Esprit de la Liturgie

Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Les nouvelles collectes : l’exemple de saint Laurent

Nous célébrions hier la fête de saint Laurent de Rome, diacre, mort martyr sur un gril en 258 sous la persécution de l’Empereur Valérien.

Laurent était, comme diacre, attaché au service du Pape Sixte II. Celui-ci ayant été condamné à mort, Laurent, dont le plus ardent désir était de mourir avec celui qu’il considérait comme son père spirituel, le suivait en pleurant et lui disait :

« Quo progréderis sine fílio, pater ? quo, sacérdos sancte, sine minístro próperas ? » : « Où allez-vous, mon père, sans votre fils ? Saint pontife, où allez-vous sans votre diacre ? » (première antienne de Matines dans l’usage traditionnel, supprimée dans l’usage réformé).

Le pape lui répondit : « Non ego te désero, fili, neque derelínquo; sed majóra tibi debéntur pro Christi fide certámina. » : « Je ne t’abandonne pas, mon fils, ni ne te déserte ; mais une épreuve plus pénible t’est réservée, pour la foi au Christ. » (troisième antienne de Matines dans l’usage traditionnel, supprimée dans l’usage réformé).

Ce sont ce Sixte et ce Laurent qui sont mentionnés au Canon romain (ou première prière eucharistique dans l’usage réformé).

Cette fête nous donne l’occasion de nous pencher sur la manière dont ont été composées les prières d’ouverture, ou collectes, de la liturgie réformée ; il faut noter d’ailleurs que la prière d’ouverture de la messe est également utilisée pour conclure certains offices de la liturgie des heures, son importance dans la prière de l’Église ne saurait donc être exagérée.

Les textes liturgiques

La collecte du missel de 1962 est la suivante :

Da nobis, quǽsumus, omnípotens Deus: vitiórum nostrórum flammas exstínguere; qui beáto Lauréntio tribuísti tormentórum suórum incéndia superáre.

Nous te prions, Seigneur, d’éteindre en nous l’ardeur de nos vices, toi qui as donné au bienheureux Laurent la force de surmonter les flammes de ses tourments.

Cette collecte, bien attestée dans quarante-neuf manuscrits existants à partir du VIIIe siècle, est universellement utilisée pour saint Laurent, et presque toujours le jour même de sa fête (une poignée de manuscrits utilisent cette oraison à la vigile ou à l’octave). La seule variation textuelle de cette prière est l’ajout de martyri après Laurentio, dans cinq manuscrits.

En revanche, la collecte de l’usage réformé est une composition nouvelle, assemblée à partir de trois sources préexistantes (deux collectes et une préface) : on parle de centonisation. Les parties issues des trois sources sont mises en évidence ci-dessous de manière différente :

Deus, cuius caritátis ardóre beátus Lauréntius 
servítio cláruit fidélis et martýrio gloriósus,
fac nos amáre quod amávit, et ópere exercére quod dócuit.

C’est l’ardeur de ton amour, Seigneur, qui a donné au diacre saint Laurent de se montrer fidèle dans son service, et d’accéder à la gloire du martyre : accorde-nous d’aimer ce qu’il aimait, et d’accomplir ce qu’il a enseigné.

Les sources

La première source de cette composition nouvelle est une collecte universellement utilisée pour saint Laurent, attestée dans vingt-neuf manuscrits, dont le sacramentaire gélasien, datant du VIe siècle : ci-dessous en gras, la partie utilisée dans notre centonisation.

Deus, cuius caritatis ardore beatus Laurentius edaces incendii flammas, contempto persecutore, devicit, concede propitius, ut omnes, qui martyrii eius merita veneramur, protectionis tuae auxilio muniamur. 

O Dieu, qui donne cette ardeur d’amour pour toi par laquelle saint Laurent, après avoir défié le persécuteur, a surmonté le feu dévorant de l’incendie, accorde dans ta miséricorde que tous ceux qui vénèrent les mérites de son martyre soient défendus par le secours de ta protection.

La deuxième source est une préface pour saint Laurent, attestée dans seulement trois manuscrits, dont le Sacramentaire Léonien (Ve siècle), peut-être pour la vigile de sa fête ; ci-dessous en gras, la partie utilisée (lourdement modifiée) dans notre centonisation.

Praevenientes natalem diem beati Laurentii, qui levita simul martyrque venerandus, et proprio claruit gloriosus officio, et memoranda refulsit passione sublimis.

Anticipant l’anniversaire de saint Laurent, vénéré comme diacre et martyr, particulièrement remarquable et glorieux dans son devoir, et dont la sublime passion est un rappel lumineux.

La troisième et dernière source est une autre collecte, qui, avant la suppression de l’octave de saint Laurent par le pape Pie XII dans Cum nostra hac aetate (23 mars 1955), était la collecte de cette octave (17 août). Elle est présente dans trente-quatre manuscrits, à partir du VIIIe siècle, et utilisée pour saint Laurent dans tous ces manuscrits (dans un manuscrit, cette prière est dupliquée et utilisée pour saint Maurice). En gras, la partie utilisée pour notre centonisation :

Excita, domine, in ecclesia tua spiritum, cui sanctus Laurentius levita servivit, ut, eodemnos replente studeamus amare, quod amavit, et opere exercere, quod docuit.

Seigneur, suscite dans ton Église l’Esprit que servait saint Laurent diacre, afin que, remplis du même Esprit, nous nous efforcions d’aimer ce qu’il a aimé et de mettre en pratique ce qu’il a enseigné.

Toutes les prières anciennes utilisées pour composer la nouvelle collecte du Missel réformé sont donc associées à saint Laurent dans la tradition manuscrite, ce qui est un important point positif.

Les biais de la centonisation

La centonisation est une pratique assez habituelle dans l’élaboration de textes liturgiques, mais généralement on assemble plutôt des versets bibliques, en les juxtaposant, pour en faire ressortir un sens qui n’est pas évident dans le contexte de chacun des versets employés, par exemple en rapprochant un verset de l’Ancien Testament avec un verset du Nouveau. Il y avait eu par le passé des centonisations à partir d’oraisons, mais assez rarement, et jamais à l’échelle d’un missel entier (presque 80% des collectes du nouveau missel sont des centonisations, voire des compositions originales).

Personne ne songerait à critiquer en soi la réintroduction dans la liturgie d’une collecte du Ve siècle, ou d’une autre du VIIIe siècle, ce que sont la première et la troisième source de notre centonisation. Mais, après avoir vu les parties de ces sources qui ont été employées pour composer la nouvelle collecte, il est nécessaire de nous pencher sur les parties qui ont été rejetées. L’allusion à la façon dont saint Laurent a été martyrisé (edaces incendii flammas) a été supprimée de la première source, ainsi que toute notion de besoin et de supplication de la protection de Dieu (protectionis tuae auxilio muniamur), et de persécution (contempto persecutore), mais surtout, l’idée que son martyre est méritoire (martyrii eius merita) est occultée.

En outre, la demande de la nouvelle collecte, pour que nous puissions aimer ce que saint Laurent a aimé et mettre en pratique son enseignement (fac nos amáre quod amávit, et ópere exercére quod dócuit) a été fortement abrégée par rapport au texte d’origine. La troisième source, dont cette phrase est issue, demande à Dieu d’envoyer son Esprit Saint dans son Église et de nous remplir de ce même Esprit, comme l’était saint Laurent ; ce n’est que par le moyen de cette grâce divine que nous pourrons nous efforcer d’aimer ce que saint Laurent aimait et de mettre en pratique son enseignement.

Il est donc remarquable de constater que, dans cette nouvelle collecte, nous demandons à Dieu la charité et le salut, mais que les moyens de ces fins, mentionnés dans les sources, à savoir la grâce divine et les mérites de la Passion du Christ, à laquelle s’unissent les mérites des saints et spécialement ceux des martyrs, sont absents du résultat de leur centonisation.

Une réécriture nécessaire ?

Dans la collecte du Missel de 1962, nous demandons que nos propres vices soient éteints (vitiórum nostrórum flammas exstínguere), tout comme saint Laurent, dans son martyre, a surmonté le supplice des flammes (tribuísti tormentórum suórum incéndia superáre). Les réformateurs auraient-ils trouvée inélégante l’allusion au « vice », et la description du martyre, trop crue pour nos fins et sensibles esprits modernes ?

Il faut rappeler ici les mots lumineux du Concile Vatican II dans sa constitution Sacrosanctum Concilium :

On ne fera des innovations que si l’utilité de l’Église les exige vraiment et certainement, et après s’être bien assuré que les formes nouvelles sortent des anciennes par un développement en quelque sorte organique.

Sacrosanctum Concilium n°23

Dans l’exemple spécifique de la réécriture de la collecte (ou prière d’ouverture) pour saint Laurent, le résultat de la réforme correspond-il à ce qu’a voulu le Concile par ces mots ? Employer une des deux collectes anciennes (première et troisième source) aurait certainement correspondu au critère de continuité organique, mais pourquoi les fusionner, et pourquoi employer une préface pour « boucher les trous » ? On ne peut pas dire que le résultat sort de ses sources par un développement organique.

Mais surtout, c’est la nécessité certaine de réécrire la collecte du missel tridentin (dont il faut rappeler qu’elle est tout aussi ancienne !) qui n’est pas établie : était-il certainement nécessaire de ne plus parler de « nos vices », ou du « supplice des flammes », ou plus généralement de réécrire cette oraison ? On laissera le lecteur répondre pour lui-même à cette question.

Conclusion

Nous avons jugé à propos, plutôt que d’émettre une opinion de portée générale sur les oraisons du missel des saints Paul VI et Jean-Paul II, de donner à nos lecteurs l’historique d’élaboration d’une unique oraison, prise comme exemple. Cet exemple est représentatif, puisque les centonisations de trois sources ou plus forment la majorité des oraisons du nouveau missel. Les biais relevés dans la manière dont les passages centonisés ont été sélectionnés se retrouvent également dans de nombreuses autres oraisons.

Le Saint-Père écrivait dans la lettre d’accompagnement du Motu Proprio Traditionis Custodes : « Quiconque veut célébrer avec dévotion selon les formes antérieures de la liturgie peut trouver dans le Missel romain réformé selon le Concile Vatican II tous les éléments du Rite romain ».

L’exemple que nous avons traité aujourd’hui illustre pourquoi l’usage réformé, même célébré dignement, vers l’orient, en latin et avec chant grégorien, n’est pas interchangeable avec l’usage ancien. Il ne s’agit pas de juger ici de l’infériorité de l’un sur l’autre, mais simplement de constater que chacun contient des richesses dignes d’êtres préservées, « pour perpétuelle mémoire ».


Cet article est librement inspiré d’un article de M. Matthew Hazell sur le blog Rorate Caeli, que nous remercions vivement pour son étude sur les oraisons de la Saint-Laurent.

This article is freely inspired by another one by Mr. Matthew Hazell on the Rorate Caeli blog, whom we thank greatly for his study on St. Lawrence’s euchology.

Communiqué d’Esprit de la liturgie sur le motu proprio Traditionis Custodes

La publication par le pape François du motu proprio Traditionis Custodes est une source de grande souffrance pour Esprit de la liturgie comme pour tous ceux, fidèles de l’une ou l’autre forme du rite romain, qui sont attachés à la pensée de Benoît XVI en matière de liturgie.

Il n’est pas envisageable d’adhérer à la volonté explicite du Souverain Pontife de voir disparaître l’usage ancien au profit de l’usage réformé, tant que la situation de fait de cet usage réformé est celle d’une rupture avec la tradition liturgique latine.

Cette rupture se fait selon trois axes : premièrement, une grande partie des éléments les plus antiques de la liturgie traditionnelle (oraisons, lectures, antiennes), est absente de la liturgie réformée ; deuxièmement, les options les plus couramment choisies dans la liturgie réformée ne correspondent pas à la tradition liturgique latine (abandon du grégorien, de l’orientation, plus généralement du hiératisme) ; troisièmement, même si les abus liturgiques au sens strict se font plus rares que par le passé, ils sont encore assez fréquents pour qu’on souhaite s’en prémunir.

Cette rupture, Esprit de la liturgie a toujours voulu contribuer à la réduire, encouragée par l’appel de Benoît XVI à recevoir les usages nouveaux avec une herméneutique de réforme dans la continuité. Le Motu Proprio Traditionis Custodes, au contraire, entérine cette rupture.

Dans la situation présente, la possibilité de célébrer la Messe, l’Office divin et les Sacrements selon l’usage ancien est un témoignage, ô combien vivant, de la tradition liturgique latine, qui doit continuer d’informer l’ars celebrandi de l’usage réformé et ses éventuelles réformes ultérieures.

La généreuse liberté donnée par le pape Benoît XVI à tout fidèle du rite latin de bénéficier des livres liturgiques en usage en 1962 avait arrêté net la “guerre des missels” qui empoisonnait la vie de l’Église depuis les années 1970. C’est dans le cadre de cette coexistence, largement paisible, que notre association s’est proposée d’encourager une réflexion qui aille au-delà d’une prise de position pour l’un ou l’autre missel, et permette de promouvoir un vrai sens liturgique et traditionnel dans les célébrations de l’Église latine aujourd’hui. Elle était en cela encouragée par l’affirmation de l’égale dignité des deux formes du rite romain, affirmation que Traditionis Custodes répudie dès son premier article. Le motu proprio ramène ainsi la liturgie préconciliaire, et l‘Église avec lui, quarante ans en arrière, et déterre au passage la hache de guerre liturgique.

L’association Esprit de la liturgie, son blog, son groupe Facebook et sa revue, continueront de promouvoir l’ars celebrandi traditionnel du rite romain, son esthétique, son chant et sa symbolique, dans l’usage ancien comme dans l’usage réformé, toujours convaincue de la profonde vérité de ces paroles de Benoît XVI dans la lettre accompagnant le motu proprio :

“L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place.”

Le comité d’Esprit de la liturgie

L’apport juridique de Summorum Pontificum

Note du traducteur : On trouvera ci-dessous une traduction d’un article de Gregory DiPippo paru le 9 juillet sur le site du New Liturgical Movement. M. DiPippo est le directeur de la rédaction du New Liturgical Movement, et un expert des réformes du rite romain au XXè siècle. Il propose dans cet article une explication possible du sens précis à donner à l’expression des « deux formes de l’unique rite romain », que Benoît XVI a introduit dans Summorum Pontificum pour caractériser la relation entre liturgies pré- et post-concilaires dans le cadre de l’Église latine. Cette réflexion est intéressante car elle intègre les aspects juridiques du problème tout en proposant une manière de classer les différentes liturgies chrétiennes, puis situe les deux formes du rite romain dans ce double-cadre juridique et liturgique. J’y ai ajouté quelques observations.


Ces derniers jours, avec les rumeurs d’une possible suppression ou d’un retour en arrière de Summorum Pontificum, il y a eu beaucoup de discussions sur son statut et sa signification. J’ai donc pensé qu’il serait utile de rééditer cet exposé sur la question, publié à l’origine lors du dixième anniversaire du motu proprio [NDT : En 2017]. Pour résumer : le motu proprio n’est pas un document sur l’histoire de la liturgie, mais une disposition légale, et doit être lu et compris comme tel.

Je me suis également souvenu aujourd’hui de cette déclaration sur le sujet d’un dominicain français, le père Thierry-Dominique Humbrecht, qui vaut la peine d’être considérée : « Le pluralisme liturgique des deux états du rite romain est peut-être dommageable, mais il est la conséquence d’un éclatement liturgique sauvage, plus dommageable encore, sur lequel la lumière officielle est encore trop timidement faite. »

Je propose ici d’examiner ce que le pape Benoît XVI a voulu dire, et ce qu’il a réalisé, en caractérisant la messe traditionnelle et sa réforme post-conciliaire comme deux formes du même rite, l’une extraordinaire et l’autre ordinaire. Avant cela, je crois qu’il est nécessaire d’établir une distinction entre les termes qui ont été historiquement utilisés pour décrire les variations au sein d’une liturgie ou d’une famille liturgique : « rite » et « usage ».

À ma connaissance, la distinction entre un rite et un usage n’a pas été officiellement établie par l’Église dans sa loi ; il s’agit donc uniquement de mon point de vue sur la question.

Pour des raisons de clarté, les variantes d’un même rite devraient, à proprement parler, être appelées des usages, comme l’usage de Sarum [NDT : la liturgie de l’Église de Salisbury, qui était la plus répandue en Angleterre avant la Réforme protestante] ou l’usage carmélitain ; c’est ainsi qu’elles étaient le plus souvent appelées avant la réforme tridentine. Par exemple, on lit sur la page de garde du Missel de Sarum : « Missale ad usum insignis ecclesiae Sarisburiensis – le Missel selon l’usage de la célèbre église de Salisbury ».

Le frontispice d’un missel de Sarum imprimé à Paris en 1555.

Il est vrai que même avant le concile de Trente, il y avait une certaine confusion entre ces termes, et que « rite » était parfois employé au lieu de « usage » ; après Trente, le terme « usage » est devenu rare. La terminologie n’a certainement jamais été uniforme, et de nombreux livres liturgiques n’utilisent aucun des deux termes, et n’ont qu’un adjectif modifiant les mots « Missel », « Bréviaire », etc. Les Dominicains disaient soit « selon l’Ordre Sacré des Prêcheurs », soit « selon le Rite de l’Ordre Sacré des Prêcheurs ».

A gauche, le début du Missel pré-tridentin « selon l’usage de la célèbre église de Liège ». À droite, le frontispice d’une édition post-tridentine du « Breviarium Leodiense – Bréviaire de Liège » ; « Leodiensis » est la forme adjectivale du nom de la ville en latin, Leodium. En français, on pourrait le traduire plus littéralement par « Bréviaire Liégeois ».

Toutefois, si l’on souhaite établir une distinction entre les différentes liturgies d’une part, et les variantes au sein d’une même liturgie d’autre part, tout en conservant une certaine terminologie historique, il semble évident que « rite » est le plus approprié pour les premières, et « usage » pour les secondes. Il serait absurde de décrire les liturgies des églises orientales comme « l’usage byzantin, l’usage copte, etc. » en les comparant à « l’usage romain » ; il s’agit clairement de rites entièrement différents. « Usage », d’autre part, était le terme prédominant pour les variantes du rite romain alors qu’il y avait de nombreuses variantes de ce type célébrées dans toute l’Europe occidentale.

Toutes les caractéristiques essentielles du rite romain, telles que l’Ordinaire de la Messe et la structure de l’Office, sont les mêmes d’un Usage à l’autre. Elles ne sont pas les mêmes dans les autres Rites. Cela ne s’applique pas seulement au Canon, mais à toute la structure de la Messe : Introit, Kyrie, Gloria, Collecte(s), Épître, Graduel, Alléluia, etc. À quelques variations mineures près, qui sont plus des variations d’agencement que de formulation, l’essentiel des textes liturgiques est également identique. En parcourant chaque missel ou antiphonaire de chaque usage du rite romain, on trouvera l’introït Ad te levavi le premier dimanche de l’Avent, Populus Sion le deuxième, etc. Il est vrai que certaines caractéristiques ultérieures du rite, notamment les prières d’Offertoire et les séquences, diffèrent considérablement d’un usage à l’autre. Ces variances sont cependant restreintes dans des bornes bien visibles, ont beaucoup d’éléments en commun, et peuvent donc être regroupées en familles.

De plus, toute Messe ou tout Office propre écrit pour un Usage peut être transposé dans n’importe lequel des autres sans aucune difficulté. Par exemple, Saint Thomas d’Aquin était dominicain et a écrit l’office et la messe de la Fête-Dieu selon l’usage français médiéval suivi par son ordre. (L’office avait neuf répons à Matines, plutôt que huit comme dans l’usage romain, un verset entre Matines et Laudes, etc.) Presque rien n’a dû être fait pour ajuster ces textes pour le Missel et le Bréviaire selon « l’usage de la Curie romaine », qui dans la réforme tridentine est devenu le Missel et le Bréviaire de Saint Pie V.

Cependant, lorsque la messe de la Fête-Dieu a été ajoutée au rite ambrosien, il a fallu procéder à toutes sortes d’ajustements : l’ajout d’une première lecture, de l’antienne après l’Évangile, de l’Oratio super sindonem et du Transitorium, qui n’existent pas dans le rite romain, et la suppression de la Séquence, qui n’a jamais existé dans le rite ambrosien. Inversement, si l’on voulait prendre la messe ambrosienne de la Saint-Ambroise, par exemple, et la transposer dans le rite romain, il faudrait la modifier très considérablement, en ajoutant un verset de psaume et le Gloria à l’Ingressa pour en faire un Introit, et en supprimant la première lecture, l’antienne après l’Evangile, l’Oratio super sindonem, et le Transitorium.

[Note : pour simplifier, on peut penser la différence entre « usages » et « rites » de façon analogue à la différence existante entre différents dialectes d’une même langue, d’un côté, et différentes langues, de l’autre. Des dialectes sont généralement inter-compréhensibles, et on peut assez facilement passer de l’un à l’autre ; tel n’est pas normalement le cas de deux langues. Que les linguistes nous pardonnent cette analogie un peu crue, dont nous savons qu’elle a ses limites. Elle semble naturelle, dans la mesure où chaque liturgie chrétienne n’est jamais que la langue rituelle dans laquelle la Sainte Église s’adresse à son Divin Époux.]

Si nous acceptons ces définitions de rite et d’usage, il me semble très clair qu’aucune d’entre elles n’est appropriée pour décrire la relation entre ce que nous appelons maintenant les deux formes du rite romain. Au niveau très élémentaire de ce que nous voyons et entendons habituellement dans une messe dans la forme ordinaire et une messe de la forme extraordinaire, elles apparaissent immédiatement comme deux rites différents. Le liturgiste Joseph Gelineau SJ a déclaré à propos de la messe réformée : « Il faut le dire sans ambages : le rite romain tel que nous l’avons connu n’existe plus. Il est détruit ». (Demain la Liturgie, Éditions du Cerf, 1977, p. 9-10) Une telle déclaration ne peut être considérée comme l’opinion d’un seul homme ; le père Gelineau était une figure de proue de la réforme liturgique, et il était très estimé par son architecte le plus célèbre, l’archevêque Annibale Bugnini. Des déclarations similaires, qu’elles soient pour ou contre la réforme, ont été faites par beaucoup d’autres personnes. Il n’y a pas d’autre changement antérieur dans le rite romain à propos duquel je pourrais imaginer qu’un spécialiste sérieux de la liturgie emploie pareil langage.

[Note : si l’on décide, au contraire, de comparer une messe solennelle selon le missel préconciliaire à la forme ordinaire selon sa forme la plus « traditionalisante » possible, c’est-à-dire orientée, chantée en latin et en grégorien, et célébrée avec les options les plus proches du missel préconciliaire, il semble également que des différences rituelles notables apparaitront assez rapidement. Pour la liturgie de la Parole, on pense aux rites introductif de la forme ordinaire, séparant l’Introït et le Kyrie, qui se suivent en forme extraordinaire ; à la lecture précédant l’épître, et au Graduel qui la suit au lieu de suivre l’Epître ; et à l’inversion Alléluia/Séquence.]

Sur la base de mon argument de transposition donné ci-dessus, (les textes peuvent facilement être déplacés d’un Usage à un autre, mais peuvent beaucoup moins facilement, ou pas du tout, être déplacés d’un Rite à un autre), on peut dire que formes ordinaire et extraordinaire partagent une certaine identité. La plupart des textes de n’importe quel bloc de textes de messe peuvent être déplacés de l’un à l’autre assez facilement, ou du moins, beaucoup plus facilement qu’ils ne pouvaient être déplacés entre les rites byzantin et ambrosien. Cependant, si l’on considère que la réforme post-conciliaire a entraîné un déplacement des textes liturgiques bien plus important que ce qui s’était produit auparavant dans le rite romain, et les différences rituelles significatives, il est beaucoup plus difficile d’affirmer que formes ordinaire et extraordinaire partagent une identité. Historiquement, il s’agit d’une situation absolument anormale ; il n’y a jamais eu de cas de deux rites ou usages qui partageaient autant de choses et qui étaient pourtant si radicalement différents.

Pour cette raison, l’identité des deux formes d’un même rite, telle qu’établie par Summorum Pontificum, a parfois été décrite comme une « fiction juridique ». Je soutiens que c’est une façon tout à fait appropriée de décrire la situation, que l’identité des deux formes d’un seul Rite EST une fiction juridique, et que c’est une bonne chose.

Une fiction juridique n’est pas la même chose qu’un mensonge. L’adoption, par exemple, est une fiction juridique, qui stipule que du point de vue de la loi, telle personne est l’enfant de telle autre. Il ne s’agit absolument pas d’une fausse déclaration, même si l’enfant adopté n’est pas la progéniture naturelle du parent. La reconnaissance par la loi du lien entre un parent et un enfant est peut-être l’aspect le moins significatif, précisément parce qu’elle ne crée pas ce lien et ne peut le dissoudre. En ce sens, l’adoption déclare simplement que l’absence de relation génétique entre deux personnes spécifiques n’est pas juridiquement pertinente, et qu’une relation parent-enfant existe entre elles.

De la même manière, l’action de Benoît XVI en créant deux « formes » n’avait pas pour but de parler de la relation entre forme ordinaire et forme extraordinaire du point de vue de l’érudition liturgique ou historique, mais uniquement comme une description de la relation entre elles en droit. Elle déclare simplement que la relation ténue entre les deux formulaires n’est pas pertinente sur le plan juridique.

En droit, un prêtre d’un rite donné a besoin d’autorisations spéciales (les facultés) pour célébrer la messe dans un autre rite. Il s’agit d’une disposition légale utile et parfaitement raisonnable pour diverses raisons, et qui existe depuis longtemps, mais ce n’est pas une nécessité morale en soi ; lorsqu’elles ont été jugées utiles sur le plan pastoral, l’Église s’est montrée assez souple pour accorder de telles autorisations. Cependant, l’objectif de Summorum Pontificum était d’établir qu’un prêtre de rite romain n’a pas besoin d’une faculté ou d’une permission spéciale pour dire la Messe selon le missel traditionnel, comme c’était le cas sous l’indult Ecclesia Dei. Je crois que Benoît XVI a agi très sagement et consciencieusement en adoptant une catégorie complètement différente de toutes celles utilisées précédemment, celle de la « forme » au lieu de « l’usage » ou du « rite », pour contourner un problème juridique important, à savoir que par toute autre solution, il aurait rendu la grande majorité des prêtres catholiques « bi-rituels ». Cela aurait été une abomination juridique sans précédent.

Lettre ouverte aux évêques, prêtres et responsables de l’Église catholique de Suisse romande

Cette lettre n’a pas été rédigée par Esprit de la liturgie qui en permet cependant la publication sur son site.


Le 13 mai 2021

En la Fête de l’Ascension de Notre Seigneur

Aux évêques, prêtres et responsables pastoraux de l’Église catholique en Suisse romande

« Ceci est mon corps, donné pour vous : faites cela en mémoire de moi. » (Lc 22:19)

Par ces lignes, nous désirons témoigner de notre incompréhension et de notre inquiétude face aux portes des églises fermées à clé durant les célébrations dominicales et plus généralement vis-à-vis des mesures contraignantes adoptées par certaines paroisses, en sus des restrictions de l’État, entravant le libre et non discriminatoire accès à la divine liturgie. Nous constatons en effet que les quotas arbitraires sont appliqués et interprétés avec une rigueur parfois excessive, jusqu’à la fermeture des portes qui affichent « complet », sans autre possibilité de participer physiquement à la Messe. À travers ce témoignage, nous souhaitons encourager nos Évêques, nos Pasteurs ainsi que tous les responsables pastoraux à persévérer dans leur mission en se montrant fermes dans leur intention de sauvegarder la plus large participation à ce qui constitue la source de notre vie spirituelle.

Les disciples témoins de la Passion du Seigneur ont reconnu le Christ ressuscité à la fraction du pain et notre sainte Église enseigne dans sa Tradition que c’est l’Eucharistie qui est source et sommet de toute la vie chrétienne. C’est pourquoi nous désirons recevoir le Corps du Christ, pour autant que nous en sommes dignes, en assistant aussi régulièrement que possible et adéquat à la sainte Messe, car il s’y accomplit le don mystérieux et infiniment précieux de Notre Seigneur et que les grâces qui en découlent sont innombrables. Comme notre faim de la communion, notre soif de se trouver en présence du Très Saint Sacrement est ardente. Devant les portes fermées, nous nous sentons étrangers et écartés de la famille qui est la nôtre, mais surtout privés de ce vers quoi nos cœurs s’élancent lorsque nous laissons une place au Seigneur.

Nous nous inquiétons que le devoir d’obéissance aux autorités puisse faire l’objet d’un zèle plus déterminant que celui que devrait inspirer l’espérance chrétienne. Conscients que la doctrine sociale de l’Église n’impose pas une obéissance aveugle, attitude au détriment du don de Dieu qu’est la raison humaine, nous portons un regard sévère sur l’État de droit et la liberté qu’il offre à la pratique de notre foi. Celle-ci trouve ses ressources dans la rencontre fréquente avec le Christ réellement présent, Signe unique dont l’Église nous partage le trésor. Nous observons tout particulièrement chez les jeunes membres de la communauté en quête sincère d’une relation vivante avec le Père qu’une porte fermée ou un accès refusé à la sainte Messe participent au développement d’une société pleine de tout, mais vide de Dieu.

Durant cette période difficile dont nous n’entrevoyons pas encore le dénouement, une grande lassitude et une frustration profonde ont pu s’installer à l’égard de certaines restrictions imposées aux fidèles. Les rares décisions de justice favorables en Suisse romande, obtenues par l’effort de quelques fidèles, en sont un indice. En plus de l’incompréhension suscitée par la situation, il apparaît que ces mesures font souffrir toujours plus ceux qui se portent bien dans leur corps mais se perdent dans l’âme. L’Eucharistie n’étant pas tant l’objet de la liberté de culte que celui de la vie éternelle que nous espérons dès ici-bas, nous estimons juste et nécessaire de défendre l’accès à la sainte Messe non pas comme une simple expression de la pratique religieuse mais comme notre propre vie. Cela relève de la tâche politique des chrétiens et de l’Église qui en ont les ressources intellectuelles et économiques, mais qui jouissent avant tout d’une liberté inviolable en la matière, fruit de l’espérance.

Nous comprenons et reconnaissons la difficulté de nos Pasteurs à se prononcer contre l’autonomie des autorités pour imposer des restrictions nécessaires à la stabilité, la sécurité et la paix sociales, mais nous craignons que cette difficulté résulte en un découragement et une acceptation de dilemmes impossibles à résoudre. Si l’un des nôtres ne peut communier parce qu’un quota est atteint, lequel d’entre nous mérite-t-il donc sa place ? Nous observons que le cadre légal n’a pas encore été pleinement exploité et que les paroisses ne sont pas dos au mur. Des espaces de participation et de communion sur les parvis des églises peuvent être organisés en dernier recours. Un nombre supplémentaire de Messes peut encore être proposé dans de nombreuses paroisses le dimanche. La tradition de l’adoration eucharistique ne doit également pas être oubliée en ce qu’elle est source inépuisable d’espérance et de grâces dans les temps difficiles. Et s’il devenait impossible de faire plus ou mieux, il serait urgent d’élever la voix et de se prononcer avec fermeté, non pas contre ce qui est difficile à juger, mais pour ce qui nous est certain.

La tristesse et le sentiment d’abandon qui nous serrent le cœur un dimanche sans célébration eucharistique ne nous paraissent pas justifiés par une crise durant laquelle les décisions autoritaires semblent parfois plus dangereuses que ce dont elles se préoccupent. Nous cherchons constamment le courage d’être désormais témoins non pas en premier de la sauvegarde à tout prix d’une vie qui passe mais de l’inestimable trésor d’une vie qui ne passera plus. Il nous est acquis que la charité envers les personnes les plus fragiles ne peut se satisfaire d’une application stricte de normes absolues. Le monde a décidé de lutter avec une exclusivité souvent arbitraire contre un mal particulier, négligeant bien des souffrances moins visibles ou tristement habituelles. Pourtant, il n’est encore interdit de réfléchir à personne, mais il est urgent que cette réflexion soit ordonnée aux vérités éternelles, dont la Présence eucharistique réelle fait intimement partie.

Tout cela nous inquiète et pèse lourdement dans nos vies. Confiants que les sentiments qui nous animent peuvent être la source d’un service concret et d’une présence encourageante, nous souhaitons, par la présente, confier notre disponibilité et notre volonté pour agir et prier de la manière dont l’Église le juge prudent et utile lorsqu’elle entend notre témoignage. Et vous, Chers Pasteurs, nous vous prions humblement et avec patience de persévérer à la sauvegarde de l’accès aux églises en toute heure, en particulier lors des célébrations et adorations eucharistiques, ainsi que de nous encourager à manifester au grand jour, en tant que communauté unie, l’importance sans équivalent de la sainte Messe pour notre vie spirituelle et celle du monde. Nous vous demandons par ailleurs de nous guider résolument dans la nécessité de ne pas négliger les souffrances oubliées et abandonnées de la crise. Nous espérons en votre soutien résolu et audible comme en l’exemplarité nécessaire pour alimenter les vocations. C’est pourquoi nous nous engageons également par cette démarche à poursuivre diligemment nos prières pour que les vies données en Église ne le soient pas en vain et nous nous rendons disponibles pour aider nos Prêtres à préserver la possibilité de chacun de prendre part à la divine Liturgie et d’adorer le Très Saint Sacrement. L’exemple de la béatification récente de Carlo Acutis et l’œuvre qu’il nous a laissée peuvent en ces jours accompagner notre cheminement et nos prières.

Qu’aux croix de ces heures ne s’ajoute pas celle de la division entre frères et sœurs chrétiens. Qu’aucun d’entre nous ne ferme la porte à l’autre par crainte de ce qui est temporel. Si le Seigneur nous offre bientôt de retrouver les libertés que les siècles précédents ont garanti dans le souci de la dignité humaine, quelle ne serait pas notre désolation de trouver ces mêmes églises à nouveau ouvertes mais toujours aussi vides. Nous le voyons pourtant avec inquiétude, nous en sommes témoins, c’est le chemin choisi lorsqu’au désir d’une vie éternelle répond un arbitraire contingent, insulte à la raison et aux droits inviolables.

Que Saint Tarcisius intercède pour l’Église du Seigneur. Que Dieu garde ses Pasteurs et son Église, que l’Esprit Saint encourage leur prudent et courageux discernement et que le Seigneur bénisse les vies données pour l’annonce de Son Amour.

Nous, unis fraternellement,

Signez la lettre via ce lien

Michel A. Staszewicz, étudiant en droit, VD

Bernard Frossard, Président de l’association Esprit de la liturgie, GE

Pauline de Gromard, étudiante en droit, FR

Marie-Aimée Pfyffer von Altishofen, Étudiante en droit, FR

Albane de Gromard, FR

Baptiste Teufel, Séminariste, FR

Eléonore Bleeker, Etudiante en droit, GE

Catherine Olivier, VD

Timothée Gaillard, Étudiant, VD

Justine Favre, Future enseignante secondaire I, FR

Michelle Berchtold, Étudiante en droit, FR

Blanche Darbord, Étudiante, VD

Raphaël Colin, NE

Majkel Gjini, VD

Arbenesha Gjini, VD

Marcelo Hamam, VD

Leonore Cuenot, Étudiante, VD

Nicolas C., Économiste Bancaire, VD

R de Pfyffer, FR

José Frossard, Architecte, GE

Marie-Flavie de Reboul, Étudiante, VD

Clotilde Laarman, Étudiante, VD

Sacha Giuseppe Capozzi, étudiant, GE

Perroset François, NE

Fabienne Malky, Infirmière, VD

Mael Rochat, Étudiant, VD

Marie-Bertrande Duay, Étudiante en droit, VS

Audrey Boniface, VD

Kamila Bezençon, VD

Joanna Kondracka, VD

Iohannes Bry, VD

Albane van den Esch, VD

Francine Kuersteiner, Retraitée, VD

Théodore Ribeiro, étudiant en théologie, FR

Maurice Moreno, Business Advisor, VD

Eugénie Fourier, Étudiante en droit, GE

Jean-Paul Prongué, historien, JU

Agnieszka Badynska Rouquier, VD

Karin Flückiger, Lokführerin, VS

Anne-Francoise Rossier, Mère au foyer, VS

Alain Rouquier, VD

Marie-Astrid Lamy, Médecin, GE

Bernadette Beaud, FR

Charlotte Obez, Etudiante, VD

Jérôme Ulrich, agro mécano, mécano chasse-char ER MEC MOT 1998, VD

Servane Mo Costabella, Mère au foyer, FR

Mariana Gueissaz, Conseillère banque, VD

Marie Bezençon, Étudiante, FR

Leonore Cuenot, Étudiante, VD

Richard Erat, TI

Marie Teufel, Assistante en soins et santé communautaire, FR

Elvire Bucaille, Étudiante en Psychologie, VD

Wolf Brixel, GE

Reynald Petten, Père au foyer, FR

Ghislaine Darbord, VD

Roció HÜGING, Juriste, FR

Ludwika Bezençon, Étudiante en Histoire, VD

Gérard Néri, Retraité, GE

Alexandre Julmy, FR

Véronique Julmy, FR

Eric Bertinat, Horloger diplômé, GE

Dorota Kozuch-Lyzwa, VD

Konrad Brynda, architecte, LU

Roselyne Levrat, Professeur de piano et animatrice de paroisse, FR

Merki David, Étudiant,VS

Florence Wuilloud, Sage-femme,VS

Q.A.W.E.L.F.Marie de Haan, étudiant en relations internationales, GE

Grégoire Mercier, étudiant, GE

Valérie Berthoud, Enseignante, VD

Francine Stucki, VS

Colette HAHN COLIN, Ostéopathe, NE

Renato Zappa, enseignant retraité, VD

Patricio Tribelhorn, étudiant de Philosophie et théologie, FR

Clara Lugon, Étudiante, VS

Raphaël Pengg, Étudiant, GE

Clarisse Richard, GE

Marie-Laure Dupont, Infirmière, GE

Silvia King, VD

Alessia King, Étudiante, VD

Louis de Sereys, FR

Fabrice Bezençon, VD

Mettre en place les ornements du prêtre et préparer le calice pour la messe (forme extraordinaire du rite romain)

Après avoir vu comment préparer l’autel et la crédence le servant doit savoir préparer le calice. En effet, même si c’est normalement à un sous-diacre ou au prêtre de préparer le calice, il peut charger le servant de le disposer. Ce dernier veille alors à ne pas toucher directement le calice avec les mains mais en se munissant si possible de gants en tissu. En effet, seul le sous-diacre peut toucher les vases sacrés (calice et patène) et les linges sacrés (purificatoire, pale et corporal), car il en reçoit le pouvoir lors de son ordination.

Le calice se prépare de la manière suivante : le purificatoire déplié est posé sur les bords de la coupe du calice. La patène contenant une grande hostie est placée sur le purificatoire, la pale est posée sur la patène et l’hostie, le voile du calice recouvre l’ensemble du calice, la croix brodée sur le tissu centrée sur le devant. La bourse contenant le corporal est posée sur le voile du calice la croix brodée vers le haut. Attention à ne pas oublier de mettre l’hostie sur la patène.

On prépare ainsi le calice pour toutes les messe basses et les messes chantées. À la messe basse, on le laissera à la sacristie, et le prêtre entrera en procession en le portant, tandis qu’à la messe chantée avec encensement, le calice sera posé sur la crédence avant la messe, et amené sur l’autel par le cérémoniaire avant l’offertoire.

Préparer les ornements incombe habituellement au sacristain ou à un servant de messe. Celui-ci dispose alors sur le meuble de la sacristie (ou chasublier) les ornements du prêtre de la manière suivante :

Il étend d’abord la chasuble à plat sur le meuble, en mettant le dos de celle ci vers le haut. Il dispose correctement les cordons situé à l’intérieur de la chasuble afin qu’ils ne soient pas visible de l’extérieur.

Sur la chasuble, il dépose l’étole. Il la place en forme de H, c’est-à-dire en plaçant les franges vers le col de la chasuble et la collerette (partie en dentelle) dirigée vers le bas pour être facilement accessible par le célébrant. Il pose ensuite le manipule au milieu, par-dessus l’étole.

Les franges sont également dirigées vers le col de la chasuble et l’attache des pans du manipule placée à droite. Puis il dispose le cordon, les glands dirigés vers la droite (on prends souvent l’habitude d’écrire la lettre M (pour Maria) avec le cordon).

Il place l’aube par-dessus le tout en repliant les manches, et relève la moitié inférieure pour que le célébrant puisse la prendre plus facilement. Enfin il déplie l’amict sur l’aube et dispose convenablement le cordons attachés à l’amict.

À côté des ornements, on déposera la barrette du célébrant.

Les ornements se préparent ainsi à toutes les messes basses et aux messes chantées qui ne sont pas précédées d’une aspersion ou d’une autre cérémonie durant laquelle le célébrant revêtira la chape. Dans ces cas là, on placera la chasuble et le manipule sur la banquette, et le reste des ornements à la sacristie.

Voici donc les règles générales, mais comme à chaque fois, il faut savoir les adapter à la situation, c’est là tout le rôle du cérémoniaire. Observer chaque circonstance, et s’adapter. Les prêtres par exemple ne portent pas tous la barrette. Les voiles de calices n’ont pas toujours de croix, surtout en Italie. Si le célébrant en à l’usage, le cérémoniaire veillera à la présence de la calotte. Ce sont ses qualités d’adaptations qui font un bon cérémoniaire, ce que nous devons tous aspirer à devenir, pour la plus grande gloire de Dieu

Préparation du sanctuaire pour une messe lue (forme extraordinaire du rite romain)

Avant chaque office liturgique, les sacristains doivent mettre en place tout ce qui sera nécessaire au bon déroulement de cet office, principalement dans le sanctuaire (ou chœur) et dans la sacristie. Dans le sanctuaire se trouve l’autel, recouvert de ses trois nappes, et sur lequel sont posés une croix et des chandeliers de part et d’autre. Dans la plupart des églises où l’autel a été conçu pour la forme extraordinaire du rite romain, derrière l’autel se trouvent les « gradins », de chaque côté du tabernacle : c’est sur cela que se posent généralement les chandeliers. Une croix peut être fixée au mur derrière l’autel, auquel cas il n’est pas nécessaire d’en mettre une sur le tabernacle.

Quand il n’y a pas d’office célébré à l’autel, il est recouvert du tapis d’autel (drap placé sur l’autel, par-dessus les trois nappes, pour les protéger). Avant la messe il faut donc l’enlever. On le plie en ramenant les extrémités vers le milieu de l’autel.

Pour préparer la messe pour la forme extraordinaire, il faut placer tout d’abord les canons d’autel. Il y a trois canons à placer dans un ordre précis. Côté épître (à droite), on pose, debout, appuyé contre le gradin de l’autel, le canon sur lequel est inscrite la prière Deus, qui humanae substantiae dignitatem et la prière du lavabo ; au centre, le plus grand des trois canons, qui contient les prières de la consécration, le Gloria, le Credo et certaines autres prières récitées par le célébrant ; côté évangile (à gauche), on place le canon sur lequel est imprimé le dernier évangile contenant le texte du Prologue de Saint Jean.

On dépose ensuite sur l’autel le pupitre et le missel (accompagné d’un lectionnaire contenant la traduction des lectures, si le célébrant souhaite la lire à l’autel). Le tout est placé dans le coin droit de l’autel, appelé aussi le côté épître, puisque c’est à cet endroit que le prêtre la récite. Le missel est posé de telle sorte que le pupitre soit bien droit face au célébrant. La tranche du missel est tournée vers le centre de l’autel, et les signets sont répartis sur le côté pour être accessibles facilement par le prêtre au cours de la cérémonie.

Avant d’allumer les cierges de l’autel, le sacristain ou le servant prépare aussi la crédence. C’est une table recouverte d’une nappe blanche. Elle se place côté épître du sanctuaire « in plano » (« sur le sol » c’est à dire qu’elle n’est pas sur le marchepied de l’autel) entre l’autel et la banquette.

Il faut y placer les burettes sur un plateau. Le manuterge, plié et posé sur les burettes afin de protéger leur contenu. Une des burettes est remplie de vin, l’autre d’eau. On place un bassin pour le Lavabo. On dépose sur la crédence la clochette, un plateau de communion et, si nécessaire, la feuille des prières de Léon XIII (dites « léonines ») qui suivent la messe.

Pour que tout soit prêt dans le sanctuaire pour la célébration de la messe basse, il faut de mettre les signets aux bonnes pages dans le missel d’autel, afin que le célébrant n’ait pas à les chercher au cour de la messe. Sur l’autel, le missel est posé sur un pupitre ou un coussin, légèrement incliné pour lire commodément. Pour savoir où trouver les textes d’une messe, servons-nous d ‘un repère en divisant le missel d’autel en trois grandes parties : le temporal, le canon et le sanctoral. Ces trois parties sont elles-mêmes subdivisées en sous parties.

1) Le temporal contient les textes des messes du dimanche, des fêtes de Notre-Seigneur et aussi le sanctoral du 26 décembre au 14 janvier.

2) La deuxième partie contient les prières du canon de la messe. Ce sont celles qui sont pour toutes les messes et qui comportent les paroles de la consécration. Cette partie du missel est précédée des textes des différentes préfaces de la messe

3) Le sanctoral contient le propre des messes des saints du calendrier liturgique, le commun des messes des saints et les messes votives pour certains jours de la semaine.

Ainsi, la messe du dimanche se retrouvera plutôt dans la première partie du missel. En semaine nous trouverons plutôt la messe du jour du côté du sanctoral. Dans le missel des fidèles nous retrouvons habituellement la même division.

Quand tout est en place, le sacristain ou un servant allume les cierges (pour une messe basse, un de chaque côté de la croix) en allumant d’abord le côté épître, puis le côté évangile. En principe, les chandeliers doivent être allumés à partir de la lampe du sanctuaire (si celle ci est facilement accessible.)

Une fois le sanctuaire ainsi préparé, la cérémonie pourra commencer, et pour que la messe se déroule convenablement et dignement, il faudra que ceux qui la préparent prennent bien soin de ne rien oublier. Si nécessaire, celui qui installe le sanctuaire se fera une liste des choses à préparer. Cela ferait désordre si le servant devait se rendre à la sacristie au milieu de la messe pour aller chercher un objet liturgique que le sacristain aurait oublié.

L’Office Divin comme fondation de notre civilisation et pourquoi il devrait être restauré (Partie II)

Traduit de l’anglais, texte original tiré du blog Modern Medievalism http://modernmedievalism.blogspot.com/2012/10/the-divine-office-as-foundation-of.html

Partie II sur II

Vous pouvez ici retrouver la partie I

De la participation des laïcs médiévaux à l’Office Divin

Nous avons des preuves très nombreuses de la participation à l’Office pour ce qui est de la classe nobiliaire et pour les érudits. Dans n’importe quel grand musée présentant une exposition de trésors médiévaux vous trouverez forcément un Livre d’Heures. Les livres d’Heures étaient des compilations de textes religieux utilisés par les laïcs qui savaient lire. Un livre de ce genre contient habituellement le Petit Office de la Vierge, la Litanie des Saints, certains des Psaumes, l’Office des Morts, et peut-être l’Ordo de la Messe ainsi que les dévotions à pratiquer pendant que l’on y assiste. On pourrait clairement les considérer comme les premiers ancêtres du missel de poche. Les Livres d’Heures avaient tellement de valeur dans la culture médiévale qu’ils étaient richement enluminés. En fait, les Livres d’Heures constituent le plus gros des collections de livres manuscrits enluminés que nous avons conservés.

Cela, bien évidemment, laisse complètement de côté la plus grande majorité des laïcs qui ne savaient pas lire. Ils assistaient cependant volontiers aux Heures avec autant de ferveur que la noblesse. Bien qu’ils ne pussent probablement pas participer à la récitation des Psaumes, il ne paraît pas inimaginable que semaines après semaine, même le plus humble des paysans puisse mémoriser les mots qui composent le Magnificat ou le Te Deum. Ce qui a indubitablement fait de l’Office Divin une dévotion accessible à la plupart des laïcs au Moyen-Âge, c’est le fait que les Heures étaient priées publiquement chaque jour dans les paroisses, quelques soient les personnes qui y assistaient. Même les Matines semblaient sans doute moins ardues pour un laïc illettré qui assistait à l’Office jour après jour depuis sa plus tendre enfance que pour un croyant du XXIème siècle qui y assisterait pour la première fois.

Le caractère public des Offices est le point clef qu’il faut garder à l’esprit. Le fait que dans la norme actuelle de l’Église Latine, les prêtres prient tous les Offices mais de manière privée, est une des causes de la disparition du désir des fidèles de participer aux Offices, et non des moindres. Les Offices ne sont devenus qu’une dévotion mineure consistant à lire un bouquin entre une réunion du conseil paroissial et le dîner, ne jouant dès lors plus aucun rôle dans la vie de foi des laïcs. Le clergé médiéval, avec tous ses défauts, aurait trouvé cela impensable. Gasquet constate la chose suivante durant les visites pastorales, lorsque l’évêque ou son vicaire venait pour inspecter les locaux de la paroisse afin de s’assurer que tout était conforme aux besoins de l’Office :

« Les sources relatives aux visites ad limina montrent bien que l’on attendait même de la plus petite église que son recteur fut en mesure de proposer des livres pour suivre Matines. Ainsi, dans les rapports de visites pastorales des églises paroissiales du diocèse d’Exeter en 1440, on retrouve constamment notes relatives à l’état d’usage des libri matutinales allant de à réparer à état correct. Dans un cas en particulier, il est rapporté que le recteur avait fait construire une nouvelle chancellerie, avait fait beaucoup pour la bonne tenue de son habitation et surtout fournissait des livres pour suivre Matines en bon état. Dans un autre rapport on apprend qu’un recteur avait engagé un scribe afin de rédiger de nouveaux livres. »

Si le recteur n’apportait pas satisfaction aux fidèles concernant Matines, ils ne manquaient pas de s’en plaindre à l’évêque.

« Dans le même diocèse en 1301, il avait été enregistré une doléance des paroissiens de Colebrooke, lors de la visite pastorale, parce que leur vicaire ne chantait pas les Matines lors des Grandes Fêtes avec musique (cum nota), et qu’il disait seulement la Messe un jour sur deux ».

Du déclin de l’Office Public jusqu’à sa disparition

Comment les Offices, pourtant priés publiquement dans les églises, sont-ils tombés en disgrâce dans notre liturgie ? Il y a moultes raisons, mais je me limiterai à quatre théories (ndlr. en réalité cinq).

1) L’invention du Bréviaire, comme je le mentionnais plus haut, permit de synthétiser l’intégralité des Offices en un seul ouvrage, rendant la liturgie plus mobile. Auparavant, l’Office était public presque par nécessité : un livre pour les antiennes, un autre pour les Écritures Saintes, un autre pour les collectes, un autre pour les lectures des Pères de l’Église, et ainsi de suite. Prier l’Office requérait donc une répartition du travail de telle sorte que le clergé devait se rassembler. L’introduction du Bréviaire, incroyablement pratique, eut la conséquence malencontreuse de compartimenter l’Office en quelque chose de plus propice à la dévotion privée.

2) La suppression des stalles et de la clôture de chœur. J’ai récemment mis en ligne un article d’Auguste Welby Pugin, intitulé Earnest Appeal for the Revival of the Ancient Plain Song dans lequel l’architecte démonte sans sourciller la tendance moderne à user de gradins dédiés à la chorale plutôt que d’employer les stalles traditionnellement réservées aux chantres dans le chœur. Pendant la Contre-Réforme, les architectes des églises catholiques enlevèrent en effet les stalles afin de raccourcir le sanctuaire et ainsi d’en rapprocher les fidèles, en réponse aux critiques que leur adressaient les protestants qui reprochaient aux prêtres de couper les fidèles de l’action dans le sanctuaire. Mais la disparition de la clôture de chœur et des stalles a inévitablement eu pour conséquence de laisser penser que le fait de réunir le clergé pour prier publiquement l’Office n’était plus une partie aussi importante de la vie cléricale. Cela a sans aucun doute encouragé le clergé à prier l’office en privé, entre des messes plus nombreuses ou des dévotions jugées plus importantes pour le développement des laïcs dans la nouvelle Église nouvellement réformée.


3) L’étalement urbain. Il est inévitable, mais depuis que les églises ne sont plus le cœur géographique des communautés, force est de constater que cela prend désormais plus de temps pour se rendre à l’église pour prier. Or, comme cela prend plus de temps, cela incite les gens à n’aller à l’église que pour les évènements qu’ils jugent les plus importants.

4) La négligence de l’Église elle-même. Les prêtres et les diacres ne prêchent pas à propos de l’importance des offices ou n’emploient même pas les leçons de ceux-ci à l’ambon. Quand avez-vous entendu pour la dernière fois un prêtre citer dans son homélie les lectures des Matines du jour ? l’antienne des premières vêpres, la veille au soir ? Un prêtre solidement ancré dans l’orthodoxie va mettre l’accent sur le fait d’assister à la Messe, de recevoir la Communion, de prier le Rosaire, d’adorer le Saint Sacrement, de fréquenter les Écritures Saintes, de faire l’aumône ou bien d’aller se confesser. Toutes ces choses-là sont essentielles pour renforcer notre foi. Mais en ce qui concerne l’Office Divin, pas un mot. S’il n’est pas assez important pour y faire seulement allusion dans l’homélie, rien d’étonnant à ce que celui-ci soit effacé de la culture catholique populaire.

5) Le silence des cathédrales. C’est probablement la pire raison parmi toutes. La cathédrale d’une ville, la paroisse de l’évêque même, devrait normalement être un modèle à suivre pour toutes les autres paroisses du diocèse. Lorsque j’ai récemment visité la basilique cathédrale de Saint Pierre et Saint Paul de Philadelphie, je songeais à la quantité d’argent qui avait dû être investi pour que cette église ressemble à un Saint-Pierre en miniature. Et pour autant, six jours sur sept, l’église est généralement vide. Exceptées les quelques messes qui y sont célébrées et une petite fortune dépensée en climatisation, la basilique cathédrale est aussi silencieuse qu’un tombeau. Il est honteux qu’une église aussi opulente, siège du seul archevêque américain canonisé, n’ait pas seulement une seule heure de l’Office Divin de planifiée dans son agenda. On pourrait dire la même chose de la plupart des autres cathédrales aux États-Unis [ndlr : et de France].

La cathédrale Saint Pierre et Saint Paul de Philadelphie, un temple superbe qui ne propose malheureusement aucun office public

Un plan pour restaurer l’Office Public à la place qu’il mérite

Si j’ai donné l’impression d’avoir été excessivement dur précédemment, je reconnais que la restauration de l’Office Divin est plus facile à dire qu’à faire. Je ne prétends pas connaître tous les obstacles auxquels sont confrontés les pasteurs, mais je me permets néanmoins d’offrir les suggestions suivantes qui pourraient s’avérer utiles pour tout prêtre, diacre ou chantre, ou bien toute personne en mesure d’organiser une célébration publique des Heures dans leur église. Si ne serait-ce qu’une paroisse lit et adopte avec succès une des solutions que je vais proposer, je considérerai cet article comme un grand succès.

1) Restaurer les vêpres du Dimanche. L’Heure de Vêpres a longtemps été la plus populaire auprès des fidèles jusqu’au XXème siècle et l’on trouve plus de compositions musicales pour ses hymnes et le Magnificat que pour n’importe quelle autre Heure. Dans l’article précédemment cité de Pugin (Earnest Appeal), on peut lire :

« C’est une monstrueuse erreur que de croire que le peuple ne peut pas entrer pleinement en communion avec l’esprit de l’Office Divin. En France, il n’y a guère de paroisse rurale où les gens ne se joignent pas au chant des vêpres et aux offices avec un sincère dévouement. »

C’était en 1850, bien après la fin du Moyen-Âge. Nous pouvons lire également dans l’article Vêpres de l’Encyclopédie Catholique de 1912 :

« Nous voyons donc toute l’importance de l’attachement constant de l’Église à l’Office de Vêpres. C’est le seul qui a conservé toute sa popularité (excepté, bien entendu le Saint Sacrifice que nous ne qualifions pas ici d’Office) parmi les chrétiens pratiquants jusqu’à ce jour. Matines et Laudes, compte tenu des heures auxquelles elles sont célébrées ont toujours été d’accès plus difficile pour les fidèles ; de même, les petites Heures, excepté peut-être l’Heure de Tierce qui sert d’introduction à la Messe. Les Vêpres au contraire occupent un moment privilégié vers la fin de journée. Les dimanches, c’est l’Office le plus susceptible de réunir les fidèles et, partant, de bien clore le Culte Divin pour la journée. C’est pourquoi, dans la majorité des pays catholiques, la coutume des vêpres dominicales existe depuis si longtemps et est toujours maintenue.

Je dois vous faire part de l’un de mes souvenirs les plus mémorables d’un séjour d’une semaine à travers la France qui remonte à Décembre dernier : j’eus l’occasion d’assister à des vêpres en semaine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris où, bien que je n’aie pu chanter la partie en Français avec les paroissiens locaux, j’ai néanmoins pu associer ma voix à la leur pour le Magnificat en latin, ainsi que le firent tant de générations de chrétiens avant nous.

Au XIXème siècle, l’Église en Amérique pensait toujours que la célébration publique de l’office des Vêpres était bien évidemment essentielle. La deuxième session plénière du concile de Baltimore en 1866, dont les décrets furent approuvés par le pape Pie IX, le réaffirmait :

« que, dans la mesure du possible, des vêpres complètes soient chantées lors des Dimanches et Fêtes dans toutes les Églises, en suivant la coutume Romaine, et que les vêpres ne soient jamais remplacées par d’autres pieuses dévotions ; car la louange solennelle toujours florissante après tant de siècles et approuvée par les évêques de l’Église doit être jugée plaisante à Notre Seigneur Tout Puissant. »

Même la Constitution Sacrosanctum Concilium du second concile du Vatican affirme la nécessité de célébrer les vêpres en paroisse :

« 100. Les pasteurs veilleront à ce que les Heures principales, surtout les vêpres, les dimanches et jours de fêtes solennelles, soient célébrées en commun dans l’église. On recommande aux laïcs eux-mêmes la récitation de l’office divin, soit avec les prêtres, soit lorsqu’ils sont réunis entre eux, voire individuellement. »

Avec autant d’autorités réaffirmant l’importance de la célébration publique des vêpres du dimanche, il est de plus en plus difficile de trouver des prétextes pour ne pas les proposer. Je vois déjà venir néanmoins les deux principales objections, la première étant que cela serait difficile à mettre en place en permettant aux fidèles de suivre sans investir dans des bréviaires. A cela, je réponds que la technologie moderne nous offre désormais des moyens simples pour imprimer l’intégralité de l’Ordo des vêpres, ou de n’importe quelle Heure d’ailleurs, ou bien de les lire sur une simple application sans même avoir besoin de tourner les pages. Je citerai à nouveau l’article de Pugin :

« Il est tellement facile à l’ère de l’imprimante de multiplier les livres pour chorales ad infinitum. Il est tellement simple d’imprimer la musique des cinq messes grégoriennes [les plus courantes, ndlr] afin de les mettre à portée du plus humble des hommes. »

J’ai déjà commencé la mise en page d’un carnet de l’Office Divin imprimable par quiconque le souhaite. Vous trouverez ci-contre une page témoin extraite de l’ordo de Sexte du Bréviaire de 1962 :

Un jour je les mettrai en libre accès pour téléchargement quand j’aurai acquis la capacité de stockage requise. Pour l’heure, je me contenterai de préparer et d’envoyer l’ordo de n’importe quelle Heure, de n’importe quel type de Bréviaire, à quiconque me le réclamera en commentaire ou par mail. [Mise à jour le 10 octobre : grâce à la générosité de Dom. Noah Moerbeek, CPMO, je peux héberger certains de ces fichiers et les proposer en libre accès au téléchargement. Vous trouverez ainsi ici mes versions actuelles de Sexte et de None le Dimanche. Il vous suffit de cliquer pour les télécharger et les imprimer à loisir.]

La seconde objection que je vois poindre, c’est qu’il serait trop compliqué pour les paroissiens de suivre la variation des psaumes, des antiennes ou des hymnes. Le Bréviaire de 1962, grâce aux réformes du pape saint Pie X, simplifie considérablement le problème puisque les psaumes du Dimanche dans l’ordo des vêpres sont toujours les mêmes. La Liturgie des Heures du pape Paul VI possède quant à elle de nombreuses variations, mais l’Église a déjà songé à une solution. En ce qui concerne la dévotion des fidèles laïcs, il est permis de célébrer publiquement les Vêpres avec les propres tirés de n’importe quel office. De là, tant que le clergé récite en privé ses vêpres avec les propres correspondant au jour, les vêpres publiques quant à elles pourraient être célébrées semaines après semaines.

2) Sanctifier les fêtes d’obligation par les vêpres ou les complies. Des siècles durant, il était interdit de célébrer la Messe après le coucher du soleil excepté pour la messe de minuit à Noël. Aujourd’hui cette restriction n’existe plus, ce qui signifie qu’il est d’autant plus facile de remplir nos obligations les jours de fête en assistant à la Messe le soir après le travail ou l’école. Le fait que tant de gens se rendent à l’église le soir pour la messe représente une formidable opportunité pour sanctifier encore plus la journée par le biais d’un des Offices. Si possible, initiez la pratique de l’Office de Vêpres comme préparation à la Messe du soir avec chapes, encens et tout la solennité requise. Si vous rencontrez trop de résistance, vous pourriez au moins vous retirer dans une chapelle latérale, telle que dans celle qui est ordinairement réservée à l’adoration du Saint Sacrement pour prier les Complies après la Messe avec un groupe plus restreint.

3) Marquer l’entrée dans le Jour du Seigneur avec les Vêpres. Bien qu’il soit très commun dans les paroisses de proposer une Messe anticipée du dimanche le samedi soir, peu de catholiques comprennent pourquoi elle compte comme une messe du dimanche. Puisque le Jour du Seigneur débute avec les Vêpres du samedi soir, pourquoi ne pas les célébrer publiquement en préparation de la Messe anticipée ?

4) Mettre en avant les Vêpres de semaine comme la dévotion principale parmi d’autres. L’église Our Lady of the Atonement à San Antonio, où j’ai été baptisé, mérite une mention spéciale car elle propose la célébration de l’Evensong, (ndlr. l’équivalent, dans l’usage anglais, des Vêpres et des Complies) suivi du Chemin de Croix et de la Bénédiction du Saint Sacrement les vendredis soir de Carême. Puisque de nombreuses paroisses offrent déjà des dévotions propres aux vendredi de Carême, il n’y a aucune raison pour que les Vêpres ne puissent pas être incorporées comme dévotions premières.

5) Faire précéder la « principale » Messe du Dimanche par les Laudes ou l’Office de Tierce. Dans les paroisses qui ne proposent qu’une ou deux messes le dimanche matin, cela devrait pouvoir se faire sans trop de difficulté. J’irais jusqu’à dire qu’il serait bon d’annoncer sur la feuille paroissiale que la Messe serait placée « après les Laudes », Laudes qui, pour des raisons pastorales pourraient être priées plus tardivement qu’elles sont supposées l’être habituellement. Pour les paroisses qui célèbrent de nombreuses Messes le Dimanche, l’église est probablement suffisamment large pour disposer d’une chapelle secondaire. Je proposerais qu’un prêtre ou qu’un diacre soit désigné pour célébrer les Laudes ou l’Office de Tierce dans la chapelle avant la « principale » Messe du Dimanche.

6) Utiliser les Vêpres comme une des dévotions pour les servants d’autel et la schola. C’est une idée que j’ai souvent évoquée dans des discussions où l’on «  refait l’Église  ». Dans une paroisse pleine de vitalité, il y a trop de servants d’autel pour qu’ils servent tous en même temps lors de la même Messe. Imaginez si tous les servants et les choristes pouvaient se rejoindre dans le chœur en chapes et surplis pour chanter les louanges divines lors des offices de Vêpres le premier Dimanche du mois. Les stalles du chœur seraient particulièrement pratiques pour cet exercice mais à défaut, les premiers bancs de la nef suffiraient à accueillir tous ceux qui ne tiendraient pas dans le sanctuaire.

7) Désigner un laïc et lui enseigner les Heures afin qu’il puisse les diriger. Je comprends tout à fait que même les prêtres ou les diacres les plus efficaces soient indisponibles pour présider la célébration publique des Offices. Fort heureusement, un laïc peut amplement diriger seul l’Office. Il serait tout à fait indiqué de désigner le paroissien du coin membre de l’Ordre des Chevaliers de Colomb (ndlr. un ordre international de chevalerie né aux USA mais également implanté en France) afin de diriger la liturgie des Heures mais également l’Office des Morts lors des funérailles.

Pourquoi les Offices ont-ils autant d’importance

Si l’Église Catholique demeure la même hier, aujourd’hui et pour l’éternité, il n’y a aucune raison de considérer l’Office Divin comme une relique médiévale obsolète. Il est aussi pertinent aujourd’hui que par le passé. D’ailleurs, nous avons sur nos ancêtres médiévaux un clair avantage : pour la plupart, nous savons lire. Alors que le paysan du Moyen-Âge assistait avec révérence à une liturgie qu’il ne pouvait suivre faute de savoir la lire, et dans un langage qu’il ne maîtrisait pas, nous pouvons facilement produire en masse des livrets pour les offices, et, s’ils ne sont pas rédigés en langue vernaculaire, nous avons la possibilité d’y adjoindre une traduction en face du texte latin. Plus que jamais, nous n’avons aucune excuse pour ne pas mettre l’Office au premier rang de nos dévotions.

Je me permets de conclure avec l’élément le plus important. L’Office est la plus puissante des prières de l’Église après la Sainte Messe. Elle est plus puissante que la Bénédiction du Saint Sacrement, même si le prêtre fait le signe de la Croix avec la présence réelle. L’Office est même plus puissant que le Saint Rosaire avec toutes ses divines promesses et les indulgences qui lui sont attachées. Au Moyen-Âge en particulier on chantait toujours l’Office des Morts avant d’entamer la Messe de Requiem car on considérait que c’était là le meilleur moyen de délivrer l’âme du feu de la purification. J’en termine en citant les mots de saint Alphonse Marie de Liguori dans ses méditations sur l’Office Divin :

« Même un grand nombre de prières personnelles ne pourront avoir une valeur équivalente à une seule prière de l’Office Divin, offerte à Dieu par l’Église universelle dans les mots qu’Il a Lui-même choisis. Ainsi sainte Marie-Madeleine de Pazzi dit que, en comparaison avec l’Office Divin, toute autre prières et dévotions n’ont que peu de mérite et d’efficacité aux yeux de Dieu. Soyons donc convaincus, donc, que, hors le Saint Sacrifice de la Messe, l’Église ne possède pas de source ni de trésor plus abondant que l’Office, duquel nous pouvons tirer quotidiennement de tels torrents de grâce. »

Je suis certain qu’il y a bien plus à dire à propos de la nature spirituelle de l’Office que je n’ai pu le faire, n’étant qu’un humble laïc étudiant en histoire. Je n’ai jamais fait l’expérience de la vie de séminariste ou de moine ; mais je ne peux ignorer à quel point l’Office public était important aux yeux de pieux laïcs durant toute l’histoire de la Chrétienté. Quand j’ai lancé ce blog, je souhaitais démontrer à quel point les idéaux du Moyen-Âge étaient pertinents pour notre époque, en balayant tous les sujets, des plus frivoles, tels que le vêtement ou la calligraphie, jusqu’aux plus importants, tels que le gouvernement et le culte. Dans l’esprit des hommes du Moyen-Âge, rien n’avait plus d’importance que le culte de Dieu dans la liturgie ; et en médiévaliste, je ne vois pas en quoi il devrait en être autrement aujourd’hui. Dès lors, si le contenu de cet article avait éveillé en vous le moindre intérêt en vue de la restauration de la célébration publique de l’office, je vous demanderais de prendre un moment pour le partager auprès de vos amis ou membre de votre famille appartenant au clergé, en formation au séminaire, ou membre de la hiérarchie de l’Église ou membres de n’importe quel mouvement liturgique. Avec l’espérance et par la grâce de Dieu, nous pourrions voir le commencement d’une nouvelle tendance à entendre raisonner dans les murs de nos églises la divine louange de David comme cela se fit jadis dans la Chrétienté.

L’Office Divin comme fondation de notre civilisation et pourquoi il devrait être restauré (Partie I)

Traduit de l’anglais, texte original tiré du blog Modern Medievalism http://modernmedievalism.blogspot.com/2012/10/the-divine-office-as-foundation-of.html

Partie I sur II

Photo de Balog Krisztina sur Pexels.com

Un bref avant-propos : L’objet de l’article est de tirer la première salve au sein d’un mouvement plus vaste de restauration de l’Office Divin comme quelque chose que l’on devrait prier, que l’on devrait chanter avec solennité dans toutes les paroisses de la terre. A titre personnel je n’ai pas le loisir de le prier dans ma dévotion privée, même si j’aimerais pouvoir le faire. Je veux avant tout rappeler au clergé et ou autres « savants » au sein de l’Église des choses qu’ils connaissent déjà, et les inciter à lancer un programme de chant public de l’Office Divin dans leurs églises. Vous remarquerez dans la colonne latérale de mon blog une liste des « Architectes et Défenseurs de la Civilisation Médiévale ». Saint Benoît de Nursie est au sommet de la liste, non seulement pour des raisons chronologiques, mais également pour avoir établi le système monastique tel que nous le connaissons en Occident. Ce système, avec en son centre l’Office Divin, est réellement la fondation sur laquelle repose la culture médiévale. Je ne sais comment insister davantage sur ce point crucial, bien que ce soit ce à quoi je m’essayerai dans tout l’article.

L’Office Divin comme fondation de notre civilisation et pourquoi il devrait être restauré

Par J.T.M. Griffin

Chers amis, cela ne sera sans doute une surprise pour aucun d’entre vous que l’Église, en particulier dans le monde occidental, est en déconfiture. On nous a égrené toute la liste désormais : la fréquentation hebdomadaire des églises est plus bas, des paroisses et des écoles ferment chaque semaine, des dommages et intérêts sont toujours en cours de paiement pour les crimes et abus commis par des membres du clergé. Le « nouveau printemps » qu’appelait de ses vœux le concile Vatican II ne s’est pas produit. C’est en ma qualité de jeune homme que je tiens à souligner le fait suivant : il est extrêmement inhabituel pour quelqu’un de ma génération de fréquenter régulièrement une paroisse catholique, encore plus de s’intéresser à la liturgie, l’art et la musique sacrée, ou à toute chose qui se rattache de près ou de loin à la religion et sur laquelle j’ai pu écrire par le passé. La solennité du Culte a cessé depuis longtemps d’être importante aux yeux de la plupart de mes pairs. C’est pour cela d’ailleurs que la plupart des grandes cathédrales européennes sont essentiellement devenues des musées, et c’est aussi pour cela que si la tendance moderne à l’apathie religieuse se poursuit, elles deviendront bientôt des ruines.

Et puisque l’effondrement de la pratique religieuse en Occident n’est une surprise pour personne, il ne manque pas non plus de tentatives d’y remédier, particulièrement pour ramener les jeunes à l’église. De la « rave party » (ndlr., fêtes qui rassemblent des amateurs de musique techno) au groupe de rock animant la messe en passant par des soirées pizza, les lock-ins (ndlr., soirées américaines organisées par leurs jeunes qui y participent, durant lesquelles ils s’enferment dans un lieu pour y faire leurs activités sans que personne n’entre et ne sorte pendant un temps déterminé) ou les rassemblements hebdomadaires « autour du feu de camp » où l’on discute des sentiments des uns et des autres, l’Église a tout essayé, sans grand succès, les cathédrales restant silencieuses pour la plupart. Un nombre croissant de jeunes gens dont je fais partie attendent simplement de l’Église Catholique qu’elle soit l’Église Catholique : qu’elle ne s’excuse pas de son christianisme, qu’elle soit fière de n’avoir pas connu de réforme, qu’elle emploie toutes ses croyances et pratiques « rétrogrades » remisées pour le moment. Le Mouvement Liturgique a déjà fait de grands pas en avant dans ce domaine. Grâce à lui, nous avons récolté de grands bénéfices en obtenant une traduction fidèle en anglais de la Messe et un regain d’intérêt pour le chant grégorien. De plus en plus de paroisses offrent la messe en forme extraordinaire du rite romain. D’autres pratiques extra-liturgique prennent de plus en plus de place dans la dévotion privée des catholiques, comme la prière du Rosaire et l’adoration du Saint Sacrement. Cependant, un des aspects les plus importants de la liturgie traditionnelle chrétienne a été complètement oublié : l’Office divin.

Qu’est-ce que l’Office divin ? Un (trop) bref tour d’horizon historique

L’Office divin (aussi appelé Liturgie des Heures) est le processus par lequel on sanctifie les périodes de sa journée par le biais de prières liturgiques. De l’aurore au crépuscule, les moines, les prêtres et les laïcs se rassemblaient tous sans distinction dans les églises à des heures déterminées de la journée pour chanter des chants de louange à Dieu selon un ensemble de prières très strictement fixé : pratique liturgique donc, mais distincte de la Messe. Les cantiques et les hymnes de l’Office tels que le Magnificat, Nunc dimittis, et le Te Deum sont des pièces que la musique classique a immortalisées, mais reposent avant tout dans le recueil des 150 psaumes de David. L’idéal monastique traditionnel tel qu’exprimé par saint Benoît au Chapitre 18 de sa Règle, c’est que le moine chante l’intégralité de ces 150 psaumes tout au long de la semaine. L’Office offrait le cadre dont le moine Bénédictin avait besoin pour organiser son travail sacré.

Suivre l’Office Divin n’était pas cependant une invention de Benoît, loin de là, ni même de l’un de ses prédécesseurs. Le fait de prier les Heures renvoie à une période qui précède l’incarnation même du Christ. Lorsque les anciens Israélites furent conquis et dispersés par les Babyloniens, le Temple de Salomon fut détruit. N’étant plus en mesure d’offrir les sacrifices d’animaux dans leur lieu saint, les juifs érigèrent les premières synagogues, où ils offraient des prières en sacrifice, en chantant les Psaumes à des heures spécifiques de la journée.

Photographie du forum latin à Rome

Plus tard, sous la domination de Rome, les Juifs expatriés aux quatre coins de l’empire finirent par adopter la méthode romaine d’associer le défilement des heures à un appel à la prière. Une cloche retentissait sur le forum à Rome, ainsi que sur tous les fora de tous les carrefours commerciaux de l’empire, à 6 heures du matin pour indiquer l’ouverture des commerces, qu’ils qualifiaient de « Première heure ». Les sonneries de midi, la « Sixième heure », indiquaient l’heure du repas et du repos (le mot espagnol pour la sieste de l’après-midi, siesta, maintenant la tradition en référence directe à sexta, la sixième heure selon la façon latine de compter les heures). On sonnait à trois heures de l’après-midi, la « Neuvième heure », pour remettre les gens au travail afin de profiter pour celui-ci des dernières lueurs du jour. La sonnerie finale retentissait au crépuscule pour indiquer la fermeture des boutiques.

En ayant cela à l’esprit, les références dans la Bible mentionnant les Apôtres qui suivaient scrupuleusement les Heures pour prier deviennent beaucoup plus claires. On lit par exemple que « Pierre et Jean se rendirent au temple à la neuvième heure pour prier » (Actes 3 :1), ou que « Pierre se rendit à l’étage de ses appartements pour prier, aux alentours de la sixième heure » (Actes 10 :9) ; mais également que « à minuit, Paul et Silas, louaient Dieu dans leur prière. Et ceux qui étaient en prison les entendaient. » (Actes 16 :25). Dans les premiers temps de l’Église, la prière des Heures était sans doute plus une dévotion privée qu’une véritable composante de la prière liturgique. Cela allait changer rapidement avec le développement de la Messe.

Durant les temps de persécution, la liturgie eucharistique, célébrée dans les catacombes ou aux domiciles des fidèles, était précédée les jours de grandes solennités par une vigile qui débutait à la tombée de la nuit précédente et s’achevait avec l’Eucharistie à l’aurore. Les premiers chrétiens chantaient des hymnes de louange tires avant tout des Psaumes, mais sans doute également de leur propre composition (le Gloria et le Te Deum par exemple), ainsi que des leçons tirées d’autres passages des Écritures Saintes. Ces prières prirent suffisamment d’importance pour être distinguées de la liturgie Eucharistique sans pour autant en être déconnectées. De même que les Juifs associaient le début du jour au crépuscule, on peut imaginer les premiers chrétiens débuter leur vigile par ce que l’on finirait par appeler les Vêpres. La vigile se poursuivrait ainsi tout au long de la nuit en une série de veillées, qui pourraient très bien être les origines des nocturnes du grand office des Matines. La dernière portion de la vigile, pour coïncider avec l’aurore, était réservée à la louange divine que nous appelons désormais les Laudes. Les grandes vigiles de l’Église primitive expliquent dès lors l’existence des trois Heures majeures (Vêpres, Matines, Laudes) de l’Office traditionnel, alors que c’est dans les sons de cloche pour marquer les heures de la vie latine qu’il faut chercher les raisons de l’existence des trois Heures mineures de l’Office (Tierce, Sexte et None). Ce qui signifie donc que Prime et Complies devaient être les moins anciennes des prières de la liturgie des Heures. Ces deux dernières furent introduites dans les communautés monastiques avant de se diffuser plus largement dans toute l’Église. Alors que les premiers monastères priaient de manière assez habituelle les Matines et les Laudes au beau milieu de la nuit, cela laissait suffisamment de temps aux moines pour aller se recoucher, n’ayant pas d’obligations avant l’office de Tierce. Se lever ainsi à neuf heure le matin passait pour de la paresse aux yeux de certains abbés, et c’est ainsi qu’une Heure supplémentaire fut introduite, celle de Prime, afin de s’assurer que le moine se lèverait à l’aurore. Enfin il faut parler des Complies, dont certains prétendent qu’elles sont introduites par saint Benoît lui-même, afin que ses moines disposent d’une prière convenable juste avant d’aller se coucher.

En fin de compte, vers le VIème siècle, la prière de l’Office Divin se déroulait sans doute de la manière suivante :

Vêpres : crépuscule (aux alentours de 6h de l’après-midi, quoique s’ajustant aux variations des saisons)

Complies : avant de se coucher (9h du soir)

Matines : n’importe quelle heure entre minuit et l’aurore

Laudes : immédiatement après les Matines

Prime : au lever du soleil (6h du matin)

Tierce : En milieu de matinée (9h du matin)

Sexte : Au milieu du jour (midi)

None : Au milieu de l’après-midi (3h de l’après-midi)

Encensement de l’autel durant les vêpres, accompagné du Magnificat en la chapelle du Merton College, Oxford

L’Office : pierre angulaire de la culture médiévale

Très rapidement, l’Office Divin fut perçu comme une obligation, voire comme l’essence même du devoir du clerc dans l’Église. Les constitutions Apostoliques, un manuel d’instruction du clergé du IVème siècle, mentionne ainsi : « Offrez donc vos prières le matin, à la 3ème, la 6ème et la 9ème heure, le soir et au chant du coq. » Jusqu’à ce jour, tous les clercs, sauf quelques exceptions, appartenant aux ordres majeurs sont tenus de prier l’Office quotidiennement. Cette obligation est si vitale que le prêtre n’est nullement tenu de célébrer la messe, même le Dimanche, cependant que s’il saute ne serait-ce qu’un office du jour sans une bonne raison, il commet un péché mortel. L’Église l’a imposé au clergé car un de ses premiers devoir de clerc est de vivre une vie de prière, et nulle prière n’est aussi puissante que celle de l’Office. Au Moyen-Âge, prier les Heures était littéralement une composante à part entière de la fiche de poste d’un clerc : si on apprenait qu’un clerc négligeait son devoir de célébrer l’Office Divin, on pouvait lui refuser sa paye, ainsi que sa nourriture.

Ce qui est encore plus remarquable, cependant, c’est à quel point les offices faisaient partie intégrante de la vie des paysans ou citoyens laïcs ordinaires du monde médiéval qui, eux, pour le coup, n’étaient pas tenus sous serment de prier la liturgie des Heures. Nombreuses sont les sources qui attestent que c’était une coutume en Angleterre avant la Réforme Protestante pour le peuple d’arriver à l’église pour assister aux Matines puis aux Laudes avant la Messe du Dimanche [note du traducteur : cette coutume est encore fort répandue en Orient, où de nombreuses paroisses célèbrent Matines et Laudes avant la messe du dimanche]. Bien sûr cela interroge d’un point de vue pratique : si les Matines étaient priées au milieu de la nuit, ainsi que nous l’avons vue précédemment, pourquoi les laïcs quitteraient leurs maisons pour assister aux offices à une heure si inhabituelle pour eux ? L’abbé Gasquet suggère dans son livre, Parish Life in Mediaeval England, que dans les paroisses, les Matines du dimanche débutaient à 6 ou 7 heures du matin. Il cite par exemple saint Thomas More qui écrit :

« Some of us laymen,’ he says, ‘thinke it a payne in a weeke to ryse so soon fro sleepe, and some to tarry so long fasting, as on the Sonday to com and hear out they Matins. And yet is not Matins in every parish, neyther, all thynge so early begonne norfully so longe in doyng, as it is in the Charterhouse, ye wot wel. »

« Certains d’entre nous, laïcs, dit-il, pensons que c’est un vrai déchirement de se lever une fois par semaine si tôt de sa couche ou de demeurer aussi longtemps en jeûne, le dimanche, pour venir écouter les Matines. Et cependant, Matines n’est point chantée en toute cure, ni n’est commencée si tôt et ne dure si longtemps qu’en Chartreuse, comme vous le savez. »

On peut à minima se dire que le défi de se lever tôt le matin ne date pas d’hier, mais on peut surtout constater que l’horaire des Matines a été suffisamment ajusté pour permettre aux fidèles d’y assister. Gasquet poursuit en expliquant que la Messe était célébrée vers 9 ou 10h du matin, permettant ainsi aux laïcs d’avoir suffisamment de temps pour rentrer chez eux, rompre le jeûne, avant de revenir à l’église. Cela met particulièrement en lumière deux éléments : premièrement que la Communion n’était pas reçue régulièrement à cette époque (ou bien ils n’auraient pas eu le droit de rompre le jeûne avant la Messe), et deuxièmement que le fait d’assister aux Matines puis Laudes étaient si important pour les fidèles qu’ils étaient prêts à prendre la peine de se lever très tôt le matin pour assister aux offices, avaient le temps de rentrer chez eux, pour finalement revenir à l’heure pour la Messe. Puisque les Heures matinales n’étaient pas célébrées comme un rite préparatoire à la Messe, le peuple des fidèles y assistait seulement pour leurs mérites propres ! De plus, Gasquet nous explique que les fidèles revenaient encore une fois à l’église plus tard dans la journée, sur les coups de 14 ou 15h pour assister aux Vêpres.

Si cela peut paraître une quantité excessive d’offices à suivre pour un laïc, il faut néanmoins comprendre que la liturgie n’était rien de moins que le principe vital de toute dévotion religieuse au Moyen-Âge. Assister à la liturgie, que ce soit pour la Messe ou pour les Offices, était d’ailleurs la principale raison du repos dominical. Ces jours-là, le travail des serfs, bien que n’étant pas nécessairement contraire à la loi séculière (ce qu’il devint sous le règne de la reine protestante Elizabeth), était cependant considéré comme un péché mortel. (Il est intéressant de remarquer à ce propos que, de manière similaire à la pratique Juive, Dimanche « commençait à l’heure des Vêpres du Samedi », comme c’est d’ailleurs toujours le cas dans les offices aujourd’hui). Si l’on apprenait qu’un homme travaillait le Dimanche, il pouvait être nommément dénoncé depuis l’ambon.

La loi médiévale n’était pas pour autant déraisonnable sur ce point qui se trouvait tempéré par des exceptions. L’achat et la vente de nourriture ainsi que de produits de première nécessité, la gestion des hôpitaux, et la préparation de marchandises en vue de l’ouverture des commerces le lundi, entre autres exemples, étaient tous autorisés. Mais même ces exceptions montrent que la liturgie des Heures avait un statut quasi obligatoire même pour un laïc. Il est possible de lire la chose suivante dans Dives and Pauper, un texte religieux anglais de la période médiévale :

« Also messengers, pilgrims, and wayfarers that might well rest without great harm are excused, so that they do their duty to hear Matins and Mass, if they mown, for long abyding in many journeys is costful and perilous. »

« C’est le cas également des messagers, pèlerins et voyageurs qui peuvent bien se reposer sans causer grand tort et ne sont pas tenus de leur obligation d’assister à Matines ainsi qu’à la messe, s’ils font grasse-matinée, car il est coûteux et périlleux de vivre de longues journées d’un effrayant voyage. »

La Suite en partie II…

La résurrection de Sacrosanctum Concilium

« Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » (Luc 9 : 22)

Toute grande œuvre de l’Église suit le chemin de la vie terrestre du Christ. Portée par l’Esprit Saint elle commence dans un printemps de joie, puis arrive l’hiver de la passion et de la mort apparente et, enfin, elle fleurit dans l’été de la résurrection et de la gloire.

La théologie carmélitaine enseigne cette vérité avec une précision particulière au sujet de l’ascension spirituelle des âmes. Celles-ci ne peuvent qu’atteindre la perfection en traversant l’épreuve que saint Jean de la Croix nomme la nuit de l’esprit, formée de tourments terribles, intérieurs et extérieurs, que sainte Thérèse d’Avila décrit en détail dans la sixième demeure de son Château intérieur.

Ceci est tout aussi vrai pour l’œuvre des conciles. Le grand archevêque, missionnaire et intellectuel, le vénérable Fulton Sheen, affirmait ainsi, en 1979, peu avant sa mort :

« Les tensions qui ont eu lieu après le concile ne sont pas étonnantes pour ceux qui connaissent entièrement l’histoire de l’Église. C’est un fait historique qu’à chaque fois qu’il y a une descente importante de l’Esprit Saint, tel que pendant un concile œcuménique, il y a toujours des attaques supplémentaires de l’anti-Esprit, du démon. » (A Treasure in Clay, p. 308)

En effet, après le concile de Nicée, au IVe siècle, la crise dite « arienne » qu’il était censé corriger s’empira au contraire, au point il où fallut convoquer 50 ans plus tard, le concile de Constantinople, pour y mettre enfin un terme. Et que dire du grand concile de Trente, qui répondit brillamment, point par point, aux divers « réformateurs » protestants ? Il eut lieu de 1545 à 1563, et les guerres de religion qui mirent à feu et à sang notre pays, entre catholiques et protestants, elles, commencèrent… en 1562.

Qu’en fut-il de la réforme liturgique des deux derniers siècles ? Née brillamment au 19e siècle dans les cœurs, les esprits et les lieux de cultes de profonds théologiens et hommes d’Église, elle fut peu à peu portée jusqu’au Magistère, d’abord avec la réforme du bréviaire de saint Pie X, ensuite avec celle de la semaine sainte du vénérable Pie XII et, enfin, le concile œcuménique Vatican II consacrait les fruits de ce travail dans sa constitution Sacrosanctum Concilium, qui donna les principes théologiques et pratiques généraux d’une réforme d’ensemble du culte catholique. Voici, pourrait-on dire, les mystères joyeux de la réforme liturgique.

Mais que se passa-t-il ensuite ? Il est difficile de décrire l’ampleur du désastre qui arriva, de la passion et de la mort qu’a traversé cet aspect si essentiel de la vie de l’Église catholique. Peut-être pourrions-nous commencer par l’illustrer avec cette description de la place du culte au congrès mondial de la revue Concilium de 1970, cinq ans après la clôture de Vatican II, qui regroupait alors l’élite mondiale de la théologie catholique. Tracey Rowland, membre actuelle de la Commission théologique internationale, rapporte ainsi l’expérience du père dominicain Cornelius Ernst, alors présent :

Celui-ci s’est « plaint que les organisateurs aient conçu le congrès comme un événement politique, un exercice pour faire pression sur les autorités de l’Église […] ; qu’il n’y ait pas eu de messe les jours de semaine ; que la messe du dimanche ait été différée pour le bénéfice des médias et dominée par une « chorale d’écoliers belges chantant des airs sautillants’ […] » (Catholic Theology, p.91)

La description est brève, mais suffisante pour que quiconque est familier de Sacrosanctum Concilium puisse saisir la contravention la plus totale de son enseignement dans ce qui devrait être une rencontre hautement spirituelle. Moins d’une décennie après l’écriture et l’adoption de ce texte, il était déjà manifestement ignoré et méprisé par ceux qui auraient dû être les mieux placés pour le comprendre et le vivre. L’on pourra mentionner, en passant, que la débâcle manifeste de Concilium pesa certainement lourdement dans les facteurs qui poussèrent, en 1972, les pères Hans Urs Von Balthasar, Joseph Ratzinger et Henri de Lubac à fonder Communio, la revue qui devait heureusement prendre le relai comme figure de proue de la recherche théologique catholique.

Si l’état de la liturgie était tel parmi l’élite de l’Église, malheureusement sur le terrain, dans les paroisses, diocèses et communautés religieuses, les choses n’allaient pas autrement. Sans passer trop de temps sur ceci – les descriptions seraient longues, et les abus sont encore dans la mémoire de beaucoup – nous citerons simplement le constat d’un des plus grands artisans du Renouveau liturgique du milieu du XXe siècle, qui était un soutien initialement enthousiaste des efforts de réforme postconciliaires, le père Louis Bouyer. En 1968, trois ans après la clôture du concile, il affirmait :

« Une fois de plus, ici, il faut dire les choses sans ambages : il n’y a pratiquement plus de liturgie digne de ce nom, à l’heure actuelle, dans l’Église catholique. La liturgie d’hier n’était plus guère qu’un cadavre embaumé. Ce qu’on appelle liturgie aujourd’hui n’est plus guère que ce cadavre décomposé. » (La décomposition du catholicisme, p. 144)

Le constat est on ne peut plus sévère. Le culte catholique serait donc passé d’un état dominant de formalisme souvent creux, vécu sans en pénétrer véritablement le sens, et donc avec peu de profit spirituel, à un état de chaos généralisé. Plutôt que de faire revivre la liturgie, les premiers efforts de réforme de la faire sortir de son état « embaumé, » l’auraient plutôt amenée à celui pire encore de « décomposé. » Avant, il restait au moins la forme. Ensuite, même pas cela. Les principes et règles fondamentales du culte catholique n’étaient plus réellement vécus, ni dans les gestes, ni dans les cœurs.

La liturgie est donc bien morte au courant des années 1960. Après le printemps de la redécouverte par le mouvement liturgique de ses principes théologiques, historiques et spirituels, qui furent ensuite consacrés par le magistère, elle fut conduite à sa flagellation, son humiliation et, finalement, à son meurtre.

« ‘Femme, pourquoi pleures-tu ?’ Elle leur répond : ‘On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a déposé.’ » (Jean 20:13)

Cependant, l’Église est indéfectible. Elle ne peut pas s’effacer devant les portes de l’Enfer, et cela implique que ses attributs essentiels possèdent cette grâce aussi. L’Église aura ainsi toujours une hiérarchie et des sacrements valides, elle préservera toujours le dépôt de la foi, et elle ne perdra jamais, au moins totalement, l’essence de sa liturgie. Le peuple de Dieu est par nature un peuple de prêtres, de sacrifice et de louange, une assemblée vouée au culte. Toute mort concernant sa liturgie sacrée ne peut donc qu’être apparente, et elle ne peut qu’être permise temporairement par la volonté du Très Haut pour la purification de son peuple, pour l’amener à un plus grand rayonnement de sa Gloire, même si un tel châtiment peut durer quarante années dans le désert.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

« Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » (Jean 2 : 19)

Méditons le passage du livre des Rois dans lequel, pendant la rénovation du Temple ordonnée par le roi Josias, il y eut une découverte inattendue :

« Le grand prêtre Helcias dit au secrétaire Shafane : ‘J’ai trouvé le livre de la Loi dans la maison du Seigneur.’ […] Après avoir entendu les paroles du livre de la Loi, le roi déchira ses vêtements. […] Le roi fit convoquer auprès de lui tous les anciens de Juda et de Jérusalem. […] Il s’engageait à suivre le Seigneur en observant ses commandements, ses édits et ses décrets, de tout son cœur et de toute son âme, accomplissant ainsi les paroles de l’Alliance inscrites dans ce livre. Et tout le peuple s’engagea dans l’Alliance. » (2 Rois 22-23)

L’on avait alors perdu le Livre de la Loi ! Au point de l’avoir oublié… Mais quand le grand roi Josias entendit pour la première fois les paroles inspirées, il engagea une réforme générale de la religion et de la liturgie des Hébreux, qui était tombée dans un chaos à peu près complet, jusqu’à un culte idolâtrique, rendu aux Baals et autres divinités païennes, qui se tenait dans le Temple de Salomon.

Ne sommes-nous pas dans une situation analogue ? Qui peut lire les paroles inouïes en majesté de Sacrosanctum Concilium sans sentir quelque chose comme le déchirement intérieur de Josias ? Nous avons tellement erré ! Et la parole de l’Église de Dieu est si grande, belle et vraie !

Que faut-il faire ? Il est l’heure de la résurrection, qui doit tout d’abord avoir lieu dans nos cœurs et nos actes. Comme le peuple de Dieu sous la conduite de Josias, il faut revenir à l’attitude la plus fondamentale dans le service du Seigneur : « Ecoute, Israël ! » (Deut. 6 : 4)

Oui, écoute ! Que dit vraiment le saint concile ? Voilà la voie à suivre. Résumons sa spiritualité :

« La liturgie est le sommet vers lequel tend l’action de l’Église, et en même temps la source d’où découle toute sa vertu. » (SC §10)

Oui, rien n’est plus important que la liturgie car « tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. » (Mat. 22 : 37-38) Et la liturgie est le lieu où nous servons Dieu, où nous l’aimons, le plus directement, le plus immédiatement et le plus puissamment.

Dans toutes les autres circonstances de la vie, nous honorons le Seigneur en lui offrant le sacrifice d’actes qui ont pour objet immédiat et premier des choses du monde. Mais dans son culte sacré, nous lui offrons le sacrifice de sa propre Parole, de son Corps et de son Sang. Rien ne peut être supérieur à cela, et par nul autre moyen pouvons-nous entrer dans une communion plus profonde et plus complète avec Lui. C’est seulement dans le Temple que l’eau vive peut-être puisée avec une telle profondeur pour le salut du monde. Il ne peut donc rien y avoir au-dessus de la liturgie dans la vie de l’Église. La pensée du contraire serait le signe que l’on est tombé dans une forme d’idolâtrie ou une autre, mettant quelque chose au-dessus du service du Très Haut.

Ensuite, la liturgie se reçoit. « C’est pourquoi absolument personne d’autre, même prêtre, ne peut, de son propre chef, ajouter, enlever ou changer quoi que ce soit dans la liturgie. » (SC §22) La source de la liturgie est la Tradition, et le Saint-Siège est le modérateur premier de celle-ci. Ce qui resterait ensuite de décisions graves sont confiées aux évêques. Voilà les règles à suivre, et les seules.

Comme le culte de l’ancienne alliance, dont les règles sont déployées en détail dans le Pentateuque, le culte de la nouvelle alliance se reçoit et ne s’invente pas. Nous adorons Dieu selon la manière qu’il nous donne de le faire par son Église, et cela passe par la Tradition, le Saint-Siège et la hiérarchie épiscopale. Les initiatives liturgiques ne respectant pas ces fondements et qui ont fleurie ces cinq dernières décennies sont donc des attitudes absolument anticatholiques et sacrilèges.

Ensuite, la liturgie doit être vécue de manière toujours plus profonde par le chrétien :

« Cette participation pleine et active de tout le peuple est ce qu’on doit viser de toutes ses forces dans la restauration et la mise en valeur de la liturgie. Elle est, en effet, la source première et indispensable à laquelle les fidèles doivent puiser un esprit vraiment chrétien ; et c’est pourquoi elle doit être recherchée avec ardeur par les pasteurs d’âmes, dans toute l’action pastorale, avec la pédagogie nécessaire. » (SC §14)

Qu’entend le concile par l’expression de « participation pleine et active » ? Cela signifie que la liturgie ne peut rester qu’un acte extérieur et formel pour être vécue en vérité. Le chrétien doit tendre toujours plus à vivre intérieurement et réellement les actes que le culte lui donne d’accomplir. Et cela doit être « recherché avec ardeur. »

Ainsi, le Kyrie eleison doit être une réelle imploration de la miséricorde de Dieu, comme celle du publicain de l’Évangile, qui par cette humilité « était devenu un homme juste. » (Luc 18 : 14) Le Sanctus doit être une exultation parmi les Séraphins. La consécration doit être un moment d’oblation et d’adoration totale devant le Mystère le plus élevé de Dieu se rendant présent sur l’autel. Chaque geste, antienne, lecture et chant doit devenir progressivement un moment, une action, vécue toujours plus pleinement dans sa vérité.

D’ailleurs, que seraient nos cultes sinon ? Qu’est-ce qu’un homme qui dit « credo, » mais ne croit pas ? Qui se mettrait à genoux, et n’adorerait pas ? Qui se frapperait la poitrine, sans se repentir ? De son trône dans le Tabernacle, le Seigneur ne serait-il pas en train de le regarder comme les pharisiens ? « Hypocrite ! »

Et, bien sûr, cette sincérité, cette droiture, ne peut pas se limiter au temps de culte pour que la liturgie soit vécue pleinement. Celle-ci ne peut que véritablement vivre et rayonner si elle est vécue dans une vie chrétienne sincère et fervente en tous ses autres aspects essentiels :

« Pour obtenir cette pleine efficacité, il est nécessaire que les fidèles accèdent à la liturgie avec les dispositions d’une âme droite, qu’ils harmonisent leur âme avec leur voix, et qu’ils coopèrent à la grâce d’en haut pour ne pas recevoir celle-ci en vain. » (SC §11)

Il serait, en effet, impossible d’essayer d’entrer dans les mystères les plus élevés de Dieu, déployés dans le culte, sans par ailleurs que nous fassions de réels efforts de cheminement vers la sainteté. Cela implique, au minimum, d’adhérer pleinement à la foi de l’Église, de rejeter tous les péchés, de cultiver les vertus et en particulier la charité, d’avoir une vie de prière personnelle et de pénitence régulière, et de participer à la hauteur de ses moyens à l’apostolat de l’Église. En d’autres termes, cela implique de chercher à vivre l’Évangile en toutes ses dimensions.

Car la liturgie est bien la source et le sommet de la vie chrétienne. Comme Moïse montant converser avec le Seigneur au Sinaï, le chrétien va s’y ressourcer et adorer son Dieu, et il en revient ensuite, rayonnant de grâces, apporter la lumière au monde. Elle est à la fois le lieu où le baptisé puise l’eau vive à répandre, et l’autel où il offre ensuite les mérites acquis au Dieu trois fois saint. Mais si cette vie n’est vécue que partiellement, le cycle, pour ainsi dire, de réception et de transmission des grâces est rompu. Nous arriverions à l’autel les mains vides, en imposteurs. Nous nous présenterions pour recevoir le salaire des moissonneurs sans avoir moissonné. « Comment es-tu entré ici, sans avoir le vêtement de noce ?” (Mat. 22 : 12) Et le Seigneur ne saurait tolérer un serviteur qui ne porte l’eau vive à personne. « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. » (Mat. 7 : 19) Seule une âme véritablement animée par l’Esprit de l’Evangile, configurée au Logos éternel, peut traverser le rideau du Temple pour vivre ce qui se déroule dans le saint des saints.

Cependant, si la théologie et la spiritualité de Sacrosanctum Concilium sont bien vécues dans leur intégralité, en vérité, la liturgie devient le lieu par excellence où l’on va, comme l’écrivait saint Grégoire de Nysse, au sujet de la vie spirituelle, «de commencement en commencement, par des commencements qui n’ont pas de fin. » L’on s’y élève à Dieu avec une puissance inégalable, et l’on obtient en retour des grâces extraordinaires pour le monde. Car la liturgie est « l’action sacrée par excellence dont nulle autre action de l’Église ne peut atteindre l’efficacité au même titre et au même degré. » (SC §7)

Comment donc sauver le monde ? Que ressuscite Sacrosanctum Concilium ! Prenons aujourd’hui la constitution du saint concile et lisons là à nouveau, comme Josias, les anciens, et le peuple de Juda. « Ecoute, Israël !» Et puis, surtout, faisons ensuite ce qu’elle dit : « Quiconque entend ces paroles que je dis et les met en pratique, sera semblable à un homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc. » (Mathieu 7 : 24)

L’Esprit Saint aujourd’hui s’adresse à nous, comme à saint Augustin, peu avant son illumination : « tolle, lege, » « prend, lis ! » Si comme lui, nous voulons recevoir la grâce de la régénération spirituelle, de la résurrection, nous devons obéir à la Parole sacrée. Il n’y a pas d’autre voie. Et quand cela sera fait, la crise actuelle de la liturgie sera alors bien rapidement un mauvais souvenir, comme le sont aujourd’hui la crise arienne et tant d’autres, et l’Église rayonnera d’une gloire d’une splendeur qui nous est difficilement concevable, nous qui sommes nés au désert.

Et cela arrivera, avec certitude, car toute mort apparente du Corps mystique du Christ, où d’un de ses attributs essentiels, ne peut que mener à sa résurrection, qui aura infailliblement lieu « au troisième jour. » Qu’il vienne !

Le baiser de paix

Texte original tiré du blog The Modern Medievalist (http://modernmedievalism.blogspot.com/2015/04/the-kiss-of-peace.html), traduit de l’anglais.

Saviez-vous que le 31 mars est la journée internationale du « Hug a Medievalist » (littéralement : faîtes un câlin à un Médiéviste) ? Moi, je l’ignorais jusqu’à récemment, mais puisque personne ne fit de câlin à votre serviteur, j’ai plutôt pensé à écrire sur cette curieuse effusion de sentiments affectueux que connaissent bien tous nos ancêtres médiévaux : le baiser de paix. Vous semble-t-il étrange et inquiétant ? Bien au contraire, nombre d’entre vous en sont déjà familiers, dans un certain sens. Mais avant que nous remontions le cours du temps, observons ce qui se fait autour de nous.

Lors de n’importe quel dimanche dans votre paroisse catholique du coin de la rue en périphérie urbaine (ou bien épiscopalienne ou luthérienne), juste avant la Communion, quelqu’un nous annonce solennellement : « Frères et Sœurs, dans la charité du Christ, donnez-vous la paix. ». Ensuite, et afin de se préparer à recevoir Dieu Tout-Puissant sous la forme du pain et/ou du vin, nous effectuons une rotation sur nous même en faisant face à tous les coins de la Terre ; Nord, Sud, Est, et Ouest, afin de bien afficher notre meilleure mine chrétienne et administrer le geste de paix à nos voisins. Dans ce pays (ndlr, les États-Unis), nous nous tournons par défaut vers la vénérable poignée de main Antique, mais d’autres usages locaux privilégient au choix : la tape dans le dos, le check du poing, le serre-pince viril mais fraternel, ou, pour les plus pudiques d’entre nous, le salut de la main. Le salut traditionnel, « La paix soit avec toi » devient alors un sésame pour nous introduire plus profondément dans les mystères de la fraternité Chrétienne. « Belle journée, hein ? », ou bien « T’as maté le match d’hier soir ? », ce à quoi la réponse silencieuse d’un hochement de tête et l’air entendu de l’initié qui sait précisément de quel match il est question, achèvent la préparation à la Communion de l’homme moderne.

C’est en tout cas la version à laquelle les autorités veulent que nous adhérions. Le « geste de paix », tel que nous le connaissons aujourd’hui, fut introduit auprès des catholiques en 1970, dans le cadre de la réforme de l’ordo de la messe. La plupart des fidèles lambda n’avaient probablement pas la moindre idée de ce qu’ils devaient faire et encore moins de la signification de ce rituel. Je ne peux qu’imaginer les prêtres aiguillonnant leurs fidèles durant les premières années de cette nouvelle liturgie en les guidant par l’exemple : quittant l’autel du sacrifice pour aller taper dans les mains de toutes les personnes des premières rangées. Environ quarante ans plus tard, ils ne sont toujours pas parvenus à tous nous y convertir. Quelques-uns des prêtres les plus conservateurs en matière de liturgie, qui célèbrent toujours la nouvelle Messe, exercent l’option peu connue consistant à omettre le rituel de paix entièrement. D’autres fidèles se prélassent dans la douce absence de rituel de paix prévue par la messe latine dans sa forme extraordinaire, se riant de la plèbe coincée dans Novus Ordo Land alors qu’eux n’ont eu à avoir aucun contact physique avec qui que ce soit le dimanche précédent. D’autres tradis coincés dans une paroisse moderne pour faire plaisir à mamie sont connus pour avoir trouvé la parade en gardant les mains dans leurs poches ou bien en s’agenouillant et en jouant le rôle du serviteur souffrant, mentalement transportés au pied de la croix au milieu du brouhaha et des interjections de la foule au Calvaire, conservant une apparence aussi désespérée et absorbée dans les grands mystères que possible.

Mais si je vous disais que le geste de paix est traditionnel ? A la différence cruciale cela dit que je ne parle pas de n’importe quel geste ; pas de la poignée de main de paix, ni même du « bro-hug » (littéralement – le câlin fraternel) de paix, ni du fistbump (Le poing à poing) de paix ; mais bien plutôt du baiser de paix. Dans la messe en forme extraordinaire, le prêtre doit toujours, après avoir baisé l’autel, étreindre le diacre, qui à son tour étreint le sous-diacre, le sous-diacre étreignant le maître de cérémonie, chaque membre de la chorale, et ainsi de suite dans une grande chaîne. C’est d’ailleurs fait au même moment que dans la forme ordinaire, après le Pater et juste avant la Communion. Mais quelle différence dans l’esprit du rituel ! Foin de poignées de main bizarres et les « la paix du Christ » marmonnés. A la place, les deux rites demandent traditionnellement au ministre qui donne la paix de placer ses mains avec sobriété sur les épaules de celui qui la reçoit, de se pencher vers l’oreille de ce-dernier et de dire, « Pax tecum » (la paix soit avec toi). Celui qui reçoit répond alors, « Et cum spiritu tuo » (Et avec ton esprit), puis passe la paix au ministre le plus proche. Et là, nous comprenons pourquoi le rituel n’est pas traditionnellement appelé le « geste » de paix ou même le « baiser » de paix, car il n’y a pas à proprement parler d’embrassade, ni même est-ce un symbole de quelque chose qui préexiste : c’est un don spontané de paix, dans une chaîne ininterrompue du Christ à l’autel jusqu’au dernier fidèle. C’est la pax même.

Les origines de la pax

Le baiser a été en usage dans l’Église dès ses premiers temps. C’est ainsi que saint Paul recommande aux Romains : « Saluez-vous les uns les autres avec un saint baiser » et que saint Pierre écrit dans sa première épître : « Saluez-vous par un baiser de charité ». Dès le IIème siècle, le baiser était intégré à la liturgie. Saint Justin le Martyr le décrivait ainsi lors de sa messe quotidienne : « quand nous avons accompli les prières, nous nous saluons les uns les autres avec un baiser, et c’est à partir de ce moment-là que l’on amenait à celui qui préside, le pain et la coupe de vin. » Là, et en d’autres endroits de la Chrétienté Antique, le baiser de paix était échangé entre les fidèles avant ce que l’on qualifiera plus tard d’Offertoire. Le principe dont il procède c’est l’enseignement du Christ dans les Évangiles : « Donc, lorsque tu vas présenter ton offrande à l’autel, si, là, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton offrande, là, devant l’autel, va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite viens présenter ton offrande. »

Mais à Rome, peut-être après la refonte du Canon par le pape Grégoire le Grand, ou peut-être plus tôt, la pax a été déplacée à sa place actuelle après le Pater et avant la Communion, et on lui a donné une autre importance. La pax n’était plus seulement un acte de réconciliation avec un frère, bien qu’elle continuât de l’être, mais désormais, elle se trouvait liée directement au mystère pascal, prenant une part entière dans la préparation à la Communion. Dans cette première partie du Moyen-Âge, la paix était toujours connectée à l’acte de recevoir le corps et le sang du Seigneur. La compilation de Michael Foley sur la pax cite deux exemples : d’abord, une homélie de Grégoire le Grand au sujet de moines convaincu d’être sur le point de faire naufrage qui échangèrent la pax et reçurent la Communion en vue de leur mort imminente ; et le second, l’exemple de sainte Marie d’Égypte, qui donna au moine qui lui apportait l’Eucharistie la pax. Jusqu’à récemment, la pax se trouvait omise lors de la messe des morts et lors du Vendredi Saint, probablement car la Communion des fidèles l’était également lors de ces cérémonies.

Dans les premiers siècles du Christianisme, la pax consistait en un baiser sur les lèvres. Le fait qu’un tel geste entre deux hommes dans nos sociétés actuelles serait irrémédiablement perçu comme un acte homoérotique est une des raisons majeures pour laquelle les architectes de la réforme liturgique de Vatican II ont suggéré d’y substituer la poignée de main. Mais au premier siècle après Jésus Christ, ce n’était pas le cas. Lors de la Passion, quand Judas trahit le Christ par un baiser nous comprenons que le Christ lui-même n’était pas contre cette pratique. Cela étant, alors que les années passaient et que le feu initial, l’innocence de la foi des premiers chrétiens s’est ternie, les problèmes commencèrent à survenir. Le baiser sur les lèvres était toujours considéré pour autant comme un acte intime entre des membres d’une même famille (l’Église se considérait alors comme une seule et même famille spirituelle) ou entre des amants. Saint Clément d’Alexandrie se plaignait par exemple de ce que le baiser de paix était devenu à son époque : perturbateur et lascif lorsqu’il était échangé entre hommes et femmes. C’est ainsi que l’échange de la pax fut proscrit entre hommes et femme. Au Moyen-Âge, il n’était pas rare de voir cela garanti par une stricte séparation entre hommes et femmes de part et d’autre de l’église. Je ne suis pas certain de pouvoir déterminer quand précisément l’usage est tombé en désuétude dans l’Église Latine, mais le Code de Droit Canon de 1917 le recommande toujours. Et, bien sûr, de nombreuses Églises de rite Oriental maintiennent toujours jusqu’à ce jour la séparation des sexes avec les hommes à droite et les femmes à gauche.

La pax connut une seconde période de déclin au tournant du deuxième millénaire, lorsque les Chrétiens à l’Ouest perdirent progressivement l’habitude de communier toutes les semaines -que ce soit dû à un respect accru à l’égard de la pureté du sacrement ou à une conscience augmentée de leur propre indignité, un certain état d’esprit à l’égard de l’acte de recevoir continuellement le Sacrement de l’Eucharistie, ou bien une combinaison des deux, je ne saurais le dire. Mais on observe qu’à mesure que diminue la régularité de la pratique de la Communion, le don de la pax diminue également puisque, à cette époque, elle était toujours vue principalement comme un acte préparatoire. Bien que l’Église médiévale ne fit guère d’effort de promotion de la pratique régulière de l’Eucharistie, elle insista cependant grandement sur la nécessité de maintenir l’échange de la pax. Les Anglais introduisirent un nouveau moyen de l’échanger : le pax-brede, une icône de l’agneau de Dieu, que le peuple pouvait approcher jusqu’au jubé et embrasser presque en lieu et place de la Communion. Les paxbredes étaient généralement fait en argent, mais également d’ivoire ou d’autres précieux matériaux. Les paroisses plus pauvres qui n’en avaient pas les moyens y substituaient un crucifix, l’Évangéliaire, à la place. La mode du pax-brede gagna vite du terrain et de là se répandit dans tout le reste de l’Europe occidentale.

Hélas, la nature peccamineuse de l’homme eut raison de lui à nouveau et s’ensuivit une nouvelle période d’abus et de déclin aux XVème et XVIème siècle, au début de la Réforme Protestante. Vous vous souvenez de la méthode hiérarchique de la pax dans la messe en Forme Extraordinaire actuelle que je décrivais plus haut : prêtre, diacre, sous-diacre, et ainsi de suite jusqu’au bout du sanctuaire par ordre de rangs. C’était le cas au Moyen-Âge également ; mais quand il s’agit de l’échanger au sein d’une congrégation toute entière, les choses deviennent alors beaucoup plus complexes. Qui est suffisamment légitime pour dire que le boulanger devrait donner le baiser de la pax avant la fille du meunier ? Ce qui était prévu pour instaurer la paix entre les membres de l’Église du Christ devenait au contraire une pomme de discorde. C’est ainsi qu’Eamon Duffy a pu écrire dans son ouvrage majeur, Le dépouillement des autels :

En 1494, les gardiens de la paroisse de Tous les Saints, Stanyng, présentèrent au juge Joanna Dyaca pour avoir brisé le paxbrede en le jetant au sol car, disait-elle «  une autre femme de la paroisse l’avait embrassé avant elle ». Le jour de la Toussaint de l’an 1522, Maître John Browne de la paroisse de Theydon-Garnon dans l’Essex, ayant baisé le pax-brede lors de la messe paroissiale, le fracassa sur le crâne de Richard Pond, le clerc portant l’eau bénite qui le lui avait tendu, « causant l’écoulement de torrents de sang sur le sol ». Brown avait éclaté de rage car le paxbrede avait d’abord été présenté à Francis Hamden et son épouse Margery quand bien même il avait prévenu le clerc Pond le dimanche précédent : « Clerke, if thou here after givest not me the pax first I shall breke it on thy hedd. » (Littéralement – Clerc, si tu es encore là alors que tu ne m’as pas donné le paxbrede en premier, je te promets que je le casserai sur ta tête).

Le pax-brede passa alors de mode un peu plus tard durant la Contre-Réforme, et dans les rares endroits où l’on en fait encore l’usage, il tend à être réservé au clergé ou aux dignitaires.

Sacraliser le séculier, séculariser le sacré

Avant de réagir avec désapprobation à cette litanie d’échecs et de vouloir consigner la pax aux oubliettes de l’histoire liturgique, je serais négligeant de ne pas mentionner à quel point ce rituel a transformé la société médiévale elle-même. Le baiser a trouvé sa plus haute expression dans la pax, mais il s’intégrait également dans d’autres rituels. Le catéchumène recevait le baiser après le baptême. Le prêtre nouvellement ordonné, ou l’évêque récemment installé, achevait son élévation aux saints ordres par le baiser. Par la suite, le monde laïc s’y mit également. De même que le prêtre, le chevalier fraichement adoubé parachevait son serment d’allégeance par un baiser de paix. Les royaumes et principautés de cette époque turbulente adoptèrent également le baiser de paix comme une alternative à la promesse de mettre fin aux hostilités.

Quand le roi Henry II et saint Thomas Becket finirent par trouver un terrain d’entente après des années de conflits au sujet des droits sur le siège de Canterbury, Thomas demanda que le siège et son sauf-conduit lui soient garantis non par un serment, mais par un baiser de paix. Même si tout avait été organisé pour, Henry se ravisa au dernier moment à cause de cette condition, en prétendant qu’il avait juré de ne jamais donner le baiser de paix à Becket. Quelle qu’en soit la raison, Henry ne voulut jamais se raviser, quand bien même le pape avait offert au roi de le libérer de son serment, et c’est ainsi que la réconciliation piétina pendant plus d’un an pour une question insignifiante que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de cérémonielle. Becket se décida finalement à revenir à Canterbury sans le baiser. Quelques jours plus tard, et sans la garantie de sécurité que procurait le baiser par sa simple reconnaissance sociale et par la seule force de son usage si répandu, il fut assassiné par quatre chevaliers au service d’Henry dans sa propre cathédrale.

Dans notre monde moderne, ainsi que dans beaucoup d’autres choses, il semblerait que nous comprenions la chose à l’envers. L’Église médiévale apporta la Paix de Dieu à la table des rois et des princes et sanctifia la diplomatie par le biais du baiser de paix. L’Église contemporaine, à la suite des réformes du second concile du Vatican, choisit de restaurer cette tradition dans une forme dégradée en substituant la poignée de main commune (ou l’inclinaison, ou toute autre gestuelle séculière marquant le respect) en lieu et place du baiser de paix. Les effets, comme je les décrivais au début de cet article, sont apparemment intentionnels (il suffit de lire l’article du P. Thomas Reese qui écrit favorablement sur le sujet : « Le baiser à la fin de la liturgie de la Parole symbolise le fait que la communauté accepte le message qu’ils viennent d’entendre. Ils se serrent la main en se disant « c’est entendu ».). G.K. Chesterton a pu écrire que, « Le réformateur voit souvent juste quand cela concerne ce qui est mauvais. Mais il est généralement mauvais quand il parle de choses bonnes. » Les liturgistes progressistes disaient à juste titre qu’il était impossible de revenir directement au baiser de paix sur les lèvres compte tenu de la culture actuelle ; mais ils avaient tort de le restaurer de manière artificielle en l’imposant aux fidèles sous une forme très dégradée. Même dans les premiers temps de l’Église, on distinguait le « saint baiser » des salutations communes de l’époque.

L’Église préconciliaire n’est pas exempte de toute part de responsabilité. Les rubriques de l’ancien Missel requerraient de pratiquer la pax par amplexus (étreinte) seulement lors des messes solennelles chantées, mais cette forme était tellement rare au XXème siècle que de nombreux Catholiques avaient pu vivre et mourir sans jamais y avoir assisté. Le missel permettait également à la schola et aux ordres mineurs de recevoir la pax par l’utilisation du pax-brede lors des messes basses ou lors des messes chantées, les messes les plus fréquentes, mais c’était rarement pratiqué. A quoi les pères du Concile s’attendaient-ils après Vatican II alors que l’immense majorité des fidèles n’avaient jamais assisté réellement au véritable rituel de paix ? si ce n’est à un chaos complet ?

Ma proposition est simple. Elle se fonde sur la prémisse qu’une tradition aussi vénérable que la pax devrait être préservée. D’abord, en ce qui concerne les communautés qui célèbrent la messe en forme extraordinaire, qu’ils célèbrent le plus souvent possible la messe solennelle chantée et de faire en sorte que la pax soit échangée par tous les ministres et les choristes présents au sein du sanctuaire. Si une messe basse ou chantée est offerte, que les options permises par l’ancien missel soient utilisées à savoir que la pax soit échangée entre tous les ministres par l’usage d’un pax-brede (ou bien un crucifix ou une icône similaire) à toutes les messes, quand bien même il n’y aurait qu’un unique servant présent. Ensuite, concernant le novus ordo de la messe, si omettre la paix intégralement semble être une bonne solution à titre temporaire, une tentative à court-terme de réparer ce qui peut l’être, elle aboutira sur le long terme à un abandon définitif de la pratique, comme on a pu le voir pour les prières au pied de l’autel, le Dernier Évangile, et tout un tas d’autres prétendues accrétions médiévales (comme si elles étaient mauvaises). Que l’on supprime l’invitation par le diacre à tous les fidèles de « s’échanger un geste de paix », d’accord. Mais que l’on permette aux prêtres et à tous les ministres de pratiquer la pax exactement comme dans l’ordo traditionnel de la messe, puisqu’il n’y avait rien d’anormal avec celui-ci. Et par la suite, après quelques années, quand les fidèles auront pris la mesure de la gravité et de la solennité de la pax traditionnelle, comme une étape préparatoire en vue du mystère pascal, émanant de la paix du Christ depuis l’autel, peut-être que nous pourrions ainsi cheminer vers la pax en ayant une meilleure compréhension des paroles mêmes de la Liturgie : « O Lord Jesus Christ, who saidst to Thine Apostles, ‘Peace I leave with you, My peace I give unto you’: regard not my sins, but the faith of Thy Church: and vouchsafe to grant her peace and unity according to thy will » (Seigneur Jésus, Toi qui as dit à tes Apôtres : Je vous laisse ma paix, Ma  paix je vous la donne : ne regarde pas mes péchés, mais la foi de Ton Eglise : Garantis lui cette paix que tu promets et l’unité que tu réclames.)

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