Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Étiquette : messe

Fonction du Cérémoniaire à la messe chantée

On appelle couramment messe chantée, dans la forme extraordinaire du rite romain, une messe solennelle (avec encens) célébrée en l’absence du diacre et du sous-diacre. À l’origine, la messe chantée n’est qu’une messe basse qui n’est ni lue ni dialoguée, mais à laquelle on chante toutes les parties qui ne sont pas lue secrètement. Avec le temps, et grandement encouragée par les liturgistes des derniers siècles, est apparue la messe chantée avec encens.

Cette forme de messe, d’apparition relativement récente, est aujourd’hui la plus répandue, mais également celle où on observe le plus de changements d’une communauté à l’autre, d’un liturgiste à un autre. Cet article s’efforcera de donner les différentes variations de cette messe, selon les règles du Missel Romain de 1962.

Une messe chantée requiert la présence de quatre servants pour accompagner le prêtre : deux acolytes, un thuriféraire dont le rôle est de porter (fero en latin) l’encens (thuris), et un cérémoniaire, auquel ce premier article est directement consacré. Afin de solenniser certaines fête, et pour donner l’opportunité aux garçons de se rapprocher de l’autel, il existe d’autres fonctions qui peuvent être accomplies par des jeunes moins expérimentés, comme les céroféraires (au nombre de 2, 4, ou 6, parfois 8) et le porte-navette. Dans de nombreux lieux, on rajoute un porte-croix, qui se placera entre les deux acolytes lors de la procession d’entrée et de retour à la sacristie.

Le rôle du cérémoniaire est d’assurer l’exécution correcte et digne de la cérémonie ; il veillera donc à ce que les ministres accomplissent convenablement leur rôle, n’hésitant pas à les reprendre discrètement s’ils commettent des erreurs. C’est également à lui que revient la tâche de corriger le prêtre si celui-ci se trompe, et de lui indiquer ce qu’il doit faire si celui-ci a une hésitation. Il veillera de même à la cohésion des mouvements d’ensemble. Pour cela, il claquera des mains un coup à chaque fois que les ministres doivent génuflecter ou se lever, et deux coups pour s’agenouiller. Ce signal doit être assez fort pour être entendu de tous, tout en demeurant discret.

À la sacristie, le cérémoniaire aide le célébrant à revêtir les ornements. Il donne ensuite le signal du départ de la procession. Il marche devant le prêtre si celui-ci est en chasuble, ou à sa droite si celui-ci porte la chape. (c’est d’ailleurs la règle générale lorsque le cérémoniaire accompagne le célébrant). Il aide le prêtre à monter toutes les marches qu’il rencontre en soulevant le bas de l’aube. En entrant dans le cœur, il vient se placer à droite du prêtre au pied des marches, ou à gauche si on chante l’Asperges me. Durant l’aspersion, le cérémoniaire se place toujours à gauche du célébrant en passant toujours devant lui lorsqu’il doit échanger de côté avec le thuriféraire pour se retourner. Il est aspergé à genoux s’il est aspergé juste après l’autel, et debout profondément incliné s’il est aspergé après les fidèles. Lorsque le prêtre est de retour à l’autel après l’aspersion, le cérémoniaire lui présente la feuille pour l’oraison. Le cérémoniaire accompagne le célébrant à la banquette, lui ôte la chape qu’il donne au thuriféraire, et aide le prêtre à revêtir le manipule et la chasuble. Ils retournent alors tous les deux au pied de l’autel.

Le cérémoniaire fait la génuflexion en même temps que le prêtre et s’agenouille à la droite du prêtre, répondant aux prières au bas de l’autel. Après celles-ci, il fait lever tout le monde, et se rend à la gauche du thuriféraire, côté épître en bas des marches, qu’ils montent ensemble après avoir salué le prêtre une fois que le cérémoniaire a reçu la navette du thuriféraire. En haut du marchepied, le cérémoniaire ouvre la navette et donne la cuillère au prêtre (à chaque fois qu’il donne quelque chose au prêtre il embrasse d’abord l’objet puis la main du prêtre). Il demande ensuite au prêtre de bénir l’encens en disant la phrase suivante « Benedicite pater reverende » (bénissez, révérend père) ; lorsque le prêtre la lui rend, il récupère la cuillère (à chaque fois que le prêtre lui donne un objet, il embrasse d’abord la main, puis l’objet). Il rend ensuite la navette au thuriféraire, et celui-ci lui passe l’encensoir. Le cérémoniaire vient se placer à droite du prêtre et lui donne l’encensoir (avec baisements). Il accompagne les mouvements du prêtre, et lui soutient le coude en génuflectant. Si la forme de la chasuble gêne les mouvements du prêtre, il la soutient légèrement pendant l’encensement. L’autel encensé, il reçoit l’encensoir (avec baisements), descends in plano (i.e. en bas des marches) côté épître, se tourne vers le prêtre, et l’encense trois fois deux coups, s’inclinant profondément avant et après. Il rend alors l’encensoir au thuriféraire, et monte au côté épître de l’autel, « au missel », à droite du prêtre.

Le cérémoniaire indique au célébrant de la main droite l’antienne d’introït. Il se signe et s’incline avec lui au Gloria Patri, puis répond au Kyrie. S’il a le temps, il indique au prêtre de s’asseoir. Ils se rendent à la banquette par le chemin le plus bref, sans inclinaison ni génuflexion. Le cérémoniaire arrange la chasuble sur la banquette, à moins que la disposition des lieux rendent cette tache plus facile aux acolytes. Il donne la barrette au prêtre, puis il se place debout face aux fidèles, à la droite du célébrant, ce qui sera sa position habituelle lorsque celui-ci est à la banquette. Au dernier Kyrie, il fait, d’une inclinaison de tête, signe au prêtre de se découvrir et de se lever, et récupère la barrette, et l’accompagne à l’autel pour qu’il y arrive à temps pour le Gloria ou la collecte. Ils retournent à l’autel par le milieu, où le cérémoniaire fait la révérence appropriée à la Croix avec le célébrant avant que celui-ci ne monte à l’autel.

S’il y a un Gloria, le cérémoniaire vient ensuite se placer en bas des marches, légèrement sur la droite, face au troisième cierge. (Si le prêtre n’était pas allé s’asseoir, le cérémoniaire se tourne sur sa droite, puis il descend et fait le tour des marches pour venir à sa place) il fait les inclinaisons de tête vers la Croix pendant le Gloria (aux mots « Deo », « adoramus te », « gratias agimus tibi », « Jesu Christe », « suscipe deprecationem nostram » et « Jesu Christe »). Lorsque le prêtre a fini de réciter le Gloria, ils vont à la banquette, toujours par le chemin le plus court et sans génuflection ou inclinaison. Il fait à la croix d’autel les inclinations profondes qui conviennent pendant le chant du Gloria (en s’inclinant avant vers le prêtre pour qu’il se découvre). À la fin du Gloria, il fait le signe de croix et s’incline vers le prêtre, puis ils retournent à l’autel.

Le cérémoniaire monte au missel et indique au célébrant la collecte, et les éventuelles mémoires. À la fin de la dernière oraison, il descend à la crédence chercher le lectionnaire (si besoin), puis remonte au missel. Si le prêtre souhaite lire la traduction de l’épître à ce moment, le cérémoniaire lui donne le lectionnaire ouvert à la bonne page. Le prêtre récite ensuite le Graduel, l’Alléluia, l’éventuelle séquence ou le trait. Ils vont ensuite s’asseoir comme précédemment. Au début de l’Alléluia (lorsque la schola chante alléluia pour la deuxième fois) ou pendant la séquence ou le trait, il fait signe au prêtre de se lever et l’accompagne à l’autel. Arrivé au pied des marches, il aide le prêtre à les monter, puis appelle le thuriféraire pour imposer de l’encens (qui se déroule exactement comme la première). À la fin de l’imposition, le thuriféraire récupère la navette et garde l’encensoir. Le cérémoniaire prend le missel, et descend se placer au pied des marches à droite du thuriféraire. Lorsque la schola reprend « Alléluia » (ou à la fin de la séquence ou du trait), tous génuflectent au signal du cérémoniaire. Puis, le cérémoniaire monte poser le missel côté Évangile, et redescend à droite du thuriféraire.

Au Dominus vobiscum qui précède l’Évangile, le cérémoniaire récupère l’encensoir dans sa main droite, et monte le présenter au prêtre, avec baisements, pour l’encensement du missel. S’il y a une inclinaison à faire au début de l’Évangile, il attendra cette inclinaison pour redescendre des marches. Il rend ensuite l’encensoir au thuriféraire, et reste ici jusqu’à la fin de l’Évangile. Si le prêtre le lui tend, il récupère le lectionnaire qu’il va poser à la crédence lorsque tous ont fait la génuflexion au pied des marches à son signal.

Il est interdit d’encenser ici le célébrant à la messe chantée (cf Ritus Servandus, VI, 8) ; en effet, le diacre à la messe solennelle encense l’officiant (qui n’est d’ailleurs par toujours le célébrant, mais peut être un prélat assistant à la messe depuis son trône), pour lui rendre grâce de l’avoir missionné pour annoncer l’Évangile. Mais le célébrant qui proclame lui même l’Évangile ne doit pas s’encenser ou se faire lui même encenser, pour se rendre grâce à lui même.

Si le prêtre donne une homélie, le cérémoniaire va s’asseoir à côté de la banquette ou accompagne le prêtre à la chaire. S’il y a un Credo, il vient se placer in-plano face à l’autel, côté épître. Lorsque le prêtre a fini de réciter le Credo, ils vont à la banquette après avoir fait la révérence appropriée au milieu. Le cérémoniaire se met à genoux au chant du « et incarnatus est » si le prêtre a fini de réciter le Credo ; si le prêtre n’est pas encore assis, ils s’agenouillent au pied des marches, sinon, le cérémoniaire s’agenouille à côté de la banquette où le prêtre est assis, après lui avoir fait signe de lui-même s’incliner. Le célébrant assis, le cérémoniaire prend à la crédence le calice et l’apporte à l’autel ; il y déplie le corporal, pose le calice dessus, et rapproche le missel. Puis il retourne à la banquette. S’il n’est pas clerc, il prendra soin d’attraper le calice par le voile pour ne pas le toucher ; on pourra également, en ce cas, laisser le calice posé sur l’autel dès le début de la messe. À la fin du Credo, il fait signe au prêtre de se découvrir et de se lever, puis il l’accompagne à l’autel, où il monte par le milieu.

À l’Oremus de l’offertoire, le cérémoniaire apporte le calice s’il ne l’a pas encore fait (absence de Credo). Puis il plie le voile de calice que lui passe le célébrant, et redescend à sa place. Lorsque le prêtre s’incline sur les oblats (In spiritu humilitatis), le cérémoniaire appelle le thuriféraire pour l’imposition de l’encens, qui se déroule comme au Kyrie. Puis le cérémoniaire rend la navette au thuriféraire, et reçoit l’encensoir qu’il donne au prêtre avec les baisers. Il assiste ce dernier à sa droite pendant l’encensement, soutenant le coude à chaque génuflexion et la chasuble si nécessaire. À la fin de l’encensement de l’autel, le cérémoniaire reçoit du célébrant l’encensoir, descend in-plano, et l’encense de trois coups doubles, s’inclinant profondément avant et après. Ayant rendu l’encensoir au thuriféraire, le cérémoniaire fait le tour des marches, génuflecte au pied de l’autel et monte directement au missel.

Il répond à l’Orate fratres, indique la secrète et les éventuelles autres oraisons au célébrant, puis met le missel à la page de la préface. Le cérémoniaire se tourne vers le thuriféraire au moment opportun pour se faire encenser, le saluant avant et après d’une inclinaison de tête. Quand le célébrant achève la récitation du Sanctus, le cérémoniaire met le missel à la page du Canon.

Pendant le canon, le cérémoniaire reste au missel, tournant les pages quand il le faut. Au Memento des vivants, il se retire légèrement, et se rapproche quand le célébrant étend à nouveau les mains. Au « Quam oblationem », ou plus tard s’il lui faut encore tourner la page avant les paroles de la consécration, le cérémoniaire s’agenouille sur le marchepied. Il soulève légèrement la chasuble du célébrant à chaque élévation, et se relève avec lui après la dernière génuflexion. Il assiste de nouveau le célébrant au missel, tournant les pages quand il le faut. Lorsque le célébrant génuflecte, le cérémoniaire fait de même, soutenant légèrement le coude du célébrant. Au Memento des morts, il se retire comme pour le Memento des vivants. Il reste ainsi au missel jusqu’aux prières précédant la communion.

Au premier Domine, non sum dignus du célébrant, le cérémoniaire descend s’agenouiller in plano au côté Évangile, face à l’Orient. Il reste ainsi jusqu’à l’Indulgentiam qui suit le Confiteor (récité par le 1° acolyte). Quand le célébrant se retourne vers l’autel pour prendre le ciboire, le cérémoniaire et les autres ministres se lèvent. Tous se mettent en ligne au pied de l’autel. Ils génuflectent, montent et s’agenouillent sur le marchepied pour communier. Le cérémoniaire, qui est à l’extrémité côté Évangile, communie le dernier. Il garde le plateau avec lui, se lève et accompagne le célébrant pour la distribution de la communion. Celle-ci achevée, il précède le célébrant à l’autel, lui donne le plateau de communion, et s’agenouille au pied des marches, côté épître.

À la fermeture du tabernacle, il fait signe aux servants de se lever, puis il reste au pied des marches pendant les ablutions. Il monte au côté épître lorsque le 1° acolyte y a déposé le missel, et indique au célébrant l’antienne de communion quand celui-ci vient la réciter. Il reste au missel pendant le Dominus vobiscum puis indique la postcommunion et les éventuelles autres oraisons. L’oraison chantée, il ferme le missel (tranche vers la croix), prend le carton de l’Ite missa est si besoin, et descend par le côté épître le présenter au célébrant.

Quand celui-ci l’a chanté, il génuflecte au milieu et s’agenouille au pied de l’autel. Après avoir reçu la bénédiction, il monte au côté évangile de l’autel. Il est préférable que le cérémoniaire ne tienne pas le canon pendant le dernier évangile, cette fonction étant réservée au sous-diacre. Après avoir répondu Deo gratias, il vient prendre place au pied de l’autel, de telle sorte qu’il soit à la droite du célébrant pour la génuflexion finale. Il précède le célébrant à la sacristie, où il donne le signal du salut à la croix, salue l’évêque si celui-ci est présent, puis le célébrant et demande la bénédiction au plus digne en disant : « Jube domne benedicere« . Il aide enfin le célébrant à quitter les ornements.

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — Partie III : Le troisième siècle, entre croissance paisible et persécution

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.


Le statut des premiers chrétiens dans l’Empire romain était précaire et les fonctionnaires les considéraient souvent avec suspicion, mais les persécutions réelles étaient locales et sporadiques avant le milieu du troisième siècle. Les mesures brutales prises sous les empereurs Dèce en 250 et Valérien en 258 ont affecté les communautés chrétiennes dans tout l’Empire, mais elles ont été suivies d’une période de croissance pacifique, jusqu’à ce que, en 303, l’empereur Dioclétien déclenche la dernière persécution romaine des chrétiens avant la reconnaissance officielle du christianisme par Constantin en 313.

Des bâtiments d’église consacrés apparaissent dans la seconde moitié du troisième siècle. Eusèbe de Césarée parle de la construction de grandes « églises » – il utilise le terme spécifique – sur les fondations de bâtiments plus anciens qui étaient devenus trop petits pour les assemblées croissantes de chrétiens[1] . Eusèbe présente également la destruction d’églises comme une caractéristique de la persécution dioclétienne. Ces églises pré-constantiniennes pouvaient être pourvues d’objets précieux pour le culte, comme le montre le rapport d’une confiscation dans l’église de Cirta en Afrique du Nord daté du 19 mai 303.

Le lieu du culte

Les racines du culte chrétien primitif dans la liturgie du Temple remet en question l’idée reçue selon lequel l’Église primitive s’identifiait exclusivement comme un groupe eschatologique de croyants rejetant l’idée d’espace sacré et n’ayant nul besoin de de lieux spécifiquement dédiés au rituel et au culte. Dans une étude récente, Jenn Cianca soutient que les chrétiens se réunissaient par nécessité dans des lieux sacrés qui étaient temporaires, et non permanents, et qui se constituaient à travers des rituels, en particulier l’Eucharistie. En s’appuyant sur l’anthropologie sociale et l’étude des rites, Cianca propose la conception d’une sacralité construite rituellement, qui « permet un développement organique, plus lent, de l’espace sacré de l’espace sacré primitif, plutôt que d’interpréter la construction de la basilique Latran à Rome comme une révolution ». [2]

Cette nouvelle perspective éclaire également la question controversée de savoir si les références chrétiennes pré-constantiniennes au terme « autel » doivent être interprétées de manière métaphorique ou si elles désignent des objets matériels réellement utilisés dans le culte. D’un point de vue phénoménologique, les tables en bois destinées à l’eucharistie des premiers chrétiens étaient très différentes des autels en pierre associés à l’abattage des animaux dans le culte païen. Cependant, comme le montre Stefan Heid, la sacralité d’un autel ne dépendait pas de sa forme ou de son matériau, mais de sa fonction. Dans l’Antiquité classique, divers objets pouvaient servir d’autel pour les offrandes aux dieux, notamment des trépieds en métal, des piliers en pierre, des tables en bois et des autels massifs en pierre[3]. En outre, le fait qu’un objet ne soit pas fixe mais mobile ne le rendait pas profane. Dans ce contexte, une table en bois mobile, apportée dans un lieu de rencontre chrétien pour l’Eucharistie, pouvait quand même être considérée comme un autel et être chargée de caractère sacré. [4]

Le temps de prier

Lorsque nous en venons à considérer le jour et l’heure de la célébration de l’Eucharistie, l’importance du premier jour de la semaine juive est évidente dans le christianisme primitif. C’est le jour de la résurrection du Christ d’entre les morts (Marc 16:2 ; Jean 20:1, 19), et il est observé de manière spéciale par la communauté (1 Corinthiens 16:2 ; Actes 20:7-12). Le « Jour du Seigneur » (Apocalypse 1,10) est très probablement identifié au premier jour de la semaine, et ce jour-là, l’Eucharistie est célébrée (Didaché 14). L’épître de Barnabé a généralement été datée de 130-135, mais des études récentes ont encouragé une datation plus ancienne, vers 96-98. Dans cette lettre, que certaines Églises acceptaient comme faisant partie des Écritures canoniques, les chrétiens sont invités à célébrer non pas le sabbat, mais le premier jour de la semaine, qui est acclamé comme le « huitième jour, le commencement d’un autre monde ». Ce huitième jour marque une nouvelle création car c’est le jour de la résurrection de Jésus[5]. Au milieu du deuxième siècle, Justin Martyr explique également la signification particulière du « jour du soleil » pour la célébration de l’Eucharistie en se référant au début de la création de Dieu et à la résurrection du Christ[6].

Étant donné que le jour juif commence au coucher du soleil, la célébration hebdomadaire de l’Eucharistie a pu initialement avoir lieu le samedi soir après la fin du sabbat, comme le soutiennent de plus en plus de spécialistes. Au début du troisième siècle, cependant, Tertullien rapporte que le « sacrement de l’Eucharistie » ou le « sacrifice » à « l’autel de Dieu » est célébré le matin – vraisemblablement le dimanche[7]. Tertullien distingue clairement l’Eucharistie du « repas de Dieu  » ou du « banquet du Seigneur » convivial qui a lieu le soir[8]. Tertullien témoigne également de l’obligation de jeûner avant de recevoir l’Eucharistie, comme le fait la Tradition apostolique, ce qui indique une célébration matinale[9]. Au milieu du troisième siècle, Cyprien de Carthage confirme que l’Eucharistie, qu’il appelle dominicum (littéralement,  » ce qui appartient au Seigneur « ), est distincte du repas du soir et a lieu le matin en célébration de la résurrection du Seigneur[10].

Dans la plupart des traditions religieuses, la position adoptée dans la prière et l’aménagement des lieux saints sont déterminés par une « direction sacrée ».[11] À partir du deuxième siècle, prier face à l’Est est, pour les chrétiens, une évidence. La Didascalia Apostolorum , une ordonnance de l’Église syriaque du IVe siècle basée sur un original grec datant probablement du début du IIIe siècle, stipule que l’assemblée liturgique, clergé et laïcs, doit se tenir debout et se tourner vers l’Est pour prier[12]. Le verset du psaume invoqué pour authentifier cette règle, « Rendez gloire à Dieu, qui monte sur le ciel des cieux, vers l’Orient  » (Psaume 67 [68], 34), est compris comme une prophétie de l’Ascension du Seigneur. Le Christ est monté vers l’Est, le lieu du Paradis (Genèse 2:8), d’où l’on attend sa seconde venue. Un large courant de sources liturgiques à partir du quatrième siècle confirme la pratique de la prière face à l’Est. L’élévation des cœurs qui introduit la prière eucharistique (Sursum cordaHabemus ad Dominum) était accompagnée de gestes de prière de toute l’assemblée : se tenir debout, lever les bras, regarder vers le ciel et se tourner vers l’Est[13].

Théologie des azymes

Les œuvres d’auteurs chrétiens de différentes régions de la fin du IIe et du début du IIIe siècle, parmi lesquels Irénée de Lyon (m. 202), né en Asie Mineure, Clément (m. c. 215) et Origène d’Alexandrie (m. 253), Tertullien (m. après 220) et Cyprien de Carthage (m. 258), offrent de riches contributions à une théologie de l’Eucharistie. Leurs diverses lignes de pensée convergent vers une compréhension claire du caractère sacrificiel de l’Eucharistie et un sens réaliste de la présence du Christ dans les offrandes consacrées et des effets salvateurs qu’elles confèrent à ceux qui les reçoivent dans la foi. Ils témoignent également de la grande révérence avec laquelle les chrétiens considéraient le corps et le sang du Christ. La très influente Lettre 63 de Cyprien présente un intérêt particulier, car il s’y oppose aux groupes qui utilisent de l’eau à la place du vin pour l’Eucharistie – une pratique connue par les Actes de Thomas en Syrie et d’autres apocryphes du Nouveau Testament.

Cyprien élabore une théologie de l’Eucharistie comme offrande d’un sacrifice non sanglant en souvenir de la Passion du Christ. Dans le sacrifice de l’Église, le Christ, Grand Prêtre de la Nouvelle Alliance, s’offre lui-même, et le prêtre ordonné agit en la personne du Christ en imitant ce qu’il a fait lors de la dernière Cène[14]. Cyprien commente la connotation sacrificielle du vin dans les prophéties de l’Ancien Testament et soutient que son utilisation est inséparable du mémorial liturgique de la Passion du Christ. De plus, rejeter sa consommation dans l’Eucharistie est infidèle à la tradition de la Cène. Pour étayer son argument, Cyprien cite les paroles d’institution de Matthieu 26 et de 1 Corinthiens 11[15].


Pour les volets précédents de la série « Brève histoire du rite romain de la messe » du père Lang, voir la première et la deuxième partie.


Notes:

  1. Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, VIII,1,5. 
  2. Jenn Cianca, Sacred Ritual, Profane Space: The Roman House as Early Christian Meeting Place, Studies in Christianity and Judaism 1 (Montreal & Kingston: McGill-Queen’s University Press, 2018), 167. Un raisonnement similaire se trouve chez Ann Marie Yasin, Saints and Church Spaces in the Late Antique Mediterranean: Architecture, Cult, and Community, Greek Culture in the Roman World (Cambridge: Cambridge University Press, 2009), 44. 
  3. Voir Stefan Heid, Altar und Kirche: Prinzipien christlicher Liturgie (Regensburg: Schnell & Steiner, 2019), 54-67. 
  4. Voir ibid., 149-157. 
  5. Épître de Barnabé, 15,8-9. 
  6. Justin Martyr, Première Apologie, 67,8. 
  7. Tertullien, De corona, 3,3, et De oratione, 19,1-3. 
  8. Tertullien, Ad uxorem, 2,8,8; Apologeticum, 39,16-17; De spectaculis, 13,4. 
  9. Tertullien, Ad uxorem, 2,5,3; Tradition Apostolique, 36. 
  10. Cyprian de Carthage, Ep. 63,16,4. 
  11. Voir Uwe Michael Lang, Turning Towards the Lord: Orientation in Liturgical Prayer, 2nd ed. (San Francisco: Ignatius Press, 2009), 35-71. Traduction française : Se tourner vers le Seigneur, Ad Solem, 2006.
  12. Didascalia apostolorum, 12. 
  13. Voir Robert F. Taft, “The Dialogue before the Anaphora in the Byzantine Eucharistic Liturgy. II: The Sursum corda”, dans Orientalia Christiana Periodica 54 (1988), 47-77, at 74-75. 
  14. Cyprian de Carthage, Ep. 63, 14 et 17. 
  15. Ibid., 9-10. 

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — partie II : Questions dans la quête des origines de l’Eucharistie

Suite de la traduction de la série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., parue dans la revue liturgique Adoremus. On trouvera ici l’original.


Dans l’une de ses lettres, Érasme de Rotterdam (mort en 1536) étayait le grand projet de l’humanisme de la Renaissance de revenir aux sources (ad fontes) en affirmant :  » C’est aux sources mêmes que l’on extrait la doctrine pure « [1] Au XIXe siècle, conscient de l’histoire, saint John Henry Newman (mort en 1890) illustrait sa théorie du développement de la doctrine (et du culte) par une image étonnamment différente : « On dit en effet parfois que le ruisseau est plus clair près de la source. Quel que soit l’usage que l’on puisse faire de cette image, elle ne s’applique pas à l’histoire d’une philosophie ou d’une croyance, qui au contraire est plus équilibrée, plus pure et plus forte, lorsque son lit est devenu profond, large et plein »[2].

La recherche des origines de la liturgie chrétienne donne certainement raison à Newman plutôt qu’à Érasme. Les sources qui sont parvenues jusqu’à nous sont peu nombreuses et la mesure dans laquelle elles représentent un christianisme normatif est contestée. De plus, comme l’a fait remarquer Joseph Ratzinger (Benoît XVI), « la Cène est le fondement du contenu dogmatique de l’Eucharistie chrétienne, et non de sa forme liturgique. Cette dernière n’existe pas encore »[3]. Cette forme liturgique a été façonnée par la tradition apostolique, qui s’est d’abord transmise non pas en référence à des textes écrits (les livres étaient des biens de luxe auxquels peu avaient accès) mais dans la fidélité à l’enseignement oral, avec un rôle particulier pour la mémorisation. L’apôtre Paul offre un exemple de ce processus : il avait déjà instruit la communauté chrétienne de Corinthe sur la Cène du Seigneur lors de son long séjour dans la ville. Par écrit, il n’aborde que les problèmes spécifiques qui se sont posés et ne répète pas l’ensemble de son enseignement. En fait, il préfère résoudre les problèmes en personne (1 Corinthiens 11:34). Des auteurs paléochrétiens, tels que Tertullien (mort après 220), saint Cyprien de Carthage (mort en 258) et saint Basile de Césarée (mort en 379) confirment l’importance des pratiques liturgiques et dévotionnelles non écrites[4].

Les défis de l’histoire

La nature même de la tradition orale fait échouer l’effort de reconstruction de l’historien ; c’est pourquoi notre connaissance de la pratique liturgique dans la période la plus ancienne est très limitée et la plupart des recherches dans ce domaine sont hypothétiques. La « fraction du pain », que les Actes des Apôtres présentent comme « une célébration eucharistique et une participation proleptique au banquet messianique »[5], se déroule « à la maison » (Ac 2,45 et 5,42). On en conclut souvent que l’Eucharistie était à l’origine célébrée dans un cadre domestique, qui pouvait aller des maisons de ville (domus) et des propriétés de campagne des classes supérieures aux appartements de différentes tailles, ainsi qu’aux magasins utilisés à des fins commerciales et résidentielles. Plus récemment, l’idée d' »églises de maison » dans le christianisme primitif a fait l’objet d’un examen approfondi, et les chercheurs ont plaidé en faveur d’un cadre plus formel et hiérarchique de la liturgie chrétienne primitive[6].

Un texte clé pour la compréhension chrétienne primitive de l’Eucharistie est Malachie 1:11 : « Du lever au coucher du soleil, mon nom est grand parmi les nations, et en tout lieu on offre de l’encens à mon nom, une offrande pure. » Sur fond de sacrifices souillés offerts par un sacerdoce corrompu, Dieu lui-même annonce, par son prophète, une  » offrande pure.  » Le mot hébreu utilisé ici est minhah, qui désigne l’offrande de repas non sanglante, typiquement un pain cuit et une libation de vin, qui accompagnait l’holocauste dans le Temple de Jérusalem (voir Nombres 15,4-5).

À partir de 1 Corinthiens 10, ce sacrifice à offrir « en tout lieu » (et pas seulement au Temple) a été identifié par les premiers chrétiens à l’Eucharistie[7]. Dans l’Antiquité, le sacrifice d’animaux et de produits de la terre était au cœur même du culte religieux, tant païen que juif (avant la destruction du Temple en 70 après J.-C.). Par les paroles et les actes du Christ, le concept de sacrifice n’est pas supprimé mais transformé. C’est pourquoi l’Eucharistie, tout en étant initialement liée au repas communautaire de l’église locale (comme le montre la Didaché, 9-10), était déjà considérée comme une action sacrificielle (Didaché, 14) au début du deuxième siècle, voire avant. Pour y participer, il fallait être baptisé et se repentir. Même dans les cadres modestes des deux premiers siècles, un lieu sacré (par nécessité temporel, non permanent) était constitué par et dans le rituel accompli par le corps des croyants.

L’Eucharistie et l’Église primitive

La description la plus ancienne de l’Eucharistie remonte au milieu du deuxième siècle à Rome, dans la première Apologie de saint Justin Martyr (mort vers 165), une défense de la foi et de la pratique chrétiennes adressée à l’empereur Antonin Pius. Justin donne d’abord un compte rendu de l’eucharistie post-baptismale, puis il esquisse une eucharistie dominicale typique. La Première Apologie est écrite pour un lectorat présumé païen et, par conséquent, seule la structure essentielle de la célébration est donnée dans un langage intelligible pour les étrangers ; aucune information détaillée n’est fournie sur sa forme rituelle ou le contenu des prières. Les éléments de base de l’eucharistie dominicale sont restés les mêmes au fil des siècles : lectures scripturaires ( » mémoires des apôtres  » – vraisemblablement les Évangiles –  » ou écrits des prophètes « ), prédication, préparation du pain et du vin mélangés à l’eau, prières de louange et d’action de grâce offertes par celui  » qui préside  » et conclues par un  » Amen  » de l’assemblée, communion partagée entre les personnes présentes et apportée par les diacres aux absents, et collecte finale pour les personnes dans le besoin[8].

Notamment, Justin souligne le caractère unique de l’Eucharistie par analogie avec l’Incarnation : tout comme le Christ  » a pris chair et sang pour notre salut « , le pain et le vin, qui ont été  » eucharistisés par une parole de prière qui vient de lui « , sont  » la chair et le sang de ce Jésus incarné « . Je considère que la « parole de prière » fait référence aux paroles de l’institution, que Justin cite ensuite sous la forme familière de Matthieu (26,26-28) et de Marc (14,22-24). Les offrandes eucharistiques transformées en chair et en sang du Christ – comme Ignace d’Antioche (vers 110), Justin préfère la terminologie johannique de « chair » (sarx) à « corps » (soma) – nourrissent « notre sang et notre chair ». L’accès à l’Eucharistie n’est pas indifférencié mais dépend de la foi, du baptême et de la conduite morale[9].

Premier texte source de la liturgie ?

Il existe un ordre ecclésiastique ancien, appelé « tradition apostolique », que les chercheurs du XXe siècle ont attribué à Hippolyte, un personnage assez haut en couleur de l’Église romaine qui a accusé son évêque Callistus (mort en 222) de laxisme dans la réconciliation des pécheurs et s’est érigé en premier antipape de l’histoire, mais qui a finalement été réconcilié et est mort martyr en 235. On pense qu’Hippolyte était un conservateur qui a compilé des informations importantes sur les pratiques liturgiques (peut-être même plus anciennes) de Rome. Cependant, des études récentes ont remis en question cette théorie concernant l’origine du document. Le document existant, originellement écrit en grec, sans titre, provient de l’Orient chrétien et n’a aucun lien avec Rome. Il n’a pas d’auteur unique, mais est une compilation de textes liturgiques qui étaient en usage et sujets à de fréquentes modifications. Il y a très probablement un noyau qui remonte au début du troisième siècle, auquel d’autres parties ont été ajoutées. Il existe une traduction latine dans un manuscrit du Ve siècle provenant de Vérone, ainsi que des versions dans des langues chrétiennes orientales.

Le texte a également influencé les ordres ultérieurs de l’Église en Orient (Constitutions apostoliques, livre VIII ; Canons d’Hippolyte ; Le Testament de Notre Seigneur Jésus-Christ). Aucun de ces ouvrages ne conserve l’intégralité du texte de ce qu’on appelle la Tradition apostolique, qui comprend : les rites d’ordination des évêques, des prêtres et des diacres ; les règlements sur les différents états de vie dans l’Église ; les rites du catéchuménat et du baptême ; diverses prières et bénédictions. Le rite d’ordination d’un évêque comprend le modèle très développé d’une prière eucharistique. Dans le Missale Romanum renouvelé de 1970, la prière eucharistique II suit le modèle « hippolytain » (bien qu’avec des modifications importantes). Bien que la Tradition apostolique contienne des éléments anciens, elle ne peut être utilisée comme source pour la liturgie romaine du début du IIIe siècle. Son influence sur le développement de la liturgie occidentale a été minime jusqu’aux réformes qui ont suivi Vatican II[10].


Notes

  1. Opus Epistolarum Des. Erasmi Roterodami, ed. Percy Scafford Allen, Hellen Mary Allen and Heathcote William Garrod, 12 vol. (Oxford: Clarendon Press, 1906-1958), vol. II, 284. 
  2. John Henry Newman, An Essay on the Development of Christian Doctrine, 14th impression (London: Longmans, Green, and Co., 1909), 40. 
  3. Joseph Ratzinger, “Form and Content of the Eucharistic Celebration”, in Theology of the Liturgy: The Sacramental Foundation of Christian Existence, Joseph Ratzinger Collected Works 11, ed. Michael J. Miller (San Francisco: Ignatius Press, 2014), 299-318, at 305 (originally published in 1978). 
  4. Tertullian, On the Crown, 3-4; Cyprian of Carthage, Letter 63, 1 and 11; Basil of Caesarea, On the Holy Spirit, 27, 65-66. 
  5. Scott Hahn, Kinship by Covenant: A Canonical Approach to the Fulfillment of God’s Saving Promises, The Anchor Yale Bible Reference Library (New Haven and London: Yale University Press, 2009), 234. 
  6. See Edward Adams, The Earliest Christian Meeting Places: Almost Exclusively Houses? (London: Bloomsbury, 2016), and Stefan Heid, Altar und Kirche: Prinzipien christlicher Liturgie (Regensburg: Schnell & Steiner, 2019), esp. 69-85. 
  7. See also Didache, 14; Justin Martyr, Dialogue with Trypho, 41; Irenaeus of Lyon, Against Heresies, IV.17-18, and many later references in the patristic tradition. 
  8. Justin Martyr, First Apology, 65 and 67. 
  9. Justin Martyr, 1 Apology, 66. 
  10. The ancient text was also used for the revision of the Rite of Ordination of a Bishop and for the restored Rite of Christian Initiation for Adults (RCIA). 

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