Esprit de la Liturgie

Lex orandi – Lex credendi – Ars celebrandi

Chanter à la Messe ou chanter la Messe ? Première partie

Dans un précédent article, nous avons expliqué quelle était l’importance des « Propres », ces chants tirés le plus souvent de l’Ecriture Sainte qui accompagnent l’entrée du clergé, l’offertoire et la communion, et se trouvent aussi entre les lectures. Nous avons montré à quel point il faut déplorer leur disparition, source d’un détestable appauvrissement du rite romain, tant sur la forme que sur le fond, et encouragé le lecteur à réfléchir à leur restauration, y compris dans un contexte paroissial.

Mais comment faire ? Les propres, c’est bien joli, mais c’est difficile à chanter et tout le monde n’a pas forcément un grégorianiste sous le bras, capable de déchiffrer des mélodies et de monter une schola cantorum. En même temps, vous aimeriez bien chanter les propres, et commencer à le faire aussi facilement que possible. Comment faire, donc ?

Pour commencer, apprenez la psalmodie latine et les huit modes grégoriens, les propres n’étant guère que de la psalmodie très élaborée. Cette chaîne YouTube vous sera d’un grand secours : https://www.youtube.com/playlist?list=PLk6izfW-zm0KuatLTAuSNhzo5Sft0so4o

Une fois que vous les maîtriserez correctement, vous n’aurez qu’à chanter ces pièces en suivant ces modes. Pour connaître le mode de chaque pièce, rien de plus facile : son numéro est écrit en chiffres romains juste avant la mélodie proprement dite.

Prenez cette pièce. Les lettres « IN » (en haut à gauche, avant les premières notes) indiquent qu’il s’agit d’un introït. Ces lettres sont suivies du chiffre IV, qui indique le numéro du mode (en l’occurrence, le quatrième mode).

Commencez doucement, en vous contentant, à chaque fois, de l’antienne :

  • Pour l’introït : chantez l’antienne seule, en la psalmodiant sur le ton correspondant.
  • Pour le graduel : psalmodiez l’antienne seule, puis le verset, avant de répéter l’antienne.
  • Pour l’Alléluia : chantez à deux reprise l’Alléluia sur un ton simple, puis le verset, avant de reprendre l’Alléluia.
  • Pour le trait (qui, en Carême, remplace l’Alléluia) : psalmodiez l’antienne, puis les versets, sans reprendre l’antienne (le trait est en effet un psaume déclamé d’une traite, d’où son nom).
  • Pour l’offertoire et la communion : comme l’introït.

Une fois que vous vous serez habitué à ce procédé, passez au stade supérieur, de la psalmodie au chant plus orné. Commencez par les introïts et les communions, en prenant le texte et la mélodie au Graduale Romanum ; et cette fois-ci, chantez (autant que faire se peut) les versets de ces antiennes. Faites de même pour les offertoires, en les réservant peut-être aux membres les plus expérimentés de votre schola.

Restent le graduel, l’Alléluia et le trait, qui comptent parmi les pièces les plus difficiles ; si vous ne vous sentez pas capables de les interpréter, jetez un coup d’oeil à cet ouvrage, qui contient ces chants, sous une forme abrégée (attention, les pièces sont réparties selon l’ancien calendrier) : https://schola-sainte-cecile.com/2010/01/26/fichier-pdf-chants-abreges-des-graduels-des-alleluias-des-traits-pour-toute-lannee-sur-des-formules-psalmodiques-anciennes-1930/

On se référera aussi avec profit à ce document, qui contient toutes les pièces du propre sur des mélodies abrégées (là encore, réparties sur l’ancien calendrier) : https://media.musicasacra.com/pdf/propers-guam.pdf

Lorsque votre schola sera assez importante en nombre et en qualité, vous pourrez passez au stade supérieur, en prenant toutes les pièces au Graduale et en ajoutant des versets là où vous ne les aviez pas encore chantés (on trouvera les versets de l’offertoire ici : https://media.musicasacra.com/books/offertoriale1935.pdf)

Pour le Graduale Romanum lui-même, il est édité par Solesmes, mais on peut aussi le trouver en ligne : https://archive.ccwatershed.org/media/pdfs/14/02/17/10-18-21_0.pdf

Si vous n’avez pas le Graduale Romanum, nous vous conseillons de jeter un coup d’oeil au Missel grégorien, édité par l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes, qui contient toutes les pièces des dimanches, fêtes et jours importants, avec les principaux ordinaires grégoriens, et le tout avec une traduction qui permet aux choristes de comprendre ce qu’ils chantent : https://www.abbayedesolesmes.fr/affichagelivres/missel-gregorien-latin-francais

En voici une version pdf, en anglais (malheureusement, elle comprend encore l’ancienne traduction anglaise, abominable à plus d’un titre) : https://media.musicasacra.com/books/gregorianmissal-eng.pdf

Et maintenant, au travail !

Il nous reste deux questions à traiter : d’abord, celle de la langue. Les ressources que nous avons présenté n’existent qu’en latin pour le moment. Il n’existe malheureusement rien de semblable en langue française, pour l’instant. On notera tout de même cet ouvrage, qui a mis en musique les antiennes (entrée et communion) du missel romain : https://www.laprocure.com/chanter-messe-annees-dimanches-fete-choeur-soliste-assemblee-arnaud-peruta/9782359680881.html

Ensuite, il y a la question des cantiques, ces chants extra-liturgiques qui ont remplacé les propres. Que faut-il en faire ? Les propres doivent-ils les remplacer ? C’est ce que nous tâcherons d’aborder dans un second article.

Sentimentalisme et sensibilité en liturgie

Un constat alarmant

Il faut le dire sans ambages : le principal venin qui empoisonne la vie ecclésiale en général et la liturgie en particulier à notre époque, c’est le sentimentalisme. Le sentimentalisme aujourd’hui s’immisce partout, s’infiltre partout, déforme tout, défigure tout. Au cours de l’immense majorité des célébrations, c’est le sentimentalisme qui imprègne les chants, l’attitude des ministres comme des fidèles, les choix « décoratifs », les manières de prier, de proclamer la Parole de Dieu, etc. Hélas, il va même jusqu’à déformer l’interprétation du chant grégorien, même dans certains des rares endroits où celui-ci est encore interprété. A la racine du sentimentalisme –qui réduit la vertu théologale de foi en un vague «sentiment religieux»- il y a cette erreur profonde voulant que l’acte de croire repose uniquement sur le « ressenti », par nature subjectif, de nature purement émotionnelle, et marqué par l’instabilité. Ce sentimentalisme envahissant est déjà ancien dans les pratiques cultuelles en Occident. Jusqu’au Moyen-Age, l’art sacré était caractérisé par sa dimension symbolique et hiératique, puisque fondé non sur le sentiment individuel, mais sur l’ordre divin objectif (qui se manifeste à travers le Cosmos et les rythmes de la nature) ainsi que sur l’objectivité des vérités contenues dans la Révélation.

Mais à partir de la Renaissance, cette adhésion à un ordre théologico-cosmique objectif a été peu à peu relégué au second plan. Oubliant imperceptiblement mais non moins réellement cette objectivité, la pratique cultuelle et surtout l’art en Occident commence à cette époque une irrémédiable plongée dans le sentimentalisme. Alors qu’en Orient, à travers l’art de l’icône et la conservation du symbolisme liturgique, la foi se conservait fidèle à la spiritualité des Anciens, l’iconographie occidentale sous influence d’un humanisme païen se caractérise de plus en plus par une glorification, non pas de l’homme divinisé en Dieu et sauvé par la grâce comme dans l’art sacré traditionnel, mais de l’homme en lui-même, avec ses caractéristiques physiques naturelles, ses affects, ses sentiments. Dans une bonne partie de l’iconographie religieuse occidentale postérieure à la Renaissance, la thématique « religieuse » n’est plus l’objet de la composition artistique, mais elle n’est plus qu’un « prétexte » à l’expression de la « créativité » personnelle de l’artiste qui, dès lors, n’hésite pas à s’affranchir des canons traditionnels garantissant l’adéquation entre les formes esthétiques et le fond spirituel. C’est bien cette glorification de la chair et de la psychè –c’est-à-dire, en fait, du sentiment- qui apparaît par exemple dans les fresques ornant la chapelle Sixtine, et plus encore dans les postures théâtrales de la statuaire de l’art baroque, puis dans celle de l’art néo-sulpicien, etc. Peu à peu, de manière insidieuse, la foi objective que l’on reçoit et que l’on transmet humblement est remplacée par le « sentiment religieux » que chaque génération recompose selon les modes et les préférences du moment.

Les dangers du sentimentalisme

Cet envahissement par le sentimentalisme, qui jusqu’ici s’était contenté d’influencer indirectement la spiritualité par le biais de l’art religieux, va connaître à partir des années 1960 une brutale accélération. C’est en effet un véritable tsunami de sentimentalisme qui, à partir de cette époque, va submerger puis engloutir toute la spiritualité, et surtout la liturgie. Alors que les normes rigides édictées dans le sillage de la réforme tridentine avaient jusque-là permis au rite objectif d’être maintenu et au sentimentalisme d’être contenu dans certaines limites, désormais c’est ce sentimentalisme qui va déterminer entièrement la prière liturgique, et ce jusqu’aux formes mêmes du culte. C’est ainsi que l’on verra la disparition dans la quasi-totalité des paroisses du chant grégorien, chant théologique objectif par excellence et que le Concile entendait pourtant réhabiliter ; c’est ainsi que l’on verra la suppression arbitraire de rites, ou l’invention de nouvelles pratiques opérés sur des bases purement subjectives du « ressenti », des goûts et des émotions. Dès lors, la liturgie n’est plus vue comme un patrimoine commun à tous les catholiques, mais comme le lieu où chacun veut exprimer sa « créativité » propre, ses opinions, ses préférences personnelles. Alors qu’une foi fondée sur des principes métaphysiques et théologiques objectifs est un facteur d’unification, le sentiment, lui, par essence subjectif, partisan et individualiste, pousse au contraire à l’éclatement, à la division, et au morcellement infini du corps ecclésial. C’est bien ce que l’on observe dans la plupart des diocèses aujourd’hui, dans lesquels il n’y a pas deux paroisses dans lesquelles la liturgie est célébrée de la même manière, de sorte que la notion –pourtant essentielle- de «communion ecclésiale» apparaît désormais dans la plupart des régions comme une pure fiction, faisant planer de manière permanente sur l’Eglise universelle la menace du schisme et de la dislocation.

Plus que jamais, il faut se poser la question : notre foi se base-t-elle uniquement sur l’émotion, le « ressenti », les « bons sentiments », les « préférences personnelles » ou bien se fonde-t-elle sur des réalités objectives, à savoir les données objectives de la Révélation fondées sur la Tradition et l’Ecriture sainte, la théologie, le droit canon, la liturgie, la spiritualité héritée de la Tradition et confirmée par le Magistère officiel de l’Eglise ? Qui est le mieux placé pour déterminer les formes du culte public de l’Eglise ? Les Pères des premiers siècles, dont certains ont vécu une génération ou deux seulement après la mort des derniers Apôtres, les docteurs, les différents Conciles de l’histoire, ou bien n’importe quel quidam, clerc ou « laïc en responsabilité » du début du XXIe siècle, qui n’a qu’une vision très approximative, très lointaine et très déformée de ce qu’a fait et voulu le Christ ? Sur quelle base fonder une spiritualité profonde, authentique et durable? Il apparaît clairement, par exemple, que la prière des psaumes telle qu’elle nous est proposée par l’Eglise à travers la liturgie des Heures, et qui porte une spiritualité qui a traversé les siècles, soit bien plus nourrissante et durable que certaines formes de dévotion tout entières fondées sur l’émotion, peut-être provisoirement « enthousiasmantes » certes, mais qui ne reflètent que la mentalité éphémère de notre époque et seront considérées comme périmées d’ici trente ans…

La véritable place de la sensibilité

Est-ce à dire que la sensibilité humaine et personnelle ne joue aucun rôle dans l’expérience religieuse ? Bien sûr que non. La sensibilité joue un rôle non négligeable dans la prière liturgique, rôle dont il convient de préciser les contours exacts. Il faut tout d’abord faire remarquer que la négation de la sensibilité que l’on peut trouver dans l’autre erreur qui a fait des dégâts en liturgie, à savoir le rationalisme desséchant, est précisément ce qui provoque, par réaction, le sentimentalisme. Rationalisme et sentimentalisme, en apparence opposés, constituent en réalité deux fléaux qui se nourrissent l’un l’autre, et forment ensemble l’attelage infernal qui détruit depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles, la sainte liturgie en Occident. L’erreur profonde constituée par un rationalisme excessif -qu’il se cache sous les traits du rubricisme pré-conciliaire ou d’un cérébralisme progressiste- a déjà été dénoncée par les anthropologues. C’est ainsi que le grand ethnologue Claude Lévy-Strauss affirmait en 1979 que les bouleversements liturgiques que l’on observait à l’époque donnaient l’impression «que l’on appauvrit ou que l’on dépouille la foi religieuse (ou son exercice) d’une très grande partie des valeurs propres à toucher la sensibilité, qui n’est pas moins importante que la raison». La sensibilité, en effet, joue un rôle, et important même. Le véritable rôle de la sensibilité personnelle consiste à permettre à la piété personnelle de se nourrir de la beauté et de la poésie objectives qu’il y a dans le répertoire liturgique légué par la Tradition. Une liturgie qui serait sèche, mécanique, froide et sans beauté ne serait pas réellement et entièrement traditionnelle, quand bien même elle serait célébrée par des communautés se présentant comme « traditionalistes », quand bien même elle serait célébrée dans le strict respect des normes officielles. Le respect des normes est indispensable et constitue la condition sine qua non de l’adéquation d’une célébration avec la foi objective de l’Eglise, mais ce simple respect ne suffit pas: il faut aller plus loin, c’est à dire donner à la liturgie, en s’appuyant toujours sur l’esprit de la Tradition, toute la solennité et la splendeur qui en font cette poésie sacrée et chantée, reflet de la liturgie céleste, si nourrissante pour la vie intérieure. De même qu’une liturgie débordant de sentimentalisme et reposant tout entière sur l’émotion ne saurait véritablement orienter la sensibilité vers sa véritable finalité, qui consiste à permettre au fidèle d’entrer dans le mystère objectif de la Beauté éternelle. Lorsque, par exemple, on écoute avec recueillement l’introit grégorien de la Messe du jour de Noel, ou de celle du jour de Pâques, on « ressent » la joie et la beauté objectives de ce chant, une joie et une beauté qui ont une nature théologique, liée au mystère de l’Incarnation du Verbe, avec toute la dimension mystique et contemplative que cela suppose. Mais pour saisir cette joie et cette beauté, il faut « se hisser » sur un plan supérieur, surnaturel -ce dont tout le monde est capable pour peu d’avoir un regard de foi- dans le cadre d’un processus de purification qui est justement rendu possible par la nature ascétique du chant grégorien, qui, quoique «beau» en lui-même, ne se contente pas de flatter la superficialité de nos sens.

L’un des clés de cette question pourrait être trouvée dans ce passage de la première épître de S. Paul aux Corinthiens qui est chantée au cours de la Messe du dimanche de Pâques: «Aussi célébrons la fête, non avec du vieux levain, ni avec du levain de malice et de perversité, mais avec les pains sans levain de la sincérité et de la vérité» (1 Cor. 5, 7-8). Le rapprochement que fait S. Paul entre les notions de sincérité et de vérité est intéressante pour le sujet qui nous occupe. La sincérité peut être considérée comme le mouvement de l’âme qui, débordant de «bonne volonté», désire se rapprocher de Dieu. Cette «bonne volonté» est aujourd’hui omniprésente chez beaucoup de fidèles. Cependant, comme le dit l’adage populaire, «l’enfer est pavé de bonnes intentions», et c’est pourquoi cette sincérité tombe inéluctablement dans le sentimentalisme et donc manque son objectif, si on oublie son lien essentiel avec la vérité, qui doit demeurer sa véritable finalité. De même, la vérité a besoin d’être mise en rapport avec la sincérité personnelle pour atteindre les fidèles et se «communiquer» à eux. La sensibilité est donc importante dans le sens où elle permet à chaque personne de « saisir » au plus intime d’elle-même la Beauté profonde et authentique qu’il y a dans le rite objectif. Mais ce n’est pas la sensibilité qui détermine entièrement la forme du culte. Partout où cette distinction élémentaire n’est pas faite, on transforme l’expérience religieuse en un simple sentiment subjectif ne reposant sur rien de véritablement vrai dans l’ordre de la réalité objective. Lorsque, au contraire, la sensibilité personnelle s’exprime dans sa juste mesure, c’est-à-dire quand elle consiste, non pas à exercer une tyrannie envahissante sur ce qui doit échapper à ses lois, à savoir le culte, mais en favorisant une attitude intérieure de réceptivité à la Vérité, alors, et alors seulement, elle permet à la vie spirituelle d’être nourrie de vérité et de vraie beauté. Alors, et alors seulement, nous pouvons chanter avec le psalmiste :


«Seigneur, j’aime la beauté de ta maison,
et le lieu du séjour de ta gloire
»


(Psaume 25).

Maître des cérémonies Pontificales: Monseigneur Enrico Dante

Un des plus grands esprits liturgiques du vingtième siècle a été Monseigneur Enrico Dante (1884-1967). Il fût choisi parmi beaucoup pour être le Maître des Cérémonies pontificales durant trois décennies importantes qui atteindront leur apogée avec le Concile Vatican II. Le 24 avril est l’anniversaire de sa mort à l’âge de 82 ans. Mgr Dante incarne l’âge d’or de la liturgie pontificale.

Mgr Dante se repère aisément, on le voit debout proche des papes – dans son raffinement oriental – dans l’élégance de ses manières et de son comportement. Son attitude n’était rien de moins que parfaite. Il fût l’architecte derrière les célébrations pontificales sous les pontificats de Pie XII, Jean XXIII et Paul VI. En tant que cérémoniaire du pape, il était le ciment qui maintenait la tenue des liturgies papales complexes. Ces années ont vues le développement de la photographie, précieux témoignages de ce qu’était la splendeur et l’imagination de l’ancienne chapelle et de la cour papale. Les célébrations liturgiques devaient débuter telles un spectacle époustouflant de beauté, une telle scène ne pouvait être tenue qu’à Rome et au Vatican. Les fidèles rentraient chez eux avec les yeux pleins de joie et le cœur plein de révérence.

Aujourd’hui encore, Mgr Dante compte de nombreux adeptes parmi les liturges. Certains pèlerins venant à Rome souhaitent visiter encore aujourd’hui sa tombe. Il est enterré dans la crypte de la Basilique de Sainte-Agathe des Goths, aujourd’hui église titulaire du Cardinal Burke, située juste en bas de la rue derrière l’Angelicum. Demandez à la sacristie de voir la crypte du bas et le sacristain vous ouvrira la porte et allumera la lumière.

Dante a été chargé à la fois d’assister et de superviser certaines des plus belles fonctions sacrées jamais filmées. Ce furent des années de prestige, d’élégance baroque et de beauté, lorsque les hautes liturgies scintillaient dans le rayonnement du soleil d’Orient, avec tant de subtils éléments byzantins. Les liturgies étaient construites pour durer éternellement, aussi longtemps que la papauté elle-même. Le centre du travail de Dante était d’assister le Saint-Père à l’autel durant la Sainte Messe. Je peux certainement dire moi-même qu’aucun homme à l’autel ne m’a autant impressionné dans son rôle sacré de cérémoniaire.

Au cours des dernières années de son mandat, le vent du changement a soufflé et bientôt la tempête de la révolution a eu l’élan d’un train de marchandises. Le changement était dans l’air et l’esprit révolutionnaire était, de l’avis de beaucoup, imparable. Aujourd’hui, les historiens et les liturges curieux étudient et s’émerveillent devant les précieux rites de l’Antiquité qui ont survécu jusqu’à nos jours, consignés à jamais dans les vieux Cérémonials de la sacristie de la Basilique du Vatican, aujourd’hui conservés à la Bibliothèque du Vatican. Mgr Dante a été le dernier cérémoniaire papal avant l’arrivée du novus ordo . Les drames sacrés des liturgies papales de l’époque étaient une succession de grands personnages et comprenaient des figurants aussi colorés que l’imposante Garde Noble et les gardiens du Pape. L’aristocratie locale de rang et d’intellect était incluse avec des rôles spéciaux. La noblesse romaine, les maisons royales d’Europe et les hauts dignitaires de l’église, ainsi que le corps diplomatique accréditées auprès du Saint-Siège, jouaient un rôle important dans les liturgies papales, assurant la présence des dignitaires de la haute cour, portant les différents insignes des ordres royaux et chevaleresques et les décorations militaires d’honneur. Les sediaris, vêtus de leurs brillants costumes de brocart rouge, portaient le pape dans une grande entrée sur la sedia gestatoria. Le haut chambellan de Sa Sainteté, était toujours présent. Les visiteurs étaient pris par l’émotion de la scène.

Moins d’un an après la mort de Dante, la cour et la chapelle papale ont été secouées par le Motu Proprio Pontificalis Domus, abolissant de fait les protocoles des siècles précédent. La sagesse et les traditions des siècles ont été supprimées au profit d’un nouveau départ, tandis que les rôles du clergé et des laïcs dans la chapelle pontificale ont été réorganisés de manière drastique. En bref, l’époque des liturgies complexes du « pharaon » papal était révolue, où les liturgies resplendissaient dans un habit de joyaux. Les gens s’étaient lassés de la grandeur.

On peut dire beaucoup de choses sur Monseigneur Dante et la majesté perdue des liturgies papales à cette époque ; je recommande le lien vers sa page Wiki pour une brève biographie. Hélas, je souhaiterait qu’un historien intrépide écrive sa biographie. Dante a été préfet des cérémonies pontificales de 1947 à 1965. Il a fait ses débuts dans les liturgies papales en 1914 lorsqu’il a rejoint le Collège des cérémoniaires pontificaux. Il a été créé cardinal le 22 février 1965. Il a vécu deux ans en tant que cardinal de la Sainte Église romaine et est décédé le 24 avril 1967. Dans votre charité, veuillez offrir une prière pour le repos de son âme.

Article original de John Paul Sonnen publié sur Liturgical Arts Journal, traduit par Guy Bachelier .

Sine domenico non possumus

Une semaine sainte sans sacrements ?

Situation inédite, non prévue par les rubriques, non envisagée par les cérémoniaires, non anticipée par les coutumiers des différents diocèses ou communautés religieuses… Faire ses Pâques, c’est bien ordinairement recevoir le sacrement de la pénitence et de la réconciliation, ainsi que celui de l’eucharistie ; et c’est « de précepte » ! Et cette année ce sera probablement impossible pour la plupart d’entre nous.

Il faut bien prier pourtant. Et plus que jamais il faut élever vers Dieu notre supplication, comme l’encens lors du sacrifice du soir. Nous savons bien que notre clergé, confiné comme nous offre quotidiennement la messe à nos intentions, « pro populo », (pour le peuple). Nous suivons les célébrations au travers des réseaux internet, de la télévision. Mais être devant un écran, est-ce l’équivalent de se déplacer, se rendre en présence du Christ, Le toucher ? L’entendre parler par le sacramental de la liturgie de la parole ? Quelques-uns d’entre nous auront peut-être l’impression, par le truchement de technologies, de faire de leur mieux dans l’accomplissement de leur devoir envers Dieu, en assistant à une célébration mise en œuvre, à distance, par un autre. Vous avez compris, si je pense que c’est mieux que rien, je pense aussi que ce n’est pas suffisant, surtout à l’approche de la Semaine sainte et de sa liturgie si particulière et si forte. Or, il y a des moyens, en tant que simples laïcs, de mettre en œuvre la liturgie, sans clergé et spécialement dans un contexte familial, la famille étant une Église domestique, une « Ecclesiola ».

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D’abord par la célébration des heures. Il faut rappeler que la célébration de l’office divin n’est pas l’apanage des prêtres. Bien au contraire, c’est en quelque sorte le privilège et le devoir du baptisé, qui la célèbre validement, et s’unit ainsi à la prière de l’Église de façon efficace. Il y a en effet quelques phrases qui sont réservées au prêtre (le Dominus vobiscum / « le Seigneur soit avec vous » et la formule trinitaire de bénédiction aux grandes heures). Mais les rubriques prévoient la célébration de cette liturgie des heures sans prêtre, et c’est bien ce que font ordinairement les moniales ou les religieuses de façon générale. Une religieuse par définition n’est pas plus membre du clergé que vous ou moi. Et pourtant, nous connaissons de magnifiques liturgies dans les monastères féminins !

En particulier, pour nourrir la prière la mise en œuvre de la liturgie nocturne est spécialement recommandable. Depuis la réforme liturgique qui a suivi le Concile Vatican II cette liturgie encore appelée « office de lecture » selon le cursus séculier, peut-être, sur concession, célébrée pendant la journée. Lectures bibliques et patristiques avec leur répons, se succèdent, ainsi qu’une psalmodie. Elle a une forme « protracta », c’est à dire « allongée » pour une célébration plus solennelle lors des fêtes de premier ordre. Pendant la semaine sainte, cet office peut prendre – deux fois, le vendredi et le samedi saint – la forme de « Ténèbres », avec un rite tout à fait particulier d’extinction progressive de 15 chandelles, au cours de cette célébration nocturne accolée à l’office des Laudes du matin où 15 psaumes sont chantés, et accompagnée de 9 leçons et 9 répons. C’est hautement traditionnel et pendant des années, ce fut un événement majeur pour la vie des grandes paroisses et des communautés religieuses. Rien n’empêche de mettre ce rite en œuvre chez vous, en famille, pour une prière et une méditation longue les soirs des jeudi saints et vendredi saint. Le problème que nous avons tous est une sorte de lentille déformante sur cette liturgie des heures à cause de la façon dont elle a pu être célébrée lors des (200) dernières années. En outre, l’office divin depuis les années 1970 est surtout compris ou en tout cas conçu  avant tout comme une dévotion personnelle du prêtre, qui doit « s’acquitter du bréviaire individuellement ». Or rien n’est plus contraire à l’esprit même de la promulgation du nouvel office divin par Paul VI par sa lettre apostolique Laudis Canticum. C’est un héritage malheureux de la théologie du ministère du prêtre diocésain à la sortie de la grande époque janséniste du XVIIème au XIXème, et dont notre prière publique subit encore aujourd’hui les conséquences malheureuses, si on ne tient pas compte de la tentative de renouveau liturgique du XXème siècle qui a vu son pic de succès entre les deux guerres. Évidemment ce qui est dit ici est également valable pour les grandes heures (laudes et vêpres) pendant toute la grande semaine.

Mais vous l’avez compris, il y a probablement également des moyens plus fructueux de mettre en œuvre une liturgie pascale à partir des grandes célébrations ordinairement sacramentelles du Triduum. L’expérience de la Messe sans sacrement existe dans les usages reçus depuis des années. Rappelons que la participation à la Messe dominicale est de précepte, mais la communion ne l’est pas – sauf à Pâques. On peut donc en tant que laïc envisager d’unir notre prière à celle de l’Église en ces jours saints, même sans prêtre. On ne parlera cependant pas d’ « ADAP » puisque « l’assemblée dominicale en l’absence ou attente de prêtre » sous-entend avant tout… une assemblée, dans une église. On parlera de messe sèche ou « missa sicca » ; c’est un usage qui en cas de nécessité peut être considéré comme légitime, et qui est décrit par Durand de Mende, le grand liturgiste du moyen âge :

[le prêtre] peut, après avoir pris l’étole, lire l’épître et l’évangile, dire l’oraison dominicale et donner la bénédiction : de plus, si par dévotion et non par superstition, il veut dire tout l’office de la messe sans offrir le sacrifice, qu’il prenne tous les vêtements sacerdotaux et qu’il célèbre la messe dans son ordre, jusqu’à la fin de l’offrande, passant outre la secrète, qui appartient au sacrifice. Mais il peut dire la préface, quoiqu’on paraisse y appeler les anges à la consécration du corps et du sang du Christ. Cependant, qu’il ne dise rien du canon, mais qu’il ne passe pas outre l’oraison dominicale et ne dise pas ce qui suit qu’on doit dire à voix basse et en silence ; qu’il n’ait ni calice, ni hostie, et qu’il ne dise ni ne fasse rien de ce qui se dit ou se fait sur le calice ou sur l’eucharistie.

Guillaume Durand de Mende (trad. Ch. Barthélémy), Rational ou Manuel des divins offices de Guillaume Durand, Paris, Louis Vivès, 1854, t. II, p. 13.

Il s’agit simplement de reprendre cet usage qui  été longtemps en vigueur et qui est toujours à l’honneur chez les Chartreux. La différence c’est qu’ici, la seule communauté qui y participe est la communauté familiale et non la communauté paroissiale ou religieuse ; et que sans prêtre il n’y a évidemment pas d’ornements liturgiques. N’oublions cependant pas de bien nous habiller…. En utilisant avec application et sérieux les textes que nous donnent l’Église, nous nous unissons à elle dans l’espace et le temps :

« Heureux (…) celui qui prie avec l’Église, qui associe ses vœux particuliers à ceux de cette Épouse, chérie de l’Époux et toujours exaucée ! » (Dom Prosper Guéranger, préface générale à l’Année liturgique).

Tout cela vaudra donc bien mieux que de petites dévotions. On veillera bien sûr à ne pas tomber dans le folklore ou les abus qui ont parfois attiré sur la pratique de cette « messe sèche » une suspicion bien compréhensible. Pour l’anecdote, sachez que l’usage de la messe sèche sous la responsabilité du père de famille est tout à fait courante chez les vieux catholiques qui n’ont plus de clergé. Ce n’est pas fantaisiste.

Concrètement, il s’agit d’omettre tout ce qui relève du sacrifice eucharistique et se cantonner à ce qui relève légitimement du sacerdoce commun des baptisés : tous les chants peuvent y trouver leur place, y compris l’offertoire, puisque c’est un sacrifice de paroles que nous offrons. Le chant de la préface y est légitime, sans le « Dominus vobiscum » / « Le Seigneur soit avec vous » (notons que l’Exsultet, qui n’est finalement qu’une préface largement allongée et solennisée est chantable en cas de nécessité, par un laïc d’après les rubriques du Missale romanum 2002 :

Si vero, pro necessitate cantor laicus Præconium annuntiat, omittit verba Quaprópter astántes vos usque ad finem invitationis, necnon salutationem Dóminus vobíscum.

Si vraiment, par nécessité, un chantre laïc devait annoncer l’annonce de la Pâque, il omet les mots ‘Quaprópter astántes vos’ jusqu’à la fin de l’invitation, ainsi que la salutation ‘Dominus vobiscum’.

On peut en inférer sans difficulté que ce qui est préconisé ici vaut également pour la préface).

On omet donc de la liturgie tout ce qu’il y a entre le Sanctus et le Pater, en n’omettant par contre pas de mettre en œuvre une prière universelle (évidemment avec la forme prévue). Remarquons justement qu’une forme institutionnalisée de ce qui ressemble fortement à une messe sèche existe bel et bien dans le missel romain actuel : c’est la fonction liturgique du vendredi saint. Et c’est justement au cours de cette fonction liturgique que se réalise de façon particulièrement appuyée ce qu’on appelle la « grande prière universelle », qui est l’exercice par excellence du sacerdoce commun (l’oratio fidelium, la prière des fidèles – c’est à dire pas celle du clergé). Il peut être également particulièrement profitable en l’absence de communion sacramentelle, de procéder à une communion spirituelle dont la forme est relativement libre mais dont les grands auteurs spirituels ont proposé de nombreux exemples, qui sont facilement disponibles sur internet.

Évidemment il faut que l’ensemble de la mise en œuvre soit solennelle, et dans un lieu si possible dédié : si la famille ne dispose pas d’un oratoire, c’est probablement le moment de consacrer une pièce ou à défaut d’une partie d’une pièce à la prière et de disposer cet endroit de façon particulière. Il n’est pas difficile de trouver un meuble qui puisse tenir le rôle d’un autel, sur lequel on disposera une croix entourée de chandeliers de part et d’autres et symétriquement, en nombre pairs. Dans certaines maisons on met deux chandeliers pour les féries, quatre pour les fêtes et six pour les premiers ordres (c’est à dire les jours liturgiques où il y a des premières vêpres, et / ou deux lectures et Credo à la Messe). Ces croix et autres images seront bien sûr voilées à compter du 5ème dimanche de Carême, comme le mentionne la rubrique au missel ce jour là, ce qui permettra de mettre en œuvre un rite de dévoilement et d’adoration le vendredi saint, pour la croix et dans la nuit précédant le dimanche de Pâques pour le reste. Ce même jour il faut évidemment s’arranger pour que la Passion soit lue ou mieux chantée, par trois lecteurs, l’un tenant le rôle du Christ (il est légitime que ce soit le père de famille) les deux autres le narrateur et le dernier la « synagogue » (c’est à dire tous les dialogues du texte non proférés par le Christ).

Pour le jeudi saint, il est évident qu’on pourra procéder de même. Notons cependant un point particulier. Le rite du lavement des pieds est extrêmement traditionnel et a deux significations. La première signification est commune si ce n’est connue : c’est le signe de la charité chrétienne, n’insistons pas. Le second est un rite de préconsécratoire lévitique et c’est ce signe qui a prévalu depuis Vatican II ; la réforme liturgique qui a suivi le Concile a en effet voulu l’intégrer à liturgie de la Messe in Coena Domini, avant l’offertoire, pour rappeler solennellement cette signification, qui est pratiquée précisément au moment du mémorial de l’institution de l’Eucharistie et de l’ordre. C’est pour cela que ce rite a été réservé jusqu’à une date très récente à des « hommes choisis » (viri selecti). Pour être plus précis, le Christ met en oeuvre ce rite le soir du jeudi saint, avec les apôtres seuls, parce qu’il procède à leur consécration (épiscopale). Si nous voulons être cohérents, on pourra conserver ce rite seulement si on le sépare de notre messe sèche du jeudi saint afin de le limiter à sa signification de signe de la charité chrétienne. C’était avec cette acception qu’était réalisé ce rite, en dehors de la messe, donc, notamment dans les chapitres de Cathédrale, jusqu’en 1970.

Pour le vendredi saint, étant une messe sèche institutionnalisée, il ne devrait pas se poser plus de questions que cela. Évidemment aucun rite de communion sacramentelle n’est possible. Soulignons que la Congrégation pour le culte divin a introduit une intention de prière supplémentaire à la grande prière universelle qui concerne l’épidémie actuelle.

Pour la Vigile pascale, enfin, il semble vraiment opportun de lui donner le caractère nocturne qui lui sied. Il faut que ce soit long : donc prenons toutes les options possibles et praticables puisque certains autres rites prescrits sont impossibles à réaliser, notamment celui, central, su cierge pascal. Ainsi, il y a sept lectures dans la vigile avant l’épître et l’évangile, n’en omettons aucune. Ces sept lectures peuvent être lues justement à la lumière de cierges ; on peut très bien attendre le Gloria avant de remettre en marche tous les éclairages ; c’est tout à fait traditionnel et cela montre particulièrement bien le passage de la Passion à la Résurrection. Ce sera de plus une expérience particulière et forte notamment pour les plus jeunes, en signifiant de façon marquée l’attente de la lumière de la Résurrection. C’est très facile à faire, ne nous en privons pas. Pour les détails, il faut bien sûr consulter le site « Cérémoniaire » : https://www.ceremoniaire.net/guide/samedi_st/. De la même façon, pour des raisons pastorales, nos curés ont eu tendance à avancer toujours plus tôt l’horaire de cette Vigile, alors même que traditionnellement, cette fonction liturgique s’achève justement au lever du jour. Si c’est faisable, c’est peut-être le moment d’expérimenter, nécessité rétablissant la loi (!) la prière au Christ ressuscité sous le symbole de l’astre levant !

Concluons simplement en nous souvenant que pendant des années, les Chrétiens du Japon ont vécu une vie chrétienne et donc liturgique sans prêtre. Et qu’au moyen de ce qu’il faut bien désigner comme des artifices, – qui ne remplaceront jamais, évidemment la réalité sacramentelle que le Christ a voulu nous laisser comme signe de Sa présence, – nous pouvons passer la mer rouge cette année dans des conditions malgré tout particulièrement favorables. Je prie également pour que tous les chefs de famille prennent au sérieux, pendant cette période de confinement – leur rôle de directeur de la vie spirituelle de leurs proches ; que le père n’abandonne donc pas la responsabilité spécifique qu’il a en cette matière devant Dieu. Les Juifs et les Musulmans ont à nous en remontrer sur cette question précise. Peut-être également que l’appropriation particulière de ces liturgies par les « Ecclesiolae » lors des jours saints, ce qui est rendu nécessaires par les circonstances nous permettront de mieux célébrer, dans nos paroisses l’an prochain, le véritable sens de ces rites qui seront alors rendus à leur expression complète.

Súrgite, eámus !

Comment suivre la bénédiction « Urbi et Orbi » de ce vendredi à 18h

https://www.vaticannews.va/fr/vatican/news/2020-03/comment-suivre-benediction-urbi-et-orbi.html

place Saint Pierre De Rome" : photos, illustrations, vecteurs et ...

Les processions de Carême

Ça y est, le Carême a commencé. Et avec le Carême, son lot de pénitences et de jeûnes, dans l’attente de Pâques. La liturgie prend alors des atours plus sobres : l’orgue se tait (sauf pour accompagner le chant des fidèles), l’autel n’est plus fleuri, les mélodies grégoriennes se font plus suppliantes et l’on supprime le mot en « A », qu’on retrouvera d’une manière spectaculaire lors de la Vigile pascale.

Tout cela est connu (du moins on peut l’espérer). Mais il est une caractéristique intéressante du temps du Carême, moins connue des fidèles et du clergé, décrite dans le Missel romain (ed. Typ. 2002, Carême, I). Voici une traduction officieuse et personnelle de cette description :

Il est fortement recommandé que la tradition du rassemblement de l’Eglise locale, sur le modèle des « stations » romaines soit conservée et promue, surtout pendant le Carême et au moins dans les plus grandes villes et d’une manière adaptée aux situations individuelles.

De tels rassemblements des fidèles, surtout sous la présidence du pasteur du diocèse, peuvent avoir lieu le dimanche, ou en d’autres jours appropriés pendant la semaine, soit sur la sépulture des saints, soit dans les sanctuaires ou églises principales d’une ville, ou même dans les lieux de pélerinage les plus fréquentés du diocèse.

Si une procession précède la Messe célébrée pour un tel rassemblement, les fidèles peuvent, selon les circonstances et conditions locales, se rassembler dans une église mineure ou dans un autre lieu approprié, autre que l’église où la procession se rendra.

Après avoir accueilli le peuple, le prêtre dira une collecte du Mystère de la Sainte Croix, ou celle pour la Rémission des péchés, ou pour l’Eglise, en particulier pour l’Eglise locale, ou l’une des oraisons sur le peuple. Après quoi, on se rend en procession à l’église où la Messe sera célébrée, pendant que l’on chante la litanie des saints. En des endroits appropriés de cette litanie, on peut insérer des invocations au saint patron, ou au saint fondateur, ou aux saints de l’Eglise locale.

Lorsque la procession parvient à l’église, le prêtre vénère l’autel et, selon l’opportunité, l’encense. Puis, en il dit la collecte de la Messe et poursuit celle-ci de la manière habituelle, en omettant les rites initiaux et, selon l’opportunité, le Kyrie.

Une telle pratique se veut donc une restauration de l’usage romain ancien, où la Messe était précédée d’une procession, d’une église à une autre. Le terme « collecte » qui désigne l’oraison d’ouverture de la Messe, vient d’ailleurs de là : le Pape chantait une oraison sur le lieu du « rassemblement » (collecta) de son peuple. De là, tous partaient en procession, en chantant des psaumes et des litanies, jusqu’au lieu où la Messe allait être célébrée. Une telle pratique était courante pendant le Carême, et la procession prenait alors une allure pénitentielle.

Cet usage, d’origine romaine, s’est ensuite transmis à nombre de lieux, en particulier en France. Pour plus d’informations, la lecture de cet article, consacré aux stations de Carême dans la liturgie parisienne, est incontournable : https://schola-sainte-cecile.com/2016/02/17/les-stations-de-careme-dans-lancien-rit-parisien/

Malgré cela, cet usage est tombé en désuétude à peu près partout.

On retrouve un tel schéma dans le missel romain (à ceci près que la procession semble faire partie de la Messe, au lieu de la précéder), qui nous invite à restaurer cette ancienne coutume ; cela permettrait de donner à nos offices quadragésimaux une allure propre à nous exhorter à la pénitence, grâce à l’effort de la procession. Pourquoi ne pas inviter votre curé (voire votre évêque) à mettre en œuvre cet usage ?

Voyez, même le Pape donne l’exemple (ici au Mercredi des Cendres, en 2019)

Ascèse et liturgie

L’entrée en Carême doit être pour tous les fidèles et le clergé l’occasion de redécouvrir une dimension absolument fondamentale de la prière liturgique : sa dimension ascétique.
La liturgie, en effet, a pour finalité propre l’union à Dieu par la contemplation et la prière qui préparent le cœur à l’accueil de la grâce. Mais cette finalité nécessite un état d’esprit, une disposition de la personne bien spécifique et qui ne peut pas être obtenue d’emblée. En effet, du fait du péché originel, l’être humain a naturellement tendance à ce que l’on pourrait appeler en psychologie « l’hypertrophie du moi », ou bien, en termes plus spirituels, le péché d’orgueil. Ce péché se manifeste de la manière suivante : l’individu se croit au centre de tout ; tout entier tourné sur lui-même dans une auto-contemplation nombriliste, il se rend incapable de voir le réel qui l’entoure, les autres et, bien évidemment, le vrai Dieu.

La vraie liturgie étouffée par la dictature du «moi»

Cette tendance, consubstantielle à la nature humaine blessée par le péché, éclate sous nos yeux dès que nous assistons à la plupart des célébrations qui ont lieu dans nos paroisses. Le sentimentalisme qui s’y exprime est la manifestation la plus explicite de cette dictature du « moi je » qui contribue à effacer de nos célébrations le visage du Christ et à réduire les eucharisties dominicales en de simples caisses de résonances où s’entrechoquent la cécité des egos : « Moi je suis un célébrant ouvert aux autres », « moi je suis une animatrice impliquée dans la vie paroissiale », « moi je veux célébrer des messes qui plaisent », « moi je raconte ma vie », « moi je », « moi je », « moi je »… Désormais soumise à la dictature du « moi je » déclinée en cent variations sur le même thème, la liturgie ne peut être que rongée de l’intérieur par l’expression infinie des affects, des idées personnelles, de la sensiblerie mièvre des uns, du sentimentalisme des autres, de l’infinie variété des goûts personnels, des humeurs, des choix subjectifs… Dès lors, elle devient totalement incapable d’exprimer la Vérité divine objective, de refléter l’image du vrai Dieu : un Dieu qui n’est jamais réductible ni à nos choix et à nos goûts personnels et changeants, ni à la personnalité d’un célébrant qui se veut sympathique.

L’ascèse comme condition de l’entrée dans la prière vraie

Or, s’il y a bien un moyen d’empêcher la liturgie d’être envahie par ce sentimentalisme dissolvant, c’est l’ascèse. Du dénuement de Job dans l’Ancien Testament aux austérités des Pères du désert, du monachisme médiéval aux grands mystiques de l’époque moderne, l’ascèse a toujours été l’outil incontournable au service de l’épanouissement de la vie intérieure. Or, la prière liturgique est tout entière fondée sur l’ascèse, indispensable pour purifier nos corps et nos pensées des œuvres mortes pour, par le biais de la contemplation, être rendus dignes de rendre un culte juste et bon – comme le chantent les préfaces- au Dieu vivant.
On oublie souvent que les pratiques ascétiques comme le jeûne sont toujours intimement liées aux différents temps liturgiques, comme préparation aux différentes fêtes. Tout, dans le culte liturgique, est comme façonné par l’ascèse, comme purifié par le feu de la vie ascétique.
Si l’Eglise, à travers le concile Vatican II, a en quelque sorte « canonisé » le chant grégorien (SC, VI, 116), c’est justement parce que ce type de chant, par sa nature profondément ascétique, ne verse pas dans le divertissement, dans la satisfaction d’une vaine sensibilité, mais au contraire nécessite l’effacement du choriste et de l’assemblée pour laisser s’exprimer, à travers une noble sobriété, l’ineffable mystère divin. Ainsi, la sobriété et la pureté des mélodies expriment-elles une beauté qui n’est pas pure ornementation, mais reste au service du texte chanté, le révélant ainsi pour ce qu’il est : une Parole vivante et sainte.
S’il y a une ascèse chorale avec le grégorien, il y a aussi une ascèse architecturale avec la pureté des lignes romanes, et aussi une ascèse rituelle, par laquelle le célébrant, par toute son attitude faite de retenue, d’humilité, de recueillement, d’effacement, d’humble obéissance aux normes et aux rites hérités de la Tradition, se comporte non comme un révolutionnaire prétentieux qui prétend tout changer selon ses caprices, mais comme un « serviteur inutile » qui s’efface derrière la personne du Christ qu’il représente.
Ce qui est vrai pour les célébrants est vrai aussi pour les fidèles. Trop de fois les nefs des églises offrent le triste spectacle de fidèles agités, distraits, incapables de silence et de concentration, tout entiers remplis d’eux-mêmes et donc incapables de s’immerger dans le mystère, par la prière intérieure, le recueillement du chant et la contemplation. Car avant d’être un ensemble de pratiques de mortification extérieure, la première ascèse et la plus importante est l’ascèse du cœur. Dans le domaine liturgique, elle suppose que le fidèle consent à toujours préférer la volonté de Dieu telle qu’elle s’exprime à travers les prescriptions de l’Eglise à la sienne propre. Le Carême qui s’ouvre doit être pour toutes les communautés chrétiennes l’occasion de renoncer, au cours des célébrations liturgiques, à certains chants peut-être « plaisants » ou très « agréables » en apparence, mais finalement très « sucrés » et superficiels, pour leur préférer le chant grégorien, qui, par la voie ascétique et profondément mystique qu’il ouvre, verse dans le cœur du fidèle, comme une eau pure, les sentiments et la prière de l’Eglise éternelle.

«La liturgie, déclarait le moine Alcuin à l’empereur Charlemagne il y a plus de douze siècles, c’est la joie de Dieu». Toute vraie liturgie suscite en effet la joie dans le cœur du fidèle, non pas une joie artificielle ou superficielle, mais une joie silencieuse et profonde, intérieure, bouleversante, qui devient alors, pour le chrétien racheté, une participation de tout son être à la joie céleste. Mais cette joie ne saurait être pleinement vécue par le fidèle sans qu’il ne se soit auparavant purifié à travers le feu de la vie ascétique. Celui qui renonce à ses préférences propres en matière liturgique, et qui accepte humblement d’entrer dans la prière officielle de l’Eglise telle que nous l’avons reçue de la Tradition et telle que nos pères l’on pratiquée durant tant de siècles, celui-là découvre alors un trésor qu’il ne soupçonnait pas : à travers la noblesse et la solennité des rites, à travers la sobre ivresse du chant, à travers la profondeur des prières et la beauté de la psalmodie, c’est l’esprit, la vie, l’être même du Christ qui lui sont pour ainsi dire communiqués. Alors se révèlent la plénitude et la profondeur du mystère : le Christ n’est pas un personnage historique lointain dont on se souvient vaguement dans le cadre de froides cérémonies commémoratives ; mais il est cette réalité vivante, par laquelle, en nous conformant à lui dans sa mort, nous sommes transformés et vivifiés. Or tout cela nous est donné, à travers l’ascèse, dans la sainte liturgie.

Il est assez peu relevé le fait que le récit de la tentation du Christ au désert mentionné dans l’Évangile selon saint Matthieu -et que nous entendons chaque année au cours de la Messe du Premier dimanche de Carême-, semble étroitement en lien avec le mystère de la sainte liturgie. C’est en effet bien sur l’adoration du vrai Dieu, préférée à l’adoration du diable, qui est le thème principal de la troisième tentation du Christ. Après que Jésus ait rappelé le commandement de n’adorer et de ne servir que Dieu seul, saint Matthieu clôt ce passage par une phrase dont nous réalisons bien peu souvent l’importance: Tunc reliquit eum diabolus: et ecce Angeli accessérunt, et ministrabant ei. «Alors le diable le laissa; et des Anges s’approchèrent pour le servir». Autrement dit, ce n’est qu’après avoir pratiqué l’ascèse intérieure consistant à refuser toutes les idolâtries, -à commencer par la pire de toutes, c’est à dire l’idolâtrie de soi-même et de ses petites préférences-, que la liturgie, la vraie liturgie, c’est à dire celle au cours de laquelle nous concélébrons avec les anges, peut enfin commencer.

Les diverses voies de l’ascèse

Bien évidemment, cette importance de l’ascèse s’exprime de différentes manières selon les diverses traditions liturgiques et selon les contextes : un laïc n’est pas un moine. Dans les liturgies orientales, la dimension ascétique s’exprime par la durée des offices, par la station debout, mais aussi par l’iconostase qui masque le sanctuaire aux yeux des fidèles, leur faisant ainsi comprendre que l’essentiel est de voir et d’entendre non avec les yeux et les oreilles du corps mais avec ceux du cœur, dans la foi.
Dans la tradition romaine, cette ascèse s’exprime davantage par la « noble simplicité » des ornements et de la paramentique liturgique -à ne pas confondre avec le misérabilisme indigent que l’on voit trop souvent dans nos célébrations paroissiales-, et surtout par le silence, qui est le contexte par excellence permettant à Dieu de nous parler et à nous de l’entendre, comme le rappelait le cardinal Sarah dans son ouvrage La force du silence.
Si l’Eglise veut sortir par le haut du bourbier dans lequel elle semble irrémédiablement engagée, elle devra nécessairement restaurer cette notion fondamentale de l’ascèse dans tous les aspects de la vie chrétienne, et en particulier dans la sainte liturgie ; notion qui ne consiste, en réalité, qu’à s’effacer soi-même pour laisser le vrai Dieu occuper la première place, afin de pouvoir réaliser en nous ce culte « en esprit et en vérité » dont parle l’Ecriture (Jean 4, 23).

Pourquoi toute liturgie chrétienne doit être orientée

Notre étude part d’un constat: la pratique de célébrer la messe face au peuple semble être aujourd’hui un fait que bien peu de monde songe à remettre en cause. Célébrer l’Eucharistie face aux fidèles apparaît aux yeux de la plupart des catholiques comme un progrès inéluctable. Autrefois, le célébrant tournait le dos à l’assemblée en marmonnant des prières en un latin incompréhensible; aujourd’hui, le prêtre voit les fidèles, se tourne vers eux, célèbre face eux, leur permettant ainsi, pense-t’on, de mieux participer à l’action qui se déroule sur l’autel. Le fait pour les fidèles de «voir» l’intégralité des rites qui s’accomplissent sur l’autel est considéré à notre époque comme un élément essentiel de la célébration eucharistique. Par ailleurs, on attribue généralement cette pratique aux enseignements du concile Vatican II, qui aurait, pense-t’on, rétabli un usage antique longtemps oublié à partir d’un Moyen-Age obscurantiste et clérical. Cependant, il semble que cette vision des choses soit en réalité à la fois très récente, et très typique d’une certaine mentalité essentiellement moderne et occidentale. Cet article a pour but de donner des éléments de réponse aux trois questions suivantes: le concile Vatican II a t’il réellement demandé la célébration de l’Eucharistie face aux fidèles? Cette pratique a-t’elle été la pratique généralement pratiquée dans l’Eglise primitive? Enfin, exprime-t’elle adéquatement le mystère de l’Eucharistie et de la prière liturgique chrétienne?

Une pratique récente et controversée

Il suffit de parcourir la constitution conciliaire sur la liturgie pour s’apercevoir que le Concile lui-même, à aucun moment et contrairement à une idée reçue solidement ancrée dans les mentalités diocésaines, ne demande de retourner les autels en vue d’une célébration face au peuple. Sacrosanctum Concilium n’évoque même pas le sujet et les normes actuellement en vigueur n’en envisagent que la possibilité. La pratique consistant à installer de nouveaux « autels » pour pouvoir y célébrer la Messe face aux fidèles n’apparaît que de manière anecdotique dans les années 1940, avant de se répandre puis de se systématiser dans les années 1960-1970. Pourtant, dès 1955, Paul Claudel, l’un des plus grands écrivains catholiques du XXe siècle, publie une lettre ouverte intitulée La messe à l’envers, dans lequel il dénonce avec force la généralisation de cette pratique qui, contrairement à ce que l’on a pu dire, modifie substantiellement la théologie traditionnelle de la Messe. Il semble en effet que la généralisation de la célébration versus populum n’ait pas été le fruit d’une véritable réflexion sur la signification profonde de la liturgie, mais bien plutôt d’une « mode » consistant à ne concevoir la liturgie que du point de vue pastoral, et non du point de vue de la vérité théologique dont elle est pourtant sensée être l’expression. En outre, il s’avère, après étude sérieuse des sources patristiques et historiques, qu’une grande partie des présupposés ayant servi à justifier la « messe face au peuple » dans les années 1960 ont été construits sur de parfaits contresens et sur une interprétation en grande partie erronée des sources archéologiques paléochrétiennes. Ainsi, la disposition des basiliques romaines avait été un argument phare de nombre d’historiens et de liturgistes pour justifier la célébration de la messe face au peuple.

En réalité, ces arguments se sont avéré être faux à la fois sur le plan architectural et sur le plan historique ; La célébration dans ces basiliques est en effet bien orientée puisque l’Orient se situe la plupart du temps du côté de la porte d’entrée. Dans les premiers siècles, d’après certains liturgistes comme Louis Bouyer, les fidèles n’étaient d’ailleurs probablement pas disposés dans ce type d’édifice très spécifique comme ils le sont actuellement (face à l’autel et à l’abside), mais il semble qu’ils se plaçaient sur les côtés de l’autel et étaient eux aussi tournés, en même temps que le célébrant à l’autel, vers l’Orient. De même, le fait que les autels des églises des premiers siècles aient été construits de manière à ce qu’ils soient séparés du mur absidial a été interprété, par certains historiens de l’époque (cf. NUSSBAUM Otto, Das Standort des Liturgen am christlichen Altar, 1965), comme la preuve que la messe y était dite face aux fidèles ; or on sait aujourd’hui que cette interprétation est erronée et que le concept de « messe face au peuple » tel qu’on l’entend aujourd’hui est totalement étranger à la mentalité et aux pratiques liturgiques de l’Eglise primitive, comme l’ont très bien démontré les meilleurs spécialistes de la question tels que Klaus Gamber, Louis Bouyer ou encore Marcel Metzger (cf. METZGER Marcel, «La place des liturges à l’autel», Revue des sciences religieuses 45, 1971).

L’omniprésence de la symbolique de l’Orient chez les Pères

La célébration vers l’Orient, en revanche, est un fait attesté depuis les origines du christianisme. Commençons par étudier les écrits des Pères de l’Eglise et les écrivains chrétiens des premiers siècles. Ainsi, saint Augustin, au IVe s., écrit: «Quand nous nous levons pour prier, nous nous tournons vers l’Orient d’où le soleil se lève. Non que Dieu ne serait que là, non qu’il aurait abandonné les autres régions de la terre, … mais pour que l’esprit soit exhorté à se tourner vers une nature supérieure, à savoir Dieu. ». Pour Tertullien (vers 200), la prière vers l’Orient va de soi. Dans son petit ouvrage « Apologétique », il mentionne que les chrétiens «prient en direction du soleil levant». Saint Jean Damascène (VIIe s.) écrit: «Lors de son Ascension, Il monta vers l’Orient, et c’est ainsi que les Apôtres l’adorèrent, et c’est ainsi qu’il reviendra, de la même manière qu’ils le virent monter au ciel, comme le Seigneur lui-même l’a dit: «Tel l’éclair qui jaillit de l’Orient et brille jusqu’à l’Occident, tel sera le retour du Fils de l’homme» (Mt, 24, 27). Parce que nous l’attendons, nous l’adorons tournés vers l’Orient. C’est là une tradition non écrite des Apôtres». Saint Athanase d’Alexandrie écrit au IVe siècle: «Les églises chrétiennes sont tournées du côté de l’Orient afin que nos regards soient dirigés du côté du paradis, notre antique patrie, d’où nous avons été chassés. Et nous prions Notre-Seigneur de nous rendre ce lieu d’où nous avons été chassés» (Pseudo-Athanase, PL. 23, col.618-619). Origène, au IIIe siècle: «C’est de l’orient, que nous vient le salut ; de là vient cet homme appelé Orient, médiateur entre Dieu et les hommes» (Homil. IX in Lev. n. 10). Saint Clément d’Alexandrie, au début du IIIe siècle, écrit dans les Stromates VII, 7, 43, 6-7, : «Etant donné que l’Orient est une image du jour de la naissance et l’endroit d’où croît la lumière qui a commencé à luire dans les ténèbres, un « jour » de la connaissance de la vérité s’est aussi levé sur ceux qui sont enveloppés dans les ténèbres ; les prières sont faites dans la direction du lever du soleil, vers l’est, selon la course du soleil.» Saint Ambroise de Milan, dans ses catéchèses sur le baptême, au IVe siècle, écrit: « Tu es donc entré pour regarder ton adversaire, à qui tu as décidé de renoncer en lui faisant face, et tu te tournes vers l’Orient [ad Orientem] ; car celui qui renonce au Diable se tourne vers le Christ, il le regarde droit dans les yeux » (Traité sur les Mystères). On pourrait aussi évoquer les textes des plus anciennes liturgies chrétiennes, dont beaucoup contiennent des textes évoquant clairement une orientation commune du clergé et des fidèles ; Ainsi, par exemple, l’anaphore copte de Saint Basile: «Approchez, vous autres hommes, tenez vous avec respect et regardez vers l’Orient!», ou bien encore l’anaphore de Saint Marc: «regardez vers l’Orient!».

Les pratiques liturgiques paléochrétiennes. L’avis des historiens et des liturgistes

Louis Bouyer, un des plus grands théologiens du Concile, était un farouche opposant de la messe « face au peuple ». Voici ce qu’il écrit dans son célèbre ouvrage Le Rite et l’Homme: « L’idée que la basilique romaine serait une forme idéale de l’église chrétienne parce qu’elle permettrait une célébration où prêtres et fidèles se feraient face est un complet contresens. C’est bien la dernière des choses à laquelle les anciens auraient pensé ». Le P. Josef A. Jungmann, auteur du célèbre ouvrage «Missarum sollemnia» écrit : « L’affirmation souvent répétée que l’autel de l’Église primitive supposait toujours que le prêtre soit tourné vers le peuple, s’avère être une légende ». Le Père Joseph Gélineau, que personne ne taxera d’intégriste puisqu’il a au contraire été à la pointe des innovations souhaitées par la partie la plus libérale du mouvement liturgique, écrit dans La Maison-Dieu (63, 1960, pp. 53-68): «Le célébrant, qui vient à l’autel pour l’eucharistie, ne devrait-il pas officier face au peuple? Il est nécessaire d’observer que le problème de l’autel versus populum tel qu’il se pose aujourd’hui est relativement nouveau dans l’histoire de la liturgie. Durant une période assez longue et pour une bonne part de la chrétienté, la question dominante, au dire de plusieurs historiens, ne fut pas celle de la position réciproque du célébrant et des fidèles, mais celle de l’orientation au sens strict, c’est-à-dire de se trouver face à l’Orient pour la prière. L’Orient symbolisait alors la direction de l’ascension et du retour du Christ ». Olivier Beigbeder quant-à lui note : «L’orientation des églises vers l’Est est un fait régulier au moins à partir du Ve siècle… Il est assez frappant de noter comment le respect de l’orientation a parfois été aux antipodes de la beauté: il n’est que de contempler, à Lyon, des rives de la Saône, la cathédrale Saint-Jean et l’église de Fourvière, pour constater que l’esthétique ne trouve pas son compte à ce que les églises tournent ainsi le dos à la rivière ». Le professeur Cyrille Vogel (1919-1982), grand spécialiste de l’histoire du culte chrétien et professeur à la Faculté de Strasbourg, fait lui aussi le même constat : «le problème d’une célébration vers le peuple en vue de le faire participer plus complètement à l’action eucharistique est un problème étranger à l’antiquité chrétienne, alors que la célébration vers l’Orient est une des grandes constantes du culte ». Plus récemment, dans un article publié en 2010 et intitulé L’orientation des autels, un problème mal posé?, Alain Rauwel, professeur agrégé à l’Université de Bourgogne, revient sur le débat entre spécialistes à propos de l’orientation de la liturgie durant le premier millénaire et le Moyen-Age, et conclut son étude en écrivant: «Le versus orientem est bien une évidence. Ce n’est donc pas à ses tenants d’apporter leurs preuves, mais à ses adversaires d’étayer leurs arguments. Pour l’heure, le moins que l’on puisse dire est que l’on a rien lu de convainquant…»

La véritable origine du «face au peuple»: la Réforme et l’humanisme de la Renaissance

On l’a vu, c’est en vain que l’on cherche dans les écrits des Pères des premiers siècles la moindre allusion à une quelconque « messe face au peuple » dans l’Eglise primitive. En revanche, l’idée d’une célébration face au peuple est explicitement et pour la première fois de l’histoire évoquée par Martin Luther lui-même: «Nous conserverons les ornements sacerdotaux, l’autel, les lumières jusqu’à épuisement, ou jusqu’à ce que cela nous plaise de les changer. Cependant nous laisserons faire ceux qui voudront s’y prendre autrement. Mais dans la vraie messe, entre vrais chrétiens, il faudrait que l’autel ne restât pas ainsi, et que le prêtre se tournât toujours vers le peuple, comme sans aucun doute Christ l’a fait lors de la Cène. Mais cela peut attendre.» (Martin Luther, Deutsche Messe und Ordnung des Gottesdienstes, 1526). Or cette hypothèse de Luther selon laquelle le Christ lors de la Cène aurait célébré « face » à ses convives a été démentie par les meilleurs spécialistes de la question. Ainsi, le P. Bouyer affirme que « l’idée qu’une célébration face au peuple ait pu être une célébration primitive, et en particulier celle de la Cène, n’a d’autre fondement qu’une conception erronée de ce que pouvait être un repas dans l’antiquité, qu’il fût chrétien ou non. Dans aucun repas du début de l’ère chrétienne, le président d’une assemblée de convives ne faisait face aux autres participants. Ils étaient tous assis, ou allongés, sur le côté convexe d’une table en forme de sigma, ou d’une table qui avait en gros la forme d’un fer à cheval. L’autre côté était toujours laissé libre pour le service. Donc nulle part, dans l’antiquité chrétienne, n’aurait put survenir l’idée de se mettre « face au peuple » pour présider un repas. Le caractère communautaire du repas était bien plutôt accentué par la disposition contraire : le fait que tous les participants se trouvaient du même côté de la table » . L’idée qu’une célébration « face au peuple » serait plus proche de la Cène décrite dans les Evangiles -et donc plus conforme à la volonté du Christ- est donc une idée récente, inaugurée par Luther, et certainement pas une idée remontant aux premiers chrétiens. Sur ce point, il est en outre nécessaire de rappeler la chose suivante: il ne faut pas perdre de vue le fait que la sainte Messe est à la fois un sacrifice et un Banquet mystique et n’est donc pas une simple reconstitution archéologique de la Cène. Hélas, la comparaison entre le texte de Luther appelant à une célébration face au peuple et ce qui a été mis en œuvre sur le terrain dans l’immense majorité des diocèses depuis cinquante ans ne peut que donner la très désagréable impression que le « catholicisme » tel qu’il est concrètement vécu dans les paroisses aujourd’hui semble bien plus fidèle à la pensée luthérienne qu’à l’enseignement des Pères de l’Eglise. Et cette impression est encore renforcée lorsque l’on constate qu’aucune Eglise d’Orient –dans l’ensemble restées plus fidèles aux pratiques cultuelles de l’Eglise primitive- ne pratique la célébration versus populum, excepté quelques unes qui ont subit au cours des dernières décennies la –mauvaise- influence occidentale.

Le problème tel qu’il se pose aujourd’hui

La conclusion qu’il nous faut tirer de cette étude est que la célébration « face au peuple » entre clairement en contradiction frontale avec toute l’histoire de la liturgie chrétienne, tant en Orient qu’en Occident, et ce depuis les temps apostoliques. La généralisation de la célébration face au peuple a donc bien été, et ce de manière incontestable, une rupture nette avec la tradition bimillénaire de l’Eglise; elle semble en outre avoir puissamment contribué faire perdre aux prêtres et aux fidèles le sens profond de l’Eucharistie. En avril 1992, le cardinal Decourtray, archevêque de Lyon, écrivait : «Nous nous sommes tellement tournés vers l’assemblée que nous avons oublié de nous tourner ensemble, peuple et ministres, vers Dieu ! Or, sans cette orientation essentielle, la célébration n’a plus aucun sens chrétien». Le P. Louis Bouyer, que l’on ne peut taxer d’intégriste puisqu’il a été l’un des grands théologiens du Concile Vatican II, écrivait dans la préface de l’ouvrage Tournés vers le Seigneur de Klaus Gamber : «Il en résulte que la messe dite face au peuple n’est qu’un total contresens, ou plutôt un pur non-sens ! Le prêtre n’est pas une espèce de sorcier ou de prestidigitateur produisant ses tours devant une assistance de gobeurs : c’est le guide d’une action commune, nous entraînant dans la participation à ce qu’a fait une fois pour toutes Celui qu’il représente simplement, et devant la personnalité duquel la sienne propre doit s’effacer !». Il apparaît donc évident que la question de l’orientation de la prière liturgique en général, et de la célébration eucharistique en particulier, devrait faire l’objet d’une sérieuse réévaluation. Sa redécouverte dans la vie liturgique de nos paroisses pourrait bien être le signe d’une redécouverte salutaire et d’un approfondissement du sens spirituel, symbolique, cosmique et mystique du culte chrétien.

Cependant, il faut reconnaître qu’une telle restauration, quoique nécessaire, ne puisse se faire sans de sérieuses difficultés. On nous objectera, par exemple, qu’aujourd’hui une partie non négligeable de nos églises ne sont plus orientées, en particulier celles qui ont été construites à partir du XVIe siècle sans reprendre le plan d’une église médiévale préexistante. A cet époque en effet, la compréhension profonde du symbolisme traditionnel en général et celui du soleil Levant en particulier s’estompe et cède la place à de toutes autres considérations: on se préoccupe essentiellement de la bonne disposition de l’édifice par rapport à l’organisation urbaine. Le symbolisme sacré qui exprime la foi et soutien la spiritualité s’efface au profit du rationalisme et du pragmatisme modernes. Par ailleurs, à partir de cette même époque, les autels, qui jusqu’au Moyen Age avaient conservé la forme d’un cube ou d’un parallélépipède simple, conforme au symbolisme qu’ils sont sensés exprimer, commencent à se transformer en des meubles imposants et monumentaux, surchargés de sculptures et d’une ornementation de plus en plus chargée qui ont tendance à obstruer la fenêtre percée dans l’abside orientale et originellement destinée à faire pénétrer dans le sanctuaire la lumière matinale. Dans beaucoup d’églises qui portent les stigmates de ces transformations, il faut reconnaître que la célébration vers l’Orient perd une partie de son sens… sans que celui-ci disparaisse complètement. Nous pensons en effet que même là où le sanctuaire n’est pas orienté, ou bien là où la fenêtre orientale disparaît derrière les aménagements issus de ces époques, le fait pour les fidèles et les ministres d’être tournés dans le même sens, vers la croix et le tabernacle, conserve une signification spirituelle tout à fait essentielle. Notons cependant qu’il serait préférable, au moins dans les églises dont la taille le permet, de toujours célébrer sur un autel séparé du mur, de manière à pouvoir en faire le tour, notamment lors des différents encensements prévu dans la liturgie.

Ex Oriente Lux…

Pour conclure…

Il est un fait rigoureusement incontestable que les premiers chrétiens voyaient le lever du soleil à l’Est comme l’image de la Résurrection et le symbole préfigurant le retour glorieux du Ressuscité à la fin des temps. C’est cette vision pleine d’espérance qui a conduit les premiers disciples du Christ, et ce dès les temps apostoliques, à se tourner vers l’Orient pour la prière communautaire et surtout pour la célébration de l’Eucharistie. Le concile Vatican II, loin de demander la célébration dite « face au peuple », a au contraire souhaité réhabiliter cette dimension eschatologique de la liturgie chrétienne, notamment par l’ajout de cette prière : «Nous proclamons ta mort, nous célébrons ta Résurrection, nous attendons ta venue dans la Gloire», que nous chantons après la Consécration. Or, c’est précisément dans le cadre d’une liturgie orientée que cette prière prend tout son sens!

En outre, il est faux de prétendre que la célébration versus populum exprime davantage la dimension pastorale et communautaire de la liturgie. Ce serait même plutôt le contraire qui est vrai. En effet, l’orientation commune du clergé et des fidèles illustre parfaitement l’ecclésiologie paulinienne et patristique telle que l’a remise à l’honneur le concile Vatican II : l’Eglise comprise comme le Corps du Christ, un corps dont chacun des membres joue un rôle spécifique au service de l’unité de ce corps : lors de la célébration eucharistique, les fidèles, en vertu de leur baptême, forment le «Christ-Corps » proprement dit, tandis que le prêtre représente le « Christ-Tête » qui se tient en avant de celui-ci pour le ramener vers le Père ; l’orientation exprime également à merveille l’image du Bon Pasteur, qui conduit ses brebis vers les verts pâturages de la vie éternelle. A ce titre donc, l’orientation de la liturgie est pleinement « pastorale », dans le sens le plus noble et le plus fort de ce terme.

Revenir à la pratique de l’orientation de la Messe ne signifie donc certainement pas faire preuve de « traditionalisme » ou d’intégrisme, mais cela signifie bien au contraire renouer avec le meilleur et le plus authentique de la spiritualité chrétienne : une spiritualité orientée vers la Lumière de la Résurrection, habitée par une confiante espérance dans le retour glorieux du Christ ressuscité à la fin des temps.

Les vêtements liturgiques dans l’art

Par Shawn Tribe, 10 janvier 2020, Liturgical Art Journal

Alors qu’il est tout à fait courant de chercher des exemples de vêtements liturgiques anciens ou historiques dans les musées et les sacristies, une des sources souvent négligée sont les tableaux dépeignant des personnalités religieuses ou de scènes religieuses, en particulier ceux de la Renaissance ou du Moyen-Âge. Ces sources sont précieuses en ce sens qu’elles nous donnent un aperçu des styles particuliers et des goûts àcertaines époques pour lesquelles nous ne disposons que de peu d’artefacts. Certains textiles ou ornements que l’on peut trouver dans ces œuvres d’art m’intéressent particulièrement

A fin de démonstration, j’ai pensé que cela pourrait intéresser nos lecteurs de jeter un coup d’œil à ces quelques exemples de ces vêtements dont je parle. Bien sûr les détails observables dans ces œuvres d’art ne concernent pas exclusivement les vêtements mais également de nombreux autres aspects liturgiques et historiques.

Si vous aviez jusqu’à lors négligé ces sources, vous avez manqué une véritable mine d’informations.


Traduit avec l’aimable permission du Liturgical Art Journal et de son éditeur Shawn Tribe. Traduit par Baptiste Bonnal

Article original: https://www.liturgicalartsjournal.com/2020/01/vestments-in-art.html?fbclid=IwAR3cBIl9P1XfaXCK6ArGlaWUuB4ontnbhqJrh-U02CWsZH6xTKyalJpE0Po

Liturgia Verbi: La véritable signification de la liturgie de la Parole

Encensement de l’Evangile par le diacre, abbaye Saint-Joseph, Flavigny-sur-Ozerain

Dans le contexte actuel de décadence généralisée de la liturgie, l’une des réalités rituelles les plus incomprises du culte public de l’Eglise est la liturgie de la Parole. La restauration de cette partie de la Messe avait pourtant été un des grands objectifs de la réforme liturgique conciliaire ; dans le sillage de la remise à l’honneur de la Parole divine voulue par le Concile, cette réforme avait en effet pour but redonner à ce rite –car c’est bien un rite, s’inscrivant pleinement dans l’univers rituel de la Messe- toute sa solennité, et de montrer qu’il constitue bel et bien une liturgie à part entière, la liturgia Verbi , c’est-à-dire la liturgie du Verbe incarné, «qui porte l’univers par sa parole puissante » (He, 1, 3).
Avant toute considération à ce propos, il est nécessaire tout d’abord de comprendre la nature profonde du christianisme. Contrairement à ce que l’on entend souvent, le christianisme n’est pas une « religion du Livre », mais bien une religion de la Parole, ce qui la différencie fondamentalement de l’Islam et du judaïsme rabbinique. Ces deux confessions religieuses, en effet, sont attachés à la lettre de la loi, à la lettre du texte sacré. Dans le christianisme au contraire, « la lettre tue, l’esprit vivifie » (2 Cor, 3, 6). Le christianisme est tout entier une religion de l’écoute de la Parole divine, qui est toujours une Parole vivante : « Elle est vivante, la parole de Dieu, énergique et plus coupante qu’une épée à deux tranchants ; elle va jusqu’au point de partage de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles ; elle juge des intentions et des pensées du cœur.» (He 4, 12). Dans les évangiles, il s’agit surtout « d’entendre», « d’écouter » la Parole de Dieu, tandis que la règle de saint Benoit commence par « Ecoute ! », et non pas par « lis ». Dans cette optique, la mise par écrit dans un « livre » est très secondaire ; par ailleurs on remarquera que toute vraie tradition est d’abord et avant tout une tradition orale, et que la liturgie, ses rites autant que son esprit, se sont transmis de génération en génération plutôt par l’exemple et l’écoute que du fait des Missels et autres imprimés, qui restaient de toute façon rares et chers jusqu’à une époque récente. On notera en outre que l’on constate que dès qu’une tradition passe à l’écrit, elle y perd souvent son âme et son caractère « vivant ».

Il est également nécessaire de bien comprendre l’esprit de la réforme issue de Vatican II. Si, dans la forme ordinaire du rite romain, le Canon doit être proclamé à haute voix, c’est bien pour être chanté, soit sur les mélodies prévues à cet effet, soit recto tono. Il faut le dire avec force : surtout pour les dimanches et les jours de fête, il est aberrant que la prière eucharistique ne soit pas chantée intégralement. Le fait de se contenter de la réciter la rabaisse à une simple parole humaine, surtout si, comme c’est le cas en de nombreux endroits, le célébrant emploie un ton mièvre et « personnalisé » totalement inapproprié à la grandeur de ce qu’il accomplit. Le Canon, en effet, n’est pas une parole ordinaire mais bien un Parole sacrée, et même, si l’on prend son cœur –Ceci est mon Corps, livré pour vous, ceci est mon Sang, versé pour vous et pour la multitude, paroles par lesquelles s’opère le Sacrifice- une Parole de Dieu, au sens propre. Par la prière consécratoire, le prêtre ne fait que prêter sa voix au Christ qui est le véritable acteur de la célébration, à la fois Prêtre et Victime du sacrifice divin. Dans la prière eucharistique plus que dans toute autre, la Parole de Dieu est dite performative, c’est-à-dire qu’elle réalise, par le fait même d’être prononcée, ce qu’elle évoque. Il faut bien insister sur le fait que liturgie de la Parole et liturgie eucharistique sont bien les deux parties d’une seule et même Liturgie, qui est la Liturgie de la Messe. D’une certaine manière, et pour les raisons que nous venons d’expliquer, on peut dire que le Canon est aussi une liturgie de la Parole qui s’opère par la consécration des saintes Espèces, tandis que la Parole divine entendue avec l’Epître et l’Evangile est elle-même un pain spirituel ; l’écouter, c’est aussi se nourrir.
Comme pour la prière eucharistique, en proclamant l’épître et surtout l’Evangile, le diacre ou le prêtre n’exprime pas des idées personnelles, il ne tient pas des propos purement humains ; au contraire, là aussi il prête humblement sa voix à une réalité qui le dépasse très largement, et qui est cette Parole de vie, ce Verbe éternel qui était dès le commencement du monde, comme nous l’entendons dans le Prologue de l’Evangile selon saint Jean. Tout donc, dans sa manière de proclamer cette Parole, doit montrer que sa personnalité propre, pleine de faiblesses et d’insuffisances, s’efface complètement pour laisser s’exprimer le mystère du Verbe divin.

Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, chant de l’Evangile par le diacre

De l’ensemble de ces considérations il nous faut tirer deux conclusions pratiques :
1- LA LITURGIE DE LA PAROLE DOIT ETRE SOLENNISÉE. L’une des caractéristiques de la crise actuelle est que nous ne savons plus solenniser. Que signifie « solenniser » ? Cela signifie mettre en œuvre tous les symboles et tous les éléments matériels prescrits par les normes et la Tradition qui permettent de souligner l’importance du mystère que l’on célèbre. Il est aberrant, par exemple, que même dans des églises ou des sanctuaires dotés de tous les moyens matériels, le diacre qui proclame l’Evangile ne porte pas de dalmatique. La dalmatique, vêtement de joie et de solennité par excellence, n’est pas un accessoire secondaire, mais bien le vêtement qui exprime la nature de la fonction diaconale. Par ailleurs, on ne peut que saluer la pratique restaurée par la réforme liturgique de Vatican II de porter l’évangéliaire au cours de la procession d’entrée et de le poser sur l’autel durant la première partie de la messe. En effet, cette pratique, totalement traditionnelle et conservée dans bien des liturgies orientales (byzantine notamment), permet de souligner le lien intime entre liturgie du Verbe et liturgie eucharistique. En effet, l’autel, centre de l’église et point fixe placé au milieu du sanctuaire, symbolise la personne même du Christ, cette «pierre que les bâtisseurs ont rejeté» et qui est devenue «la pierre d’angle». L’évangéliaire symbolise la Parole de Dieu, qui elle est une réalité vivante et dynamique, qui «sort» de la personne du Christ (représentée par l’autel) pour nous rejoindre et nous transformer. La procession au cours de laquelle le diacre (ou le prêtre s’il n’y a pas de diacre) saisit l’évangéliaire posé sur l’autel et se rend à l’ambon pour chanter l’Evangile est la manifestation rituelle de la nature dynamique de ce mouvement par lequel le mystère du Verbe se manifeste aux hommes. Si l’on dispose d’un nombre de servants d’autel suffisant, il est donc impératif que cette procession entre l’autel et l’ambon ait lieu, le diacre ou le prêtre étant accompagné de deux céroféraires (en aube avec cordon ou soutane-surplis) qui ensuite encadrent l’ambon où le diacre va proclamer l’Evangile. En effet, ce rite consistant à encadrer la proclamation de l’Evangile de deux cierges portés par deux servants fait partie intégrante de la liturgie de la Parole, et signifie que la Parole de Dieu est la lumière qui éclaire nos existences. A cela s’ajoute la présence du thuriféraire balançant l’encensoir fumant, car la Parole manifeste la présence vivante de Dieu qui doit donc recevoir l’hommage représenté par l’encensement durant la proclamation. On veillera également à user d’un évangéliaire richement orné ; en effet cette riche ornementation du livre contenant les Évangiles, qui a souvent contribué à la production par les artistes de splendides œuvres artistiques, souligne l’importance, non du livre en lui-même, mais de la Parole divine qu’il contient et dont il n’est que le support matériel. Tous ces éléments sont décris dans les livres officiels et doivent être respectés et mis œuvre dès que cela est possible. En contemplant la procession solennelle du diacre portant l’évangéliaire, entouré des céroféraires et du thuriféraire, de l’autel à l’ambon, les fidèles comprennent que la Parole de Dieu est une réalité vivante et lumineuse, qui provient du Christ (représenté par l’autel) et qui vient jusqu’à nous pour transformer nos existences. Ne pas donner en revanche à la liturgie de la Parole tout ce déploiement riche en signification, c’est affaiblir la capacité de cette même liturgie à exprimer le mystère du Verbe divin.

Encensement de l’Évangile par le diacre, forme extraordinaire du rite romain

2- LA PAROLE DOIT ETRE CHANTEE. On se référera à ce sujet à l’explication très juste et profondément fidèle à la Tradition qu’en donne Jean Hani, qui affirme que la désacralisation de la liturgie de la Parole est aggravée par « la façon dont le texte est dit aujourd’hui, c’est-à-dire comme celle dont on lit n’importe quel texte littéraire, et, ce qui est plus grave, avec la fameuse diction expressive qui a pour effet de mettre en avant le lecteur au lieu du locuteur véritable qui est le Christ lui-même ou son porte-parole, l’évangéliste, ce qui revient au même. Régulièrement, l’Evangile était proclamé et non pas lu, de façon solennelle en utilisant une sorte de mélopée, ce qui avait pour résultat de hausser l’acte sur le plan supérieur, -le plan du sacré ; quand ils n’étaient pas chantés, l’Evangile et l’Epître étaient lus recto tono, un mode qui dépersonnalise, comme il convient, le lecteur, et valorise le texte [ou plus exactement, la Parole vivante dont le texte n’est que le support, ndlr] et son auteur ». Or, le fait de simplement « lire » le texte évangélique sur un ton que l’on veut faussement « personnalisé» ou intimiste, suppose en réalité une autre approche de la Parole, une approche en réalité imprégnée de mentalité protestante : la Parole de Dieu n’est plus cette réalité surnaturelle, supra humaine et sacrée, parvenue jusqu’à nous par l’intermédiaire de la sainte Tradition, une Parole vivante sur laquelle nous n’avons aucun pouvoir, derrière laquelle nous devons nous effacer et que nous devons recevoir dans l’humilité et l’obéissance, mais elle devient un texte quelconque que n’importe quel locuteur peut interpréter à sa guise, en fonction de ses goûts subjectifs et de son « inspiration » du moment. C’est hélas bien cette approche –fausse- de la proclamation de la Parole qui est aujourd’hui pratiquée dans l’immense majorité des paroisses. Jean Hani fait une autre remarque qui mérite d’être rapportée : « En supprimant les mots « in illo tempore », on enlève complètement à la nature du texte le caractère rituel qui permet de transcender le moment « hic et nunc » et qui permet de devenir le contemporain du Christ au moment où il donnait son enseignement. Le « mystère », car il s’agit bien d’un mystère, celui d’un Dieu parlant à l’homme, le mystère et sa « présence » sont évacués, l’Evangile lui n’est plus qu’un récit didactique, à but moral, ce n’est plus réellement le « Pain de la Parole », considéré dans la grande tradition chrétienne comme l’accompagnement vital du « Pain de la sainte table » » (Jean Hani, Le monde à l’envers. Essais critiques sur la civilisation moderne, l’Age d’homme, p. 51-52).

Diacre portant l’évangéliaire dans le rite byzantin.

Il faut dire et répéter que la Liturgie est la première école biblique. Toute liturgie véritablement traditionnelle est nécessairement comme « imprégnée » d’Ecriture sainte. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas une liturgie traditionnelle. Dans la liturgie grégorienne, l’essentiel des pièces du propre (introits, graduels, alléluia, antiennes d’offertoire et de communion) et une grande partie des pièces de l’ordinaire de la Messe sont des extraits de textes bibliques. A partir de la fin du Moyen-âge, le sens profond de cette «liturgie du Verbe» et de son déploiement rituel a été progressivement oublié. L’apparition du catéchisme au XVIe siècle (qui est une invention du protestantisme, reprise par l’Eglise tridentine) a été un moyen de compenser –sous une forme, hélas, très scolaire et rébarbative totalement étrangère à l’esprit des Anciens- l’affaiblissement de la puissance signifiante de l’antique liturgie du Verbe. Auparavant en effet, c’était cette liturgie de la Parole qui permettait l’appropriation par les chrétiens (ou ceux qui se préparaient à le devenir) de la Parole divine, par une sorte d’«immersion rituelle» dont les caractéristiques essentielles (la procession solennelle, le chant du graduel et de l’alléluia par la schola puis proclamation chantée du texte sacré par le diacre, l’usage des cierges et de l’encens) permettaient de comprendre la dimension supra humaine et surnaturelle de cette Parole, et donc de se laisser transformer par elle. C’est pour cela que jusqu’à une époque récente, la première partie de la Messe -rites pénitentiels et liturgie de la Parole- était appelée « Messe des catéchumènes » et constituait la seule partie de la Messe à laquelle ceux qui n’étaient pas encore reçu le baptême pouvaient assister, avant de quitter l’église au moment où débutait la liturgie eucharistique proprement dite, ou « Messe des fidèles », réservée aux fidèles baptisés et pleinement initiés aux mystères.
En conclusion, il est bon et essentiel que les catholiques se nourrissent de la Parole de Dieu contenue dans les Écritures, mais prioritairement dans la façon dont l’Eglise les leur expose dans son sacrificium laudis, le sacrifice de louange à Dieu, et en particulier dans la liturgie du Verbe telle que nous l’avons reçue de la Tradition et telle qu’elle a été restaurée à la suite du Concile. La Liturgie n’est que difficilement compréhensible sans connaissance minimale de la Sainte Ecriture ; une connaissance de l’Ecriture sans culture liturgique s’éloigne de l’Esprit dans lequel l’Eglise veut que nous la recevions et méditions, et ouvre la porte à toutes les erreurs et à toutes les hérésies. Restaurer une authentique liturgie de la Parole qui soit conforme à l’esprit de la Tradition est donc indispensable pour que cet Esprit puisse préparer les fidèles à accueillir, à comprendre et à mettre en pratique dans leur vie la Parole du Maître.

«Heureux plutôt ceux qui écoutent la Parole de Dieu, et qui la gardent!» (Saint Luc, XI, 28)

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