Esprit de la Liturgie

Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Les Psaumes, voix du Christ et de l’Eglise

Qu’il s’agisse de la Messe ou de l’Office, le Livre des Psaumes fournit une grande partie, pour ne pas dire l’essentiel des textes constituant la prière publique de l’Eglise, en Orient comme en Occident. Cette forme poétique et mystérieuse de prière, dominée par la figure du Juste, préfiguration du Christ, manifeste le mystère de l’homme confronté à ces sentiments si contradictoires que sont l’amour, la haine, la joie, le désir de louange, le repentir, le désespoir et l’espérance, enfin la confiance en Dieu. Loin du sentimentalisme et de l’irénisme modernes, la spiritualité concrète, incarnée et réaliste proposée par les psaumes représente la voie privilégiée que la Tradition chrétienne a choisi pour chanter à Dieu la «laus perennis», la louange à la fois individuelle et communautaire à la Très Sainte Trinité. La première partie du texte qui suit est extrait de l’ouvrage «Les psaumes commentés par les Pères», (collection Les Pères dans la foi, n°1-2, p.13-15); la seconde partie reprend le texte d’une catéchèse du pape Benoit XVI prononcée lors d’une audience générale en 2011. Nous remercions les moines de l’abbaye Notre-Dame de Randol de nous avoir fourni, dans le cadre de leurs Journées liturgiques, les références des différents textes ayant servi de base à ce dossier.

«Qu’y a-t-il de meilleur qu’un psaume? C’est pourquoi David dit très bien: Louez le Seigneur, car le psaume est une bonne chose: à notre Dieu, louange douce et belle! Et c’est vrai Car le psaume est bénédiction prononcée par le peuple, louange de Dieu par l’assemblée, applaudissement par tous, parole dite par l’univers, voix de l’Eglise, mélodieuse profession de foi» (S. Ambroise de Milan, Psal. 1, 9: PL14, 924).

Jésus et les psaumes

« A lire les Évangiles, le lecteur constate que le Psautier est le livre de l’Ancien Testament de beaucoup le plus cité. Il représente un tiers de toutes les citations bibliques. Le Christ lui-même se réfère explicitement aux psaumes. Une première fois, quand il cite aux scribes le psaume 109, où David appelle le Messie «son Seigneur». Comment peut-il dès lors être son fils? Ce texte se trouve dans les trois synoptiques. Plus nettement encore, après la Résurrection, Jésus apparaît aux disciples réunis à Jérusalem. Il mange sous leurs yeux, puis leur fait la remarque: «Ce sont là mes paroles telles que je vous les ai dîtes, quand j’étais encore avec vous: il fallait que s’accomplît tout ce qui est écrit à mon sujet, dans la loi de Moise, les prophètes et les psaumes» (Lc 24, 44).

Dans les Evangiles, chez Luc surtout, les citations tirées des psaumes paraissent surtout dans les moments importants de la vie de Jésus, comme le livre de sa mission et de sa prière. Au Tentateur, il réplique par une citation du psaume (Mt 4, 6, avec citation du psaume 90, 11-12) que nous commenterons plus loin. Les trois citations, rapportées par l’évangile johannique, se trouvent dans la bouche même de Jésus. Les psaumes lui sont si familiers qu’ils paraissent souvent des réminiscences inconscientes. « Il les utilise avec une pénétration, une liberté qui contrastent singulièrement avec la superficialité et la raideur littérale des scribes. Il trouve en eux la Parole de Dieu, fondement de ses exigences (Mt 5, 35), expression de sa prière (Mt 26, 36; 27, 46).» (A. George).

Cette Parole lui annonce surtout et lui découvre le mystère de sa passion, de sa mort et de sa résurrection. Le repas d’adieux s’ouvre et s’achève par le chant du Hallel (Ps. 112/117). Les psaumes 21 et 68 apparaissent en filigrane, dans le récit de la crucifixion et de la mort. Deux évangélistes rapportent que le Crucifié récita en croix le psaume «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?». Offrande et prière se fondent là dans une même liturgie, où le don suprême accomplit l’histoire et les prophéties.

Solidaire des «pauvres d’Israël», seul et abandonné, objet de mépris comme le psalmiste, le Christ sait que l’abandon et la déréliction ne sont pas le dernier mot de la prière, mais la certitude de l’efficacité de la souffrance et de l’épreuve. Jésus a conscience, comme il l’avait annoncé, du triomphe de l’opprimé, de l’avènement du règne de Dieu, du rassemblement universel autour du Serviteur glorifié.

La figure du Juste qui espère en Dieu dans l’épreuve est l’un des thèmes majeurs du Psautier.

Saint Luc place sur les lèvres expirantes de Jésus la prière du psaume 30: «Entre tes mains, je remets mon esprit». Expression de la paix et de la confiance entre les mains de son Père, dernier cri sur la route du retour à Lui. Prière que les générations chrétiennes pour la suite des siècles répètent à la chute du jour.

Il faut aller plus loin et nous interroger sur le rapport existentiel entre Jésus et les psaumes. «Le Christ allait hériter, dit Péguy, d’un monde déjà fait et pourtant il allait tout entier le refaire.» Jésus a vécu et prié l’histoire tourmentée des hommes, traversée d’infidélités et de relèvements, pétrie d’appels désespérés, quand l’impie écrase le juste. Les psaumes exprimaient l’expérience de l’humanité: l’amertume du péché, la vacuité du succès et de la richesse, la solitude et la confiance, et, comme les hommes sont pécheurs, la vindicte et l’imprécation. »

La question des psaumes imprécatoires

A propos de ces psaumes, qui peuvent décontenancer le chrétien moderne par la violence ou la haine qui s’en dégage, S. Thomas d’Aquin écrivait dans la Somme théologique: «Ces sortes d’imprécations contenues dans l’Ecriture sainte peuvent s’interpréter de trois manières: Premièrement, comme prédictions et non comme souhaits; ainsi: «Que les pécheurs aillent en enfer» veut dire: ils iront en enfer. Deuxièmement, comme des souhaits; mais alors le souhait ne se rapporte pas à la peine des hommes mais à la justice de celui qui punit; ainsi parle le Psaume: «Le juste se réjouira en voyant la vengeance», car Dieu lui-même, en punissant, «ne se réjouit pas de la perdition des impies», dit la Sagesse, mais de sa justice, car dit le Psalmiste: «Le Seigneur est juste et aime la justice». Troisièmement, comme un désir d’éloigner le péché, et non comme un désir de la peine elle-même: l’on souhaite ainsi que les péchés soient détruits et que les hommes vivent». (Saint Thomas, Somme théologique, II II 25/6/3).

En d’autres termes, « Jésus a assumé ce fleuve de boue, y compris la vindicte et la vengeance -devant lesquelles nous, esprits délicats, faisons la fine bouche-, non pour les cautionner mais pour les convertir en prière. Véritable Job de l’histoire universelle, il est venu l’éclairer de la lumière qui était en lui et qui vient transfigurer le monde. Il assume «le péché du monde» pour amener une humanité souillée jusqu’à la pureté de la Source et lui frayer un passage vers Dieu. Tel est, selon le mot d’Augustin d’Hippone, l’admirable chantre des psaumes» (Les psaumes commentés par les Pères, p. 13-15).

Vindica Sanguinem!

VINDICA SANGUINEM. Ce sont là les deux premiers mots d’une prière que l’Eglise adresse à Dieu, pour lui demander d’exercer la vengeance. Nul n’en saisira le sens profond s’il n’a d’abord souffert; s’il n’a jamais écouté un choeur de moines chanter cet Introit de la messe des martyrs, phrase musicale qui, de deux mots parmi les plus durs sur des lèvres d’hommes, vengeance, sang! fait une prière de pardon et de douceur, d’une sérénité poignante, d’une majesté inégalable. C’est l’appel à la seule vengeance qu’un Dieu d’amour veuille exercer -et les chrétiens avec Lui.

Catéchèse du pape Benoit XVI sur les psaumes, audience générale, 22 juin 2011.

Chers frères et soeurs,

Dans les précédentes catéchèses, nous nous sommes arrêtés sur plusieurs figures de l’Ancien Testament particulièrement significatives pour notre réflexion sur la prière. J’ai parlé d’Abraham qui intercède pour les villes étrangères, de Jacob qui pendant la lutte nocturne reçoit la bénédiction, de Moïse qui invoque le pardon pour son peuple, et d’Elie qui prie pour la conversion d’Israël. Avec la catéchèse d’aujourd’hui, je voudrais commencer une nouvelle étape du parcours: au lieu de commenter des épisodes particuliers de personnages en prière, nous entrerons dans le «livre de prière» par excellence, le livre des Psaumes. Dans les prochaines catéchèses nous lirons et nous méditerons quelques-uns des Psaumes les plus beaux et les plus chers à la tradition de prière de l’Eglise. Je voudrais aujourd’hui les présenter en parlant du livre des Psaumes dans son ensemble.

Le Psautier se présente comme un «formulaire» de prière, un recueil de cent cinquante psaumes que la tradition biblique donne au peuple des croyants afin qu’ils deviennent sa prière, notre prière, notre manière de nous adresser à Dieu et de nous mettre en relation avec Lui. Dans ce livre, toute l’expérience humaine avec ses multiples facettes et toute la gamme des sentiments qui accompagnent l’existence de l’homme trouvent leur expression. Dans les Psaumes se mêlent et s’expriment la joie et la souffrance, le désir de Dieu et la perception de la propre indignité, le bonheur et le sentiment d’abandon, la confiance en Dieu et la douloureuse solitude, la plénitude de vie et la peur de mourir. Toute la réalité du croyant se retrouve dans ces prières, que le peuple d’Israël tout d’abord et ensuite l’Eglise ont assumées comme médiation privilégiée de la relation avec l’unique Dieu et comme réponse adaptée à sa révélation dans l’histoire. En tant que prière, les psaumes sont des manifestations de l’âme et de la foi, où tous peuvent se reconnaître et dans lesquels se communique cette expérience de proximité particulière avec Dieu à laquelle chaque homme est appelé. Et c’est toute la complexité de l’existence humaine qui se concentre dans la complexité des différentes formes littéraires des divers Psaumes: hymnes, lamentations, supplications individuelles et collectives, chants de remerciement, psaumes pénitentiels, psaumes sapientiels et d’autres genres que nous pouvons retrouver dans ces compositions poétiques.

Malgré cette multiplicité expressive, deux grands domaines qui synthétisent la prière du Psautier peuvent être identifiés: la supplique, liée à la lamentation, et la louange, deux dimensions reliées et presque inséparables. Car la supplique est animée par la certitude que Dieu répondra, et cela ouvre à la louange et à l’action de grâce; et la louange et le remerciement naissent de l’expérience d’un salut reçu, qui suppose un besoin d’aide que la supplique exprime.

Dans la supplique, l’orant se lamente et décrit sa situation d’angoisse, de danger, de désolation, ou bien, comme dans les psaumes pénitentiels, il confesse sa faute, le péché, en demandant d’être pardonné. Il expose au Seigneur son état de besoin dans la certitude d’être écouté, et cela implique une reconnaissance de Dieu comme bon, désireux du bien et «amant de la vie» (cf. Sg 11, 26), prêt à aider, sauver, pardonner. C’est ainsi, par exemple, que prie le Psalmiste dans le Psaume 31: «En toi Seigneur j’ai mon refuge; garde-moi d’être humilié pour toujours […] Tu m’arraches au filet qu’ils m’ont tendu; oui, c’est toi mon abri» (vv. 2.5). Dans la lamentation peut donc déjà apparaître quelque chose de la louange, qui se préannonce dans l’espérance de l’intervention divine et qui se fait ensuite explicite quand le salut divin devient réalité. De manière analogue, dans les Psaumes d’action de grâce et de louange, en faisant mémoire du don reçu ou en contemplant la grandeur de la miséricorde de Dieu, on reconnaît également sa propre petitesse et la nécessité d’être sauvés, qui est à la base de la supplication. On confesse ainsi à Dieu sa propre condition de créature inévitablement marquée par la mort, mais pourtant porteuse d’une désir de vie radical. Le Psalmiste s’exclame donc, dans le Psaume 86: «Je te rends grâce de tout mon cœur, Seigneur mon Dieu, toujours je rendrai gloire à ton nom; il est grand, ton amour pour moi: tu m’as tiré de l’abîme des morts» (vv. 12-13). De cette manière, dans la prière des Psaumes, la supplique et la louange se mêlent et se fondent dans un unique chant qui célèbre la grâce éternelle du Seigneur qui se penche sur notre fragilité.

C’est précisément pour permettre au peuple des croyants de s’unir à ce chant que le livre du Psautier a été donné à Israël et à l’Eglise. En effet, les Psaumes enseignent à prier. Dans ceux-ci, la Parole de Dieu devient parole de prière — et ce sont les paroles du Psalmiste inspiré —, qui devient également parole de l’orant qui prie avec les Psaumes. Telle est la beauté et la particularité de ce livre biblique: les prières qui y sont contenues, à la différence d’autres prières que nous trouvons dans l’Ecriture sainte, ne sont pas insérées dans une trame narrative qui en spécifie le sens et la fonction. Les Psaumes sont donnés au croyant précisément comme texte de prière, qui a pour unique but de devenir la prière de celui qui les assume et avec eux s’adresse à Dieu. Etant donné qu’ils sont la Parole de Dieu, celui qui prie les Psaumes parle à Dieu avec les paroles mêmes que Dieu nous a données, il s’adresse à Lui avec les paroles que Lui-même nous donne. Ainsi, en priant les Psaumes on apprend à prier. Ils sont une école de la prière.

Il advient quelque chose d’analogue lorsque l’enfant commence à parler, c’est-à-dire qu’il apprend à exprimer ses sensations, ses émotions, ses besoins avec des mots qui ne lui appartiennent pas de façon innée, mais qu’il apprend de ses parents et de ceux qui vivent autour de lui. Ce que l’enfant veut exprimer est son propre vécu, mais le moyen d’expression appartient à d’autres; et lui peu à peu s’en approprie; les mots reçus des parents deviennent ses mots et à travers ces mots il apprend aussi une manière de penser et de sentir, il accède à tout un monde de concepts, et il grandit à l’intérieur de celui-ci, il entre en relation avec la réalité, avec les hommes et avec Dieu. La langue de ses parents est enfin devenue sa langue, il parle avec les mots reçus des autres qui sont désormais devenus ses mots. Ainsi en est-il avec la prière des Psaumes. Ils nous sont donnés pour que nous apprenions à nous adresser à Dieu, à communiquer avec Lui, à lui parler de nous avec ses mots, à trouver un langage pour la rencontre avec Dieu. Et à travers ces mots, il sera possible aussi de connaître et d’accueillir les critères de son action, de s’approcher du mystère de ses pensées et de ses voies (cf. Is 55, 8-9), afin de grandir toujours davantage dans la foi et dans l’amour. Comme nos mots ne sont pas seulement des mots, mais qu’ils nous enseignent un monde réel et conceptuel, de même ces prières aussi nous enseignent le cœur de Dieu, si bien que non seulement nous pouvons parler de Dieu, mais nous pouvons apprendre qui est Dieu et, en apprenant comment parler avec Lui, nous apprenons à être homme, à être nous-mêmes.

A cet égard, apparaît significatif le titre que la tradition juive a donné au Psautier. Il s’appelle tehillîm, un terme hébreu qui veut dire «louanges», de cette racine verbale que nous retrouvons dans l’expression «Alleluia», c’est-à-dire, littéralement: «louez le Seigneur». Ce livre de prières, donc, même si multiforme et complexe, avec ses divers genres littéraires et avec son articulation entre louange et supplique, est en fin de compte un livre de louanges, qui enseigne à rendre grâces, à célébrer la grandeur du don de Dieu, à reconnaître la beauté de ses œuvres et à glorifier son saint Nom. C’est là la réponse la plus adaptée face à la manifestation du Seigneur et à l’expérience de sa bonté. En nous enseignant à prier, les Psaumes nous enseignent que même dans le désespoir, dans la douleur, la présence de Dieu demeure, elle est source d’émerveillement et de réconfort; on peut pleurer, supplier, intercéder, se plaindre, mais dans la conscience que nous sommes en train de cheminer vers la lumière, où la louange pourra être définitive. Comme nous l’enseigne le Psaume 36: «En toi est la source de vie; par ta lumière nous voyons la lumière» (Ps 36, 10).

Mais outre ce titre général du livre, la tradition juive a donné à de nombreux Psaumes des titres spécifiques, en les attribuant, en grande majorité, au roi David. Figure d’une remarquable fibre humaine et théologique, David est un personnage complexe, qui a traversé les expériences fondamentales les plus variées de l’existence. Jeune pasteur du troupeau paternel, vivant alternativement des épisodes positifs et négatifs, parfois même dramatiques, il devient roi d’Israël, pasteur du peuple de Dieu. Homme de paix, il a combattu de nombreuses guerres; inlassable et tenace chercheur de Dieu, il a trahi son amour, et cela est caractéristique: il est toujours resté un chercheur de Dieu, même si très souvent il a gravement péché; humble pénitent, il a accueilli le pardon divin, ainsi que la peine divine, et il a accepté un destin marqué par la douleur. David a ainsi été un roi, avec toutes ses faiblesses, «selon le cœur de Dieu» (cf. 1 Sam 13, 14), c’est-à-dire un orant passionné, un homme qui savait ce que veut dire supplier et louer. Le lien des Psaumes avec cet insigne roi d’Israël est donc important, parce qu’il est une figure messianique. Oint par le Seigneur, chez qui est en quelque sorte ébauché le mystère du Christ.

Tout aussi importantes et significatives sont la manière et la fréquence avec lesquelles les paroles des Psaumes sont reprises par le Nouveau Testament, en assumant et en soulignant cette valeur prophétique suggérée par le lien du Psautier avec la figure messianique de David. Dans le Seigneur Jésus, qui pendant sa vie terrestre a prié avec les Psaumes, ils trouvent leur accomplissement définitif et ils révèlent leur sens le plus plein et le plus profond. Les prières du Psautier, avec lesquelles on parle à Dieu, nous parlent de Lui, nous parlent du Fils, image du Dieu invisible (Col 1, 15), qui nous révèle de manière accomplie le Visage du Père. Le chrétien, donc, en priant les Psaumes, prie le Père dans le Christ et avec le Christ, en assumant ces chants dans une perspective nouvelle, qui a dans le mystère pascal son ultime clé interprétative. L’horizon de l’orant s’ouvre ainsi à une réalité inattendue, chaque Psaume acquiert une lumière nouvelle dans le Christ et le Psautier peut briller dans toute son infinie richesse.

Très chers frères et sœurs, prenons donc en main ce livre saint, laissons Dieu nous apprendre à nous adresser à Lui, faisons du Psautier un guide qui nous aide et nous accompagne quotidiennement sur le chemin de la prière. Et demandons nous aussi, comme disciples de Jésus, «Seigneur, apprends-nous à prier» (Lc 11, 1), en ouvrant notre cœur pour accueillir la prière du Maître, où toutes les prières trouvent leur accomplissement. Ainsi, rendus fils dans le Fils, nous pourrons parler à Dieu en l’appelant «Notre Père». Merci.

In conspectu Angelorum psallam tibi Domine… (Ps. 137)

Oremus : Plaidoyer pour la prière des fidèles

Dicamus omnes Archives - Liturgia
Ancienne litanie diaconale en latin.

Prions, frères très chers, pour la Sainte Église de Dieu ; afin que notre Dieu et Seigneur daigne la pacifier, l’unir et la conserver par tout l’orbe de la terre [lui soumettant toute puissance et principauté], et nous donne une vie calme et paisible pour glorifier Dieu, le Père tout-puissant.

Ainsi commence la prière solennelle de l’Eglise de Rome durant la Messe du Vendredi-Saint (les paroles entre crochets sont absentes du missel de saint Paul VI), un des plus fameux exemples de « prière universelle » que nous ayons conservé, qui impressionne par sa saveur toute antique.

Pourtant, pour la plupart d’entre nous, la « prière universelle » est ce moment pénible de la Messe où quelque fidèle (souvent très jeune ou très âgé) va monter à l’ambon pour ânonner quelque liste d’intentions de prières composées ad hoc la veille au soir, entrecoupées de refrains infantilisants. Peut-être que la situation décrite ici (en anglais) vous rappellera de « bons » souvenirs…

De telles expériences, nous en avons tous eu notre lot, et beaucoup souhaitent désormais n’en plus entendre parler. Mais qu’en serait-il s’ils savaient que la prière des fidèles (ou « prière universelle ») est en fait extrêmement traditionnelle ? Si oui, comment bien la mettre en œuvre ? Nous avions eu l’occasion d’en parler dans un article précédent, et souhaiterions l’aborder maintenant plus en détails.

Nous avons déjà abordé cette prière dans notre article consacré aux richesses de la forme ordinaire du rite romain. Ici, nous souhaiterions, grâce à un rapide aperçu historique (qui constituera notre première partie) approfondir ce que nous avions effleuré jadis dans le contexte de la forme ordinaire (que nous verrons dans une deuxième partie), avant d’envisager une possible mise en œuvre de cette prière dans la forme extraordinaire (dans une troisième et dernière partie).

Si la première partie de ce texte ne vous intéresse pas, nous vous conseillons de passer directement à la deuxième, qui commence par un résumé de la partie précédente.

Histoire de la prière des fidèles

Origines et applications diverses

Il est hors de question de faire une histoire complète de la prière des fidèles (terme général et tardif que nous utilisons ici par pure commodité), même en se limitant à l’Occident : ce serait trop long et de peu d’importance ici. Plus modestement, nous allons brosser à très gros traits une chronologie de cette prière en présentant les diverses formes qu’elle a pu trouver dans le rite romain (en faisant allusion aux autres rites là où cela paraitra opportun).

On attribue généralement à saint Paul l’origine de cette prière : « J’encourage, avant tout, à faire des demandes, des prières, des intercessions et des actions de grâce pour tous les hommes, pour les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité, afin que nous puissions mener notre vie dans la tranquillité et le calme, en toute piété et dignité. Cette prière est bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, car il veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la pleine connaissance de la vérité. » (1 Timothée 2, 1-4).

Cette prière est donc dite « universelle » (terme très récent, mais que nous utiliserons néanmoins par commodité) car elle s’applique à tous les besoins des hommes et du monde. On remarquera que saint Paul demande de prier pour « les chefs d’État et tous ceux qui exercent l’autorité » ; c’est d’autant plus remarquable que ceux-ci étaient rarement chrétiens au premier siècle. L’on voit dès lors que le christianisme primitif, loin d’être un mouvement révolutionnaire, respecte à ce point l’autorité mise en place hic et nunc qu’il prescrit à ses fidèles de prière de prier pour elle.

Les différentes Eglises apostoliques eurent chacune leur manière de mettre en œuvre cette exhortation. Dans les Églises assyro-chaldéennes et arméniennes, cette prière prend la forme d’une litanie (appelée « Karozoutha » chez les assyriens) après la proclamation de l’Evangile, suivie d’un renvoi des catéchumènes. Les coptes ont adopté l’usage des « prières catholiques » (trois oraisons sacerdotales semblables aux grandes oraisons du Vendredi-Saint dans le rite latin) après l’offertoire. Enfin, le rite byzantin connaît une profusion de litanies, dont celle qui suit directement l’Evangile, où les fidèles répondent à chaque demande par un triple Kyrie eleison. Curieusement, le rite syriaque et sa variante maronite ne semblent pas avoir l’usage de cette prière, bien que certains indices sérieux semblent indiquer qu’elle ait existé jadis dans cette tradition.

Ici, nous pouvons voir un diacre gréco-catholique remplir son office en chantant une litanie à laquelle les fidèles répondent par « Kyrie eleison » ou « Paraskhou Kyrie » (Accorde, Seigneur).

Quelque soit la forme qu’ait revêtue la prière des fidèles, on y retrouve quelques constantes : elle a habituellement lieu après l’Evangile (ou au début de la Messe), sert de transition entre la Messe des catéchumènes et la Messe de la parole (on renvoi habituellement les catéchumènes après cette prière) et est adressée à Dieu pour les besoins, temporels ou spirituels, du monde entier.

En Occident, le rite ambrosien, liturgie propre à Milan, sorte de synthèse entre le rite gallican et le rite romain, semble avoir connu l’usage de litanies sur le modèle grec, avec usage du Kyrie eleison comme réponse des fidèles ; cet usage a été conservé aux dimanches de Carême, où la litanie se substitue au Gloria in excelsis Deo. Le rite mozarabe semble l’avoir connu, de même que l’ancienne liturgie des Gaules, abandonnée sous Charlemagne (on attribue notamment à saint Martin de Tours une litanie en latin qui fut conservée par de nombreux diocèses français jusqu’au XIXe siècle, notamment pour les Rogations). Enfin, la tradition anglicane (en laquelle nous serions tenté de voir une tradition rituelle à part entière) connait plusieurs formes de prière des fidèles après le Credo.

Reste à examiner le rite romain ; c’est ce qui sera fait dès à présent.

Dans le rite romain

De l’aveu de tous les historiens de la liturgie, la forme la plus ancienne qu’ait revêtue la prière des fidèles dans le rite romain est la série des Orationes solemnes du Vendredi Saint. Son origine est inconnue (certains y voient une série de diptyques originaire d’Alexandrie), mais son prestige la fit conserver jalousement par l’Eglise romaine jusqu’à nos jours, avec quelques modifications. Chaque prière est constituée d’une monition chantée par le diacre (autrefois par le prêtre), d’un agenouillement des fidèles, d’une prière silencieuse, d’un relèvement et d’une oraison sacerdotale ratifiée par l’Amen du peuple. A-t-elle toujours été réservée au Vendredi Saint ou s’agit-il de la prière habituelle de l’Eglise romaine dans l’Antiquité ? Nous n’en savons rien.

Grandes oraisons du Vendredi-Saint chantées dans la forme extraordinaire du rite romain.

Nous savons en revanche que cette prière fut par la suite remplacée (ou complétée) par une litanie, attribuée au saint pape Gélase, la Deprecatio gelasii, construite sur un modèle grec, mais composée en un style authentiquement romain. Il semble qu’elle ait été chantée après l’Evangile, mais qu’elle ait par la suite été déplacée avant la Messe, au cours des processions requises par la liturgie stationale romaine : le peuple se rassemblait autour du pape dans une églises dite de station, d’où l’on se rendait en une seconde église où le pape allait célébrer la Messe ; en chemin, on chantait la litanie de saint Gélase, puis, plus tard, la litanie des saints (soit dit en passant, c’était ainsi que commençait la divine liturgie byzantine). Un tel usage a été conservé pour les « litanies majeures » et reste suggéré pour les dimanches de Carême par le missel romain (ed. typ. 2002).

Notons que contrairement à une idée reçue, il semblerait que notre Kyrie ne provienne pas de cette litanie ; il n’apparut en effet que bien longtemps après qu’elle ne soit tombée en désuétude. Il s’agit d’un chant propre, introduit relativement tardivement dans le rite romain, sous l’influence du rite gallican, et dont on pourrait trouver un équivalent dans le Trisaghion du rite byzantin.

Comme nous l’avons donc vu, la litanie de saint Gélase finit par tomber en désuétude. Néanmoins, une forme d’Oratio fidelium a subsisté en Occident, principalement en Allemagne, en France (jusqu’au XIXe siècle) et en Angleterre (jusqu’à la réforme anglicane) : le prône. En France, il se composait d’une série d’annonces et de publications de bans (pour des mariages). Venait ensuite la prière proprement dite, composée d’un invitatoire assez long, du chant du psaume 122 (Ad te levavi), d’une série de versets d’origine biblique et d’une oraison du prêtre. Ces prières étaient d’ailleurs chantées dans la langue du peuple, au moins en partie, ce qui ne fut pas sans conséquence pour la catéchèse :

Un épisode célèbre du procès de Jeanne d’Arc nous le montre : pour faire dire à la sainte une hérésie, on lui pose une question difficile : « Êtes-vous sûre d’être en état de grâce ? » ; et elle répond avec une justesse chrétienne et une adresse qui confondent ses juges comme Jésus confondait les Pharisiens: « Si j’y suis, Dieu m’y garde; si je n’y suis pas, Dieu m’y mette ! » Les historiens n’ont pas remarqué que Jeanne illettrée puisait de quoi vaincre les docteurs dans les prières du prône : « Nous prierons, y disait le prêtre chaque dimanche, pour ceux qui sont en état de grâce, que Dieu les y tienne jusques à la fin, et ceux qui sont en péché mortel, que Dieu les en veuille jeter hors hâtivement » (Pierre-Marie Gy op, « Signification pastorale des prières du prône », la Maison-Dieu N° 30, 1952, p. 130).

Cet aperçu de la diversité des prières des fidèles dans la liturgie romaine serait incomplet si l’on ne mentionnait pas enfin une autre forme très ancienne : la litanie des saints de la Vigile pascale. Primitivement, la Vigile se composait de douze lectures de l’Ancien Testament entrecoupées de chants et d’oraisons. Après quoi, on partait en procession aux fonts baptismaux en chantant le psaume 41 (Sicut cervus), on l’on baptisait les catéchumènes. Puis, on revenait en procession au sanctuaire en chantant une litanie des saints un peu abrégée, survivance de l’époque où le pape, ses ministres et le peuple romain allaient d’une église à l’autre en chantant cette litanie. De sorte qu’il n’est pas interdit de voir là une des formes les plus traditionnelles de cette prière romaine des fidèles (bien que l’ordonnancement actuel de la Vigile pascale empêche de le voir avec la clarté nécessaire). Comme on le sait, cette litanie a été conservée en de nombreuses autres occasions, notamment pour les ordinations.

Ordinations les 25, 26 et 27 juin 2020 - Communauté Saint-Martin
Ordination sacerdotale, durant laquelle on chante une des formes les plus connues de la « PU » : la litanie des saints (pendant la prostration des ordinants).

Ainsi, jusqu’au XXe siècle, la liturgie romaine connaissait trois formes habituelles d’Oratio fidelium : le prône médiéval, les grandes oraisons du Vendredi-Saint et la litanie des saints de la Vigile pascale (ainsi qu’en d’autres occasions).

Le concile Vatican II, par la constitution Sacrosanctum Concilium sur la sainte liturgie, demanda explicitement la restauration de cette prière :

La « prière commune », ou « prière des fidèles », sera rétablie après l’évangile et l’homélie, surtout les dimanches et fêtes de précepte, afin qu’avec la participation du peuple, on fasse des supplications pour la sainte Église, pour ceux qui détiennent l’autorité publique, pour ceux qui sont accablés de diverses détresses, et pour tous les hommes et le salut du monde entier (Sacrosanctum Concilium, 53).

En application de cette décision conciliaire, la prière des fidèles est à présent mentionnée par la dernière édition du Missale Romanum de saint Paul VI, qui la présente ainsi :

Dans la prière universelle, ou prière des fidèles, le peuple répond en quelque sorte à la parole de Dieu reçue dans la foi et, exerçant la fonction de son sacerdoce baptismal, présente à Dieu des prières pour le salut de tous. Il convient que cette prière ait lieu habituellement aux messes avec peuple, si bien que l´on fasse des supplications pour la sainte Église, pour ceux qui nous gouvernent, pour ceux qui sont accablés par diverses misères, pour tous les hommes et pour le salut du monde entier (PGMR 69).

Cependant, le missel de saint Paul VI n’imposait aucun formulaire fixe et obligatoire, ce qui entraîna l’application désastreuse que l’on connait à notre époque. Et c’est maintenant vers celle-ci que nous nous tournons pour tenter de réfléchir sur quelques bonnes manières de la mettre en œuvre.

La prière des fidèles aujourd’hui

L’aperçu historique que nous venons de terminer nous permet de faire les conclusions suivantes :

  • depuis les temps apostoliques, les Eglises chrétiennes ont coutume de prier pour toutes les intentions du monde ;
  • cette prière a pris des formes très variées selon les Eglises et les traditions apostoliques (de sorte qu’il serait plus exact de parler de prières, au pluriel) ;
  • le rite romain a connu trois formes principales d’Oratio fidelium :
    • les grandes oraisons du Vendredi-Saint ;
    • la litanie (celle de tous les saints, celle de saint Gélase et celles d’origine gallicane conservées par certains diocèses français) ;
    • le prône (on trouvera en annexe un formulaire du prône dans le rite de Salisbury, ancienne liturgie de l’Angleterre médiévale) ;
  • le dernier concile œcuménique a demandé une restauration plus complète de cette prière, laquelle a abouti à un désordre généralisé.

De tout cela, nous pouvons tirer une conclusion sur la nature de cette prière : elle est un rite où « l’Eglise comme telle […] prie pour les intentions de ses membres » comme le dit fort justement dom Guy Oury osb (cf La Messe de saint Pie V à Paul VI). Sa fonction est donc distincte de celle de la prière eucharistique, où l’on prie pour l’application des grâces sacramentelles aux fidèles.

Ceci ayant été établi, que faire ? Comment donner à cette prière la forme qu’elle mérite au sein de la forme ordinaire du rite romain ? Et par ailleurs, une restauration est-elle possible dans la forme extraordinaire ? C’est ce que nous allons voir à présent.

Dans la forme ordinaire

Une première solution consisterait à omettre cette prière purement et simplement. On ne peut manquer de sympathiser avec ceux qui « zappent » ce passage souvent ennuyeux, en raison de mauvais souvenirs. C’est, semble-t-il, l’usage récent de Notre-Dame-de-Paris (le cardinal Lustiger détestait la prière universelle). Le problème de cette solution est que la prière universelle a une fonction qui lui est propre, et supprimer cette prière n’est pas le meilleur moyen d’assurer cette fonction.

En outre, la prière universelle est attestée, sous une forme ou une autre, dans pratiquement tous les rites orientaux et occidentaux, ainsi que dans le passé du rite romain. Restaurer une prière de ce type présenterait donc un avantage historique incontestable.

Alors, s’il faut la conserver, comment la mettre en œuvre ? Voyons ce qu’en dit la Présentation générale du missel romain (PGMR) :

[Le prêtre] l’introduit par une brève monition qui invite les fidèles à prier. Il la conclut par une oraison. Il faut que les intentions soient sobres, composées avec une sage liberté et en peu de mots, et qu’elles expriment la supplication de toute la communauté. Elles sont dites de l’ambon, ou d’un autre lieu approprié, par le diacre, un chantre, un lecteur ou un autre fidèle laïc. Le peuple, debout, exprime sa supplication, soit par une invocation commune après chacune des intentions, soit par une prière silencieuse (PGMR 71).

La PGMR semble donc autoriser seulement deux modèles de prière :

  • un modèle litanique, où les fidèles répondent à chaque intention par une invocation (comme « Kyrie eleison ») ;
  • un modèle proche des grandes oraisons, où l’on répond à chaque intention par la prière silencieuse.

Dans les deux cas, la prière est introduite par une monition du prêtre et conclue par une oraison prononcée également par le prêtre.

Nous remarquerons par ailleurs que le ministre ordinaire de la prière universelle est le diacre ; c’est lui qui est mentionné en premier lieu par la PGMR. C’est donc à lui de remplir cette fonction s’il y en a un, et non à un laïc désigné quelques minutes avant le début de la Messe ou à un membre de « l’équipe d’animation liturgique ». A défaut de diacre, le missel prévoit que sa fonction présente sera remplie par un chantre ou un acolyte (ou un autre fidèle laïc à défaut, encore que l’on peine à voir en quelles circonstances une Messe chantée ne comprenne ni chantre, ni acolyte). La prière est proclamée depuis l’ambon.

Quant au texte de la prière, nous conseillons franchement de prendre les intercessions prévues par le missel romain ; elles n’existent, certes, qu’à titre d’exemple et sont de composition récente, mais leur facture sobre et franchement catholique les rend mille fois préférables à quelque formulaire écrit ad hoc la veille pour le lendemain. Le lecteur curieux trouvera en annexe un des formulaires proposés par le missel, traduit par votre serviteur.

Il est de beaucoup préférable que la prière universelle soit chantée, sur un ton simple, comme par exemple celui des oraisons. Cela ne doit pas étonner le lecteur : la liturgie chrétienne est toujours chantée, et la « Messe lue » occidentale n’est qu’une exception, d’ailleurs prévue historiquement pour le seul cas du prêtre célébrant privément. Le chant ne doit donc pas être vue comme une manière d’embellir un édifice déjà existant mais comme une partie intégrante de celui-ci. Dans le cas de la prière universelle, le diacre peut, avec un peu d’efforts, apprendre à chanter les intercessions qui lui reviennent ; les fidèles, de leur côté, répondront avec des prières affinées par l’usage traditionnel, comme « Kyrie eleison » ou « Te rogamus, audi nos », ou encore « Praesta omnipotens Deus » (autant de formules facilement traduisibles et chantables en français si nécessaire).

A partir de 23:40, vous pouvez voir le chant de la litanie de Vêpres correctement effectuée.

Il est à noter que des conseils semblables peuvent et doivent s’appliquer aux litanies de louange et d’intercessions contenues dans l’office divin rénové : prendre les vrais textes (de préférence tirées des Heures grégoriennes ou sur le site Societas Laudis qui donne le texte complet de l’office divin en sa forme ordinaire), les chanter et leur adjoindre des répons traditionnels capables d’être facilement mémorisés (ces répons sont d’ailleurs donnés avec les litanies).

Dans la forme extraordinaire ?

Ce que nous avons écrit ci-dessus restait dans le cadre de la plus stricte légalité : nous n’avons fait qu’indiquer la meilleure manière d’écrire ce qui existait déjà. Ce qui va suivre, sans prétendre s’extraire de la légalité, suggère de remettre en vigueur un modèle qui, nous semble-t-il, n’a jamais été canoniquement interdit, et qui a été présenté plus haut. Il s’agit du prône.

Comme on l’a dit, la prière universelle (quelque soit la forme qu’elle prenne) a une fonction qui lui est propre, et que l’on retrouve dans pratiquement tous les rites apostoliques. Il serait donc dommage que cette forme si ancienne de prière soit absente de la forme ancienne du rite romain. À défaut d’une réforme, qui ne serait peut-être pas appréciée de tous, à défaut de rétablissement d’une forme plus antique (comme la litanie de saint Gélase), pourrait-on suggérer la restauration d’un usage ancien et profitable à tous, clercs et fidèles ? C’est ce que nous allons faire ici, en répondant à quatre questions :

Qui ? Le prêtre qui célèbre la Messe.

Quand ? Le dimanche et les jours de fête, à la Messe chantée ou solennelle, juste après l’homélie.

Où ? De préférence en chaire ; là en tous cas où le prêtre aura prêché.

Comment ? En prenant modèle sur les anciens formulaires prévus à cet effet.

À toutes fins utiles, nous suggérons de jeter un coup d’œil à ce livre, le Rituel des rituels pour les prônes des dimanches, fêtes et sacrements publié par l’abbé Migne (connu pour avoir publié en latin et en grec les œuvres des pères de l’Eglise).

On trouvera le prône des dimanches et des fêtes aux pages 6 à 11. il se compose ainsi :

  • en premier lieu, une longue énumération des diverses intentions de prières pour lesquelles on priera (à notre avis, cette monition mériterait d’être drastiquement raccourcie tant elle est verbeuse) ;
  • vient ensuite le chant du psaume 122 (Ad te levavi), en latin ;
  • une série de versets bibliques ;
  • l’oraison conclusive ;
  • si besoin est, on répète la même opération pour les défunts.

À notre connaissance, il n’est besoin d’aucune autorisation pour mettre en œuvre cette forme d’Oratio fidelium. Si toutefois nous nous étions trompés, si l’Eglise avait légiféré en sens contraire, il irait de soi que les conseils que nous donnons ici pour le prône dans la forme extraordinaire ne devraient pas être suivis.

Faudrait-il faire de même pour l’office divin ? Répondre à cette question reviendrait à proposer une réforme du bréviaire de la forme extraordinaire. Peut-être faudrait-il étendre à toute l’année les « Preces » prévues à Laudes et à Vêpres pour les jours de pénitence ; ou placer les Preces dominicales de Prime et de Complies aux deux grandes heures canoniales, au moins pour les dimanches et fêtes ; ou encore ajouter (restaurer ?) une litanie de prières sur le modèle de la Deprecatio Gelasii. Nous le suggérons pour l’avenir ; nous ne le mettons pas en œuvre à présent et nous invitons le lecteur à en faire autant.

Conclusion

Pour finir, après avoir présenté l’histoire de la prière universelle et certaines manières grâce auxquelles on pourrait lui rendre la beauté qu’elle mérite au sein de la liturgie romaine, nous voudrions seulement émettre le souhait que cette prière retrouve l’éclat qu’elle mérite dans le rite romain, afin que Dieu soit glorifié et que Son peuple soit sauvé.

Chant de l’Evangile par le diacre à l’ambon antique (tenant lieu de chaire). C’est ici que le prêtre prêche, c’est également ici qu’il doit diriger la prière des fidèles ou le prône.

Annexe 1 : formulaire de prière du missel romain (editio typica 2002)

[Nous indiquons en gras les réponses du peuple ou de la schola ; cette remarque vaut aussi pour la seconde annexe].

Monition du Prêtre : Frères très chers, que chaque prière de notre cœur soit dirigée Vers Dieu le Père Tout-Puissant, car c’est Sa Volonté que toute l’humanité soit sauvée et parvienne à la plénitude de la Vérité

Le diacre :

V/. Pour la Sainte Église de Dieu ; afin que le Seigneur, daigne la garder et la préserver, prions le Seigneur.

R. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

V/. Pour tous les peuples de la terre ; afin que le Seigneur daigne préserver leur concorde, prions le Seigneur.

R/. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

V/. Pour tous ceux qui sont accablés par toutes sortes de nécessités ; afin que le Seigneur daigne leur accorder le réconfort, prions le Seigneur.

R/. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

V/. Pour nous tous et pour toute notre communauté ; afin que le Seigneur daigne nous recevoir en un sacrifice qui Lui soit acceptable, prions le Seigneur.

R/. Accorde-le, Dieu tout-puissant.

Oraison du Prêtre : Dieu, notre refuge et notre force, auteur de la piété de Ton Église, entend ses pieuses prières, afin que ce qui est demandé dans la foi soit réellement reçu. Par le Christ Notre-Seigneur.

R/. Amen.

Annexe 2 : Prière du prône, selon le rite de Salisbury, en Angleterre

Offrons nos prières à Dieu, à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Notre-Dame sainte Marie, et à toute la compagnie des cieux, Le suppliant d’accorder Sa miséricorde à toute la Sainte Eglise, afin que Dieu la garde en bon état, tout spécialement l’Eglise d’Angleterre, notre Eglise-mère, cette Eglise et toutes celles de la chrétienté.

Pour notre Pape N., le patriarche de Jérusalem, les cardinaux, pour les archevêques et les évêques, et spécialement pour notre évêque N., que Dieu le garde pour son saint service. Pour le recteur/doyen et pour tous les autres ministres qui servent l’Eglise.

Pour la Terre sainte et la Sainte Croix, afin que Dieu les délivre des mains des païens.

Pour la paix de l’Eglise et de la terre.

Pour notre souverain N., notre premier ministre N.,

[Pour les ducs, comtes et barons et tous ceux qui doivent garder en paix cette terre et tous ceux qui la gouvernent].

Pour la santé de N. et N.

Pour ceux qui vivent en péché mortel.

Pour nos frères et sœurs et tous nos paroissiens, et tous ceux qui font le bien pour cette église ou fondation. Pour nous-mêmes, que Dieu dans Sa miséricorde, nous accorde la grâce de vivre pour le salut de votre âme et pour tous les peuples vraiment chrétiens.

[On dit alors le psaume 66, Deus misereatur :]

Que Dieu nous soit compatissant et nous bénisse, * qu’Il fasse resplendir sur nous Sa face et qu’Il ait pitié de nous.

Que sur la terre on connaisse Ta voie, * parmi toutes les nations, Ton salut.

Que les peuples Te célèbrent, ô Dieu, * que tous les peuples Te célèbrent.

Que les nations soient dans la joie et l’allégresse + car Tu gouvernes les peuples avec droiture ; * sur la terre, Tu juges les nations.

Que les peuples Te célèbrent, ô Dieu, * que tous les peuples Te célèbrent.

La terre a donné son fruit, * que Dieu, notre Dieu, nous bénisse.

Que Dieu nous bénisse, * et qu’on Le craigne jusqu’aux confins de la terre.

R/. Gloire au Père et au Fils * et au Saint-Esprit,

V/. Comme il était au commencement, maintenant et toujours, * et dans les siècles des siècles. Amen.

Kyrie eleison

Christe eleison.

Kyrie eleison.

Notre Père (en silence jusqu’à) : Et garde-nous d’entrer dans la tentation.

Mais délivre-nous du mal.

Montre-nous, Seigneur, Ta miséricorde,

Et donne-nous Ton salut.

Que Tes prêtres soient revêtus de justice,

Et qu’en Toi se réjouissent Tes saints.

Seigneur, sauve le roi.

Et exauce-nous au jour où nous T’invoquons.

Accorde le salut à Ton peuple,

Gouverne-le et relève-le à jamais.

Que la paix règne en tes remparts,

Et l’abondance dans tes forteresses.

Seigneur, exauce ma prière,

Et que mon cri parvienne jusqu’à Toi.

Le Seigneur soit avec vous.

Et avec ton esprit.

Prions.

Ô Dieu, qui par la grâce de Ton Saint-Esprit déverse les dons de la charité dans les cœurs de Ton peuple fidèle, accorde à Tes serviteurs et servantes pour lesquels nous supplions Ta clémence, la santé de l’âme et du corps, afin qu’ils Te puissent aimer de toute leur force et accomplir ce qui est agréable à Tes yeux avec une entière affection ; quant à nous, accorde-nous la paix en nos jours, par le Christ, Notre-Seigneur.

Amen.

Prions (tous se mettent à genoux).

Pour les âmes de N. et N., archevêques, évêques, clercs, bienfaiteurs, etc. qui ont servi cette église ou qui y ont fait quelque bien, ou pour cette fondation et pour toutes les âmes dont les os reposent dans cette église et ce cimetière, et pour tous ceux qui ont donné à cette église ou fondation des rentes, vêtements ou tout autre bien par lequel Dieu est mieux adoré dans cette église, et pour les ministres qui en sont mieux lotis ; pour les âmes de tous nos pères, mères, grand-pères, parrains, marraines, frères, sœurs, et de tous nos paroissiens, pour toutes les âmes qui ont fait quelque bien dans cette église et pour toute âme chrétienne.

[On dit alors le psaume 129, De profundis :]

Des profondeurs j’ai crié vers toi, Seigneur : * Seigneur, écoute ma voix.

Que Ton oreille se fasse attentive * à la voix de ma supplication.

Si tu regardes les iniquités, Seigneur, * Seigneur, qui pourra subsister ?

Mais près de Toi est la propitiation. * À cause de Ton Nom, je T’ai attendu, Seigneur ;

Avec confiance mon âme a attendu Ta parole. * Mon âme a espéré dans le Seigneur,

Depuis la garde du matin jusqu’à la nuit, + depuis la garde du matin, * qu’Israël espère dans le Seigneur.

Car auprès du Seigneur est la miséricorde, * auprès de Lui abonde la rédemption.

C’est Lui qui rachètera Israël * de toutes ses iniquités.

Donne-leur, Seigneur, le repos éternel,

Et fais briller sur eux la lumière sans déclin.

Des portes de l’enfer,

Délivre leurs âmes, Seigneur.

Je le crois, je verrai les bienfaits du Seigneur

Sur la terre des vivants.

Absous, nous T’en prions, Seigneur, les âmes de Tes serviteurs et servantes, nos relations, nos voisins, nos amis, nos bienfaiteurs de même que celles de tous nos fidèles défunts de toutes les chaînes de leurs péchés ; que dans la gloire de la Résurrection, ils puissent être élevés à la vie et respirer à nouveau parmi Tes saints et élus ; par le Christ, Notre-Seigneur.
Amen.

Qu’ils reposent en paix.

Amen.

Revue Esprit de la liturgie – édition 2020

Chers amis lecteurs

Nous sommes fiers de partager avec vous notre première édition numérique de la revue Esprit de la liturgie, fruit de notre travail depuis 2017.

Cette revue reprend trois articles qui représentent bien notre ligne éditoriale et notre intention de promouvoir la liturgie dans sa continuité avec les textes du Concile Vatican II et avec la Tradition vivante de l’Eglise.

Je vous souhaite une bonne lecture et vous encourage à la partager avec votre entourage, votre paroisse, vos amis prêtres et dans votre diocèse.

Il est fortement recommandé de lire cela sur un ordinateur pour une lecture plus aisée.

Pourquoi chanter les textes liturgiques ?

Ceux qui ont fait l’expérience de se rendre à une Messe célébrée dans un rite oriental (catholique ou non) auront remarqué que la liturgie y est intégralement chantée. On chante même les lectures, c’est dire ! Or, nous voyons rarement ce genre de choses dans nos paroisses. C’est même plutôt le contraire : même à la Messe du dimanche, nous récitons, sans chant, le signe de croix, les lectures, le Credo, les intentions de la prière universelle, voire le Notre Père. Pourtant, il ne devrait pas en être ainsi ; et ce qui est de facto propre aux orientaux sur ce point précis était commun à toutes les Eglises apostoliques… donc aussi à l’Eglise d’Occident, l’Eglise de Rome.

Le texte qui va suivre a été écrit par M. Peter Kwasniewski, théologien américain et grand défenseur de la forme extraordinaire du rite romain. Dans cet article, publié sur le site américain « New Liturgical Movement » et traduit par nos soins, il défend l’usage du chant des textes de la liturgie à l’encontre de leur pure et simple récitation.

Avant de vous laisser découvrir sa prose, nous précisons que nous ne sommes pas nécessairement d’accord avec tous les propos tenus par M. Kwasniewski. Celui-ci a notamment attaqué la forme ordinaire du rite romain d’une manière que nous ne partageons pas le moins du monde.

Enfin, selon l’usage d’un vénérable site internet, nous nous autorisons des commentaires [placés entre crochets et en rouge].

Et maintenant, passons à l’article proprement dit !

L’on constate que toutes les religions du monde comportent le chant de textes sacrés [C’est là un fait indubitable et pratiquement universel que toutes les religions comportent le chant de leurs textes sacrés]. Une convergence aussi surprenante indique qu’il y a une connexion naturelle entre le culte du divin et le chant des textes impliqués dans les rites, à savoir, une connexion basée sur la nature de l’homme, du chant et de la parole.

La philosophie du chant des textes religieux

Cette pratique universelle dérive d’un sens intuitif que l’on ne parle pas des saintes choses, et des saints sentiments qui vont avec, comme l’on parlerait de choses ordinaires de tous les jours, mais devraient être élevées à un niveau supérieur par une mélodieuse modulation – ou submergées dans le silence. Les rituels authentiques, par conséquent, tendent à alterner silences (soit pour la méditation, soit pendant une action symbolique) et chants (qui peuvent être ou non accompagnés de quelque autre action).

Les actes de culte public deviennent plus solennels, et leur contenu plus attirant et mémorable, par le chant du clergé, des chantres, du choeur et de l’assemblée. Plus encore, le contraste entre le chant (l’expression humaine à son plus haut degré) et le silence (une abstinence « apophatique » délibérée de discours) est encore plus éclatant que le contraste entre parler et ne pas parler. Le premier ressemble à la montée et à la descente des vagues de l’océan, quand le second ressemble davantage à une lampe que l’on allume et éteint.

La première fonction du discours parlé est discursive, visant à l’instruction, guidée « vers » un auditeur [d’où le fait qu’il est, évidemment, beaucoup plus convenable que le chant pour ce qui est des homélies], tandis que le chant, qui unit plus facilement et naturellement plusieurs chanteurs en un seul corps, est capable, en plus de porter du sens et des sentiments qui vont au-delà de ce que les mots peuvent dire, d’augmenter considérablement le pouvoir de pénétration des mots eux-mêmes. L’on trouve ceci spécialement dans les « mélismes » du chant, les longues élaborations mélodiques sur une seule syllabe qui donnent voix aux émotions et aspirations intérieures que les mots ne peuvent pleinement exprimer.

Personne n’a commenté avec plus de profondeur le pouvoir quasi-mystique qu’a le chant d’unir les chanteurs entre eux et le sujet avec l’objet que le philosophe de la musique Victor Zuckerkandl. Dans son livre Man the Musician (L’homme, ce musicien), publié aux Presses universitaires de Princeton, en 1973, il écrit :

La musique est appropriée, elle aide, là où l’abandon de soi est requis ou attendu – là où le moi va au-delà de lui-même, là où le sujet et l’objet se rassemblent. Les tons semblent être le pont qui rend possible, ou du moins plus facile, de passer la frontière qui les sépare (24-25).

La parole parlée présupppose « l’autre », la personne ou les personnes à qui la parole est adressée ; celui qui parle et celui à qui l’on parle sont tournés l’un vers l’autre ; la parole va de l’un à l’autre, créant une situation où les deux se font face comme des individus distincts, séparés. Partout où l’on parle, il y a un « lui, pas moi » d’une part, et son contraire, un « moi, pas lui » d’autre part. C’est pourquoi la parole n’est pas l’expression naturelle du groupe.

Le chant est l’expression naturelle et appropriée du groupe, de unité des individus dans le groupe. Si c’est le cas, nous devons supposer que les tons – le chant – expriment essentiellement non pas l’individu, mais le groupe ; plus précisément, ils expriment l’individu dans la mesure où il est membre du groupe ; plus précisément encore, dans la mesure où sa relation à autrui n’est pas une relation de « face à eux » mais bien d’unité (togetherness).

En effet, alors que les mots tournent les gens face à face, les font se regarder les uns les autres, les tons les font regarder dans la même direction : tous suivent les tons dans leur commencement et leur fin. Au moment où les tons résonnent, la situation où un camp faisait face à l’autre se transforme en une situation d’unité, les individus pluriels et distincts en un seul groupe.

Et enfin :

Si les paroles ne sont pas simplement parlées mais chantées, elles bâtissent un pont vivant qui les lie aux choses auxquelles les mots réfèrrent, qui transforme la distinction et la séparation en unité. Par le moyen des tons, l’orateur va chercher les choses, les ramène avec lui, en lui-même, afin qu’elles ne soient plus « autres », quelque chose qui lui serait étranger, mais que l’autre chose et lui-même soient un.

Le chanteur demeure ce qu’il est, mais son être est élargi, son espace vital est étendu : en étant ce qu’il est, il peut maintenant, sans perdre son indentité, être ce qu’il n’est pas ; et l’autre chose, tout en étant ce qu’elle est peut, sans perdre son indentité, être avec le chanteur (29-30).

Au final, tout revient à cela : nous chantons quand nous sommes en accord, ou voulons l’être, avec notre activité ou l’objet de notre activité. Ceci est vrai lorsque nous sommes amoureux d’une autre personne. Cela est vrai par-dessus tout lorsque nous sommes amoureux de Dieu. Ceci est l’origine de la musique incomparablement belle de la tradition catholique. Saint Augustin dit : « Seul l’amant chante ». Nous chantons… nous chuchotons… et nous faisons silence.

Au cours de cette discussion, Zuckerkandl fait une remarque qui me rappelle douloureusement les années où j’ai grandi avec le Novus Ordo, avec des assemblées qui récitaient ensemble le Gloria et le « Saint, Saint, Saint ».

Peut-on imaginer que des gens viennent ensemble pour réciter des chants ? On le peut, mais seulement comme possibilité logique ; dans la vraie vie, cela serait absurde. Cela reviendrait à transformer quelque chose de naturel en quelque chose de tout à fait anormal, contre nature (25).

À la Messe basse, la récitation des textes qui sont normalement chantés ne « fonctionne » que parce que le prêtre dit seul les textes, et le fait à l’autel, ad orientem [1]. Il n’adresse les paroles du chant à personne, sinon à Dieu. Elles acquièrent ainsi une sorte de statut rituel comparable à celui du Canon récité. La récitation de textes chantés n’est pas liturgiquement idéale ; cette forme de Messe s’est développée pour la dévotion personnelle du prêtre célébrant à un autel latéral avec un clerc. Néanmoins, tout le monde devrait trouver étrange d’avoir une grande église bien remplie et de réciter alors les chants au lieu de les chanter. Mais nous pouvons laisser ce point-ci de côté pour l’instant, puisque j’en ai déjà parlé ailleurs.

[C’est un point sur lequel nous nous séparons de M. Kwasniewski. Le fait est que l’assemblée, même à la Messe basse selon la FE, répond au prêtre, ne serait-ce qu’en disant « Et cum spiritu tuo ». Aussi ce point-ci nous semble-t-il être un assaut injustifiée contre la FO, qui se retourne d’ailleurs contre lui-même.]

Raisons pratiques en faveur du chant

Le chant a aussi pour lui des raisons pratiques. Comme l’expérience le montre, des textes qui sont chantés ou psalmodiés (sung or chanted) avec une élocution correcte sont ouïs avec plus de clarté et de force dans une grande assemblée que des textes lus ou même criés. La musique a une manière de porter les mots et de leur faire pénétrer les oreilles et les âmes de ses auditeurs. Aux temps anciens, la poésie épique et lyrique, et même certaines parties des discours politiques, étaient chantés pour cette même raison.

L’amplification électrique n’était pas nécessaire lorsque les architectes tentaient de bâtir des espaces qui résonnaient convenablement et les ministres liturgiques apprenaient à chanter. Une église bien bâtie avec des chanteurs (singers) bien entrainés n’a aucunement besoin d’amplification artificielle. Plus encore, tout dans la liturgie n’a pas à être entendu, contrairement à ce que dit l’une des hypothèses clés derrière la « dégérénovation » (wreckovation) de nos rites [On l’a dit, M. Kwasniewski n’aime pas la FO ; on l’a également dit, nous ne partageons pas ce point de vue].

Difficile d’imaginer un aéroport moderne s’en sortir sans speakers pour ses annonces. C’est par contre une tragédie que les mêmes types de de production sonore techniques, pragmatiques, impersonnels et déconcentrés envahissent les églises. Dans une église, le micro tue l’intimité, l’humilité, la localité et la directivité de la voix humaine. La nouvelle voix devient une sorte de géant sans lieu (placeless giant), un « Big Brother » plus grand que nature, venant de partout et de nulle part, dominant et soumettant l’auditeur. Mettre des micros et des speakers dans une église n’accélère pas un processus naturel : il le renverse. Il n’y a pas de continuum entre la voix non-aidée et la voix artificiellement amplifiée : ce sont deux phénomènes différents, avec des phénoménologies radicalement différentes. Quand les textes rituels sont ornés d’une musique appropriée, leur message en est « porté » tant physiquement que spirituellement.

Le chant grégorien comme idéal du texte chanté

Les huit caractéristiques du chant grégorien sont :

  • la primauté de la parole ;
  • un rythme libre ;
  • le chant à l’unisson ;
  • une vocalisation sans accompagnements ;
  • la modalité ;
  • l’anonymat ;
  • la modération émotionnelle ;
  • une sacralité sans ambiguité.

(J’ai parlé de tout ceci en détails ici).

Ces caractéristiques, prises ensemble, montrent que le plain-chant n’est pas seulement un peu différent des autres types de musique vocale, mais radicalement et profondément différent [2]. Il est une musique liturgique de part en part, n’existant que pour le culte divin, parfaitement adapté à sa nature verbale et sacrée et bien adapté pour aider les fidèles qui l’associent avec ce culte et le trouvent aussi beau qu’étrange, comme L’est Dieu Lui-même.

Nous voyons mieux maintenant pourquoi le plain-chant est fait partie intégrante et nécessaire de la liturgie solennelle, pourquoi il donne une forme plus noble à la célébration et pourquoi il est spécialement adapté au rite romain et mérite la première place en son sein – tout ceci fut affirmé sans ambiguité dans Sacrosanctum Concilium.

Quand il est accompli de manière édifiante, le plain-chant, de lui-même, « s’accorde à l’esprit de l’action liturgique », ce qui ne peut être affirmé de tout autre morceau de musique. En d’autres termes, le plain-chant fournit la définition même de ce que signifie « s’accorder à l’esprit de l’action liturgique », et les autres œuvres musicales doivent être évalués, pour ainsi dire, par ce critère suprême – comme l’avait dit le pape Pie X dans son motu proprio Tra le sollecitudini : « on peut établir à bon droit la règle générale suivante : Une composition musicale ecclésiastique est d’autant plus sacrée et liturgique que, par l’allure, par l’inspiration et par le goût, elle se rapproche davantage de la mélodie grégorienne, et elle est d’autant moins digne de l’Église qu’elle s’écarte davantage de ce suprême modèle ».

___________________

Notes de l’auteur :

[1] Ceci est devenu mon objection principale à la Messe dialoguée, au moins en tant qu’elle demande la récitation de textes qui normalement devraient être chantés.

[2] On a souvent été remarqué que le lien puissant entre le chant et le catholicisme a été bien exploité par les réalisateurs de Hollywood qui, à chaque fois qu’ils veulent évoquer une « atmosphère catholique » s’assurent d’avoir quelque pièce de plain-chant flottant en arrière-plan. Si seulement le clergé d’aujourd’hui avait la moitié de ce « sens des affaires » !

*

* *

[Ainsi s’achève l’article de M. Kwasniewski. Nous l’avons dit, nous ne partageons pas tout ce qu’il professe, y compris dans cet article ; mais nous devons reconnaître qu’il fait d’excellentes remarques, surtout quant à la signification profonde du chant liturgique et à l’exemplarité du chant grégorien pour toute la musique liturgique, au moins dans le rite romain.

Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu’il entende !]

Chantez votre mot d’accueil avec les tropes d’introït

1. Un peu d’histoire

1.1 Qu’est-ce qu’un trope ?

Honegger, dans son Dictionnaire de la Musique, donne la définition la plus générale du trope latin et sans doute la meilleure : « Le trope est un développement musical et littéraire d’une pièce de chant liturgique ». Il s’agit donc d’une pièce para-liturgique, comme le sont par exemple les cantiques, que notre confrère Isidore de Kiev a su si bien défendre dans l’article de ce blog qui leur est consacré : nous y reviendrons. Mais ce qui caractérise les tropes est le lien intime, textuel comme musical, avec une pièce de l’ordinaire ou du propre.

1.2. Deux typologies

Les musicologues distinguent volontiers les tropes logogènes, où le texte est premier et la mélodie composée pour le texte ; mélogènes, où le texte est composé pour s’adapter à une mélodie préexistante ; et méloforme, développement purement musical sans ajout de texte. Les jubilus primitifs étaient des tropes méloformes : certains sont passés dans les livres liturgiques, ce sont ces longues phrases sans paroles qui ponctuent les Alléluias grégoriens ; les autres sont tombés hors d’usage.

Les liturges vont peut-être préférer une autre typologie :

  • Tropes d’adaptation, qui reprennent une mélodie mélismatique1 préexistante en y adaptant des paroles nouvellement composées : c’est le cas de tous les tropes de Kyrie (Orbis Factor, Cunctipotens Genitor, etc.), et de certaines séquences qui utilisent la mélodie de l’Alléluia qui les précède, comme le Veni Sancte Spiritus.
  • Tropes de développement, qui ont pour fonction essentielle d’allonger la musique d’une pièce aux dimensions de l’action liturgique. On peut ranger dans cette catégorie les versets d’offertoire, sauf si on considère qu’ils font partie de la pièce elle-même (l’auteur ne prendra pas position).
  • Tropes d’interpolation ou d’encadrement, courtes gloses qui méditent sur le texte d’une pièce ou bien l’expliquent à l’assemblée, en s’insérant entre deux phrases du texte (interpolation) ou bien en l’introduisant ou en le concluant (encadrement). C’est à cette catégorie qu’appartiennent la plupart des tropes d’introït, et c’est ceux-là que nous allons examiner ici.
Exemple de trope d’adaptation mélogène : le Cunctipotens genitor Deus, sur l’air du Kyrie IV
(transcrit du Graduel de Fontevraud par l’auteur)

1 On appelle mélisme une suite de notes chantées sur la même syllabe. On parle alors de style mélismatique, par opposition au style syllabique. Par exemple, les Kyrie sont mélismatiques, les Credo sont principalement syllabiques.

1.3. Vie et mort des tropes

Les tropes sont souvent présentés à tort comme un développement tardif qui a accompagné la dégénérescence du chant grégorien aux 14e et 15e siècles. C’est tout à fait faux : s’ils n’ont pas l’antiquité du chant grégorien lui-même, les manuscrits les plus anciens que nous possédons incluent de nombreux tropes de tous les genres.

Le propre du temps était déjà presque stabilisé dès le milieu du 9e siècle par les efforts de normalisation de Charlemagne. La créativité humaine ayant horreur de l’immobilisme, il est facile d’imaginer qu’une fois le propre gravé dans le marbre les compositeurs ont tout de suite commencé à le développer par des textes et des mélodies nouvelles.

À partir de la fin du 12e siècle, les tropes d’introït vont muter vers une nouvelle forme musicale : le conduit (conductus), dont le nom vient de ce qu’il est destiné à accompagner la procession d’entrée. Il s’agit d’un chant de marche, mesuré, qui tranche avec le rythme très libre et psalmodique des tropes d’introït du haut moyen-âge. Dès cette époque, le lien entre conductus et l’introït qu’il accompagne ou introduit, devient de plus en plus lâche ; en définitive, le conduit deviendra le motet de procession, encore souvent basé sur la mélodie grégorienne. Puis, le motet, de plus en plus complexe et difficile d’exécution, deviendra cantique populaire là où le chœur n’est pas assez expert pour le chanter. C’est à ce stade que le lien avec le répertoire grégorien sera tout à fait perdu.

2. À quoi ressemble un trope d’introït ?

L’œuvre de restauration des tropes à partir des manuscrits grégoriens n’est qu’à peine commencée : le plus bel effort dans ce domaine jusqu’ici a été le travail de Ferdinand Haberl (1906-1985), président de l’institut pontifical de musique sacrée de 1970 à 1981. Son recueil de 86 tropes d’introït, toujours disponible chez ACV Deutschland (6€ + 4€ de port), rassemble les pièces les plus remarquables de ce genre oublié. En voici quelques-unes.

2.1. Oyez, oyez, braves gens !

L’une des fonctions du trope d’introït médiéval est clairement d’obtenir un peu de silence de la part de l’assemblée et de signaler, la cloche étant peut-être insuffisante, le début de la procession d’entrée. Dans la plupart des cas, cette fonction est combinée avec une explication relativement simple de la fête du jour :

(trope) Aujourd’hui, l’Esprit Saint descend sur les apôtres et remplit toute la terre.
(trope) Oyez, oyez ! Chantres, dites-leur !
(ant) L’Esprit du Seigneur remplit le globe de la terre, alléluia.
(trope) Aujourd’hui, l’Esprit Défenseur remplit toute cette maison de son feu divin !
(ant) Et lui qui contient toutes choses, connait toute parole.
(trope) Rendons donc grâces à la sainte Trinité, à l’unique Majesté :
(ant) Alléluia, alléluia, alléluia.

Trope Hodie Spiritus Sanctus de l’introït Spiritus Domini de la Pentecôte
Début du trope Hodie Spiritus Sanctus

2.2. Une méditation chantée

De nombreux tropes forment également une méditation-commentaire d’une grande profondeur, sur les paroles de l’introït lui-même, parfois en s’insérant dans la phrase grammaticale sans jamais en modifier le sens réel. En voici un exemple traduit par l’auteur :

(trope) Époux de l’Église, lumière des nations, qui a consacré le baptême et qui sauves toute la terre :
(ant) Voici qu’il vient,
(trope) Jésus, dont les rois des nations viennent s’enquérir à Jérusalem chargés de dons mystiques, demandant où est celui qui est né,
(ant) Le Seigneur souverain.
(trope) Nous aussi, nous avons vu l’étoile : nous aussi, nous savons bien que le Roi des rois est né !
(ant) La royauté est dans sa main,
(trope) À lui seul nous rendons l’honneur, la gloire, la louange et le triomphe,
(ant) Et la puissance, et la souveraineté.

Trope Ecclesiæ sponsus de l’introït Ecce advenit de l’Épiphanie.
Début du trope Ecclesiæ sponsus

2.3. Une invitation aux fidèles ?

La plupart des tropes s’adressent implicitement à l’assemblée, en appelant son attention (Eia ! Eia !), en lui posant une question rhétorique :

Qui cherchez-vous dans la mangeoire, dites-nous, bergers ? Le Sauveur, le Christ, le Seigneur, comme nous l’a dit l’ange.

Trope Quem quæritis de l’introït Puer natus est du jour de Noël

Ils s’y adressent quelquefois explicitement, y compris pour inviter la foule à se joindre au chant du chœur pour les parties les plus connues de l’introït. À Pâques, par exemple, le trope Resurrexit Dominus et l’antienne d’introït sont entremêlés, et en voici la fin :

(ant) Je suis ressuscité, et je suis toujours avec toi, alléluia, […]
(ant) Ta sagesse s’est montrée admirable, alléluia,
(trope) Chantons tous, clercs comme laïcs, celui à qui sont louange, honneur et force,
(trope) Au Seigneur ressuscité sur son trône céleste, avec le peuple des fidèles :
(ant) Alléluia, alléluia.

(ant) Resurrexi et adhuc tecum sum, alleluia […]
(ant) Mirabilis facta est scientia tua, alleluia
(tropus) Decantemus omnes, clerus atque vulgus, quem laus decet, honor, virtus,
(tropus) Resurgenti Domino cum fideli populo in excelso solio :
(ant) Alleluia, alleluia.

2.4. Un peu de pub pour la schola

Le plus célèbre des tropes d’introït reste le Gregorius præsul, qui a même l’honneur d’une page Wikipédia. Chanté le premier dimanche de l’avent en introduction de l’introït Ad te levavi, il est exceptionnel en ceci qu’il ne commente pas la fête du jour ou le texte de l’introït, mais parle de l’introït lui-même en tant que pièce musicale, et de tout le Graduel en tant que livre liturgique. On pourrait donc l’appeler un méta-trope.

Grégoire évêque […] rénova l’œuvre des Pères
et composa donc ce recueil d’art musical
à l’usage des scholæ cantorum au long de l’année.
Oyez ! Choristes, chantez avec le psalmiste : Ad te levavi…

Gregorius præsul [..] renovavit monumenta patrum priorum,
Tunc composuit hunc libellum musicæ artis
Scholæ cantorum anni circuli
Eia, paraphonista, dic cum psalmista : Ad te levavi…

La Schola Metensis en a enregistré une variante qu’on peut écouter sur cette page. En voici la partition issue du Graduel de Gaillac, avec la superbe lettrine du Ad te levavi qui le suit :

Peut-on y voir une manière pour la schola d’expliquer ses outils, son rôle et son travail à l’assemblée des fidèles ? L’auteur n’en doute pas.

3. Chanter un trope d’introït au 21e siècle ?

On a déjà écrit que parmi les très (trop ?) nombreuses portes ouvertes par le missel de 1969, on trouvait, dans la troisième forme de la préparation pénitentielle, la possibilité de chanter les antiques tropes de Kyrie ; de même, la permission donnée à l’introduction d’une brève monition au début de la Messe constitue une porte ouverte à l’emploi des tropes d’introït. Nous allons voir comment.

3.1. Dans la forme extraordinaire

Les rubriques du missel de 1962 ne mentionnent pas les tropes d’introït et, d’ailleurs, insistent sur le fait qu’il faut chanter l’introït qui se trouve dans le graduel romain, c’est à dire sans tropes. Cependant, là où un équilibre s’est créé entre fidélité à l’esprit de la liturgie et souplesse vis-à-vis des rubriques, on les chante de temps à autre : par exemple le trope Audite Insulæ pour la nativité de Saint Jean-Baptiste, à Saint-Eugène (Paris). Cela reste contra legem, diront les tridentinistes : tant pis pour eux.

Le choix fait dans cet exemple est de placer la schola dans la procession d’entrée, avec le tropiste en dernier (pour l’occasion confondu avec le chef de chœur). Ce choix a l’avantage d’illustrer le caractère processional du trope d’introït ; il a l’inconvénient de ne pas s’adresser à l’assemblée. En effet, dans le texte du trope comme dans celui de l’introït avec lequel il est entremêlé, c’est Jean Baptiste qui parle aux païens ; la schola tient le rôle de Jean Baptiste, il est assez logique qu’elle s’adresse à l’assemblée aussi bien qu’à Dieu (qui est le premier et principal auditoire, rappelons-le, de toute musique liturgique).

Écoutez, îles de la mer, soyez attentifs, tous les peuples : de loin le Seigneur m’a appelé, dès le ventre de ma mère le Seigneur a appelé mon nom.

Audite, insulæ, et attendite, populi : de longe Dominus ab utero vocabit me, de ventre matris meæ vocabit Dominus nomine meo.

L’aspersion dominicale relègue par contre le trope d’introït, qui ne peut être employé que comme processionnal, aux fêtes hors du dimanche, à moins d’organiser une deuxième procession d’entrée entre l’aspersion et le début de la messe, ce qui ne serait pas sans fondement.

3.2. Dans la forme ordinaire, à l’ancienne

La forme ordinaire fait les provisions rubricales nécessaires pour que le trope d’introït y soit tout à fait licite. La manière de le chanter est la suivante : on commence à chanter dès le début de la procession d’entrée, en chantant le trope et l’antienne d’entrée tels qu’ils sont imbriqués ensemble ; puis on chante le verset, puis on répète l’antienne seule. Si les encensements durent, on continue comme pour toute Messe (vraiment) chantée, en prenant d’autres versets ou un Gloria Patri et en reprenant l’antienne seule. Dans tous les cas, le trope n’est chanté qu’une fois.

Il importe de faire figurer le texte du chant, complètement développé (antienne tropée, verset, antienne non tropée) sur la feuille de Messe, afin de ne pas donner aux fidèles un sentiment de dépossession qui les ferait sortir d’une attitude de participation intérieure au chant de la schola. Ceci présente une difficulté là où le grégorien est si bien ancré, que tous les fidèles ont un missel grégorien et que l’édition de feuilles de Messe est superflue. Il semble clair qu’en 2020, ces endroits sont rares.

Les tropistes devraient, au contraire du chantre, faire face à l’assemblée, à laquelle ils s’adressent explicitement. Les soli étant, en liturgie, idéalement réservés au prêtre, il est bon que les tropistes soient deux ou trois, pas plus, le service du texte du trope nécessitant une certaine rapidité d’exécution peu compatible avec un chœur nombreux. Ils doivent être en tous cas beaucoup moins nombreux que la schola : si on n’a que quatre ou cinq choristes, le tropiste devra être seul. Il importe également que le tropiste soit physiquement distinct de la schola, et même idéalement hors du sanctuaire, afin d’illustrer son rôle para-liturgique et non liturgique. À ce titre, les pupitres d’animateur, délaissés par toutes les bonnes scholas, pourront retrouver une utilité. Il est tout à fait exclu que le tropiste chante depuis l’ambon.

3.3. Comme un mot d’accueil chanté ?

Pour éviter d’avoir à imprimer des feuilles, une solution facile est de plutôt chanter le trope en français. Dans cette option, deux problèmes se posent :

Premièrement, l’alternance entre français et latin au sein de l’introït (étant entendu que l’introït reste en latin ; je ne développe pas le cas de l’introït français, aujourd’hui pratiquement inexistant). Cette alternance est de nature à étonner les fidèles et nuit à la compréhension d’ensemble du texte.

Deuxièmement, l’adaptation nécessaire à la mélodie grégorienne : on risque de devoir faire un choix impossible entre musicalité du trope et qualité de la traduction.

Aussi, si on choisit la voie des tropes en français, le chemin le plus sûr est probablement d’adapter le trope pour lui donner la forme du Gregorius præsul évoqué plus haut : celle, non d’un trope intercalaire, mais d’une introduction chantée, sur le mode grégorien de l’introït qui va suivre immédiatement. On se rapproche alors nettement de la fonction para-liturgique du mot d’accueil (à laquelle, comme on l’a vu, les tropes d’introït antiques ne sont pas étrangers). L’introduction à l’introït en français ne présente que des avantages par rapport au sempiternel mot d’accueil :

  • Elle n’est pas improvisée mais doit être fixée par écrit, ce qui en augmentera mécaniquement la qualité textuelle dans des proportions dramatiques.
  • Elle ne met pas en avant la personne du célébrant puisqu’elle est donnée par un groupe de chanteurs anonymes.
  • Elle supprime le caractère mondain et interpersonnel du mot d’accueil (que ceci soit un avantage sera probablement débattu : l’auteur tient ferme sa position).
  • Elle est chantée, et chantée sur le ton de l’introït qui suit, ce qui la connecte efficacement à l’action liturgique à laquelle elle est subordonnée.

Curés de tous les pays, cessez d’improviser votre mot d’accueil : vous n’êtes pas des comédiens de one-man-show et vos paroissiens ne seront ni plus ni moins vos amis parce que vous ne leur aurez pas souhaité la bienvenue entre le signe de croix et le Confiteor. Rédigez deux phrases sur le saint du jour ou sur les lectures du dimanche, et confiez-les à votre chantre favori pour qu’il les chante sur le ton de l’introït. Et naturellement, si votre paroisse ne chante pas déjà l’introït, il est temps de vous y mettre par la même occasion.

Chanter à la Messe ou chanter la Messe ? Partie II

Dans la première partie, nous avons proposé quelques ressources pour apprendre à chanter le propre de la Messe, à savoir les antiennes d’entrée, d’offertoire et de communion (plus éventuellement le répons graduel et l’Alléluia), avec leurs versets tirés des psaumes.

Nous étions cependant resté en suspens sur une question primordiale : que faire des cantiques ? Si on chante le propre, cela veut-il dire qu’on ne chantera plus de cantiques ?

Précisons les termes de notre question. Le propre de la Messe inclut les antiennes présentées ci-dessus, qui sont proposées dans le Graduale Romanum (avec une variation possible pour les chants entre les lectures, que l’on peut prendre au graduel ou au lectionnaire). Dans la majorité des paroisses, ces chants ont disparus, au profit des cantiques ; nous entendons par « cantiques » ces chants extra-liturgiques, souvent en langue vulgaire, chantés au cours de la liturgie (Messe ou office divin).

Vous ne voyez pas de quoi on parle ? Bon. Vous voyez les chants des « carnets verts » de la communauté de l’Emmanuel ? Eh bien voilà, ce sont des cantiques.

Bref. Maintenant, vous voyez de quoi il s’agit. La question est : que faut-il en faire, de ces fameux cantiques ? C’est ce que nous allons voir en examinant leur légitimité dans un premier temps, leur choix dans un second temps.

1. Lâcher les cantiques ?

Si l’on chante le propre, faut-il laisser de côté les cantiques ? C’est une solution envisageable en certains lieux, et tout à fait justifiée, car ils n’ont rien d’obligatoire, ils viennent comme « par surcroît », en plus des chants qui accompagnent le rite. Ainsi, le seul « chant d’entrée » traditionnellement prévu par la liturgie est l’antienne d’introït, avec ses versets, l’antienne étant reprise entre chaque verset. Nous recommandons d’ailleurs la lecture de cet article (en anglais) où l’auteur décrit une Messe célébrée sans cantiques (selon le nouveau missel!) à laquelle il assista en la cathédrale Saint-Marc, à Venise.

Cela dit, trois arguments de poids plaident en faveur de leur maintien.

Premièrement, un simple constat : les cantiques, dans les paroisses, sont aujourd’hui une réalité. Il ne sert à rien de prétendre qu’ils n’existent pas, de faire comme s’ils étaient une illusion d’optique. En un mot, ils sont là ; et l’étant depuis longtemps, ils ne vont pas disparaître de sitôt.

Deuxièmement, le concile Vatican II nous demande de favoriser « les acclamations du peuple, les réponses, le chant des psaumes, les antiennes, les cantiques et aussi les actions ou gestes et les attitudes corporelles. On observera aussi en son temps un silence sacré. » (Sacrosanctum Concilium, 30, c’est nous qui surlignons). Le mandat de l’Eglise est formel : les cantiques doivent être non seulement conservés, mais favorisés, dans la mesure où ils permettent aux fidèles de joindre leurs voix à celle de la schola, ce qui est plus difficile à faire pour les chants du propre ; plus encore, ces chants, le plus souvent composés en langue vulgaire, permettent de maintenir un équilibre entre celle-ci et la langue latine lorsque le propre est chanté en latin (ce que l’on souhaite au plus grand nombre).

Ce qui nous mène à notre troisième point : chaque pays catholique dispose d’une pléthore de cantiques composés au fil des siècles. Qu’on le veuille ou non, ils ont pénétré la piété et la spiritualité des peuples qui les ont vu naître. Et si l’on trouve parmi eux nombre d’œuvres médiocres (et plus encore aujourd’hui), certains peuvent être vus comme de vrais joyaux méritant d’être préservés. En un mot, ils font partie de notre tradition ; et ce serait pitié que de les voir disparaître purement et simplement de nos offices.

Pour ces trois raisons, la conservation des cantiques est chose acquise, que l’on considère lesdits cantiques comme un mal à tolérer ou comme un patrimoine à promouvoir. Ce point étant établi, reste à savoir quels cantiques il convient de chanter.

2. Quels cantiques ?

La difficulté avec les cantiques est double. Premièrement, ils ne sont souvent pas d’origine scripturaire ; deuxièmement, la liberté de choix en ce domaine est totale, avec le risque d’introduire des compositions mièvres, irritantes, voire doctrinalement douteuses ou carrément hérétiques (ne sourions pas, la chose est arrivée beaucoup trop souvent pour que l’on sous-estime ce péril). C’est une question de cohérence et d’intégrité : il ne sert de rien de chanter l’introït « Gaudeamus omnes » le jour de la Toussaint s’il est précédé de « Je crois au Dieu qui chante… ». Pour éviter cela, il conviendrait d’abord de se souvenir qu’un cantique chanté au cours de la Messe doit être approuvé par la conférence des évêques locale (cf. IGMR 48).

Il convient ensuite de faire une sélection. Le cardinal Francis Arinze, ancien préfet de la Congrégation pour le culte divin avait jadis invité les évêques américains à compiler des recueils de cantiques exclusivement catholiques. De nombreuses initiatives en ce sens ont répondu au souhait du cardinal ; citons par exemple le « Saint Jean de Brébeuf hymnal ».

Il n’existe, à notre connaissance, aucune autre composition en ce sens en langue française ; le besoin s’en fait pourtant ressentir. Souhaitons que nos évêques aient la hardiesse de mettre au point pareils recueils, pour l’édification du peuple qu’ils ont à paître.

En attendant, quels critères, pour les cantiques ? Le cardinal Arinze en donnait trois (il va de soi que ces indications supposent que le propre de la Messe est intégralement chanté, et que les cantiques ne peuvent que venir par surcroît) :

  • La profondeur théologique : il ne s’agit pas simplement d’éviter l’hérésie (ce qui relève du strict minimum!) mais plus encore, de proposer un chant au contenu doctrinal important ; on préférera donc toujours les textes forts et pleinement catholiques, puisant dans la parole de Dieu ou dans la tradition, aux compositions musicalement excitantes, mais spirituellement pauvres.
  • L’enracinement liturgique : la liturgie est en effet la source de toute théologie catholique digne de ce nom (Lex orandi, lex credendi, la loi de la prière est la loi de la foi) et sa nourriture ; il convient donc de bien choisir les cantiques, de discerner ceux qui conviennent au temps liturgique de ceux qui ne lui conviennent pas ; à cet égard, le grégorien doit nous servir de modèle, non seulement pour le propre, mais aussi pour les cantiques ; la solution retenue par le « Saint Jean de Brébeuf hymnal », consistant à chanter sur des tons très simples des hymnes tirés de la tradition hymnographique romaine doit à cet égard nous inspirer, tant pour la Messe que pour l’office).
  • La qualité musicale : les deux premières conditions étant posées, il va de soi que le cantique doit être plaisant à entendre et à chanter, afin que les fidèles prennent plaisir à chanter ce qui relève de leur foi, associant ainsi le beau au vrai ; ce qui implique, bien sûr, une certaine simplicité dans les mélodies, mais l’on se gardera de confondre la simplicité avec la médiocrité.

Enfin, il faut déterminer quel moment est le plus opportun pour le chant des cantiques. Laissons la parole à M. Laszlo Dobszay (qui parle ici dans le contexte de la forme extraordinaire et suppose, là encore, que le propre est intégralement chanté) :

En de nombreux pays, une pieuse tradition veut que le peuple se rassemble avant le début de la Messe et chante des cantiques en préparation de l’action sacrée. Il est aussi de coutume, en de nombreux endroits, qu’un cantique bref mais significatif soit chanté après l’Évangile et le sermon (je note au passage que cette coutume préserve la fonction originale et première du cantique de foule médiéval, qui était d’encadrer l’homélie). Là où l’offertoire est exécuté avec une solennité appropriée (procession, encensement), il y a assez de temps pour ajouter un chant de foule au chant d’offertoire lu ou récité. Plus encore, le cantique à l’Élévation remonte aussi au Moyen-Age : le peuple exprimait ainsi sa foi en la Présence Réelle et et adorait le Christ présent sur l’autel, pendant que le célébrant interrompait le Canon Missae (aujourd’hui [dans la forme ordinaire, ndt], ce cantique pourrait fonctionner comme un trope, pour ainsi dire, à l’acclamation « Mortem tuam »). La distribution de la Sainte Communion et l’action de grâce qui s’ensuit laisse, là encore, du temps pour chanter des cantiques après le chant de communion. Et un bon chant de foule est pratiquement indispensable à la fin de la Messe […]. Ces opportunités permettraient donc de chanter au moins deux ou trois, ou jusqu’à cinq ou six chants de foule1.

Même en chantant le propre, il y a donc du temps pour des cantiques :

  • avant la Messe ;
  • lors de la procession d’entrée, avant l’introït (c’est nous qui le notons) ;
  • après l’Evangile et le sermon ;
  • après l’antienne d’offertoire ;
  • après l’élévation ;
  • pendant la communion, après l’antienne afférante ;
  • à la fin de la Messe.

Soit six ou sept cantiques à la Grand-Messe.

Conclusion.

On l’a vu, il ne s’agit donc pas d’opposer les cantiques et le propre. Si le second a pour lui la tradition la plus ancienne et doit être restauré de ce fait, les premiers jouissent d’une incontestable popularité, qui rendrait leur suppression aussi maladroite que contre-productive.

Pour terminer, laissons peut-être la parole à saint Ambroise de Milan, qui lutta contre l’hérésie arienne avec les armes de l’hérésie, à savoir les cantiques et fit occuper par les fidèles catholiques une église de Milan, pour éviter que celle-ci ne fut remise aux hérétiques :

« Les Ariens disent que le peuple a été séduit par mes hymnes. Et je ne le dénie aucunement. C’est une grande hymne, plus puissante que n’importe quelle autre. Car qu’y a-t-il de plus puissant que la confession de la Trinité célébrée à haute voix par tout le peuple ? » (Ambroise de Milan, Sermo contra Auxentium 34, PL 16, 1017).

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1 Laszlo Dobszay, The Bugnini Liturgy and the Reform of the Reform, p. 119.

Quelles orientations pour un nouveau mouvement liturgique?

Dans ses Mémoires publiées en 1997, le cardinal Ratzinger écrivait: «Nous avons besoin d’un nouveau mouvement liturgique, qui donne le jour au véritable héritage du concile Vatican II». C’est afin de répondre à cet appel qu’une vingtaine de personnalités catholiques (supérieurs de monastères, prêtres, évêques, journalistes, intellectuels catholiques) soucieux de donner l’impulsion à un renouveau d’intérêt pour la question liturgique, se réunirent à l’occasion d’un colloque qui s’est tenu en juillet 2001 à l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault (Indre), sous la présidence du cardinal Ratzinger lui-même. Les différentes conférences prononcées à l’occasion de ce colloque ont été réunies en un ouvrage intitulé «Autour de la question liturgique», publié en novembre de la même année. La préface, rédigée par le T.R.P. dom Hervé Courau, abbé de l’abbaye Notre-Dame de Triors, rappelle les origines et les circonstances de l’événement, avant de tracer les grandes orientations qui devraient être celles de ce nouveau mouvement liturgique, dont l’émergence apparaît comme indispensable pour que l’Eglise d’Occident retrouve le sens profond et originel de la prière liturgique. Nous reproduisons le texte de cette préface ici, illustrée de quelques images d’une liturgie solennelle de la Pentecôte telle que célébrée à l’abbaye de Fontgombault .

« L’idée des Journées liturgiques de Fontgombault a germé à l’occasion de divers entretiens avec le Cardinal Ratzinger. Sa pensée, ainsi que le montre bien son livre récent L’Esprit de la liturgie, tourne souvent autour de l’idée d’un nouveau Mouvement liturgique, ou plutôt, d’un nouveau souffle pour « redynamiser » ce Mouvement sur lequel on avait fondé légitimement tant d’espoirs. On ne refait pas l’histoire et les chances gâchées ne se retrouvent pas. Le gros chantier de la réforme liturgique a besoin de stabiliser ses accotements: c’est du simple bon sens, avant d’être sagesse. Les déceptions du proche passé, si cruelles qu’elles puissent paraître, ne sont pas uniquement négatives, elles donnent aussi une leçon positive sur l’avenir: le Mouvement liturgique ne saurait être repris que sur des bases assainies, en faisant toujours davantage confiance à la Providence toute spéciale qui gouverne la Prière de l’Eglise: seule l’Esprit Saint est habilité à lui faire dire en vérité Abba-Père.

Le Cardinal ne souhaitait pas un débat devant les foules: le cadre de Fontgombault d’ailleurs ne s’y prêtait pas. Aussi fallait-il sélectionner un échantillon suffisamment représentatif de participants. En grande partie ce choix est dû au Cardinal lui-même. Il tenait à ce que les usagers des deux Missels romains de 1962 et de 1969 soient représentés à part égales.

Ces Journées se sont déroulées du 22 au 24 juillet 2001. Le dimanche 22, le cardinal chanta la sainte Messe (Missel de 1962) et donna l’homélie. En début d’après-midi, , après l’accueil des participants par le Père abbé de Fontgombault, Dom Antoine Forgeot, commencèrent les travaux proprement dits. La réflexion devait être conduite en quatre directions, ce qui donna quatre séries d’interventions dédoublées (conférence magistrale, puis applications plus concrètes): théologie de la liturgie, aspects anthropologiques de la liturgie, rite romain ou rites romains (ou quelle place pour la diversité dans la liturgie romaine?) et enfin les problèmes posés par la réforme liturgique et les leçons à tirer pour un nouveau Mouvement liturgique.

Ces diverses interventions ont été suivies de débats assez brefs, mais bien nourris. Un résumé de ceux-ci figure à la fin de cet ouvrage. Par ailleurs, trois laïcs sont intervenus, avant que le cardinal ne prononce la conférence de clôture. Puissions-nous y trouver lumière et courage pour oeuvrer humblement, chacun à sa place, dans le vaste champ de la Prière de l’Eglise.

Deux mots d’auteurs monastiques anciens me sont souvent revenus durant ces Journées: « Si tu pries, tu es théologien, si tu es théologien, tu pries » (saint Nil du Sinaï). « Le moine (entendez, le chrétien) commence à prier vraiment, quand il commence à ignorer qu’il prie » (saint Antoine le Grand). J’en rapproche le début de la 4e partie du livre du Cardinal: « Le très grand don de la foi chrétienne est de nous avoir fait connaître le juste culte ».

La devotio moderna (premier usage du mot moderne!) a consacré vers le XVe siècle un divorce entre liturgie et prière intérieure, livrant trop souvent cette dernière au risque de l’introspection, même si les écoles carmélitaine et ignatienne furent suscitées par la divine Providence pour diminuer ce danger. Dans le mouvement de pensée issu de Dom Guéranger et consacré par le Concile Vatican II (même si, hélas, un grand nombre de ses applications lui sont étrangères), la réflexion de ces Journées m’a paru s’orienter vers une devotio postmoderna, renouant avec la devotio antiqua, sans remettre en cause les apports de la théologie spirituelle du deuxième millénaire. Il s’agit de réunir à nouveau la liturgie intérieure et celle de l’Eglise-Epouse, dans la ligne des Pères et sans faire l’impasse sur le Moyen-Age qui a su y être fidèle: saint Thomas d’Aquin et le Concile de Trente sont ici des repères irremplaçables, a souligné le Cardinal.

Le troisième millénaire doit redresser ce qui a été gauchi au millénaire précédent, et cela sans cette prétention d’archéologisme réductrice, dénoncée par Mediator Dei, et dont les ravages n’ont pas été minces. L’unité avec l’Orient chrétien en particulier passe par cette réorientation de la liturgie latine, appelée à mieux goûter ses sources authentiques et à y être fidèle: on a trop confondu la noble simplicité avec des rites paupérisés.

Le vide de l’art sacré qui a suivi et l’absence d’intériorité masquant celle de la prière sont de graves symptômes qui appellent d’abord un cri vers Dieu afin que le don de la foi soit accordé abondamment aux âmes. Celle-ci rend docile à l’Esprit qui fait seul dire en vérité Abba-Père ».

Dom Hervé Courau, O.S.B.

L’encens dans la liturgie

L’encensement : voilà encore un rite qui renaît ici ou là après avoir failli disparaître après Vatican II car, disait-on alors, il n’est plus compris et fait partie d’usages devenus désuets. C’est une curieuse pédagogie qui se faisait alors : au lieu d’expliquer, on préférait éliminer. Une pastorale du « décapage intégral » en quelque sorte. Heureusement, nous n’en sommes plus là et le jeune clergé, plus attentif à la beauté et à la dignité de la liturgie, réintroduit l’encensement quand il le peut.
Contrairement à ce qui fut souvent avancé, le Concile de Vatican Il n’a pas supprimé les rites d’encensement. Au contraire, il leur a donné toute leur dimension en les situant à leur vraie place au cours des célébrations, surtout lorsqu’elles sont solennelles.
En étudiant les rites de l’encensement, nous pouvons mieux en comprendre le sens et ainsi les réintroduire dans nos célébrations, ce qui peut amplifier la qualité de certaines messes réduites à une sorte de « minimum liturgique ».

Commençons par faire un peu d’étymologie pour voir quelle est l’origine du mot « encens ». Si nous cherchons dans nos textes liturgiques latins, nous voyons que le mot français « encens » est donné par deux mots latins différents : « thus » et « incensum ». Les deux mots latins sont utilisés dans notre liturgie. Où se situe la nuance, la différence ?
Il faut savoir que le mot latin « incensum » ne désigne pas uniquement notre encens : il se rapporte à tout ce qui brûle. Ce terme latin a donné le mot « incendie » : « encens » et « incendie » ont une racine latine commune qui évoque tout ce qui se consume par le feu.
Mais comme nous le savons par les textes bibliques – entre autres -, l’idée de feu évoque également l’idée de « sacrifice ». D’où la question : qu’est-ce qu’un sacrifice ? Là encore, le latin nous aide à découvrir la richesse de ce mot : « sacrifice » vient de « sacrum facere » qui signifie « rendre sacré ». Une chose est rendue sacrée parce qu’elle est offerte de façon exclusive à une divinité ; en étant offerte, elle est détruite par le feu qui en même temps la purifie. Souvenons-nous de l’Ancien Testament : le sacrifice d’Abel le juste, le sacrifice d’Abraham offrant son fils unique à Dieu, et tant d’autres exemples qui marquent l’alliance de Dieu avec son peuple…
Ces sacrifices sont à rapprocher de l’offrande de l’encens (incensum), car ils font appel à l’idée de feu : ce feu à l’aide duquel Dieu nous prive des biens que nous lui offrons afin de se les approprier. C’est cette idée de l’ « encens/incensum » qui est exprimée dans notre liturgie et non pas l’idée de l’ « encens/thus ». La liturgie eucharistique est un sacrifice : le pain et le vin y sont offerts à Dieu et leur destruction est symbolisée par l’encensement au moment de l’offertoire. Mais, à la différence des sacrifices de l’Ancien Testament, cette destruction ne conduit pas à un anéantissement de la matière-pain et de la matière-vin, mais à leur transformation en Corps et en Sang du Christ. Voilà pourquoi les rites de la messe utilisent l’ « encens ». Et cet encens est tellement lié à l’idée de sacrifice, que durant la période romaine, les premiers chrétiens préféraient se faire tuer plutôt que d’offrir de l’encens à la statue de l’empereur. Ils ne pouvaient pas admettre que l’on puisse offrir un sacrifice d’encens à un simple mortel, l’empereur, puisque l’unique sacrifice devait être réservé à Dieu seul, au Dieu de d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : au Dieu de Jésus-Christ. Offrir de l’encens à la statue de l’empereur, c’eut été reconnaître publiquement que l’empereur était comme un dieu : c’était donc commettre le péché d’idolâtrie en niant l’existence du Dieu unique.

L’usage de l’encens ne se retrouve pas qu’à la messe. Si nous ouvrons notre Bible aux premières pages de l’Évangile selon saint Marc, nous y lisons le très bel épisode où Zacharie officie : il a été désigné pour offrir le sacrifice de l’encens durant la prière du soir. Et c’est pendant qu’il accomplit cette fonction qu’un ange va lui apparaître pour lui annoncer la naissance d’un fils : Jean-Baptiste.
Cet usage de l’encens durant la prière du soir est demeuré vivant dans notre liturgie. La prière du soir chrétienne, ce sont les vêpres, au cours desquelles sont chantés les psaumes. Or les vêpres s’achèvent toujours d’une façon solennelle par le chant du « Magnificat ». Ce n’est plus l’ange qui apparaît à Zacharie pour annoncer la naissance de Jean, mais c’est l’archange Gabriel qui annonce à Marie la venue de son fils Jésus. Et Marie chante alors son « Magnificat » : mon âme exalte le Seigneur…
Mais comme au temps de Zacharie, dès les premières notes du « Magnificat », le peuple se lève et en signe de bénédiction, les fidèles font le signe de la Croix. Puis, pendant que le chant se déroule, le prêtre encense l’autel. A la fin du chant, les servants encensent le prêtre et l’assistance, afin de montrer que tous sont sanctifiés par la participation à ce même sacrifice du soir.
Durant la messe, l’encens est utilisé à deux reprises : au début de la célébration, et pendant l’offertoire. Au commencement de la messe, pendant que la schola chante l’antienne d’entrée (Introït) avec le texte du jour, le prêtre encense l’autel. Ce geste a une double portée symbolique : d’une part, le célébrant indique que la messe est un sacrifice, puisqu’on y brûle l’ « incensum », et d’autre part, il honore l’autel sur lequel aura lieu ce sacrifice, autel qui représente le Christ « pierre d’angle rejetée des bâtisseurs ». A l’offertoire, le célébrant encense tous les éléments qui, de près ou de loin, sont en lien avec la puissance de Dieu et sont spiritualisés par Lui : l’autel, le pain, le vin. Puis, un servant (l’acolyte) encense le prêtre lui-même ainsi que l’assistance, pour bien montrer que les membres de l’assemblée eux-mêmes sont étroitement unis aux dons qui sont sur l’autel (le pain et le vin) et qui deviendront le Corps et le Sang du Christ.

Ajoutons un autre encensement – plus discret peut-être – qui a également lieu durant la messe : il s’agit de l’encensement du livre des Évangiles (l’Évangéliaire), avant la proclamation de la Parole de Dieu. En réalité, ce n’est pas le livre que l’on encense mais la Parole divine dont il est le support écrit. Avant ces différents encensements dont il a été question, le prêtre trace toujours un signe de Croix sur les grains d’encens disposés sur les charbons qui brûlent dans l’encensoir.
L’encens est encore utilisé durant les Saluts du Saint-Sacrement, lorsque le prêtre honore le Corps du Christ exposé dans l’ostensoir, pendant le chant du « Tantum ergo ». Dans ce cas, le signe de Croix tracé sur les grains d’encens est omis par le prêtre.
Revenons un instant à la liturgie des vêpres – prière du soir -, pour citer un verset de cet office qui résume le mieux la signification du rite décrit plus haut. Il s’agit de cette acclamation, probablement l’une des plus anciennes du répertoire grégorien, qui dit : « Seigneur, dirige notre prière vers Toi, comme l’encens qui monte devant ta face » (Dirigatur Domine oratio mea, sicut incensum in conspectu tuo). Nous trouvons là l’expression du symbolisme de cet encens, très utilisé dans toutes les liturgies orientales, et parfois oublié de nos jours dans nos églises.

A cette description de l’usage de l’encens, il faudrait ajouter plusieurs éléments. On utilise en effet l’encens dès qu’il s’agit de bénir au cours d’un office un objet auquel on veut donner une signification chrétienne : cierge, médaille, maison, automobile, rameau… A ces objets, l’Église souhaite donner une puissance particulière du fait qu’elle en fait des signes privilégiés de la puissance de l’Esprit de Dieu agissant au milieu de nous. Ce n’est en rien de la magie : ce n’est pas l’objet lui-même qui acquiert une force nouvelle. L’objet, sanctifié par un usage nouveau, ne fait que signifier que nous voulons donner à Dieu le moyen d’agir au milieu de nous, le moyen de nous montrer sa puissance opérante par le biais d’un signe qui nous parle. A ces objets, nous donnons volontiers une dimension symbolique liée à un souvenir : médaille de communion, rameau béni que nous mettons sur la tombe familiale pour asperger la dépouille des êtres disparus, cierge de la chandeleur que nous allumons en cas de péril grave (maladie, épidémie, agonie, et autrefois les orages violents…), image de sainte Agathe mise dans les fermes et les granges pour protéger les habitations des incendies… etc.
Enfin, l’encens est utilisé aux messes d’enterrements, durant l’absoute (ou « dernier adieu »), pour rendre un dernier honneur à la dépouille mortelle au chrétien qui nous quitte. En effet, selon l’enseignement du Christ, il faut se souvenir que nos corps sont dignes de respect puisque, durant leur vie terrestre, ils sont les temples de l’Esprit de Dieu.

Nous avons surtout parlé jusqu’ici de l’encens « incensum ». L’Écriture Sainte fait-elle mention de l’encens « thus » ? Oui, dès le début des Évangiles, lorsque les mages apportent leurs présents à l’Enfant-Jésus. Les paroles du graduel chanté entre les deux premières lectures de la fête de l’Épiphanie disent : « Omnes de Saba venient, aurum et thus deferentes… » Les mages offrent de l’or et de l’encens (curieusement, il n’est pas question de l’offrande de la myrrhe). Le texte, qui est du prophète Isaïe, est repris dans l’Évangile selon saint Matthieu qui précise la nature des dons offerts par les visiteurs venus de pays lointains : l’or, symbole de royauté, l’encens, symbole de divinité.
La résine qui produit l’encens était extraite d’arbres poussant en Inde ou en Arabie du sud, cette région riche appelée « pays de Saba ». Voilà pourquoi, en reprenant les paroles d’Isaïe, le chant du graduel de l’Épiphanie nous fait proclamer que « tous viendront de Saba, en apportant l’or et l’encens… » Ici, c’est le mot latin « thus » qui est employé, et non le mot « incensum ». L’encens mentionné n’a donc aucun rapport avec un acte liturgique : il n’est qu’une offrande faite à Jésus reconnu comme roi, et non pas un sacrifice adressé à Dieu.

Cette brève étude sur l’encens nous montre que la liturgie est riche de tout un enseignement directement greffé sur la Bible et sur l’histoire de l’Église. Il serait regrettable que cet enseignement ne devienne qu’une spéculation intellectuelle pour les historiens du culte : il doit avant tout rester vivant et accessible à tous par la pratique des rites. Grâce aux rites accomplis correctement et aux bons moments, nous pouvons permettre à nos liturgies de sortir de leur banalité qui fait naître tant d’ennui au cours de certaines célébrations. L’encens est démodé, disent parfois ceux qui croient moins à l’efficacité de la liturgie qu’aux modes qui les poussent à introduire des pratiques étranges dans leurs célébrations. Mais sont-ils certains, ceux-là, qu’une telle affirmation ne trahit pas plutôt leur ignorance du sens qu’a la prière liturgique de l’Eglise ? En réalité, l’encens n’est pas démodé : il est utilisé de nos jours sous forme de fines baguettes odoriférantes pour parfumer les maisons. On peut voir là un glissement des valeurs : on ritualise des pratiques qui se perdent dans nos liturgies.

On nous parle souvent de « participation extérieure » de nos jours. Il faut rappeler que cette participation se traduit d’abord par un comportement. Un étranger à l’Église et à sa foi qui viendrait voir ce qui se passe durant une messe, ne se comporte pas comme un croyant qui sait ce qu’est la célébration eucharistique, qui fait partie de l’assemblée et qui en adopte les gestes. Or, ces gestes utilisés par l’Église attestent que l’homme s’adresse à Dieu : ils ne servent qu’au culte et à la prière. Au XVIIIe siècle, le Père Lebrun écrivait : « L’encens qu’on offre à Dieu est un symbole de nos prières et du don de nous-mêmes. On encense le pain et le vin pour marquer plus sensiblement que nous joignons à ces dons nos vœux et nos prières. » La disparition – qui fut un temps programmée – des rites d’encensement n’a-t-elle pas traduit le peu de conviction que certains fidèles de l’après-Concile ont mis dans la prière liturgique ?

Denis Crouan, de Pro Liturgia.

Pourquoi faudrait-il prier en latin avec les textes de la liturgie ?

Tribune

Les tribunes reflètent uniquement la pensée de nos contributeurs et n’impliquent pas l’entière approbation de la rédaction.

Je ne souhaite pas ici relancer l’éternel marronnier de la déficience des traductions liturgiques ; il y a déjà eu énormément de publications sur la catastrophe de la traduction française du Pater noster (que ce soit l’ancienne ou la nouvelle avec l’introduction du « ne nous laisse pas entrer en tentation », qui à bien y réfléchir n’est pas moins problématique), ou encore l’Orate Fratres (il semble même que le projet de la nouvelle formulation cache en lui-même des graves imperfections…).

Tout cela est bien connu, et les bonnes volontés apparues lors de la sonnette d’alarme tirée par le Pape Jean-Paul II à ce sujet (Vicesimus quintus annus, 1988, Liturgiam authenticam 2001) n’ont pas semblé réellement porter de fruit jusqu’en 2020 au moins dans l’aire francophone, mais certainement aussi ailleurs. Pour rappel, la nouvelle traduction du missel n’est toujours pas officiellement mise en œuvre. Ce problème des traductions est pourtant largement connu et documenté. Je ne reviens donc pas dessus. Cet article sera donc une réflexion qui visera non pas à me lamenter de l’immobilisme de l’institution ecclésiale sur ce sujet, mais sur les conséquences de cet immobilisme, et donc sur l’importance de continuer à nous mobiliser sur le site www.societaslaudis.org pour proposer des traductions sur le latin qui soit en harmonie avec l’enseignement des apôtres et la sagesse des Pères.

Ce qui m’intéresse aujourd’hui, ce sont donc les conséquences de ces traductions déficientes pour la vie de prière, mais aussi pour l’enseignement de la foi. Car c’est bien sûr cela le plus grave.

Devant mes yeux, ce matin même (7 mai 2020, jeudi de la 4ème semaine de Pâques), nous avons une collecte à la fin de l’office des Laudes qui est un résumé magnifique de l’histoire du salut :

Deus, qui humánam natúram supra primæ oríginis réparas dignitátem, réspice ad pietátis tuæ ineffábile sacraméntum, ut, quos regeneratiónis mystério dignátus es innováre, in his dona tuæ perpétuæ grátiæ benedictionísque consérves. Per Dóminum.

Nous traduisons ainsi sur Societas laudis :

Ô Dieu, qui as restauré la nature humaine au-dessus de la dignité de sa première origine, tourne-Toi vers l’ineffable mystère de Ta bonté, afin que, ceux que Tu as jugés dignes de renouveler par le mystère de la régénération, Tu les conserves dans ces dons de Ta grâce éternelle et de Tes bénédictions.

Le problème c’est qu’en chantant cet office avec Les Heures grégoriennes, l’excellent antiphonaire diurne conçu par la Communauté Saint Martin et édité par l’abbaye Saint Joseph de Clairval à Flavigny Sur Ozerain, nous avons la traduction suivante, sur la page de droite, qui est tirée des textes officiels pour la liturgie francophone, © AELF :

Dieu qui relèves la nature humaine bien au-dessus de sa condition originelle, souviens-toi de cette œuvre de ton amour : maintiens dans ta bénédiction ceux que tu as régénérés.

Et bien oui : ce n’est plus qu’un gloubi-boulga qui n’ a plus vraiment de signification. De quelle régénération parle-t’on ? De quelle condition originelle s’agit-il ? Parle t’on du péché originel ou d’autre chose ? Rien n’est clair.

Alors que le texte latin signifie évidemment que le Christ par Sa mort, a élevé la condition humaine au-dessus de celle d’Adam avant le péché des origines, et que c’est bien cela que nous célébrons au temps pascal. Oui : ce n’est pas seulement une perte significative, c’est tout à fait un obscurcissement du mystère, qui demande de fait un commentaire pour être compris par le fidèle moyen. On est très loin de la volonté exprimée par Mgr Bunigni de rendre compréhensible au peuple les mystères sacrés par le moyen de l’utilisation la plus large possible de la langue vernaculaire….

Ouvrir les trésors de la table de la parole et de la table eucharistique au peuple de Dieu. Mais qu’est-ce qui, dans l’action liturgique, n’appartient pas au peuple de Dieu ? Tout lui appartient. En effet, son attention et sa participation ne sont exclues de rien. Dans les chants, il doit participer avec l’intelligence et la voix ; dans les lectures, avec l’écoute et la compréhension, car celui qui parle veut avant tout être compris ; dans les prières et dans la prière eucharistique, il doit comprendre, car il doit ratifier avec l’ « Amen » ce que le prêtre a fait au nom de l’assemblée, et ce qu’il a demandé à Dieu. Si donc le principe de la langue vulgaire dans la liturgie était de mettre l’assemblée en situation de participer consciemment, activement et fructueusement (« scienter, actuose et fructuose », Const. n. 11), aucune partie de l’action sacrée n’est justifiée dans une langue non comprise par le peuple.

En italien dans Notitiae, n°93-94, revue officielle de la Sacrée Congrégation pour le culte divin consultable ici http://paulorenaliturgia.com/wp-content/uploads/2019/02/93-94.pdf#page=71

Merci à https://pour-reflechir.blogspot.com/2019/12/ pour la traduction française.

Apparemment, pour Mgr Bunigni, dans ce texte signé par lui dans la très prestigieuse revue « Notitiae », le véritable « esprit du Concile », c’était évidemment de se débarrasser du latin dans la liturgie. Évidemment… Faire en sorte que les fidèles renouent avec la piété liturgique sous entendait pour lui impérativement d’utiliser exclusivement la langue vernaculaire comme instrument de vulgarisation. Et qu’importe si cela allait directement contre les canons du Concile Vatican II lui-même. On a beaucoup parlé sur internet, naguère, des options catastrophiques prises par ce prélat et qui ont entraîné l’écroulement de la liturgie romaine ces dernières années. Il y aurait beaucoup à rappeler mais ce n’est pas non plus mon sujet.

J’interviens en effet aujourd’hui car la traduction catastrophique la collecte des laudes du 4ème jeudi de Pâques (qui est également utilisée à la Messe) me fait également penser à une autre traduction réellement pénible et fautive que nous avons rencontrée également au Laudes, mais non pas aujourd’hui, 7 mai 2020 mais hier : Il s’agit non pas d’une collecte mais d’un passage de l’Écriture sainte utilisée comme hymne en 2ème psalmodie des laudes du mercredi de la 4ème semaine de Pâques : le cantique d’Isaïe (Is 61,10-62, 5), référencé AT30. Il commence par ces mots « Gaudens Gaudebo », les mots mêmes de l’incipit de l’Introït de la messe de l’Immaculée conception. C’est une description extrêmement évocatoire de la relation nuptiale entre Dieu et Jérusalem, et partant, entre Jésus-Christ et Son Église, dont la Vierge-Marie est l’image. Nous verrons que ce passage est en consonance parfaite avec ce que Jean-Paul II a développé dans sa « théologie du corps », et qui demeure à ce jour incomprise. Tout bon chrétien sait que le sacrement du mariage est aussi indissoluble que le don du Christ à Son Eglise. Le texte latin est explicite – dans tous les sens du terme -… La traduction française, elle, ne l’est pas (elle choquerait les oreilles des tenants d’un christianisme éthéré héritier d’un certain jansénisme ?). Voyons cela avec le texte latin (Nova Vulgata) à gauche et notre traduction de Societas laudis à droite :

Non vocáberis ultra Derelícta, * et terra tua non vocábitur ámplius Desoláta; On ne te nommera plus Délaissée, et ta terre ne se nommera plus Désolation.
sed vocáberis Beneplácitum meum in ea, * et terra tua Nupta, Mais on t’appellera Mon-plaisir-en-elle, et ta terre Epousée.
quia complácuit Dómino in te, * et terra tua erit nupta. Car le Seigneur mettra Son plaisir en toi, et ta terre aura un époux.
Nam ut iúvenis uxórem ducit vírginem, * ita ducent te fílii tui; Comme un jeune homme prend pour épouse une vierge, tes fils te conduiront ;
ut gaudet sponsus super sponsam, * ita gaudébit super te Deus tuus. et comme l’époux se réjouit sur son épouse, ainsi Dieu se réjouira sur toi.

Voici maintenant la traduction de l’AELF :

On ne te dira plus : « Délaissée ! » À ton pays, nul ne dira : « Désolation ! » Toi, tu seras appelée « Ma Préférence », cette terre se nommera « L’Épousée ». Car le Seigneur t’a préférée, et cette terre deviendra « L’Épousée ». Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils t’épouseront. Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, tu seras la joie de ton Dieu.

Le pire est  évidemment le dernier verset : pourquoi traduire « fiancé » et « fiancée » ? La référence est clairement conjugale, et ce d’autant plus que le texte mentionne explicitement un mariage ! Faut-il s’étonner dans ces conditions, que plus personne ne perçoive théologiquement le sens de la continence avant le mariage ? Et le sens profondément divin des relations sexuelles dans le mariage ? Ce serait réellement à méditer à l’heure où on apprend les déviances et abus sexuels de personnes – et de clercs – que l’on imaginait jusque-là au-dessus de tout soupçon (mentionnons avec amertume les problèmes récemment révélés de tous ces fondateurs de « communautés nouvelles » qui se sont heurtées violemment à une conception de la sexualité qui apparemment n’était pas fondée sur l’Écriture sainte, et probablement ce passage là d’Isaïe : Communauté Saint Jean, Arche, et tout récemment, les Foyers de Charité).

Arrêtons de croire que la liturgie n’a aucun impact sur la vie spirituelle. Ce texte, traduit de cette façon, est répété dans la liturgie des heures ou « PTP » (Prière du Temps Présent) dans le psautier toutes les semaines paires… Dans une vie chrétienne, une telle interprétation fautive finit par entrer dans le cerveau.

Soyons sérieux. Les combats sont suffisamment violents sur le terrain précis de la chasteté dans le clergé (c’est à dire la continence sexuelle) et dans le mariage (qui n’est en aucun cas un échappatoire aux tentations contre la chasteté) pour qu’on fasse l’économie d’une véritable compréhension, méditation, rumination et bien sûr célébration de ce que nous donne le Christ Lui-même dans Sa liturgie… Y compris sur le sujet de la signification profonde de la conjugalité. Et en l’espèce, ici c’est bien la langue vernaculaire qui pose problème.

Notons cependant que le problème n’est pas nouveau ; le dernier verset du cantique d’Isaïe dans la Bible « Fillion » est traduit de la façon suivante :

On ne t’appellera plus Délaissée, et ta terre ne sera plus appelée Désolée; mais tu seras appelée : Ma volonté est en elle, et ta terre : Habitée, car le Seigneur a mis Son plaisir en toi, et ta terre sera habitée. Car le jeune homme habitera avec la vierge, et tes enfants habiteront en toi; l’époux trouvera sa joie dans son épouse, et ton Dieu se réjouira en toi.

C’est certes un peu mieux…

Traduction « Glaire » :

On ne t’appellera plus Délaissée, et ta terre ne sera plus appelée Désolée ; mais tu seras appelée Ma volonté est en elle, et ta terre : Habitée, car le Seigneur a mis son plaisir en toi, et ta terre sera habitée. Car le jeune homme habitera avec la vierge, et tes enfants habiteront en toi ; l’époux trouvera sa joie dans son épouse, et ton Dieu se réjouira en toi.

Traduction Crampon :

On ne te nommera plus Délaissée, et on ne nommera plus ta terre Désolation. Mais on t’appellera Mon-plaisir-en-elle, et ta terre Epousée. Car Yahweh mettra son plaisir en toi, et ta terre aura un Epoux. Comme un jeune homme épouse une vierge, tes fils t’épouseront; et comme la fiancée fait la joie du fiancé, ainsi tu seras la joie de ton Dieu.

Traduction Le Maistre de Sacy :

On ne vous appellera plus la répudiée, et votre terre ne sera plus appelée la terre déserte ; mais votre serez appelée ma bien-aimée, et votre la terre la terre habitée, parce que le Seigneur a mis son affection en vous, et que votre terre sera remplie d’habitants. Le jeune époux demeurera avec la vierge, son épouse, vos enfants demeureront en vous; l’époux trouvera sa joie dans son épouse, et votre Dieu se réjouira en vous.

Toutes ces traductions sont plutôt meilleures que celle de l’AELF, même si elles ont chacune leurs défauts. Elles sentent plus ou moins toutes une influence janséniste, plus ou moins palpable. Rappelons justement au passage que ce sont les Jansénistes qui ont le plus milité pour les versions vernaculaires de la bible. Et que le Jansénsime est une hérésie profonde, n’en déplaise à certains traditionalistes qui ont une sorte d’attirance maladive pour Port Royal.

En fait aucune de ces traductions – et même la nôtre – ne rend compte de la spécificité et de la richesse du texte latin ; c’est donc pour cela qu’il faut maintenir ce dernier… Mais a traduction de l’AELF est spécialement problématique, pour une raison très simple : ce n’est pas une traduction sur le latin… On lui a préféré une traduction sur les autres langues bibliques, peut être justement pour rendre de façon définitive la mise su latin à la poubelle, suite aux directives de Mgr Bunigni mentionnées plus haut ?

Il faut pourtant fréquenter le latin, pour être fils de l’Église, pour pénétrer toute sa pensée et sa culture. Une fois cela établi demeure une autre question. Le texte latin oui, certes oui, mais lequel ? Nous savons que pour l’office divin spécifiquement cette question s’est réellement posée de façon assez violente au XXème siècle avec plusieurs rebondissements (pensons au « psautier Béa », mais aussi au débat entre la Vulgate Sixto-clémentine et la Nova Vulgata). C’est une vrai question. Passons sur le psautier Béa, c’est une page heureusement définitivement tournée, et revenons sur la polémique sur l’usage de la Vulate Sixto-clémentine vs Nova Vulgata. Notons au passage tout de même que la bible Vulgate Sixto-clémentine ne peut au sens strict se réclamer à 100% de S. Jérôme et que son édition a subi elle même une certaine cacophonie, qui n’est pas sans rappeler les débats actuels. En ce qui concerne la Nova Vulgata, dans beaucoup de cas, elle fait des propositions ou innovations qui sont profondément justes au plan théologique. Pensons par exemple au verset Ac 8,37 :

« Dixit autem Philippus: Si credis ex toto corde, licet. Et respondens ait : Credo Filium Dei esse Jesum Christum. »

qui a été purement et simplement supprimé de l’édition de la Nova Vulgata, avec grande justesse doctrinale ; c’est manifestement une interpolation sous l’influence des réformés, qui n’a pas sa place dans la bible parce que contraire à la théologie du baptême. En effet, le catéchumène demande la foi dans le rituel du baptême, et qu’il est renvoyé liturgiquement avant le Credo à la Messe (d’où l’appellation ancienne « messe des catéchumènes », qui est profondément juste). Ce serait tout à fait cocasse que l’Ecriture sainte montre que la Foi ne dépend pas du baptême….

Mais la Nova Vulgata pose d’autres problèmes, et pas des moindres : cette édition latine de la bible a peut-être un peu trop succombé à une fascination qu’il faut bien qualifier de morbide pour les Massorètes. Un autre exemple liturgique choquant le montre… La Lectio Brevis des mardi du temps de la Passion (i.e. de la 5ème semaine de Carême et de la Semaine Sainte) : Zac 12, 10-11a.

Effúndam super domum David et super habitatóres Ierúsalem spíritum grátiæ et precum; et aspícient ad me. Quem confixérunt, plangent quasi planctu super unigénitum et dolébunt super eum, ut doléri solet super primogénitum. In die illa magnus erit planctus in Ierúsalem.

Que vient donc faire là ce point juste après et aspicient ad me ? Oui c’est choquant, parce que justement cela va contre l’Évangéliste Saint Jean lui-même ! Et la Nova Vulgata elle même se contredit entre le Nouveau et l’Ancien Testament !

« Vidébunt in quem transfixérunt » / « Ils verront Celui qu’ils ont transpercé. » (Jn 19,37).

Comme s’il fallait supprimer toute référence à une prophétie réalisée telle que la rapportent les Apôtres et que commentent les Pères ! Est-ce, au travers d’une tentative de ne pas tomber dans la « théologie de la substitution » qui donnerait aux Juifs le (triste) privilège de ne pas avoir à reconnaître Notre Seigneur Jésus comme Christ, que l’on massacre ainsi l’Écriture sainte en tombant dans cette sorte de néo-marcionisme ? Allons. Soyons sérieux. C’est de plus tout à fait contradictoire avec le reste des textes liturgiques (songeons à la Grande prière universelle du Vendredi saint ou aux nombreuses Preces de l’office dans Liturgia Horarum qui demandent que les Juifs reconnaissent Jésus comme Christ). Soyons cohérents, soyons conséquents.

Car la question est difficile. On voit bien qu’elle est au centre de ce que devra être l’évolution de la liturgie romaine dans les prochaines années. « Ignoratio scripturarum, ignoratio Christi est ». Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ, nous enseignait S. Jérôme. Apparemment, ignorer le Latin, qui est la Langue de l’Église, c’est aussi ignorer la pensée de l’Église. Il faut bien se rendre à l’évidence. Comment se fait-il que dans certains diocèses ou séminaires interdiocésains, on met au programme de la formation des prêtres des heures et des heures d’Hébreu mais très peu de Grec (qui est tout de même la langue de l’Écriture des Évangiles, excusez du peu) pas du tout d’Araméen (qui est tout de même la langue maternelle du Christ et des Apôtres, et donc de la première prédication apostolique – tout de même !) et encore moins de Latin (en se privant ainsi de façon voulue de 50% des écrits patristiques et de tout le corpus théologique dont S. Augustin, S. Thomas d’Aquin…) ? C’est proprement incroyable. Il nous faudra du temps pour remonter le torrent. Et le courant est fort.

En tant que fidèles laïcs, qui ne sommes pas engoncés dans une idéologie qui a montré depuis la seconde moitié du XXème siècle son caractère mortifère, prêchons donc pour le Latin. Non pas par nostalgie, ou par réaction contre le Concile Vatican II (puisque ce dernier promeut le Latin…), mais pour nourrir notre foi. Le Latin est nécessaire, pour des raisons pastorales.

J’entends parfois que face aux réputées insuffisances de l’ordo missae post concilaire il suffirait de revenir à l’ordo tridentin, mais en célébrant en français. J’espère qu’avec ces quelques lignes, j’aurais fait douter un peu les tenants de cette thèse. Car je pense que la question de la vulgarisation de la langue liturgique est en réalité la racine du mal. Plusieurs de mes amis et usagers du site Societas Laudis savent que je vis dans un pays arabe et musulman. La question de la langue de prière en terre d’Islam ne se pose pas avec les même présupposés idéologiques qu’en France. S. Jérôme lui aussi a vécu dans le désert et c’est là qu’il a acquis sa compréhension profonde de l’Écriture et sa médiation – qui fut aride comme la géographie qu’il a fréquentée – doit encore pour nous être une voie de plus grande union au Christ. Je crois qu’il faut savoir sortir de certaines petites certitudes confortables sur le plan de la pastorale liturgique.

Cierges et luminaires: comment aménager l’autel?

Il est un fait bien regrettable que la manière d’aménager les autels, et en particulier la question des cierges, ne semble aujourd’hui dans les célébrations en forme ordinaire obéir à aucune règle. Dans ce domaine, c’est, hélas, l’anarchie et l’arbitraire qui règnent, ce qui contribue à enraciner dans les esprits l’idée -fausse- que la forme ordinaire est quelque chose d’informe et vague, et que le missel issu de la réforme liturgique ne serait qu’un « noman’s land » liturgique livré à toutes les improvisations et aux goûts les plus subjectifs du célébrant, de telle équipe liturgique ou communauté paroissiale. Dans telle paroisse, on ne met pas de cierges du tout; dans telle autre, on pose sur un coin de l’autel un gros cierge « CCFD », avec, dans un autre coin, un petit bouquet de fleurs; dans telle autre, on fonctionne encore autrement, etc. C’est le triomphe, partout, de ce que Martin Mosebach appelait «l’hérésie de l’informe»: la liturgie ne doit surtout pas avoir une forme spécifique et bien précise, mais c’est l’arbitraire et les « préférences » personnelles qui doivent être la norme. Bien évidemment, dans un tel contexte, tous ceux qui souhaitent rappeler que, dans la manière de célébrer la messe, des règles objectives existent et doivent être respectées passent pour d’affreux rubricistes, des esprits étroits et rigides attachés à des détails sans importance. «Vous êtes un pharisien arc-bouté sur le ritualisme, s’entendent-ils répondre, l’essentiel c’est de prier, Jésus n’est pas venu instaurer des rites». La belle affaire!

Il semble que ces réactions, loin de manifester une quelconque « authenticité évangélique », expriment bien plus la mentalité moderne -essentiellement occidentale d’ailleurs-, dont l’une des caractéristiques essentielles est d’avoir totalement perdu de vue l’importance du symbolisme, qui est pourtant constitutif même de toute la ritualité liturgique. Pour les Anciens, les mystères chrétiens étaient considérés comme des vérités trop profondes et trop riches pour pouvoir être appréhendées et exprimées uniquement à l’aide d’un discours rationnel humain, si sophistiqué soit-il. Tout mystère, pour être communiqué aux hommes, doit également être exprimé par la médiation de symboles, qui permettent à l’âme humaine de «saisir» intuitivement «quelque chose» du mystère tout en le respectant en tant que mystère. Ainsi en est-il de la question des cierges: ceux-ci ne sont pas, comme on se l’imagine aujourd’hui, qu’un pur élément décoratif dans le nombre et l’aspect n’ont aucune importance, mais bien au contraire leur nombre, leur disposition, leur aspect, encadrés par les normes officielles et déterminées par la tradition reçue, expriment, par le biais d’un symbolisme qui plonge ses racines dans les textes bibliques eux-mêmes, le mystère divin. C’est donc à ce titre -c’est à dire, dans la mesure où par la richesse du symbole, ils contribuent à rendre la liturgie nourrissante pour la vie spirituelle des fidèles- que ce symbolisme doit être respecté.

Exemple d’aménagement pour une célébration en forme ordinaire, ad orientem.
Paroisse de Villars-les-Dombes
Paroisse de Villars-les-Dombes

Comme en toutes choses, il convient dans un premier temps, lorsque l’on veut savoir «comment faire», de consulter les normes qui régissent l’actuelle forme ordinaire. Puis, dans un second temps, il convient d’interpréter la norme, non à la lumière des modes du moment, mais de la tradition reçue du rite romain telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous. Au n° 117 de la Présentation Générale du Missel Romain (PGMR), nous lisons:

L´autel sera couvert d’au moins une nappe de couleur blanche. Sur l´autel ou alentour, on mettra des chandeliers avec des cierges allumés : au moins deux pour toute célébration, ou même quatre, ou six, surtout s’il s’agit de la messe dominicale ou d’une fête de précepte, ou encore sept si c´est l´évêque du diocèse qui célèbre. Il y aura aussi sur l´autel ou à proximité une croix avec l’effigie du Christ crucifié. Les chandeliers et la croix avec l’effigie du Christ crucifié pourront être portés dans la procession d´entrée. Sur l´autel même, on pourra mettre, à moins qu´on ne le porte dans la procession d´entrée, l’Evangéliaire, distinct du livre des autres lectures.

L’interprétation à donner à cette norme, à la lumière de la tradition romaine est donc la suivante: pour une messe de semaine, il convient d’allumer deux cierges. Pour une messe dominicale ou un jour de fête, on allumera au moins quatre cierges, de préférence six. Pour une messe célébrée solennellement par un évêque (messe pontificale ou épiscopale), on allumera sept cierges.

Exemple de messe de semaine.

Selon l’usage traditionnel exprimant le mystère du lien entre Eucharistie et Sacrifice, on disposera toujours les cierges de manière symétrique de part et d’autre de la Croix qui, qu’elle soit posée sur l’autel ou disposée à proximité, devra toujours être placée au centre, de manière à constituer le point focalisant l’attention de toute l’assemblée.

Exemple d’autel apprêté pour une messe du dimanche ou d’un jour de fête (cathédrale de Saint-Malo).

Il est bien évident que l’on privilégiera toujours une célébration orientée, c’est à dire où le célébrant et l’assemblées seront tournés tous ensemble dans le même sens, c’est à dire vers la Croix, vers le tabernacle, et, au-delà du tabernacle, vers l’Orient (cf. article «Pourquoi toute liturgie chrétienne doit être orientée»).

Exemple de messe dominicale où la Croix et les chandeliers ne sont pas disposés sur l’autel lui-même (Notre-Dame de l’Assomption, Logelbach).

Quelle signification aux cierges? Un peu d’histoire

«Avant le christianisme, les Romains avaient pour usage de brûler des cierges devant les idoles ou pour honorer certains dignitaires de l’Empire, et ils les employaient aussi pour les offices funéraires. Dans la liturgie juive, on utilisait plutôt des lampes à huile et, au Temple, un chandelier à sept branches alimenté aussi à l’huile : la Menorah (cf. explication ci-après). S’il est vrai que les cierges ont répondu, dans l’Église primitive, au besoin pratique d’éclairer, notamment lors de la prière des vigiles, ils avaient aussi un sens symbolique important qui justifiait leur utilisation diurne dans un but cultuel. Au Vème s., à Vigilance qui se moque de l’utilisation de cierges en plein jour, saint Jérôme répond : « Dans tout l’Orient, on allume des cierges pour lire l’Évangile quand le soleil brille ; ce n’est point pour chasser les ténèbres, mais en signe de joie ». Au nombre des luminaires liturgiques, on compte les lampes, les cierges d’acolytes, les cierges d’autel, les flambeaux et, en tout premier lieu, le cierge pascal. Dans l’église primitive, suivant la majorité des archéologues, les chandeliers n’étaient pas admis sur l’autel. C’est à l’époque carolingienne qu’apparaissent les cierges d’autel. À l’époque romane, ils commencent à être posés sur l’autel-même, mais seulement durant le temps de la Messe. Ce n’est qu’à partir du XIIIème s. qu’ils y demeureront. Si les chandeliers sont de forme relativement simple à l’époque romane, au XIIIème s. leur hauteur s’accentue […] et les chandeliers seront parfois ornés de plusieurs noeuds, jusqu’à atteindre deux mètres de haut à la Renaissance.» (Source: Communauté Saint-Martin).

Un exemple de messe de semaine en forme ordinaire. Les six cierges allumés indiquent qu’il s’agit d’une fête particulière.

Dans ce domaine, il ne faut pas perdre de vue que traditionnellement et ce dans toute Eglise chrétienne, c’est la messe épiscopale (ou pontificale), c’est à dire célébrée par l’évêque, qui est la messe normative et le modèle de toute liturgie eucharistique. En effet, l’évêque, en étant dépositaire de la plénitude du sacerdoce ministériel, représente le Christ-Tête, ce qui est clairement manifesté par la fameuse expression attribuée à S. Ignace d’Antioche: «là où est l’évêque, là est l’Eglise catholique». C’est donc dans la messe solennelle célébrée par l’évêque entouré de son presbyterium, de ses diacres et de la communauté des fidèles baptisés que se réalise dans toute sa plénitude le mystère de l’Eglise. Or, pour la messe épiscopale, la PGMR, rappelant ainsi une tradition multiséculaire, prescrit comme nous l’avons vu d’allumer sept cierges d’autel.

Autel paré pour la messe pontificale: sept cierges (FE)
Messe célébrée par l’Evêque (FE)

Pourquoi ce chiffre de sept? Dans son ouvrage Les racines juives de la messe, le P. Jean-baptiste Nadler écrit: «Dans le premier récit de la création de l’univers en sept jours (Gn. 1), la lumière et les différents luminaires ont une place importante. Dieu, qui est Lumière (1 Jn. 1, 5), est aussi le créateur de la lumière: «Que la lumière soit, dit-il. Et la lumière fut» (Gn 1, 3). Après avoir fait pousser les différents arbres, il crée les deux grands luminaires: le soleil et la lune (Gn 1, 12.16). Dans le second récit de la création (Gn 2), le Seigneur plante un jardin en Eden, au milieu duquel pousse l’arbre de vie; mais après la chute d’Adam et Ève, l’accès à cet arbre est défendu par le Seigneur Dieu «[qui] posta, à l’orient du jardin d’Eden, les Kéroubim, armés d’un glaive fulgurant, pour garder l’accès de l’arbre de vie» (Gn 3, 24). Plus tard, lorsque Dieu révèle Son Nom à Moise, il le fait à partir d’un arbre et dans le feu: «L’ange du Seigneur lui apparut dans la flamme d’un buisson en feu» (Ex 3, 22). Dans le Temple de Jérusalem, la menora était le rappel liturgique de tous ces événements: un chandelier de lumière et de feu, tel un buisson dont les sept branches se rattachent au tronc central, planté près du Saint des Saints gardé par les chérubins où le grand-prêtre prononçait le Nom ineffable. En plaçant sur l’autel une croix, signe de la mort rédemptrice et de la victoire du Christ, entourée de sept cierges, la liturgie chrétienne accomplit parfaitement les figures de l’Ancien Testament que nous venons d’évoquer. La croix du Seigneur est cet arbre d’Eden dont le fruit, pain de vie, mais aussi fruit de la vigne véritable plantée par le Père, donne la vie éternelle; la croix est aussi ce buisson de feu où le Nom de Dieu est parfaitement révélé; elle est l’accomplissement total et le parachèvement de la création; elle est le shabbat, le repos définitif en Dieu.».

Messe à Paris à l’occasion de la visite du pape Benoit XVI en France. On remarquera les sept cierges sur l’autel et la croix centrale.

Le P. Jean-baptiste Nadler ajoute: «Voilà pourquoi les chrétiens d’Orient, aujourd’hui encore, mettent une menora sur l’autel, devant la croix; ils vivent la liturgie de l’Apocalypse: «J’ai vu sept chandeliers d’or, et au milieu des chandeliers un être qui semblait un Fils d’homme» (Ap 1, 12-13).»

Autel de l’église orthodoxe russe de Strasbourg. On remarquera la menorah à sept branches à côté de l’autel, symbolisant la Présence divine, ainsi que l’évangéliaire posé sur l’autel durant la liturgie des catéchumènes.

La présence des sept cierges sur ou à proximité de l’autel n’est donc pas un élément arbitraire: mettant en oeuvre un riche symbolisme immémorial pratiqué par toutes les Eglises chrétiennes, il est toujours le signe de la Présence de Dieu sur terre: présence spirituelle manifestée à Moise sur le mont Horeb sous le signe du Buisson ardent; présence spirituelle toujours dans le Saint des Saints du Temple de Jérusalem, sous le signe de la menorah; enfin, Présence réelle et substantielle à travers les espèces eucharistiques sur l’autel des liturgies chrétiennes, anticipant, annonçant et préfigurant la Présence éternelle et définitive du Dieu vivant au milieu du peuple des rachetés telle que décrite dans le Livre de l’Apocalypse: «Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dans la [ville], et ses serviteurs lui rendront un culte; ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. Et de nuit, il n’y en aura plus, et ils n’ont pas besoin de la lumière d’une lampe ni de la lumière du soleil, car c’est le Seigneur Dieu qui luira sur eux, et ils régneront dans les éternités d’éternités!» (Ap. 22, 3-5).

Pour conclure

Nous avons tenté de démontrer dans cet article que les éléments rituels de notre tradition liturgique, dont certains peuvent apparaître à première vue comme des détails sans importance, plongent en réalité leurs racines, non seulement dans les pratiques liturgiques des tous premiers chrétiens, mais encore dans la ritualité hébraïque vétérotestamentaire, et contribuent de manière décisive à la richesse symbolique -et donc spirituelle- de la liturgie. Ne pas respecter les normes et ne pas mettre en oeuvre ce symbolisme, en plus de nous couper de nos racines et de nous éloigner de nos frères orientaux, contribue inévitablement à l’affadissement et à l’appauvrissement de nos célébrations, les rendant ainsi moins aptes à susciter et entretenir en nous la foi catholique reçue des Apôtres. C’est uniquement par la mise en oeuvre exacte et fidèle de l’intégralité de la symbolique liturgique héritée de la grande Tradition chrétienne, que les catholiques pourront rendre à leur liturgie romaine cette «onction» -si nourrissante pour la vie intérieure- par laquelle elle devient véritablement «la source et le sommet de la vie de l’Eglise» (SC, I, 10).

« Le mystère de cet autel de pierre est étonnant. Par sa nature, il est  de pierre uniquement, mais il devient saint et sacré du fait de la présence du Christ. Etonnant mystère, certes, puisque cet autel de pierre devient lui-même, en quelque sorte, corps du Christ »
Saint Jean Chrysostome.

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