Le Christ est ressuscité ! En vérité, il est ressuscité !

Récemment l’Église latine célébrait la Résurrection du Sauveur, au terme de la fameuse « Semaine Sainte », connue pour ses riches célébrations.

Selon une formule bien connue du Pape de Rome Jean-Paul II de bienheureuse mémoire, il faut que l’Église catholique respire « à deux poumons » ; chaque poumon représente une partie, orientale ou occidentale, de l’Église. C’est pourquoi nous nous proposons de faire découvrir les cérémonies de la Semaine Sainte selon le rite byzantin.

Par avance, nous souhaitons toutefois avertir le lecteur de ce que notre exposé sera nécessairement concis et imparfait. Concis parce que traitant de cérémonies complexes, sur lesquelles il faut passer vite pour ne pas trop écrire ; imparfait parce qu’écrit par un bon connaisseur du rite byzantin, mais certainement pas un spécialiste. C’est à un de ceux-là qu’il faut s’adresser pour plus de détails ; et si d’aventure l’un d’eux lit cet article, nous le prions d’avance d’en excuser les défauts, et de le corriger s’il le juge bon.

Le samedi de Lazare et le dimanche des Rameaux

Dans le rite byzantin, le Carême prend fin le soir du dernier vendredi avant la Semaine Sainte (dite Grande Semaine chez les byzantins) ; commencé un lundi (et non un mercredi comme chez les Romains), il s’achève quarante jours plus tard, un vendredi.

Le lendemain, on fait mémoire de la résurrection de Lazare, accomplie par le Christ avant d’entrer à Jérusalem pour y subir Sa Passion. Il s’agit d’un usage typiquement grec, l’Église de Jérusalem ayant plutôt mis l’accent sur le repas de Béthanie, pris exactement six jours avant la Pâques juive (elle abandonna cet usage lorsqu’elle dut adopter les rites de l’Église de Constantinople). On y chante le tropaire suivant :

Voulant, avant Ta Passion, fonder notre foi en la commune résurrection, Tu as ressuscité Lazare d’entre les morts, ô Christ Dieu. C’est pourquoi, comme les enfants d’alors, nous portons les symboles de la victoire, et Te chantons, à Toi, vainqueur de la mort : « Hosanna au plus haut des cieux! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » !

Pour l’anecdote, un usage semblable existe dans l’ancien et très vénérable rit de Lyon, où la Messe des Rameaux commençait dans un cimetière près de la Collégiale Saint-Just, où l’on faisait commémorait la résurrection de Lazare.

Le lendemain, on chante la divine liturgie de saint Jean Chrysostome (alors que l’on faisait jusqu’ici usage de celle de saint Basile le grand). Vu comme l’une des douze grandes fêtes du Seigneur, le propre de cette fête prime sur celui du dimanche (le psaume 102, première antienne dominicale, est ainsi remplacé par le psaume 114).

On y chante le tropaire suivant, en plus du premier : « Ensevelis avec toi par le baptême, Christ notre Dieu, nous avons été rendus, par ta Résurrection, dignes de la vie immortelle. Avec des hymnes nous te chantons: « Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » ! « 

En guise de Mégalynaire (hymne à la Mère de Dieu chantée pendant l’anaphore), on chante l’hymne suivante : Le Seigneur est Dieu, il nous est apparu. Organisez une fête et, pleins d’allégresse, allons magnifier le Christ avec des palmes et des rameaux, chantant cette hymne : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, notre Sauveur ».

Enfin, à l’issue de la liturgie, on procède à la procession des palmes (alors que cette procession ouvre la Messe dans le rite romain). Le prêtre lit l’Évangile de Matines (Matthieu 21, 1-11, 15-17), puis bénit les Rameaux, les distribue, et ouvre une procession, en tenant en main un plateau recouvert de rameaux, et sur lequel se trouve l’icône de la fête. Pendant la procession, on chante la « grande doxologie » (Glória in excélsis Deo), entrecoupé du refrain : « Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur », traditionnellement chanté par les enfants, dont c’est aujourd’hui la fête. À l’issue de la procession, le prêtre pose le plateau sur une table préparée à l’ambon, puis l’encense avant de donner le congé. Il faut noter que cette procession est très largement tombée en désuétude, sauf chez les Melkites (catholiques de rite byzantin du Moyen-Orient) et dans les Eglises orthodoxes d’Antioche et de Jérusalem.

Procession des Rameaux à Jérusalem.

Cette démonstration de joie est cependant la dernière. Si l’on ne mêle pas à ce dimanche la tonalité douloureuse de la Passion (contrairement au rite romain), on passe immédiatement après à la pénitence qui convient à la Semaine Sainte.

Les Lundi, Mardi et Mercredi Saint

Ici, il n’y a pas grand-chose à signaler ; ces trois jours étant aliturgiques, comme les Mercredis et Vendredis du Grand Carême, on y célèbre habituellement la divine liturgie des saints dons présanctifiés, attribuée au saint Pape de Rome Grégoire le Grand. Le lundi, on fait mémoire de Joseph, vendu par ses frères comme Jésus fut livré par un de ses disciples ; le mardi, on médite sur les vierges sages et les vierges folles de l’Évangile ; le mercredi enfin, on fait mémoire de cette femme qui, selon saint Jean, versa du parfum sur les pieds de Jésus, pour anticiper son ensevelissement. Durant ces trois jours saints, on chante le tropaire suivant : « Voici venir l’époux à la minuit : bienheureux le serviteur qu’il trouve éveillé, malheur à celui qu’il trouve endormi. Ô mon âme, veille donc à ne pas tomber dans le sommeil, de peur d’être livré à la mort et banni hors du royaume, mais réveille-toi en clamant : Saint, saint, saint es-tu, notre Dieu, par les prières de la Mère de Dieu, aie pitié de nous ».

Ce tropaire, ainsi que les lectures de cette semaine, ont une coloration toute escatologique, que l’on retrouve plutôt à l’Avent dans le rite romain.

À la grande entrée (procession du Pain et du Vin ou, en l’occurrence, du Corps et du Sang du Christ), on chante à la place du Cheruvikon le chant suivant : «Maintenant les puissances célestes concélèbrent invisiblement avec nous. Car voici que s’avance le Roi de gloire. Voici que s’avance avec son escorte le sacrifice mystique déjà accompli. Approchons-nous avec foi et désir afin de devenir participants de la vie éternelle. Alléluia, alléluia, alléluia ».

En voici une version en slavon ,

Et une autre version, en anglais.

Durant ce chant, les saints dons sont solennellement portés en procession dans l’église ; tous se prosternent alors pour adorer le Seigneur, invisiblement présent sous les Saintes Espèces. C’est le seul moment où les byzantins pratiquent l’adoration eucharistique, beaucoup plus fréquente chez les latins.

Enfin, la litanie pour les catéchumènes y est remplacée par une litanie pour « ceux qui se préparent à la Sainte Illumination [du Baptême] ».

Le Jeudi saint

Les matines de ce jour remplacent le tropaire ci-dessus mentionné (« Voici venir l’époux… ») par le tropaire suivant :

« Alors que Tes glorieux disciples étaient illuminés par le lavement des pieds après le repas, Judas l’impie était assombri par la maladie de l’avarice, et aux juges sans loi, il Te trahit, Juste Juge. Vois, ô ami de l’argent, cet homme s’est pendu en raison de son avarice. Fuis le désir insatiable qui osa de telles choses contre le Maître ! O Seigneur, Toi qui traite chacun avec justice, gloire à Toi ! « 

Notons au passage que les particularités des matines du Jeudi, Vendredi et Samedi Saint sont telles que nous oserions presque les comparer avec les « Ténèbres » du rite romain.

Comme dans celui-ci, ce jour est un jour de joie, celui où l’on célèbre l’Institution de l’Eucharistie par Notre-Seigneur. Aussi, on y célèbre la divine liturgie de saint Basile le Grand, unie aux Vêpres. Aussi la liturgie commence-t-elle par la bénédiction classique (« Béni est la Royauté du Père et du Fils et du Saint-Esprit… »), suivie du psaume 103 (psaume fixe de Vêpres dans le rite byzantin) ; viennent ensuite les psaumes 140, 141, 129 (De profundis), 116. On y intercale, à la manière byzantine, des tropaires, dont quelques-uns sont ici proposés au lecteur :

L’assemblée des Juifs1 n’a plus qu’à se précipiter pour livrer:. à Pilate le Démiurge et le Créateur de toutes choses. Ô les sans-loi! Ô les sans-foi! Ils font mettre en jugement celui qui est venu juger les vivants et les morts; ils préparent un supplice pour celui qui guérit les souffrances. Longanime Seigneur, grande est ta pitié! Gloire à toi!

Seigneur, Judas le prévaricateur qui, pendant la Cène, avait trempé la main au plat en même temps que toi, a tendu les mains à des gens sans loi, pour en recevoir son argent. Lui qui avait supputé le prix du parfum, il ne trembla pas à la pensée de te vendre, toi l’inappréciable. Lui qui présenta au Maître ses pieds à laver, il le baisa traîtreusement pour le livrer aux impies. Rejeté du chœur des Apôtres, quoiqu’il eût jeté loin de lui les trente pièces d’argent, il ne vit point ta Résurrection le troisième jour. A cause d’elle, aie pitié de nous!

Tu étais en vérité, Judas, de la race des vipères, de ces gens qui, au désert, mangeaient la manne et murmuraient contre leur nourricier! La nourriture était encore dans leur bouche qu’ ils déblatéraient contre Dieu, les ingrats! Et cet impie, ayant encore en bouche le pain céleste, consommait sa trahison contre le Sauveur! Esprit insatiable et audace inhumaine! Il vendait celui qui le nourrissait, et le Maître qu’il baisait, il le livrait à la mort! Vraiment, il est le fils prévaricateur de ces gens-là et, comme eux, il gagna bien sa perte. Mais toi, Seigneur, préserve nos âmes de cette inhumanité, toi qui es le seul incomparable en magnanimité.

De ces tropaires, on notera qu’ils s’insèrent dans une célébration joyeuse, tout en évoquant les événements tragiques à venir, contribuant ainsi à lier ensemble le Jeudi et le Vendredi, la Cène et la Passion, l’Eucharistie et la Croix. Difficile d’imaginer plus bel exposé de la foi catholique en ce domaine essentiel…

À l’issue de ces psaumes, a lieu la petite entrée (procession de l’Évangéliaire depuis et jusqu’au sanctuaire, qui ouvrait jadis la divine liturgie, comme c’est encore le cas dans le rite romain). On chante alors l’hymne vespérale (Phos Hilaron, Lumière joyeuse). Suivent trois lectures de l’Ancien Testament (Exode 10, 19, Job 38, 1-21 et 42, 1-5, Isaïe 50, 4-11), entrecoupées de deux prokimenon (chants avant les lectures, équivalent du graduel dans le rite romain). On chante alors le Trisaghion, puis un nouveau prokimenon, tiré très adroitement du psaume 2 (Quare fremuerunt gentes), évoquant la conspiration des pharisiens contre le Christ. L’épître est celle de 1 Corinthiens 11, 23-32, comme dans le rite romain ; et l’Évangile est une compilation de péricopes tirées des récits des quatre évangélistes, retraçant tout le drame de ce jour, depuis l’annonce de la trahison de Judas jusqu’au reniement de Pierre.

L’hymne des Chérubins (ou Cheruvikon), qui accompagne la Grande Entrée, est ici remplacée par l’un des trois Anti-Cheruvikon qui le remplacent exceptionnellement en certaines occasions (les autres étant les Présanctifiés et la Vigile Pascale). En ce jour, on chante donc l’hymne suivante : « À Ta Mystique Cène, ô Fils de Dieu, fais-moi participer aujourd’hui : je n’en dirai pas le mystère à tes ennemis, ni ne te donnerai le baiser de Judas ; mais, comme le Larron, je te confesse : souviens-toi de moi, Seigneur, dans ton royaume ! ». On notera que la même hymne est utilisée le même jour, à la même place dans le rite ambrosien (de l’archidiocèse de Milan).

Si la liturgie est célébrée par un évêque, celui-ci procède à la consécration des saintes huiles (comme c’était le cas dans le rite romain avant 1955). Et à l’issue de la liturgie, l’évêque (ou l’higoumène du monastère) procède au lavement des pieds de douze clercs, cependant qu’un lecteur proclame l’Évangile du Lavement des pieds (Jean 13, 1-11). En voici une démonstration, par le Patriarche Cyrille de Moscou.

Le Vendredi saint

« L’office de ce jour a une physionomie unique. L’Église est manifestement mue par la préoccupation de ne pas perdre une circonstance de la passion de son divin Époux. Elle le suit heure par heure et, pour ainsi dire, pas à pas dans la voie sanglante qui l’a conduit au Cénacle, témoin de l’ institution de la sainte Eucharistie et de ses suprêmes et plus sublimes enseignements, au Calvaire et et au Sépulcre. C’est là que, tel un athlète qui a vaillamment combattu, il allait se reposer en attendant l’heure d’un triomphe assuré. » (E. Mercenier, La prière des Eglises de rite byzantin, t. II, p . 167).

L’office du jour commence en effet par les Matines du Vendredi Saint ou « Office des douze Évangiles ». Durant cet office, on chante en effet douze péricopes évangéliques (entrecoupées d’hymnes méditatives et de sourds coups de cloche), qui forment un récit presque complet de la Passion. Ce curieux usage proviendrait du rite de Jérusalem, où une procession se rendait en douze endroits caractérisant la Passion (ce qui a donné le Chemin de Croix chez les Latins). C’est évidemment un jour de jeûne, de pénitence, de deuil, où tout sacrement est proscrit, sauf ceux des malades et de la confession.

Après les Vêpres, ont lieu les « funérailles du Christ ». Le prêtre transfert l’épitaphios (une pièce de tissu sur laquelle est représentée, peinte ou brodée la mise au tombeau du Christ) depuis l’autel jusqu’au tombeau préparé au milieu de l’église, et tous le suivent en procession, cependant que le chœur chante : « Le noble Joseph descendit du bois de la croix ton corps immaculé, l’enveloppa dans un linceul pur avec des aromates, lui rendit les honneurs funèbres, et le déposa dans un sépulcre neuf. ». Cette cérémonie est l’équivalent de l’Adoration de la Croix, pratiquée par les Romains le même jour, lors d’une Messe dite des Présanctifiés. Après avoir déposé l’épitaphios, il l’encense et répand dessus des pétales de roses. Les fidèles s’approchent alors pour vénérer le tombeau du Christ en se prosternant. On chante alors le tropaire suivant : « Venez et bénissons le souvenir de Joseph d’Arimatie  », que nous vous proposons, soit de découvrir ici en slavon (chanté par les moines de Chevetogne, en Belgique, avec quelques images de l’office du Vendredi Saint) soit d’écouter ici, en français.

Le Grand Samedi

Vient le Samedi, jour d’attente et de deuil : l’Église pleure son Seigneur et espère sa Résurrection. En théorie du moins, car pour des raisons pratiques (entre autres pour raccourcir le jeûne), les Matines du Samedi Saint (qui omettent pour une fois l’alléluia, chanté par les byzantins tout au long du Carême, contrairement aux romains), sont célébrées le plus souvent la veille ; cela afin de célébrer la la Vigile pascale au samedi matin. En effet, l’Église grecque plaça au matin du Samedi la célébration de la Vigile, au cours de laquelle se célébraient des baptêmes. Cela crée une incohérence certaine dans le rituel byzantin : la liturgie toute entière est centrée sur le baptême, et l’on n’y baptise plus personne ; la Vigile ne fait qu’annoncer la Résurrection, mais elle le fait durant la matinée d’un jour réservé à l’attente. Une telle aberration existait également dans l’Église romaine, (Dom Guéranger note et déplore cette bizarrerie dans son « Année liturgique ») jusqu’à la restauration de la Semaine Sainte par Pie XII en 1955. On notera toutefois que certaines communautés, catholiques ou non, ont restauré à sa juste place l’antique vigile.

Celle-ci commence par un office de Vêpres ; après la bénédiction initiale et le chant du psaume 103, on y récite les psaumes du soir. Entre les versets de ces psaumes, on chante quelques-uns des stichères (Le stichère est un « trope » inséré dans les psaumes) suivants :

Venez, peuples, chantons et adorons le Christ en glorifiant Sa Résurrection d’entre les morts, car Il est notre Dieu, Lui qui a délivré le monde de l’égarement où L’avait fait tomber son ennemi.

En ce jour, l’Enfer se lamente et s’écrie : « Il eût mieux valu pour moi n’avoir pas accueilli Celui qui est né de Marie, car, en pénétrant dans mon domaine, Il a mis fin à mon pouvoir, Il a brisé mes portes d’airain, et, ceux que je détenais depuis si longtemps, Il les a, étant Dieu, ressuscités ». Gloire, Seigneur, à Ta croix et à Ta Résurrection !

En ce jour, l’Enfer se lamente et s’écrie: « Mon pouvoir est détruit. J’avais reçu un mort, comme l’un quelconque des morts, et je ne puis d’aucune façon Le retenir, mais avec Lui je vais être dépouillé de beaucoup d’âmes dont j’étais roi. Moi qui depuis toujours possédais les morts, voici que Lui les éveille tous ». Gloire, Seigneur, à Ta croix et à Ta Résurrection !

Suit alors la petite entrée, suivie de l’ancienne hymne « Lumière joyeuse », comme à toutes vêpres.

Après quoi, l’on récite immédiatement une série de quinze prophéties entrecoupées de chants, comme dans la vigile pascale romaine, qui comptait jadis douze prophéties, réduites aujourd’hui à sept (mais alors que les prophéties romaines sont entrecoupées d’oraisons, les lectures byzantines sont récitées à la suite). Certaines communautés n’en disent que trois ou quatre.

La dernière lecture est celle de Daniel 3, le fameux épisode de la fournaise. À l’issue de la lecture, tous chantent le Benedicite ou Cantique des trois enfants, ponctué du refrain : « Chantez le Seigneur, exaltez-le dans tous les siècles ». Le clergé se dépouille alors de ses vêtements sombres, et revêt des ornements blancs, signes de la fête5.

Au lieu du Trisaghion, on prend le chant suivant : « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ, Alléluia » ; sa présence s’explique par le caractère éminemment baptismal de cette vigile, au cours de laquelle les catéchumènes étaient baptisés (ce qui ne se fait malheureusement plus aujourd’hui, en-dehors de quelques communautés). Après le prokimenon, on lit l’épître (Romains 6), on chante le psaume 81 avec son antienne : « Lève-toi, Seigneur mon Dieu, et juge la terre, car Tu domines sur toutes les nations ». L’Évangile est celui de l’annonce de la Résurrection du Christ, en Matthieu 28. la liturgie poursuit alors un cours normal, sans grandes particularités autres que celles qui sont propres à la liturgie de saint Basile, à l’exception de ce chant, qui remplace le Cheruvikon : « Que fasse silence toute chair mortelle », tiré de la divine liturgie de saint Jacques, frère du Seigneur.

« Que fasse silence toute chair mortelle, qu’elle se tienne immobile, avec crainte et tremblement et que rien de terrestre n’occupe sa pensée : car le Roi des rois, le Seigneur des Seigneurs s’avance pour être immolé et donné en nourriture aux fidèles ; précédé des choeurs angéliques, avec toutes les principautés et les puissances des cieux, les Chérubins aux yeux innombrables, et les Séraphins aux six ailes qui se couvrent la face et chantent l’hymne sainte : Alléluia, Alléluia, Alléluia ».

Le dimanche de Pâques

Comme nous l’avons dit plus haut, la célébration de l’antique vigile annonce la Résurrection ; elle ne constitue pas toutefois le sommet de celle-ci, lequel est encore à venir. La vigile nous plaçait avec les Saintes Femmes, auxquelles un Ange annonça la Résurrection ; les cérémonies suivantes, elles, nous font connaître quelque chose de la joie de Marie-Madeleine voyant le Seigneur ressuscité.

« Il faut vivre une fois dans sa vie la Pâque byzantine, et si l’on a fait le Carême avant, c’est d’autant plus fort. Une joie sauvage, disait un moine de Chevetogne, quand on entre dans l’église illuminée, et qui grandit à chaque encensement du diacre, qui, au lieu de saluer en silence, conclut à chacun de ses passages : « Christ est ressuscité ! » Et tout le monde de lui répondre : « Il est vraiment ressuscité ! » Et ainsi jusqu’à l’Ascension. » (François Gineste, « La liturgie des heures dans le monde byzantin », Revue Résurrection, N°138-139, Septembre-décembre 2010.)

La célébration commence par l’office dit « de minuit », au cours duquel on enlève l’épitaphios. Puis, commence une procession : tous sortent, en portant des bannières et des drapeaux, le clergé en tête, et l’on fait le tour de l’église. Cette marche correspond à l’ancienne procession pascale, commune à tous les rites orientaux et occidentaux, mère de toutes les autres processions (en Occident, seul le rite dominicain l’a conservée telle qu’elle ; et l’ordre des prêcheurs a gardé cette procession dans la forme ordinaire du rite romain). On chante alors le chant suivant : « Ta Résurrection, ô Christ sauveur, les Anges la chantent dans les cieux ; accorde-nous, qui sommes sur terre, de Te glorifier avec de pures voix« .

On s’arrête alors devant la porte de l’église. Dans certaines communautés, l’usage est alors de proclamer l’Évangile de la Résurrection ; une telle tradition fut notamment remise en valeur par le P. Alexandre Schmemann.

Le prêtre prononce alors la bénédiction trinitaire suivante : « Gloire à la sainte, consubstantielle, vivifiante et indivisible Trinité, en tout temps, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ». Alors, le chœur entonne pour la première fois le fameux tropaire pascal : « Le Christ est ressuscité des morts, par Sa mort, Il a vaincu la mort, à ceux qui étaient au tombeau, il a donné la vie ! » ; ce tropaire accompagne de divers versets psalmiques.

On entre à nouveau dans l’église, et on entame les matines pascales, avec le chant du Canon pascal de saint Jean Damascène. En voici quelques extraits :

C’est le jour de la Résurrection, peuples, rayonnons de joie ! C’est la Pâque, la Pâque du Seigneur, de la mort à la vie, de la terre aux cieux, le Christ, notre Dieu, nous a fait passer ; chantons l’hymne de la victoire !

Purifions nos sens, nous verrons le Christ resplendissant, dans l’inaccessible Lumière de la Résurrection, et nous l’entendrons nous crier : réjouissez-vous en chantant l’hymne de la victoire.

Que le ciel se réjouisse, que la terre soit dans l’allégresse, que le monde soit en fête, le monde visible et invisible, car le Christ est ressuscité, Lui l’éternelle allégresse !

Pendant ce temps, le diacre encense toute l’église, disant à chaque encensement : « Le Christ est ressuscité ! », auquel les fidèles répondent par « En vérité, Il est ressuscité ! » ; et l’usage est de proclamer chaque acclamation dans une langue différente, pour souligner l’universalité de cet événement unique.

Après le Canon, on passe au chant des « versets pascals », dont voici une mise en musique (en slavon et en français) :

Puis, on passe aux laudes, après quoi le prêtre lit la très célèbre homélie pascale de saint Jean Chrysostome, riche en références bibliques et enthousiasmante au possible, surtout si l’on ne pense pas avoir fait un « bon » Carême. C’est l’un des rares exemples de lecture patristique dans le rite byzantin (alors que celles-ci sont habituelles et abondantes dans le rite romain). En temps normal, l’hymnographie en tient lieu.

Suit alors la divine liturgie de saint Jean Chrysostome. Deux particularités y sont à noter. Tout d’abord, le prokimenon est tiré du psaume 117 : « Voici le jour que fit le Seigneur, exultons et réjouissons-nous en lui », qui correspond exactement au graduel romain du jour de Pâques : « Haec Dies quam fecit Dominus… ». Le même verset se retrouverait, à la même place, dans le rite éthiopien et dans d’autres rites, ce qui tendrait à montrer la très haute antiquité de ce verset pour les célébrations pascales.

Ensuite, l’Évangile n’est autre que le fameux prologue de saint Jean, que les Romains lisent à Noël, qui récapitule toute l’économie du salut, jusqu’à l’Incarnation du Logos. L’usage veut qu’à l’issue de la liturgie, on procède à la bénédiction des œufs de Pâques ; suit alors une agape festive.

Enfin, dans l’après-midi, on chante des vêpres très courtes, dites « vêpres de la charité » ; il est d’usage d’y chanter à nouveau le prologue de saint Jean en différentes langues, pour souligner là encore que la Résurrection du Christ concerne tous les hommes.

Conclusion

Notre exposé de la Semaine Sainte byzantine, nécessairement succin, s’est voulu pour objectif d’exposer de manière pas trop mauvaise le déroulement des cérémonies menant à Pâques dans les églises orientales de tradition grecque. Nous osons espérer que notre travail n’aura pas été trop incompétent, et qu’il a intéressé le lecteur.

En guise d’envoi, nous nous permettrions d’inviter le lecteur à découvrir toujours plus les liturgies orientales. Ceci en vue premièrement de prendre conscience de ce que l’Église catholique n’est pas dite telle pour rien. Deuxièmement, afin que lorsqu’il reviendra à son propre patrimoine liturgique, celui-ci soit comme éclairé par ce qu’il aura découvert ; et ainsi, le lecteur aura envie de recouvrer toujours plus les richesses de sa propre tradition. Et sur ce dernier point, pour finir, nous laissons la parole à l’Archimandrite Robert Taft SJ de bienheureuse mémoire :

« En dernière analyse, la solution aux problèmes liturgiques des catholiques romains ne réside pas dans une idéalisation du concile de Trente ou de l’Orient. Les catholiques occidentaux, ignorants largement les richesses de leur propre tradition vivante, cherchent ailleurs, de façon erronée, ce qu’ils possèdent déjà. Je suis déçu de ce que les catholiques contemporains ne parviennent pas à comprendre, apprécier et transmettre les richesses de leur propre tradition latine […]. L’occident catholique n’a pas besoin de se tourner vers l’orient ou vers un passé médiéval ou tridentin disparu à jamais ; il a besoin de retourner à ses racines. Le christianisme latin est tout aussi apostolique, ancien, traditionnel, patristique, spirituel et monastique que celui de l’Orient. Une culture chrétienne ayant produit Chartres et le Mont-Saint-Michel ; Augustin et Jean Cassien ; le monachisme bénédictin et Cîteaux ; François d’Assise, Dominique, Ignace de Loyola, Jean de la Croix et Charles de Foucauld ; Thérèse d’Ávila et Thérèse de Lisieux, et la bienheureuse Mère Teresa ; et les papes de mon temps n’a besoin d’imiter personne, excepté Jésus-Christ. » (Archimandrite Robert E. Taft SJ, « Return to Our Roots : Recovering Western Liturgical Traditions », America Magazine, 26 Mai 2008).

1On pourrait légitimement s’insurger contre ce qui ressemble étrangement à une manifestation d’antisémitisme, dont nous souffrons encore aujourd’hui (et qui n’est malheureusement pas étrangère au rite romain non plus) ; on se rappellera toutefois que l’hymnographe traite ici moins du peuple juif comme tel que de ceux qui concrètement livrèrent Jésus à la mort.