Nativité du Christ (25 décembre) et énumère les célébrations des martyrs de Rome avec le lieu de la ville où ils étaient commémorés[2].

Le grec occupait une place considérable dans le culte des premières communautés chrétiennes de Rome, et on trouve encore des traces de son usage au milieu du IVe siècle. La formation d’un idiome liturgique latin, qui faisait partie de cet effort de grande envergure, ne peut pas être simplement décrite comme l’adoption de la langue vernaculaire dans la liturgie, si l’on entend par « vernaculaire » le terme « familier ». Le latin du canon, des collectes et des préfaces de la messe était une forme de discours très stylisée, façonnée pour exprimer des idées théologiques complexes, et n’aurait pas été facile à suivre pour le chrétien romain moyen de l’Antiquité tardive. De plus, l’adoption de la latinitas rendait la liturgie plus accessible à la plupart des habitants de la péninsule italienne, mais pas à ceux d’Europe occidentale ou d’Afrique du Nord dont la langue maternelle était le gothique, le celtique, l’ibérique ou le punique.

La canon de la messe

La source la plus importante pour la prière eucharistique romaine primitive est la série de catéchèses d’Ambroise de Milan pour les nouveaux baptisés, datant d’environ 390, connue sous le titre De sacramentis. Ambroise note qu’il suit en tout le  » modèle et la forme  » de l’Église romaine, ce qui implique que la même prière eucharistique qu’il cite était également utilisée à Rome[3]. [Les prières qu’il cite correspondent au noyau du Canon missae ultérieur : la première prière épiclétique demandant la consécration des offrandes eucharistiques (Quam oblationem), le récit de l’institution (Qui pridie), l’anamnèse et l’acte d’offrande (Unde et memores), la prière pour l’acceptation du sacrifice (Supra quae), et la deuxième prière épiclétique pour les fruits spirituels de la communion sacramentelle (Supplices te rogamus)[4].

Le plus ancien témoignage physique disponible du canon, bien que sous une forme quelque peu déformée, est le Missel de Bobbio, une source importante pour la tradition gallicane datant du début du VIIIe siècle. Le texte qui apparaît, avec des variations mineures, dans l’ancien sacramentaire gélasien du milieu du huitième siècle, reflète la pratique liturgique romaine du milieu du septième siècle, si ce n’est plus tôt. Les différences entre la prière eucharistique d’Ambroise et le canon reçu sont beaucoup moins remarquables que leurs similitudes, étant donné que les plus de deux siècles qui les séparent ont été une période de développement liturgique intense et dynamique.

La rhétorique du salut

La prière liturgique est une forme de discours public, et c’est pourquoi, dans l’Antiquité chrétienne, les trois officia (devoirs ou tâches) de la rhétorique classique lui ont été appliqués : la prière liturgique est un moyen d’enseigner la foi (docere) ; la beauté de son langage fait appel au sens esthétique des fidèles (delectare) ; et sa force rhétorique incite les fidèles à une vie vertueuse (movere)[5]. Les prières liturgiques qui nous sont parvenues dans les sacramentaires romains du haut Moyen Âge ont donc été rédigées selon des règles techniques de composition. Le caractère rhétorique de ces textes est évident dans la prière eucharistique citée par Ambroise. Par exemple, la formule de demande « et petimus et precamur »[6] (« nous demandons et prions tous les deux ») est un exemple de doublement du verbe, qui est typique du culte classique (païen). Ce trait stylistique se retrouve également dans la section Te igitur du canon grégorien, mais sans l’allitération : « supplices rogamus ac petimus » (« nous faisons une humble prière et une pétition »).

Un autre exemple de rhétorique efficace dans la prière liturgique est l’accumulation de quasi-synonymes. Chez Ambroise, la requête d’accepter l’oblation est intensifiée par trois épithètes : Dans la prière Quam oblationem du canon grégorien, cette séquence est portée à cinq épithètes :  » Que cette offrande soit agréée, raisonnable, acceptable  » (scriptam, rationabilem, acceptabilem) [7] :  » Laquelle oblation il te plaît, ô Dieu, nous t’en prions, de rendre en toutes choses bénie, approuvée, ratifiée, raisonnable et acceptable  » (benedictam, adscriptam, ratam, rationabilem, acceptabilemque), avec l’ajout notable du terme juridique  » ratus  » ( » ratifié, valide « ).

Les collectes

Les prières présidentielles appelées collectes ont une origine plus tardive que la prière eucharistique et pourraient remonter à la première moitié du Ve siècle. Leur style typique est déjà bien établi dans les premiers exemples qui nous sont parvenus dans le manuscrit de Vérone (également connu sous le nom de « Sacramentaire léonin »), qui date du premier quart du VIIe siècle, mais qui contient des éléments datés de 400 à 560. Le style des collectes est laconique, équilibré et économique dans l’expression ; chaque prière consiste généralement en une seule phrase, même si la syntaxe peut parfois être complexe. Dans son étude des collectes dominicales du Missale Romanum, où sont conservés les matériaux euchologiques les plus anciens du rite romain, Mary Gonzaga Haessly fait la distinction entre une Protasis (prélude), qui est « la base ou l’arrière-plan de la Pétition », et une Apodosis (thème), qui « est, en général, la partie de la Collecte qui exprime le but de la Prière, ou l’objectif vers lequel elle tend »[8]. Cette structure peut être illustrée par l’exemple d’une collecte dominicale déjà contenue dans l’ancien sacramentaire gélasien (milieu du VIIIe siècle). Cette prière est remarquable par sa beauté littéraire et sa richesse théologique :

Dieu tout-puissant, toujours vivant,
qui dans l’abondance de ta bonté
surpasse les mérites et les désirs de ceux qui t’implorent,
répands ta miséricorde sur nous :
pour pardonner ce que la conscience redoute
et donne ce que la prière n’ose pas demander.
Par notre Seigneur…. [9]

Les préfaces

C’est une caractéristique des liturgies occidentales que la préface, considérée à l’origine comme le début de la prière eucharistique, varie selon le temps liturgique ou la fête. Son thème général, qui est la louange et l’action de grâce pour l’économie divine du salut, conduit au cœur du sacrifice eucharistique. La préface correspond à l’appel du célébrant au peuple : « Élevez vos cœurs » (Sursum corda), et présente un ton lyrique distinct. Le grand nombre de préfaces dans les sources romaines anciennes suggère que l’improvisation et la nouvelle composition ont prévalu ici pendant une plus longue durée que pour les autres parties de la messe. L’exemplaire du sacramentaire grégorien, envoyé par le pape Hadrien Ier à Charlemagne à la fin du VIIIe siècle (l’Hadrianum), ne comporte que 14 préfaces, et ce schéma a prévalu au cours du Moyen Âge, lorsque le nombre de préfaces a été strictement limité. Cet élagage était sans doute trop radical, mais il y avait de bonnes raisons à cela : de nombreuses préfaces anciennes sont abondantes dans leur style et leur contenu, et elles introduisent des thèmes idiosyncrasiques qui peuvent nuire à la louange et à l’action de grâce à Dieu, qui marquent l’ouverture de la prière eucharistique. Le Missale Romanum de 1570 compte 11 préfaces, auxquelles plusieurs ont été ajoutées au XXe siècle. Après le Concile Vatican II, le corpus des préfaces a été considérablement élargi pour atteindre 81 dans le Missale Romanum de 1970, et d’autres ont été ajoutées dans les deuxième et troisième éditions typiques[10].

Conclusion

Les quatrième et cinquième siècles constituent une étape cruciale dans le développement de la liturgie latine. Le canon et les prières variables de la messe s’inspirent du style de la prière païenne, mais leur vocabulaire et leur contenu sont typiquement chrétiens, voire bibliques. Leur diction évite l’exubérance du style de prière des chrétiens orientaux, un style que l’on retrouve également dans la tradition gallicane. Beaucoup des premiers recueils sont considérés comme des chefs-d’œuvre littéraires. Christine Mohrmann parle à juste titre de la combinaison fortuite d’un renouvellement du langage, inspiré par la nouveauté de la révélation chrétienne, et d’un traditionalisme stylistique profondément enraciné dans le monde romain[11]. La formation de cet idiome liturgique a contribué de manière significative à l’effort global des dirigeants de l’Église de l’Antiquité tardive pour évangéliser la culture classique. Dans le prochain épisode, j’examinerai la liturgie statique papale, qui a été décisive pour le développement de la forme rituelle de la messe romaine.


Pour les volets précédents de la série « Brève histoire du rite romain de la messe » du Père Lang, voir la premièrela deuxième partiela troisième partie, la quatrième partie et la cinquième partie.


Notes :

  1. See the beautifully illustrated volume by Hugo Brandenburg, Ancient Churches of Rome from the Fourth to the Seventh Century: The Dawn of Christian Architecture in the West, trans. Andreas Kropp, Bibliothèque de l’Antiquité Tardive 8 (Turnhout: Brepols, 2005). 
  2. See Paul F. Bradshaw and Maxwell E. Johnson, The Origins of Feasts, Fasts and Seasons in Early Christianity (Collegeville, MN: Liturgical Press, 2011), 175. 
  3. Ambrose, De sacramentis III,1,5: CSEL 73,40. 
  4. Ambrose, De sacramentis IV,5,21-22; 6,26-27: CSEL 73,55 and 57. The term “canon” seems to have been used first in the sixth century; the oldest known reference to “prex canonica” is Pope Vigilius, Ep. ad Profuturum, 5: PL 69,18. 
  5. See Mary Gonzaga Haessly, Rhetoric in the Sunday Collects of the Roman Missal: with Introduction, Text, Commentary and Translation (Cleveland: Ursuline College for Women, 1938), 5. 
  6. Ambrose, De sacramentis, IV,6,27: CSEL 73,57. 
  7. Ambrose, De sacramentis, IV,5,21: CSEL 73,55. 
  8. Haessly, Rhetoric in the Sunday Collects of the Roman Missal, 13. 
  9. Roman Missal: Renewed by Decree of the Most Holy Second Ecumenical Council of the Vatican, Promulgated by Authority of Pope Paul VI and Revised at the Direction of Pope John Paul II, English translation according to the third typical edition (London: Catholic Truth Society, 2011), Twenty-Seventh Sunday in Ordinary Time. 
  10. See The Prefaces of the Roman Missal: A Source Compendium with Concordance and Indices, ed. Anthony Ward and Cuthbert Johnson (Rome: C.L.V.–Edizioni liturgiche, 1989). 
  11. See Christine Mohrmann, Liturgical Latin: Its Origins and Character: Three Lectures (London: Burns & Oates, 1959). 

Benoît XVI : liturgiquement inclassable

Esprit de la Liturgie a le plaisir de publier cette tribune libre de Dom Alcuin Reid, dont nous partageons le propos sans être associés à son monastère.

Dom Alcuin Reid est historien de la liturgie, spécialiste du Mouvement Liturgique et des réformes du rite romain au XXème siècle.

Titre original : Pope Benedict XVI’s liturgical uncategorisability
Vous pourrez trouver le texte original en anglais sous sa traduction française.


Le problème que posait Benoît XVI est qu’on ne pouvait pas le mettre dans une case ou lui coller une étiquette politique. Pour ceux qui vivent dans de telles cases, c’est là un obstacle infranchissable. Pour un traditionaliste, comment ce pape pouvait-il approuver la célébration de la liturgie d’après la réforme liturgique ? Pour les positivistes ultramontains (dont le positivisme s’arrête brusquement au 6 août 1978) comment pouvait-il réhabiliter, et encore pire, libérer, la liturgie d’avant la réforme ? Pour le sempiternellement anonyme “tradical” d’Internet, quelque soit la date de l’histoire de la liturgie à laquelle il se réfère, Benoît XVI n’est ni un traditionaliste d’une quelconque espèce, ni un moderniste : il est une incompréhensible énigme.

Dans une certaine mesure, c’est chose fâcheuse. Il est bien pratique, sur les plans psychologique, sociologique, théologique et liturgique, de se trouver une boîte, de s’y réfugier, et de profiter de la camaraderie qui y règne, pour ainsi dire. Ceux qui sont dedans vous applaudiront ; ceux qui sont dehors sont un rebut voué à la perdition. Mais que faire de quelqu’un qui jette un coup d’œil par-dessus le bord de la boîte, qui comprend et compatit avec les raisons de s’y réfugier, mais qui comprend également qu’il y a, et doit y avoir, une vie en-dehors d’elle aussi bien qu’au-dedans ?

Tel, en effet, était Joseph Ratzinger ; tel, également, Benoît XVI – sur les plans liturgique, ecclésial, pastoral. Il connaissait en effet la tradition, et il savait combien elle avait besoin – pour user d’un mot piégé – d’aggiornamento : d’un renouveau, d’un ressourcement en parfaite continuité avec la Tradition, qui permettrait à la splendeur de la Tradition de rayonner à nouveau avec clarté, et de jeter sur notre monde sordide sa lumière salvatrice.

Oui, tel était Joseph Ratzinger, prêtre, théologien, peritus au plus récent Concile Œcuménique, Archevêque, Cardinal-Préfet, et Pape. C’était un homme déconcertant, jamais disposé à s’asservir à un parti politique, qu’il soit ecclésial ou mondain. Il préférait, pour trouver l’inspiration, se tourner vers l’Orient, plutôt que vers les hommes.

Cependant, comme souvent lorsque l’âge et de grandes responsabilités pèsent sur les épaules et la conscience, il avait désigné de claires priorités pour son ministère comme Souverain Pontife de l’Église Universelle. La première était d’enseigner clairement l’idéal : liturgiquement, cela se retrouve dans son Exhortation Apostolique de 2007 Sacramentum Caritatis. Les “tradicaux” ne l’ont probablement jamais lue – elle y admet que les rites d’après la réforme existent ! Mais ils apprendraient beaucoup s’ils la lisaient. Ceux pour qui prennent les rites postconciliaires comme marque idéologique ne sont pas en reste : dans Sacramentum Caritatis, Benoît XVI replace ces rites dans le seul contexte où ils peuvent constituer des éléments acceptables dans la tradition liturgique catholique – dans une herméneutique de la continuité avec tout ce qui est reçu dans la Tradition. Le rejet de ces efforts sans autre forme de procès, même sur ce point, par tant de gens, est un témoignage suffisamment éloquent.

La deuxième priorité était l’application de ces principes, comme on le voit dans le Motu Proprio Summorum Pontificum de la même année – avec Anglicanorum Coetibus (2009), tous deux des exercices exceptionnels de la juridiction papale à notre époque. Summorum Pontificum est une autre leçon d’histoire de la liturgie, une leçon sur la nature de la Tradition catholique, et une leçon d’ecclésiologie, Le Souverain Pontife a acté qu’il était impossible d’interdire les anciennes liturgies du rite romain, non à cause de sa préférence personnelle, mais à cause de la nature de l’Église, de la Sainte Liturgie, et de la Tradition. L’Histoire s’en souviendra, une fois que les chiens auront cessé d’aboyer, comme d’une affirmation selon la réalité et la vérité, et non selon une préférence politique ou une idéologie : ceux qui la traitent ainsi se couvrent tout simplement de ridicule.

De même, Summorum Pontificum fut une sage réalisation de “ce que l’Esprit dit aux Églises” (Apocalypse 3:22). Benoît XVI pouvait voir clairement que beaucoup de gens, dont un grand nombre de jeunes, faisaient l’expérience, dans les rites anciens de l’Église, de cette participation pleine, consciente et réelle aux rites liturgiques à laquelle le Second Concile du Vatican avait appelé (cf. Sacrosanctum Concilium, 14). Bien que cela eût été tout à fait inattendu (puisque tout le monde partait du principe que les réformes du rite étaient essentielles pour atteindre à cette participation désirée par le Concile), c’était et est toujours une réalité vivante et fertile dans l’Église du vingt-et-unième siècle. Cette réalité doit non seulement être reconnue, mais aussi, pour le bien de l’Église et le salut des âmes, doit pouvoir vivre et croître, libre des contraintes de tant de potentats, dont les carrières ecclésiastiques incarnent à la perfection la fanfaronnade du “Modern Major-General” de Gilbert et Sullivan et de son insolent succès: “Et je n’ai jamais pensé à penser par moi-même”!

Joseph Ratzinger/Benoît XVI pensait bien par lui-même, de même que, fervemment, il priait, et aimait profondément. Voilà pourquoi il ne tenait pas dans une boîte (ni ne risquait d’y tomber). Ceux d’entre nous qui seraient tentés d’y trouver refuge feraient bien d’apprendre de sa sagesse et de son courage. Il y a du bon et du moins bon dans et au-dehors des frontières que nous avons nous-même tracées. Nous devons acquérir – et plaise à Dieu que Benoît XVI puisse bientôt intercéder pour nous à cette intention – la capacité à sortir de nos boîtes, qu’elles soient de carton, de verre, de cristal, de pierre, et à reconnaître, apprécier et contribuer à tout ce qui est vrai, beau et bon (et reconnaître clairement ce qui ne l’est pas) dans les circonstances si rapidement changeantes de l’Église et du monde au début du vingt-et-unième siècle.

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The problem with Pope Benedict XVI is that he did not fit into a neat category or political camp. For those who live inside such ideological boxes`, this is an insurmountable obstacle. For a liturgical traditionalist, how could he countenance the celebration of the reformed liturgical rites? For the papal positivists (whose positivism often goes no further than 6 August 1978) how could he rehabilitate, let alone liberate, the unreformed liturgical rites? For the on-line and ever-anonymous ‘rad-trad’ of whatever particular date in liturgical history he self-defines, Benedict XVI is neither a traditionalist of any sort, nor a modernist: he is simply an incomprehensible enigma.

To a certain extent this is an obstacle. It is utterly convenient psychologically, socially, theologically and liturgically to find a box (or to ‘purchase’ one on-line) and to jump into it and to enjoy the camaraderie, as it were. Those inside will cheer. Those outside it are fated to perdition. But what of someone who looks over the edge of the box, who understands and sympathises with the reasons for retreating into it, but who also understands that there is—and indeed there must be—life outside of it as well as within?

For such was Joseph Ratzinger; such was Pope Bendedict XVI—liturgically, ecclesiologically, pastorally. For he knew the tradition and he knew its need for—to use a loaded word—aggiornamento: for a renewal, a ressourcement, in utter continuity with Tradition, which would allow the splendour of the Tradition to shine anew with clarity and shed its saving light in the sordid world of our day.

Such indeed was Joseph Ratzinger, priest, theologian, peritus at the most recent ecumenical Council, Archbishop, Cardinal Prefect, and Pope. He was a disconcerting man, never ready to subscribe to a political party—ecclesiastical or secular. He preferred to turn toward the East for his inspiration, rather than to any human.

Yet, as happens to many when age and greater responsibility weighs on one’s shoulders (and one’s conscience), he delineated particular priorities for his ministry as Supreme Pontiff of the Universal Church. The first was clearly to teach the ideal: liturgically we have this in his 2007 Apostolic Exhortation Sacramentum Caritatis. Rad-trads have probably never read it—it admits of the existence of the reformed rites! But they would learn very much if they did. So would those for whom the new rites are an ideological benchmark: in Sacramentum Caritatis Pope Benedict places them in the only context in which they can be acceptable elements of Catholic liturgical tradition—in that of a hermeneutic of continuity with all that is received in Tradition. The a priori exclusion of his efforts even here by so many speaks loudly and clearly for itself.

The second priority was the application of the principles, and we see this in the Motu Proprio Summorum Pontificum of the same year—along with Anglicanorum Coetibus (2009), both exceptional exercises of papal jurisdiction in modern times. Summorum Pontificum is another lesson in liturgical history, in the nature of Catholic Tradition and in ecclesiology. The Supreme Pontiff ruled that it was impossible to forbid the older rites of the Roman use not because of his own preference, but because of the nature of the Church, of the Sacred Liturgy and of Tradition. This, as history shall record once the petty partisans have passed, is an assertion of reality and of truth, not of a political preference or ideology. Those who treat it as the latter simply make fools of themselves.

So too, Summorum Pontificum was a wise recognition of “what the spirit is saying to the churches” (Rev. 3:22). Pope Benedict could see clearly that many, including large numbers of the young, were experiencing in the older rites of the Church that full, conscious and real participation in the liturgical rites for which the Second Vatican Council called (cf. Sacrosanctum Concilium, 14). Whilst this was utterly unexpected (everyone assumed that the ritual reforms were essential to the participation desired by the Council), it was and is a living, fruitful reality on the Church of the twenty-first century: one which must be not only acknowledged, but one which, for the good of the Church and the salvation of souls, must live and grow unfettered by the numerous potentates whose ecclesiastical careers more than incarnate the boast of Gilbert and Sullivan’s infamously ‘successful’ Modern Major-General: “And I never thought of thinking for myself at all”!

Joseph Ratzinger/Pope Benedict did think for himself, just as he prayed fervently and loved deeply. That is why he did not fit (or fall) into a box. We who may be tempted to take refuge in one need to learn from his wisdom and from his courage. There is good and bad within and without the demarcations we ourselves lay down. What we must acquire—and please God may Benedict XVI soon be able to intercede for us in so doing—is the ability step out of our boxes, be they made of cardboard, glass, crystal or stone, and to recognise, value and contribute to all that is true, beautiful and good (and clearly to recognise what is not) in the rapidly changing circumstances of the Church and the world at the beginning of the twenty-first century.

Dom Alcuin Reid. Prieur
Monastère Saint-Benoit, Brignoles, France

« Église militante, connais-toi toi-même  » : le canon romain et l’appel à l’action de l’Église militante ( Ryan T. Ruiz s.l.d.) — Partie II

Note d’Esprit de la Liturgie : Esprit de la Liturgie est heureuse de présenter au public francophone la traduction d’une série d’articles du père Ryan T. Ruiz s.l.d., sur l’histoire du canon romain, parue le 25 oct. et le 28 nov. 2022 dans les colonnes de la revue liturgique américaine Adoremus.
Le père Ryan Ruiz est un prêtre de l’archidiocèse de Cincinnati. Il est actuellement doyen de l’école de théologie, directeur de la liturgie, professeur adjoint de liturgie et des sacrements, et membre du corps enseignant de formation au Mount St. Mary’s Seminary and School of Theology de Cincinnati. Le père Ruiz est titulaire d’un doctorat en liturgie sacrée de l’Institut liturgique pontifical de Sant’Anselmo, à Rome.


Dans sa réflexion sur la « catholicité » de l’Église, le cardinal Henri de Lubac (1896-1991) affirme que « l’Église n’est pas catholique » simplement « parce qu’elle est répandue sur toute la terre et qu’elle peut compter sur un grand nombre de membres » ; en effet, comme il le fait remarquer à juste titre, elle « était déjà catholique le matin de la Pentecôte, lorsque tous ses membres pouvaient être contenus dans une petite pièce ». « Au lieu d’une simple diffusion géographique, la « catholicité » de l’Église s’enracine plutôt dans la communion d’esprit et de cœur partagée par « l’homme nouveau », composé d’individus réunis en un seul Corps, un Corps dont la Tête est le Rédempteur2. Une réflexion similaire est reprise par Romano Guardini qui, dans L’esprit de la liturgie, affirme que la liturgie « n’est pas célébrée par l’individu, mais par le corps des fidèles », qui « n’est pas composé uniquement des personnes qui peuvent être présentes dans l’église », mais « dépasse les limites de l’espace pour embrasser tous les fidèles de la terre « 3.

Dans ce deuxième volet de notre série sur le Canon romain, nous passons d’un examen des fondements historiques du Canon à une discussion des diverses façons dont le Canon rappelle à l’Église militante – les fidèles ici sur terre – les liens de communion partagés aux niveaux local et universel. Cet essai analysera principalement un aspect du Canon qui souligne cette  » catholicité  » de l’Église et de sa liturgie – les prières d’intercession pour l’Église, qui comprennent également le Memento pour les vivants4 – tout en reconnaissant qu’il existe d’autres moments dans le Canon qui peuvent également servir à souligner la catholicité de l’Église5.

Aide souhaitée

La section du Canon traitant des intercessions générales pour les membres vivants de l’Église n’est pas unique à cette forme de la Prière eucharistique. En effet, toutes les Prières eucharistiques – tant dans le Rite romain que dans les Rites occidentaux orientaux et non romains6 – comprennent des commémorations similaires pour les vivants, ainsi que pour les morts.7 Cependant, en examinant ce que nous trouvons dans le Canon romain, nous constatons une certaine spécificité concernant les résultats attendus des requêtes offertes au nom de l’Église. L’aperçu des intercessions pour l’Église commence après que le prêtre ait humblement demandé au « Père très miséricordieux » d' »accepter et de bénir » l’oblation offerte. Une fois cela accompli, le prêtre identifie le premier bénéficiaire du sacrifice offert au Père : « pour votre sainte Église catholique ». Prosper Guéranger note que  » le premier intérêt qui est en jeu, quand on dit la messe, c’est la sainte Église, que rien n’est plus cher à Dieu ; il ne peut manquer d’être touché, quand on parle de son Église « 8.

En effet, les prières offertes au nom de toute l’Église sont quelque chose de bien observé dans la vie des premiers martyrs, dont beaucoup, comme saint Polycarpe (69-155 ap. J.-C.) et saint Fructuosus de Tarragone (mort en 259 ap. J.-C.), ont magnifiquement offert leur vie pour « toute l’Église catholique ».9 Jungmann s’attache à noter les deux marques ecclésiales attribuées à l’Église dans cette section du Canon qui manifestent sa grandeur : « L’Église est sainte ; elle est l’assemblée de ceux qui sont sanctifiés dans l’eau et dans l’Esprit Saint. […] Et elle est catholique ; selon le plan de grâce de Dieu, l’Église est destinée à tous les peuples, et au moment où ce mot a été inséré dans le canon, on pouvait dire triomphalement qu’elle s’étendait effectivement à tous les peuples, toto orbe terrarum « 10.

Et quelle requête offrons-nous au nom de l’Église sainte et catholique de Dieu ? Que le Seigneur Dieu veuille « lui accorder la paix, la garder, l’unir et la gouverner dans le monde entier ». Les deux premiers éléments de la demande – accorder à l’Église la paix (pacificare) et la garder (custodire) – sont tautologiques, bien que le dernier (custodire) fournisse l’expression négative nécessaire du premier (pacificare), indiquant que pour que l’Église soit un ferment pour le monde, elle doit d’abord être protégée des dangers qui se dressent contre elle.11 Mais ce qui est peut-être plus important que ces deux premiers éléments, ce sont les deux derniers dans lesquels il est demandé au Seigneur d’unir et de gouverner son Église, en indiquant l’essence de la « catholicité », du moins dans l’esprit de de Lubac et de Guardini : l’Église doit éviter le poison de la division en se soumettant au Dieu d’amour, qui unit son peuple élu dans un lien familial.

Protéger les bergers…

Les instruments choisis pour favoriser ce lien familial de communion sont ensuite introduits dans notre champ de vision : « Avec ton serviteur N. notre Pape et N. notre évêque « 12 Le mot « papa » – « père » – tiré du grec « πάπας », était initialement utilisé en référence à l’évêque local. Ce n’est qu’à partir du VIe siècle que ce titre affectueux est réservé au nom de l’évêque de Rome, tandis que l’évêque local reçoit un titre différent, apparemment plus formel et plus sacral : « Antistite nostro », « notre évêque » ou « grand prêtre « 13.

L’élément essentiel de la communion à laquelle les fidèles sont appelés, tant avec l’Église locale qu’avec l’Église universelle, se voit ainsi attribuer un cadre de référence immédiat : non seulement avec mon propre évêque, qui occupe la première place dans ma sphère de vie ecclésiale la plus immédiate, mais aussi avec le Souverain Pontife, le papa, dont la mission est de « confirmer les frères ». « C’est ce que l’on retrouve dans d’autres rites où  » ceux par qui l’Esprit de Dieu veut diriger l’Église et la maintenir en tant que société visible  » sont tenus en haut dans les intercessions de l’Église au début de la Grande Prière de la Messe. En outre, les autres Églises particulières en communion avec le Siège apostolique et, par conséquent, avec les autres Églises locales individuelles, sont également prises en considération : « et tous ceux qui, fidèles à la vérité, transmettent la foi catholique et apostolique « 15.

…et les brebis

Bien que les pasteurs de l’Église occupent la première place dans cette section du Canon consacrée à l’intercession, ils le font principalement à la lumière de la mission de leur ministère sacré : nourrir les membres du troupeau qui, eux-mêmes, participent directement à l’offrande sacrificielle. Le Memento des vivants comporte un certain nombre de détails poignants qui rappellent aux fidèles leur statut de cohéritiers du sacerdoce royal de Jésus-Christ. Ce premier Memento, équilibré à la fin du Canon par le Memento pour les morts qui suit, commence par offrir au célébrant un espace pour rappeler toute intention particulière offerte au nom des membres vivants du Corps mystique du Christ : « Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs N. et N. « 16 Naturellement, lorsque le Canon a commencé à être prononcé à voix basse (la vox secreta) vers le milieu du VIIIe siècle17, l’articulation de ces noms était soit rappelée mentalement par le célébrant, soit prononcée dans la vox secreta par le célébrant, soit chuchotée à son oreille lors des messes où il était entouré d’assistants, comme dans la Missa solemnis18.

Cependant, un aperçu de l’un des objectifs précieux de cette section du Canon peut être glané dans le catéchuménat restauré qui a été demandé par Sacrosanctum Concilium,19 et les Messes rituelles spéciales pour la célébration des Scrutinies qui ont été établies par la suite dans le Missale Romanum actuel.20 Dans ces Messes rituelles, suivant le modèle établi par l’ancien Sacramentaire gélasien (Gelasianum vetus) du VIIIe siècle21 – un document contenant de nombreux détails précieux sur les rites de l’initiation chrétienne – le célébrant est chargé d’insérer les noms des parrains et marraines des élus dans le Canon à ce moment de la Prière eucharistique : « Lorsque le Canon romain est utilisé, dans la section Memento, Domine (Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs), il y a une commémoration des parrains et des marraines.22 De plus, le Missel prévoit que les noms des parrains et des marraines sont effectivement lus par le célébrant et ne sont pas simplement fournis de manière collective : « Souviens-toi, Seigneur, de tes serviteurs qui doivent présenter tes élus à la sainte grâce de ton baptême, [rubrique : « On lit ici les noms des parrains et des marraines »] et de tous ceux qui sont réunis ici et dont la foi et le dévouement te sont connus.23 La raison pour laquelle on nomme les parrains et les marraines plutôt que les élus est claire : dans le contexte du Canon, les seuls noms mentionnés sont ceux qui appartiennent au sacerdoce royal des baptisés.

Ce concept nous est présenté dans la suite de cette section, où le célébrant parle de la « foi et de la dévotion » des fidèles réunis, pour lesquels le sacrifice est offert. Deux observations peuvent être faites ici. La première est la manière dont le texte latin désigne les fidèles comme « omnium circumstantium », ce qui se traduit en anglais par « all gathered here ». Le terme  » circumstantes  » ou, dans certaines versions anciennes du Canon,  » circum adstantes « , n’a pas pour but d’indiquer que l’on se tient debout en cercle, bien que la position debout ait été la principale posture lors de l’écoute du Canon, comme elle l’est encore en droit universel.24 Ce terme reflète plutôt les anciennes liturgies basilicales, dans lesquelles l’autel se trouvait entre le sanctuaire et la nef,  » de sorte que les fidèles – surtout s’il y avait un transept – pouvaient former un demi-cercle ou un ‘anneau ouvert’ autour de l’autel « .25

Cette idée prend tout son sens lorsqu’elle est mise en relation avec la deuxième idée du Canon qui parle de la manière d’offrir l’oblation, soit par l’intermédiaire du célébrant au nom des circonstants –  » C’est pour eux que nous t’offrons ce sacrifice de louange  » – soit par leur propre connexion spirituelle à l’action directe du célébrant à l’autel –  » ou bien ils l’offrent pour eux-mêmes et pour tous ceux qui leur sont chers « . « 26 Cela nous rappelle la véritable nature de la participation active (actuosa participatio), en ce sens que les fidèles « ne sont pas des spectateurs oisifs, encore moins une foule profane, mais ils sont tous ensemble participants de cette action sacrée par laquelle nous nous tenons devant Toi, ô Dieu ».27 Et ils unissent leurs intentions à celle du prêtre-célébrant, maintenant les liens familiaux de communion non seulement avec leurs coreligionnaires, mais aussi avec « les leurs », leur famille, leurs voisins et leurs amis.

Mission… à accomplir

Dans cette section du Canon où nous avons réfléchi sur la mission de l’Église militante de favoriser la communion à l’intérieur et à l’extérieur des limites de l’espace physique de l’édifice ecclésial, nous nous rappelons les paroles du Saint-Père dans sa récente Lettre apostolique Desiderio Desideravi où il affirme que « l’Incarnation, en plus d’être le seul événement toujours nouveau que l’histoire connaisse, est aussi la méthode même que la Sainte Trinité a choisie pour nous ouvrir le chemin de la communion. La foi chrétienne est soit une rencontre avec Lui vivant, soit elle n’existe pas. La Liturgie nous garantit la possibilité d’une telle rencontre ».28 Le Canon romain, en tant que patrimoine privilégié du Rite romain, nous a donné l’occasion, en tant que membres vivants du Corps du Christ, de faire cette rencontre.

Dans le dernier volet de cette série, nous examinerons comment le Canon peut nous amener à solidifier non seulement notre communion avec les membres de l’Église dans le domaine temporel, mais aussi à solidifier cette communion avec les membres qui se trouvent dans les domaines surnaturels de la purification et de la béatitude.


Lisez la première partie de la série du Père Ruiz sur le Canon romain –  » Église romaine, connais-toi toi-même  » – Le Canon romain et le patrimoine unique du rite romain.

Image Source: AB/Jeffrey Bruno on Flickr

Footnotes

  1. Henri de Lubac, Catholicism: Christ and the Common Destiny of Man, tr. Lancelot C. Sheppard and Elizabeth Englund (San Francisco: Ignatius Press, 1988) 48-49.
  2. De Lubac, Catholicism., 47.
  3. Romano Guardini, The Spirit of the Liturgy, tr. Ada Lane (New York: The Crossroad Publishing Company/A Herder & Herder Book, 1998) 36 [“The Fellowship of the Liturgy”].
  4. Missale Romanum (2002), Ordo Missae nn. 84–85, from the line “in primis, quae tibi offerimus” in the Te igitur section, to the conclusion of the Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum.
  5. Two such moments that this essay will not be able to treat include the Anamnesis of the Canon (Ordo Missae n. 92–93, from the Unde et memores, through the conclusion of the Supra quae propitio ac sereno vultu), wherein we identify how the hierarchically established Church (“we, your servants and your holy people”) offers the oblation, and how she likewise does so in view of the types that had been established (Abel, Abraham, Melchizedek), thus foreshadowing Christ and His Paschal Mystery. The other moment is found in the Nobis quoque peccatoribus at the conclusion of the Memento for the dead (Ordo Missae n. 96), wherein the Church Militant’s petition for the clergy and faithful gathered at that Mass to receive God’s pardon and mercy is presented to the Lord.
  6. Specifically, the Mozarabic Rite of Toledo, Spain, and the Ambrosian Rite of Milan, Italy.
  7. Jungmann notes that the practice of inserting particular names and categories of people into the Eucharistic Prayer became solidified in the East in the fourth century, and then became a regular part of the Roman practice by at least the fifth century, as witnessed to by Pope St. Innocent I’s letter to Decentius, the Bishop of Gubbio. Josef Jungmann, The Mass of the Roman Rite: Its Origins and Development, Vol. I, tr. Francis Brunner (Notre Dame: Christian Classics, 1950) 53–54. Cf. Innocent I, Epistula 25, in Patrologia Latina, XX, ed. J.P. Migne (Paris, 1845) 553, 5.
  8. Prosper Guéranger, On the Holy Mass (Farnborough, Hampshire: Saint Michael’s Abbey Press, 2006) 70–71.
  9. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154: “When Bishop Polycarp of Smyrna (d. 155–156), upon being arrested, begged for a little time to pray, he prayed aloud for all whom he had known and for the whole Catholic Church, spread over the world. Another martyr-bishop, Fructuosus of Tarragona (d. 259), about to be burnt to death, answered a Christian who sought his prayer, saying in a firm voice: ‘I am bound to remember the whole Catholic Church from sunrise to sunset.’” 
  10. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154. Emphasis original.
  11. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154.
  12. una cum famulo tuo Papa nostro N. et Antistite nostro N.
  13. G.G. Willis, A History of Early Roman Liturgy: To the Death of Pope Gregory the Great, Henry Bradshaw Society, Subsidia 1 (London: The Boydell Press, 1994) 43; Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 155.
  14. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 154.
  15. et omnibus orthodoxis atque catholicae et apostolicae fidei cultoribus.” As Willis notes, “The rightly believing defenders of the Catholic and Apostolic Faith are not the faithful in general, who are prayed for in the first part of this prayer, but the bishops in particular” (Willis, A History of Early Roman Liturgy, 43).
  16. Memento, Domine, famulorum famularumque tuarum N. et N.
  17. See Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 104.
  18. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 164.
  19. Sacrosanctum concilium §64.
  20. Missale RomanumIuxta typicam tertiam (2008), Missae rituales, “I. In conferendis sacramentis initiationis christianae. 2. In Scrutinis peragendis.” The Roman Missal, English translation according to the Third Typical Edition: for use in the Dioceses of the United States of America (2011), Ritual Masses, “I. For the Conferral of the Sacraments of Christian Initiation. 2. For the Celebration of the Scrutinies.”
  21. See Liber sacramentorum Romanae Aeclesiae ordinis anni circuli. Sacramentarium gelasianum, ed. Leo Cunibert Mohlberg, Leo Eizenhöfer, Petrus Siffrin, Rerum Ecclesiasticarum Documenta, Series Maior, Fontes IV (Rome: Herder, 1960) 33, n. 195.
  22. See Liber sacramentorum Romanae 33, n.195. A similar allowance is made for Eucharistic Prayers II and III.
  23. See Liber sacramentorum Romanae 33, n.195.
  24. See Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 166. In article 43 of the General Instruction of the Roman Missal the universal norm is given, and then the exception for the United States indicated: “The faithful should stand […] from the invitation, Orate, fratres (Pray, brethren), before the Prayer over the Offerings until the end of Mass […]. In the dioceses of the United States of America, they should kneel beginning after the singing or recitation of the Sanctus (Holy, Holy, Holy) until after the Amen of the Eucharistic Prayer […].”
  25. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 166.
  26. “[…] pro quibus tibi offerimus: vel qui tibi offerunt hoc sacrificium laudis, pro se suisque omnibus […].”
  27. Jungmann, The Mass of the Roman Rite, Vol. II, 167.
  28. Francis, Apostolic Letter Desiderio Desideravi (June 29, 2022). English translation from the Vatican website, www.vatican.va/content/francesco/en/apost_letters/documents/20220629-lettera-ap-desiderio-desideravi.html, accessed November 23, 2022.

« Église romaine, connais-toi toi-même » : Le canon romain et le patrimoine unique du rite romain (Ryan T. Ruiz, s.l.d.) — Partie I

Note d’Esprit de la Liturgie : Esprit de la Liturgie est heureuse de présenter au public francophone la traduction d’une série d’articles du père Ryan T. Ruiz s.l.d., sur l’histoire du canon romain, parue le 25 octobre 2022 dans les colonnes de la revue liturgique américaine Adoremus.
Le père Ryan Ruiz est un prêtre de l’archidiocèse de Cincinnati. Il est actuellement doyen de l’école de théologie, directeur de la liturgie, professeur adjoint de liturgie et des sacrements, et membre du corps enseignant de formation au Mount St. Mary’s Seminary and School of Theology de Cincinnati. Le père Ruiz est titulaire d’un doctorat en liturgie sacrée de l’Institut liturgique pontifical de Sant’Anselmo, à Rome.


Lors de leur 22e session tenue le 17 septembre 1562, les Pères du Concile de Trente ont fourni à l’Église l’éclairage suivant concernant le Canon de la Messe : « Les choses saintes doivent être traitées d’une manière sainte, et ce sacrifice [l’Eucharistie] est la plus sainte de toutes les choses. Ainsi, pour que ce sacrifice puisse être dignement et respectueusement offert et reçu, l’Église catholique a institué, il y a de nombreux siècles, le canon sacré. Il est si exempt de toute erreur qu’il ne contient rien qui n’ait une forte saveur de sainteté et de piété et rien qui n’élève à Dieu l’esprit de ceux qui l’offrent. Car il se compose des paroles de Notre Seigneur lui-même, des traditions apostoliques et des pieuses instructions des saints pontifes »[1].

Dans ce bref résumé de la formule liturgique la plus essentielle de l’Église, que le savant Guéranger a décrit comme une « prière mystérieuse » dans laquelle « le ciel s’incline sur la terre, et Dieu descend vers nous »[2], les Pères de Trente ont non seulement reconnu la sainteté du Canon romain, mais aussi les sources sacrées sur lesquelles il a été fondé : notre Seigneur lui-même, ses Apôtres, et les successeurs de ses Apôtres. Dans cette description, nous rencontrons l’herméneutique par laquelle l’Église a toujours abordé la force stabilisatrice des choses liturgiques : la continuité et la tradition.

Dans ce bref essai, le premier d’une série en plusieurs parties sur le Canon romain, nous examinerons brièvement l’historicité du Canon – ses sources – et comment le Canon, comme notre Saint-Père actuel, le Pape François, l’a récemment noté, constitue l’un des  » éléments les plus distinctifs  » du Rite romain et, ainsi, démontre une ligne de continuité entre la Messe dans sa forme actuelle et  » les formes antérieures de la liturgie « [3]. « Le but de ces essais est de nous permettre de mieux apprécier le riche patrimoine que nous avons reçu de nos ancêtres dans la foi, et de nous aider à mieux entrer dans le véritable esprit de la sainte liturgie.

Canon gélasien

Notre étude de l’antiquité du Canon peut commencer par l’une des plus anciennes versions existantes du Canon complet qui se trouve dans l’ancien sacramentaire gélasien (Gelasianum vetus) du VIIe ou VIIIe siècle[4]. [Dans cet ancien sacramentaire, le Canon commence par le dialogue de la préface, suivi d’une forme de préface qui est encore conservée dans le Missel de Paul VI et de Jean-Paul II sous le nom de « Préface commune II » (Praefatio communis II), et dans le Missel de Jean XXIII sous le nom de « Préface commune » (Praefatio communis)[5]. Le Canon se poursuit ensuite par l’incipit familier, Te igitur, et comprend également au moins une indication rubriquée parallèle à celle que l’on trouve dans le Missale Romanum de 1962[6].

Ainsi, il existe des similitudes certaines entre cet ancien exemplaire et le Canon actuel. Cependant, il y a aussi des caractéristiques uniques qui distinguent cette version de celle que nous avons reçue. Par exemple, après avoir prié pour le pape et l’évêque dans le Memento pour les vivants, le Canon gélasien demande également que des prières soient offertes pour le roi et pour tous les habitants du royaume : « Memento, deus, rege nostro cum omne populo  » [7] Une autre caractéristique unique de l’exemplaire du Gelasianum vetus est l’inclusion de saints supplémentaires dans la section Communicantes. Après l’articulation des noms des deux derniers saints énumérés dans le Canon actuel – Cosme et Damien – la version du vieux gélasien demande ensuite l’intercession des saints Denis, Rusticus et Eleutherius, missionnaires à Paris, ainsi que des saints Hilaire, Martin, Augustin, Grégoire, Jérôme et Benoît[8]. On peut supposer qu’avec l’insertion des prières pour le roi et le royaume dans le Memento pour les vivants, et l’inclusion des saints Denis, Rusticus et Eleuthère dans les Communicantes, le Gelasianum vetus reflétait simplement son statut de  » sacramentaire mixte « , un sacramentaire entièrement romain, mais qui commençait aussi à prendre des éléments francs après sa réception au-delà des Alpes[9]. [Une autre caractéristique intéressante du Canon du Gelasianum vetus se trouve dans les mots  » diesque nostros in tua pace disponas  » ( » ordonne nos jours dans ta paix « ) qui occupent une place dans la section Hanc igitur[10]. Bien que cette phrase soit toujours observée dans le missel actuel, Guéranger note que cette section a très probablement été ajoutée aux premiers exemplaires du Canon par St. Grégoire le Grand à l’époque de l’invasion lombarde de l’Italie à la fin du sixième siècle[11]. Ainsi, nous pouvons voir dans cette ancienne version du Canon romain une prière fixe qui admettait néanmoins certains éléments qui aidaient l’Église à répondre aux besoins sociétaux et pastoraux de l’époque.

Canon ambrosien

Bien que la version du Canon trouvée dans le Gelasianum vetus soit l’un des premiers textes complets attestant de l’ancienneté de cette anaphore, l’histoire du Canon remonte en fait à bien plus tôt. Dans les réflexions de saint Ambroise du IVe siècle sur les rites d’initiation célébrés dans son église de Milan, nous trouvons une version encore plus ancienne du Canon qui met en contexte ce que l’on trouve dans le Gelasianum vetus. Comme nous l’observons dans le De sacramentis, une série d’homélies mystagogiques probablement prêchées autour de 391, saint Ambroise n’avait pas peur de préserver les coutumes locales de son Église milanaise, ni d’harmoniser les pratiques liturgiques de Milan avec celles de Rome[12]. Cette ouverture aux coutumes de Rome se reflète dans la partie IV du De sacramentis, où saint Ambroise identifie les mots qu’il utilise pour la prière eucharistique[13].

Bien que le Canon complet ne soit pas illustré dans cette réflexion mystagogique, et que les parties que nous trouvons ne correspondent pas toujours directement à ce que l’on trouve dans la version de l’ancien gélasien, les  » différences « , comme le note G.G. Willis,  » entre le Canon de saint Ambroise et le Canon finalement établi sont moins remarquables que leurs similitudes « [14]. « [14] Les parallèles avec le Canon romain dans De sacramentis sont notés dans les sections suivantes : le Quam oblationem ( » Fais-toi plaisir, ô Dieu, nous te prions, de bénir […. ] « ), le Qui pridie (le début du récit de l’institution), le Unde et memores (le début de l’anamnèse), le Supra quae (la suite de l’anamnèse, faisant référence à Abel, Abraham et Melchisédech) et le Supplices te rogamus (l’épiclèse de la communion demandant que la grâce du sacrement soit reçue par tous ceux qui y participent)[15]. [15]

Si l’on compare le canon du Gelasianum vetus à celui du De sacramentis de saint Ambroise, on constate le resserrement progressif des caractéristiques qui ont contribué au « génie du rite romain ». Willis a résumé ces caractéristiques à travers les idées connexes de Christine Mohrmann et Camilus Callewaert :

 » Le professeur Christine Mohrmann a raison de dire que le Canon gélasien… est, comme l’avait déjà soutenu Mgr Callewaert, une modification stylistique des formes trouvées dans le De sacramentis de saint Ambroise. Sa caractéristique la plus frappante, dit-elle, est l’accumulation de synonymes, et une tendance à amplifier et à rendre le langage plus solennel. Les constructions paratactiques sont remplacées soit par une clause relative, par exemple Fac nobis hanc oblationem par Quam oblationem […], soit par un absolu ablatif, comme lorsque respexit in caelum est remplacé par elevatis oculis in caelum […]. Une autre tendance est l’accumulation de synonymes. C’est là une caractéristique forte de l’euchologie romaine, qui a déjà fait son apparition dans le Canon cité par saint Ambroise, et qui devient beaucoup plus fréquente dans le Canon développé « [16].

Prière centrale

En examinant la question du  » génie  » du Rite Romain, pour utiliser l’expression popularisée par Edmund Bishop[17], nous trouvons dans le Canon une expression unique de la romanità de notre Rite. En suivant la description faite par Bishop des caractéristiques du Rite romain comme étant sa « simplicité, son caractère pratique, une grande sobriété et maîtrise de soi, sa gravité et sa dignité »[18], nous rencontrons ces détails dans la structure du Canon, ainsi que son air rhétorique, théologique et spirituel qui le distingue des anaphores (prières eucharistiques) observées dans les autres Rites de l’Église, tant en Orient qu’en Occident non romain[19].

Alors que l’Église continue à réfléchir sur les réformes liturgiques du Concile Vatican II, et qu’elle prend à cœur la récente exhortation du Saint-Père sur son rôle de  » gardienne de la tradition « , un endroit merveilleux pour commencer cette réflexion sur l’engagement de l’Église dans la continuité et la tradition est cette prière centrale de la Messe qui unit l’Église militante, l’Église souffrante et l’Église triomphante dans le Sacrifice sacerdotal du Fils au Père dans l’Esprit. Dans les prochains épisodes de cette série, nous nous engagerons dans une étude plus approfondie du Canon, de ses diverses caractéristiques, et de la manière dont nous, clergé et fidèles, pouvons profiter de la richesse de cette ancienne euchologie qui occupe toujours une place de choix dans notre Rite romain[20].


Notes:

  1. Council of Trent. Session XXII (September 17, 1562), Ch. 4, in Henrich Denzinger, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum (Compendium of Creeds, Definitions, and Declarations on Matters of Faith and Morals, 43rd Edition, ed. Peter Hünermann, Robert Fastiggi and Anne Englund Nash (San Francisco: Ignatius, 2012) 418-419, n. 1745. 
  2. Prosper Guéranger, The Liturgical Year, Vol. 1. Advent, tr. Laurence Shepherd (Fitzwilliam, NH: Loreto Publications, 2000) 78. 
  3. Pope Francis, Epistula accompanying the motu proprio Traditionis custodes (16 July 2021). English translation, www.vatican.va/content/francesco/en/letters/2021/documents/20210716-lettera-vescovi-liturgia.html, accessed 17 July 2021. 
  4. Most scholars place the terminus a quo from after the pontificate of Pope St. Gregory the Great (†604) and the terminus ad quem to before the pontificate of Pope St. Gregory II (715-731). See Cassian Folsom, “The Liturgical Books of the Roman Rite,” in Handbook for Liturgical Studies, Vol. I, Introduction to the Liturgy, ed. Anscar Chupungco (Collegeville: Liturgical Press, A Pueblo Book, 1997) 245-314, esp. 248. See also Eric Palazzo, A History of Liturgical Books: From the Beginning to the Thirteenth Century (Collegeville: Liturgical Press/A Pueblo Book, 1998) 45. 
  5. Liber sacramentorum Romanae Aeclesiae ordinis anni circuli. Sacramentarium gelasianum, ed. Leo Cunibert Mohlberg, Leo Eizenhöfer, Petrus Siffrin, Rerum Ecclesiasticarum Documenta, Series Maior, Fontes IV (Rome: Herder, 1960) 183-184, nn. 1242-1243. Henceforward abbreviated as GeV (Gelasianum vetus) with the identifying reference numbers being the margin numbers found in the critical edition. 
  6. This is found in GeV 1244 where we find five signs of the cross rubrically prescribed at the words, “[…] uti accepta habeas et benedicas + haec dona +, haec munera +, haec sancta + sacrificia i[n]libata + […]” (“that you accept and bless + these gifts +, these offerings +, these holy + and unblemished sacrifices +”). This parallels, though does not exactly correspond, what we find in the Missale Romanum of John XXIII (1962), where only three signs of the cross are called for at this point in the Canon, at the words “haec + dona, haec + munera, haec + sancta sacrificia illibata.” In the Missale Romanum of Paul VI and John Paul II, no additional gestures are called for. 
  7. GeV 1244. Interestingly, in referencing the bishop the GeV uses both “antistite” and “episcopo” – “una cum famulo tuo papa nostro illo et antestite [sic] nostro illo episcopo” – instead of only “antistite” as found in the current Canon. 
  8. GeV 1246: “Dionysii[,] Rustici[,] et Eleutherii[,] Helarii[,] Martini[,] Agustini[,] Gregorii[,] Hieronimi[,] Benedicti.” 
  9. Although a sacramentary devised for presbyteral use in the tituli of Rome, especially – as scholars surmise – in the Church of San Pietro in Vinculi (St. Peter in Chains), the Gelasianum vetus nevertheless exhibits elements of cross-pollination with Frankish customs then beginning to abound in the Roman Rite. Cf. Folsom, “The Liturgical Books of the Roman Rite,” 249, and Palazzo, A History of Liturgical Books, 45-46. 
  10. GeV 1247. 
  11. Prosper Guéranger, On the Holy Mass (Farnborough, Hampshire: St. Michael’s Abbey Press, 2006) 81. 
  12. See De sacramentis III, 5, regarding the practice in Milan of the post-baptismal washing of feet: “We are aware that the Roman Church does not follow this custom, although we take her as our prototype, and follow her rite in everything.” English translation from Edward Yarnold, The Awe Inspiring Rites of Initiation: Baptismal Homilies of the Fourth Century (Middlegreen, Slough: St. Paul Publications, 1971) 122. 
  13. De sacramentis IV, 21-22, 26-27. 
  14. G.G. Willis, A History of Early Roman Liturgy: To the Death of Pope Gregory the Great, Henry Bradshaw Society, Subsidia 1 (London: The Boydell Press, 1994) 23. 
  15. Cf. Ibid., 24. See also Uwe Michael Lang, The Voice of the Church at Prayer: Reflections on Liturgy and Language (San Francisco: Ignatius, 2012) 111-113. Here, Father Lang gives a synoptic table outlining more clearly these parallels. 
  16. Willis, A History of Early Roman Liturgy, 27-28. Cf. C. Mohrmann, “Quelques observations sur l’évolution stylistique du canon romain,” Vigiliae Christianae IV (1950) 1-19; C. Callewaert, “Histoire primitive du canon romain,” Sacris Erudiri II (1949) 95-110. 
  17. Edmund Bishop. The Genius of the Roman Rite. Strand (England): The Weekly Register, 1899. 
  18. Ibid., 15. 
  19. In particular, the Gallican and Mozarabic. 
  20. General Instruction of the Roman Missal 365a. Image Source: AB/Tom Erik Ruud/The National Library.

Image Source: AB/Tom Erik Ruud/The National Library.

Les noëls populaires de France à travers les siècles, partie 1/5

En cette saison de Noël 2022, Esprit de la Liturgie publie en feuilleton une synthèse des connaissances disponibles sur l’histoire des Noëls populaires en France, par notre ami Louis-Marie Salaün, que nous remercions et félicitons pour ce travail considérable, abondamment sourcé et annoté, et d’une grande érudition, auquel nous souhaitons une large diffusion. Les appels de notes renvoient à la fin de l’article.

Louis-Marie Salaün est passionné par le chant liturgique (spécialement le chant grégorien), les musiques anciennes (médiévale,  Renaissance et baroque) et traditionnelles. Il s’intéresse beaucoup aux pratiques vocales liés au chant liturgique. Depuis plusieurs années il s’intéresse de très près à la musicologie et a la liturgie (pour les deux formes du rit romain). Il possède une longue pratique du chant dans le cadre liturgique (chantre en paroisse, chef de chœur, choriste et chantre de schola). Il est actuellement chantre à la cathédrale de Troyes, membre du chœur grégorien et du chœur polyphonique de cette même cathédrale. Il pratique la musique (instruments anciens et traditionnels) au sein de formations amateur qu’il a lui-même fondé.


Introduction

Pour reprendre les mots d’un musicien et harmonisateur bien connu1, on peut affirmer avec raison que « peu de thèmes ont été plus abondamment et mieux chantés par les peuples que celui de la Nativité ». Et c’est très vrai pour ne parler que de notre France, où les noëls, dit-il « forment la veine la plus féconde de toute la lyrique populaire ».

En effet, s’il est des chants qui nous sont familiers et que nous aimons à entendre et chanter quand vient Noël, ce sont bien nos beaux noëls populaires. Ils nous sont devenus familiers mais connaît-on vraiment leurs origines, leur Histoire…et leurs histoires ?

Le but de notre document – sans prétendre être une étude musicologique complète sur le sujet – est d’informer le lecteur sur l’origine de cette tradition musicale des noëls populaires, et de donner un aperçu d’ensemble sur ce répertoire si particulier, si riche, si varié et si beau. Nos sources nous permettrons d’aborder un peu plus en détail le répertoire de telle ou telle province, pour être au plus près de nos traditions locales.

Parce que la fête de Noël est intimement liée à notre religion catholique, nous évoquerons les connexions étroites entre ces airs populaires et le chant grégorien, qui fut à partir du IXème siècle2 à l’origine de la naissance de la polyphonie. Nous verrons également le parcours du noël populaire au fil des époques, entre liturgie et « paraliturgie ».

Entrons sans plus tarder à la découverte de ces timbres et textes qui, chacun à leur manière, dans leur langue, leur patois, leur dialecte célèbrent depuis huit siècles, la naissance du Sauveur et la joie de Noël.

1. Pourquoi chanter Noël

Puisque Noël est avec Pâques, l’une des plus grandes fêtes liturgiques de la religion catholique, et que la liturgie accorde une place importante au chant, il nous est bon d’entamer notre sujet en nous posant cette question : pourquoi nous chrétiens, chantons-nous ?
Nous chantons parce que nous sommes sauvés, et parce que nous répondons à la Parole de Dieu par le chant. Dans l’histoire du Salut, à l’intervention salvatrice de Dieu il y a une réponse de l’homme sauvé, par le chant. Au long de l’Histoire Sainte, quand Dieu intervient pour sauver un homme ou un peuple, celui-ci répond en chantant : cantique de Daniel, cantique de Jonas3

Comment ne pas imaginer que cette nuit bénie, alors que le peuple d’Israël attendait depuis si longtemps la venue du Sauveur, qui devait racheter la faute de nos premiers parents et nous rendre l’héritage céleste si malheureusement compromis4, fut l’occasion de chanter la gloire de Dieu ? De la même manière que Zacharie chanta le Benedictus après avoir recouvré la vue à l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste, que la Sainte Vierge chanta le Magnificat après avoir reçu de l’ange l’annonce qu’elle enfantera le Sauveur et que Siméon chanta le Nunc Dimittis lors de la présentation de Jésus au temple, on peut imaginer que les anges et les bergers chantèrent la naissance du Sauveur.

Si l’Évangile de la messe de minuit5 nous dit : « Et soudainement apparu avec l’ange la multitude de l’armée des Cieux qui louaient Dieu en disant : Gloire à Dieu dans les hauteurs des Cieux », l’antienne du Magnificat des vêpres du jour de Noël, ajoute : « Aujourd’hui le Christ est né, aujourd’hui le Sauveur c’est manifesté, aujourd’hui les anges chantent sur la terre… ». On peut raisonnablement penser que les anges ne se sont pas contentés de réciter le Gloria mais de le chanter. Et l’on imagine bien les bergers revenus de la crèche, répondre à cet émerveillement en chantant.

La littérature savoureuse de nos beaux noëls populaires français ira jusqu’à attribuer aux anges la composition musicale du gloria. Ainsi ce noël provençal du XVème siècle « C’était à l’heure de Minuit » dont le deuxième couplet nous dit : « En ce saint jour, tout plein d’appâts, les anges ne sommeillaient pas ; ils composaient leur Gloria : Alleluia ! ».

Bien des siècles plus tard, lorsque la liturgie célèbrera la fête de Noël c’est encore en chantant que la naissance de Jésus sera annoncée et proclamée avec le chant grégorien « Puer natus est nobis… » et tant d’autres pièces si belles sur des textes de l’Ancien Testament. Ainsi pouvons-nous expliquer les raisons qui ont poussé les peuples et particulièrement, le peuple de France à chanter Noël, d’abord dans l’église pendant la liturgie mais aussi assez rapidement, sur les parvis de celles-ci dans les palais royaux, et jusque dans les plus humbles chaumières de nos villages.

Première partie : origines, histoire et évolution des noëls populaires

« Amis j’entends le chant des anges, ils annoncent dans leurs louanges un enfant, Roi des Cieux »

Saint Louis-Marie Grignion de Montfort

2. Les origines des noëls populaires en France

A partir du moment où Noël fut célébré avec grande solennité, l’homme a cherché en parallèle à fixer le souvenir de cette belle fête par diverses formes d’art : peinture, poésie, sculpture mais aussi et surtout musique !

D’une certaine manière, on pourrait faire remonter les premiers chants de Noël au jour de la naissance du Christ lorsque les bergers « s’en retournèrent, célébrant les louanges et la gloire de Dieu à cause de tout ce qu’ils avaient vu et entendu selon qu’il leur avait été dit »6.

On estime généralement que les noëls en France sont nés aux alentours du XIème siècle. Certains musicologues n’hésitent pas à dire que le genre du noël populaire est né en France. On dit que le plus ancien noël qui soit noté (c’est-à-dire ayant une partition) serait le célèbre « Entre le boeuf et l’âne gris » daté du XIIIème siècle7.

C’est d’abord dans le contexte liturgique qu’il faut situer l’apparition des premiers noëls, sous forme de proses ou de tropes. Nous allons développer maintenant ces deux genres particulièrement en vogue durant l’époque médiévale.

2.1. Les hymnes ou proses de Noël

En dehors des pièces grégoriennes de la messe de la nuit, de l’aurore et du jour dont on peut faire remonter la composition au IXème siècle (c’est la période de composition de la majorité du répertoire du chant « Romano-Franc » ou plus exactement « chant Messin » qui plus tard sera nommé chant grégorien en hommage à Saint Grégoire), il a existé au XIIème siècle par exemple d’autres compositions musicales utilisées dans le cadre de la liturgie : les proses ou hymnes8.

Ainsi, le moine Adam de Saint Victor écrit la prose « In natale Salvatoris » consacré à l’heureux événement de Noël :

En ce jour de la naissance du Sauveur,
Nous, créatures, répondons au chant des Anges :
Par l'harmonie de voix diverses,
Mais pleines d'ensemble, formons un doux concert.

Heureux jour, que celui-ci dans lequel,
Coéternel au Père, le Sauveur naît d'une Vierge !
Heureux et agréable jour !
Le monde se réjouit d'être éclairé par la lumière du véritable soleil.

2.2. Les tropes de Noël

Parmi les autres développements du chant et du texte liturgique au Moyen-Âge, on trouve ce que l’on appelle des tropes. La liturgie de la Nativité utilise également cette forme, qui donna elle aussi plus tard naissance au genre du noël populaire. Au IXème siècle, le moine Tutilon de l’abbaye de Saint Gall (Suisse) écrivit pour la fête de Noël le trope « Hodie cantandus est », qui passe pour l’un des premiers du genre.

Qu’est-ce qu’un trope ?
C’est l’intercalation d’un texte nouveau dans un texte chanté authentique et officiel9. Ce fut d’abord l’adjonction d’un texte sous les mélismes10 de l’alleluia ou du kyrie.

Qu’est-ce qu’une pièce tropée ?
C’est une pièce où, dans le but pieux de rendre une fête plus solennelle en allongeant l’office sacré, on a intercalé de nouvelles paroles destinées à préparer ou développer les paroles du thème primitif. Les tropes sont donc des fragments poétiques chantés paraphrasant un texte liturgique.

Pour la fête de la Nativité il y a par exemple le trope de l’introït « Puer natus est nobis ». Le texte de l’introït est le suivant : « Un enfant nous est né et il nous a été donné un fils ; il portera sur son épaule la marque de son empire, et il sera appelé l’Ange du grand conseil ».

Et voici ce même texte enveloppé de son trope :
« Réjouissons-nous aujourd’hui parce que Dieu est descendu des Cieux, et pour nous sur la terre un enfant nous est né, depuis longtemps prédit par les prophètes, et il nous a été donné un fils. Nous l’avons déjà appris de son Père dont il portera sur son épaule la marque de son empire, et la puissance et l’empire sont dans sa main, et il sera appelé Admirable, Messager de Paix, l’Ange du Grand Conseil ».

Il existe principalement deux formes de tropes utilisés dans la liturgie médiévale :
– le trope mélogène ou trope d’adaptation : on place un texte syllabique sous une mélodie existante11 ;
– le trope logogène : composition d’un texte nouveau que l’on place sous une mélodie nouvelle.

2.3. Les noëls farcis

En dehors du trope, se développe ce que l’on appelle le noël « farcis »12. Il consiste en le mélange de la langue latine et de la langue vernaculaire au sein d’un même texte.

Au fur et à mesure que la langue française se construit, son utilisation verra le jour dans la liturgie, même si le latin reste la langue des offices religieux. Dès la deuxième moitié du XIIème siècle, plusieurs parties de l’office sont en français, ainsi que l’indique en 1192 l’évêque de Paris Eudes de Sully : « le jour de Noël, deux prêtres vêtus de chapes de soie entremêlent dans la récitation de l’épître et de l’évangile, des réflexions ou des prières en langue commune. Près du jubé se placent des groupes d’enfants de chœur qui donnent la réplique au célébrant en chantant des vers français, paraphrase des textes liturgiques ».

Le noël farci perdurera jusqu’à la Renaissance. L’un des exemples le plus connu du noël farci est sans doute ce noël qui reprend le texte de l’hymne « Conditor Alme siderum » :

CONDITOR fus le nom pareil
Qui fist la Lune et le Soleil,
Et les Estoiles pour tout vray ;
Noël, c'est un nom sans pareil.

TU CREAS tant que nous avons,
Ciel et terre, mer et poissons,
Et pour ce dire en doit on :
EXAUDI PRECES SUPPLICUM.

Un noël Poitevin du XVème siècle utilise le procédé du texte farci :

FIDELIS PICTAVIA,
Peuple doux et débonnaire,
PROPTER HEC NATALIA
Doit chanter ne se doit taire

Ou bien encore cet autre noël :

Célébrons la naissance
NOSTRI SALVATORIS
Qui fait la complaisance
DEI SUI PATRIS

2.4. Le chant dans les drames liturgiques

À la suite des tropes, se répandent à partir du XIIème siècle, ce qu’on appelle les « drames ». Le drame liturgique est une représentation théâtrale qui met en scène les fêtes liturgiques importantes, et raconte des événements de l’Histoire Sainte. On va ainsi jouer et chanter par exemple la scène de la Nativité (et même de l’Épiphanie). Au départ, le drame est une cérémonie religieuse que l’on joue à l’intérieur des églises dans le cadre de la liturgie. Nos noëls populaires sont directement issus de ces drames, qui furent en quelque sorte, les premières pièces de théâtre.

D’abord limités à certains diocèses, les drames vont rapidement s’étendre à d’autres et l’on verra naître des offices tels que « l’office des prophètes du Christ », le « drame des Pasteurs » et « l’office de l’étoile ». Par la suite, les drames seront joués sur les parvis des églises et cathédrales, ils prendront alors le nom de « Ludus de Nativitate Domini » c’est-à-dire un jeu chanté d’un bout à l’autre et noté en neumes. À Sens (Yonne) au XIIIème siècle, pendant qu’une procession amenait à l’église Saint Étienne où se célébrait la messe, la plus belle jeune fille de la ville juchée sur un âne, on chantait la prose suivante qui était déjà un noël populaire : « Orientis partibus, Adventavit asinus, Pulcher et fortissimus »

Écoutons maintenant le récit du drame des Pasteurs tel que le relate Noël Hervé dans son ouvrage « Les noëls français, essai littéraire et historique » :

l’Office nocturne de Noël, après le chant du Te Deum, commence l’Office des pasteurs. Une étable est préparée derrière l’autel et on y a placé par avance une statue de la Vierge. Tout d’abord, un enfant, placé très haut devant le choeur, et figurant un ange, annonce la naissance de Notre-Seigneur à des chanoines qui jouent le rôle de bergers. Ceux-ci entrent dans le choeur, pendant que l’ange leur dit : — Ne craignez pas, car je viens vous annoncer une grande nouvelle. Aujourd’hui il vous est né un Sauveur… Dans les tribunes de l’église se tiennent, tels des anges, plusieurs autres enfants qui chantent à haute voix : — Gloire à Dieu dans les cieux ! Les pasteurs, en entendant ces voix, s’avancent et reprennent : — Paix sur la terre… Pax in terris nunciatur In excelsis gloria. (…) . Mediator homo Deus Descendit in proprio, Ut ascendat homo reus Ad admissa gaudia. Eia ! Eia !

Prose de Noël écrite par Abélard au XIIème siècle et chantée à Cambrai aux matines de Noël13

Les drames liturgiques connurent leurs heures de gloire, mais aussi leur déclin. En effet, ces représentations dont le but initial était d’embellir la liturgie de l’office où de la messe, d’édifier la piété des fidèles, finissent par dégénérer en « mascarades licencieuses » à l’image de la « fête des fous ». Aussi, l’Église fit sortir des édifices religieux les drames. Mais là encore, même en dehors des églises, des abus se produisirent, conduisant l’Église à interdire purement et simplement la tenue de ces représentations qui n’avaient plus grand chose de religieux. « Depuis longtemps d’ailleurs, ces représentations théâtrales étaient prétextes à satires et s’émaillaient peu à peu au gré des acteurs de plaisanteries grossières, d’équivoques obscènes, comme on en peut trouver à chaque page de Gargantua ou de Pantagruel » nous dit Noël Hervé.

Illustration de la représentation du Mystère de la Nativité sur une place publique au Moyen-Âge

Les drames liturgiques et les « Mistères » (du latin « ministerium ») furent interdits par l’Église au XVème siècle. En 1485 le concile de Sens (Yonne) recommande d’éviter les danses et jeux de théâtre qui profanent les temples « et que si l’on fait quelque chose, que ce soit honnêtement, sans empêchement des offices, ni barbouillages de figures »14. Au siècle suivant, le Parlement interdit également la représentation des mystères sacrés par un décret du 17 novembre 1548, en ces termes : « La Cour a inhibé et défendu, inhibe et deffend aux dicts suppliant de jouer le mystère de la Passion notre Sauveur, ne autres mystère sacrez, sur peine d’amende arbitraire ; leur permettant néanmoins de pouvoir jouer autre mystère prophanes, honestes et licites, sans offencer ou injurier autre personne ».


1. Il s’agit de Bernard Lallement qui harmonisa de très nombreux chants et noëls populaires
2. Avant que naisse le chant Messin (appelé plus tard chant « grégorien ») au IXème siècle, il existait en Gaule le chant Gallican.
3. Extrait des notes personnelles de l’auteur prise à l’occasion d’un stage de chant grégorien dirigé par Dom Daniel Saulnier en 2019
4. In litt. « Les noëls français, essai historique et littéraire » par Noël Hervé
5. Évangile selon Saint Luc, ch. 2
6. Évangile selon Saint Luc, ch. 2 : 20
7. Recueil de chants de Noël « Noël ! Chantons Noël » de Paul ARMA aux éditions ouvrières, juillet 1942
8. Lorsqu’il s’agit d’un chant liturgique hymne s’emploi au féminin. On parlera en revanche « d’un hymne national »
9. « Histoire de la poésie liturgique au Moyen-Âge » par Léon Gautier
10. Un mélisme est une longue vocalise (plusieurs notes sur une même syllabe) que l’on retrouve dans le chant grégorien.
11. C’est le cas de la plupart des Kyrie grégoriens : Kyrie « Cunctipotens genitor Deus », représenté ici, ou le kyrie « Orbis factor »
12. Le chant farci est un chant dont on ajoute des paroles latines à un chant en langue vernaculaire. Farci veut dire « entremêler ».
13. La mélodie de cette prose est ici transcrite en notation moderne. La notation médiévale originale est en neumes.
14. In « La belle bible des noëls Guérandais » par Fernand Guériff


Dans le prochain épisode de cette série, Louis-Marie Salaün en viendra au cœur du sujet, et parlera des Noëls populaires en général, sans acception d’époque ou de lieu, sous l’angle littéraire et musicologique : caractéristiques musicales, forme, rythme, timbre, emploi, langue, poésie…
Dans le troisième épisode, sera abordée le détail de leur histoire.

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — partie V : Après la paix de l’Église, la liturgie dans un empire chrétien

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.


En 313, l’empereur Constantin a accordé au christianisme la tolérance et un statut légal. Cet acte met fin à la dernière persécution des chrétiens dans l’Empire romain, qui avait commencé sous Dioclétien en 303, et il est salué comme la « paix de l’Église. » L’édit de Constantin a fourni les conditions sociales et matérielles dans lesquelles la pratique religieuse des chrétiens ordinaires pouvait s’épanouir, et de nombreux nouveaux convertis (bien que tous n’aient pas des motifs purs) ont afflué dans les églises nouvellement construites. C’est de cette période que datent les premières sources écrites de textes liturgiques, qui portent généralement l’approbation d’un évêque ou d’un synode d’évêques. On considérait généralement qu’il était nécessaire de formaliser le culte chrétien afin de conserver les normes relatives au contenu doctrinal et au langage de la prière.

La tradition antiochienne

Les principaux sièges épiscopaux d’Antioche en Syrie et d’Alexandrie en Égypte sont associés à la formation des anaphores « classiques » (prières eucharistiques) des traditions chrétiennes orientales. Un exemple précoce d’anaphore antiochienne se trouve dans le huitième livre des Constitutions apostoliques, un ordre ecclésiastique complet attribué à saint Clément de Rome mais compilé dans la région d’Antioche entre 375 et 400. Le huitième livre contient un rite eucharistique complet, que l’on appelait autrefois la « liturgie clémentine ». Ce compte rendu détaillé suit le modèle enregistré par Justin au milieu du deuxième siècle, mais offre plus de détails, énumérant quatre lectures de l’Écriture (loi, prophètes, épître, évangile), un sermon, le renvoi des catéchumènes, des pénitents et des autres groupes, les prières des fidèles sous forme de litanie, l’échange de la paix, l’offertoire, l’anaphore, les rites de communion, l’action de grâce pour la communion et le renvoi. La structure typique de l’anaphore d’Antiochene peut être résumée comme suit :[1]

Dialogue introductif avec une première salutation trinitaire sur le modèle de 2 Corinthiens 13,13 (« La grâce de… »)

Louange et action de grâce (« Il est vraiment juste et bon… »)

Introduction au Sanctus

Sanctus (Trisagion)

Post-Sanctus

Récit de l’institution

Anamnèse

Epiclèse

Intercessions

Doxologie

Le rite byzantin s’est développé à partir de la famille liturgique antiochienne[2]. Au sein de cette tradition, la prière eucharistique ayant le plus grand impact historique est l’Anaphore de saint Jean Chrysostome, qui, au XIe siècle, avait remplacé la version byzantine de l’Anaphore de saint Basile comme la plus fréquemment utilisée dans la Divine Liturgie (Eucharistie). Le spécialiste de la liturgie Robert Taft a démontré de façon convaincante que Jean Chrysostome, lorsqu’il est devenu évêque de Constantinople, a introduit de son Antioche natal une forme ancienne de l’anaphore qui porte son nom, et l’a révisée pour l’utiliser dans la capitale.

Une autre influence importante sur le rite byzantin a été la pratique liturgique de Jérusalem, où les liturgies statiques sur les lieux saints se sont avérées très populaires. Cette pratique a été imitée par les pèlerins dans leurs églises locales, surtout à Constantinople et à Rome[3]. Le cycle des fêtes de Jérusalem a eu une influence importante tant en Orient qu’en Occident. Les traditions liturgiques syriaques appartiennent à la famille des Antiochènes mais présentent également des développements particuliers et complexes[4].

La tradition alexandrine

La tradition liturgique d’Alexandrie, centre du christianisme en Égypte, est bien documentée et pourrait remonter au troisième siècle (voir le précédent article sur l’anaphore de Barcelone). Les éléments typiques de l’anaphore alexandrine peuvent être énumérés comme suit :

Dialogue introductif (« Le Seigneur soit avec [vous] tous… »)

Louange et action de grâce (« Il est vraiment juste et bon… »)

Intercessions (incluant les défunts)

Introduction au Sanctus

Sanctus (Trisagion)

Épiclèse I

Récit de l’institution

Anamnèse

Épiclèse II

Doxologie

Les deux épiclèses sont un trait caractéristique de l’anaphore alexandrine. En ce qui concerne la première épiclèse, il semble y avoir deux courants de tradition. D’une part, des sources telles que l’Anaphore de Barcelone et le papyrus fragmentaire Deir Balyzeh de Haute-Égypte (entre le VIe et le VIIIe siècle) comportent une première épiclèse demandant au Père d’envoyer l’Esprit Saint sur les offrandes de pain et de vin et d’en faire le corps et le sang du Christ. La deuxième épiclèse, après le récit de l’institution, demande les fruits spirituels de la communion sacramentelle. En revanche, dans la prière eucharistique de Sarapion, dans l’Anaphore grecque de saint Marc, qui est pleinement développée, et dans sa version copte, l’Anaphore de saint Cyrille d’Alexandrie, la première épiclèse est moins spécifique, demandant la bénédiction du sacrifice par la venue de l’Esprit Saint. Au lieu de cela, la prière pour la consécration des offrandes eucharistiques fait partie de la deuxième épiclèse. On peut peut-être y voir une assimilation au modèle antiochien. La version égyptienne de l’Anaphore de saint Basile (qui est apparentée mais distincte de l’anaphore byzantine de saint Basile et peut être classée comme ouest-syrienne dans sa structure) pourrait avoir été utilisée en Égypte depuis le milieu du IVe siècle. L’anaphore est connue dans son grec original ainsi que dans les dialectes coptes sahidique et bohairique, et elle est devenue l’anaphore standard de la Divine Liturgie copte[5].

Lecture de l’Ecriture

Bien qu’il n’existe pas de sources concernant les lectionnaires pour la célébration de l’Eucharistie avant la fin du IVe siècle, il est très probable que, pour les grandes fêtes et les saisons spéciales de l’année liturgique en développement, les péricopes appropriées, c’est-à-dire  » des passages scripturaires particuliers séparés de leur contexte biblique « [6], ont été utilisées très tôt. La sélection de textes bibliques particuliers est surtout attendue pour la célébration annuelle de Pâques et structurait la période pré-pascale de préparation qui allait devenir les quarante jours du Carême, ainsi que les cinquante jours du temps pascal connus depuis la fin du IIe siècle sous le nom de Pentecôte. Les fêtes annuelles des martyrs, comme celles de Pierre et Paul à Rome ou de Polycarpe à Smyrne, étaient également associées à des lectures particulières. Des lectures fixes pour les fêtes et les saisons liturgiques sont indiquées dans les sermons et les écrits d’Ambroise de Milan et d’Augustin d’Hippone.

Il n’existe aucune preuve de la théorie autrefois populaire selon laquelle, avant l’organisation systématique des péricopes aux quatrième et cinquième siècles, il y avait une lecture continue ou consécutive (lectio continua) des Écritures lors de l’Eucharistie. Lorsque les premiers théologiens chrétiens commentent un livre biblique entier sous la forme d’homélies consécutives, comme Origène dans la première moitié du troisième siècle et Jean Chrysostome à la fin du quatrième siècle, cela ne se produit pas dans le contexte de l’Eucharistie – en laissant de côté la question de savoir s’ils ont prononcé ces homélies ou s’il s’agit de produits littéraires. Lors de la célébration de l’Eucharistie, l’évêque qui présidait choisissait généralement les lectures et rien ne laisse penser qu’il était tenu à une lecture continue d’un livre biblique.

Liturgie et musique

On suppose souvent que le chant des psaumes et le chant des hymnes avaient une place naturelle dans le culte chrétien primitif. Cependant, Joseph Dyer met en garde contre le fait que  » la psalmodie n’était pas une composante essentielle de la messe dès le début, et que les lieux appropriés pour le chant n’ont été occupés que progressivement « [7] Dans la culture gréco-romaine, il était courant de chanter lors des banquets du soir et les chrétiens ont suivi cette coutume, mais ce n’était pas le cas lors des célébrations de l’Eucharistie au petit matin[8]. Dyer note également que  » la séparation peut-être mince entre la lecture stylisée et simple chant dans le monde antique  » [9]. Ainsi, la récitation formelle des textes a pu servir d’ouverture à l’introduction du chant des psaumes. À la fin du quatrième siècle, les psaumes étaient chantés dans la liturgie eucharistique entre les lectures et pendant la communion (notamment le psaume 33 [34], qui était un choix évident en raison du verset : « Goûtez et voyez que le Seigneur est bon »).

Conclusion

Alors que le quatrième siècle a remodelé la célébration de l’Eucharistie – en raison du nouveau statut public du christianisme et des possibilités offertes par l’architecture monumentale des églises – le contenu théologique et spirituel des prières eucharistiques « classiques » repose sur les fondements qui ont été posés au cours des siècles précédents. Le prochain épisode de cette série portera sur la tradition liturgique latine émergente.


Pour les volets précédents de la série « Brève histoire du rite romain de la messe » du Père Lang, voir la premièrela deuxième partie, la troisième partie et la quatrième partie.


NOTES

  1. For a selection of ancient anaphoras in English translation with useful introductions, see R. C. D. Jasper and G. J. Cuming, Prayers of the Eucharist: Early and Reformed, 3rd ed. (Collegeville, MN: Liturgical Press, 1987). 
  2. For a concise introduction with ample reference to further literature, see Robert F. Taft, The Byzantine Rite: A Short History, American Essays in Liturgy (Collegeville, MN: Liturgical Press, 1992). 
  3. See John F. Baldovin, The Urban Character of Christian Worship: The Origins, Development, and Meaning of Stational Liturgy, Orientalia Cristiana Analecta 228 (Rome: Pont. Institutum Studiorum Orientalium, 1987). 
  4. See the overview of Bryan D. Spinks, Do This in Remembrance of Me: The Eucharist from the Early Church to the Present Day, SCM Studies in Worship and Liturgy (London: SCM Press, 2013), 141-170. 
  5. On Egyptian anaphoras and the Coptic liturgy, see Spinks, Do This in Remembrance of Me, 94-120. 
  6. Cyrille Vogel, Medieval Liturgy: An Introduction to the Sources, rev. and trans. William G. Storey and Niels Krogh Rasmussen (Washington, DC: The Pastoral Press, 1981), 300. 
  7. Joseph Dyer, Review of James McKinnon, The Advent Project, in Early Music History 20 (2001), 279-309, at 283. 
  8. See Christopher Page, The Christian West and Its Singers: The First Thousand Years (New Haven and London: Yale University Press, 2010) 55–71 and his collection of sources at 72–83. 
  9. Dyer, Review, 284-285. ↑

Image Source: Wikimedia/AB, Emperor Constantine Holding Model of the City of Constantinople

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — partie IV : Les premières prières eucharistiques, improvisation orale et langage sacré

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.

Les historiens du christianisme primitif s’accordent à dire qu’il n’existait pas de forme écrite fixe pour la prière liturgique au cours des deux ou trois premiers siècles et que l’improvisation était de mise. Mais cette improvisation n’était pas le fruit du hasard ; elle s’inscrivait plutôt dans un cadre d’éléments stables et de conventions qui régissaient non seulement le contenu, mais aussi la structure et le style, d’une manière qui était largement redevable au langage biblique. Allan Bouley note que de tels éléments « sont vérifiables au deuxième siècle et indiquent que la prière extemporanée n’était pas laissée à la seule fantaisie du ministre. Au troisième siècle, et peut-être même avant, certains textes anaphoriques existaient déjà par écrit. » Bouley identifie donc une « atmosphère de liberté contrôlée »[1], puisque les préoccupations d’orthodoxie limitaient la liberté de l’évêque ou du prêtre de varier les textes de la prière. Ce besoin devint particulièrement pressant lors des luttes doctrinales du quatrième siècle, et à partir de ce moment-là, les textes des prières eucharistiques, tels que le Canon romain et l’Anaphore de saint Jean Chrysostome, furent fixés.

Transmission orale et mémorisation

Dans une étude sur l’improvisation dans la prière liturgique, Achim Budde analyse trois anaphores orientales utilisées sur une zone géographique considérable : la version égyptienne de l’Anaphore de saint Basile, l’Anaphore de saint Jacques de Syrie occidentale et l’Anaphore de Nestorius de Syrie orientale. En appliquant une méthode comparative, Budde identifie des modèles communs et des éléments stables de structure et de style rhétorique, qui, selon lui, remontent à l’histoire pré-littéraire de ces prières eucharistiques et peuvent avoir été transmis par mémorisation[2]. L’approche méthodologique de Budde est un complément et un correctif important à celle de Bouley, qui semble sous-estimer l’importance de la mémoire dans une culture orale. Sigmund Mowinckel, connu surtout pour son travail exégétique sur les Psaumes, a observé que le développement rapide de formes fixes de prière correspond à un besoin religieux essentiel et constitue une loi fondamentale de la religion[3]. La formation de textes liturgiques stables peut donc être considérée très tôt comme une force puissante dans le processus de transmission de la foi chrétienne.

La pratique largement orale de la prière liturgique primitive n’a donné lieu qu’à quelques anaphores écrites que l’on peut dater avec une certaine probabilité de la période pré-nicéenne. Trois textes sont généralement mentionnés : le modèle de prière eucharistique de la Tradition apostolique (qui a été examiné dans le deuxième volet de cette série), l’Anaphore d’Addai et de Mari, et le papyrus de Strasbourg. Cependant, les questions relatives à leur date et à leur éventuelle forme primitive restent sans réponse définitive. Ainsi, l’avertissement du liturgiste anglican Kenneth Stevenson mérite d’être cité dans son intégralité : « Tous les experts liturgiques de l’Antiquité savent qu’Hippolyte pourrait, de façon concevable, avoir été un archaïsant syrien fictif, faisant ses propres affaires, en désaccord avec le pape ; Addai et Mari pourraient avoir été mutilés au point d’être méconnaissables lors des ajustements liturgiques du patriarche Iso’yahb au VIIe siècle (qui impliquaient des abréviations) et le papyrus de Strasbourg pourrait être le fragment d’une anaphore précoce qui a ensuite inclus des éléments aujourd’hui perdus mais très différents, par leur style et leur contenu, de l’anaphore grecque ultérieure, dite de saint Marc (complète). Avec les compilateurs de textes liturgiques, tout est possible »[4].

L’anaphore de Barcelone

Les recherches de Michael Zheltov sur l’Anaphore de Barcelone, qui se trouve sur le papyrus du IVe siècle P. Monts. Roca env. 128-178 sont d’une certaine importance. L’anaphore contient un dialogue d’ouverture, une prière de louange et d’action de grâce conduisant au Sanctus, une oblation du pain et de la coupe, une première épiclèse demandant au Père d’envoyer l’Esprit Saint sur le pain et la coupe et d’en faire ainsi le corps et le sang du Christ, un récit de l’institution suivi d’une anamnèse, une seconde épiclèse demandant les fruits spirituels de la communion, et une doxologie finale.

Comme le papyrus de Strasbourg, légèrement plus tardif, l’Anaphore de Barcelone appartient à la tradition alexandrine. Le fait qu’il s’agisse d’une prière eucharistique pleinement développée appuie fortement l’argument selon lequel le papyrus de Strasbourg est fragmentaire et ne contient pas une anaphore complète (comme proposé ci-dessus). En même temps, le texte de Barcelone manque de certains éléments de la tradition alexandrine ultérieure, comme les longues intercessions qui précèdent le Sanctus. Michael Zheltov note également que les textes liturgiques du papyrus présentent des caractéristiques théologiques archaïques (par exemple, le fait de s’adresser à Jésus en tant qu' »enfant » ou « serviteur » comme dans la Didaché et la Tradition apostolique), ce qui pourrait indiquer que l’anaphore date du troisième siècle. L’Anaphore de Barcelone appelle certainement à une révision des études récentes sur le développement précoce des prières eucharistiques. À tout le moins, elle remet en question la théorie avancée par Paul Bradshaw et Maxwell Johnson, entre autres, selon laquelle certains éléments, tels que le récit de l’institution et l’épiclèse, devraient être considérés comme une interpolation du quatrième siècle. Comme l’affirme Zheltov,  » ces parties n’ont pas une nature interpolée mais organique « [6] Si l’Anaphore de Barcelone peut effectivement être datée du troisième siècle, cela augmenterait la plausibilité d’une chronologie similaire pour la prière eucharistique dans la Tradition apostolique.

Liturgie et langue sacrée

Le langage liturgique se distingue des autres formes de discours chrétien par l’emploi de registres linguistiques qui expriment la relation de la communauté de foi avec le transcendant sous forme de louange, d’action de grâce, de supplication, d’intercession et de participation aux sacrements. L’utilisation du langage dans la liturgie présente des caractéristiques générales qui, à des degrés divers, la distinguent du langage courant.

Selon Christine Mohrmann, la pratique précoce de l’improvisation dans un cadre stable a conduit à un style de prière liturgique nettement traditionnel[7]. Il existe un phénomène similaire dans le domaine de la littérature, la langue stylisée des epos homériques avec ses formes de mots consciemment archaïques et colorées (Homerische Kunstsprache). La liberté des chanteurs d’improviser sur le matériau donné dans les poèmes épiques a contribué à la création d’une langue stylisée. La langue de l’Iliade et de l’Odyssée, que l’on retrouve également chez Hésiode et dans des inscriptions poétiques ultérieures, n’a jamais été une langue parlée utilisée dans la vie quotidienne[8].

Avec Mohrmann, nous pouvons citer trois caractéristiques de la langue sacrée ou, comme elle le dit aussi,  » hiératique « . Premièrement, elle tend à faire preuve de ténacité en s’accrochant à une diction archaïque (un exemple dans l’usage anglais contemporain serait « Our Father, who art in heaven… « ) ; deuxièmement, des éléments étrangers sont introduits afin de s’associer à une tradition religieuse vénérable, par exemple, le vocabulaire biblique hébreu dans l’usage grec et latin des chrétiens, comme amen, alleluia et hosanna (ceci est déjà noté par Saint Augustin) ;[9] et, troisièmement, le langage liturgique emploie des figures rhétoriques typiques du style oral, comme le parallélisme et l’antithèse, les clausules rythmiques, la rime et l’allitération.

Conclusion

Au cœur de l’Eucharistie se trouve la grande prière d’action de grâce, dans laquelle les offrandes de pain et de vin sont consacrées comme le corps et le sang du Christ. Les chercheurs continuent à débattre des questions de datation et des formes antérieures possibles des prières eucharistiques qui sont considérées comme provenant de la période pré-constantinienne. Alors que le quatrième et le cinquième siècle ont remodelé la célébration liturgique de l’Eucharistie, le contenu théologique et spirituel des anaphores de cette période s’est construit sur des bases déjà existantes. Le prochain volet de cette série proposera une étude de ces anaphores « classiques » de l’Orient chrétien.


Pour les volets précédents de la série « Brève histoire du rite romain de la messe » du père Lang, voir la premièrela deuxième partie et la troisième partie.


Notes

  1. Allan Bouley, From Freedom to Formula: The Evolution of the Eucharistic Prayer from Oral Improvisation to Written Texts, Studies in Christian Antiquity 21 (Washington, DC: Catholic University of America Press, 1981), xv. 
  2. See Achim Budde, “Improvisation im Eucharistiegebet. Zur Technik freien Betens in der Alten Kirche,” in Jahrbuch für Antike und Christentum 44 (2001), 127-144. 
  3. Sigmund Mowinckel, Religion und Kultus, trans. Albrecht Schauer (Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 1953), 8, 14, and 53. 
  4. Kenneth Stevenson, Eucharist and Offering (New York: Pueblo, 1986), 9. 
  5. Michael Zheltov, “The Anaphora and the Thanksgiving Prayer from the Barcelona Papyrus: An Underestimated Testimony to the Anaphoral History in the Fourth Century,” in Vigiliae Christianae 62 (2008), 467-504. 
  6. Ibid., 503. 
  7. See Christine Mohrmann, Liturgical Latin: Its Origins and Character. Three Lectures (London: Burns & Oates, 1959), 24. Her collected studies are published in: Études sur le latin des chrétiens, 4 vol. (Rome: Edizioni di Storia e Letteratura, 1961-1977). 
  8. See Mohrmann, Liturgical Latin, 10-11. 
  9. Augustine of Hippo, De doctrina christiana, II,11,16. 

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — Partie III : Le troisième siècle, entre croissance paisible et persécution

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.


Le statut des premiers chrétiens dans l’Empire romain était précaire et les fonctionnaires les considéraient souvent avec suspicion, mais les persécutions réelles étaient locales et sporadiques avant le milieu du troisième siècle. Les mesures brutales prises sous les empereurs Dèce en 250 et Valérien en 258 ont affecté les communautés chrétiennes dans tout l’Empire, mais elles ont été suivies d’une période de croissance pacifique, jusqu’à ce que, en 303, l’empereur Dioclétien déclenche la dernière persécution romaine des chrétiens avant la reconnaissance officielle du christianisme par Constantin en 313.

Des bâtiments d’église consacrés apparaissent dans la seconde moitié du troisième siècle. Eusèbe de Césarée parle de la construction de grandes « églises » – il utilise le terme spécifique – sur les fondations de bâtiments plus anciens qui étaient devenus trop petits pour les assemblées croissantes de chrétiens[1] . Eusèbe présente également la destruction d’églises comme une caractéristique de la persécution dioclétienne. Ces églises pré-constantiniennes pouvaient être pourvues d’objets précieux pour le culte, comme le montre le rapport d’une confiscation dans l’église de Cirta en Afrique du Nord daté du 19 mai 303.

Le lieu du culte

Les racines du culte chrétien primitif dans la liturgie du Temple remet en question l’idée reçue selon lequel l’Église primitive s’identifiait exclusivement comme un groupe eschatologique de croyants rejetant l’idée d’espace sacré et n’ayant nul besoin de de lieux spécifiquement dédiés au rituel et au culte. Dans une étude récente, Jenn Cianca soutient que les chrétiens se réunissaient par nécessité dans des lieux sacrés qui étaient temporaires, et non permanents, et qui se constituaient à travers des rituels, en particulier l’Eucharistie. En s’appuyant sur l’anthropologie sociale et l’étude des rites, Cianca propose la conception d’une sacralité construite rituellement, qui « permet un développement organique, plus lent, de l’espace sacré de l’espace sacré primitif, plutôt que d’interpréter la construction de la basilique Latran à Rome comme une révolution ». [2]

Cette nouvelle perspective éclaire également la question controversée de savoir si les références chrétiennes pré-constantiniennes au terme « autel » doivent être interprétées de manière métaphorique ou si elles désignent des objets matériels réellement utilisés dans le culte. D’un point de vue phénoménologique, les tables en bois destinées à l’eucharistie des premiers chrétiens étaient très différentes des autels en pierre associés à l’abattage des animaux dans le culte païen. Cependant, comme le montre Stefan Heid, la sacralité d’un autel ne dépendait pas de sa forme ou de son matériau, mais de sa fonction. Dans l’Antiquité classique, divers objets pouvaient servir d’autel pour les offrandes aux dieux, notamment des trépieds en métal, des piliers en pierre, des tables en bois et des autels massifs en pierre[3]. En outre, le fait qu’un objet ne soit pas fixe mais mobile ne le rendait pas profane. Dans ce contexte, une table en bois mobile, apportée dans un lieu de rencontre chrétien pour l’Eucharistie, pouvait quand même être considérée comme un autel et être chargée de caractère sacré. [4]

Le temps de prier

Lorsque nous en venons à considérer le jour et l’heure de la célébration de l’Eucharistie, l’importance du premier jour de la semaine juive est évidente dans le christianisme primitif. C’est le jour de la résurrection du Christ d’entre les morts (Marc 16:2 ; Jean 20:1, 19), et il est observé de manière spéciale par la communauté (1 Corinthiens 16:2 ; Actes 20:7-12). Le « Jour du Seigneur » (Apocalypse 1,10) est très probablement identifié au premier jour de la semaine, et ce jour-là, l’Eucharistie est célébrée (Didaché 14). L’épître de Barnabé a généralement été datée de 130-135, mais des études récentes ont encouragé une datation plus ancienne, vers 96-98. Dans cette lettre, que certaines Églises acceptaient comme faisant partie des Écritures canoniques, les chrétiens sont invités à célébrer non pas le sabbat, mais le premier jour de la semaine, qui est acclamé comme le « huitième jour, le commencement d’un autre monde ». Ce huitième jour marque une nouvelle création car c’est le jour de la résurrection de Jésus[5]. Au milieu du deuxième siècle, Justin Martyr explique également la signification particulière du « jour du soleil » pour la célébration de l’Eucharistie en se référant au début de la création de Dieu et à la résurrection du Christ[6].

Étant donné que le jour juif commence au coucher du soleil, la célébration hebdomadaire de l’Eucharistie a pu initialement avoir lieu le samedi soir après la fin du sabbat, comme le soutiennent de plus en plus de spécialistes. Au début du troisième siècle, cependant, Tertullien rapporte que le « sacrement de l’Eucharistie » ou le « sacrifice » à « l’autel de Dieu » est célébré le matin – vraisemblablement le dimanche[7]. Tertullien distingue clairement l’Eucharistie du « repas de Dieu  » ou du « banquet du Seigneur » convivial qui a lieu le soir[8]. Tertullien témoigne également de l’obligation de jeûner avant de recevoir l’Eucharistie, comme le fait la Tradition apostolique, ce qui indique une célébration matinale[9]. Au milieu du troisième siècle, Cyprien de Carthage confirme que l’Eucharistie, qu’il appelle dominicum (littéralement,  » ce qui appartient au Seigneur « ), est distincte du repas du soir et a lieu le matin en célébration de la résurrection du Seigneur[10].

Dans la plupart des traditions religieuses, la position adoptée dans la prière et l’aménagement des lieux saints sont déterminés par une « direction sacrée ».[11] À partir du deuxième siècle, prier face à l’Est est, pour les chrétiens, une évidence. La Didascalia Apostolorum , une ordonnance de l’Église syriaque du IVe siècle basée sur un original grec datant probablement du début du IIIe siècle, stipule que l’assemblée liturgique, clergé et laïcs, doit se tenir debout et se tourner vers l’Est pour prier[12]. Le verset du psaume invoqué pour authentifier cette règle, « Rendez gloire à Dieu, qui monte sur le ciel des cieux, vers l’Orient  » (Psaume 67 [68], 34), est compris comme une prophétie de l’Ascension du Seigneur. Le Christ est monté vers l’Est, le lieu du Paradis (Genèse 2:8), d’où l’on attend sa seconde venue. Un large courant de sources liturgiques à partir du quatrième siècle confirme la pratique de la prière face à l’Est. L’élévation des cœurs qui introduit la prière eucharistique (Sursum cordaHabemus ad Dominum) était accompagnée de gestes de prière de toute l’assemblée : se tenir debout, lever les bras, regarder vers le ciel et se tourner vers l’Est[13].

Théologie des azymes

Les œuvres d’auteurs chrétiens de différentes régions de la fin du IIe et du début du IIIe siècle, parmi lesquels Irénée de Lyon (m. 202), né en Asie Mineure, Clément (m. c. 215) et Origène d’Alexandrie (m. 253), Tertullien (m. après 220) et Cyprien de Carthage (m. 258), offrent de riches contributions à une théologie de l’Eucharistie. Leurs diverses lignes de pensée convergent vers une compréhension claire du caractère sacrificiel de l’Eucharistie et un sens réaliste de la présence du Christ dans les offrandes consacrées et des effets salvateurs qu’elles confèrent à ceux qui les reçoivent dans la foi. Ils témoignent également de la grande révérence avec laquelle les chrétiens considéraient le corps et le sang du Christ. La très influente Lettre 63 de Cyprien présente un intérêt particulier, car il s’y oppose aux groupes qui utilisent de l’eau à la place du vin pour l’Eucharistie – une pratique connue par les Actes de Thomas en Syrie et d’autres apocryphes du Nouveau Testament.

Cyprien élabore une théologie de l’Eucharistie comme offrande d’un sacrifice non sanglant en souvenir de la Passion du Christ. Dans le sacrifice de l’Église, le Christ, Grand Prêtre de la Nouvelle Alliance, s’offre lui-même, et le prêtre ordonné agit en la personne du Christ en imitant ce qu’il a fait lors de la dernière Cène[14]. Cyprien commente la connotation sacrificielle du vin dans les prophéties de l’Ancien Testament et soutient que son utilisation est inséparable du mémorial liturgique de la Passion du Christ. De plus, rejeter sa consommation dans l’Eucharistie est infidèle à la tradition de la Cène. Pour étayer son argument, Cyprien cite les paroles d’institution de Matthieu 26 et de 1 Corinthiens 11[15].


Pour les volets précédents de la série « Brève histoire du rite romain de la messe » du père Lang, voir la première et la deuxième partie.


Notes:

  1. Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, VIII,1,5. 
  2. Jenn Cianca, Sacred Ritual, Profane Space: The Roman House as Early Christian Meeting Place, Studies in Christianity and Judaism 1 (Montreal & Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2018), 167. Un raisonnement similaire se trouve chez Ann Marie Yasin, Saints and Church Spaces in the Late Antique Mediterranean: Architecture, Cult, and Community, Greek Culture in the Roman World (Cambridge: Cambridge University Press, 2009), 44. 
  3. Voir Stefan Heid, Altar und Kirche: Prinzipien christlicher Liturgie (Regensburg: Schnell & Steiner, 2019), 54-67. 
  4. Voir ibid., 149-157. 
  5. Épître de Barnabé, 15,8-9. 
  6. Justin Martyr, Première Apologie, 67,8. 
  7. Tertullien, De corona, 3,3, et De oratione, 19,1-3. 
  8. Tertullien, Ad uxorem, 2,8,8; Apologeticum, 39,16-17; De spectaculis, 13,4. 
  9. Tertullien, Ad uxorem, 2,5,3; Tradition Apostolique, 36. 
  10. Cyprian de Carthage, Ep. 63,16,4. 
  11. Voir Uwe Michael Lang, Turning Towards the Lord: Orientation in Liturgical Prayer, 2nd ed. (San Francisco: Ignatius Press, 2009), 35-71. Traduction française : Se tourner vers le Seigneur, Ad Solem, 2006.
  12. Didascalia apostolorum, 12. 
  13. Voir Robert F. Taft, “The Dialogue before the Anaphora in the Byzantine Eucharistic Liturgy. II: The Sursum corda”, dans Orientalia Christiana Periodica 54 (1988), 47-77, at 74-75. 
  14. Cyprian de Carthage, Ep. 63, 14 et 17. 
  15. Ibid., 9-10. 

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — partie II : Questions dans la quête des origines de l’Eucharistie

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.


Dans l’une de ses lettres, Érasme de Rotterdam (mort en 1536) étayait le grand projet de l’humanisme de la Renaissance de revenir aux sources (ad fontes) en affirmant :  » C’est aux sources mêmes que l’on extrait la doctrine pure « [1] Au XIXe siècle, conscient de l’histoire, saint John Henry Newman (mort en 1890) illustrait sa théorie du développement de la doctrine (et du culte) par une image étonnamment différente : « On dit en effet parfois que le ruisseau est plus clair près de la source. Quel que soit l’usage que l’on puisse faire de cette image, elle ne s’applique pas à l’histoire d’une philosophie ou d’une croyance, qui au contraire est plus équilibrée, plus pure et plus forte, lorsque son lit est devenu profond, large et plein »[2].

La recherche des origines de la liturgie chrétienne donne certainement raison à Newman plutôt qu’à Érasme. Les sources qui sont parvenues jusqu’à nous sont peu nombreuses et la mesure dans laquelle elles représentent un christianisme normatif est contestée. De plus, comme l’a fait remarquer Joseph Ratzinger (Benoît XVI), « la Cène est le fondement du contenu dogmatique de l’Eucharistie chrétienne, et non de sa forme liturgique. Cette dernière n’existe pas encore »[3]. Cette forme liturgique a été façonnée par la tradition apostolique, qui s’est d’abord transmise non pas en référence à des textes écrits (les livres étaient des biens de luxe auxquels peu avaient accès) mais dans la fidélité à l’enseignement oral, avec un rôle particulier pour la mémorisation. L’apôtre Paul offre un exemple de ce processus : il avait déjà instruit la communauté chrétienne de Corinthe sur la Cène du Seigneur lors de son long séjour dans la ville. Par écrit, il n’aborde que les problèmes spécifiques qui se sont posés et ne répète pas l’ensemble de son enseignement. En fait, il préfère résoudre les problèmes en personne (1 Corinthiens 11:34). Des auteurs paléochrétiens, tels que Tertullien (mort après 220), saint Cyprien de Carthage (mort en 258) et saint Basile de Césarée (mort en 379) confirment l’importance des pratiques liturgiques et dévotionnelles non écrites[4].

Les défis de l’histoire

La nature même de la tradition orale fait échouer l’effort de reconstruction de l’historien ; c’est pourquoi notre connaissance de la pratique liturgique dans la période la plus ancienne est très limitée et la plupart des recherches dans ce domaine sont hypothétiques. La « fraction du pain », que les Actes des Apôtres présentent comme « une célébration eucharistique et une participation proleptique au banquet messianique »[5], se déroule « à la maison » (Ac 2,45 et 5,42). On en conclut souvent que l’Eucharistie était à l’origine célébrée dans un cadre domestique, qui pouvait aller des maisons de ville (domus) et des propriétés de campagne des classes supérieures aux appartements de différentes tailles, ainsi qu’aux magasins utilisés à des fins commerciales et résidentielles. Plus récemment, l’idée d' »églises de maison » dans le christianisme primitif a fait l’objet d’un examen approfondi, et les chercheurs ont plaidé en faveur d’un cadre plus formel et hiérarchique de la liturgie chrétienne primitive[6].

Un texte clé pour la compréhension chrétienne primitive de l’Eucharistie est Malachie 1:11 : « Du lever au coucher du soleil, mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu on offre de l’encens à mon nom, une offrande pure. » Sur fond de sacrifices souillés offerts par un sacerdoce corrompu, Dieu lui-même annonce, par son prophète, une  » offrande pure.  » Le mot hébreu utilisé ici est minhah, qui désigne l’offrande de repas non sanglante, typiquement un pain cuit et une libation de vin, qui accompagnait l’holocauste dans le Temple de Jérusalem (voir Nombres 15,4-5).

À partir de 1 Corinthiens 10, ce sacrifice à offrir « en tout lieu » (et pas seulement au Temple) a été identifié par les premiers chrétiens à l’Eucharistie[7]. Dans l’Antiquité, le sacrifice d’animaux et de produits de la terre était au cœur même du culte religieux, tant païen que juif (avant la destruction du Temple en 70 après J.-C.). Par les paroles et les actes du Christ, le concept de sacrifice n’est pas supprimé mais transformé. C’est pourquoi l’Eucharistie, tout en étant initialement liée au repas communautaire de l’église locale (comme le montre la Didaché, 9-10), était déjà considérée comme une action sacrificielle (Didaché, 14) au début du deuxième siècle, voire avant. Pour y participer, il fallait être baptisé et se repentir. Même dans les cadres modestes des deux premiers siècles, un lieu sacré (par nécessité temporel, non permanent) était constitué par et dans le rituel accompli par le corps des croyants.

L’Eucharistie et l’Église primitive

La description la plus ancienne de l’Eucharistie remonte au milieu du deuxième siècle à Rome, dans la première Apologie de saint Justin Martyr (mort vers 165), une défense de la foi et de la pratique chrétiennes adressée à l’empereur Antonin Pius. Justin donne d’abord un compte rendu de l’eucharistie post-baptismale, puis il esquisse une eucharistie dominicale typique. La Première Apologie est écrite pour un lectorat présumé païen et, par conséquent, seule la structure essentielle de la célébration est donnée dans un langage intelligible pour les étrangers ; aucune information détaillée n’est fournie sur sa forme rituelle ou le contenu des prières. Les éléments de base de l’eucharistie dominicale sont restés les mêmes au fil des siècles : lectures scripturaires ( » mémoires des apôtres  » – vraisemblablement les Évangiles –  » ou écrits des prophètes « ), prédication, préparation du pain et du vin mélangés à l’eau, prières de louange et d’action de grâce offertes par celui  » qui préside  » et conclues par un  » Amen  » de l’assemblée, communion partagée entre les personnes présentes et apportée par les diacres aux absents, et collecte finale pour les personnes dans le besoin[8].

Notamment, Justin souligne le caractère unique de l’Eucharistie par analogie avec l’Incarnation : tout comme le Christ  » a pris chair et sang pour notre salut « , le pain et le vin, qui ont été  » eucharistisés par une parole de prière qui vient de lui « , sont  » la chair et le sang de ce Jésus incarné « . Je considère que la « parole de prière » fait référence aux paroles de l’institution, que Justin cite ensuite sous la forme familière de Matthieu (26,26-28) et de Marc (14,22-24). Les offrandes eucharistiques transformées en chair et en sang du Christ – comme Ignace d’Antioche (vers 110), Justin préfère la terminologie johannique de « chair » (sarx) à « corps » (soma) – nourrissent « notre sang et notre chair ». L’accès à l’Eucharistie n’est pas indifférencié mais dépend de la foi, du baptême et de la conduite morale[9].

Premier texte source de la liturgie ?

Il existe un ordre ecclésiastique ancien, appelé « tradition apostolique », que les chercheurs du XXe siècle ont attribué à Hippolyte, un personnage assez haut en couleur de l’Église romaine qui a accusé son évêque Callistus (mort en 222) de laxisme dans la réconciliation des pécheurs et s’est érigé en premier antipape de l’histoire, mais qui a finalement été réconcilié et est mort martyr en 235. On pense qu’Hippolyte était un conservateur qui a compilé des informations importantes sur les pratiques liturgiques (peut-être même plus anciennes) de Rome. Cependant, des études récentes ont remis en question cette théorie concernant l’origine du document. Le document existant, originellement écrit en grec, sans titre, provient de l’Orient chrétien et n’a aucun lien avec Rome. Il n’a pas d’auteur unique, mais est une compilation de textes liturgiques qui étaient en usage et sujets à de fréquentes modifications. Il y a très probablement un noyau qui remonte au début du troisième siècle, auquel d’autres parties ont été ajoutées. Il existe une traduction latine dans un manuscrit du Ve siècle provenant de Vérone, ainsi que des versions dans des langues chrétiennes orientales.

Le texte a également influencé les ordres ultérieurs de l’Église en Orient (Constitutions apostoliques, livre VIII ; Canons d’Hippolyte ; Le Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ). Aucun de ces ouvrages ne conserve l’intégralité du texte de ce qu’on appelle la Tradition apostolique, qui comprend : les rites d’ordination des évêques, des prêtres et des diacres ; les règlements sur les différents états de vie dans l’Église ; les rites du catéchuménat et du baptême ; diverses prières et bénédictions. Le rite d’ordination d’un évêque comprend le modèle très développé d’une prière eucharistique. Dans le Missale Romanum renouvelé de 1970, la prière eucharistique II suit le modèle « hippolytain » (bien qu’avec des modifications importantes). Bien que la Tradition apostolique contienne des éléments anciens, elle ne peut être utilisée comme source pour la liturgie romaine du début du IIIe siècle. Son influence sur le développement de la liturgie occidentale a été minime jusqu’aux réformes qui ont suivi Vatican II[10].


Notes

  1. Opus Epistolarum Des. Erasmi Roterodami, ed. Percy Scafford Allen, Hellen Mary Allen and Heathcote William Garrod, 12 vol. (Oxford: Clarendon Press, 1906-1958), vol. II, 284. 
  2. John Henry Newman, An Essay on the Development of Christian Doctrine, 14th impression (London: Longmans, Green, and Co., 1909), 40. 
  3. Joseph Ratzinger, “Form and Content of the Eucharistic Celebration”, in Theology of the Liturgy: The Sacramental Foundation of Christian Existence, Joseph Ratzinger Collected Works 11, ed. Michael J. Miller (San Francisco: Ignatius Press, 2014), 299-318, at 305 (originally published in 1978). 
  4. Tertullian, On the Crown, 3-4; Cyprian of Carthage, Letter 63, 1 and 11; Basil of Caesarea, On the Holy Spirit, 27, 65-66. 
  5. Scott Hahn, Kinship by Covenant: A Canonical Approach to the Fulfillment of God’s Saving Promises, The Anchor Yale Bible Reference Library (New Haven and London: Yale University Press, 2009), 234. 
  6. See Edward Adams, The Earliest Christian Meeting Places: Almost Exclusively Houses? (London: Bloomsbury, 2016), and Stefan Heid, Altar und Kirche: Prinzipien christlicher Liturgie (Regensburg: Schnell & Steiner, 2019), esp. 69-85. 
  7. See also Didache, 14; Justin Martyr, Dialogue with Trypho, 41; Irenaeus of Lyon, Against Heresies, IV.17-18, and many later references in the patristic tradition. 
  8. Justin Martyr, First Apology, 65 and 67. 
  9. Justin Martyr, 1 Apology, 66. 
  10. The ancient text was also used for the revision of the Rite of Ordination of a Bishop and for the restored Rite of Christian Initiation for Adults (RCIA). 

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