Esprit de la Liturgie

Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Romanité et bonitas formarum

Je souhaiterais examiner ici le rapport qui existe dans le chant grégorien entre texte, musique et rite. Je prendrai d’abord grand soin de définir deux réalités éminemment polysémiques : le chant grégorien et le rite romain ; il me semble que cette définition est un exercice fondamental pour saisir le lien entre romanité rituelle et chant grégorien. Le lecteur que ces considérations ennuient pourra se reporter directement à la conclusion intermédiaire “Chant et rite”. Ensuite, je tenterai de dépasser l’affirmation (au demeurant tout à fait vraie) selon laquelle le chant grégorien est suprêmement au service de son texte, pour montrer comment il dit plus que son texte, en éclairant le rapport entre ce dernier et l’action rituelle particulière qui lui est attachée.

1. Qu’est-ce que le chant grégorien ?

Le terme admet de multiples définitions ; je vais en donner trois, qui recouvrent trois réalités très différentes ; et c’est à partir de la troisième que je vais opérer dans la suite, quoique les deux premières aient leur valeur propre dans leur domaine propre.

1.1. Le chant grégorien des historiens

Pour un historien, le chant grégorien est le répertoire musical formé pendant le siècle qui précéda la réforme carolingienne (donc entre 700 et 800), par importation en Francie (le royaume mérovingien, puis carolingien, couvrant l’ouest de l’Allemagne, le Bénélux et la moitié nord de la France) du chant qu’on appelle aujourd’hui vieux-romain, qui comme son nom l’indique était le chant employé à Rome avant d’y être supplanté par le chant grégorien, importation décidée par les souverains Francs et réalisée par de nombreux échanges de chantres entre la cour papale et la cour royale franque durant le 8e siècle.

Au sobre et solennel chant vieux-romain, les chantres francs ajoutèrent de nombreuses ornementations, reflétant le goût des barbares du nord pour une certaine exubérance – exubérance qui nous semble aujourd’hui très relative !

Ce chant, plus proprement appelé romano-franc, fut appelé grégorien sous Charlemagne par référence à la réforme de saint Grégoire le Grand (mort en 604), non pour exagérer son antiquité, mais parce qu’il se voulait un simple développement du chant romain que Grégoire le Grand avait stabilisé en créant la Schola cantorum de Rome.

Le chant grégorien des historiens est donc défini par les manuscrits du 9e-10e siècles, les premiers sur lesquels figure la notation musicale en plus du texte, ce qui en exclut, d’une part, les compositions postérieures, et d’autre part, les parties chantées de la liturgie qui sont pas issues de cette assimilation par la culture franque de l’art musical romain ; ce dont nous donnerons quelques exemples plus loin.

1.2. Le chant grégorien des musicologues

Pour un musicologue ou un musicien versé dans ces matières, le chant grégorien est un chant :
— monodique, c’est-à-dire à une seule voix ;
a capella, c’est-à-dire sans accompagnement d’instruments ;
— employant l’échelle diatonique, c’est à dire les tons et les demi-tons tels qu’on les connaît dans la musique occidentale jusqu’à nos jours ;
— modal, c’est-à-dire que chaque pièce emploie les notes de la gamme naturelle en les organisant autour d’une ou deux teneurs ou cordes, des notes sur lesquelles la mélodie se pose régulièrement et autour desquelles elle se développe ;
— relativement orné, et faisant usage de figures mélodiques, ou cadences, nombreuses mais bien identifiées ; ceci le différencie du plain-chant des 17e et 18e siècles, beaucoup plus simple dans son expression.

Cette définition recouvre donc les compositions ajoutées au répertoire liturgique après cette première moitié du moyen-âge qui définit le chant grégorien des historiens, pour autant que ces compositions dites néo-grégoriennes respectent le caractère musical propre du chant grégorien, tel qu’on l’a défini ci-dessus, ce qui est le cas de la plupart d’entre elles.

1.2. Le chant grégorien du Concile Vatican II

D’après la constitution Sacrosanctum Concilium (1963) du deuxième concile du Vatican, le chant grégorien est le chant propre de la liturgie romaine.

Cette phrase est la plupart du temps considérée comme étant l’attribution d’un titre ou d’une distinction (“chant propre de la liturgie romaine”) à une réalité préexistante (le chant grégorien – reste à savoir lequel : celui des musicologues ou celui des historiens, ou un autre encore).

On devrait plutôt comprendre cette phrase comme une définition. Qu’est-ce que le chant grégorien ? C’est ce qu’on chante dans la liturgie romaine. Mais que chante-t-on dans la liturgie romaine ? Au moment où le Concile donne cette définition, ce qu’on chante dans la liturgie romaine est défini par ses livres officiels : l’Antiphonale Romanum de 1912, pour l’office divin (sauf Matines), le Graduale Romanum de 1908, révisé en 1961, pour les chants de la Messe (sauf les parties du prêtre), le Missale Romanum de 1962 (pour les parties du prêtre à la Messe).

Et que contiennent ces livres ?
— Le chant grégorien des historiens, c’est-à-dire toutes les pièces du chant romano-franc du 9e siècle, plus ou moins bien restituées, pour employer le terme consacré, à partir des manuscrits anciens, à l’exception notable des répons de Matines, joyaux de la musique liturgique médiévale, que le rite romain n’a toujours pas officiellement restaurés (encore que quelque progrès ait été fait en ce sens après la réforme liturgique) ;
— le chant grégorien des musicologues, c’est-à-dire, en plus des pièces précédentes, des pièces plus récentes, allant du 12e au 20e siècle, fidèles aux caractéristiques musicales du chant grégorien ;
— une grande variété de tons communs qui constituent une partie incontournable de ces livres, mais qui ne sont pas capturés par les définitions précédentes. Ce sont les tons sur lesquels on chante les psaumes de l’office (rappelons que chaque office comporte entre trois et neuf psaumes), les psaumes de la messe (en 1963, il y en a deux : un à l’entrée et un à la communion ; le premier est aujourd’hui le plus souvent réduit à son antienne et un verset, le second est réduit à son antienne) ; il s’agit encore des tons sur lesquels le prêtre chante Dominus vobiscum et l’assemblée répond Et cum spiritu tuo, des tons sur lesquels on chante les lectures de la messe et de l’office, des tons sur lesquels le prêtre chante la préface de la Messe, le Pater noster, et ainsi de suite ;
— des directives sur la manière de chanter, qui sont inséparables des partitions elles-mêmes, qui constituent des indications d’interprétation au même titre que celles figurant sur la portée de nos partitions modernes. En particulier, certaines parties doivent se chanter recto tono, est-il précisé, c’est-à-dire continûment sur une seule note, ou bien voce recta et depressa, c’est-à-dire recto tono sur une note très grave.

Suis-je en train d’affirmer que de débiter une phrase ou un texte entier sur une seule note, ce serait du chant grégorien ? Oui, sans hésitation, puisqu’il s’agit de chant et que cela a lieu au sein de la liturgie romaine. Du recto tono aux Alléluias les plus ornés, du ton dit de la Prophétie servant pour chanter les lectures vétérotestamentaires des Quatre-Temps et des Vigiles, aux hymnes des heures de l’office, voilà tout ce qu’embrassaient dans leur esprit les Pères conciliaires quand, en 1963, ils liaient indissolublement le chant grégorien et la liturgie romaine. Mais quelle liturgie romaine ?

2. Qu’est-ce que le rite romain ?

Je vais également donner trois définitions de ce terme ; mais contrairement aux trois définitions du grégorien, qui sont toutes trois vraies (encore que seule la troisième me semble permettre d’exprimer correctement la place du chant grégorien dans la liturgie), les deux premières définitions que je vais donner sont fausses, ou au moins assez incomplètes pour qu’il faille les rejeter.

2.1. Le rite romain des archéologues

L’univers de la liturgie est plein de nostalgiques. Ce n’est pas un mal en soi ; il me semble que tout historien fantasme son propre Âge d’Or, et sait bien, même inconsciemment, quelle date il choisirait s’il lui était offert de voyager dans le temps. Nous prétendons tous être tournés vers l’avenir, et ultimement vers la Parousie ; et nous essayons sincèrement de l’être, du moins la plupart d’entre nous. Mais nous avons tous notre époque fétiche — et notre lieu fétiche, car le rite romain n’a été unifié géographiquement que très récemment.

Certains cèdent à cette tentation et, plus ou moins consciemment, appellent “rite romain” la liturgie telle qu’elle était pratiquée à leur point favori du temps et de l’espace. L’auteur de ces lignes rêve la nuit — la nuit, mais pas le jour, c’est à dire involontairement — de vivre la liturgie des cathédrales de Metz, Aix-la-Chapelle et Laon autour de 820. Cette forme particulière de perversion est assez rare ; il existe trois principaux clubs d’archéologues aux perversions plus répandues.

— Les fixistes, qui déterminent subjectivement une date à partir de laquelle le spectre du modernisme a commencé de s’introduire dans la liturgie ; pour la majorité, c’est 1962 ; c’est la popularité des livres de 1962 qui a poussé Benoît XVI à reconnaître ceux-ci comme forme extraordinaire du rite romain dans Summorum Pontificum Cura en 2007. Certains, mieux informés, arguent que l’action de Mgr. Annibale Bugnini, le principal auteur de la réforme de 1969-1975, a commencé avec la réforme de la semaine sainte de 1955, et donnent 1954 comme la date indépassable de la liturgie romaine. D’autres enfin, plus rares, considèrent que saint Pie X, qui, dans Divino Afflatu (1911), a énormément raccourci l’office en supprimant les répétitions de psaumes dans le psautier hebdomadaire, s’est écarté de la disposition immémoriale du psautier romain en faisant, avant la lettre, œuvre de pastoralisme, et s’en tiennent à l’état de la liturgie en 1910.

— Les vieux-jeunes, qui vont tranquillement sur leur soixante-dix ans en se morfondant de ce que le grand élan des années post-conciliaires semble s’essouffler avec le retour de quelques soutanes, d’un petit peu de latin, mais surtout d’une jeunesse désireuse de sacré et peu alléchée par l’idée de rendre à la Majesté divine le culte qu’elle mérite en chantant des paroles dignes d’une mauvaise Internationale sur une musique digne d’un mauvais Patrick Sébastien, et taxant cette jeunesse de rigidité, nouveau péché mortel à la mode.

— Enfin, les archéologues que visait spécifiquement Pie XII dans Mediator Dei (1947) — encore que sa condamnation puisse fort bien s’appliquer rétroactivement aux deux premières catégories —, c’est-à-dire ceux qui visent, ou prétendent viser, un retour à la liturgie apostolique et paléo-chrétienne (certains acceptent de considérer également la liturgie basilicale des 4e et 5e siècles, encore qu’ils choisissent soigneusement ce qu’ils en retiennent, surtout pas, par exemple, l’orientation). Non contents de nier la possibilité que l’Esprit Saint puisse conduire l’Église au cours de l’histoire dans ses définitions liturgiques, ils sont forcés de compenser par leurs propres inventions l’absence presque totale de certitudes sur le contenu de la liturgie des premiers siècles (la somme des faits certains, ou même seulement très probables, à propos de la liturgie avant le 6e siècle, tiendrait aisément sur le recto d’une feuille A5).

Ce n’est pas sans un certain malaise qu’il faut admettre que ce troisième club d’archéologues a eu une influence déterminante sur la réforme liturgique des années 1970.

Il n’est pas nécessaire de s’étendre beaucoup sur la vacuité de ces définitions, entièrement subjectives et arbitraires, nourries surtout par l’imagination et le fantasme.

2.2. Le rite romain de Traditionis Custodes

J’appelle, un peu plaisamment, “rite romain de Traditionis Custodes”, le rite qui, à une date donnée de l’histoire, est celui pratiqué à Rome par la curie pontificale.

Ce rite romain-là a toujours été assez dépouillé, comparativement aux liturgies qui se déploient dans les cathédrales de l’Europe occidentale, d’Aix-la-Chapelle à Lyon, de Narbonne à Salisbury. Il est codifié par le peu recommandable pape Nicolas III en 1277, et étendu en 1570 par saint Pie V à tous les diocèses latins dont le rite propre datait de moins de 200 ans. Il est régulièrement modifié de manière unilatérale par l’arbitraire pontifical, ce qui va alimenter les tensions entre Rome et les Églises particulières des différents pays européens (surtout la France) jusqu’à la fin du 19e siècle.

Enfin, ce rite se transforma en profondeur lorsqu’il fut presque entièrement réécrit en 1970, et traduit ; son ars celebrandi ne cessera jamais de dépendre fortement du pontife régnant, avant comme après la réforme ; mouvement de balancier finalement assez traditionnel.

Il est à noter que dans cette définition, le rite romain est aujourd’hui célébré presque exclusivement en italien et en anglais, sauf pour certaines parties qui sont encore parfois chantées en latin aux plus grandes fêtes.

En somme, le rite romain de Traditionis Custodes, c’est ce que le pontife régnant a décrété, indépendamment de tout souci de continuité historique.

2.3. Le rite romain du Concile Vatican II

En écrivant que le chant grégorien est le chant propre de la liturgie romaine, les Pères conciliaires ne pouvaient certainement pas avoir une posture archéologique : en effet, affirmer que le chant grégorien est le chant propre d’un objet passé et figé est peut-être vrai, mais ce n’est sûrement pas intéressant ; cela reviendrait à énoncer un fait historique (en tel lieu, à telle époque, on chantait du chant grégorien) sans qu’il ne puisse y avoir aucune conséquence pratique hic et nunc.

Les Pères conciliaires ne pensaient sûrement pas non plus à la seule liturgie de la curie papale. D’une part, venant de diocèses des quatre coins du monde, ils la connaissaient assez peu ; d’autre part, la liturgie curiale étant soumise à un certain arbitraire pontifical, toute vérité qu’on dit sur elle ne peut être que de faible portée : elle tient dans le temps jusqu’à la prochaine réformette, et elle tient dans l’espace dans les limites du diocèse de Rome.

Il faut donc prendre l’hypothèse que les Pères conciliaires ont voulu, en liant chant grégorien et rite romain, poser une affirmation qui était vraie avant eux et resterait vraie après eux, et qui était vraie pour toutes ces parties de l’Église latine qui n’ont pas d’autre rite propre que celui de Rome, quelles que soient les adaptations locales qu’on y avait ménagées dans le passé et qu’on continuerait d’y ménager dans l’avenir.

Qu’est-ce donc que le rite romain ? C’est la collection, ou, mieux, la récapitulation (les imprimeurs parleraient d’image composite, et les mathématiciens, d’intégrale), de toutes les liturgies célébrées dans l’histoire de l’Occident chrétien, du moment qu’elles étaient célébrées en référence à ce qui se faisait ou s’était fait à Rome, sans forcément en chercher une imitation parfaite.

Cette définition est bien belle, pourra-t-on rétorquer, mais elle est absolument inutilisable ; j’en conviens. Cependant, employer cette définition permet de dégager quelques constantes, quelques caractéristiques du rite romain, non pas universelles sans exception, mais dont les exceptions sont marginales, et qu’un œil honnête reconnaît comme centrales dans cette immense collection de liturgies particulières de toutes les époques.

On peut citer, pêle-mêle, la structure de l’année liturgique, la structure de la Messe, les huit offices quotidiens, la majorité des oraisons, chants et lectures du cycle des dimanches (les oraisons et les lectures ont été entièrement changées dans l’usage réformé après 1970, mais pas les chants, qui subsistent dans le Graduel de 1974), et surtout une manière de prononcer les prières du prêtre comme de l’assemblée, qui n’est jamais la voix parlée, mais toujours soit la voix basse, soit le chant, un chant monodique, a capella, modal, orné, autrement dit, mouvant et mutant avec plus ou moins de succès à travers les époques, le chant grégorien.

Conclusion intermédiaire : chant et rite

Nous voici arrivés, après un développement sémantique dont le lecteur qui l’a enduré jusqu’au bout me pardonnera la longueur, à la conclusion de ces premières parties : le chant grégorien est le support de la parole dans la liturgie de l’Occident chrétien, de son évangélisation primitive à nos jours. Il est le vecteur de tous les textes qui ne sont pas récités à voix basse, qu’ils soient chantés recto tono, ou de manière syllabique ou psalmodique, ou au contraire d’une manière si ornée que de longues secondes en séparent les mots. Cette définition, bien sûr, admet des exceptions : il y a bien une poignée de textes lus lors de la célébration des sacrements autres que l’Eucharistie ; et dans cette petite fraction de seconde que sont les soixante-dix dernières années au regard de l’histoire de l’Église, la majorité des textes liturgiques a été lue à voix haute plutôt que chantée ; il y a bien eu des époques où le chant ne pouvait, d’un point de vue musical, revendiquer qu’une parenté très lointaine, voire inexistante, avec le chant grégorien : c’est le cas de notre époque, et ce fut aussi le cas d’une partie de l’époque moderne et industrielle ; il y a bien certains lieux dans l’Occident chrétien où le chant liturgique n’a jamais eu les caractéristiques musicales du grégorien : c’est surtout le cas du chant mozarabe, car les chants ambrosien, dominicain, coutançais, clunisien, ne se différencient qu’à peine, musicalement, du chant grégorien romain. Mais ces exceptions ont toutes un caractère périphérique : soit géographiquement (l’Espagne mozarabe, c’est loin), soit chronologiquement (la déclamation parlée des lectures, c’est récent), soit musicalement (le plain-chant, c’est une dégénérescence du grégorien qu’un énergique sursaut impulsé par Dom Guéranger a eu tôt fait de restaurer).

Nos définitions bien choisies des deux termes de la phrase de Sacrosanctum Concilium nous permettent donc d’exprimer une fois de plus l’articulation fondamentale entre le rite romain et le chant grégorien : le second est la voix naturelle du premier, le support de sa parole.

3. Diversité du rite, diversité des formes

3.1. La bonitas formarum

À l’époque contemporaine, c’est le motu proprio Tra le sollecitudini (moins connu sous son titre latin Inter plurimas pastoralis officii sollicitudines) du saint pape Pie X, publié en 1903, qui définit les bases théoriques de la musique liturgique, pour la première fois depuis le concile de Trente (et dans la continuité de ce dernier). Trois critères y sont donnés : la sanctitas, l’universalitas, et la bonitas formarum. Pie X développe ces trois critères : la sanctitas impose qu’on ne devrait pas pouvoir confondre une pièce de musique liturgique avec une pièce de musique profane, ni par son texte, ni par sa composition ; l’universalitas n’est pas l’uniformité géographique absolue, mais permet d’exprimer le génie musical de chaque culture seulement dans la mesure où il se conforme au caractère objectif du culte divin ; mais c’est la bonitas formarum qui nous intéresse aujourd’hui. Pie X développe peu cet aspect, si ce n’est pour préciser que cette beauté doit élever l’âme et non seulement consister en un exercice esthétique sans but supérieur à lui-même.

Le pape poursuit son propos en expliquant que le chant grégorien possède au degré ultime ces trois qualités.

Le texte latin (et l’original italien, bontà delle forme) seraient mieux traduits en parlant de l’excellence des formes. Pourquoi ce pluriel à formes ? Parce que le chant grégorien, tel qu’on l’a défini au-dessus, possède de toute évidence une très grande variété de formes, allant du recto tono aux interminables mélismes des alléluias ; la diversité des actions rituelles au sein du rite romain entraîne une diversité de formes musicales pour le chant liturgique, et chacune de ces formes doit être excellente, c’est à dire portée à son plus haut degré de perfection technique. Dans son chirographe pour le centenaire de Tra le sollecitudini, le saint pape Jean-Paul II va plus loin, en enseignant que :

La musique liturgique doit répondre à certaines conditions spécifiques : l’adhésion totale aux textes qu’elle présente, l’harmonie avec le temps et le moment liturgique auquel elle est destinée, la juste correspondance avec les gestes proposés par le rite. Les divers moments liturgiques exigent en effet une expression musicale qui leur soit propre, visant à chaque fois à faire apparaître la nature propre d’un rite déterminé.”

Nous allons voir pourquoi le chant grégorien correspond à ces conditions de manière insurpassable.

3.2. Contexte scripturaire et rituel

Considérons deux emplois liturgiques de ce verset du psaume 50 :

Aspérges me, Dómine, hyssópo, et mundábor : lavábis me, et super nivem dealbábor.

Asperge-moi, Seigneur, avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai plus blanc que neige.

On trouve ce verset chanté avec le reste du psaume 50 (le fameux Miserere, psaume pénitentiel par excellence) à l’office des Ténèbres du vendredi saint, sur le ton 7c commandé par l’antienne Proprio Filio suo (ci-dessous).

On le chante également pendant l’aspersion à la grand-messe dominicale (ci-dessous).

Comparons ces deux partitions. Elles ont en commun le mode 7 (transposé), dont l’antienne de l’aspersion dominicale exhibe toutes les caractéristiques : repos intermédiaire sur le ré (finales du segment Asperges me, du segment Domine et du segment lavabis me) ; forte présence mélodique du do parmi les notes de passage ; finales des deux stiques sur le sol inférieur. Le mode 7 n’est généralement pas considéré comme un mode triste, ou pénitentiel (ce sont plutôt les modes 2 et 6), il exprime une certaine confiance ; Guido d’Arezzo le qualifie d’angélique, et Adam de Fulda, de ton de la jeunesse.

Quelles différences observe-t-on ? Le verset de psaume est chanté sur le rythme naturel de la parole, et dure environ six secondes ; on parle de chant syllabique. L’antienne est chantée sur le rythme d’une déclamation très lente, et dure environ trente secondes. Elle comporte donc des notes de passage ornementales ; on parle de chant neumatique.

De plus, le verset est chanté dans le contexte du psaume entier, à égalité avec les dix-neuf autres versets de ce psaume ; il constitue l’action liturgique principale au moment de sa récitation ; il n’est pas répété. Il est chanté par des chanoines, des moines, un groupe de laïcs, généralement pas par une grosse assemblée (même à l’époque où les offices des Ténèbres étaient très à la mode, on n’y rencontrait pas la même foule qu’à la messe). Avec le reste du psaume 50, il exprime le sentiment général d’une contrition pleine d’espérance.

Au contraire, ce même verset du psaume 50 est mis en valeur de manière singulière dans l’antienne, d’autant qu’il est chanté par tout le peuple à la Messe ; c’est un chant d’assemblée, d’où l’intérêt d’une certaine lenteur dans le débit des syllabes (tous ceux qui ont entendu le Je crois en Dieu récité par une foule nombreuse ont constaté qu’il était parfaitement inintelligible à un non-initié, sauf quand la foule adopte un débit nettement plus lent que celui d’une conversation). L’Asperges me accompagne l’aspersion, qui constitue l’action liturgique principale, dont il dépend et qu’il illustre : l’assemblée est invitée à se remémorer son baptême par ce chant. Il est répété, généralement deux fois, mais parfois trois ou plus si l’aspersion se prolonge, s’adaptant au rite dont il dépend.

Nous observons donc dans cet exemple deux formes du chant grégorien, qui permettent, ou bien d’insérer un fragment de texte dans son contexte scripturaire (c’est le cas du verset), ou bien d’élever celui-ci au-dessus de son contexte scripturaire (c’est le cas de l’antienne) pour l’appliquer à une réalité (le baptême) inconnue de son auteur humain.

3.3. Solennité du jour liturgique

Considérons les deux chants ci-dessous. Le premier sert de conclusion aux Laudes des fêtes de 2e classe (dans l’usage réformé, il conclut les Laudes des fêtes, par opposition aux mémoires et aux solennités).
Le second conclut les Laudes (et les Vêpres) des féries de l’Avent et du Carême.

Il apparaît clairement que le chant grégorien, pour le même texte assurant la même fonction rituelle, permet de différencier le degré de solennité du jour liturgique, en adoptant un chant mélismatique (pour les plus grandes fêtes), neumatique (comme dans le premier exemple) ou syllabique (comme dans le second).

3.4. Fonction du texte et de la pièce

Considérons deux emplois liturgiques de ce verset du psaume 16 :

Custódi me, Dómine, ut pupíllam óculi : sub umbra alárum tuárum prótege me.

Garde-moi, Seigneur, comme la prunelle de l’œil ; à l’ombre de tes ailes, protège-moi.

On chante ce texte comme graduel à la Messe (partition ci-dessous). Depuis au moins le 8e siècle (on ne dispose pas de sources assez fiables avant), et jusqu’à la réforme de 1969, ce graduel était chanté après l’Épître sur les dons de l’Esprit (1 Corinthiens 12) et avant l’Alléluia Te decet hymnus, Deus, in Sion, et tibi reddétur votum in Jerúsalem (Il est bon de te chanter, Dieu, dans Sion, et de tenir nos promesses envers toi dans Jérusalem), puis la parabole du publicain et du pharisien (Luc 18). Les lectures qui l’encadrent sont aujourd’hui variables et ne sont jamais celles citées ci-dessus.

Entre les lectures de la messe, la liturgie propose un temps de méditation avec le chant du graduel et de l’alléluia. Le texte est servi très lentement, certaines syllabes comportant une quinzaine de notes : on parle de chant mélismatique. Les mots s’entremêlent, dans l’esprit des assistants, avec les échos de l’Épître qui vient d’être lue ; pour ceux qui ont lu les textes de la messe à l’avance (c’est à dire le plus grand nombre, espérons-le), les longs mélismes se superposent également aux paroles les plus frappantes de la parabole du pharisien et du publicain qui va suivre.

Les mots sur lesquels portent les mélismes ne sont pas forcément les plus importants ; et l’accentuation latine des mots n’est pas prise en compte (ce sont parfois les dernières syllabes des mots, normalement faibles, qui portent les mélismes : Domine, tuarum ; ou bien des mots d’une seule syllabe, sub, deux fois me).

C’est que la composition de ce graduel sert son texte, mais pas seulement son texte : elle s’inscrit dans le reste de la liturgie de la Parole (on aurait dit dans le passé : messe des catéchumènes), et elle la sert dans son ensemble : garde-moi, Seigneur, pourrait gloser un fidèle de cette assemblée, garde-moi de confondre l’observance et la sincérité, comme le fait le pharisien ; garde-moi de l’esprit de division dont parle saint Paul au début de son épître.

On chante également ce verset du psaume 16 comme versicule à l’office de Complies, avec un texte légèrement modifié (passage au pluriel des deux me), après avoir écouté la lecture brève (ou capitule) et chanté le répons bref In manus tuas (En tes mains je remets mon esprit), et juste avant de chanter le cantique de Syméon :

Au contraire du graduel, la manière dont celui qui chante Complies appréhende ce verset n’est pas informée par de longs textes qui l’encadrent, mais simplement par l’heure de la journée : la nuit est comprise comme une période de danger et de tentations, et l’assistance divine est invoquée ici de manière plus immédiate.

La fonction rituelle de ce versicule n’est pas d’abord de faire méditer son texte par la communauté en prière, mais plutôt d’articuler entre elles deux parties de l’office, à la manière d’une virgule dans une phrase. Les mots individuels ne sont pas distingués les uns des autres ; la phrase est servie recto tono et le mélisme final permet d’épuiser son souffle pour reprendre une grande inspiration avant de chanter l’antienne du Nunc Dimittis.

Nous observons donc dans cette exemple deux autres formes du chant grégorien en forte dépendance avec le contexte rituel dans lequel elles s’insèrent : dans un cas, il s’agit d’une pause méditative entre deux rites intellectuellement denses (les lectures) ; dans l’autre cas, il s’agit d’une brève respiration entre deux parties de l’office.

3.5. Caractérisation du texte

Comparons deux extraits de lectures de la Messe. Il s’agit de deux lectures du même jour, le samedi des Quatre-Temps de septembre. Le choix, peu répandu, de les noter ici en français, permet de mieux faire ressortir le caractère propre des deux textes l’un par rapport à l’autre.

Notre premier exemple est un fragment de lecture vétérotestamentaire (Lévitique 23), chanté sur le ton dit “de la Prophétie” :

Les deux cadences intermédiaires descendent d’un demi-ton : cette dissonance produit une certaine tension mélodique, symbolique à la fois du caractère négatif des prophéties de l’Ancien Testament, et du caractère non-définitif de l’ancienne alliance. La quinte descendante de la cadence finale évoque de façon saisissante une trompette, certainement l’instrument le plus propre à la prophétie.

Notre second exemple est un fragment de lecture néotestamentaire (Hébreux 9), qui répond aux prescriptions de l’ancienne loi qui faisaient l’objet de la première lecture, chanté sur le ton dit “de l’Épître” :

Les cadences de ce ton sont nettement plus complexes, pas parce qu’elles sont plus ornées, mais parce qu’elles sont préparées par deux à cinq syllabes qui les précèdent. Elles correspondent éminemment à l’art de la rhétorique, au caractère d’exhortation qui se retrouve dans la plupart des Épîtres. Le chant du dernier stique un demi-ton en dessous de la corde de récitation provoque également une tension résolue par le retour sur la corde à la dernière note, autre effet rhétorique. Ce ton oblige le lecteur à articuler avec une grande netteté, à s’appuyer sur les syllabes fortes, particulièrement en latin, le français étant dans l’ensemble une langue moins accentuée et plus plane (au sens de ce mot dans l’expression plain-chant, cantus planus).

Conclusion : le chant grégorien comme critère de la musique liturgique

En nous approchant de la conclusion de cette étude, relisons la citation du saint Pape Jean-Paul II déjà imprimée plus haut : “la musique liturgique doit répondre à certaines conditions spécifiques : l’adhésion totale aux textes qu’elle présente, l’harmonie avec le temps et le moment liturgique auquel elle est destinée, la juste correspondance avec les gestes proposés par le rite. Les divers moments liturgiques exigent en effet une expression musicale qui leur soit propre, visant à chaque fois à faire apparaître la nature propre d’un rite déterminé.”

Le chant grégorien correspond à ces critères à un degré suprême et indépassable (dans l’univers musical occidental) : nous avons vu de quelle manière il est au service de son texte, s’adaptant, dans sa forme, à la solennité du jour et au temps liturgique ; s’étirant ou se raccourcissant en fonction du geste rituel qu’il accompagne, quand il ne constitue pas lui-même l’action principale de la liturgie ; se mettant constamment en étroite relation avec les autres parties de la liturgie et avec l’heure du jour ; présentant tantôt son texte dans le contexte biblique, et tantôt révélant les sens cachés de ce texte par la juxtaposition avec un geste ou une parole qui l’éclaire.

En tout ceci, il constitue la référence de la bontà delle forme, l’excellence des formes, demandée par saint Pie X pour la musique liturgique.

Jamais le Magistère n’a souhaité exclure de la liturgie les autres styles musicaux, encore que certains, comme l’opéra ou la musique pop-rock, soient irrémédiablement impropres à l’emploi liturgique. Le chant grégorien montre aux compositeurs une voie exigeante : si les compositeurs sérieux, à ce jour, ont généralement compris que le texte devait être respecté, ils doivent encore acquérir cette sensibilité au contexte rituel, au caractère propre du texte, au contexte scripturaire, à la fonction liturgique de la pièce et aux gestes qu’elle accompagne, pour espérer composer une œuvre véritablement utile et durable.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : le chant grégorien, dans son sens le plus général, tel que nous l’avons défini, n’est pas un style parmi d’autres, auquel le Concile Vatican II aurait poliment reconnu une primauté d’honneur sans implications pratiques. S’il laisse de temps à autre un peu de place à une polyphonie ou à un cantique populaire, il continue d’irriguer toute la liturgie à travers ses tons communs, son répertoire, son exigence que toutes les parties audibles soient chantées, et son éthos, autrement dit son style, subtil compromis entre retenue et expressivité. Il est indissolublement marié au rite romain, et toute liturgie, aussi belle soit-elle, qui s’en détacherait, ne saurait prétendre au bel adjectif de « romaine ».

Abrégé des fonctions des acolytes à la messe

Une chose est primordiale pour quiconque souhaite assister le prêtre en servant à l’autel, c’est de toujours se rappeler que quoi qu’il fasse, il n’est là que pour permettre au prêtre d’être le plus proche de Dieu, et pour aider ceux qui assistent à la cérémonie à se recueillir par la grandeur, la beauté et la simplicité de la cérémonie.

Pour cela, on aura soin de toujours former convenablement ceux qui sont désignés au service liturgique. Comme nous le demande notre Sainte Mère l’Église, il faudrait dans chaque paroisse avoir un membre du clergé ou un laïc accoutumé à ces tâches, pour apprendre aux fidèles et particulièrement aux enfants à servir correctement et dignement. Cet article donne ici quelques règles qu’il convient d’apprendre et de mettre en pratique pour bien servir la messe lue à deux servants (dans l’usus antiquor du rite romain). Comme souvent, ces règles liturgiques sont à adapter en fonction des coutumes locales et des circonstances. Il peut notamment y avoir quelques légères variantes selon le temps liturgiques.

La messe basse à deux servants

A l’heure du début de la cérémonie, les acolytes saluent la croix de la sacristie, et précèdent le prêtre jusqu’à l’autel. En entrant dans l’église, ils prennent de l’eau bénite et le premier acolyte en présente au prêtre, puis ils font le signe de croix. Ils soulèvent légèrement le bas de l’aube du prêtre pour l’aider à monter les marches s’il y en a.

En arrivant à l’autel, le premier acolyte est à droite (côté épître), le second à gauche du célébrant. Le premier acolyte va alors récupérer la barrette du célébrant. Les acolytes font une génuflexion pendant que le prêtre fait la révérence convenable (génuflexion si le saint sacrement se trouve dans le tabernacle de l’autel, sinon il fait une inclinaison profonde à la croix). Puis ils aident le prêtre à monter les marches en soulevant le devant de l’aube (pas la soutane). Le premier acolyte va déposer la barrette du prêtre à la banquette ou sur la crédence, puis il revient à sa place. Les deux acolytes se mettent alors à genoux in-plano (c’est-à-dire directement sur le sol) pendant que le célébrant dispose le calice sur l’autel et ouvre le missel.

Les servants répondent au célébrant quand celui-ci récite les prières au bas de l’autel ; ils peuvent s’aider d’un missel pour répondre aux prières même s’il est louable de les connaitre par cœur. Ils se tiennent à genoux, droit, face à l’autel, les mains jointes devant la poitrine. Au cours de la récitation des prières ils font les inclinations de la tête et se signent en même temps que le célébrant (signe de croix avant et après le psaume « Judica me » et à « l’Indulgentiam », inclination profonde de tête au « Gloria Patri » du psaume « Judica me » ainsi que pendant les versets et répons précédant « l’Indulgentiam ».

À la fin du Confiteor du prêtre, les acolytes se tournent vers lui et s’inclinent (en courbant légèrement le dos) pour réciter le « Miserereátur » ; quand le prêtre a répondu « Amen », ils se tournent vers l’autel, profondément inclinés, pour réciter le « Confiteor ». Aux mots : « et tibi pater » et « et te pater », ils se tournent vers le célébrant, puis ils se redressent à l’lndulgentiam en faisant le signe de croix.

À la fin des prières au bas de l’autel les acolytes aident le prêtre à monter en soulevant légèrement l’aube tout en restant à genoux jusqu’à ce que le célébrant soit sur le marchepied (le marchepied est la plus haute marche.)

Ils se lèvent alors, s’écartent légèrement pour venir s’agenouiller sur le premier degré (la première marche)en face du Canon de l’autel. Chacun prend sa place directement sans faire de génuflexion au milieu. Ils restent à cette place jusqu’au mouvement d’Évangile et répondent au prêtre. Ils récitent le Kyrie avec les fidèles, et le Gloria (s’il y a lieu) avec le prêtre. Le premier acolyte répond « Deo Gratias » à la fin de l’Épître.

Lorsque le prêtre commence à réciter l’alléluia, le Trait, ou au milieu de la séquence ou de la prose, le premier acolyte se lève et vient se placer « in-plano » coté Épître, tourné vers le prêtre. Lorsque le prêtre se place au milieu de l’autel, le premier acolyte monte à l’autel par le côté, prend le pupitre avec le missel (et le lectionnaire si le prêtre ne l’a pas déjà apporté côté Évangile). Il se retourne, descend directement du gradin pour se placer au pied des marches, face à la croix. Il génuflecte, toujours en tenant le pupitre avec le missel. L’autre acolyte se relève alors en même temps que lui, puis le premier acolyte monte directement au côté Évangile de l’autel, et pose sur celui-ci le pupitre dirigé vers le prêtre ; il place le lectionnaire à droite du pupitre, puis redescend de l’autel par le côté Évangile et vient se placer « in-plano » à gauche de l’autel. Aux mots « Sancti evangeli secundum », tous font une croix avec le pouce sur leur front, leur bouche et leur cœur. Si dans les premiers mots de l’Évangile se trouvent le mot « Jesu », le premier acolyte s’incline vers le missel à ce mot, avant de retourner à sa place en passant devant le deuxième acolyte qui s’est reculé d’un ou deux pas pour le laisser passer. Sinon il y retourne directement après avoir fait une croix sur son front, sa bouche et son cœur ; l’acolyte 1 génuflecte en passant devant la croix, puis se rend à sa place, et se tourne à nouveau vers le missel. À la fin de la récitation de l’Évangile en latin, le premier acolyte répond « Laus tibi Christe » puis les deux servants se mettent à genoux.

S’il y a une homélie, ou que le prêtre part en chaire pour traduire l’Épître et l’Évangile, les acolytes vont s’asseoir à leur tabouret, situés de part et d’autre de la banquette, ou de la crédence selon les lieux. Lorsque le célébrant revient, ils se relèvent, et reviennent s’agenouiller à leur place sur la première marche. S’il y a un Credo, les acolytes restent à genoux pendant celui-ci.

À l’Orémus de l’Offertoire, les acolytes se lèvent et font la génuflexion au milieu. Le premier acolyte se rend à la crédence tandis que monte directement à droite du prêtre pour plier le voile du calice que celui-ci lui tend, puis il le pose au fond de l’autel, du côté épître. Enfin, il se rend à son tour à la crédence.

L’acolyte 1 prend la burette de vin, l’autre celle d’eau. Ils s’avancent près de l’autel et attendent le prêtre « in-plano ». Chacun tient la burette de la main droite, la main gauche sur la poitrine. Ils tiennent la burette par le dessous, avec le bec verseur vers leur droite et la poignée (s’il y en a une) tournée vers la gauche.

Lorsque le prêtre repose la patène sous le corporal, les acolytes montent sur l’avant-dernière marche, et lorsque le prêtre s’approche, ils le saluent et baisent les burettes. Le premier présente d’abord la burette de vin au prêtre, lorsque celui-ci lui rend, le second présente celle d’eau pour la faire bénir, puis il la donne au prêtre. Quand le prêtre rend la burette d’eau à l’acolyte, chacun baise sa burette, puis ils saluent le prêtre et vont préparer le lavabo à la crédence.

L’acolyte 1 prends le manuterge, et le tient déplié, la croix en bas à sa gauche tandis que le second prend la burette d’eau et le bassin à moins qu’il n’y ait une aiguière (grosse burette utilisée en messe solennelle ou dans les messes basse des prélats) prévue à cet effet, auquel cas il la prendra à la place de la burette. Il tient la burette (ou l’aiguière) dans la main droite de façon à pouvoir verser l’eau dans le bassin qu’il tient dans l’autre main. Les deux acolytes attendent au pied des marches.

Lorsque le prêtre se tourne vers eux, les acolytes montent sur l’avant-dernière marche, et l’acolyte 2 verse lentement de l’eau sur les doigts du prêtre jusqu’à ce que celui-ci relève les doigts. Le prêtre s’essuie les mains dans le manuterge que l’acolyte 1 lui tend. Puis tous font l’inclinaison de tête et les acolytes retournent à la crédence.

Après avoir reposé la burette, le bassin, et le manuterge (qui se pose sur les burettes pour les protéger de la poussière si celles ci n’ont pas de couvercles), l’acolyte 1 prend la clochette dans la main droite, puis les deux acolytes font la génuflexion au milieu de l’autel et retournent s’agenouiller en face des canons de l’autel sur la première marche (ou sur le sol s’il n’y a qu’une marche).

Une fois à genoux à sa place, l’acolyte 1 peut poser devant lui la clochette, sur la marche, de façon à pouvoir la prendre en main facilement.

Le prêtre se tourne pour dire la prière « orate fratres », qu’il termine face à l’autel par le mot « omnipotentem » ; les acolytes disent alors à voix haute le répond « suscipiat dominus », le prêtre récite à voix basse la secrète, puis c’est le début du Canon, la partie la plus importante de la Très Sainte Messe.

Pendant le Canon de la messe, après l’Offertoire, la fonction principale des acolytes consiste à sonner la clochette. C’est au premier acolyte que revient cet office. Il doit donc connaître les 5 moments où il doit sonner la cloche.

Après la secrète, le prêtre lit à haute voix la préface. Puis il récite avec les fidèles et les servants le Sanctus. À chacune des 3 invocations « Sanctus », l’acolyte sonne un coup.

Le prêtre récite ensuite plusieurs prières à voix basse, puis il étend les mains sur les oblats, en disant « Hanc Igitur ». L’acolyte sonne alors 1 coup. Puis, les deux acolytes se lèvent, et montent (directement et sans faire de génuflexion) se mettre à genoux sur la plus haute marche du marchepied, de façon à se placer derrière le prêtre, à sa droite et sa gauche.

À la consécration, l’acolyte sonne un coup de clochettes à chaque génuflexion du prêtre et 3 coups pendant l’Élévation (en certains lieux, on ne sonne qu’un coup à l’élévation). Il agit ainsi pour les deux élévation : celle du Précieux Corps et celle du Précieux Sang. Les deux acolytes inclinent la tête lorsque le célébrant génuflecte et soulèvent légèrement le bas de la chasuble, sans trop la remonter, uniquement pendant l’élévation.

Après la dernière élévation, les acolytes se lèvent, descendent les marches et, font la génuflexion in-plano, puis retournent à leurs places habituelles sur le premier degré des marches (ou sur le sol s’il n’y a qu’une marche). Ils restent ainsi jusqu’à la communion du prêtre au Précieux Sang. À la petite élévation le célébrant élève légèrement l’hostie et le calice. Aux mots « Omnis honor et gloria », l’acolyte sonne un coup de cloche.

Le prêtre récite ensuite le « Pater Noster », puis fractionne l’hostie en trois parcelles, et en laisse tomber une dans le calice.

Le célébrant récite alors l’Agnus Dei avec les fidèles. Puis, après quelques prières, prend l’hostie et la patène, et se frappe la poitrine trois fois de suite en récitant le « Domine non sum dignus ». L’acolyte sonne un coup au premier, deux au deuxième et trois coups au dernier « Domine non sum dignus ».

N.B : ne pas confondre le « Domine non sum dignus » avec l’« Agnus Dei » (après la fraction de l’hostie) au cours duquel le prêtre se frappe aussi trois fois la poitrine.

Lorsque le prêtre a terminé le « Domine non sum dignus », le premier acolyte attend à sa place jusqu’à ce que le célébrant découvre le calice et fasse une génuflexion. Alors il prend la cloche, se lève et se rend directement à la crédence, sans faire aucune génuflexion. Là, il dépose la clochette et prend le plateau de communion. Il rejoint ensuite directement sa place habituelle, à genoux sur le premier degré.

Lorsque le célébrant prend le calice et communie au Précieux sang, le premier acolyte entonne à haute voix et distinctement le « Confiteor ». Les deux acolytes s’inclinent alors en même temps (inclination médiocre de corps). C’est normalement au premier acolyte qu’il revient de réciter seul le Confiteor jusqu’à la fin, au nom de tous les fidèles présents (dans beaucoup d’endroit cependant, les fidèles le récitent avec lui).

Si l’on suivait le code des rubriques de 1960 (dit de saint Jean XXIII), ce confiteor ainsi que les prières « misereatur » et « indulgentiam » sont omis. Cependant comme dans beaucoup d’endroits a été gardé la coutume des trois « confiteor » (celui du prêtre et du choeur lors des prières au bas de l’autel, et celui des fidèles chanté par le diacre ou récité par l’acolyte avant la communion) nous décrivons ici cette façon de faire.

Les deux acolytes restent inclinés jusqu’à ce que le célébrant après s’être retourné, ait fini de dire la prière « Misereatur », puis ils se redressent et se signent lorsqu’il dit la prière « Indulgentiam » bénit l’assemblée d’un signe de croix. Lorsque le prêtre a fini l’« Indulgentiam », les acolytes se lèvent, font la génuflexion au milieu en bas du marchepied, puis montent s’agenouiller sur la marche la plus haute. Ils restent ainsi à genoux et récitent le « Domine non sum dignus » en même temps que le célébrant. Les acolytes communient l’un après l’autre, s’ils le désirent, puis se lèvent, descendent du marchepied et génuflectent au pied des marches. Alors le premier acolyte accompagne le célébrant jusqu’au banc de communion, tandis que l’autre acolyte reprend sa place à genoux sur la première marche de l’autel (ou bien il accompagne à la table de communion un second prêtre pour la distribution de la sainte communion).

L’acolyte, lorsqu’il accompagne le prêtre pour la distribution de la sainte communion, se place à droite du célébrant et soutient le plateau de communion, gardant la main droite à plat sous le plateau. Il dispose le plateau sous le menton de chaque communiant en prenant garde de ne pas donner de coups au visage ou contre le ciboire. Après le dernier communiant, l’acolyte donne le plateau au célébrant et le précède jusqu’à l’autel. Il soulève légèrement l’aube du prêtre s’il y a des marches à monter. Puis il se remet à genoux à sa place.

S’il arrivait que personne dans l’assistance, pas même les servants, ne communient, on ignorerait tout ce qui a été dit depuis le moment ou l’acolyte a posé la cloche sur la crédence, et on ne réciterait ni le « Confiteor » ni les prières qui le suivent.

Après la communion des fidèles, à la fermeture du tabernacle, les acolytes se lèvent, génuflectent au milieu et vont à la crédence pour les ablutions. L’acolyte 1 prend la burette de vin, l’acolyte 2 celle d’eau. Ils attendent « in plano », au côté épître de l’autel. Quand le prêtre incline le calice vers les servants, le premier acolyte vient seul au milieu de l’autel pour verser le vin dans le calice. Puis il va se placer sur le degré en dessous du marchepied dans le prolongement de l’autel où le second acolyte vient le rejoindre.

Pour la seconde ablution, c’est le prêtre qui se rend au coin de l’autel et présente le calice aux acolytes. Chacun leur tour, ils versent le vin et l’eau dans le calice et sur les doigts du célébrant. Après la révérence, ils descendent et posent les burettes à la crédence.

Ils vont ensuite faire la génuflexion au milieu de l’autel. L’acolyte 1 passe devant l’autre et monte directement prendre le missel, l’acolyte 2 monte prendre le voile du calice (sans le déplier) par dessous. Ils changent de côté en génuflectant au mi-lieu de l’autel, in plano. L’acolyte 2 aide le célébrant à disposer le calice en présentant d’abord la bourse ouverte pour que le prêtre y insère le corporal, puis en lui donnant le voile du calice.

Pendant ce temps, le premier acolyte, après avoir posé le missel, prend le ou les plateaux de communion (les ciboires, s’il y en a) et les dépose sur la crédence. Il prend le carton des prières léonines (si celles si sont récitées après la messe) et retourne directement s’agenouiller sur le premier degré, sans génuflecter ni attendre l’autre acolyte. L’acolyte 2 reprend ensuite sa place en faisant le tour du marchepied et s’agenouille directement sans faire non plus de génuflexion au milieu de l’autel.

Les deux acolytes restent ainsi à genoux pendant que le prêtre récite l’antienne de communion et la postcommunion de la messe. Ils reçoivent la bénédiction à cette place. Après la bénédiction, les acolytes se lèvent pour le dernier évangile. Ils restent à leur place et se tournent légèrement en direction du prêtre. Ils répondent à l’introduction faites par le célébrant et le premier acolyte dit « Deo Gratias » à la fin de la récitation de l’Évangile.

À la fin du dernier évangile, pour les prières léonines, les acolytes se mettent à genoux près du prêtre, comme au début de la messe, un ou deux degrés inférieurs à celui du prêtre. Après les prières l’acolyte 1 reçoit le carton, le pose sur la marche devant lui. Puis les acolytes se lèvent, et le premier acolyte va chercher la barrette qu’il donne au célébrant. Les deux acolytes génuflectent avec le célébrant et tous vont à la sacristie.

À la sacristie les acolytes saluent la croix, puis le prêtre. Le prêtre donne alors sa bénédiction aux servants : ils se mettent à genoux, font le signe de croix et répondent « Amen ». Le premier acolyte aide ensuite le prêtre à quitter les ornements.

Alors que leur fonction est achevée, et après avoir rangé ce qui avait été sorti dans le sanctuaire pour la messe, les servants n’oublieront pas de prendre quelques instant pour rendre grâce par une prière privée, car ils ne doivent pas oublier qu’ils ne sont pas acteurs d’une pièce de théâtre, mais qu’ils ont, par leur actions, aidé le prêtre à accomplir la plus grande action qu’il est donné à un humain d’accomplir.

Forme et fonction : pour réfléchir sur la musique liturgique

Les débats sur le groupe Facebook Esprit de la Liturgie tournent souvent autour de la musique liturgique, et c’est bien : la musique est un sujet de premier plan, spécialement car le chant est la manière naturelle dont le texte liturgique est prononcé, comme nous l’avons montré à de nombreuses reprises.

Le débat public sur la musique liturgique est pollué par une certaine confusion des termes, et je souhaite dans cet article poser un petit nombre de définitions qui font consensus parmi les musiciens de métier, et qui pourraient aider les amateurs, nullement empêchés d’exprimer leur opinion sur la musique liturgique, à l’articuler avec plus de précision.

Forme musicale

La forme musicale décrit l’organisation d’une pièce musicale au point de vue de ses parties dans le temps. La musique liturgique connaît plusieurs familles de formes musicales.

La forme in directum

L’ensemble du texte est donné d’une seule traite sur une mélodie qui lui appartient. Souvent, des motifs mélodiques sont répétés (on les appelle cadences, en grégorien), mais la mélodie n’est pas rigoureusement périodique à la manière dont le sont les couplets d’une chanson, par exemple.

Le Gloria in excelsis, la psalmodie sans antienne des Complies monastiques, le Te Deum des Matines ou de l’Office des Lectures, adoptent (habituellement) la forme in directum alternée.

Le Trait chanté en Carême avant l’Évangile, l’Exsultet et le Noveritis, ou encore toutes les lectures bibliques, Leçons, Prophéties, Épîtres et Évangiles, emploient le plus souvent la forme in directum non-alternée. Il y a bien sûr des exceptions, pour le chant de la Passion par exemple.

La forme métrique

L’ensemble du texte est donné d’une seule traite sur une mélodie qui revient régulièrement. Ceci nécessite que le texte soit divisé en parties de longueur égale (en nombre de syllabes) : ce sont les stiques. Le texte doit donc être en vers (ce qui n’oblige pas ces vers à rimer). C’est la forme qu’ont les hymnes grégoriennes employées dans l’office divin. Beaucoup de cantiques populaires adoptent cette forme, quand ils n’ont pas de refrain.

Les chorals de Bach et leurs traductions françaises emploient une forme métrique particulière dans laquelle chaque stique contient des subdivisions bien structurées : la forme choral.

La forme métrique peut être alternée entre les deux parties d’un chœur, ou bien chantée par tous. Il n’y a pas, à ma connaissance, de pièce en forme métrique qui soit soliste par nature.

La forme antiphonale

Des versets, qui ont tous la même mélodie, mais des longueurs variables ou identiques, alternent avec une antienne, qui a toujours la même mélodie et le même texte. L’antienne est chantée par un effectif plus large que les versets : par exemple, deux moitiés du chœur alternent les versets, et tous chantent l’antienne ; ou bien, la schola chante l’antienne, et un ou des solistes chantent les versets.

La forme antiphonale a de multiples variations en fonction de la fréquence de l’antienne. Elle peut revenir entre chaque verset (forme couplet-refrain), tous les deux versets (forme le plus fréquemment employée pour les psaumes d’introït et de communion, ainsi que pour le Magnificat aux vêpres solennelles si l’on prévoit que l’encensement dure très longtemps), seulement avant et après l’ensemble des versets (forme employée pour le chant des psaumes dans l’office divin), voire même seulement à la fin (forme anciennement employée dans l’office divin aux féries).

Ainsi, le psaume dit « responsorial » qu’on chante fréquemment dans la messe de Paul VI est en fait un psaume antiphonal dont l’antienne revient (le plus souvent) tous les deux versets.

Les cantiques populaires à couplet et refrain sont également en forme antiphonale avec antienne répétée à chaque verset ; mais on parle alors de forme couplet-refrain.

[Edit 10/01/2022 : il faut distinguer la forme antiphonale, qui est une caractéristique de la structure de la pièce, de l’antiphonie en tant que mode d’exécution : voir la partie suivante.]

La forme responsoriale

La forme responsoriale est analogue à la forme antiphonale, mais après une première exposition de l’antienne au début de la pièce, on ne répète pas systématiquement toute l’antienne, mais seulement sa deuxième moitié. On parle alors de réponse et non d’antienne (mais il y a des exceptions).

Cette forme existe surtout dans le chant grégorien (qui est un style musical, comme on le verra plus loin) et a été assez peu employée dans les pièces en langue vulgaire.

Si on note R1 et R2 les deux moitiés de la réponse, et V1, V2, etc. les versets ; et Dox la doxologie (Gloria Patri, etc.), les différents emplois de la forme responsoriale sont :

  • Le répons prolixe, à Matines, dans l’Office des Lectures, et aux premières Vêpres des fêtes dans les usages médiévaux : R1 R2 V1 R2, éventuellement R1 R2 V1 R2 Dox R2 si le texte comprend la doxologie.
  • Le répons bref, à Laudes et Vêpres dans le rite bénédictin et dans la Liturgie des Heures de Paul VI : R1 R2 R1 R2 V R2 Dox R1 R2 (la réponse est chantée deux fois au début).
  • L’invitatoire, au début du premier office de la journée : R1 R2 R1 R2 V1 R2 V2 R1 R2 V3 R2 … Dox R2 R1 R2, avec donc la réponse (qui, pour l’occasion, est désignée comme une antienne par les livres liturgiques) chantée deux fois au début, puis sa deuxième moitié après les versets impairs, et intégralement après les versets pairs, puis reprise une dernière fois à la fin.
  • Le graduel de la messe, dans les usages médiévaux et dans le rite de Paul VI, à la manière des répons prolixes.
  • Mille autres cas particuliers : par exemple, dans ce célèbre enregistrement, l’ensemble Organum chante le Salve Regina de manière responsoriale, avec des versets et une reprise à O clemens.

[Edit 10/01/2022 : il faut distinguer la forme responsoriale, qui est une caractéristique de la structure de la pièce, du chant responsorial en tant que mode d’exécution : voir la partie suivante.]

Autres formes particulières

Certaines formes sont plus spécifiques à un emploi donné : la simple réponse, constituée de deux phrases ayant des mélodies voisines (Dominus vobiscum / Et cum spiritu tuo), la forme litanique, où les mêmes invocations sont répétées plusieurs fois avec des variantes (Ora pro nobis, Orate pro nobis, Miserere nobis, Te rogamus audi nos en fonction de la phrase qui précède), la forme alléluiatique qui n’existe que pour l’alléluia, avec une structure A1 (l’incipit) A1 (reprise) A2 (le jubilus) V A1 A2, et enfin la forme imitation, dans laquelle la même mélodie est répétée deux fois avec des paroles différentes : A A B B C C D D : c’est la forme de la plupart des séquences.

Mode d’exécution

[Partie ajoutée le 10/01/2022.]

Le mode d’exécution caractérise la manière dont les parties d’une pièces sont réparties entre plusieurs groupes de chanteurs.

On peut distinguer, parmi d’autres, l’exécution soliste, à laquelle on peut rattacher, comme apparentée, l’exécution par un petit groupe de solistes ; le chant de foule dans lequel tous chantent l’intégralité de la pièce ; l’antiphonie dans laquelle deux groupes de chanteurs à peu près de même taille alternent le chant ; et l’exécution responsoriale dans laquelle deux groupes de chanteurs de tailles très différentes alternent le chant, par exemple un soliste et un chœur, ou bien un chœur et l’assemblée.

Le mode d’exécution est largement indépendant de la forme musicale : par exemple, le Gloria de la messe est en forme in directum (il n’a rien qui ressemble à un refrain, une réponse, une partie répétée) et exécuté de manière responsoriale entre schola et assemblée ; le graduel de la messe est en forme responsoriale et souvent exécuté de manière soliste (ou plutôt par un petit groupe) ; le Sanctus de la messe est tantôt exécuté comme chant de foule, tantôt exécuté de manière responsoriale quand la schola seule chante la phrase Benedictus qui venit in nomine Domini. Le Te Deum de l’office est en forme in directum mais chanté en antiphonie ; et enfin, pour citer les cas où les notions portant le même nom concordent, la psalmodie de l’office est de forme antiphonale et chantée en antiphonie, et les répons de l’office sont de forme responsoriale et chantés de manière responsoriale.

Genre musical

Le genre est une description de la substance musicale de la pièce. Dans la musique vocale, il dépend, pas uniquement, mais significativement, du texte.

On distingue ordinairement le genre profane et le genre sacré ; et à l’intérieur de ces genres, on distingue des sous-genres. Pour ce qui nous occupe, nous sommes évidemment dans le genre sacré, dans le sous-genre de la musique liturgique ; pour éviter d’avoir à parler en permanence de sous-sous-genre, il convient d’appeler simplement genres musicaux de la musique liturgique les notions suivantes : antienne, psaume, oraison, hymne, répons, lecture, litanie, alléluia, séquence, offertoire, sanctus. Je ne mentionne pas le kyrie et l’agnus, qui sont des litanies, ni le gloria et le credo, qui sont des hymnes en prose (au moins vu du musicologue), ni le graduel, qui est un répons, ni l’introït et la communion, qui sont des antiennes intercalées avec des psaumes ; mais par simplicité on peut également considérer ces notions comme des genres musicaux de la musique liturgique.

Il faut également mentionner le genre qui est de loin le plus fréquent : le cantique populaire ou pieux cantique, et regroupe toutes les pièces dont le texte n’est pas codifié par la liturgie.

Il faut mentionner en outre des genres ombrelles, suites de pièces appartenant de manière fixe à plusieurs genres liturgiques : le genre messe, qui comprend une pièce pour chaque partie de l’ordinaire de la messe, le genre requiem qui comprend une pièce pour chaque partie de l’ordinaire et du propre du la messe des défunts, et les genres correspondants pour les offices, notamment le genre vêpres, le plus souvent composé (quelques compositeurs ont également composé des matines).

Fonction liturgique

La fonction liturgique est la partie de la liturgie pour laquelle un chant d’un genre donné est effectivement employée.

Il est important de distinguer le genre musical de la fonction liturgique. Idéalement, il devrait y avoir correspondance, mais beaucoup de messes (le genre musical) sont faites pour être exécutées en concert et non à la messe (la fonction liturgique). Il n’est pas rare, par exemple, d’employer une hymne (le genre musical) en guise de chant de communion (la fonction liturgique), ou bien, dans l’office, un cantique populaire (le genre musical) en guise d’hymne (la fonction liturgique), pourquoi pas une séquence (ou prose) (le genre) à l’offertoire (la fonction) et ainsi de suite. Que ces pratiques soient légitimes ou non n’est pas le propos de cet article ; mais la distinction est essentielle pour savoir de quoi on parle.

Certaines fonctions à caractère péri-liturgique peuvent donc se voir attribuer légitimement des pièces de divers genres : ainsi le chant de sortie (fonction péri-liturgique) peut être un cantique populaire, une antienne (ce qu’est le Salve Regina) ou pourquoi pas une litanie (de Lorette, du Sacré-Cœur…), qui sont divers genres musicaux. Le motet d’exposition (fonction péri-liturgique lors d’un Salut au Saint-Sacrement) peut être de n’importe quel genre ou presque.

Style musical

Au sens strict, le style musical désigne l’époque et la zone de composition, rattachant une pièce musicale à un courant artistique. On distingue ainsi habituellement, dans l’aire culturelle occidentale, la musique médiévale, renaissance, baroque, classique, romantique, moderne et contemporaine.

Nous nous trouvons ici confrontés à une difficulté, car, si le grégorien relève de la musique médiévale, les compositions néo-grégoriennes appartiennent en un certain sens au chant grégorien, alors qu’elles datent des époques ultérieures. Il convient de les rattacher à un style grégorien puisque ce fut l’intention de leur compositeur.

En musique liturgique, les distinctions d’époque pour définir les styles sont plus généralement inefficaces. Si la musique baroque ou classique est immédiatement identifiable, le plain-chant, le faux-bourdon et l’organum sont à cheval du Moyen-Âge jusqu’à l’époque baroque.

Au sein de la musique liturgique contemporaine, on peut aussi distinguer des styles : polyphonie contemporaine souvent a capella, très travaillée harmoniquement, telle que popularisée en France par les DAC ; chanson pop, recouvrant l’essentiel des chants de l’Emmanuel ; pastiche byzantin avec Gouzes et ses imitateurs, et ainsi de suite.

L’excellence des formes

La perfection liturgique d’une pièce de musique demande qu’il y ait adéquation entre style, genre, fonction et forme : c’est ce que demandait, au fond, Saint Pie X dans Tra le sollecitudini : l’excellence des formes, la bonta’ delle forme, en latin bonitas formarum, dans laquelle toutes les dimensions de la musique sont ordonnées ensemble à la fonction liturgique, tout en possédant chacune leur perfection propre.

Ainsi le style grégorien n’est-il pas le seul autorisé dans la liturgie, mais il est toujours adapté et fait référence, les divers styles polyphoniques (renaissance, contemporain…) ayant une place mesurée, ainsi que le chant populaire.

Ainsi il convient que les fonctions processionnales (chant d’entrée et chant de communion) soient en forme antiphonale afin de faciliter l’adaptation de la longueur du chant à celle de l’action liturgique : imaginez choisir une longue pièce en forme in directum et devoir la couper en plein milieu par manque de temps ! De même, par respect pour une très ancienne coutume, il serait bon que les offertoires (le genre) adaptés en français soient en forme responsoriale, d’autant que le texte de leurs versets a souvent été écrit pour s’enchaîner avec la seconde partie de la réponse. Enfin, citons deux erreurs de forme omniprésentes dans les compositions contemporaines : le Gloria et le Sanctus doivent être composés in directum (alterné, pour le Gloria, et non-alterné, pour le Sanctus) et non, comme c’est fréquent, en forme couplet-refrain ou antiphonale avec la première phrase répétée à la fin.

En conclusion, il est clair que la tradition liturgique latine a attribué une forme et un genre à chaque action liturgique : ce n’est pas en vain. Les compositeurs contemporains qui souhaitent inscrire leur art dans la vénérable tradition de l’Église d’occident feraient bien de s’y conformer : cet article démontre qu’une contrainte de genre et de forme ne doit pas être confondue avec une contrainte de style, et que la liberté artistique des compositeurs n’est en rien brimée par les exigences de la liturgie.

La situation des livres liturgiques du rite romain

Un récent débat sur le groupe Facebook d’Esprit de la Liturgie m’a conduit à prendre la défense d’un des aspects de la réforme liturgique de Paul VI : le retour à la logique dite « de sacramentaire », dans laquelle les diverses parties de la liturgie sont réparties dans différents livres en fonction de la personne qui les utilise, et qui s’oppose à la logique dite « de missel plénier », dans laquelle tout est dans le missel (pour la Messe) et dans le bréviaire (pour l’Office).

Cette défense mérite quelques nuances et quelques définitions : faisons le point sur l’état des livres liturgiques du rite romain.

1. Les livres liturgiques du rite romain en général

Pour fixer les idées, nous listons brièvement ici les livres liturgiques pour la Messe, puis ceux pour l’Office, puis ceux pour les autres sacrements.

Le Sacramentaire

C’est le livre du prêtre. Il contient les trois oraisons de la messe : la collecte (ou prière d’ouverture dans le rite de Paul VI), la secrète (ou prière sur les offrandes dans le rite de Paul VI) et la postcommunion. Il contient aussi l’ordinaire de la messe, en particulier le canon (ou prière eucharistique).

L’Évangéliaire

C’est le livre du diacre. Il contient les lectures évangéliques pour toutes les messes de l’année.

L’Épistolier

C’est le livre du sous-diacre ou du lecteur. Il contient, comme son nom l’indique, les lectures des épîtres pour toutes les messes de l’année, mais aussi les lectures de l’Ancien Testament, des Actes et de l’Apocalypse pour les messes qui en comportent.

L’épistolier et l’évangéliaire peuvent être rassemblés dans le même livre : on parle alors de Lectionnaire de la Messe (à ne pas confondre avec le Lectionnaire de l’Office qu’on verra plus loin). Le Lectionnaire de Paul VI contient également des psaumes à lire entre les deux lectures.

L’illustration en tête de cet article est un lectionnaire mérovingien du début du VIIIe siècle distinct de l’épistolier : il ne comprend que les lectures de l’Ancien Testament et des Actes.

Le Graduel

C’est le livre des chanteurs de la schola. Il contient des pièces de chant qui font partie de la liturgie de la Messe et reviennent à la schola : l’antienne d’introït ou chant d’entrée, le graduel (entre les lectures, là où dans le rite de Paul VI on lit plus souvent le psaume), l’alléluia (le trait, en Carême), le chant d’offertoire et l’antienne de communion. Il contient souvent le aussi le Kyriale (ci-dessous).

Le Kyriale

C’est le livre de l’assemblée. Il contient les chants qui reviennent à l’assemblée, à savoir ceux de l’ordinaire de la Messe : Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei, ainsi que certains chants de procession propres à certaines messes, par exemple l’Asperges me et le Vidi Aquam.

Autres livres de chant

On connaît également divers livres de chant destinés à un petit groupe de solistes, ou à un soliste unique dans les petites églises, contrairement au graduel qui contient les chants à caractère collectif : le versiculaire qui contient les versets à chanter en alternance avec l’antienne d’introït si la procession d’entrée est longue, et en alternance avec l’antienne de communion si la procession de communion est longue ; le cantatorium qui ne contient que les graduels et alléluias, là où l’usage les fait chanter par des solistes ; l’offertoriale qui contient les versets à chanter de manière responsoriale avec le chant d’offertoire, si on emploie l’encens et que l’offertoire se prolonge ; le tropaire si on emploie les tropes (voir par exemple notre article sur les tropes d’introït). Ce dernier contient aussi traditionnellement les séquences, qui ne sont que des tropes d’alléluia ; comme il n’y en a plus que cinq, elles figurent au Graduel.

Le Missel plénier

Le Missel plénier cumule les fonctions d’un Sacramentaire, d’un Évangéliaire, d’un Épistolier, et contient également les textes des pièces du Graduel et du Kyriale, mais pas leur musique. Le missel plénier correspond à une situation où le prêtre assure toutes les fonctions liturgiques, mais ne chante rien : autrement dit, il est fait pour la messe basse, sans ministres sacrés ni chantres.

Voyons maintenant les livres nécessaires à l’office.

Le Psautier

Il contient les 150 psaumes de l’Office divin (seulement 147 dans la Liturgie des Heures de Paul VI suite à la censure de trois psaumes dits « imprécatoires ») disposés dans l’ordre où ils sont chantés lors des offices. Il contient en plus des cantiques issus de l’Ancien et du Nouveau Testament, chantés lors de certains offices à la manière des psaumes.

L’Antiphonaire diurne

Il contient les partitions des antiennes des sept offices de la journée (six depuis Vatican II) : Laudes, Prime (dont la suppression fut demandée par Vatican II dans Sacrosanctum Concilium), Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies. Les antiennes sont chantées avant et après chaque psaume. Cette alternance entre antiennes et psaumes constitue la partie essentielle de l’Office divin, dans les deux usages du rite romain. Il contient presque toujours le Psautier (ci-dessus), et le plus souvent l’Hymnaire (ci-dessous).

L’Hymnaire

Il contient les partitions des hymnes, chants poétiques écrits par divers auteurs au cours de l’histoire de l’Église. Dans la Liturgie des Heures de Paul VI, il contient également les antiennes dites invitatoires chantées au début du premier office de la journée, et le psaume 94 qui les accompagne.

Le Collectaire (ou Capitulaire, ou Lectionnaire diurne)

C’est le livre propre de l’hebdomadier, la personne chargée, souvent pour une semaine (d’où son nom), d’assurer certaines parties de l’office : ce livre contient les brefs passages de l’Écriture qui sont chantés lors de chaque office de la journée, ainsi que les oraisons qui concluent les offices. Cette oraison est fréquemment la collecte de la Messe du jour, d’où l’un des noms portés par ce livre.

Le Martyrologe

Il contient pour chaque jour de l’année la liste des saints fêtés ce jour et une brève biographie des plus importants d’entre eux. Le martyrologe du jour qui suit est chanté après l’heure de Prime dans certains usages du rite romain.

L’Antiphonaire nocturne

Il contient les partitions des antiennes et répons de l’office de nuit (Matines dans l’usage ancien, l’Office des Lectures dans l’usage réformé du rite romain). Les antiennes encadrent les psaumes comme pour les offices diurnes ; les répons suivent chaque lecture ou leçon (les Matines en comprennent trois ou neuf ; l’Office des Lectures en contient deux).

L’Homéliaire

Il contient certaines lectures de l’office de nuit qui sont issues des œuvres des Pères de l’Église. La plupart d’entre elles sont initialement des homélies, d’où le nom de ce livre.

Le Lectionnaire nocturne

Il contient les autres lectures de l’office de nuit, issues de l’Écriture, surtout l’Ancien Testament. Le plus souvent, il contient également l’Homéliaire, pour former un livre comprenant toutes les lectures de l’office de nuit.

Le Bréviaire

Il contient le Psautier, les Lectionnaires diurne et nocturne (dont l’Homéliaire), et les textes, mais non les partitions, contenus dans les Antiphonaires diurne et nocturne et dans l’Hymnaire. Il ne contient pas le Martyrologe car celui-ci n’est pas employé dans la récitation privée de l’Office. Le Bréviaire est l’exact pendant du Missel plénier pour l’Office divin : il permet à un clerc seul de réciter l’Office sans chant ni cérémonie, lui donnant tout le nécessaire en un seul livre.

Voyons maintenant les livres relatifs aux autres sacrements et sacramentaux.

Le Cérémonial des évêques

Il s’agit d’un livre tardif (première édition en 1600) qui décrit les particularités de toutes les cérémonies liturgiques et péri-liturgiques (messe, offices, funérailles, processions, salut…) où un évêque est présent. Il ne contient pas les textes de ces cérémonies, mais seulement leur description détaillée (rubriques).

Le Pontifical

Il contient les textes des cérémonies réservées à l’évêque : la Confirmation et l’Ordre, mais aussi les bénédictions des huiles, la consécration des autels, la bénédiction abbatiale…

Dans l’usage réformé du rite romain, il a été fusionné avec le Cérémonial des évêques. La dernière édition du Cérémonial des évêques (1998) contient donc les textes du Pontifical modifiés lors de la réforme liturgique de 1970.

Le Rituel

Il contient les textes de divers sacrements et sacramentaux non réservés à l’évêque : le Baptême, la Confession, le Mariage et l’Onction des malades, et diverses bénédictions.

Dans l’usage réformé du rite romain, il a été séparé en un livre pour chaque sacrement, et un Livre des Bénédictions.

2. Grandeur et décadence des livres pléniers

Le Bréviaire est beaucoup plus ancien que le Missel plénier : en effet, il s’est toujours trouvé que des clercs en voyage doivent réciter l’Office en privé ; alors que la célébration itinérante de la Messe est plus récente : elle date de l’apparition des ordres mendiants, dominicains et franciscains. Les premiers bréviaires apparaissent au IXe siècle, les premiers missels pléniers au XIIIe. Cependant, jusqu’au XIVe siècle, ils sont bien compris comme des abrégés, des condensés d’autres livres liturgiques qui font référence ; ils sont une nécessité pratique, mais ne constituent pas eux-mêmes la référence liturgique.

La logique s’inverse autour de Trente ; quoique le Concile de Trente lui-même soit fort équilibré et raisonnable à cet égard — comme, d’ailleurs, Vatican II une espèce d’« esprit du Concile » avant la lettre met au premier plan la figure du prêtre dans la liturgie ; c’est le seul acteur important de la Messe, et quant à l’Office, pourquoi le faire chanter par des laïcs ? Les religieux ont toujours leurs antiphonaires, on édite toujours des graduels, mais le Bréviaire s’impose comme le livre qui fait la norme liturgique pour l’Office, et le Missel pour la Messe. Ce qui était au Moyen-Âge des abrégés d’autres livres deviennent des points de départ, à partir du texte desquels on compose la musique là où c’est nécessaire.

Au XIXe siècle, le mouvement liturgique promeut le retour à la logique des livres liturgiques médiévaux, afin de remettre chacun des acteurs de la liturgie à sa juste place, par réaction à cette logique « tridentine » (répétons-le, l’adjectif n’est pas idoine : Trente n’enseigne rien de tel), logique dans laquelle l’évêque n’est qu’un super-prêtre, le diacre un apprenti-prêtre, et le rôle des laïcs n’est pas explicité. Concernant les livres de chant, cette logique médiévale permet également de rappeler que la musique n’est pas une décoration facultative du texte, ce qu’un missel-référence et un graduel « périphérique » laisseraient croire, mais qu’en liturgie, texte et chant font corps, les paroles privées de leur musique perdant toute leur charge symbolique.

Ce mouvement portera du fruit en termes de publications de livres liturgiques, dans l’usage ancien et dans l’usage réformé du rite romain. Malheureusement, ces fruits sont encore imparfaits : voyons l’état des lieux.

3. Les livres liturgiques de l’usage ancien du rite romain

« Les livres en vigueur en 1962 », pour reprendre l’expression de la législation récente, comportent, pour la Messe : un Missel plénier (1962) avec le contenu de l’Épistolier et de l’Évangéliaire, un Graduel (1908) avec Kyriale, un Offertoriale (1935) et un Versiculaire (1961). Des éditions privées existent pour l’Épistolier et l’Évangéliaire, permettant d’éviter de chanter les lectures depuis le Missel d’autel lors des messes solennelles (avec diacre et sous-diacre).

Il manque donc essentiellement un Tropaire, si on souhaitait réintroduire les tropes, là où la réforme de Pie V les a supprimés, et les séquences, là où le missel curial (dit « tridentin ») du même Pie V n’en comprenait que quatre. De plus, le nouveau mouvement liturgique dans lequel s’inscrit Esprit de la Liturgie souhaite vivement l’édition d’un Épistolier et d’un Évangéliaire pour l’usage ancien du rite romain, dans les diverses traductions officielles, permettant de chanter liturgiquement ces lectures dans la langue vernaculaire.

Pour l’Office divin, étaient en vigueur en 1962 : un Antiphonaire diurne (1912) avec Psautier, Collectaire et Hymnaire diurne, et un Martyrologe (1913, avec annexes pour les canonisations récentes). Ces divers livres permettent donc aisément le chant de tout l’office diurne. On a également un Bréviaire (1960) pour la récitation de l’Office, dont l’office nocturne, mais ni Antiphonaire nocturne, ni Hymnaire nocturne, ni Lectionnaire nocturne et son Homéliaire.

Une édition privée de l’Antiphonaire nocturne (avec son Hymnaire) a été réalisée en 2002 par feu Holger Peter Sandhofe ; si elle a été bien reçue par les autorités romaines, elles ne l’ont pas approuvée officiellement.

Le chant solennel de l’office nocturne est donc encore aujourd’hui un patrimoine à recouvrer dans l’usage ancien du rite romain.

Pour finir, étaient en vigueur en 1962 le Rituel et le Pontifical édités à cette date en même temps que le Missel, ainsi que le Cérémonial des évêques (Cæremoniale Episcoporum), édité en 1886 par Léon XIII et régulièrement mis à jour depuis lors.

4. Les livres liturgiques de l’usage réformé du rite romain

La réforme liturgique a voulu revenir à la logique dite « de sacramentaire », mais il faut définir précisément nos termes, car les livres en question incluent des éléments inattendus par rapport aux définitions données au premier paragraphe de cet article.

Livres pour la Messe

Il nous faut commencer par examiner le Graduel. Il a été publié en 1974, et tous les spécialistes le jugent satisfaisant, et même très bon : son contenu est parfaitement officiel et déterminé par l’Ordo Cantus Missæ (1972), qui a la même autorité que le Missel. Il reprend 95% des chants du Graduel de 1908, et en ajoute quelques autres, issus du répertoire médiéval. Il comprend pour chaque messe de l’année les chants attendus : entrée, graduel, alléluia (trait en Carême), offertoire, communion. Ses rubriques précisent que le graduel se chante entre la première et la deuxième lecture, les dimanches et fêtes ; et quand il n’y a qu’une lecture, aux féries et mémoires, on peut chanter entre la lecture et l’évangile, ou le graduel et l’alléluia, ou seulement l’un des deux. Il inclut les références des versets à employer pour l’entrée et la communion, mais pas leur texte, ni leur partition. Un Versiculaire pour l’antienne de communion a été publié à titre privé en 2017 par Anton Stingl. Aucun travail similaire n’existe pour les antiennes d’introït.

Le Missel (2002) comprend, outre le Sacramentaire et l’Ordinaire de la Messe, une « antienne d’ouverture » et une « antienne de communion », sans partitions musicales. On ne peut qu’imaginer les raisons de cette curieuse inclusion : sans doute de permettre au prêtre de lire le texte de ces antiennes lorsqu’elles ne sont pas chantées, sans avoir à ouvrir le Graduel. Seul problème : les textes de ces deux antiennes ne sont pas les mêmes dans le Missel et dans le Graduel ! Rien ne justifie ces écarts, qui ont conduit, bien malheureusement, les compositeurs de musique à composer pour les textes des antiennes du Missel et non celles du Graduel, alors que, dans la logique que l’on voulait restaurer, Graduel et Sacramentaire sont bien distingués, et c’est le Graduel qui fait référence pour les textes des chants (et non un report erroné du texte de ces chants dans un Missel qui se défend d’être plénier mais qui tente de l’être au moins sous cet aspect).

Un Lectionnaire de la Messe (1970) a également été promulgué, qui inclut les péricopes évangéliques ; celles-ci ont aussi été regroupées dans des éditions approuvées afin de constituer des Évangéliaires. Ce lectionnaire contient deux lectures et un évangile pour les dimanches et fêtes, et une lecture et un évangile pour les mémoires et féries. Après la première (ou unique) lecture, il fait figurer un psaume. Ce psaume ne correspond jamais ou presque au texte du graduel du jour figurant au Graduel. Les circonstances dans lesquelles il est préférable d’employer ce psaume du Lectionnaire, ou le graduel du Graduel, ne sont pas claires. En tous cas, dans la logique que l’on veut adopter (« à chaque acteur liturgique son livre »), il faut définir si ce qu’on entend entre les lectures est soi-même une lecture (même chantée) ou un chant (même réduit à ses paroles récitées). Dans le premier cas, c’est le Lectionnaire qui fait foi, dans le deuxième, c’est le Graduel.

Le Lectionnaire de la Messe comprend également des versets d’alléluia, sans doute pour le cas où l’alléluia n’est pas chanté et où le lecteur lira le verset d’alléluia ; cette hypothèse étant analogue à celle expliquant la présence de deux antiennes (entrée et communion) dans le Missel. Mais encore une fois, les textes des versets d’alléluia ne sont pas les mêmes dans le Lectionnaire et dans le Graduel ! L’alléluia étant indubitablement un chant par sa nature propre, c’est le Graduel qui fait foi, et c’est le texte du Graduel qu’on doit mettre en musique si l’on chante la Messe. De même, pour le Carême, le Lectionnaire de la Messe contient des versets à lire à la place de l’alléluia, qui ne correspondent pas avec le texte du trait présent dans le Graduel, qui y remplace l’alléluia pendant le Carême. Les considérations que nous avons fait porter sur l’alléluia s’appliquent également à ce duo trait du Graduel – versets avant l’évangile du Lectionnaire.

Notons enfin qu’un Tropaire et un Offertoriale ont été publiés avec la bénédiction de l’autorité ecclésiastique, mais sans son approbation formelle pour l’usage liturgique.

En conclusion, on peut dire qu’à l’exception du Versiculaire pour l’introït, absence mineure qu’un chantre bien préparé peut pallier en éditant lui-même les versets d’introït, les livres publiés permettent la célébration de la Messe de la manière la plus solennelle et la plus déployée dans l’usage réformé du rite romain, si l’on résout correctement les incohérences graves qui existent entre ces livres.

Livres pour l’Office

Un Ordo Cantus Officii a été publié en 1983 et considérablement enrichi (des centaines d’antiennes ajoutées) en 2015. Ce livre n’est pas en soi un antiphonaire, il est en fait le sommaire d’un antiphonaire futur : il liste les antiennes à employer pour l’Office et donne leur référence dans les bases de données employées par les musicologues ; à eux d’en publier la mélodie dans des antiphonaires.

Ces antiphonaires peinent à voir le jour : l’Hymnaire (diurne et nocturne) a été publié en 1983, l’Antiphonaire diurne pour les Vêpres des dimanches et fêtes en 2009, et l’Antiphonaire diurne pour les Laudes des dimanches et fêtes en 2020. Ces livres, contrairement à l’Antiphonaire diurne de 1912 pour l’usage ancien du rite romain, ne contiennent pas le Collectaire. Les petites heures et l’office de nuit ne sont pour l’instant pas incluses dedans.

Un livre en quatre volumes intitulé Liturgia Horarum (2000) a été promulgué, livre qui est de facto un bréviaire : il contient l’intégralité des textes de l’office diurne et nocturne, psaumes, antiennes, répons, hymnes, lectures bibliques et patristiques, et oraisons du Collectaire, sans aucune partition de chant. Comme pour le Missel et le Lectionnaire de la Messe, les textes des antiennes et répons ne sont pas les mêmes entre ce nouveau Bréviaire et le nouvel Antiphonaire. Dans la logique dite « de sacramentaire », où chaque acteur de la liturgie a son livre propre, les antiennes étant indubitablement trouvées primordialement dans l’Antiphonaire, c’est celui-ci qui doit faire foi, puisqu’il est promulgué (via l’Ordo Cantus Officii) avec la même autorité que Liturgia Horarum. Les antiennes qui figurent dans l’editio typica de Liturgia Horarum ont donc dû être victimes d’une gigantesque faute de frappe.

Pas trace d’un Homéliaire, d’un Antiphonaire nocturne ou d’un Lectionnaire nocturne : l’office de nuit de la liturgie des heures réformée ne semble être destiné qu’à la récitation privée.

La suppression de l’heure de Prime a également supprimé l’emploi du Martyrologe, qui existe toujours, mais n’est plus un livre liturgique. Il s’agit indubitablement d’une perte, mais commenter la suppression de Prime n’entre pas dans le cadre de cet article.

En conclusion, l’Office divin, qui était déjà le parent pauvre de la liturgie tridentine, reste l’élément le plus délaissé de la liturgie réformée par Paul VI, en termes d’édition de livres liturgiques. Sa célébration solennelle, dans le langage de l’Église latine qui est le chant grégorien, est possible uniquement pour un tout petit nombre d’offices, certes les plus importants : les Laudes et Vêpres des dimanches et fêtes. Mais surtout, les livres pour l’Office reproduisent la logique post-tridentine de Bréviaire-référence, de manière tout à fait contraire aux intentions du Mouvement liturgique et du Concile Vatican II.

Livres rituels

L’auteur de cet article n’est pas un expert du rituel des sacrements et se bornera à constater que le Pontifical a été révisé pour l’usage réformé du rite romain, qu’une version révisée du Cérémonial des évêques a été publiée en 1984 et que les livres rituels nécessaires à la célébration des sacrements ont été publiés individuellement. L’usage réformé ne semble donc pas différer substantiellement de l’usage ancien en termes de livres utilisables pour la célébration des sacrements — l’auteur prend bien garde de se ne pas prononcer sur les évolutions des textes eux-mêmes.

5. Conclusion : une réforme en recherche de cohérence

Sous le rapport de la sortie d’une logique tridentine de Missel plénier, centrée autour de la figure du prêtre, de son Missel et de son Bréviaire, références absolues de la norme liturgique, pour revenir à la logique médiévale de Sacramentaire, dans laquelle chaque acteur liturgique dispose d’un livre propre qui fait référence dans son domaine propre, force est de constater que la réforme s’est arrêtée au milieu du gué.

Si l’effort a été fait pour la Messe de distinguer Graduel, Missel et Lectionnaire, le découpage des textes auparavant contenus dans le Missel plénier entre ces trois livres n’est pas clair, et conduit à des incohérences que l’auteur de cet article juge pires que les déficiences du principe de Missel plénier. Il suffirait cependant d’un acte très simple de l’autorité pour y remédier : une clarification quant au fait que le texte des antiennes d’entrée et de communion du Graduel prime sur celui du Missel, que les textes du graduel et de l’alléluia du Graduel priment respectivement sur ceux du psaume et de l’alléluia du Lectionnaire.

Quant à l’Office divin, il reste prisonnier de la logique du tout-Bréviaire, où le texte est divorcé de sa musique qui pourtant ne doit faire qu’un avec lui. Le chant public et solennel de l’Office, lieu par excellence de la participation active des fidèles, appelé de ses vœux par le mouvement liturgique et le Concile Vatican II, se trouve donc face à une alternative cruelle : composer une musique sans fondement historique dans la tradition latine, qui ne vaudra que pour une communauté et un petit nombre d’années, voire ne pas chanter et réciter l’office en commun (dans de nombreuses paroisses et communautés, on pratique un mélange de ces deux solutions), ou bien célébrer dans l’usage ancien du rite romain, ou bien partir soi-même à la pêche aux manuscrits médiévaux pour établir une mélodie grégorienne que l’Église refuse à ses enfants et à son Dieu.

Il ne nous reste qu’à prier Dieu que son Église, par ses évêques et spécialement le premier d’entre eux, finisse de franchir le gué et réalise enfin la réforme réellement demandée par le Concile : une liturgie dans laquelle chacun sait ce qu’il doit faire et tient son rôle, libérée de l’arbitraire du célébrant, et intimement unie à ce chant grégorien qui en est comme le matériau sonore. À cette fin, l’édition de livres liturgiques dédiés à chaque acteur liturgique, assemblée comprise, pour la Messe comme pour l’Office, est indispensable.

Rencontres grégoriennes : le chant de l’avenir

Les amoureux du chant grégorien s’étaient donné rendez-vous le week-end des 16 et 17 octobre 2021 à Paray-le-Monial pour deux jours de conférences et de formation, rythmés par la messe et l’office divin. Reportage.

Samedi, entre Laudes et les ateliers pratiques
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

« Historique »

Le mot a été lâché par François Fierens, de la chorale Saint-Irénée à Bruxelles, et vétéran des journées grégoriennes qui ont émaillé de loin en loin ces deux dernières décennies, lors de sa conférence de clôture. Historique au premier chef par la diversité des traditions interprétatives parmi les organisateurs de l’événement, et par leur volonté d’étudier ensemble et surtout de chanter ensemble. Historique surtout par l’émergence, évidente, d’une jeune garde, la génération née dans les années 1990 et qui veut reprendre possession de son patrimoine spirituel – quoiqu’il s’agisse d’une toute petite partie de cette génération, même parmi les jeunes catholiques pratiquants : inutile de nous voiler la face.

Juchés sur les épaules de géants

La session a été encadrée par trois conférences — une au début, du R. P. Le Bourgeois, de l’abbaye de Triors, et deux à la fin, de Giedrius Gapsys, musicologue et professeur au CGP, et de François Fierens, que nous évoquions ci-dessus. Le propos commun de ces trois conférenciers fut, chacun à leur manière, de mettre en évidence les racines du chant grégorien et de ces Rencontres : racines spirituelles, dans la conférence du P. Le Bourgeois, conférence qui fera date par sa profondeur, et dont la réception ne se dispensera pas d’une publication in extenso que l’auteur de ces lignes appelle de ses vœux ; racines historiques, dans la conférence de G. Gapsys, qui brossa en une petite heure l’histoire de la transmission du chant, sa traditio, autrement dit la manière dont, à chaque génération, même pendant l’« éclipse » de la période baroque, se sont levés des ouvriers pour faire parvenir jusqu’à nous l’héritage musical du christianisme occidental ; racines contemporaines, enfin, quand F. Fierens a retracé la petite histoire de la difficile réappropriation de son propre chant par l’Église durant les dernières décennies.

Samedi, Laudes de la fête de sainte Marguerite-Marie Alacoque
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Une seule voix…

Une série d’ateliers pratique sur deux jours ont permis aux participants de se former dans les domaines de leur choix — et ce choix était difficile : ateliers d’interprétation pour tous niveaux, des débutants complets aux confirmés, traitant tous les genres de pièces du répertoire ; mais aussi chironomie, direction, sémiologie, étude du rythme des textes et de la modalité.

Les animateurs des ateliers étaient issus de diverses traditions interprétatives du chant grégorien, fait remarquable dans un milieu toujours tenté par l’entre-soi et l’esprit de clocher. Il ne fait pas de doute que c’est là l’une des grandes forces de cet événement, que ses organisateurs souhaitent voir devenir annuel : non seulement montrer que des fidèles de formations et de niveaux très différents peuvent chanter ensemble, mais plus profondément, montrer que le chant grégorien est porteur de sa propre unité, à cause de son enracinement cultuel, c’est à dire à cause de cet esprit de service divin dont il est comme imbibé ; on se prend à redire comme l’Apôtre :

Quand l’un de vous dit : « Moi, j’appartiens à Mocquereau », et un autre : « Moi, j’appartiens à Cardine », n’est-ce pas une façon d’agir tout humaine ? Mais qui sont-ils ? Des serviteurs qui ont agi selon les dons du Seigneur à chacun d’eux. Un tel a planté, un autre a arrosé ; mais c’est Dieu qui donnait la croissance. Nous sommes des collaborateurs de Dieu, et vous êtes un champ que Dieu cultive, une maison que Dieu construit.

1 Co 3 : 4-9, seuls les noms des protagonistes ont été modifiés

… et une seule âme

Bien sûr, l’unité du chant ne pouvait s’accomplir que dans la liturgie pour laquelle il est fait. Les offices furent chantés selon l’un ou l’autre usage du rite romain ; les deux messes (sainte Marguerite-Marie Alacoque, le samedi ; le 29e dimanche du temps ordinaire, le lendemain) furent célébrées selon l’usage réformé ; on ne peut que regretter les malheureuses circonstances qui ont empêché les participants de célébrer l’une des deux selon l’usage plus ancien. La polyphonie n’était nullement exclue de ces liturgies, et le chœur Lux Amoris nous a portés à la prière en exécutant avec délicatesse quelques pièces bien choisies ; on retient spécialement un merveilleux Ubi Caritas de facture contemporaine, à la communion.

Le chœur Lux Amoris / Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Les amateurs de belle paramentique l’ont compris en voyant les photos du début de cet article : si le son était de qualité, l’image n’avait pas à rougir. L’abbé Guillaume Antoine est à créditer pour l’impressionnante collection de chapes importées pour l’occasion du diocèse de Coutances.

Samedi, Laudes de la fête de sainte Marguerite-Marie Alacoque
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Au-delà des belles photos, c’est dans l’obscurité, au cœur de la nuit, à la lumière des bougies, que l’union des âmes fut la plus parfaite. Le chant intégral des Matines, long, physiquement exigeant, fut pour certains une découverte : c’est au prix de la fatigue et du renoncement que l’office de nuit offre ses trésors à qui veut bien les conquérir. Pour l’auteur de ces lignes, pourtant habitué, les matines de ce 21e dimanche après la Pentecôte restent un joyau de chant et d’âme, une prière d’une intensité et d’une pureté sans pareilles ; vraiment, il n’est pas vain, le sacrifice de louange de ceux qui « se lèvent au milieu de la nuit pour lui rendre grâce » (Ps. 118 : 62). J’offre au lecteur, « en tremblant, comme un mystère », un écho lointain et diminué de cette louange, avec le répons Duo Seraphim enregistré à cette occasion :

Cor ad cor loquitur

Ces rencontres étaient placées sous le patronage de saint John Henry Newman, qui avait pris pour devise : Cor ad cor loquitur, le cœur parle au cœur ; une citation de saint François de Sales, qui, si ce dernier l’entendait de la prédication, s’applique de manière saisissante au chant grégorien :

La forme, dit le philosophe, donne l’être et l’âme à la chose. Dites merveilles, mais ne les dites pas bien, ce n’est rien. Dites peu, et dites bien, c’est beaucoup. Il faut [chanter] affectionément et dévotement, simplement et candidement, et avec confiance ; le souverain artifice est de n’avoir point d’artifice. Il faut que nos paroles soient enflammées, non par des cris et actions démesurées, mais pas l’affection intérieure. Il faut qu’elles sortent du cœur plus que de la bouche : on a beau dire, le cœur parle au cœur, mais la bouche ne parle qu’aux oreilles.

Si saint François de Sales donnait à cette phrase un sens tout horizontal, y considérant la relation entre deux personnes humaines, saint John Henry Newman lui ajoutait un sens vertical : dans sa révélation, le cœur de Dieu parle au cœur de l’homme, et dans le culte divin, le cœur de l’homme parle au cœur de Dieu ; c’est ainsi que dans sa louange perpétuelle, l’Église rend à Dieu, par le chant grégorien, les trésors qu’Il lui a révélés dans l’Esprit.

2e vêpres du 21e dimanche après la Pentecôte
Photo @vera_iconis | Rencontres grégoriennes

Mentalité de messe basse : de certains abus dans l’usus antiquior

Cet article reflète l’opinion personnelle de son auteur et n’engage pas Esprit de la liturgie.


Les lecteurs de ce blog ont l’habitude de me voir entrer dans d’interminables précisions sémantiques, définissant tous les termes et posant tous les fondements théoriques de mes conclusions, car j’espère que la clarté de mes propos y gagne ce que leur brièveté y perd. Ce n’est pas la démarche de cette tribune. Si les lecteurs en expriment le souhait, je pourrai développer les origines historiques de la mentalité de messe basse, et comment elle a influencé de manière déterminante la création du Novus Ordo Missæ ; mais aujourd’hui, parlons pratique.

J’ai roulé ma bosse ces dix dernières années dans un grand nombre de célébrations de ce qui fut la forme extraordinaire et qu’il faut maintenant appeler l’usage plus antique, usus antiquior, au gré des (nombreux) déménagements et des vacances. La qualité liturgique de ces célébrations est relativement bonne dans l’ensemble, les défauts observés étant, la plupart du temps, légitimement imputables au manque de volontaires suffisamment formés : en tant qu’ancien cérémoniaire et ancien chef de chœur, je sais plus qu’un autre qu’en liturgie on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a.

Cependant, à beaucoup d’endroits, des défauts de diverses natures ne peuvent être expliqués que par un manque de formation liturgique général de toute la communauté, prêtres et fidèles, ou bien par une coupable recherche de la facilité.

Qu’est-ce que la mentalité de messe basse ?

La mentalité de messe basse est, au niveau théorique, la construction de la liturgie à partir de la messe basse, à laquelle on rajoute des éléments en fonction des moyens dont on dispose et de la solennité qu’on veut donner à la célébration : chants, servants, diacre et sous-diacre, encens, orgue, et ainsi de suite. C’est la logique qui fonde explicitement les célébrations dans l’usage réformé.

Au contraire, la liturgie romaine se construit à partir de la messe pontificale, en en retirant certaines parties pour obtenir la messe solennelle, puis la messe chantée, puis la messe basse.

Au niveau pratique, la mentalité de messe basse se trahit dans une célébration par l’import, dans une messe chantée, voire dans une messe solennelle ou pontificale, d’éléments de la messe basse qui n’appartiennent pas à ces célébrations. C’est ce dont nous allons voir de multiples et lamentables exemples.

Des abus, vraiment ?

Certaines des pratiques que je vais lister sont des abus au sens strict, c’est à dire des contraventions au code des rubriques du missel romain de 1962. Certaines autres, licites en elles-mêmes, et parfois justifiées par la nécessité ou les circonstances, ne sont pas des abus, mais, soit par leur accumulation au sein d’une même Messe, soit par l’habitude qu’on en prend et qui les rend ordinaires, trahissent un défaut de compréhension de la liturgie assez profond pour mériter d’être rectifié. J’ai noté celles ci par les mots « mauvaise habitude », ce qui bien sûr n’est que l’opinion d’un fidèle qui veut que le culte rendu à la majesté divine soit le moins possible indigne d’elle.

Je vais également tenter de catégoriser ces pratiques : la plupart relèvent d’une mentalité de messe basse, certaines relèvent d’un certain pastoralisme, ce qui est le nom catholique du populisme, c’est à dire la tentation de satisfaire les envies du peuple plutôt que de chercher à l’élever ; certaines autres relèvent de l’archéologisme, l’attachement désordonné à des formes liturgiques révolues.

Fidèles attachés à l’usage ancien du rite romain, il est inimaginable que nous nous posions en donneurs de leçons vis-à-vis des habitués de l’usage réformé — et pourtant, il y aurait plus d’une leçon à donner : l’auteur de ces lignes ne s’en est pas privé dans de précédents articles — si nous ne donnons pas à voir dans nos propres églises des célébrations absolument exemplaires.

Crache ton venin !

Procédons dans l’ordre de l’Ordo Missæ.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : si l’on ne fait pas l’aspersion, il n’y a aucune raison d’attendre le début des prières au bas de l’autel pour chanter l’introït1. On peut admettre l’idée d’un chant de foule pendant la procession : mais à bien des endroits on laisse passer la procession d’entrée en silence (ou en noyant le silence dans l’orgue) alors que l’introït est, de par sa nature musicale, que confirment les rubriques, un chant de procession. Si on fait l’aspersion, la question ne se pose pas.

Abus (pastoralisme) : l’encens est absolument défendu aux messes basses2. Je l’y ai déjà vu employé, quoique rarement.

Mauvaise habitude (pastoralisme) : l’encens est seulement permis aux messes chantées, comme une concession faite au désir légitime du peuple d’assister à une célébration hiératique2 ; son emploi n’appartient vraiment qu’à la messe solennelle, et il est très souhaitable de se mettre en quête des ministres nécessaires à celle-ci si on veut employer l’encens. Il est inexcusable d’employer l’encens alors que la messe chantée n’est, par ailleurs, pas célébrée avec le degré de solennité qui lui convient (voir ci-dessous : pas de Graduel, d’Offertoire, de lectures chantées).

Abus (pastoralisme) : s’il est légitime d’employer un Kyrie non-grégorien (du moment que le chant grégorien conserve la première place par ailleurs, par exemple si le Propre est intégralement chanté), il n’est pas acceptable d’en modifier le texte, soit en réduisant les répétitions à trois fois deux au lieu de trois fois trois, soit en les augmentant à trois fois six ou plus3. La même chose est vraie pour les Gloria avec refrain et les Sanctus trafiqués (répétition du Hosanna).

Mauvaise habitude (archéologisme) : les chants de l’ordinaire de la messe devraient habituellement pouvoir être chantés par l’assemblée4, même si employer des ordinaires polyphoniques est légitime pour une cause particulière.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : le chant du Gloria appartient aux fidèles et à la schola, en alternance4 ; il est incompréhensible que les fidèles s’asseyent en même temps que le célébrant au milieu du Gloria. Cette habitude a été prise parce que les fidèles ont tendance à adopter la même attitude corporelle que les servants (qui, eux, n’ont pas pour rôle de chanter le Gloria), ce qui est l’exemple parfait de la mentalité de messe basse. N’importe quel chanteur vous dira qu’on chante abominablement mal assis. Chantons debout, ou à genoux ; en tous cas le bassin aligné avec la cage thoracique. J’encourage donc les prêtres à rester courageusement debout à l’autel après avoir fini de réciter le Gloria, pour montrer l’exemple aux fidèles : rappelons que la possibilité qui leur est faite de s’asseoir est une simple permission5. La même chose est vraie pour le Credo, nous n’y reviendrons pas.

Abus (mentalité de messe basse) : si la messe est chantée, la collecte doit être chantée6. On ne peut pas chanter Oremus, puis dire la collecte, comme cela se fait dans l’usage réformé et malheureusement parfois dans l’usus antiquior. L’idée qu’un prêtre qui ne chante pas bien doit se taire est ignoble, puisqu’elle réduit la messe à son aspect exclusivement humain et horizontal. La même chose est vraie de la postcommunion, nous n’y reviendrons pas.

Abus (mentalité de messe basse) : si la messe est chantée, l’Épître peut être chantée7 et l’Évangile doit obligatoirement l’être8. La législation récente impose qu’on emploie la traduction liturgique de ces lectures. La manière la plus rubricale de procéder est donc de chanter le latin liturgiquement (c’est à dire avec Lectio EpistolæDeo gratias, puis Sequentia sancti EvangeliiLaus tibi Christe) puis de répéter les lectures non-liturgiquement en français ; une option audacieuse, quoique non sans fondement historique, peut être de chanter les deux liturgiquement ; une option douteusement licite, mais à mon avis permise, irréprochable sur le fond d’un point de vue liturgique, et assez pratique, est d’omettre le latin et de chanter le français de manière liturgique. En tous cas, l’option la plus répandue qui consiste à lire le français à la place où on devrait chanter la lecture liturgiquement est un abus manifeste. Les tons de l’Épître et de l’Évangile (et celui de la Prophétie pour les messes qui en comportent) s’adaptent assez bien au français.

Abus (paresse/pastoralisme) : il n’est pas permis d’omettre le Graduel9 (ce qui est très fréquent, peut-être même majoritaire dans les messes chantées en France), voire également l’Alléluia, comme on le voit parfois : on chante un Alléluia prévu pour l’usage réformé, comme celui de Berthier, et on omet le verset. S’il faut faire court (encore que ce soit une piètre excuse) ou si la schola n’a pas le niveau (ce qui se comprend mieux), la schola doit chanter ces textes sur un ton psalmodique. Les ressources nécessaires sont disponibles auprès de l’auteur et partout sur Internet.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : à la messe solennelle, depuis la suppression de la lecture privée de l’Épître et de l’Évangile par le prêtre célébrant, les réponses Deo gratias et Laus tibi Christe ne sont plus dites. Le cas de la messe chantée n’est pas clair, mais en tous cas seuls les servants pourraient être tenus de dire ces réponses. En règle générale, l’assemblée chante toutes ses réponses (à l’exception du Domine non sum dignus avant la communion, parce qu’historiquement il ne fait pas partie de la Messe à proprement parler), donc elle ne devrait pas répondre Deo gratias et Laus tibi Christe. Il n’est pas interdit aux fidèles de répondre (de manière générale les fidèles sont très libres dans la messe traditionnelle) mais cette habitude trahit une mentalité de messe basse.

Abus (mentalité de messe basse) : à la messe chantée, il n’est pas permis de réciter le Credo pour gagner du temps6. Prêtres pressés, raccourcissez votre sermon. Les fidèles ne s’en souviendront que mieux.

Abus (paresse) : à la messe chantée, le chant de l’Offertoire n’est pas optionnel9. Si le chœur tient à chanter une polyphonie, tous les Offertoires ont été mis en polyphonie par Palestrina, Lassus, Victoria et leurs collègues10. Si le chœur tient à chanter une polyphonie en particulier qui n’est pas l’Offertoire du jour, de deux choses l’une : soit on n’emploie pas l’encens, et ce n’est pas possible ; soit on l’emploie, et il y a amplement le temps de chanter les deux. Si l’organiste se plaint qu’on ne le laisse pas jouer, alors l’arbitrage doit se faire entre l’orgue et la polyphonie qui n’est pas le propre ; l’Offertoire du propre a droit de cité absolu. Rappelons que l’Offertoire dispose de versets pour le prolonger tout le temps nécessaire.

Abus (mentalité de messe basse) : si on emploie l’encens, et qu’on a chanté l’Offertoire sans ses versets (ou bien, malheureusement, une polyphonie sans l’Offertoire, voir ci-dessus), il est fréquent que le chant se soit interrompu au moment de l’Orate fratres. Alors, dans beaucoup d’églises, le célébrant le dit à voit forte et claire pour que les fidèles répondent de même le Suscipiat. Cette pratique est typique de la mentalité de messe basse et contraire aux rubriques11.

Abus (archéologisme) : le Benedictus du Sanctus doit se chanter à sa suite et avant l’Élévation12, ce qui exclut de la liturgie les Sanctus trop longs. Cet abus est rare mais il existe.

Mauvaise habitude (archéologisme/pastoralisme) : il a été permis, à l’époque où le Benedictus se chantait après l’Élévation, de chanter à son emplacement un pieux motet eucharistique, dans le cas où il serait joint au Sanctus. Cependant, le silence est toujours le meilleur choix pour le temps qui va de l’Élévation au Pater13.

Mauvaise habitude (mentalité de messe basse) : à la messe solennelle et, par ricochet, à la messe chantée, les servants et assistants in choro ne sont tenus de s’agenouiller qu’à la consécration (de Hanc igitur à Hæc quotiescumque), sauf aux temps pénitentiels où les rubriques prescrivent un agenouillement plus long14. Les fidèles doivent pouvoir sans jugement s’agenouiller pendant tout le Canon ou seulement pour la consécration. Il s’agit d’une contamination par mentalité de messe basse, l’agenouillement pendant tout le Canon étant la coutume de cette dernière.

Abus (paresse) : tout ce que nous avons dit sur le chant de l’Offertoire vis-à-vis des pieux cantiques et motets s’applique également à la communion. L’antienne de communion, avec ses versets, est un processionnal, et doit donc être chantée en premier, dès la fin du Domine non sum dignus des fidèles, et pendant la procession de communion6. S’il y a grand concours de peuple, c’est une mauvaise habitude de la chanter sans versets pour faire de la place au reste du programme musical. La durée très importante de la purification, quand le célébrant est consciencieux, ce qu’on peut espérer, doit suffire à la chorale pour satisfaire ses fringales polyphoniques ou le souhait de l’assemblée de chanter un pieux cantique, voire les deux.

Objections et solutions

« Après tout, ces abus sont bien moins graves que ceux qui existent dans l’usage réformé ! » me rétorqueront certains traditionalistes bon teint. Et depuis quand peut-on excuser sa propre turpitude par celle des autres ? L’existence de ce genre d’argument n’est pas un exemple très reluisant de la formation morale de notre milieu.

« La chorale ne sait pas chanter le propre en grégorien », entend-on partout. Si la chorale sait lire la musique, elle sait chanter le propre en grégorien ; à plus forte raison si elle est capable de chanter une polyphonie de la Renaissance. Si elle ne veut pas répéter le Graduel, elle peut le psalmodier. Les Introïts et Communions sont si faciles que même une assemblée devrait pouvoir les chanter, avec un peu de formation. L’Offertoire mérite qu’on le répète deux ou trois fois avant la Messe pour le mettre en place : c’est l’affaire d’un quart d’heure.

« On est pas des moines » : cette objection est digne d’un slogan politique du genre le plus fangeux. Le chant grégorien n’a rien de monastique. Les moines l’ont conservé quand les fidèles l’ont abandonné, parce qu’ils sont conservateurs, alors que les fidèles sont dilettantes. Le propre grégorien de la Messe n’est pas très long et laisse une large place aux autres genres de musique. Il semble long parce que, pas répété par une chorale paresseuse, il est chanté presque partout beaucoup trop lentement.

« Le fait de réciter les réponses des servants (Deo gratias après l’épître, Laus tibi Christe, Suscipiat Dominus) correspond à un désir légitime de participation des fidèles » : voilà un argument que je n’entends pas souvent, et qui est très juste. Il me semble aisé de mettre ces réponses en musique sur un ton approprié ; resterait ensuite à modifier les rubriques pour donner aux fidèles la possibilité de les chanter, comme c’est le cas pour les deux premières réponses dans l’usage réformé (du moins en théorie). En attendant, la propension à les réciter relève d’une mentalité de messe basse.

« C’est pas grave » : voilà l’objection, fort courante, qui me donnera ma conclusion. La liturgie est un acte collectif de tout le peuple de Dieu, où chacun occupe une fonction qu’il reçoit de l’Église15 : prêtre, diacre, sous-diacre, lecteur, servant, chantre (ou psalmiste), schola ou chorale, assemblée, organiste. Une communauté chrétienne qui a la louange de Dieu au cœur de sa vie ne commet, si ce n’est pressée par les circonstances, aucun des abus ci-dessus, n’adopte aucune de ces mauvaises habitudes, car chacun y connaît son rôle, et le remplit entièrement sans en déborder.

La mentalité de messe basse est intimement liée à l’idée selon laquelle le célébrant peut arbitrairement modifier de fond en comble la forme de la célébration ; idée fausse, contre-nature, scandaleuse, et pourtant considérée comme normale dans beaucoup de paroisses qui emploient l’usage réformé. À nous, fidèles attachés à l’usus antiquior, il faut un sursaut d’humilité pour réapprendre à recevoir la liturgie au lieu de vouloir la faire.


  1. De Musica Sacra et Sacra Liturgia (dans la suite MS58), S. Congrégation des Rites, 1958, §32a
  2. Codex rubricarum 1960 (dans la suite CR60), S. Jean XXIII, §426 et les décrets de 1884 et 1886 de la S. Congrégation des Rites
  3. Tra le sollecitudini (dans la suite TLS), motu proprio de S. Pie X, 1903, §8 et 11
  4. MS58, §25b
  5. CR60, §523-524
  6. Par exemple CR60, §271
  7. CR60, §514
  8. Ritus servandus in celebratione Missae (dans la suite RS62), missel romain de 1962, VI, §4, et CR60, §271
  9. CR60, §469 et §513e, MS58, §27b pour l’offertoire et §27c pour la communion
  10. Entrez l’incipit dans https://www.cpdl.org/
  11. RS61, VII, 7 et 11, et CR60, §513d
  12. TLS, §22
  13. MS58, §27f
  14. CR60, §521c
  15. CR60, §272

Crédit photo : Mater Dei Latin Mass Parish, Irving, Texas. Abbé Thomas Longua, FSSP, célébrant ; abbé Terrence Gordon, FSSP, diacre de la messe ; abbé Phil Wolfe, FSSP, sous-diacre de la messe.

Les Prières au bas de l’autel et le Dernier Évangile : une étude de cas sur le conservatisme de Saint Pie V

Traduit de l’anglais et d’après un article de Peter Kwasniewski publié le 23/08/2021 sur le site https://www.newliturgicalmovement.org/ .

Je me souviens d’avoir entendu il y a quelques années deux affirmations : d’abord que le psaume 42 était récité pendant la procession menant de la sacristie jusqu’à l’autel comme un acte de préparation personnelle, que le Dernier Évangile était proclamé en route pour la sacristie comme un action de grâce personnelle ; et ensuite que c’est le pape Pie V qui, le premier, les a intégrés dans le missel Romain à la place qu’ils occupent désormais. J’ai d’ailleurs moi-même répété à la lettre ces opinions dans une séance de Questions-Réponses après une conférence donnée à Saint-Louis. Un religieux présent lors de cette conférence m’a écrit par la suite une fraternelle correction très polie, et j’ai pensé qu’il serait bénéfique que je partage avec mes lecteurs ce qu’il avait lui-même partagé avec moi -en particulier quand ces derniers temps des personnes qui devraient être mieux informées attribuent souvent à Pie V des actes fantastiques d’originalité.

*          *          *

« Vous avez dit que le Dernier Évangile et les Prières au bas de l’autel étaient des dévotions antérieures à la réforme de Pie V, et qu’elles étaient récitées en marchant pendant la procession depuis la sacristie et en se rendant à la sacristie. J’ai pensé que vous seriez intéressés de voir des photographies des missels Romains préalables au Concile de Trente qui, en réalité, prescrivent l’état actuel des pratiques dans leurs rubriques. On pense que 1474 est l’année de la première édition du Missale Romanum. La Henry Bradshaw Society a publié en 1899 une édition critique du Missale Romanum de 1474 de Milan. Si le Dernier Évangile n’est pas mentionné dans l’Ordinaire, les prières au bas de l’autel, elles, sont là :

Missale Romanum 1474 (1899 édition critique)

Un Missale Romanum imprimé à Venise en 1501, trois ans avant avant la naissance de Pie V, contient deux sections de rubriques : une introduction au début et un Ordinarium Misse au milieu du tome. Ce Missel inclue à la fois les Prières au bas de l’autel et le Dernier Évangile décrits d’une manière parfaitement conforme au format auquel nous sommes habitués durant les messes en forme extraordinaire aujourd’hui. Puisqu’il ne présente pas de pagination, j’ai inclus un outil de recherche textuelle qui mènera aux pages visées (le scan pourra être téléchargé gratuitement également). Il y a :

-Une première section qui inclue les Prières au bas de l’autel : stans ante infimum gradum altaris (cherchez : letificat iyuentutem)

-L’Ordinarium incluant les Prières au bas de l’autel : cum intrat ad altare (cherchez : facerdos cũ itrat)

-La première section décrit le Dernier Evangile : ad cornu evangelii (cherchez : Initium fancti euangely)

-L’Ordinarium ne mentionne pas un Dernier Evangile après le Placeat (cherchez : tibi laf qua fancta)

1501 Missale Romanum (Venise)

On constate que nombre de missels de cette période omettent le Dernier Évangile. Je n’en pas trouvé un seul pour le moment qui omet les Prières au bas de l’autel, dont la forme reste la même dans tous les missels, au moins en ce qui concerne le rite Romain. J’ai également constaté qu’aucun missel ne mentionnait que ces prières devaient être récitées pendant la procession, ce qui signifie que dans l’usage Romain, au moins à l’époque des premiers missels imprimés, la pratique de la récitation de la prière en marchant ne subsistait pas – en supposant qu’elle ait été la norme un jour.

Voici des photographies d’un Missale Romanum imprimé en 1540 : la page de garde, les Prières au bas de l’autel, et le Dernier Évangile :

Un sondage non exhaustif des missels romains primitifs imprimés, numérisés et mis en ligne sur Internet, permet de constater que l’usage du Dernier Évangile (ou de tout ce qui peut survenir après le Placeat) avait tendance à fluctuer jusqu’à l’époque du pape Pie V, dont l’édition du missel a normalisé un certain nombre de choses – et dont c’était précisément l’objet : Pie V voulait publier pour ainsi dire une sorte d’idéal atteignable. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la formule de bénédiction finale. Pour autant on ne peut pas dire que Pie V a inventé la pratique actuelle. Outre les éditions de 1501 et de 1540 du Missale Romanum vues précédemment, la pratique précise que l’on connait actuellement dans les messes en forme extraordinaire se retrouve dans certains usages non Romains tels que le Missale Aniciensis de 1543 dans le diocèse du Puy-en-Velay :

-Prières au bas de l’autel : ante altare (chercher : ang)

-Dernier Évangile après Placeat (chercher : erat verbül)

1543 Missale Aniciensis

C’est le genre de choses que l’on trouve où que l’on regarde : tous les ingrédients du Missel de Pie V de 1570 étaient déjà pleinement présents dans des éditions antérieures. En fin de compte c’est un missel qui transmet d’une manière très conservatrice, tout en clarifiant et en cristallisant désormais au bénéfice de l’Église universelle, ce qui était habituel pour la Curie Romaine. Contraste frappant s’il en est avec la méthode de son 37ème successeur. »

Corollairement : le missel de 1965 n’apporte aucune solution à nos problèmes. Ce missel de transition marque déjà une corruption de l’ancienne tradition Romaine.

[Cette dernière considération de P. Kwasniewski n’engage pas la rédaction d’Esprit de la liturgie, au sein de laquelle existent diverses opinions au sujet du missel de 1965.]

Brève histoire du rite romain de la messe (Uwe Michael Lang) — Introduction

Note d’Esprit de la Liturgie : Esprit de la Liturgie est heureuse de présenter au public francophone la traduction d’une série d’articles du père Uwe Michael Lang, C.O., sur l’histoire de l’Eucharistie dans le rite romain, parue plus tôt dans l’année dans les colonnes de la revue liturgique américaine Adoremus. Le père Lang est un spécialiste reconnu de l’Histoire de la Liturgie ; il est en particulier l’auteur d’une remarquable contribution à l’étude de l’orientation de la prière vers l’Orient dans l’architecture chrétienne primitive (Se tourner vers le Seigneur, Ad Solem, 2006, préface du cardinal Joseph Ratzinger). Que le père Lang, ainsi que la revue Adoremus, soient ici remerciés de nous avoir autorisé et encouragé à entreprendre cette traduction, qui, nous l’espérons, permettra à nos lecteurs d’entrer plus profondément dans l’intelligence de la liturgie de l’Église.


Brève histoire de la messe dans le rite romain

Introduction : La Cène – La première Eucharistie

Une histoire conventionnelle de l’Eucharistie commencerait par la Cène et son impact décisif sur les premières pratiques liturgiques. Ainsi, l’historien de la liturgie Josef Andreas Jungmann, S.J., affirmait dans son ouvrage classique Missarum sollemnia: « La première Sainte Messe a été dite « la nuit même où il a été livré » (1 Corinthiens 11:23) ». Cependant, tous les spécialistes ne partagent pas c epoint de vue

Le rite romain est de loin le rite liturgique le plus utilisé dans l’Église catholique. La forme de la Messe que la plupart des gens connaissent aujourd’hui a été façonnée de manière décisive par le Siège apostolique de Rome, en contact et en échange avec d’autres Églises locales au cours des siècles. Cette série d’articles se veut un aperçu du développement de la Messe dans le rite romain jusqu’à nos jours. La compréhension de cette histoire riche et complexe aidera non seulement le clergé dans son ministère sacramentel, mais aussi les laïcs à participer de manière fructueuse à la liturgie de l’Église.

Une histoire conventionnelle de l’Eucharistie commencerait par la Cène et son impact décisif sur les premières pratiques liturgiques. Ainsi, l’historien de la liturgie Josef Andreas Jungmann, S.J., affirmait dans son ouvrage classique Missarum sollemnia : « La première Sainte Messe a été dite « la nuit même où il a été livré » (1 Corinthiens 11:23) »[1] Cependant, des études récentes ont présenté le christianisme primitif comme une réalité très diverse, et les origines de l’Eucharistie ont été soumises à une remise en question radicale. Ainsi, l’éminent spécialiste de la liturgie Paul Bradshaw voit dans le récit de l’institution tel qu’il est rapporté dans les Évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) une tradition surajoutée au récit original d’un simple repas[2]. Cependant, de nombreux exégètes du Nouveau Testament sont plus confiants quant à l’historicité essentielle de la tradition de la Cène[3].

Une nuit dont il faut faire mémoire

Si les repas que Jésus a organisés au cours de son ministère public offrent un contexte plus large pour comprendre la Dernière Cène[4], plusieurs caractéristiques rendent celle-ci unique, avant tout sa proximité immédiate avec sa Passion. Contrairement aux autres repas relatés dans les Évangiles, celui-ci est limité aux Douze, le cercle le plus proche de ses disciples. Le cadre n’est pas celui d’une table ouverte, mais d’une salle privée qui aurait été mise à disposition par un riche mécène. Les paroles et les actes de Jésus sont intégrés à ce repas, mais ils s’en détachent et le transforment d’une manière tout à fait inattendue.

Les paroles mêmes qu’il prononça sur le pain et sur la coupe de vin en font des signes anticipant sa Passion rédemptrice.

Selon les Évangiles synoptiques, Jésus a célébré la Cène avec ses disciples le soir du premier jour des pains sans levain (Matthieu 26:17, 20 ; Marc 14:12, 17 ; Luc 22:7, 14). Comme les Juifs comptent le jour du coucher du soleil au coucher du soleil, ce repas du soir a eu lieu le 14e jour du mois juif de Nisan, date de la fête de la Pâque, après que les agneaux aient été sacrifiés au Temple dans l’après-midi. Ce jour serait un jeudi, la crucifixion ayant lieu le vendredi, « la veille du sabbat » (Marc 15:42 ; aussi Matthieu 27:62 ; Luc 23:54), le 15 de Nisan. Les récits synoptiques présentent donc la Cène comme un repas de la Pâque.

Le quatrième évangile présente une chronologie différente de celle des évangiles synoptiques : s’il s’accorde sur les jours de la semaine, il implique clairement que Jésus a été crucifié alors que la journée de préparation de la Pâque touchait à sa fin. (Jean 18,28 ; 39 ; 19,14). De manière significative, Jésus meurt sur la croix au moment où les agneaux sont abattus dans le Temple pour la célébration du repas de la Pâque le soir. La Cène a donc eu lieu la veille au soir de la Pâque, et il ne s’agissait pas d’un repas pascal. Néanmoins, elle en aurait été très proche, comme l’indique explicitement Jean 13:1, et porte donc de nombreuses marques et significations de la Pâque. Contrairement aux Synoptiques, Jean ne décrit pas le repas lui-même, mais se concentre sur le lavement des pieds des disciples par Jésus (13,2-11).

L’Évangile selon saint Jean présente une chronologie différente de celle des évangiles synoptiques : s’il s’accorde sur les jours de la semaine, il implique clairement que Jésus a été crucifié alors que la journée de préparation de la Pâque touchait à sa fin. De manière significative, Jésus meurt sur la croix au moment où les agneaux sont abattus dans le Temple pour la célébration du repas de la Pâque le soir. (AB/Wikimedia. Agnus Dei, Francisco de Zurbarán, 1598-1664)

La Pâque, partie II

Du point de vue de l’historien, il semble plus probable que la Cène n’était pas un repas de la Pâque – une position soutenue par Joseph Ratzinger-Benoît XVI en référence aux travaux de John P. Meier[5]. Néanmoins, lors de tout repas officiel juif, rien ne devait être mangé sans que Dieu en soit d’abord remercié. Au début de la Cène, une forme de bénédiction du repas (berakah) aurait été prononcée. Nous pouvons également supposer l’utilisation rituelle du pain et du vin, ce dernier étant un signe particulier d’une occasion festive. Cependant, ce que Jésus a dit et fait à cette occasion était sans précédent et ne peut être simplement dérivé d’un quelconque contexte rituel juif. Les paroles mêmes qu’il prononça sur le pain et sur la coupe de vin en font des signes anticipant sa Passion rédemptrice.

Jésus était pleinement conscient qu’il était sur le point de mourir, et il prévoyait qu’il ne serait pas en mesure de célébrer la Pâque à venir selon la coutume juive établie. C’est pourquoi il réunit les Douze pour un repas d’adieu spécial qui comprendra l’usage rituel du pain et du vin, ce dernier étant un signe particulier d’une occasion festive. Si la référence à  » cette Pâque  » en Luc 22, 15-16 peut signifier le repas que Jésus tenait avec les Douze, elle peut aussi désigner la nouvelle réalité qu’il était sur le point d’instaurer en prévision de sa Passion. Le moment décisif du repas n’était pas l’agneau pascal habituel (que même les Synoptiques ne mentionnent pas), mais le Christ instituant la nouvelle Pâque et se donnant lui-même comme le véritable agneau. Cela serait en harmonie avec 1 Corinthiens 5:7 (« Le Christ, notre agneau de la Pâque, a été sacrifié »), et cela est également sous-entendu dans Jean 19:36, où la rubrique sacrificielle d’Exode 12:46 (également Nombres 9:12) est appliquée à Jésus crucifié : « Tu ne briseras aucun de ses os ». Le Christ lui-même est l’agneau sacrifié et la nouvelle Pâque est sa mort et sa résurrection, qui accomplissent le sens de l’ancienne Pâque. Le contenu de cette nouvelle Pâque est signifié dans la célébration de la dernière Cène, lorsque Jésus donne à ses disciples le pain et le vin comme son corps et son sang.

La promesse du sang

Les récits d’institution bibliques se répartissent en deux groupes distincts : Marc 14:22-25 est proche de Matthieu 26:26-29, tous deux faisant référence au sang de l’alliance du mont Sinaï (Exode 24:8), tandis que Luc 22:14-20, qui a une affinité avec 1 Corinthiens 11:23-27, met en avant la nouvelle alliance de Jérémie 31:31. Si le quatrième évangile ne rapporte pas l’institution de l’Eucharistie, il semblerait que Jean 6 (surtout les versets 51-58) la présuppose. Les paroles d’institution du Seigneur remplissent les cinq « critères primaires » pour les paroles ou les actes attribués au Jésus historique, tels qu’ils ont été développés par les études néotestamentaires, en particulier le critère de « l’attestation multiple » (c’est-à-dire confirmée par plus d’un récit) – pas seulement d’un motif général, tel que « Royaume de Dieu », mais d’une parole et d’un acte précis[6].

Il n’y a donc aucune raison de conclure que les paroles de l’institution ont une autre origine que Jésus lui-même


S’il est donc tout à fait plausible que les paroles dominicales lors de la dernière Cène, telles que transmises par Paul et les Évangiles synoptiques, représentent l’ipsissima vox de Jésus (le « genre de choses » qu’il aurait dites), les variations entre les quatre récits posent la question de l’ipsissima verba (ce qu’il a dit exactement). Il faut tenir compte du développement de la tradition orale et du travail d’un rédacteur final. Il semble y avoir un large consensus parmi les biblistes pour dire que Jésus a effectivement rompu le pain, l’a donné à ses disciples et a dit « Ceci est mon corps », anticipant ainsi la mort violente qu’il allait subir. Ni l’hébreu ni l’araméen n’utilisent la copule « est », mais on peut supposer sans risque que Jésus a identifié le pain rompu et partagé avec son corps et donc avec l’offrande volontaire de sa vie.

On considère généralement que les mots sur le calice ont été retravaillés après Pâques, selon des perspectives théologiques nouvelles. La version pré-paulinienne et lucanienne, évoquant une « nouvelle alliance », atténue le scandale que représente pour les oreilles juives le fait de boire du sang. Cependant, la référence à Jérémie 31:31 soulève la difficulté que ce passage n’a aucun rapport avec le sacrifice ou l’offrande de sang, et il peut représenter un ajout ultérieur, du moins tel qu’il se présente dans 1 Corinthiens. Dans Luc, la déclaration selon laquelle le sang est versé « pour vous » (Luc 22:20) suggère un usage liturgique déjà existant. En faveur de la version de Matthieu et de Marc, on peut faire valoir que l’alliance, le sang (sacrifice) et le repas sont déjà liés dans Exode 24:8, auquel il est fait allusion (voir aussi Deutéronome 12:7). Pourquoi cette version austère des paroles de l’institution, telle qu’on la trouve chez Matthieu et Marc, ne serait-elle pas la version authentique, précisément parce qu’elle est plus difficile à comprendre et à accepter dans un contexte juif ? De manière originale, les paroles de Jésus relient l’attente du Messie au serviteur souffrant d’Isaïe 53, qui donne sa vie « pour la multitude. « 

Un récit des origines

Pour conclure, il n’y a donc aucune raison de conclure que les paroles de l’institution ont une autre origine que Jésus lui-même. L’apôtre Paul, qui est généralement considéré comme le plus ancien témoin de la tradition de la Cène (vers 53/54), affirme transmettre ce qu’il a reçu du Seigneur lui-même (1 Corinthiens 11,23). Le fait que Luc et lui-même incluent le commandement « Faites ceci en mémoire de moi » (1 Corinthiens 11,25 ; Luc 22,19) implique une pratique liturgique qui était déjà observée dans les communautés chrétiennes.

Le prochain article de cette série portera sur la compréhension de l’Eucharistie par les premiers chrétiens et sur le développement de sa forme liturgique.

Notes :

  1. Josef A. Jungmann, Missarum sollemnia. Explication génétique de la messe romaine, 2 vol. (Aubier, 1951-1952), vol. I, 7.
  2. See Paul Bradshaw, Reconstructing Early Christian Worship (Collegeville, MN: Liturgical Press, 2009). 3-19. 
  3. Voir surtout Brant Pitre, Jesus and the Last Supper (Grand Rapids: Eerdmans, 2015); ainsi que Craig Blomberg, Contagious HolinessJesus’ Meals with Sinners (Downer’s Grove: Inter Varsity Press, 2005); Richard Bauckham, Jesus and the Eyewitnesses: The Gospels as Eyewitness Testimony, 2nd ed. (Grand Rapids: Eerdmans, 2017).
  4. Voir par. ex. Eugene LaVerdiere, Dining in the Kingdom of God: The Origin of the Eucharist according to Luke (Chicago: Liturgical Training Publications, 1994).
  5. Voir Joseph Ratzinger–Benoît XVI, Jesus of Nazareth. Part Two: Holy Week. From the Entrance into Jerusalem to the Resurrection, trans. Philip J. Whitmore (San Francisco: Ignatius Press, 2011), 112-115; John R. Meier, A Marginal Jew: Rethinking the Historical Jesus. Volume One: The Roots of the Problem and the Person, The Anchor Bible Reference Library (New York: Doubleday, 1991), 398-399. 
  6. Les cinq « critères primaires » énumérés par Meier sont : (1) l’embarras (l’idée insupportable de manger la chair et de boire le sang du Christ ; voir Jean 6) ; (2) la discontinuité (l’originalité de la « nouvelle Pâque » de Jésus) ; (3) l’’attestation multiple (comme on l’a vu) ; (4) la cohérence (avec la mission de Jésus et en particulier avec sa Passion) ; (5) le rejet et l’exécution de Jésus (l’aliénation causée par la difficulté et la nouveauté de ses paroles). Voir Meier, A Marginal Jew, vol. I, 168-177. 

Traditionis custodes ignore-t-il l’histoire de la Liturgie ? (Dom Alcuin Reid)

Note d’Esprit de la Liturgie : Nous proposons dans ce qui suit, avec la permission de l’auteur, une traduction d’une tribune de Dom Alcuin Reid O.S.B. , publiée le 6 août dernier dans le journal catholique en ligne Catholic World Report. Dom Alcuin Reid est historien de la liturgie, spécialiste du Mouvement Liturgique et des réformes du rite romain au XXème siècle. Il est également le prieur du Monastère Saint-Benoît de Brignoles, une communauté bénédictine de droit diocésain du diocèse de Fréjus-Toulon


Le cardinal Walter Brandmüller élève l’hostie consacrée lors d’une messe selon le missel préconciliaire célébrée à l’autel de la Chaire à Saint-Pierre de Rome, le 15 Mai 2011. (CNS photo/Paul Haring)

Dans le brouhaha qui a suivi la promulgation du Motu Proprio Traditionis custodes le 16 juillet, nous avons eu droit à un torrent de commentaires de la part des vainqueurs. Ceux-ci déforment tant l’Histoire de la liturgie qu’on ne peut s’empêcher de les comparer aux journalistes les moins scrupuleux qui encensent de commentaires révisionnistes leur candidat favori le matin après sa victoire dans une élection quelconque. Ne prétendons pas maintenant qu’il s’agit d’autre chose que d’une guerre politique ecclésiastique, aussi perturbante que soit cette réalité – d’autant plus qu’il y a trois semaines, la tolérance liturgique, à défaut d’une vraie paix, s’était enracinée, avait grandi et porté ses fruits dans de nombreux diocèses, sinon la plupart.

Le pape François est “revenu avec force aux paroles de Vatican II a dit et les a appliquées », nous dit-on. « Une partie de ce que Benoît XVI a fait était contraire au Concile Vatican II », affirme-t-on encore. « L’Église tout entière reviendra à la messe de 1970 « , claironne-t-on. On dit allègrement que « le missel de 1970 » est « en un sens supérieur, plus fidèle à la volonté du Seigneur telle qu’elle est comprise par le Concile Vatican II ». La « participation active » à la liturgie et la liturgie de Vatican II « sont synonymes », assène-t-on. Nous devons être soulagés que les éléments « médiévaux » corrompus de la liturgie aient été écartés une fois pour toutes.

De même, le tout premier article du Motu Proprio lui-même, qui cherche à établir les livres liturgiques modernes comme « l’unique expression de la lex orandi du rite romain », trahit une compréhension fondamentalement défectueuse de l’histoire de la liturgie, de la relation entre la lex orandi et la lex credendi et du pouvoir de ceux dont le ministère dans l’Église est effectivement de veiller sur sa Tradition vivante.

Une corruption de la liturgie ?

Il convient donc de récapituler quelques éléments fondamentaux de l’histoire de la liturgie [1].

Commençons par la supposée « corruption » médiévale de la liturgie – une théorie très en vogue chez les liturgistes du milieu du XXe siècle et largement propagée par leur doyen, Joseph A. Jungmann, SJ. Selon cette théorie, la liturgie « pure » de l’Église primitive a été corrompue à l’époque médiévale et surchargée d’éléments inappropriés. Sur la base de cette hypothèse, les réformateurs du vingtième siècle ont cherché avec ardeur à supprimer les accrétions illégitimes et à revenir à une liturgie antérieure à cette corruption, qu’ils ont rendue à nouveau disponible par la réforme liturgique de saint Paul VI.

Cette théorie, parfois appelée « archéologisme », dénigre toutes les formes liturgiques qui se sont développées dans la vie de l’Église depuis la chute de l’Empire romain jusqu’à la Renaissance – soit environ mille ans – niant la possibilité que le Saint-Esprit puisse inspirer des développements légitimes de la liturgie au cours de cette période. Elle est stupéfiante d’arrogance, mais très utile comme outil politique. Au final, même Paul VI résista à ses implications les plus dures, en refusant les demandes des liturgistes d’abolir le canon romain, le Confiteor, l’Orate Fratres, etc. (On pourrait cependant arguer qu’ils ont été pratiquement abolis en devenant de simples options, ou en étant mal traduits, mais c’est une autre question).

Si la théorie de la corruption de Jungmann était l’erreur fondamentale qui sous-tendait l’oeuvre des réformateurs du milieu du vingtième siècle, les opinions convenues des pontes liturgiques de notre époque partent toutes du principe que la participation active à la liturgie d’un côté, et à la liturgie de Vatican II (c’est-à-dire les livres liturgiques promulgués par Paul VI) de l’autre, sont une seule et même chose. Eh bien, non, elles ne le sont pas.

Tout d’abord, le fait que la liturgie soit « la source première et indispensable d’où les fidèles doivent tirer le véritable esprit chrétien » et qu’une véritable participation à celle-ci soit essentielle pour tous a été affirmé par saint Pie X en 1903 et réitéré par ses successeurs jusqu’au Concile. En outre, cette affirmation de 1903 a donné naissance à ce que l’on a appelé le mouvement liturgique du XXe siècle, qui s’est consacré à la promotion de la participation réelle à la liturgie telle qu’elle était à l’époque (c’est-à-dire ce que l’on considère aujourd’hui comme l’ancienne forme du rite romain – l' »usus antiquior« ). Des décennies de travail s’ensuivirent, au cours desquelles des pasteurs et des universitaires amenèrent diligemment le peuple chrétien à découvrir et à s’abreuver profondément à cette source primaire et indispensable de l’esprit chrétien, comme base de leur vie quotidienne.

Il est vrai que, ce faisant, certains en sont venus à croire que cette véritable participation pourrait être facilitée par une réforme liturgique – une introduction limitée de la langue vernaculaire, par exemple. En conséquence, certaines réformes ont été adoptées, à partir des années 1950. C’est dans ce contexte que le Concile Vatican II – un Concile œcuménique de l’Église à la légitimité incontestable – a jugé avec autorité qu’il convenait de demander un développement organique du rite romain, une réforme modeste permettant d’atteindre les nobles objectifs pastoraux que la Constitution sur la Sainte Liturgie expose dans son premier paragraphe.

Il est également vrai que certaines voix à l’époque, et dans les années 1950, ont trahi une mauvaise compréhension de la nature de la liturgie, cherchant à l’adapter presque complètement à l’image et à la ressemblance et aux besoins supposés de « l’homme moderne », évacuant ainsi son contenu même et la transformant en quelque chose de plus proche du culte protestant. Certains liturgistes, de nombreux jeunes clercs, religieux et laïcs trop enthousiastes, et même un ou deux Pères du Concile ont surfé sur cette vague de « créativité » liturgique. Ces théories et ces « abus » pratiques sont moins fréquents aujourd’hui, mais ils ont causé des dommages incalculables.

Vatican II et l’application de la réforme

Au milieu de tout cela, le groupe officiel chargé de mettre en œuvre la réforme du Concile (le « Consilium »), que ce soit par enthousiasme, par pure opportunité ou par conviction sincère que c’était pour le bien de l’Église (ou une combinaison de ces facteurs), est allé bien au-delà de la réforme envisagée par le Concile et a produit des rites qui devaient plus aux désirs des acteurs-clés du Consilium qu’aux principes de la Constitution du Concile sur la Sainte Liturgie. Où le Concile a-t-il demandé de nouvelles prières eucharistiques ? Où a-t-il autorisé la vernacularisation à 100% des rites liturgiques ? On pourrait énumérer d’autres exemples. Le secrétaire du Consilium, le Père Bugnini lui-même, se vante dans ses mémoires d’avoir dépassé le mandat du Concile.

Il est ici crucial de relever qu’une distinction légitime peut être faite entre le Concile et la réforme mise en œuvre en son nom. S’interroger sur la continuité des livres liturgiques modernes avec la tradition liturgique, et avec les saint principes posés par le Concile, ce n’est pas nier le Concile ou son autorité. C’est plutôt chercher à défendre le Concile contre ceux qui ont déformé ses intentions manifestes.

Néanmoins, comme il ressort clairement de ses discours publics de l’époque, Paul VI était personnellement convaincu en 1969/1970 que les changements supplémentaires apportés aux livres liturgiques qu’il a promulgués – qu’il a personnellement et légitimement approuvés en détail – valaient le sacrifice de rites liturgiques vénérables. Il croyait sincèrement qu’ils apporteraient un nouveau printemps dans la vie de l’Église de son temps. Les livres liturgiques qu’il a promulgués font incontestablement autorité. Les sacrements célébrés par eux sont valides. Mais, étant donné qu’ils sont allés au-delà du mandat du Concile, il est historiquement et liturgiquement vrai de dire que ce sont les livres liturgiques de Paul VI, et non du Concile Vatican II. Et sur cette base, il est légitime de s’interroger sur leur continuité avec la tradition liturgique.

Le nouvel usage, plus récent, du rite romain (l' »usus recentior« ) est une innovation, jugée opportune par l’autorité suprême. Sa compétence pour le faire est une autre question, notamment à la lumière de l’enseignement du Catéchisme de l’Église catholique :

C’est pourquoi aucun rite sacramentel ne peut être modifié ou manipulé au gré du ministre ou de la communauté. Même l’autorité suprême dans l’Église ne peut changer la liturgie à son gré, mais seulement dans l’obéissance de la foi et dans le respect religieux du mystère de la liturgie. (CEC 1125)

Plus tard au cours de son pontificat, Paul VI eut des doutes. Son licenciement sommaire en 1975 de l’architecte clé de la réforme (et alors archevêque) Bugnini, et son traitement sévère de ceux qui s’opposaient à la réforme peuvent en être considérés comme des symptômes. Le nouveau printemps attendu dans la vie de l’Église ne s’est pas matérialisé, comme les statistiques ne le démontrent que trop bien. Certes, de nombreux facteurs sociologiques ont contribué à la gravité de la crise, mais il n’en reste pas moins que la « nouvelle » liturgie tant vantée n’a pas produit les résultats promis par ses architectes. La participation aux rites liturgiques a rapidement diminué pour la raison très simple que la participation première et la plus nécessaire est d’être présent. De plus en plus, les gens ne vinrent plus du tout.

Réformes sous Saint Jean-Paul II et Benoît XVI

Saint Jean-Paul II, élu en 1978, chercha à promouvoir une mise en œuvre plus stricte des livres liturgiques réformés – il dénonca fortement les abus – et en 1984, une permission limitée a été accordée pour l’usus antiquior comme moyen d’apaiser les divisions qui s’étaient durcies sous Paul VI. Cette permission a été élargie en 1988 en réponse à la consécration illégale d’évêques par Mgr Lefebvre mais également, et de manière significative, parce que le pape a reconnu les « aspirations légitimes » de ceux qui étaient attachés aux réformes liturgiques précédentes. Cette reconnaissance a facilité la formation d’instituts, de paroisses personnelles et d’autres communautés dont l’usus antiquior était (et est) l’élément vital. La participation pleine, consciente et effective aux rites liturgiques dont témoignent ces communautés jusqu’à aujourd’hui – dont les Pères du Concile seraient fiers – a porté des fruits significatifs depuis lors, notamment en attirant les jeunes et en suscitant des vocations au sacerdoce et à la vie religieuse.

Le bras droit de Jean-Paul II pendant deux décennies, le cardinal Joseph Ratzinger, reconnaissait cette réalité et comprenait la question plus large de la nécessité de s’attaquer à la rupture de la tradition liturgique de l’Église. Il a entrepris deux initiatives. En tant que cardinal et en tant que théologien privé, il a souvent écrit et parlé de la nécessité d’un nouveau mouvement liturgique pour retrouver le véritable esprit de la Liturgie. Et il a parlé de l’opportunité d’une « réforme de la réforme liturgique », pour corriger en quelque sorte les livres liturgiques de Paul VI.

La première initiative était suffisamment générale pour ne pas inquiéter les partisans du missel de Paul VI ; mais la proposition concrète de retoucher et d’améliorer l’usus recentior était, pour eux, la goutte qui fait déborder le vase. Même après son élection à la papauté, l’évocation d’une éventuelle « réforme de la réforme » a été interdite dans les murs de sa propre Congrégation pour le Culte Divin, ce qui a concrètement bloqué sa mise en œuvre. L’occasion perdue par l’insistance rigide sur le caractère irréformable des livres liturgiques de Paul VI ne sera peut-être pas bien jugée par l’Histoire.

En tant que pape, Benoît XVI a agi selon ses convictions et, en 2007, a exhorté l’Église à une célébration plus digne de l’usus recentior en continuité avec la tradition liturgique (avec l’exhortation apostolique Sacramentum caritatis). Quelques mois plus tard, par le motu proprio Summorum Pontificum, il a établi que l’usus antiquior avait sa juste place dans la vie liturgique de l’Église et l’a libéré de l’emprise tatillonne des évêques qui avaient, en de trop nombreux endroits, cherché à l’étrangler.

En conséquence, la croissance stimulée par Jean-Paul II s’est accélérée. Une coexistence liturgique pacifique s’est développée dans de nombreux diocèses. Un certain enrichissement mutuel entre les usages commença à se développer. Les évêques en visite ont rencontré des communautés jeunes, dynamiques et apostoliques – parfois en contraste frappant avec d’autres communautés dans leur diocèse.

Ces actes de Benoît XVI étaient-ils contraires au Concile ? Pour ceux d’entre nous qui sont trop jeunes pour y avoir assisté, il est difficile de le dire. Nous n’avons pas travaillé quotidiennement avec ses Pères, ni participé à la rédaction de ses documents. C’est Benoît XVI qui l’a fait. Et il a consacré son ministère théologique et épiscopal à son interprétation dans une herméneutique de la continuité, et non de la rupture – ce qui est certainement la seule façon valable d’interpréter ses réformes. De même, les discours et les documents de Benoît XVI font constamment référence au Concile, bien plus que ceux de son successeur. Il ne s’agit pas de critiquer le Saint-Père, qui a sa propre approche, mais simplement de constater que l’enseignement de Benoît XVI est tout à fait conciliaire, même s’il n’est nullement déformé par la croyance idéologique que l’Église (ou une nouvelle Église) a commencé à Vatican II. Si les actes de Benoît XVI sont perçus comme contraires au Concile, c’est parce qu’ils ont contesté et corrigé ce « Concile » d’idéologues et sa progéniture avec la réalité historique et théologique.

Ce qui est significatif – et cela fut une surprise pour beaucoup – c’est que le pontificat de Benoît XVI l’a révélé comme un professeur doux et paternel, plutôt généreux envers ceux qui avaient des opinions différentes des siennes. Il ne sanctionnait pas sévèrement ceux avec qui il était en désaccord. Il a plutôt cherché à les enseigner, souvent par l’exemple. Sur le plan liturgique, tout en célébrant lui-même bien l’usus recentior, il reconnaissait et respectait l’importance de l’usus antiquior dans la vie de l’Église du XXIe siècle, et en particulier son attrait pour les jeunes. La richesse qu’est une diversité dans l’unité était une réalité dans de nombreux diocèses, et était valorisée.

Lors de la démission du Pape Benoît, il était inimaginable qu’un successeur puisse annuler Summorum Pontificum. Et pourtant, c’est ce qui s’est passé. Pourquoi ?

La réalité virtuelle vs les faits sur le terrain

La motivation déclarée est de protéger d’urgence l’unité de l’Église, qui est menacée par les attitudes et les propos de traditionalistes qui mérpisent le Concile. Il est vrai qu’il existe de bruyants « tradicaux », qui pontifient à loisir sur n’importe quel aspect de la foi ou de la Sainte Liturgie avec un aplomb qui vous coupe le souffle par sa présomption, son arrogance ou son ignorance. Et oui, il y a les « tradis professionnels » qui ne peuvent s’empêcher de publier (et monétiser) tout ce qui leur passe par la tête, et prétendent déterminer ce que les médias catholiques disent, ou même se dispenser de la loi liturgique, sur la base de leur propre jugement privé. Il y aussi les « liturgistes d’Internet » qui feraient mieux de se trouver un séminaire ou un monastère mais qui, par leur propre faute ou par celle des autres, se trouvent seulement capables de discourir sur la liturgie plutôt que de la vivre, et qui finissent dans un monde liturgique qui leur est propre, basé sur leurs préférences personnelles, souvent assez excentriques.

Si ces personnes fomentent le négationnisme ou la division, c’est virtuellement. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas grave, surtout quand on connaît la capacité de la réalité virtuelle à influencer les esprits. Mais, comme de nombreux évêques du monde entier l’ont attesté ces dernières semaines, cela ne correpsond pas à la réalité de terrain, vécue par les communautés qui vivent une vie liturgique et apostolique tangible, centrée sur la participation fructueuse aux richesses de l’usus antiquior. Ce qu’il faut, ce n’est pas un décret ordonnant la disparition de ces personnes, mais la mise en place de centres de vie liturgique intégrale qui puissent attirer ces gens des marges vers le cœur de la communion de l’Église, avec miséricorde, charité et, oui, quand c’est nécessaire, en les corrigeant. Réagir de manière excessive à ce problème ne fait que révéler son propre malaise. Cela contribue également à justifier leur point de vue et à donner de l’eau à leur moulin.

De nombreux évêques, y compris certains qui ne sont pas vraiment des amis de l’usus antiquior, ont été prompts à se montrer pastoralement ouverts suite aux mesures édictées par Traditionis custodes. Cela peut être simplement parce que ces mesures sont intenables, ou inapplicables, aux yeux d’évêques diocésains qui ont de vrais problèmes à gérer. C’est aussi souvent parce qu’ils savent que le problème qui motive cette législation n’existe pas dans leurs diocèses. La « non-réception » généralisée de ce Motu Proprio par l’épiscopat pourrait elle-même s’avérer être un moment historique d’importance dans l’histoire liturgique et papale.

Il semble cependant que certains, au sein de la Curie romaine, croient sincèrement que Traditionis custodes entraînera la disparition de l’usus antiquior de l’Église. Avec tout le respect dû à leurs Éminentes, Excellentes et Très Révérendes personnes, ils sont aussi déconnectés de la réalité qu’ils le sont des faits historiques. L’obéissance aveugle et suicidaire n’est plus réellement dans l’air du temps. Il se peut qu’ils ravivent les guerres liturgiques et poussent les gens à la clandestinité ou à sortir des structures ecclésiastiques ordinaires ; il se peut qu’ils frustrent et même détruisent des vies chrétiennes et des vocations ; il se peut qu’ils aggravent la division dans l’Église au nom de la prétendue protection de son unité (et pour tout cela, ils devront rendre des comptes à Dieu Tout-Puissant), mais cela ne fera que souligner l’importance et la valeur cruciale de l’usus antiquior dans la vie de l’Église d’aujourd’hui et de demain. De même, la nécessité perçue de recourir à des mesures aussi drastiques pour « protéger » l’usus recentior quelque cinquante ans après sa promulgation est, peut-être, son plus grand désaveu.

Certains prélats pourraient se réconforter en répétant le mantra selon lequel le Missel de Paul VI est « un témoin d’une foi inchangée et d’une tradition ininterrompue », comme un article de foi. Mais ce n’est pas vrai dans les faits. Le besoin d’employer un tel langage pour affirmer la continuité là où elle est manifestement absente révèle que celui-ci relève, en fait, de la propagande. Que le Missel de Paul VI contienne des différences théologiques et liturgiques substantielles et intentionnelles par rapport à celui de saint Jean XXIII est une chose sur laquelle les réformateurs post-conciliaires eux-mêmes, les supporters honnêtes et intelligents de l’usus recentior d’aujourd’hui, et ses critiques, sont tous d’accord. Traditionis custodes lui-même, en supposant que l’usus antiquior n’a pas sa place dans l’Église post-conciliaire, l’affirme implicitement.

S’il est vrai que le nouveau Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin a été un acteur clé (ou un pion ?) dans la production de ce Motu Proprio, et s’il est vrai qu’il s’est vanté que sa clique parviendrait à annihiler Summorum Pontificum, alors il est clair que cela fait partie d’une campagne orchestrée. Le Saint-Père a-t-il été induit en erreur, voire abusé, par certains zélateurs ? Ou bien souffre-t-il d’un profond malentendu historique sur ces questions ? Nous devons redoubler nos prières pour lui et pour l’Église. La messe votive pour l’unité de l’Église ne doit pas être ignorée en ces jours.

Conclusion

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, je ne suis pas un traditionaliste. Je suis un catholique. Et en tant que catholique, je considère que l’amertume, la peur, l’aliénation et la division croissante directement provoquées par Traditionis custodes sont une situation extrêmement préoccupante. C’est une source de scandale bien au-delà de ceux qu’elle vise et, pastoralement parlant, c’est déjà un désastre – en particulier chez les jeunes.

Face à cela, en tant qu’historien de la liturgie, je ne peux rester silencieux. La législation ne peut pas changer les faits historiques. Un acte de positivisme juridique ne peut pas non plus déterminer ce qui fait ou ne fait pas partie de la lex orandi de l’Église, car comme l’enseigne le Catéchisme,  » la loi de la prière est la loi de la foi : l’Église croit comme elle prie. La liturgie est un élément constitutif de la Tradition sainte et vivante » (par. 1124) – dont les évêques, et en premier lieu l’évêque de Rome, sont les gardiens, et non les propriétaires. En effet, comme l’enseigna un humble Pape lorsqu’il prit possession de sa cathédrale à Rome :

Le Pape n’est pas un souverain absolu, dont la pensée et la volonté font loi. Au contraire:  le ministère du Pape est la garantie de l’obéissance envers le Christ et envers Sa Parole. Il ne doit pas proclamer ses propres idées, mais se soumettre constamment, ainsi que l’Eglise, à l’obéissance envers la Parole de Dieu, face à toutes les tentatives d’adaptation et d’appauvrissement, ainsi que face à tout opportunisme. 

Ce même pape était un étudiant assidu de la théologie et de l’histoire de la liturgie. Cela l’a amené à conclure que :

« Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste.  »

Il insiste :

« Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place.  « 

Toute autre conclusion trahit une ignorance fondamentale les bases de l’histoire de Liturgie. Elle n’est guère davantage fondée dans une saine théologie ou pastorale.


[1] Pour un examen plus détaillé de ces questions et les références bibliographiques associées, voir mes deux ouvrages, The Organic Development of the Liturgy (Ignatius, 2005 [NdT : Traduction française à venir]) et le T&T Clark Companion to Liturgy (Bloomsbury, 2015).

Le calendrier pré-1955 et son inculturation

Le texte qui suit est la traduction d’un article paru sur le site Liturgical Arts Journal. Nos commentaires sont entre crochets.

Le dernier demi-siècle a vu une grande poussée d’inculturation et d’adaptation de la liturgie romaine à divers pays et peuples. Paradoxalement, cependant, cette même période a également vu une simplification spectaculaire du calendrier liturgique. Je dis paradoxalement parce que le calendrier a longtemps été la partie de la liturgie romaine la plus libre de s’adapter à son environnement géographique et culturel. Si vous remettez à un bibliophile médiéval un livre d’heures et que vous lui demandez d’en déterminer la provenance, il se tournera probablement vers le calendrier et cherchera des saints propres à sa région. S’il trouve saint Bavon marqué en rouge le 1er octobre, il vous dira que le livre a été produit pour les Belges.

Bien que la messe romaine médiévale ait été tolérante à l’égard de légères variations locales telles que l’usage de Sarum ou celui de Lyon, celles-ci ont perdu de leur importance et ne sont pratiquement jamais rencontrées aujourd’hui. Dans des endroits comme les États-Unis, et parmi certains ordres comme les Jésuites, la Messe a toujours été offerte selon les livres romains au sens strict. Mais ces endroits se sont toujours vantés d’avoir des calendriers distincts et des ensembles uniques de Propres.

Après la conquête française de l’Algérie en 1830, qui a ressuscité l’église d’Afrique du Nord tombée sous les invasions islamiques, les nouveaux évêques de Carthage ont produit un nouveau calendrier liturgique pour recouvrer son ancien patrimoine. Une flopée de saints africains presque oubliés réintègrent les Propre de l’office et de la messe. Le grand saint Cyprien de Carthage, qui, dans le rite romain, ne partageait qu’une modeste fête semi-double avec le pape saint Corneille, se retrouva avec sa propre fête double de première classe avec octave. De nouvelles fêtes ont également été établies pour les papes et les martyrs africains, et le cardinal Lavigerie a promu le culte de ces saints locaux nouvellement restaurés auprès de ses ouailles.


Pourtant, même en l’absence d’une direction épiscopale aussi forte, les membres les plus humbles du laïcat catholique comprenaient ce principe général. Jeroen deWulf, spécialiste de la diaspora africaine, a montré comment les communautés noires d’Europe ont bricolé leur propre cycle annuel de fêtes en fonction des patrons de leurs églises et de leurs confréries laïques : « Les processions et les célébrations avaient lieu principalement lors de fêtes intimement liées à la communauté noire, comme la fête de saint Moïse le Noir, un moine ascète d’Égypte (28 août) ; sainte Iphigénie, une princesse nubienne légendaire (21 septembre) ; Saint Benoît le Maure de Palerme, dont les parents étaient des esclaves africains (5 octobre) ; Saint Elesbaan, anciennement connu sous le nom de roi Kaleb d’Axum dans l’actuelle Éthiopie (27 octobre) ; et Notre-Dame du Rosaire (premier dimanche d’octobre), qui étaient tous vénérés avec des loas (chants de vénération) spécifiques. La communauté noire du Portugal vénérait également un saint Antoine noir, appelé Saint Antoine de Notto, originaire de Libye et qui avait été esclave en Sicile. »
N’oublions pas que tout cela se déroulait dans le contexte d’un calendrier liturgique traditionnel beaucoup plus complexe et aussi beaucoup plus décentralisé que celui auquel la plupart des catholiques sont aujourd’hui habitués. Aujourd’hui, les grandes conférences épiscopales nationales et supranationales ont repris le processus d’élaboration des calendriers liturgiques des diocèses individuels.

Mais si nous voulons que l’inculturation soit conduite par des communautés plutôt que par des comités, il est impératif que nous tirions les leçons du calendrier qui a rendu cette flexibilité possible.

Afin de prouver ce point, il pourrait être utile de sortir de l’abstrait et de mener une petite expérience de pensée. En nous concentrant sur une communauté particulière – les catholiques amérindiens du Canada et des États-Unis – nous pouvons voir exactement ce qu’un calendrier traditionnel peut offrir de plus que le calendrier moderne.

La sainte patronne des catholiques amérindiens est sainte Kateri Tekakwitha (1656-1680), béatifiée en 1980 et canonisée en 2012. Malgré les siècles qui se sont écoulés depuis sa mort, elle est une sainte moderne, dans le sens où sa fête a toujours été célébrée dans le contexte de la liturgie réformée et n’a jamais été célébrée dans la liturgie traditionnelle.

Actuellement, deux fêtes sont associées à sainte Kateri. Au Canada, elle est vénérée le 17 avril, date de sa mort. Mais bien que la date canadienne soit historiquement exacte, elle a l’inconvénient de tomber à la mi-avril, où elle est régulièrement déplacée par les jours immuables de la Semaine Sainte et de Pâques. En 1982, les évêques américains ont décidé de déplacer la fête en été, où elle pourrait être célébrée avec beaucoup moins de complications. Ainsi, le deuxième jour associé à Sainte Kateri est le 14 juillet, jour de sa fête aux États-Unis.


Notez que ces deux dates s’excluent mutuellement et se séparent nettement selon les frontières nationales. Les Canadiens ne célèbrent pas Kateri le 14 juillet, et les Américains ne la célèbrent pas le 17 avril. On pourrait envisager, je suppose, de permettre à chaque nation de célébrer également la fête de l’autre – mais il est très peu probable qu’une telle chose soit autorisée, car tout l’esprit du nouveau calendrier est de résister aux duplications. (Et pour être juste, les duplications exactes de jours de fête sont rares même dans les anciens calendriers).

Ainsi, à l’heure actuelle, les catholiques amérindiens n’ont qu’un jour sur 365 pour honorer liturgiquement leur patronne – et, ce qui est un comble, pas plus que les autres Canadiens ou Américains.

Avec un peu d’imagination, cette fraction de 1/365 pourrait être quelque peu augmentée. Par exemple, des collections locales de saints apparaissent actuellement dans certains calendriers tout au long du mois de novembre : Tous les saints d’Irlande (le 6), Tous les saints d’Afrique (le 6), Tous les saints du Pays de Galles (le 8), Tous les saints d’Angleterre (le 8), Tous les saints de l’Ordre dominicain (le 12), Tous les saints des Bénédictins (le 13), Tous les saints de l’Ordre séraphique (le 29).

[Nous profitons de cette excellente remarque pour remarquer que dans le rite byzantin, la Toussaint (qui a lieu le premier dimanche après la Pentecôte) est également suivie d’une fête de tous les saints « locaux » ; compte tenu de cet exemple et de ceux cités par l’auteur, nous ajouterions qu’une fête de tous les saints de France serait extrêmement profitable d’un point de vue pastoral autant que liturgique].

Une date similaire pourrait être choisie pour honorer Sainte Kateri et, indirectement, les martyrs et confesseurs putatifs qui apparaissent dans ses hagiographies mais dont les causes n’ont pas encore abouti : Catherine Gandeaktena, Françoise Gonnhatenha, Marguerite Garangouas, Stephen Tegonanakoa, et d’autres.

L’Ordre joséphite, créé en 1893 pour servir les Américains d’origine africaine, a fait quelque chose de similaire dans son Manuel de prières (1895). Ils ont dûment honoré saint Benoît le Maure le jour de sa fête, le 4 avril, mais ont également indiqué une date apparemment redondante pour « saint Benoît le Maure, et tous les saints de sa race », le 5 novembre. Cette dernière date visait probablement à commémorer un autre homme cher au cœur des catholiques noirs, saint Martin de Porres, qui n’avait pas encore été canonisé à l’époque.

Nous pouvons certainement qualifier ces développements de « superflus » si nous le voulons. Mais cette caractéristique de l’ancien calendrier – dont de nombreux réformateurs liturgiques souhaitaient se débarrasser – peut également être considérée de manière positive comme un outil précieux d’inculturation.

Dans le cadre d’une petite expérience de pensée, avançons l’esprit du calendrier traditionnel d’environ 70 ans et faisons comme si les changements intermédiaires n’avaient jamais eu lieu : la suppression de la plupart des octaves en 1955, la réduction des commémorations en 1960, l’abolition des commémorations en 1969 et la simplification des rangs des fêtes en 1970.


Tout d’abord, là où sainte Kateri est la patronne d’une église ou d’une communauté, elle aurait une octave commune attachée à sa fête ; huit jours complets de célébration liturgique dans la messe et dans l’office divin. Au Canada, où aucune fête ou dimanche de haut rang n’intervient, la messe quotidienne des 18, 19 et 20 avril répète la messe de sainte Kateri. Les 21, 22 et 24 avril, les fêtes de St Anselme, Ss. Soter et Caius, et de St. Fidelis ont la priorité, mais même pendant ces messes, Ste Kateri reste présente dans les commémorations. Le 23 avril, un prêtre pourrait dire soit la Messe de Sainte Kateri avec une commémoration de Saint Georges, soit la Messe de Saint Georges avec une commémoration de Sainte Kateri. Nous verrions quelque chose de similaire aux États-Unis à partir de la fête de Sainte Kateri le 14 juillet – une octave liturgique où Sainte Kateri serait soit la messe principale de la journée, soit rappelée comme une commémoration.


Cette octave patronale, supprimée en 1955, distingue automatiquement toutes les églises et communautés sous l’égide de Sainte Kateri de toutes les autres. Elle reconnaît, avec sagesse, que les organismes ecclésiaux qui ont Sainte Kateri comme patronne spéciale méritent d’avoir un peu plus de temps pour l’honorer.

Les anciens calendriers nous présentent d’autres exemples tout prêts qui pourraient servir de modèles pour des occasions supplémentaires d’étoffer encore plus le calendrier.


Prenons la fête de l’apparition de saint Michel Archange (8 mai). Nous savons, grâce à des récits historiques fiables, que Sainte Kateri a fait plusieurs apparitions à des prêtres et à des amis après sa mort. Si l’Église les juge dignes de foi, une messe de l’apparition de sainte Kateri pourrait peut-être être attribuée aux dates qui nous sont parvenues de l’histoire : le 23 avril (dans l’octave canadienne) ou le 1er septembre.


Ou encore, prenez les nombreuses fêtes locales qui commémorent la translation des reliques : Le 25 avril pour saint Vincent de Paul, le 24 mai pour saint Dominique, le 11 octobre pour saint Augustin. Ne serait-il pas tout aussi approprié pour les fils et filles spirituels de Sainte Kateri d’honorer leur patronne comme les Vincentiens, les Dominicains et les Augustins honorent la leur ? Ses reliques ont été transférées à son lieu de repos actuel, l’église de Saint-François-Xavier à Kahnawake, au Québec, le 1er novembre 1972. La Toussaint, bien sûr, ne peut pas être déplacée, mais pourquoi ne pas reporter définitivement la translation à une férie de l’octave de la Toussaint (restaurée), comme le 3 novembre ?


Ou, pour aller vraiment loin, supposons qu’un dilettante américain de la liturgie (en parlant de façon purement hypothétique, bien sûr), le nez plongé dans les sources primaires, conclue que les Canadiens avaient raison après tout : le Lys des Mohawks devrait vraiment être honoré en avril. Mais il ne veut pas non plus être mis à l’écart de ses compatriotes. Puis, en consultant des calendriers liturgiques de Kahnawake datant du début du XXe siècle, il découvre que l’église de la mission de Saint-François-Xavier, lieu de repos actuel de Sainte-Kateri et église mère du catholicisme amérindien, célébrait la fête de sa dédicace le deuxième dimanche de juillet, du 8 au 14. (Et selon la norme de l’époque, elle aurait été un double de la première classe avec une octave). Ce fait fournit la couverture parfaite pour préserver à la fois les dates américaines et canadiennes modernes, avec un accent légèrement différent qui évite la répétition exacte.


Si vous avez perdu le fil de tout cela, cela nous laisse avec : 1 ou 2 jours par an sur le thème des Amérindiens dans le calendrier actuel, mais jusqu’à un nombre stupéfiant de 19 jours par an sur le thème des Amérindiens en utilisant les outils fournis par le calendrier traditionnel. (Nous supposons une octave de 8 jours avec la fête principale le 17 avril, une octave de 8 jours pour la Dédicace à partir de la deuxième semaine de juillet, et trois fêtes putatives pour l’apparition le 1er septembre, la translation des reliques autour du 3 novembre, et la Toussaint de l’Amérique [autochtone]).

Certes, le total le plus élevé ne s’applique qu’au sanctuaire de Kateri à Kahnawake, mais ce résultat n’est-il pas logique ?

Le sanctuaire natal de sainte Kateri ne devrait-il pas être le lieu qui lui est consacré avec le plus de ferveur dans le monde entier ? Et à partir de là, sa présence dans le calendrier peut progressivement diminuer à mesure que l’on s’éloigne de son centre de dévotion. Il faudrait demander une autorisation spéciale pour célébrer des messes supplémentaires putatives comme la Translation ou l’Apparition. Mais en supposant que ces permissions puissent être accordées aux communautés ayant une importante population autochtone – et pourquoi pas, si l’inculturation est vraiment notre objectif – ces messes seraient des célébrations liturgiques uniques en leur genre. Le reste d’entre nous, catholiques du Canada et des États-Unis, serait ravi de se joindre à l’observation de sa fête principale une fois par an, mais les fêtes spéciales pourraient être uniques en leur genre.

Il est vrai que j’ai laissé libre cours à mon imagination dans cet exercice, mais seulement dans la mesure où il s’agit d’introduire des pratiques liturgiques autrefois courantes dans une ère de minimalisme liturgique brutal. Ce que j’ai décrit ci-dessus pour Sainte Kateri était une procédure assez courante il y a seulement quelques siècles. Dans un livre liturgique du diocèse de Lisbonne datant de 1780, les octaves, les vigiles, les dédicaces et les traductions d’intérêt local représentent quelque 37 jours, soit 10% de l’année liturgique.

Et il faut certainement admettre que l’ajout de fêtes au calendrier traditionnel est un chemin beaucoup plus simple vers une liturgie inculturée que d’aller jusqu’à l’extrême en essayant de rédiger et de faire approuver un nouvel ordinaire de la Messe ou (horreur!) une nouvelle prière eucharistique ou un « Credo amérindien ».

Quelle que soit la préoccupation du milieu du XXème siècle concernant la duplication et la redondance liturgiques, elle semble de plus en plus avoir manqué le but premier de la liturgie. Ceux qui aiment sainte Kateri et la considèrent comme leur patronne spéciale veulent la célébrer. Et pas qu’un peu ! Toujours en proportion des mystères de Notre Seigneur, bien sûr, mais si nous pouvons prendre un peu plus de temps pour célébrer des aspects légèrement différents de sa vie et de sa glorification au ciel, comme nous l’avons toujours fait pour les autres saints de la chrétienté, alors pourquoi laisser passer cette occasion ?

Bien sûr, je ne veux pas minimiser la valeur de l’inculturation au-delà du calendrier – les lecteurs de ces pages connaissent peut-être mes articles précédents sur les usages liturgiques uniques de Kahnawake et des autres missions. Lorsque des textes liturgiques de ce type existent, je suis ravi de les encourager et de les promouvoir. Cependant, de tels développements reposent généralement sur une antiquité immémoriale ou sur des indults et des permissions spéciales, et sont donc relativement rares.

Alors que les calendriers locaux sont typiques de toutes les communautés catholiques, complètement anticipés dans la structure du Rite Romain, et amplement prévus par un système de classement qui a traditionnellement donné une grande latitude aux intérêts dévotionnels locaux.

Et même avec des Rites et des Usages uniques, le calendrier a un rôle particulier à jouer.

Il n’y a qu’une poignée d’églises dans le diocèse de Tolède qui utilisent le rite mozarabe, une très ancienne liturgie espagnole remontant au 7e siècle. Toutefois, les églises de rite romain de Tolède sont autorisées à participer à ce patrimoine local en offrant cette liturgie deux fois par an, lors des fêtes de l’Incarnation et de saint Ildephonse. En France, la Fraternité Saint-Pierre, de rite romain, a fait revivre le rite solennel de Lyon à l’occasion de fêtes locales importantes comme celles de saint Irénée et de saint Just.

Offrir des liturgies locales pour des fêtes d’intérêt local est beaucoup plus naturel pour les Rites occidentaux que, par exemple, de bricoler de nouvelles anaphores en s’inspirant ostensiblement des modèles hippolytain, mozarabe et basilien, puis de les offrir à tout le monde sans distinction, sous forme de buffet.

Bien que la flexibilité moderne puisse initialement séduire un inculturateur par sa liberté de particulariser, on apprend rapidement qu’une masse bancale d’options universellement disponibles est exactement le contraire d’une liturgie véritablement inculturée, qui a des divergences fixes et locales bien définies par rapport au Missel Romain. Le rite ambrosien ne propose pas d’options pour la durée de l’Avent, il prescrit simplement un Avent de 6 semaines, et c’est tout. Nous pourrions dire la même chose des Illationes mozarabes, du cérémonial de Sarum ou du cycle d’introïts du Kaiatonsera Teieriwakwatha [Il s’agit d’une sorte d’adaptation des propres liturgiques romains à l’usage des chrétiens amérindiens de l’actuel Canada, en langue huronne, NDT].

En résumé, il semble évident que le Missel romain traditionnel d’avant 1955, limité dans ses options générales mais extrêmement généreux dans son traitement des fêtes locales, offre un potentiel d’inculturation bien plus important que ses révisions ultérieures, qui offrent une pléthore d’options générales mais limitent la capacité de personnalisation locale.

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